PRÉSIDENCE DE Mme Pascale Gruny
vice-président
Mme le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité.
Organisation des travaux
Mme le président. Mes chers collègues, 67 amendements sont à examiner sur ce texte.
Nous pourrions prolonger nos débats au-delà de minuit. Si nous ne les avions pas achevés à une heure trente cette nuit, nous pourrions, en accord avec le Gouvernement et la commission, fixer la suite de l’examen de ce texte à demain soir, mercredi 12 avril, à l’issue du débat sur la pollution lumineuse.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
Je vous rappelle que la discussion générale est close. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité
Avant l’article 1er
Mme le président. L’amendement n° 82 rectifié, présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, est complétée par les mots : « et à faire naître chez eux un esprit de coopération ».
La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Légiférer sur l’école nécessite avant toute chose de se poser la question de la société que l’on veut construire demain.
Pendant des décennies, l’école républicaine a été fondée sur un système méritocratique, destinée à développer davantage l’esprit de compétition que de coopération entre les élèves.
Les apprentissages et les exercices alternatifs défendant des valeurs plus coopératives ont toujours existé au sein de l’école républicaine, sur l’initiative des enseignants.
Nous proposons aujourd’hui d’en faire l’une des missions de l’éducation nationale face aux enjeux qui attendent les générations futures.
L’éducation nationale peut jouer un rôle important dans le développement de l’esprit de coopération des élèves. En effet, l’apprentissage de la coopération peut être intégré aux différentes matières et activités, en favorisant la collaboration, la communication, la solidarité et l’entraide. Les enseignants peuvent encourager les élèves à travailler en groupe, à résoudre les problèmes ensemble, à partager leurs connaissances et à se soutenir mutuellement.
Mme le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Je souscris à l’importance de développer la coopération entre les élèves.
On sait que les petits Français, collégiens ou lycéens, sont ceux qui coopèrent le moins au niveau de l’Union européenne.
Cependant, dans la mesure où l’article L. 111-1 du code de l’éducation précise que le service public de l’éducation « favorise la coopération entre les élèves », nous considérons que l’amendement est satisfait.
Par conséquent, nous sollicitons le retrait de l’amendement. À défaut, nous émettrons un avis défavorable.
Mme le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme le président. Madame de Marco, l’amendement n° 82 rectifié est-il maintenu ?
Mme Monique de Marco. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme le président. L’amendement n° 82 rectifié est retiré.
Article 1er
I. – À titre expérimental, pendant une durée de cinq ans à compter de la publication du décret mentionné au VI, les recteurs de région académique peuvent passer avec des écoles dotées de la personnalité morale, en application du IV, ou avec des établissements d’enseignement scolaire publics volontaires relevant du titre Ier ou du chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’éducation, ainsi qu’avec leur collectivité de rattachement lorsqu’elle souhaite y être partie, un contrat portant sur :
1° Le ressort de l’établissement ;
2° L’affectation des personnels, y compris enseignants ;
3° L’allocation et l’utilisation des moyens budgétaires ;
4° L’organisation pédagogique ;
5° Les dispositifs d’accompagnement des élèves.
Le contrat fixe notamment des objectifs pluriannuels en matière de réussite et de mixité scolaires. Chaque année, un dialogue de gestion entre les parties permet de vérifier l’atteinte des objectifs. Si nécessaire, les parties au contrat peuvent convenir d’avenants qui ne peuvent, sauf circonstances exceptionnelles dûment justifiées, remettre en cause l’équilibre général du contrat et, notamment, les objectifs pluriannuels en matière de réussite et de mixité scolaires.
Si les objectifs ne sont pas atteints durant deux années consécutives, le recteur peut, après avoir recueilli l’avis de l’établissement et, le cas échéant, de la collectivité, résilier le contrat.
Le fait qu’une école ou qu’un établissement soit partie à un contrat mentionné au présent I ne fait pas obstacle à la possibilité de conduire en son sein des expérimentations pédagogiques dans les conditions prévues à l’article L. 314-2 du code de l’éducation. Le cas échéant, les stipulations de ce contrat qui portent sur un objet donnant lieu à une expérimentation en application du même article L. 314-2 sont soumises à une concertation préalable avec les représentants de la communauté éducative et les équipes pédagogiques de l’école ou de l’établissement.
