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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, exprimant la gratitude et la reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l'ordre déployées sur tout le territoire national
Discussion générale (suite)

Gratitude et reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l’ordre

Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, exprimant la gratitude et la reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l'ordre déployées sur tout le territoire national
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande des groupes Les Républicains et Union Centriste, l’examen de la proposition de résolution exprimant la gratitude et la reconnaissance du Sénat aux membres des forces de l’ordre déployées sur tout le territoire national, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, M. Hervé Marseille et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 479).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le dépôt de cette proposition de résolution, par mon collègue du groupe Union Centriste Hervé Marseille et moi-même, n’est pas uniquement un acte symbolique : c’est également un acte politique.

Face au déchaînement de violence et de haine dont sont victimes nos forces de l’ordre – en un peu plus d’un mois, quelque 1 000 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers ont ainsi été blessés, parfois grièvement –, nous avons le devoir, en tant qu’élus, non pas de nous taire, mais de nommer les choses, de prendre parti et, finalement, de choisir notre camp, celui de l’ordre républicain ou celui d’une certaine forme d’ambiguïté, voire de complicité. (Murmures sur les travées du groupe SER.)

La présence d’élus – aussi bien maires que parlementaires – ceints de leur écharpe tricolore, à Sainte-Soline, une manifestation interdite dont tout le monde savait qu’elle allait mal se terminer, ne peut en effet être perçue autrement que comme un signe de complicité qui n’est pas admissible. En tant qu’élu de la République, notre écharpe tricolore ne peut servir à couvrir les exactions des cagoules noires. Ce n’est pas possible !

De même, tout fonctionnaire, qui plus est quand il est magistrat, doit s’en tenir à l’obligation de réserve qui lui incombe. J’ai été stupéfait du communiqué de presse du Syndicat de la magistrature évoquant une répression sociale et un état de violence. Il s’agit d’un débordement qui n’est pas justifiable et qui alimente la défiance des Français envers la justice.

À un moment donné, il est donc nécessaire de réaffirmer calmement qu’il faut mettre un terme à un certain nombre de dérives et que cela suffit ! Cela vaut notamment pour cette culture de l’excuse, qui confine à une fascination pour le chaos, le désordre ou la violence. Ceux qui lancent des pierres cloutées sur les policiers, ceux qui brûlent les voitures de la gendarmerie, ceux qui attaquent des sapeurs-pompiers ne sont pas les nouveaux damnés de la terre ; au contraire, ce sont de nouveaux incendiaires et des adversaires de la République.

N’ayez pas la naïveté de croire, ne serait-ce qu’un seul instant, que la question des retraites ou celle des réserves de substitution les concernent. Ils s’en fichent ! Ils ne veulent pas mettre « l’économie française à l’arrêt », ils veulent mettre à bas l’État et la démocratie. Il faut réagir !

De la même façon, cette fausse équivalence établie entre l’usage légitime de la force – si des dérives ont lieu, elles doivent être sanctionnées et elles le sont toujours – et un usage illégitime, illégal de la violence devient insupportable.

Il ne saurait exister, mes chers collègues, d’équivalence entre ce qui est illégitime et ce qui est illégal. Il ne saurait exister d’équivalence entre ce qui vise à protéger les citoyens, les biens ou les personnes et ce qui relève de l’illégalité. Il n’existe aucune équivalence entre ce qui vise à blesser, parfois à tuer ou à « casser du flic », et ce qui vise, au contraire, à protéger.

Nous avons pour notre part choisi notre camp. Ce ne sera jamais celui du nihilisme, dans lequel une certaine ultragauche, voire une extrême gauche, se complaît, chevauchant ainsi les passions les plus autodestructrices. Ceux qui en font partie sont en réalité les mêmes – et je remercie ceux qui sont à gauche de cet hémicycle de ne pas y avoir participé à l’époque – qui ont battu le pavé parisien au mois de novembre 2019 aux côtés des islamistes.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. C’est bien de le dire !

M. Bruno Retailleau. Ce sont les mêmes qui aujourd’hui battent la campagne melloise des Deux-Sèvres, aux côtés des anarchistes et des cagoules noires.

