Mme la présidente. La parole est à M. le président de la délégation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Mathieu Darnaud, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à saluer l’excellence du travail de nos quatre rapporteurs et de la délégation, qui a permis de mettre en lumière les défis qui nous attendaient. Jamais un exercice de prospective n’aura autant collé à la réalité que vous vous êtes tous essayés à dépeindre.

La première remarque je souhaitais formuler, à l’aune de vos interventions, c’est qu’il ne faudrait pas tomber dans une opposition entre le nécessaire effort de sobriété et la mobilisation de la ressource.

La sobriété – je réponds ici à Daniel Breuiller –, on peut d’ores et déjà y travailler : nul besoin de renvoyer à des travaux ou à des conventions.

Le département que je représente, l’Ardèche, a produit avec l’établissement public de bassin le document « Ardèche 2050 », qui est exemplaire en matière de sobriété. En effet, en mettant tous les acteurs autour de la table, il permet d’ores et déjà d’avancer sur le sujet, y compris dans sa dimension pédagogique.

Pour autant, nous avons besoin de mobiliser la ressource. Vous vous demandiez au cours de ce débat, madame la secrétaire d’État, pourquoi nous n’allions pas suffisamment vite sur la réutilisation des eaux usées traitées. Je vous invite à contacter le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), David Lisnard, que vous avez cité et qui se désespère. En effet, depuis dix ans, dans sa commune, il essaie de mettre en place un projet de cette envergure, qui n’aboutit pas – pour des raisons essentiellement administratives, on le sait.

Mes chers collègues, vous avez été nombreux à mentionner la question du stockage des réserves collinaires. Là aussi, je veux porter témoignage : dans mon département, les projets se succèdent pour répondre aux problématiques de l’agriculture, à celles du tourisme ou de la défense incendie, à toutes celles qui se posent sur le territoire.

Nous avons multiplié les études environnementales. Nous nous sommes appliqués à être le plus vertueux possible. L’État a signé des conventions avec la chambre d’agriculture, avec le département ; or aucun projet ne sort. Voilà la triste réalité dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)

Pour ce qui concerne le plan Eau, nous avons – heureusement ! – des convergences sur certains points, qui figurent d’ailleurs dans le rapport de la délégation, et je vous remercie de l’avoir souligné. Mais, je le dis très franchement, le bât blesse sur le volet financier.

La possibilité d’injecter, demain, 475 millions d’euros a été saluée. Mais c’est oublier au passage que nos agences de l’eau se voient depuis plusieurs années dans l’obligation de restituer 400 millions d’euros pour financer l’OFB. (M. Jean-François Husson et Mme Marta de Cidrac opinent.) Une fois l’addition et la soustraction faites, il reste peu d’argent pour répondre aux défis qui sont devant nous.

J’y insiste : si l’on n’a pas compris l’enjeu financier derrière la nécessité de prendre à bras-le-corps l’ensemble de ces sujets, nous n’y arriverons pas.

Vous avez évoqué l’enveloppe consacrée aux réseaux fuyards. Dont acte. Or dans mon département, par exemple, le préfet vient de refuser à vingt-six communes la délivrance de permis de construire pour se conformer à des obligations en matière de réseau d’eau. C’est oublier, là encore, que les agences de l’eau n’ont pu soutenir financièrement la mise en place de schémas directeurs dans ces communes, les renvoyant aux finances des départements.

S’il y a donc bien une avancée, elle est largement insuffisante et elle ne nous permettra pas de réaliser les efforts qui nous attendent.

Beaucoup a été dit. Je souhaite conclure mon propos par la question de la gouvernance.

Oui, il faut une gouvernance territorialisée. Pour cela, il importe de convier l’ensemble des élus de nos territoires autour de la table pour discuter et avancer sur tous ces sujets.

Nous avons aussi besoin d’agilité. Or, après une question d’actualité posée au Gouvernement à cet égard, et après votre réponse, madame la secrétaire d’État, à l’intervention de notre collègue Alain Joyandet dans ce débat, je n’ai toujours pas compris comment vous envisagiez l’avenir de la gouvernance dans nos territoires : intercommunale, via des syndicats, ou par mutualisation ?