Le projet de contrat et, le cas échéant, tout projet d’avenant sont soumis à l’avis de l’équipe pédagogique de l’école ou du conseil pédagogique de l’établissement ainsi que des représentants de la communauté éducative, qui disposent de trente jours pour formuler des observations.
Le conseil d’administration de l’école dotée de la personnalité morale, en application du IV du présent article, ou de l’établissement d’enseignement scolaire public volontaire relevant du titre Ier ou du chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’éducation se prononce sur ce projet de contrat, ainsi que sur tout projet d’avenant, après présentation par le chef d’établissement.
II. – Les établissements parties à un contrat mentionné au I ne peuvent, dans une même région académique, ni excéder 10 % de l’ensemble des établissements ni rassembler plus de 20 % des élèves.
III. – Les contrats mentionnés au I peuvent, en tant que de besoin, déroger aux articles L. 421-3 à L. 421-5 et L. 421-11 à L. 421-16 du code de l’éducation.
Ils peuvent prévoir des modalités d’affectation des personnels dans les établissements parties qui dérogent aux lignes directrices de gestion fixées en application de l’article L. 413-3 du code général de la fonction publique.
IV. – Les écoles maternelles ou élémentaires participant à l’expérimentation doivent, préalablement à leur adhésion au contrat mentionné au I du présent article, obtenir le statut d’établissement public, après accord du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale, lorsque la compétence relative au fonctionnement de l’école a été confiée à un établissement public de coopération intercommunale. La demande tendant à obtenir ce statut est formulée par le conseil d’école. Cet établissement public est régi par les articles L. 421-1 à L. 421-4 et L. 421-10 à L. 421-19 du code de l’éducation. Pour l’application de l’article L. 421-2 du même code, selon l’importance de l’établissement, le conseil d’administration de l’école devenue établissement public est composé de douze, quinze, dix-huit, vingt-et-un, vingt-quatre ou trente membres. Le décret prévu au VI du présent article précise les conditions dans lesquelles est accordé ce statut ainsi que les conséquences qu’il emporte pour l’école, notamment sur ses droits, ses obligations et son organisation administrative, budgétaire et comptable.
V. – Au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un comité scientifique réalise l’évaluation de cette dernière afin de déterminer les conditions appropriées pour son éventuelle généralisation. Le rapport évalue notamment les effets de l’expérimentation sur la réussite des élèves et la mixité scolaire. Il est transmis au Parlement et au Gouvernement.
VI. – Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article, notamment les dispositions qui figurent obligatoirement dans le contrat et les documents supports du dialogue de gestion.
Mme le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, sur l’article.
Mme Sylvie Robert. Cet article consacre la logique de contractualisation, qui est en constante progression dans le domaine de la politique publique éducative, au risque, désormais, de morceler l’éducation nationale. Rappelons tout de même que l’objectif premier est de permettre la réussite de chaque élève, et non de quelques-uns.
Une autonomie favorisée des établissements garantirait-elle de meilleures conditions d’études pour les élèves et de meilleures conditions de travail pour le personnel éducatif ? Depuis la loi Fillon de 2005, nous disposons de quelque recul et de fragments de réponse : l’autonomisation des établissements n’est en rien un facteur de réussite des élèves – c’est empirique.
Les dernières études en matière éducative démontrent, globalement, que l’école française n’a jamais été aussi inégalitaire, qu’elle amplifie les inégalités scolaires et sociales et qu’elle n’assure plus autant aujourd’hui la mobilité sociale.
Or que prônez-vous, mes chers collègues, avec cet article ? Un modèle qui va renforcer les inégalités territoriales, qui va installer une concurrence féroce entre les établissements scolaires et qui ne se préoccupe nullement de mixité scolaire et sociale : en somme, un modèle qui va accentuer les carences et les failles de notre système scolaire, au nom d’une idéologie, de présupposés, et non d’une réalité tangible, concrète et étayée par des faits.