Mes chers collègues, nous devons prendre parti. Nous avons choisi notre camp, celui de l’ordre républicain et d’un ordre juste, calme, mais néanmoins déterminé.

« L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude. » Vous connaissez sans doute cette jolie formule de Charles Péguy.

Nous ne devons pas céder à cette forme de dérive ou de terrorisme intellectuel qui inciterait à aller dans le sens des radicalités et de ceux qui veulent enchaîner, asservir la République et l’entraîner vers la chienlit.

Nous sommes dans le camp de l’ordre républicain, celui des forces de l’ordre. Soyons aux côtés de celles et de ceux qui servent, parfois au péril de leur vie, la République et notre démocratie française.

Leur uniforme, que certains exècrent ou veulent salir, est le même que celui que portait Arnaud Beltrame.

M. Bruno Retailleau. Ils ont prêté serment de servir et de défendre la loi – cette loi que nous votons au Sénat – revêtus de cet uniforme. Nombre d’entre eux le portent au quotidien.

Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, nous avons une dette envers eux lorsqu’ils sont agressés, une dette d’honneur aussi lorsque leur honneur est injustement attaqué.

Défendons-les !

Défendons-les avec des mots, en ne cédant rien aux discours pleins d’ambiguïtés.

Défendons-les avec des actes, en leur donnant les moyens d’exercer leur mission.

Défendons-les aussi, madame la secrétaire d’État, en faisant preuve de constance et de cohérence.

On ne peut pas donner raison aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, pour, le surlendemain, combattre ceux de Sainte-Soline. Tout se tient ou rien ne tient.

Mes chers collègues, défendons nos forces de l’ordre. Exprimons-leur notre gratitude, quelles que soient nos travées. Ce qu’ils représentent transcende tous nos clivages et l’ordre n’appartient à aucun parti, si ce n’est celui de la République.

Nous devons être à leurs côtés et leur exprimer la gratitude, la reconnaissance de la République, celle de la nation que nous servons et qu’ils servent quotidiennement, bien souvent et de plus en plus fréquemment, au péril de leur vie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – MM. Franck Menonville et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, mes chers collègues, M. Retailleau a décidé de nous réunir cet après-midi pour examiner une proposition de résolution politique.

M. Jérôme Bascher. Très bonne idée !

M. Jérôme Durain. Il y est question de gratitude et de reconnaissance aux membres des forces de l’ordre. J’ignore si ce texte sera accueilli avec la même gratitude et la même reconnaissance par ces mêmes forces de l’ordre, qui n’ont pas oublié la suppression de 13 000 postes de policiers et de gendarmes au cours du dernier quinquennat pendant lequel Les Républicains étaient au pouvoir – une saignée des années Sarkozy (M. François Bonhomme rit.), dont nous sortons à peine.

La gratitude semblerait aujourd’hui plus convaincante, sincère et cohérente, si l’ingratitude d’alors n’avait existé.

Il est vrai que vous ne prenez pas de risques importants avec cette proposition de résolution opportuniste. Vous indiquerez peut-être que c’était le but recherché. En effet, pour une précédente proposition de loi présentée par M. Retailleau, visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, qui avait trait aux casseurs, l’histoire s’est mal terminée devant le Conseil constitutionnel.

M. Bruno Retailleau. L’article 3 était un ajout de M. Castaner !

M. Jérôme Durain. Au moins, pour ce texte, ce ne sera clairement pas le cas. Quand bien même le Conseil constitutionnel s’intéresserait-il à cette proposition de résolution, je ne vois pas bien ce qu’il pourrait en dire.

En effet, cette proposition de résolution « invite le Gouvernement à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour […] ramener l’ordre dans notre pays », alors que « la période récente a vu s’établir une corrélation entre la violence politique et la violence physique ». Monsieur Retailleau, avez-vous aussi envisagé d’inviter le Gouvernement à gouverner, voire de lui rappeler les vertus du dialogue ?

Jeudi après-midi, j’ai passé quatre heures avec des policiers.

M. Roger Karoutchi. C’est bien !

M. Jérôme Durain. Aucun ne m’a demandé quel serait mon vote sur ce texte. En revanche, ils étaient heureux de me transmettre leurs doléances précises, satisfaits que les sénateurs socialistes aient voté la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), curieux d’entendre les critiques sur certains points de doctrine.

