M. Jean-Pierre Sueur. C’est ce qu’a dit M. François Molins lors des États généraux de la justice !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Je ne suis pas M. Molins, et celui-ci n’est plus chargé de ce dossier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, une opération de lutte contre l’immigration illégale intitulée « Wuambushu », organisée par le ministère de l’intérieur, sera menée à Mayotte à la fin du mois d’avril. Elle se traduira par le déploiement de 400 gendarmes mobiles supplémentaires et la venue de la CRS 8, spécialisée dans les violences urbaines, pour effectuer des reconduites à la frontière.
L’amalgame qui est effectué entre l’immigration et la délinquance et l’instrumentalisation dont fait l’objet l’institution judiciaire, mise au service d’une politique pénale décidée par le ministère de l’intérieur, ne sont pas acceptables.
Les informations qui parviennent de l’autorité judiciaire laissent entendre que cette dernière ne sera pas affectée, car les nombreuses personnes qui seront placées en centre de rétention administrative (CRA) n’auront pas le temps de saisir le juge des libertés et de la détention (JLD). Il est déjà question de faire venir trois bateaux pour expulser les personnes étrangères.
M. Thani Mohamed Soilihi. Elles rentrent chez elles !
Mme Éliane Assassi. Nos magistrats du siège doivent demeurer indépendants et se tenir loin d’une politique pénale expéditive et du tout-répressif. Des reconductions aux frontières expéditives, je dirai même systématiques, se font forcément au mépris d’enquêtes plus approfondies.
Nous relayons ici les inquiétudes exprimées par l’Unicef, le Conseil national des barreaux (CNB) et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui se sont émus de cette opération, ainsi que celles d’associations et organisations qui s’inquiètent, en particulier, du devenir des mineurs, l’aide sociale à l’enfance (ASE) ne pouvant accueillir ces derniers faute de subventions.
Quant aux magistrats administratifs, ils envisagent le triplement des requêtes, le greffe du tribunal administratif menaçant même de se mettre en grève !
Si cette opération se déroule, comme prévu, de manière purement administrative, sans que la justice ait été associée – ou très peu –, la justice judiciaire deviendra, par son silence, l’alliée objective du pouvoir administratif.
Monsieur le ministre, cette opération menée par le ministère de l’intérieur suscite de nombreuses craintes et interrogations, notamment celle de savoir si certains droits fondamentaux ne seront pas directement attaqués.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, le premier droit fondamental est de pouvoir vivre dans un territoire où la loi de la République est respectée, où les passants ne sont pas attaqués, où des élèves ne se font pas couper la main dans les bus et où les biens ne sont pas brûlés systématiquement !
M. Thani Mohamed Soilihi. Et on doit entrer légalement dans notre pays !
Mme Éliane Assassi. Vous ne parlez jamais des causes, toujours des conséquences !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Mais si, nous parlons des causes, madame la sénatrice : un plan financier colossal est prévu pour Mayotte. Je ne puis le dévoiler aujourd’hui, mais le sénateur Mohamed Soilihi le connaît.
Nous marchons sur deux pieds. Et, oui, il faut de la répression !
M. Thani Mohamed Soilihi. Il faut que les gens rentrent chez eux, tout simplement !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Pour vous répondre, les opérations qui seront conduites à Mayotte s’inscrivent dans la continuité du plan interministériel Shikandra, qui a été engagé pour répondre au besoin de sécurité exprimé par tous les Mahorais, lesquels ont droit à la sécurité, comme tous les citoyens de la République.
Ces opérations visent, en premier lieu, à interpeller ceux qui contribuent à terroriser la population en organisant des meurtres et des embuscades, en attaquant des bus scolaires et en allant jusqu’à couper la main des jeunes qui s’y trouvent… Où sommes-nous ? Il nous faut réagir !
Les opérations de reconduites à la frontière et de destruction des habitats indignes qui sont engagées et se poursuivront sont naturellement conduites, croyez-le, dans le strict respect du droit des personnes mineures.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce que dit le Conseil national des barreaux !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Je ne sais pas qui a dit quoi. Pour ma part, j’observe ce que font l’administration et les magistrats en poste, mais aussi les procédures qui s’appliquent, en lien étroit avec les acteurs judiciaires.
