Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Husson, je vous remercie des propositions que vous venez de formuler. J’espère que vous aurez l’occasion de les réitérer et de les compléter dans le cadre de la mission parlementaire qui va être lancée et qui sera l’occasion d’aborder la question du renforcement de la gouvernance locale de l’eau. Tous les élus locaux, tous les participants aux parlements de l’eau l’appellent de leurs vœux : la gouvernance locale doit être renforcée.
Vous avez évoqué deux sujets : les moyens et l’ingénierie publique, notamment de l’État.
S’agissant des moyens, je rappelle que les agences de l’eau sont dotées de 2,2 milliards d’euros. Le plan Eau prévoit 475 millions d’euros supplémentaires, ce qui représente une augmentation de 20 %. S’y ajoute une enveloppe annuelle de 180 millions d’euros pour aider les communes en difficulté à sécuriser leur approvisionnement en eau potable, via des travaux d’interconnexion, de résorption de fuites et de forage de secours. Pour répondre au risque de sécheresse, 100 millions d’euros ont été renouvelés cette année. Enfin, 400 millions d’euros sont prévus pour déployer une nouvelle génération d’Aqua Prêts, sur plus d’un milliard d’euros dans les territoires.
Depuis 2010, l’État n’assure plus l’ingénierie publique en matière d’eau et d’assainissement. Il revient désormais aux collectivités de consolider leur propre ingénierie, d’où l’intérêt d’une mutualisation – pas nécessairement dans le cadre intercommunal –, afin de disposer des moyens nécessaires.
Il reste malgré tout une offre d’ingénierie d’État, grâce au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). La gouvernance de cet établissement a connu d’importantes évolutions en 2022, en application de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS. Cet établissement, partagé entre l’État et les collectivités, pourra venir en appui et proposer un accompagnement des projets les plus complexes.
Nous avons également obtenu que les équivalents temps plein (ETP) du pôle ministériel ne baissent pas au cours des cinq prochaines années. Cela n’est pas toujours simple à obtenir. Aussi Christophe Béchu et moi-même en sommes-nous très heureux.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Madame la secrétaire d’État, nous sommes à Gravelotte : il pleut des millions et des milliards ! Pourtant, ce n’est pas le seul élément de réponse qu’attendent les élus et nos concitoyens. Vous omettez en outre de rappeler que le Sénat a obtenu, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, 50 millions d’euros supplémentaires de l’État. Ces crédits seront effectivement décaissés, contrairement aux 100 millions d’euros dont la Première ministre a demandé le déblocage pour les agences de l’eau.
Sur l’ingénierie, vous vous trompez : le Cerema rencontre de grandes difficultés pour intervenir dans les communes de moins de 2 000 habitants, faute de ressources techniques suffisantes. Il en va de même pour les agences de l’eau. Ne nous renvoyons pas la balle. Vous évoquez les parlements de l’eau ; je considère qu’il faut une vision à 360 degrés et regarder les choses en toute objectivité. La solidarité entre urbain et rural joue, notamment via un prélèvement de recettes au bénéfice des territoires ruraux, mais il faut aller plus loin : ne pas se contenter de belles phrases prononcées ici, mais constater sur le terrain les efforts qu’il faut déployer pour remettre la gestion publique de l’eau au bon niveau.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Laugier applaudit également.)
Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, autrefois abondante, bon marché et disponible, la ressource en eau fait face à une situation d’une gravité historique. Sous l’effet du réchauffement climatique, elle se raréfie. Selon l’étude Explore 2070, le dérèglement du climat aura pour effet de réduire la pluviométrie estivale de 16 % à 23 %.
La France ne sera pas épargnée : baisse des débits des cours d’eau, temps de recharge des nappes allongés, sécheresse des sols… Notre pays connaît déjà des périodes de stress hydrique inédites dans son histoire. Pourtant, rien ne nous prédisposait à connaître une telle situation, ni notre climat ni notre hydrographie.