Il ne leur serait pas venu à l’idée de me demander si je soutenais les forces de l’ordre, alors qu’ils savaient tous que j’étais de gauche. En outre, je vous rassure, ils ne m’ont même pas confondu avec un sympathisant de l’ultragauche ! (Exclamations ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Vous en êtes sûr ?

M. Jérôme Durain. Ils ne m’ont pas non plus demandé si je dénonçais les casseurs et, à aucun moment, je n’ai été accusé de terrorisme intellectuel.

Notre assemblée a su montrer qu’elle savait voter des initiatives pour le bien commun, mais cette proposition de résolution n’apporte rien au débat.

Oui, la majorité des policiers et des gendarmes est exemplaire. Oui, le maintien de l’ordre est une matière difficile. Mais non, votre proposition de résolution ne prend pas en compte la réalité complexe des dernières semaines.

Vous tentez de réduire la situation à un état de guerre de tous contre tous, bien manichéen.

Le Gouvernement doit bien sûr maintenir l’ordre. Là où nous percevons avant tout une immense colère sociale et une profonde inquiétude écologique relayées, pour l’essentiel, par des millions de manifestants pacifistes, vous ne retenez que les débordements, que nous condamnons également, de quelques dizaines d’abrutis dangereux armés de mauvaises intentions.

En réalité, ce n’est pas la faute des manifestants si la pression ne redescend pas. Ce n’est pas la faute des manifestants si des journalistes se font parfois agresser par les forces de l’ordre. Ce n’est pas la faute des manifestants si l’on n’ose plus manifester en famille.

Les responsabilités sont d’abord à chercher du côté du Gouvernement. À force de mépriser les corps intermédiaires, de nier l’utilité des syndicats ou de vouloir caricaturer les oppositions, l’exécutif a participé à la montée de la température sociale.

Ce réchauffement politique, comme le réchauffement climatique, n’est pas inéluctable. Pour calmer les esprits, il faut entendre les avis contraires, prendre en considération les manifestants quand ils sont nombreux, éviter d’accroître la colère lors de passages au journal télévisé.

Crier que tout le monde adore la police pendant cette période est aussi stupide que de déclarer que la police tue. La majorité de nos concitoyennes et nos concitoyens soutiennent les forces de l’ordre.

Toutefois, vous avez oublié le contexte. Si cette proposition de résolution politique avait été soumise à nos suffrages après Magnanville ou l’attentat de Charlie Hebdo, celle-ci n’aurait pas eu la même portée. Déposer ce texte alors que le travail des forces de l’ordre est questionné revient à déclarer à ceux qui le critiquent : « Circulez, il n’y a rien à voir ».

Or la critique de la police est légitime et souhaitable. C’est même l’honneur d’une démocratie que d’interroger l’ensemble de ses institutions. On peut évidemment dénoncer les affirmations de ceux pour qui le maintien de l’ordre en France évoque celui qui a cours au Venezuela, où une vague de manifestations a causé 115 morts, mais il est impossible de balayer les interrogations de nos voisins européens sur notre police, autrefois un modèle et qui devient actuellement un objet de polémiques (M. Roger Karoutchi sexclame), venant de toutes parts.

Je ne suis cependant en rien opposé à la tenue de ce débat, que je ne crains aucunement.

M. Jérôme Durain. En ce sens, ma position diverge de celle qu’a exprimée, la semaine dernière, la majorité composée de la droite et du centre à l’Assemblée nationale, qui a souhaité classer la pétition demandant la dissolution de la Brav-M. Je ne suis pas certain de partager les termes de cette pétition, éminemment politique, mais je n’aurais jamais jeté ainsi au rebut plusieurs centaines de milliers de signatures de citoyens, qui s’inquiètent de la manière dont le maintien de l’ordre est assuré en France. On n’est jamais gagnant quand on refuse le débat.

Avant la journée du 6 avril dernier, selon un sondage YouGov, 51 % des Français interrogés déclaraient avoir une bonne opinion des gardiens de la paix, quand ils étaient 61 % à l’affirmer au mois de novembre 2020, selon un autre sondage pourtant réalisé immédiatement après l’affaire dite Michel Zecler, du nom de ce producteur violenté par des policiers dans son studio de musique.