Cet article matérialise la fin de l’ambition républicaine sur l’ensemble du territoire pour tous les élèves. Au moment où l’école publique devrait être soutenue, parce qu’elle en a besoin, c’est une dérégulation et une libéralisation de l’école que vous proposez.
Avec cet article, vous risquez de l’ébranler encore plus et de détruire définitivement l’idéal qui la sous-tend. (M. Patrick Kanner applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Yan Chantrel, sur l’article.
M. Yan Chantrel. D’après l’exposé des motifs, les auteurs de la proposition de loi s’inspirent, dans cet article 1er, « de la réforme d’ampleur du système éducatif britannique engagée à partir de 2010, visant à favoriser l’autonomie des établissements ».
Cette réforme a généralisé la transformation de nos écoles publiques en académies. Je vais vous en parler, mes chers collègues…
Ces fameuses académies sont des établissements dirigés par des trusts, des fondations à but non lucratif inscrites au registre des entreprises et soumis au droit des sociétés.
Ces trusts, qui s’occupent généralement de plusieurs écoles à la fois, sont gérés par des sponsors, des entreprises, des organismes confessionnels ou des associations, qui investissent en capital et sont financés par le gouvernement, sur la base d’un contrat d’objectifs signé avec le ministère de l’éducation. Il faut tout de même savoir de quoi on parle quand on propose de s’inspirer de ce modèle !
Le contrat de financement type n’exige pas que les enseignants soient qualifiés ni que les académies soient contraintes de respecter les conditions salariales de la convention collective nationale des enseignants.
Les académies n’ont pas l’obligation de respecter le programme national ; elles doivent seulement offrir un programme large et équilibré. En outre, elles fixent leurs propres politiques d’admission des élèves.
Voilà où vous voulez emmener l’école publique au travers de cet article 1er, chers collègues : vers le tout-privé, soumis aux méthodes du New Public Management, loin des idéaux de l’école républicaine.
Au demeurant, cette académisation à marche forcée de l’école publique britannique n’est absolument pas un succès, puisque l’on observe des résultats très nuancés en matière de performances des élèves et une baisse de la mixité sociale à l’école.
Pis, non seulement l’académisation s’est révélée coûteuse pour les finances de l’État, mais elle a aussi soulevé des doutes sérieux sur l’utilisation des deniers publics faite par les trusts.
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.
M. Max Brisson. Je veux d’abord rassurer mes collègues : je ne suis pas le descendant de Margaret Thatcher !
M. Yan Chantrel. Ah !
M. Max Brisson. Je nourris quelque espoir d’être celui de Tony Blair, qui est largement à l’origine du décor que vous venez de décrire et qui fleurait bon l’apocalypse…
Monsieur Chantrel, un peu plus de sérieux dans nos échanges ne nuira pas à la qualité de nos débats !
M. Stéphane Piednoir. Cela va demander un effort…
M. Max Brisson. Nos collègues des travées de gauche de l’hémicycle vont nous dire, toute la soirée, que tout va bien. Circulez, il n’y a rien à voir…
M. Yan Chantrel. Pas du tout !
M. Max Brisson. Eh bien non ! Le système actuel est celui de la ségrégation et de l’inégalité. Notre système centralisé a produit et produit plus d’inégalités que ceux des pays européens voisins.
Avec toutes ses imperfections, que M. Bargeton s’est efforcé de recenser, ce texte essaie d’offrir une autre voie, pour 10 % d’établissements volontaires – quand vous avez dit que je voulais tout privatiser, tout brader.
Il essaie d’offrir, dans le cadre d’un contrat avec la collectivité territoriale et avec l’éducation nationale, un peu de liberté, un peu moins de circulaires, un peu moins d’injonctions, un peu moins de copié-collé, et davantage de confiance pour les profs.
Chers collègues de gauche, le système que vous défendez est, aujourd’hui, dans l’impasse. Il est en crise. Pour en avoir largement été les porteurs, vous êtes en grande partie responsables de la crise de notre école. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
Mme le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.