Là encore, il faut être clair vis-à-vis des élus locaux, c’est-à-dire celles et ceux qui doivent être pionniers en matière de gouvernance de l’eau. Il faut leur faire confiance en permettant à des syndicats, qui épousent les bassins versants, de porter ce sujet.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Mathieu Darnaud. Revenons à l’essentiel, madame la secrétaire d’État. Il y va de la préfiguration de la gestion de l’eau dans nos territoires.

Nous avons pris acte de vos objectifs ; nous sommes prêts à en débattre et à avancer, car le temps de l’action est aujourd’hui venu. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Alain Richard applaudit également.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « L’avenir de la ressource en eau : comment en améliorer la gestion ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures trente-deux, est reprise à seize heures trente-quatre.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème « Harcèlement scolaire : quel plan d’action pour des résultats concrets ? »

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, au nom du groupe qui a demandé ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Alexandra Borchio Fontimp, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, harceler tue ! Ces deux verbes mis côte à côte désignent ce phénomène dramatique qui traduit un mal français : un laxisme sans précédent face à un fléau de société qui tue.

Le harcèlement, mes chers collègues, touche en France 1 million de jeunes chaque année, c’est-à-dire un jeune sur dix, qui sont autant de citoyens. Dès la socialisation naît le rejet. Et c’est lorsque l’enfant apprend à grandir, à l’école primaire, dans sa fragilité, qu’il est davantage concerné : à l’âge de ses premiers apprentissages.

Le harcèlement scolaire concerne également sa famille, ses proches, son entourage. Autrement dit, au sein de notre assemblée, par exemple, ici et maintenant, des dizaines de nos enfants ou petits-enfants subissent ce qu’aucun enfant ne devrait subir. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains a souhaité inscrire ce débat à l’ordre du jour.

Dès le plus jeune âge, des mineurs de plus en plus nombreux sont amenés à connaître la cruauté humaine et à perdre foi en autrui, alors que ce lien de confiance est fondamental pour l’épanouissement d’un individu. Cette réalité, qui dépasse souvent l’entendement, est trop régulièrement traitée comme un simple fait divers. Mais, derrière chaque prénom de victime, nous ne pouvons oublier son histoire, sa souffrance et sa douleur.

Suicide ou homicide ? On ne sait jamais véritablement qualifier l’acte d’un enfant qui se donne la mort, poussé à bout par ses camarades, que ce soit dans le cadre éducatif ou par le biais des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Pourtant, « camarade » est à l’origine un terme militaire qui renvoie au partage et à la fraternité. « Il n’est de camarades que s’ils s’unissent dans la même cordée », disait Saint-Exupéry.

L’école est ce lieu où la société a décidé de confier à des adultes la transmission de valeurs, de savoirs, de savoir-vivre et de savoir-faire à ses enfants. C’est l’endroit où la société dessine son avenir en formant les adultes de demain.

Aller à l’école ne doit jamais devenir une contrainte émotionnelle, mortifère, qui ne laissera que des séquelles, voire des stigmates chez ceux qui ont été victimes de harcèlement. Ce débat offre donc l’opportunité de poser des mots sur des incompréhensions que les victimes, les parents, mais aussi une forte majorité de nos concitoyens ne peuvent plus supporter.

Il est donc urgent de tout mettre en œuvre pour remédier à cette situation. Comment ne pas être choqué lorsque l’on sait que l’enfant harcelé, et donc brisé dans sa construction identitaire, doit quitter son école, tandis que celui qui a fait du mal peut y rester impunément ?

M. Max Brisson. Absolument !

Mme Alexandra Borchio Fontimp. Voilà ce qui a conduit notre collègue Marie Mercier à déposer une proposition de loi visant, dans le cadre d’un harcèlement scolaire, à poser le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, afin que celle-ci ne subisse pas cette double peine. Il s’agit d’une mesure de bon sens, monsieur le ministre, puisque vous l’avez retenue, si l’on en croit vos annonces dans la presse ce matin.

L’impunité dans laquelle vivent les auteurs des faits de harcèlement doit cesser.

Cette impunité les mène à reproduire leurs actes de victime en victime, à ne pas comprendre et mesurer les conséquences et la gravité de leurs agissements. Il faut donc les prendre en charge de manière appropriée. N’oublions pas non plus les témoins, qui peuvent être traumatisés par la violence qu’ils ont observée et peuvent développer un sentiment d’impuissance.