Pour répondre à ces défis, le ministère de la justice a envoyé en renfort, dès le 1er février et pour une durée de six mois, 6 magistrats pour appuyer le tribunal judiciaire de Mamoudzou. Un dispositif analogue a été prévu pour renforcer de 7 agents le personnel du greffe.
Ces renforts substantiels, dont l’expérimentation avait été annoncée par le garde des sceaux dès septembre 2022, ont d’ores et déjà permis d’engager une série d’interpellations de chefs de bandes, qui sont des assassins. Peut-on les interpeller et les juger ?
Mme Éliane Assassi. Je parle de justice !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Vous évoquez également le sujet des avocats.
Le garde des sceaux n’a, à ce jour, pas eu connaissance de difficultés que rencontrerait le barreau de Mayotte. Pour autant, les instances administratives et judiciaires locales entretiennent au quotidien des relations très fluides avec les avocats mahorais et réunionnais dans le cadre du traitement du contentieux lié aux opérations de déconstruction et de reconduite.
Tous les services de l’État sont mobilisés pour faire face à la situation sécuritaire et migratoire, en agissant en priorité contre les délinquants, les réseaux criminels et les passeurs, et pour offrir des conditions d’accueil dignes aux ayants droit. Nous faisons tout pour respecter le droit judiciaire. La priorité est de faire juger rapidement les personnes interpellées, auxquelles sont donnés les moyens de faire appel. Elles peuvent saisir les juridictions, il n’y a aucun problème !
M. Thani Mohamed Soilihi. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le ministre, il est vrai que nos questions sont quelque peu redondantes, mais après tout, plus on tape sur le clou, plus il entre. Aussi, j’espère que nous finirons par être entendus.
Il y a très exactement un an, le comité des États généraux de la justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, remettait au Président de la République son rapport intitulé Rendre justice aux citoyens.
Bien que seules deux de ses deux cent seize pages soient consacrées aux outre-mer, ce document rappelle quelques vérités fondamentales que nous connaissons bien. Ainsi, dans les outre-mer, « l’accès au droit est particulièrement précaire dans un contexte de pauvreté et de fracture numérique largement supérieures à ce qui est observé sur le territoire européen de la France ».
En effet, en raison de l’état des infrastructures de réseau et d’un taux d’illectronisme plus élevé, comme l’a souligné Victoire Jasmin, les Ultramarins n’ont pas accès aux services numériques dans les mêmes conditions que dans l’Hexagone. Nos collègues de la délégation aux outre-mer Stéphane Artano, Viviane Artigalas et Nassimah Dindar en faisaient déjà le constat dans un rapport d’information déposé le 9 juillet 2020, qui a montré les effets dévastateurs de la fracture numérique en période de confinement dans certaines parties, exclues et isolées, des territoires ultramarins.
Or, lors de sa présentation du plan d’action pour la justice le 5 janvier 2023, le garde des sceaux a fixé « un horizon clair pour 2027 : un ministère de la justice entièrement numérisé », avec un « objectif zéro papier ». Ce but optimiste contraste radicalement avec les réalités ultramarines.
Ma question est donc la suivante : est-il prévu que le recours au papier reste de mise en outre-mer, dans certains endroits privés d’internet et de réseau téléphonique ? En effet, permettez-moi de vous le dire, le problème ne sera pas résolu en 2027 ! Sinon, quels moyens l’État entend-il mettre en œuvre pour offrir aux citoyens de ces territoires un accès numérique effectif à la justice et au droit ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Carenco, ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, M. le garde des sceaux et moi-même ne serons vraisemblablement plus en poste en 2027, lorsqu’il faudra appuyer sur le bouton. Mais ce qui est clair, c’est qu’il est hors de question de le faire avant cette date.
J’ose espérer que nos successeurs auront la bonne idée de s’assurer que le dispositif fonctionne avant de trancher. En tout cas, nous nous préparons. Le tout-numérique fonctionne dans l’éducation nationale. Espérons qu’il en aille de même dans l’accès au droit et à la justice.
Le rapport que vous avez évoqué ayant été réalisé par M. Sauvé, que l’on ne me fasse pas le reproche qu’il ne s’intéresse pas aux outre-mer – je le dis pour les intervenants qui vous ont précédée, madame la sénatrice.
En ce qui concerne la transformation numérique, nous essayons d’avancer vers 2027. Ainsi, nous recrutons un technicien informatique de proximité par juridiction – je précise que les juridictions doivent être suffisamment petites pour que le technicien puisse couvrir le territoire. En outre-mer, ces techniciens s’ajouteront au secrétariat général du ministère qui y a déjà été déployé : 14 agents ont été recrutés depuis 2020 pour s’occuper du réseau et du matériel.