Depuis plusieurs années, nous oscillons entre étés caniculaires et sécheresses précoces, avec des conséquences parfois dramatiques. Cette ressource fait d’ores et déjà l’objet de nombreuses tensions qui exigent que nous fassions preuve, en tant que législateurs, de toute la vigilance possible.
Faut-il stocker l’eau à des fins agricoles ou laisser les nappes phréatiques se recharger sans retenues ? La question se pose par exemple à Sainte-Soline, où une véritable bataille pour l’eau a eu lieu ; cet épisode illustre, au-delà des postures, une problématique qu’il est impossible d’ignorer et qui n’est qu’une interrogation parmi tant d’autres.
Dans ce souci de projection et d’anticipation, je salue l’excellent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective, qui éclaire un sujet dense et brûlant.
On observe à quel point la question de l’eau en France nous concerne désormais tous et nous n’avancerons pas en tenant nos concitoyens à l’écart de toute forme de démocratie locale autour de l’eau.
Je sais que la tentation est forte d’en rester à une approche purement technique et technocratique du problème, mais nous devons aussi en développer les dimensions pédagogiques et citoyennes, tout en étant attentifs aux territoires et à leurs besoins.
La loi de 1964, qui fonde notre modèle français de gestion de l’eau, institue le principe bien connu selon lequel « l’eau paie l’eau ». Or, aujourd’hui, celui-ci n’est plus respecté. Pour reprendre les mots de Mathieu Darnaud, que je salue : aujourd’hui, « l’eau paie l’État ». Face aux nouveaux enjeux climatiques, c’est toute une stratégie qu’il faut repenser et accompagner.
« Oui, mais il y a le plan Eau », me direz-vous, madame la secrétaire d’État. Plusieurs fois reporté, il a finalement été présenté par le Président de la République, le 30 mars dernier.
Permettez-moi de saluer ceux dont les travaux de réflexion, d’auditions et de prospective ont de longue date préfiguré ce plan Eau. Il s’agit, bien évidemment, de notre délégation sénatoriale, mais également de l’Association nationale des élus des bassins (Aneb), des collectivités concédantes et régies, du Comité national de l’eau, ainsi que du Centre d’information sur l’eau. Le plan présidentiel n’arrive pas de nulle part et tant mieux ! Il s’empare d’un certain nombre des problèmes identifiés de notre gestion de l’eau et propose différents axes.
J’ai été particulièrement sensible au troisième intitulé : « Investir massivement dans la réutilisation des eaux usées ». Sur ce sujet, nous sommes très en retard en matière de normes, notamment en comparaison des pays de l’Europe du Sud, confrontés depuis plus longtemps que nous aux problématiques de l’eau.
Dans les logements français, on doit pouvoir réutiliser les eaux grises et les eaux pluviales. Notre pays abrite des champions mondiaux du traitement des eaux ; nous devons les associer pleinement à cet effort et ne pas les déstabiliser comme cela a pu être le cas dans le passé.
Notre modèle de gestion de l’eau a besoin de transformations pour coller aux enjeux climatiques et environnementaux, mais il doit conserver certaines spécificités françaises. Il convient ainsi que l’eau potable soit disponible pour tous sans distinction sociale, mais que chaque citoyen soit contributeur à hauteur de ce qu’il consomme. Certains grands pays comme les États-Unis voient la potabilité de leur eau reculer dans certains États, en raison du coût de traitement, de la vétusté des réseaux ou du manque de moyens, problèmes que nous rencontrons également, hélas ! dans nos territoires.
Madame la secrétaire d’État, soyons exigeants et économes et rappelons-nous d’adapter non seulement chaque eau à son usage – mes collègues l’ont rappelé –, mais aussi chaque usage à la disponibilité de l’eau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice de Cidrac, pour éviter d’être redondante, j’évoquerai un sujet nouveau, celui de la réutilisation des eaux de pluie. Il a son importance, car, sans en généraliser le principe, nous souhaiterions un déploiement beaucoup plus large sur les logements – vous avez abordé cette question.