L’école a bien évidemment un rôle à jouer dans la lutte contre le harcèlement, mais c’est avant tout l’éducation que l’on donne à son enfant qui déterminera la personne qu’il sera envers les autres. Ne nions pas cet élément, sans toutefois mettre en accusation les parents, afin que l’état des lieux ainsi dressé ne soit pas une équation dont il manquerait une inconnue.

Les parents doivent également être impliqués dans la prévention en étant sensibilisés et informés sur les différentes formes de harcèlement scolaire et encouragés à dialoguer avec leurs enfants.

J’ai l’espoir que chacune des dix-sept prises de parole inscrites sur ce débat favorisera le déclic qui nous permettra enfin de protéger nos enfants harcelés.

Les membres de la mission sénatoriale d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement estiment qu’il est temps de détecter et de traiter ce fléau, autour de ce qui doit constituer désormais une grande cause nationale – et non pas seulement une journée nationale instaurée un jeudi de novembre, comme un rappel annuel, durant laquelle chacun dénonce le harcèlement scolaire vingt-quatre heures durant avec tout le pathos que l’on sait.

Faisons-le pour les parents de Lucas, dans les Vosges, ou encore pour la famille d’Ambre, dans la Drôme. Nous ne pouvons le faire pour leurs enfants : pour eux, c’est déjà trop tard. Ils ont préféré mettre fin à leur calvaire en se donnant la mort, parce que notre pays n’a su ni les écouter ni les protéger. Nous devons donc aller plus loin dans la prévention et la formation auprès des acteurs de l’éducation nationale et des familles.

Malgré les avancées de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire et celles du programme pHARe, le programme de lutte contre le harcèlement à l’école, de tels drames traduisent un terrible échec collectif, une injustice inacceptable en 2023. Les chiffres montrent que ces mesures sont insuffisantes et que le système connaît des défaillances. L’autorité judiciaire doit faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une priorité de sa politique pénale afin de se saisir de la nouvelle infraction définie.

Les signalements doivent être pris au sérieux. Le harcèlement scolaire ne doit plus être considéré comme une histoire entre gamins qui aide à grandir ou des jeux d’enfants sans importance. À Menton, dans mon département des Alpes-Maritimes, Anna « n’en peut plus d’aller au collège chaque matin avec la boule à ventre ». Et cela dure depuis six mois !

Ce combat ne se mène pas seul. Il est temps que nous prenions tous ensemble des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre le harcèlement scolaire. Il est primordial de lever le voile sur ce phénomène et d’oser en parler.

On aura beau mettre en place tout un arsenal de mesures, si les gens ne veulent pas voir, alors tout cela ne servira à rien ! Aidons-les à détecter les victimes, à les prendre en charge et à gérer les harceleurs. L’école est aussi ce lieu privilégié d’observation, de repérage, d’évaluation des difficultés scolaires, personnelles, sociales, familiales et de santé des élèves.

Pour conclure, je veux saluer toutes les personnes qui s’engagent au quotidien dans la lutte contre ce fléau.

Leur engagement est essentiel pour que nous puissions avancer ensemble dans la bonne direction, avec comme seul et unique objectif l’intérêt de l’enfant, pour que l’école ne soit plus une zone de non-droit et qu’enfance ne rime plus jamais avec violence. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Borchio Fontimp, vous avez souhaité inscrire à l’ordre du jour un débat sur le harcèlement scolaire. Je vous en remercie, car j’ai voulu que la lutte contre le harcèlement, indispensable à la réussite scolaire, soit une priorité de mon action.

Longtemps dans l’angle mort du système scolaire, il faut bien le reconnaître, la lutte contre le harcèlement est, depuis 2017, un enjeu important pour le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, lequel se mobilise très fortement. Je m’inscris dans la continuité de l’action qui a été engagée.

Je citerai, à cet égard, la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, dans laquelle le droit à une scolarité sans harcèlement est inscrit ; la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, qui pénalise le fait de harceler ; la généralisation, à la rentrée dernière, du programme pHARe.

Ce programme, dont nous aurons l’occasion de reparler, permet la mobilisation des communautés scolaires : 60 % des écoles et 86 % des collèges y sont engagés – nous avons certes encore du chemin à parcourir pour atteindre 100 %. Comme je l’ai annoncé, le programme sera étendu aux lycées à partir de la rentrée 2023.