M. Stéphane Piednoir. Je vais reposer les questions que j’ai soulevées en commission la semaine dernière.
Considérons-nous tous ici que le système actuel est satisfaisant ? Considérons-nous que les résultats scolaires, que le niveau des élèves qui sortent de l’enseignement primaire sont à la hauteur de la pratique qui consiste, année après année, à déverser de l’argent public dans quelque chose qui ressemble à un puits sans fond et qui ne fonctionne pas ? Il faut oser se l’avouer ! Et c’est un enseignant qui a fait toute sa carrière dans l’enseignement public qui vous le dit.
J’entends M. Chantrel parler de libéralisation, de privatisation… Je ne vois pas ce qui, dans l’article 1er, lui fait penser cela ! Mais peut-être veut-il simplement polémiquer pour polémiquer…
Pour ma part, je vois, dans cet article, le contraire de la centralisation évoquée par Max Brisson. J’y vois un peu de souplesse, j’y vois un peu d’autonomie donnée aux chefs d’établissement, aux responsables d’établissement, qui connaissent les réalités locales et qui, loin de nier la mixité sociale ou de l’accentuer, sont capables de faire avec – parfois, les solutions envisagées dans un quartier ne seront pas les mêmes que dans le quartier voisin.
En gros, ce que nous vous proposons, à travers cette proposition de loi, que les membres de notre groupe ont largement cosignée, c’est du sur-mesure, en faisant confiance aux chefs d’établissement et aux enseignants, qui sont à même de mieux utiliser l’argent public. Nous n’avons aucune arrière-pensée !
Mme le président. La parole est à M. Cédric Vial, sur l’article.
M. Cédric Vial. Je veux exprimer une position personnelle, puisque, une fois n’est pas coutume, je ne partage pas complètement l’avis de l’auteur de la proposition de loi sur l’autonomie des établissements, notamment dans l’enseignement primaire.
En effet, la configuration, dans les écoles primaires, est très particulière et ne correspond pas aujourd’hui, selon moi, à celle des établissements de l’enseignement secondaire, ni par le personnel, ni par les capacités de gestion, ni par la taille critique.
En voulant créer des établissements autonomes, en voulant créer des établissements publics locaux d’enseignement (EPLE) dans l’enseignement primaire – c’est un vieux serpent de mer –, il me semble que l’on essaie aujourd’hui de privilégier une certaine liberté, ambition que je partage avec Max Brisson, sur une politique d’aménagement du territoire qui garantisse des établissements de proximité dans nos territoires les plus ruraux.
Je crains que cela ne soit opposable. Même si je partage la volonté d’une plus grande autonomie, d’une plus grande liberté, je pense qu’il existe peut-être d’autres moyens d’y arriver, même si c’est de manière moins efficace.
Pour ces raisons, comme je m’étais déjà opposé au projet de regroupement des établissements secondaires avec les établissements primaires, porté par votre prédécesseur, monsieur le ministre, je ne voterai pas l’article 1er ni l’article 2.
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton, sur l’article.
M. Julien Bargeton. Non que je m’y sente invité par Max Brisson, mais je veux revenir sur les imperfections que j’ai citées.
Certaines concernaient cet article – M. le ministre répondra et nos collègues réagiront.
Ne risque-t-il pas de remettre en cause les compétences communales ? C’est une question que je me pose. J’observe, d’ailleurs, que M. le rapporteur a essayé d’en circonscrire un peu la portée, notamment, me semble-t-il, pour tenir compte de cette préoccupation, en faisant intervenir les élus. Je ne sais pas si cela y répond parfaitement.
Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’une expérimentation est menée, avec « l’école du futur », à Marseille. N’a-t-on pas parfois intérêt à attendre l’évaluation de certains dispositifs avant de les généraliser directement ? Cette question aussi peut être posée. Il convient peut-être de laisser davantage prospérer les expérimentations en cours, en menant une concertation plus poussée, notamment sur l’articulation avec les compétences communales.
Voilà les interrogations que nous inspirait cet article.
M. Max Brisson. Il n’y a pas de généralisation !
Mme le président. La parole est à Mme Céline Brulin, sur l’article.