Par ailleurs, plusieurs avancées sont prévues pour répondre aux spécificités ultramarines. Pour tenir compte des différents faisceaux horaires, les services de la hotline interne seront désormais joignables seize heures par jour en semaine et vingt-quatre heures sur vingt-quatre les week-ends et les jours fériés.
De plus, nous avons identifié l’effet délétère des arrêts d’applicatifs liés à des mises à jour durant la nuit hexagonale. Aussi travaillons-nous à réduire la durée de ces mises à jour, et des investigations techniques sont en cours pour limiter, voire éliminer ces arrêts d’applicatifs.
En d’autres termes, nous travaillons pour que tout fonctionne en 2027. Si tel n’est pas le cas, je suis convaincu que le garde des sceaux, quel qu’il soit, n’appuiera pas sur le bouton.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour la réplique.
Mme Jocelyne Guidez. J’ai bien entendu vos arguments, monsieur le ministre, mais sachez que nous n’avons toujours pas résolu le problème des zones blanches, ne serait-ce que pour la téléphonie… Permettez-moi donc de rester quelque peu sceptique.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. La réduction des zones blanches en outre-mer, notamment en Guyane, fait l’admiration de nombreux citoyens de l’Hexagone.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le ministre, la Haute Assemblée a conduit en 2021 une mission parlementaire sur le sujet de l’insécurité à Mayotte.
À l’issue de nos travaux, j’avais formulé, avec le président de la commission des lois et mes collègues Alain Marc et Thani Mohamed Soilihi, seize recommandations, dont le renforcement des moyens humains du tribunal judiciaire, la création d’une véritable cour d’appel et la construction de locaux adéquats.
Le garde des sceaux s’est rendu à Mayotte en mars 2022 pour y faire une série d’annonces qui vont en partie dans le sens du rapport sénatorial. Mais, alors qu’un jeune greffier mahorais, l’année dernière, a dénoncé ses conditions de travail dans une lettre avant de tenter de mettre fin à ses jours, les recrutements d’agents qui ont été annoncés pour répondre aux besoins sont certes louables, mais insuffisants.
Il faut augmenter, d’une part, les moyens du parquet, d’autre part, les moyens d’instruction des juridictions mahoraises. Plus encore, quid de la création d’une véritable cour d’appel en lieu et place d’une simple chambre détachée ? Si l’on nous oppose régulièrement le fait que l’organisation actuelle semble satisfaisante au regard du faible volume des affaires traitées, c’est là faire fi de la réalité mahoraise.
Le procureur de la République comme le président du tribunal judiciaire ont souligné, au cours des auditions que nous avons menées, qu’une grande partie des affaires judiciaires échappe aux juridictions. Cela s’expliquerait parce que les Mahorais n’ont pas une culture judiciaire très développée et préfèrent régler les conflits par eux-mêmes (M. Thani Mohamed Soilihi fait un signe de dénégation.), ce qui peut revêtir plusieurs formes allant du dédommagement à la violence.
Les acteurs de terrain demandent, de longue date, la création d’une cour d’appel de plein exercice, qui contribuerait à renforcer l’autorité juridictionnelle et le respect de l’institution, donc in fine le recours à celle-ci.
Cela mettrait fin aux difficultés logistiques et organisationnelles, qui se traduisent par des déplacements coûteux et fastidieux entre La Réunion et Mayotte. Enfin, cela constituerait un symbole fort, comme le fut la création d’une agence régionale de santé (ARS) et d’un rectorat propres à Mayotte.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, nous avons évoqué tout à l’heure la sécurité et vous abordez, pour votre part, le fonctionnement de la juridiction mahoraise. Je tiens à réaffirmer que Mayotte ne se réduit pas à ses problèmes de sécurité, d’immigration et de justice.
Le travail que nous menons avec l’ensemble des élus de l’archipel est considérable, notamment dans l’éducation. Par ailleurs, le problème prioritaire à Mayotte est l’accès à l’eau, et les décisions que nous prenons doivent y répondre.
Pour ce qui est de la sécurité, nous avons installé des forces de police et de gendarmerie pérennes, notamment une unité du Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion).