Jusqu’à présent, il était très difficile pour un particulier de mettre en place la réutilisation des eaux de pluie, alors qu’un tel système pourrait en réalité très facilement être déployé. Il faut pour cela que l’on simplifie un certain nombre de pratiques. Nous avons d’ailleurs bénéficié d’un soutien politique important de la part d’Agnès Firmin Le Bodo pour que les services du ministère contribuent à cette dynamique, de manière que l’on puisse récupérer les eaux de pluie, par exemple pour alimenter les chasses d’eau dans les logements. L’idée peut paraître anecdotique, mais cela représente une quantité d’eau importante pour les ménages ; qui plus est, on permettrait ainsi que chacun participe à la sobriété.
Vous avez rappelé d’autres grands enjeux comme la réutilisation des eaux usées traitées ou le fait de réduire de 10 % les prélèvements, en veillant à ce que l’effort soit mieux partagé, de manière que chacun y participe à son niveau. Je crois avoir répondu sur tous ces sujets, à l’occasion des interventions précédentes.
Je veux vous dire que le plan Eau est ambitieux. Certes, il a été retardé, mais il est à la hauteur : nous n’avons pas voulu nous en ternir à la crise qui aura probablement lieu cet été, mais penser les dix ou vingt années à venir. Il est important que nous ayons tous les moyens à notre disposition pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, qu’il s’agisse du renforcement de la gouvernance locale, de l’optimisation de la ressource ou de la sobriété. Nous devons nous engager sur tous ces sujets.
La mise en œuvre du plan Eau, initialement prévue à la fin du mois de janvier, a été légèrement décalée à la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril. C’était nécessaire pour obtenir les arbitrages financiers, indispensables pour réussir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Je tiens à préciser le sens de mon intervention. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez bien compris, aujourd’hui, en France, on considère que l’on peut utiliser la même eau pour tous les usages. Or je crois qu’il est important de travailler sur l’aspect normatif du sujet, dans la mesure où cette ressource est précieuse. L’ensemble des collègues qui se sont exprimés avant moi l’ont rappelé et les interventions suivantes iront sans doute dans le même sens. Je souhaitais donc appeler votre attention sur la nécessité d’un bon usage de l’eau pour la préserver.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie la délégation à la prospective d’avoir permis ce débat.
L’été 2022 s’est caractérisé par des records de chaleur et de sécheresse ; l’hiver 2023, quant à lui, se classe déjà parmi les hivers les plus secs avec un déficit de pluviométrie de 50 % au mois de février dernier. Durant l’été 2022, en France, près de 500 communes ont été concernées par des problèmes d’approvisionnement en eau potable, selon les dires du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À l’été 2023, sans action forte et déterminée des pouvoirs publics, la situation risque d’être pire, si l’on en croit le rapport d’inspection interministériel rendu public ce jour.
La gestion de la ressource en eau devient cruciale pour la satisfaction d’un besoin essentiel, que l’on croyait définitivement acquis : l’accès à l’eau potable.
Ma question portera sur la gestion du petit cycle de l’eau, en particulier sur la question des captages et de leur protection. Nombre de collectivités sont concernées par des problématiques de qualité des eaux brutes prélevées. La protection des captages est une préoccupation croissante des gestionnaires du service public d’eau potable, car la détection de pollutions diffuses est de plus en plus fréquente.
À la suite du Grenelle de l’environnement, en 2009, un peu plus de 500 captages ont été désignés comme prioritaires, notamment sur la base de l’état de la ressource vis-à-vis des pollutions diffuses et de son caractère stratégique.
En 2013, quelque 500 nouveaux ouvrages prioritaires ont été identifiés.
L’intérêt de cette classification réside dans la gestion concertée de ces aires et dans la prévention des pollutions diffuses. Des diagnostics permettent de mieux connaître les vulnérabilités et les modes de contamination subis par ces captages, et des programmes d’action adaptés aux objectifs d’amélioration de qualité des eaux sont élaborés en partenariat avec les chambres d’agriculture. Ils comprennent la plupart du temps des mesures agroenvironnementales.