Selon un sondage Elabe du 29 mars dernier, 62 % des Français estiment que les violences policières sont marginales et que les dérapages sont le fait d’une minorité de policiers. À l’inverse, 37 % d’entre eux considèrent que ces violences ne sont pas marginales et sont représentatives d’un phénomène plus général au sein de la police. Je vous laisse disserter sur le verre à moitié plein ou à moitié vide. Pour ma part, je crois que le verre est à deux doigts de tomber par terre.

J’évoquais, un peu plus tôt, le regard de nos partenaires internationaux. Alors que les jeux Olympiques (JO) approchent, cela devrait tous nous inquiéter. Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, n’a pas le profil d’un casseur. Fort de sa connaissance de la façon dont le maintien de l’ordre peut être quotidiennement assuré par la police en Seine-Saint-Denis, comme à l’occasion des événements du Stade de France, il s’inquiète pour les JO et demande un débat apaisé.

Je ne suis pas convaincu que cette proposition de résolution participe de ce débat apaisé.

Pour autant, tout n’est pas à jeter dans votre texte.

Ainsi, vous évoquez « la montée de la violence en France, dans le discours politique et dans les manifestations ». « Cette violence a prospéré depuis plusieurs années, en raison à la fois de l’immobilisme, de la tolérance et parfois de la bienveillance de certains responsables politiques à l’égard de ses auteurs », soulignez-vous. La violence « est aujourd’hui légitimée et encouragée par des élus qui tiennent des discours ambivalents ». En outre, « la violence physique est désormais précédée jusque dans nos institutions d’une violence verbale qui tente de justifier des comportements aussi illégaux qu’inadmissibles ».

Sur l’ensemble de ces points, vous avez raison s’il s’agit bien de dénoncer l’ultradroite et pas uniquement l’ultragauche, s’il s’agit de dénoncer les manifestations racistes à Callac et pas seulement les manifestations écologiques à Sainte-Soline, s’il s’agit de dénoncer les remarques racistes du Rassemblement national (RN) au Palais-Bourbon et pas seulement les discours militants des Insoumis, s’il s’agit de dénoncer la résurrection du GUD (Groupe union défense) au travers de commandos qui se baptisent « Waffen-Assas » et pas seulement les étudiants bloqueurs, s’il s’agit de dénoncer la présence de policiers adjoints sur des boucles Telegram d’extrême droite qui menacent de commettre des attentats d’extrême droite et pas seulement de dénoncer la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Pour ces raisons, mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et moi-même avons déposé une proposition de résolution qui plagie votre texte,…

M. François Bonhomme. Ah, il y a des droits d’auteur ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Durain. … mais qui dénonce l’ultradroite…

M. Jérôme Durain. … plutôt que d’appeler à un bien peu coûteux soutien aux forces de l’ordre.

Ce texte a été signé par l’ensemble des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. J’ignore si nous l’inscrirons à l’ordre du jour de l’un des espaces réservés à notre groupe, mais l’actualité récente le justifierait peut-être.

Nous n’avons aucune difficulté à affirmer que nous soutenons la police. Puisque vous dénoncez les casseurs et autres menaces d’ultragauche, nous comptons sur vous pour dénoncer de la même façon l’ultradroite.

Mes chers collègues, nous ne prendrons pas part au vote sur ce texte. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous croyons en la police, parce que nous croyons en la République. L’article XII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen l’indique clairement : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »

Nous appartenons à une famille politique qui a donné à la République de grands ministres de l’intérieur, Pierre Joxe figurant en tête. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) Nous croyons en une police issue des citoyens et au cœur de la société. Nous croyons en la police du préfet Grimaud, celle qui participe à la concorde républicaine, et nous savons pouvoir compter sur elle.

Nous ne nous résignons pas à une police composée de fonctionnaires mal recrutés, insuffisamment formés et mal utilisés sur le terrain.

Par ce texte, vous avez choisi d’exprimer une gratitude inconditionnelle, souvent un peu pavlovienne, une gratitude d’ailleurs assez stérile (MM. Jérôme Bascher et Guillaume Chevrollier sexclament.) pour les forces de l’ordre elles-mêmes.