Nous avons beaucoup à faire, à tous égards. Nos échanges me donneront l’occasion de préciser un certain nombre de mesures, parmi lesquelles l’extension du programme susmentionné et, comme je l’ai annoncé ce matin, la possibilité pour le premier degré, dans certains cas et en dernier recours, de scolariser l’élève harceleur dans un autre établissement.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque année, près de 1 million d’enfants sont victimes de harcèlement. Personne n’est épargné.

Si chaque situation de harcèlement est unique, les conséquences sont nombreuses et se ressemblent : baisse de l’estime de soi, isolement progressif vis-à-vis des camarades, troubles du sommeil, défiance envers les adultes, décrochage scolaire, honte et culpabilité.

Si chaque situation de harcèlement est un drame, il arrive même, bien trop souvent, que les cas de harcèlement virent à la tragédie. L’actualité se charge de nous le rappeler cruellement. On compte environ vingt suicides d’enfants par an. J’ai bien évidemment une pensée pour le jeune Lucas, décédé le 7 janvier dernier.

La récurrence de ces drames souligne notre échec collectif à enrayer définitivement le fléau du harcèlement à l’école.

Aujourd’hui, la situation se complique, car les frontières entre le cadre scolaire et la sphère familiale privée se brouillent. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les jeunes victimes n’ont plus un instant de répit. Le harcèlement vécu en classe se poursuit à la maison, jusque dans la chambre, censée être le refuge intime et protecteur par excellence. Les moqueries, les humiliations et les insultes continuent à pleuvoir par messages privés ou bien à la vue de tous, dans des publications devenant parfois virales.

La peur doit changer de camp. C’était justement le signal envoyé en juin 2021 par la mission d’information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, dont ma collègue Colette Mélot était la rapporteure, et dont Alexandra Borchio Fontimp vient de rappeler les principaux éléments.

Le constat est sans appel : aucun établissement scolaire et aucun département n’est épargné. On estime aujourd’hui entre 800 000 et 1 million le nombre d’enfants victimes de harcèlement scolaire chaque année, soit un enfant sur dix. Ces chiffres sont effrayants et nous engagent à réagir urgemment.

Le rapport de la mission d’information a présenté une série de pistes d’action concrètes. Elles s’organisent autour de trois axes clairs, destinés à guider l’action publique : la prévention, la détection précoce et enfin le traitement des cas de harcèlement. Il insistait notamment sur la gravité du cyberharcèlement, face auquel les parents et le personnel éducatif restent bien souvent démunis. La prévention des jeunes est cruciale, la formation des adultes est essentielle.

Nous devons développer collectivement de nouveaux réflexes de protection pour intervenir dès l’apparition des premiers signaux d’isolement ou de persécution.

C’est d’autant plus important au sein de l’école républicaine, qui doit être un lieu d’épanouissement et d’apprentissage pour nos jeunes, et non le théâtre de brimades, d’humiliations et de violences physiques ou verbales.

Tout le monde doit se mobiliser : éducateurs, parents, enfants, pouvoirs publics. L’État joue un rôle essentiel pour impulser une vaste stratégie de lutte contre ces violences dont souffrent nos jeunes à l’école. Nous devons tous être au rendez-vous.

Dès lors, monsieur le ministre, pouvez-vous énoncer avec précision vos ambitions et votre calendrier pour lutter avec efficacité contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Marc, je vous remercie de votre intervention. Je suis d’accord avec vous sur la gravité des conséquences du harcèlement. Vous avez rappelé les drames que nous avons connus ; j’ai une pensée, bien sûr, pour les victimes, qu’il s’agisse des élèves qui meurent chaque année à cause du harcèlement ou de ceux qui, plus silencieusement, sont affectés sur le long terme du fait de pressions ou de trajectoires scolaires enrayées.

La question du cyberharcèlement est très importante et je rejoins les propos que vous avez tenus. Je rappelle, à cet égard, l’existence du 3018, le numéro national pour les victimes de violences numériques, qui est gratuit et très efficace. J’ai visité les bureaux de cette plateforme, qui permet de répondre aux demandes de collégiens ou de leurs familles, parfois en panique, visant à bloquer des photographies intimes ou des boucles de messages, et qui y parvient très bien.

Je tiens à saluer l’existence de ces deux numéros, le 3018 et le 3020, qui seront systématiquement inscrits dans les carnets de correspondance des élèves à partir de la rentrée prochaine.