Toutefois, il faut aussi traiter les problèmes de fonctionnement de la justice. Faut-il ou non une cour d’appel spécifique à Mayotte ? J’ai envie de vous dire que, quand nous en serons là, nous aurons résolu de nombreux problèmes. En effet, si vous me donnez des moyens financiers pour Mayotte, ce n’est pas à cela que je les consacrerai d’abord.
La chambre d’appel de Mamoudzou est compétente pour statuer en appel sur l’ensemble des décisions de justice, à la seule exception de celles qui relèvent de la chambre de l’instruction. Nous avons donc une structure qui fonctionne.
M. Thani Mohamed Soilihi. Non, elle ne fonctionne pas correctement !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Cela, c’est un autre sujet, monsieur le sénateur, et je ne commenterai pas ce que font les magistrats. Quoi qu’il en soit, il existe une structure compétente.
À mon sens, le vrai problème de la justice à Mayotte, dont on parle peu, ce sont les jeunes qui sont incarcérés à La Réunion et dont on ne fait pas grand-chose à leur sortie de prison. Voilà ce qui relève de mes compétences en matière de justice. Le reste, je le laisse volontiers au garde des sceaux, qui dispose de moyens budgétaires supérieurs aux miens.
Compte tenu des propos du sénateur de Mayotte, je demanderai que l’on se penche sur le fonctionnement de la chambre d’appel. Néanmoins, l’urgence absolue n’est pas de créer ex nihilo une nouvelle chambre, avec des magistrats supplémentaires.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cela existait avant la départementalisation !
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le ministre, depuis mars 2022, le président du conseil de prud’hommes de Basse-Terre et les associations syndicales représentant les entreprises de la Guadeloupe n’ont eu de cesse d’alerter les services compétents sur les difficultés que rencontrent les conseillers prud’homaux dans l’exercice de leurs missions.
En effet, les conseillers prud’homaux de Saint-Barthélemy et des Saintes – des îles du nord et de celles du sud, en quelque sorte – sont touchés par une double insularité, qui est particulièrement dure à vivre. En effet, ils ne sont pas toujours défrayés des déplacements et de l’hébergement nécessaires pour participer aux audiences.
Or le décret n° 2015-1761 relatif à l’indemnisation des conseillers prud’homaux résidant à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy et siégeant au conseil de prud’hommes de Basse-Terre ne prévoit pas d’indemnisation du temps de trajet desdits conseillers, comme c’était le cas antérieurement.
De même, les frais de repas et d’hébergement, voire de location de voiture, ne sont pas entièrement indemnisés. Les retards accumulés dans les remboursements et défraiements d’audience sont particulièrement pénalisants : ils atteignent souvent trois à six mois après la tenue de l’audience.
Face aux nombreux problèmes liés au caractère archipélagique de la Guadeloupe, des mesures spécifiques doivent être envisagées par le Gouvernement pour revoir et adapter les modalités d’indemnisation des frais inhérents à l’exercice des fonctions des conseillers prud’homaux de notre archipel.
Le rapport de la Défenseure des droits de mars 2023 et l’audition toute récente de la présidente du Conseil national des barreaux convergent vers la nécessité absolue de mettre en œuvre tous les moyens pour lever les obstacles à l’égalité réelle dans nos territoires ultramarins et pour rendre l’accès aux droits effectif et équitable pour l’ensemble des Français.
Monsieur le ministre, les difficultés structurelles ne doivent pas entraver l’accès à la justice et au respect des droits des citoyens. Quelles dispositions comptez-vous mettre en œuvre pour garantir ces droits, en particulier aux conseillers prud’homaux ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. La justice prud’homale, comme la justice familiale, pose un véritable problème, car c’est par elle que nos concitoyens ont le plus souvent affaire à l’institution judiciaire. Il faut donc qu’elle fonctionne.
Le problème est double. Il concerne tout d’abord le paiement effectif des sommes dues – avant de considérer une éventuelle augmentation des tarifs. À cet égard, les chefs de la cour d’appel de Basse-Terre ont informé la Chancellerie – je demanderai d’ailleurs au garde des sceaux, madame la sénatrice, de vous fournir une réponse écrite – que, désormais, un suivi mensuel précis des remboursements serait tenu, ceux-ci ayant pris conscience des retards de paiement. Ils en ont pris l’engagement auprès du garde des sceaux.