En tant que membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous préférons exprimer notre soutien de principe, parce que nous ne sommes pas contre la police, et notre exigence de principe, parce que nous avons une haute idée du rôle républicain des forces de l’ordre.

Cela nous permet d’exprimer notre inquiétude quand les circonstances l’exigent. C’est le cas en ce moment s’agissant du maintien de l’ordre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Pierre Sueur. Discours très clair et très républicain !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec un certain étonnement, qui s’est rapidement mué en affliction, que nous avons découvert l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour des travaux du Sénat.

Notre pays connaît une crise sociale et démocratique d’une ampleur rare. Cette crise, vous le savez, n’aurait pas eu lieu si un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale visant à reculer l’âge de départ à la retraite n’avait pas été présenté par le Gouvernement.

Sans concertation, contre l’avis unanime des syndicats, contre une large majorité – qui n’a jamais fléchi – de l’opinion publique, sans entendre les mobilisations considérables et pacifiques pendant de longues semaines, le Président de la République tente d’imposer par la contrainte institutionnelle ce texte qui, pour ceux qui en subiront les effets, représente une violence considérable. L’obstination du Président de la République et de son gouvernement a durci le débat et a fait monter les tensions.

Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, nous vous appelons au sérieux et au respect.

Nul à gauche de cet hémicycle ne souhaite la violence.

M. Jérôme Bascher. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Chacun connaît la difficulté du métier de policier, de ces policiers détenteurs de missions de service public, qui doivent faire face à des situations créées par des choix politiques, dont ils ne sont nullement responsables.

Vous le savez, c’est au soir du 49.3 que le climat a changé. La tension a atteint un sommet, la colère a explosé. C’est un fait, vous ne pouvez le nier.

Des feux ont été allumés, des projectiles lancés, des membres des forces de l’ordre blessés et nous le regrettons, bien entendu. Nous avons toujours condamné – je l’ai toujours fait – l’action des groupes violents qui caricaturent et pourrissent le mouvement social.

MM. Jérôme Bascher et François Bonhomme. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Comment pouvez-vous fermer les yeux face à l’arrestation massive de centaines de jeunes « nassés », gardés à vue, dans des conditions juridiques contestables et contestées ? Combien de manifestants ont été blessés, parfois gravement ?

Est-il décent de déposer un tel texte, alors que, dans un autre cadre, à Sainte-Soline, certains ont été gravement blessés et qu’un homme est toujours dans le coma ?

Alors que l’apaisement, le retour au dialogue, le retrait de ce projet de loi qui a provoqué le chaos, offrant à certains le terrain de leurs excès,…

M. François Bonhomme. Avec des barres de fer !

Mme Éliane Assassi. … devraient être des priorités absolues, vous adoptez, au travers de l’examen de cette proposition de résolution outrancière, une posture dangereuse pour notre démocratie, une posture d’amalgame, de menaces voilées, de mise en cause de vos adversaires politiques sur un terrain inquiétant, celui de l’affrontement.

Il n’existe pas de camps du bien et du mal, ni de l’ordre et du désordre. Vous ne représentez pas le camp du bien et de l’ordre, en ayant contribué largement à enfoncer notre pays dans la crise par votre vote sur ce projet de loi.

Votre proposition de résolution est un prétexte à une attaque grave contre les partis de la gauche…

M. Bruno Retailleau. De l’extrême gauche !

Mme Éliane Assassi. … qui soutiennent le mouvement social.

Monsieur Bruno Retailleau, qui visez-vous quand vous considérez, dans cette proposition de résolution, que la violence est « légitimée et encouragée par des élus qui tiennent des discours ambivalents » ou lorsque vous évoquez « la bienveillance de certains responsables politiques à l’égard de ses auteurs » ?

Nous-mêmes, sommes-nous une menace à l’ordre public (Non ! sur des travées du groupe Les Républicains.), quand nous alertons, aux côtés de nombreuses associations, dont la LDH (M. François Bonhomme sexclame.), aujourd’hui menacée par le ministre de l’intérieur, sur des violences policières évidentes, étayées, constatées en France comme à l’étranger ?