Cette stratégie, qui a démontré son efficacité, devrait être étendue, alors qu’elle ne concerne que 1 000 captages sur les 35 000 recensés en France.
Par ailleurs, la directive du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite Eau potable, sera transposée prochainement par ordonnance. Le texte, que nous aurons à examiner, vise le déploiement d’une démarche préventive pour garantir la qualité de l’eau jusqu’au robinet du consommateur, avec l’obligation de réaliser un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux pour les personnes responsables de la production ou de la distribution de l’eau. C’est d’ailleurs l’une des mesures qui figurent dans le plan Eau.
Par conséquent, madame la secrétaire d’État, comment les collectivités seront-elles accompagnées dans cette démarche ?
L’ordonnance vise également une rationalisation des périmètres de protection de captage, en réformant la politique de préservation de la ressource en eau par des captages sensibles à la pollution aux pesticides. Elle prévoit aussi que les collectivités qui le souhaitent pourront contribuer à la mission de préservation de la ressource en eau, en liaison avec le préfet, afin d’établir un programme d’action encadrant les pratiques qui dégradent la qualité des points de prélèvement.
Le programme d’action peut notamment concerner les pratiques agricoles, en limitant ou en interdisant, le cas échéant, certaines occupations des sols et l’utilisation d’intrants.
Madame la secrétaire d’État, s’agit-il, comme nous le souhaitons, d’une extension de la politique des captages prioritaires ? Les préfets disposeront-ils de moyens pour interdire l’utilisation d’intrants, notamment les pesticides ? Comment les agriculteurs seront-ils accompagnés dans cette transition ? Surtout, comment développer les baux environnementaux qui sont encore trop peu utilisés ?
« L’eau est le miroir de notre société. Les liens que nous entretenons avec elle montrent dans le vide ce qu’est notre société. » Ces mots sont d’Erik Orsenna. Notre engagement dans la préservation de l’eau dira quelle société nous voulons. Dans le cadre de la mission d’information « Gestion durable de l’eau : l’urgence d’agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement », nous nous attacherons à y contribuer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice, une grande partie d’entre vous, quasiment sur toutes les travées de cet hémicycle, souhaitez que l’on réduise l’usage des pesticides. La dynamique est enclenchée depuis 2017, puisque l’on constate une baisse des ventes de produits phytosanitaires, dont on peut dire qu’elle est le résultat concret de la mise en œuvre des plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits plans Écophyto.
Le Gouvernement travaille activement à ce changement de méthode, qui consiste à anticiper le retrait des substances actives potentiellement problématiques et à renforcer le pilotage et l’adaptation des techniques de protection des cultures pour soutenir nos agriculteurs dans les transitions. Trois principes d’action simples ont été définis.
Le premier principe consiste à aligner les calendriers français et européen et à défendre la mise en place des clauses miroir. En effet, nous ne souhaitons pas consommer des produits qui entreraient sur notre territoire, alors qu’ils ont été cultivés avec des substances phytosanitaires interdites en France.
M. Laurent Duplomb. C’est déjà le cas !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Cette concordance relève d’une exigence à la fois sanitaire et environnementale.
Le deuxième principe consiste à rechercher des solutions de substitution. J’ai évoqué notamment le biocontrôle, mais ce n’est qu’un exemple parmi les solutions sur lesquelles travaillent l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et les instituts techniques. Nous devons continuer d’accompagner les agriculteurs, qui vont encore devoir faire face à la suppression d’un certain nombre de produits.
Le troisième principe concerne la gouvernance. Nous assumons d’avoir refusé la réintroduction de substances actives interdites et, en même temps, d’avoir accompagné les agriculteurs lorsque la décision d’interdire les néonicotinoïdes a été prise. L’un n’empêche pas l’autre.