Mme Céline Brulin. Je veux d’abord remercier la majorité sénatoriale d’avoir refusé que l’on change l’ordre d’examen des articles : je pense, en effet, que l’article 1er est le cœur de cette proposition de loi, et je suis ravie que l’on en discute en premier.
C’est peut-être là que va s’arrêter le consensus. (Sourires.)
En effet, je viens d’entendre que l’école était un « puits sans fond » pour l’argent public, qui est dilapidé à son profit – je reconnais que j’en rajoute un peu…
M. Max Brisson. Un tout petit peu ! (Sourires.)
Mme Céline Brulin. Un tout petit peu… (Mêmes mouvements.)
Il se trouve que, si la France consacrait aujourd’hui à l’éducation la même part du PIB qu’en 1995 – ai-je besoin, chers collègues, de vous rappeler qui présidait la France en 1995 ? –, il y aurait 25 milliards d’euros d’investissements de plus pour l’école. On est donc vraiment loin d’un puits sans fond !
Ensuite, j’ai cru entendre s’exprimer une droite décomplexée, avant qu’on ne nous dise que nous ne devions pas nous inquiéter, que cela ne concernera que 10 % des établissements,…
M. Max Brisson. C’est dans le texte depuis le début !
Mme Céline Brulin. … que c’est expérimental, sur la base du volontariat…
En réalité, ce projet pour l’école ne recueille aucun soutien dans le pays, hormis sur les travées de droite de cet hémicycle. Alors que l’on vient d’évoquer les maires, je rappelle que l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) y est hostile – des amendements font d’ailleurs suite à ses réactions. Personne, ni aucun syndicat ni les parents d’élèves, ne soutient ce projet.
Je crois que celui-ci est vraiment le calque d’un modèle anglo-saxon. Si vous me permettez cette question, que reste-t-il de gaulliste parmi vous ? (M. Max Brisson s’exclame.)
Enfin, la Cour des comptes est convoquée à l’envi, mais, quoi que l’on pense de cette institution, il me semble qu’il ne lui appartient pas de définir la politique éducative de notre pays.
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article.
M. Olivier Paccaud. Céline Brulin vient presque de m’ôter les mots de la bouche ! « À titre expérimental » sont les trois premiers mots de l’article 1er.
Comme Stéphane Piednoir, j’ai fait toute ma carrière d’enseignant dans l’école publique. Je suis le pur produit de la méritocratie républicaine. Mes parents comme mes grands-parents étaient instituteurs ; mon épouse est directrice d’école. Je suis vraiment dans le moule.
J’aime l’école de la République, mais, comme beaucoup d’enseignants, je suis malheureux de voir toutes les difficultés qu’elle traverse aujourd’hui. On a besoin d’une sorte d’électrochoc.
Je ne parlerai pas de « puits sans fond », mais il est incontestable que, depuis des années, notamment sous le gouvernement précédent, on y a mis beaucoup de moyens – les chiffres ont été avancés tout à l’heure dans la discussion générale.
Les problèmes ont-ils été résolus ? Non ! Dès lors, ne faut-il pas tenter autre chose ? Oui, bien évidemment.
Céline Brulin l’a très bien dit : l’expérimentation ne pourra concerner plus de 10 % de l’ensemble des établissements ni plus de 20 % des élèves dans une même région académique. Ne doit-on pas tenter une expérience de ce type quand on voit, malheureusement, que le système, aujourd’hui, ne fonctionne pas ?
Je ne dirai pas que je suis un pur jacobin, mais je crois en l’éducation « nationale ». Néanmoins, aujourd’hui, il faut tenter autre chose.
C’est pourquoi cet article présente des vertus. (M. Thierry Meignen applaudit.)
M. Stéphane Piednoir. Bravo !
Mme le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Je n’ai pas l’intention d’intervenir sur tous les articles du texte, mais il me semble important d’intervenir sur l’article 1er, qui me semble l’article principal de la proposition de loi. Je ne dis pas que les autres n’ont pas d’importance, mais celui-là est peut-être le plus structurant pour notre école.