La République, mesdames, messieurs de la droite sénatoriale et de la majorité sénatoriale, ne se résume pas à l’ordre qui – c’est le moins que l’on puisse dire – n’a pas été son creuset.

La République, c’est la démocratie et la justice sociale.

Démocratie et justice sociale, c’est le projet que nous défendons aujourd’hui face à vous, que nous opposons à votre proposition de résolution profondément archaïque et réactionnaire (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…

M. François Bonhomme. Tout en nuance !

Mme Éliane Assassi. … raison pour laquelle nous ne prendrons pas part au vote. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Martin. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Martin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 1 143 : c’est le nombre de policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers blessés depuis le début des manifestations contre la réforme des retraites.

À ce chiffre alarmant, derrière lequel se cachent tant de réalités humaines, s’ajoutent les 47 gendarmes pris en charge par les secours lors du dramatique épisode de Sainte-Soline, le 25 mars dernier.

Depuis plusieurs années, les forces de sécurité de notre pays sont la cible d’un nombre inédit d’actes violents et brutaux. Dans le sillage des épisodes Notre-Dame-des-Landes et « gilets jaunes », ces agressions ont atteint un degré d’intensité rarement observé et particulièrement préoccupant.

Ces violences sont souvent le fait d’individus instrumentalisant dangereusement le droit de manifester pour s’attaquer aux symboles et aux institutions de la République, quand il ne s’agit pas tout simplement de « casser du flic ».

Par leurs actes, ces professionnels de l’affrontement violent nuisent à l’image de celles et ceux qui exercent très légitimement un droit fondamental de notre démocratie, celui de manifester. Pis, ils rendent impossible l’exercice serein de ce droit en s’attaquant volontairement à nos forces de l’ordre et aux services de secours.

Nous n’aurons de cesse de défendre les femmes et les hommes qui protègent nos institutions et nos concitoyens. À ce titre, je salue l’initiative conjointe des deux présidents des groupes de la majorité sénatoriale, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, permettant l’examen aujourd’hui de la présente proposition de résolution.

Celle-ci est un écho puissant à ce que de nombreux Français ressentent et constatent quotidiennement. En dépit de ce que veulent nous faire croire les professionnels de l’agitation et du désordre, les Français ne sont pas dupes. À l’occasion d’un récent sondage, 85 % des Français condamnaient les violences contre les forces de l’ordre.

Personne ne nous fera croire que nous vivons dans un État policier.

Personne ne nous fera croire non plus que nos forces de l’ordre sont des agents du chaos.

Personne ne nous fera croire que nos policiers doivent « aller se faire soigner », pour reprendre les mots révoltants de M. Mélenchon.

Mes chers collègues, il relève de notre responsabilité d’apporter un soutien clair et sans ambiguïté à ces femmes et ces hommes qui font la République au quotidien. Notre engagement à leurs côtés est total. Pour autant, il n’est pas aveugle.

Dans le monde où nous vivons, policiers et gendarmes sont particulièrement exposés et soumis à une pression constante. Face aux provocations, aux insultes, aux crachats ou aux coups, des dérapages ont pu avoir lieu, inutile de le nier.

Ces incidents doivent faire l’objet d’investigations et, le cas échéant, être sanctionnés. Ainsi, depuis les premières manifestations contre la réforme des retraites, trente-six enquêtes ont été ouvertes par l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et deux, par l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Je souhaite qu’elles permettent de faire toute la lumière sur des actes qui, bien que regrettables, n’en demeurent pas moins isolés.

De la même manière, il est normal que la justice ait été saisie après les affrontements de Sainte-Soline. Des personnes ont été blessées ; il est légitime qu’elles veuillent savoir comment on en est arrivé là.

Si des incidents existent, ils ne reflètent en rien l’exemplarité et le sang-froid dont font preuve l’écrasante majorité de nos forces de l’ordre, alors qu’elles ont été particulièrement sollicitées, parfois plusieurs jours d’affilée, au cours des derniers mois. Quelques agitateurs de premier ordre aimeraient nous faire croire que, dans toute cette histoire, les casseurs sont les victimes et les policiers, les bourreaux ; que, sans gendarmes, il n’y aurait pas eu de dégradations à Sainte-Soline ; que, sans policiers, il n’y aurait pas eu d’incendie à la brasserie La Rotonde.