Sur les captages, madame la sénatrice, j’ai déjà répondu à votre collègue Paoli-Gagin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, pour la réplique.
Mme Florence Blatrix Contat. Le dernier rapport de l’Anses montre que la rémanence de certaines molécules après leur interdiction impose que l’on anticipe. Si l’on veut éviter d’entrer dans une logique curative, qui sera très coûteuse pour nos collectivités, donc pour les consommateurs, il faut davantage anticiper. Par conséquent, la préconisation formulée par l’Anses de retirer le S-métolachlore est utile : ce serait une très mauvaise idée pour le Gouvernement que de revenir sur ce retrait. Nous sommes très attachés à l’indépendance de cette agence dans les décisions qu’elle prend.
De manière plus générale, il faut accélérer la transition de notre agriculture vers l’agroécologie en veillant, bien entendu, à accompagner les agriculteurs, ce qui permettra de concilier la résilience de notre agriculture et la préservation de notre ressource en eau. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Pierre Louault. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment retrouver une ressource plus abondante ? À la fin de ce débat sur la gestion de l’eau, je souhaite poser cette question, puisque le sujet n’a pas encore été abordé.
Aujourd’hui, le niveau des rivières baisse, les nappes phréatiques s’épuisent et, depuis soixante-dix ans, on a accumulé un certain nombre de fautes. Dans les années 1960 et 1970, on a créé des fossés profonds, on a approfondi et mis à sec les ruisseaux. Dans les années 2000, on a interprété à la française la nouvelle directive européenne sur l’eau, dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (Lema) de 2006, qui prévoyait de manière pompeuse un principe de « continuité écologique » valant seulement pour les poissons migrateurs, sans prendre en compte les incidences.
Mme Sonia de La Provôté. Et les barrages !
M. Pierre Louault. En réalité, la surinterprétation administrative fait jurisprudence : on supprime les seuils, on abaisse le niveau des cours d’eau, il arrive très souvent que l’on vide les rivières et vidange les nappes phréatiques. Je le sais bien, car je suis paysan : c’est le système de l’abreuvoir à poulets. Enlevez cinquante centimètres d’eau et les nappes se vidangent ! Dans l’abreuvoir à poulets, deux centimètres d’eau retiennent un mètre d’eau. Les nappes phréatiques fonctionnent exactement de la même manière.
Dans le même temps, les prairies humides deviennent de véritables paillassons. Les zones humides de notre territoire, qui étaient des roselières, sont en train de disparaître. Après avoir épuisé les seuils de rivières, on en vient maintenant à supprimer les étangs, qui ont parfois plus de 500 ans d’existence, au prétexte que le cours d’eau passe au milieu.
Tous ces systèmes mis en cascade ont pour effet d’épuiser les réserves d’eau. Les rivières et les ruisseaux sont de plus en plus abondants, durant l’hiver, quand il pleut, avec pour avantage que cela contribue à rehausser le niveau des océans qui en ont grand besoin, et l’on a de moins en moins d’eau pendant l’été.
La gestion de l’eau est devenue un véritable défi. J’ai mis en place un certain nombre d’expérimentations dans ma commune et dans mon territoire : en rétablissant des seuils sur des fossés qui avaient été créés dans les années 1960, on a retrouvé des sources qui coulent toute l’année, pas seulement l’hiver, et l’on a rétabli des ruisseaux.
Je ne suis pas un anti-écolo. Au contraire, il m’arrive de prendre le parti de certains de mes collègues. (Sourires sur les travées du groupe GEST.) Dans ma commune, en vingt ans, j’ai « planté » sept kilomètres de rivière, j’ai recréé de toutes pièces des zones humides et l’on retrouve de l’eau toute l’année dans des endroits qui étaient à sec.
Par pitié, arrêtons, au nom de je ne sais quelle idéologie, de vouloir mettre à tout prix les rivières à sec ! Sans la moindre expérimentation, par principe, on supprime les seuils au lieu de les rétablir dans une continuité écologique où les poissons migrateurs pourraient passer – il est tellement plus simple de les supprimer ! Voilà où va la moitié de l’argent des agences de l’eau.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Très bien !