Je n’appartiens ni à la famille gaulliste ni à vos familles, chers collègues de gauche. J’appartiens à une autre famille politique, qui a toujours prôné la subsidiarité, qui a toujours mis en avant la recherche de l’échelon où l’action est la plus efficace et où les décisions doivent être prises. Il me semble que la proposition de Max Brisson correspond parfaitement à cette vision des choses. Elle est tout à fait en cohérence avec un principe que personne ne remet en cause, surtout dans cet hémicycle : le principe de décentralisation d’une partie de la compétence scolaire aux communes et aux intercommunalités.
Il y a, à l’article 1er, quelque chose qui ressemble, en fait, à un phénomène de déconcentration, à un échelon plus local. Le chef d’établissement n’est évidemment pas laissé seul : un certain nombre de garde-fous sécurisent le dispositif.
Je vois un second intérêt à cet article.
Voilà un an, nous étions en période de campagne présidentielle, et plusieurs candidats, dont celui qui a été élu Président de la République, ont déclaré qu’ils voulaient aller dans le sens d’une autonomie des établissements.
Le calendrier est ce qu’il est ; il est complexe sur le plan législatif. À cet égard, il me semble que l’article 1er va vous permettre, monsieur le ministre, de préciser vos intentions en la matière.
L’article 1er va assez loin dans le principe d’autonomie : il part de la pédagogie et va jusqu’au ressort de l’établissement.
Il nous serait utile, pour notre réflexion collective et pour voir si nous pouvons cheminer avec le Gouvernement sur ces questions, que vous nous indiquiez ses intentions en matière d’autonomie des écoles.
Mme le président. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 27 est présenté par Mmes Monier et S. Robert, MM. Magner, Kanner, Antiste, Assouline, Chantrel, Lozach et Stanzione, Mme Van Heghe et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 56 est présenté par Mme Brulin, MM. Bacchi, Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 83 rectifié est présenté par Mme de Marco, MM. Dossus, Benarroche, Breuiller, Dantec, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour présenter l’amendement n° 27.
Mme Marie-Pierre Monier. L’article 1er ouvre la possibilité d’expérimentations d’établissements publics autonomes d’éducation, sur décision des seuls recteurs d’académie contractant avec des établissements scolaires publics.
Les possibilités d’expérimentations dérogatoires sont vraiment très nombreuses : carte scolaire, autonomie de recrutement des personnels, organisation et accompagnement pédagogique. Il semble qu’elles puissent être cumulées – le texte est muet sur cette question.
Une fois le champ de l’autonomie précisé, l’établissement pourra s’affranchir de très nombreuses dispositions légales s’appliquant à la gestion d’un établissement scolaire : la nomination du chef d’établissement par l’État, la présidence de l’organe délibératif de l’établissement par celui-ci, l’existence d’un conseil pédagogique dans chaque établissement, sa présidence par le chef d’établissement.
De telles dérogations sont extrêmement dangereuses. Rappelons que les objectifs et projets d’un établissement scolaire doivent avant tout être axés autour de la pédagogie. Entre autres dérogations possibles, certaines pourront porter sur les règles budgétaires et sur celles qui s’appliquent à la répartition des dépenses, ainsi que sur le régime financier et comptable, ce qui permettra à l’établissement de déroger aux règles des marchés publics.
Les rares garde-fous apportés au dispositif ne changeront pas le caractère inégalitaire d’un tel régime. Au contraire, en fixant un seuil de 10 % des établissements et de 20 % des élèves d’une même région académique bénéficiant de la dérogation, on crée une arme à deux tranchants, qui légalise, au sein d’un même territoire, un système à deux vitesses.
Nous sommes hostiles à ces dérogations, qui vont rompre l’unicité de l’école de la République et faire entrer des disparités d’enseignement et de moyens selon les territoires.
Cette expérimentation rappelle le projet de « l’école du futur ».
Monsieur le ministre, comme vient de le faire le président de notre commission, je vous interpelle à mon tour : quelle est votre position sur ce point, vu que vous n’avez pas déposé d’amendement de suppression de cet article ?