En ce qui concerne l’augmentation de la couverture de divers frais, je ne suis pas certain que le remboursement des repas et des nuitées soit une priorité absolue. En revanche, les frais de déplacement doivent être indemnisés. Aussi, les services sont saisis pour que soit pris en considération le temps de transport au sein du temps de service des conseillers prud’homaux. C’est d’autant plus nécessaire que les conditions de transport dans certains sites sont celles que nous connaissons.
Madame la sénatrice, je souhaite que le garde des sceaux réponde lui-même à votre question, sous mon couvert, car la justice familiale et la justice prud’homale sont l’un des aspects de la justice qui touche le plus de personnes. Et j’ai plus de respect pour ces dernières que pour d’autres, qui ont été condamnées.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja.
M. Gérard Poadja. Monsieur le ministre, à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, j’avais appelé l’attention du Gouvernement sur le fait que nous étions le seul territoire de la République à ne pas disposer sur notre sol d’un centre d’accès au droit.
La loi du 22 décembre 2021 a réparé cette injustice en prévoyant la création d’un centre d’accès au droit en Nouvelle-Calédonie à destination des personnes les plus éloignées. Pouvez-vous me dire, dix-huit mois après l’adoption de ce texte, comment cet engagement se traduit dans les faits ?
Par ailleurs je souhaiterais obtenir des précisions sur deux sujets de très grande importance relatifs à nos centres pénitentiaires.
Tout d’abord, je m’inquiète de l’état d’insalubrité et de surpopulation du Camp Est, surnommé « la prison de la honte ». Où en est le dossier de la nouvelle prison ? Il faut absolument avancer sur ce sujet, car la situation est très dégradée. Les autorités judiciaires, les forces de l’ordre et les gardiens du Camp Est attendent avec impatience cette nouvelle prison.
Ensuite, je salue l’ouverture du centre de détention de Koné, dans la province du Nord, sur lequel je me suis particulièrement investi avec mon collègue député Philippe Gomès. Pouvez-vous nous préciser les perspectives de cet établissement ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je ne comprends pas bien votre question sur le centre de Koné. À ma connaissance, il a ouvert en février dernier.
Pour ce qui est de Nouméa, l’état de la prison est en effet indigne, comme l’a souligné Jean-Pierre Sueur et comme j’ai pu le constater plusieurs fois lors de mes déplacements, avec parfois quatre détenus par cellule… La décision est prise de le rénover et de l’étendre. Commençons par la rénovation, car la situation est indigne, puis nous nous occuperons de l’extension.
En ce qui concerne l’accès au droit en outre-mer, le conseil d’accès au droit de la Polynésie française et celui de Saint-Pierre-et-Miquelon ont été créés en 2022.
Au sujet de la Nouvelle-Calédonie, comme vous le savez, la répartition des compétences en la matière entre la Nouvelle-Calédonie et l’État avait suscité un débat juridique nourri, qui a été tranché, puisque la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire de décembre 2021 a acté la création du conseil d’accès au droit.
Rappelons que, en attendant sa mise en place effective, le ministère de la justice finance, chaque année, certaines actions au titre de l’accès au droit, afin de ne pas laisser les Calédoniens sans aide.
Pour répondre à votre question, le chemin de cette création étant parsemé d’embûches juridiques, la Chancellerie avance très méthodiquement, afin d’éviter toute erreur qui obligerait à un retour en arrière. Les problèmes juridiques entre la Nouvelle-Calédonie et l’Hexagone sont bien connus.
Le projet de texte, rédigé par le ministère de la justice, a été soumis à la consultation du Conseil national de l’aide juridique, qui a récemment émis un avis favorable sur cette disposition, attendue par tous.
Il est vrai que cela demande beaucoup de patience, et je vous en remercie, mais je suis en mesure de vous annoncer que le Conseil d’État sera très prochainement saisi du projet de décret.
En dépit de ce long chemin, la naissance de ce conseil est plus proche que jamais.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Frogier.
M. Pierre Frogier. Ma question, comme celle de mon collègue Gérard Poadja il y a quelques instants, a trait au taux de surpopulation carcérale chronique du Camp Est, qui est le centre pénitentiaire de Nouméa.
Vous le savez, ce centre a été implanté sur les vestiges de l’ancien bagne, qui date du Second Empire. Il compte actuellement quelque 600 détenus (M. le ministre délégué acquiesce.), alors qu’il ne peut en accueillir que 400. Cette suroccupation atteint même le taux de 300 % dans le quartier de la maison d’arrêt des hommes.