Encore une fois, les Français ne sont pas dupes. Ils savent que le maintien de l’ordre est un exercice très compliqué, qui impose parfois l’emploi de la force publique. Les appels à la dispersion ne suffisent pas toujours face aux jets de pavés, aux mortiers d’artifice, aux lancers de cocktails Molotov et de boules de pétanque.

Bien sûr, l’utilisation des armes dont disposent les forces de l’ordre pour maintenir l’ordre doit être proportionnée et encadrée. Je pense notamment aux lanceurs de balles de défense (LBD) et aux grenades de désencerclement. Comme lors des manifestations des « gilets jaunes », nous avons vu resurgir des polémiques sur l’utilisation des LBD.

Nous considérons que le problème n’est pas le LBD en lui-même : c’est l’usage qui peut malheureusement en être fait par des agents insuffisamment formés à son maniement. Il serait irresponsable de priver compagnies républicaines de sécurité (CRS) et gendarmes mobiles de cette arme intermédiaire sans proposer aucune solution de remplacement. De tels outils doivent être confiés à des professionnels du maintien de l’ordre, capables de les employer avec précision dans des situations complexes d’affrontement.

Ces situations d’affrontement reflètent, dans tous les cas, l’échec d’un dialogue et l’achoppement d’une concertation. Pour autant, qui refuse le dialogue et la concertation dans notre pays ?

Prenons l’exemple de Sainte-Soline.

Tout se passe comme si les manifestants les plus radicaux incarnaient une forme de résistance à un pouvoir arbitraire, justifiant les violences dont ils se sont rendus coupables.

Tout se passe comme s’il n’y avait pas eu d’études d’impact sur les mégabassines concluant à leur utilité dans l’adaptation au changement climatique et pour la souveraineté alimentaire de la France.

Tout se passe comme si l’ensemble des parties intéressées n’avaient pas été entendues dans le cadre des comités de bassin et des commissions locales de l’eau, dont la représentativité n’est mise en doute par personne.

Tout se passe comme si, à tous les niveaux de la gestion de l’eau, les responsables élus n’avaient pas tranché en faveur de l’aménagement des bassines, conformément au mandat leur ayant été confié.

Tout se passe, enfin, comme si les convictions ou plutôt l’idéologie de certains devaient prévaloir, par la violence, sur des décisions de justice, sans que la police de la République puisse légitimement intervenir.

Mes chers collègues, oui, les affrontements de Sainte-Soline incarnent une forme de résistance à l’arbitraire, mais la résistance de décisions démocratiques, confirmées par la justice et défendues par nos forces de l’ordre, à l’arbitraire d’une mouvance extrêmement violente, persuadée qu’elle détient une légitimité venant d’on ne sait où et qu’elle voudrait imposer à tous, au nom d’un prétendu intérêt supérieur.

Mes chers collègues, 1 143 blessés, c’est le coût humain de cet aveuglement ; 1 143 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers blessés depuis un mois, c’est le triste bilan de cette rage, de cette haine contre l’État et ses représentants.

Ayant moi-même été sapeur-pompier professionnel dans une vie antérieure, je tiens également à adresser un hommage particulier à l’ensemble des agents qui participent aux secours et à la sécurité civile dans notre pays. Ils sont là pour protéger la vie de nos concitoyens : force est de constater que, pour cela, ils risquent chaque jour la leur.

Les casseurs professionnels que j’évoquais précédemment n’ont aucun scrupule : ils n’hésitent plus à s’en prendre à des sapeurs-pompiers tentant d’éteindre un incendie ou à des urgentistes soignant un manifestant blessé. Pourtant, sans ces sapeurs-pompiers et sans ces urgentistes, le bilan humain des manifestations serait autrement plus dramatique ! Par leur dévouement et leur sens du service, ils contribuent à apaiser la situation.

C’est pourquoi, en responsabilité, en tant que défenseurs de l’ordre républicain, mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même voterons en faveur de cette proposition de résolution, exprimant, par là même, notre profonde gratitude, notre reconnaissance et notre soutien aux policiers et gendarmes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre Louault et Franck Menonville applaudissent également.)