Le programme pHARe, que vous avez cité, a fait ses preuves dans les six académies où il était expérimenté jusqu’à l’année dernière. Il a été généralisé depuis la rentrée 2022 dans les proportions que j’ai indiquées, mais – je le répète – nous avons encore du chemin à faire. Il consiste à former au moins cinq adultes référents par établissement scolaire ainsi que des « élèves ambassadeurs ». En effet, les élèves sont souvent les mieux à même de détecter les changements de comportement de leurs camarades ou des situations de harcèlement et de rapporter les faits auprès des adultes formés. Il s’agit donc d’un vaste programme de formation des adultes.

Pour ce qui concerne le traitement des situations de harcèlement, nous nous efforçons, dans le cadre de notre mission pédagogique et puisqu’il s’agit d’enfants, d’amener l’élève harceleur à reconnaître ses torts.

Enfin, nous prévoyons la possibilité d’infliger des sanctions, par le biais des conseils de discipline ou via la nouvelle disposition que je viens d’indiquer.

Mme la présidente. La parole est à M. Thomas Dossus.

M. Thomas Dossus. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une digression. Puisque nous allons passer le reste de cette séance à parler de l’école et de ce qui l’entoure, et alors que nous aimerions que celle-ci soit un sanctuaire préservé des violences de notre société, je tiens à rappeler que, la semaine dernière, ce sont les violences policières qui se sont invitées devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Marques dagacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d’autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flash-balls.

Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.

Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n’est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient de nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l’ampleur du phénomène.

D’après le rapport de la mission d’information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d’enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.

Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c’est qu’il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s’arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.

Il convient de s’attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l’homophobie et la discrimination continuent de tuer.

À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges.

Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d’excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l’ensemble du Gouvernement.

Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d’évaluation, aucune étude détaillée n’a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d’urgence, manque cruel de moyens humains et financiers… Le collège du jeune Lucas, qui s’est ôté la vie, avait d’ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.

Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.

Prenons l’exemple de la médecine scolaire. J’alertais déjà sur ce point l’année dernière, au moment de l’examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.

Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12,5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.

La pandémie n’a pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.

Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l’école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d’observatoires de lutte contre ces attitudes. C’est une première étape que je salue, mais qui est loin d’être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l’école. Je m’interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.

Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?

Nous le savons, il n’y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l’école et de la société qui l’entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.

Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c’est investir dans l’apaisement de l’école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pap Ndiaye, ministre de léducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Dossus, vous avez raison, il ne s’agit pas du premier débat, dans cet hémicycle, sur la question du harcèlement scolaire. Toutefois, nous avançons.

Comme vous l’avez souligné, il n’y a pas de solution simple. Nous sommes sur un chemin de progrès, mais il n’y aura pas de baguette magique pour faire disparaître ce fléau d’un seul coup.

Vous avez dit à juste titre que le harcèlement pesait souvent sur un élève présentant une vulnérabilité ou une différence, réelle ou supposée. Le cas des élèves LGBT est un bon exemple. Nous avons connu un drame terrible voilà quelques semaines et je suis très mobilisé sur cette question. Nous préparons activement la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie du 17 mai, qui sera l’occasion de lancer une grande campagne. Vous avez mentionné la création des observatoires de lutte contre les LGBTphobies et notre partenariat avec l’association SOS homophobie, ainsi qu’avec d’autres associations, très impliquées.

Vous avez posé la question de l’évaluation des expérimentations qui ont eu lieu dans six académies pendant deux années. Cette évaluation est en cours ; une équipe de chercheurs travaille sur cette question.

On sait déjà, de manière empirique, que le règlement des situations de harcèlement a donné de bons résultats, mais qu’il ne s’est pas vraiment traduit par une baisse du nombre de cas. La mobilisation permet en effet de faire remonter des cas qui seraient autrement restés sous la ligne de flottaison.

Nous sommes également mobilisés au travers de la médecine scolaire. Ce que vous avez dit à cet égard est intéressant, dans la mesure où un bon tiers des postes de médecins scolaires ne sont pas pourvus. Nous pourrions doubler le nombre de ces postes que cela ne changerait rien au nombre de médecins en place. C’est pourquoi nous préparons activement, avec le ministre de la santé, un plan de médecine scolaire. Nous attendons pour le mettre en place la remise du rapport des trois inspections générales ; ce sera l’occasion de remettre à plat cette question importante.