Certes, des aménagements successifs ont été effectués au cours des dix dernières années ; en cela, mes propos sont proches de ceux qui ont été tenus précédemment par Jean-Pierre Sueur, notamment au sujet de l’installation de conteneurs maritimes. Néanmoins, l’état du bâti demeure très vétuste et sous-dimensionné.
Monsieur le ministre, ce constat pose évidemment la question du respect de la dignité des détenus, quand ceux-ci sont entassés, parfois à cinq ou six, dans une cellule de douze mètres carrés. À ce jour, l’État a été condamné par la justice administrative à verser plus de 700 000 euros d’indemnités.
Par ailleurs, à la suite des rapports de Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, les magistrats de l’ordre judiciaire ont prononcé des remises en liberté au motif que ces conditions de détention constituaient un traitement dégradant au sens de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le personnel pénitentiaire, pour sa part, rencontre des difficultés croissantes pour faire respecter l’ordre au sein de cette prison : 44 agressions ont ainsi été recensées en 2021 et en 2022, et 23 agressions depuis le début de cette année.
Monsieur le ministre, comptez-vous enfin annoncer la construction d’un nouveau centre pénitentiaire, en joignant à cette annonce un calendrier précis ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Je partage votre analyse, monsieur le sénateur – vous savez que je connais la situation –, tant sur les conditions indignes de détention que sur les violences carcérales à Nouméa.
À propos des violences carcérales, les formations porteront doucement leurs fruits et permettront peut-être de contenir cette situation. Néanmoins, l’unique solution consiste en la rénovation et en l’extension du Camp Est. En effet, les mesures qui seront prises en matière de lutte contre les violences ne suffiront pas à les réduire.
Toutefois, je voudrais insister sur la création de la prison de Koné par le Gouvernement. Il est vrai que celle-ci ne compte que 120 places, ce qui ne répond pas, malheureusement, à la hausse du nombre des incarcérations.
Au sujet des dates précises de début des travaux de réhabilitation et d’extension, comme je l’ai indiqué plus tôt, vous recevrez une réponse écrite. Je m’y engage, et nos rencontres fréquentes garantissent que cette promesse sera tenue.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier. (M. Patrick Kanner applaudit.)
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France a été condamnée à de multiples reprises ces dernières années, aussi bien par sa propre justice que par la CEDH, pour les conditions indignes de détention qu’elle impose dans ses prisons, y compris en outre-mer. Mes collègues Jean-Pierre Sueur et Pierre Frogier l’ont souligné.
L’état de ces prisons n’est que l’un des symptômes du mal qui frappe la justice dans son ensemble dans les outre-mer.
Une enquête, réalisée en 2021 pour le Conseil national des barreaux, révélait que 58 % des Ultramarins – jusqu’à 70 % en Guyane – considèrent qu’il leur est difficile de faire valoir leurs droits, ce qui constitue une proportion deux fois plus élevée qu’en métropole.
Cette injustice résulte d’une multitude d’inégalités. Comment ne pas s’alarmer, par exemple, de l’absence pure et simple d’avocats dans certaines situations, en raison d’un manque d’accompagnement de l’État pour les aider dans leurs déplacements ? À Wallis-et-Futuna, des accusés peuvent être défendus par des « citoyens défenseurs », c’est-à-dire qu’ils peuvent concrètement être privés d’avocat.
En réalité, la défaillance de la justice outre-mer catalyse les maux que connaissent nos services publics.
Ces maux se résument, monsieur le ministre, à un chiffre : la part du financement des services publics dans notre pays représentait 18,1 % du PIB en 1980, contre 18 % aujourd’hui, alors que la population a très nettement augmenté. L’intégralité de la hausse de la dépense publique a profité aux transferts vers les entreprises.
Dans le même temps, la population des outre-mer est passée de 1,4 million à 2,7 millions d’habitants.
Le gouvernement auquel vous appartenez refuse de revenir sur la moindre des nombreuses exonérations fiscales et sociales consenties aux entreprises. Pourtant, le problème des moyens existe bel et bien.
Ma question est simple, monsieur le ministre : votre gouvernement a-t-il l’intention de financer à la hauteur des besoins le service public de la justice dans les outre-mer ? (Mme Victoire Jasmin et M. Patrick Kanner applaudissent.)