M. Pierre Louault. Cela n’est plus possible.
Madame la secrétaire d’État, je voulais vous alerter sur ce problème qui, s’il perdure, aggravera encore un peu plus l’assèchement de nos rivières et compromettra la capacité des nappes phréatiques à se recharger. Aujourd’hui, elles se vident l’hiver et n’ont plus rien à donner l’été. Telle est la réalité, sans doute trop compliquée pour la haute technostructure, mais sur laquelle il est tout de même temps de jeter un coup d’œil. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur, vous avez abordé la politique de restauration de la continuité écologique des cours d’eau. Elle vise, selon nous, à limiter la fragmentation des habitats naturels, qui est l’une des causes majeures de l’érosion de la biodiversité. Dans ce ministère, nous défendons donc, bien évidemment, la continuité écologique.
Au-delà d’une pensée que vous qualifiez de technocratique, nous défendons surtout l’avis scientifique. Celui-ci est assez clair sur le fonctionnement des systèmes hydrologiques et il me semble que, sur l’ensemble de ces travées, mesdames, messieurs les sénateurs, vous y accordez de l’importance.
Je pourrai vous transmettre un avis du conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité (OFB) qui date de 2018.
M. Pierre Louault. Oui !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. En effet, face aux multiples interventions sur la gestion des cours d’eau et des ouvrages, l’office a procédé à certaines clarifications. J’invite toutes les personnes intéressées à en prendre connaissance.
Cet avis tend à infirmer les conséquences que vous avez décrites. En ce qui me concerne, je n’oppose pas la politique de restauration du grand cycle de l’eau et la notion de stockage pertinent dans l’espace et le temps. Les ouvrages font partie du panel de solutions de la gestion de l’eau et peuvent répondre à des besoins locaux. Évitons d’opposer les projets ; à l’inverse, étudions-les au cas par cas !
Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires veut privilégier la voie des continuités, surtout écologiques. En outre, les réserves de substitution ou les réserves collinaires peuvent être adéquates pour les territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Madame la secrétaire d’État, je comprends que vous défendiez vos services, mais peut-on qualifier les agents de l’OFB de scientifiques ? (M. Bruno Sido applaudit.)
Tout de même, n’a-t-on pas le droit dans ce pays d’expérimenter en s’appuyant sur la réalité telle qu’on la voit ? Quand les rivières se sont vidées, que les prairies humides sont sèches comme des paillassons et que les roselières disparaissent, les agents de l’OFB en parlent-ils ? Non, parce que cela les dérange.
En revanche, ils n’hésitent pas à surinterpréter la loi. Ils ne considèrent que ce qui est dans la droite ligne qu’ils ont définie et pénalisent tout ce qui ne l’est pas. Voilà tout ce qu’ils font.
Aujourd’hui, on va dans le mur, mais cela n’est pas grave : je commence à être âgé et je ne le verrai peut-être pas. Je crois tout de même qu’il vaudrait mieux y regarder d’un peu plus près. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la présidente, monsieur le président de la délégation, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, merci. Merci de la richesse de ces échanges. Merci encore de la qualité des travaux de la délégation sénatoriale à la prospective, dont je prends toujours connaissance avec beaucoup d’attention. Merci aussi des travaux que le Sénat dans son ensemble a menés, car le sujet de l’eau a fait l’objet de nombreux débats depuis le début de cette année.
Ayant moi-même été députée, je considère le travail parlementaire comme une source d’inspiration et de réflexion. Je crois en l’intelligence collective, et ce d’autant plus face au grand défi de l’adaptation au changement climatique. C’est dans cet esprit que nous avons construit le plan Eau et j’espère que nous pourrons continuer de le coconstruire, pour ce qui relève de sa mise en œuvre, ainsi que dans le cadre de la mission parlementaire qui a été annoncée.
La ressource en eau est un enjeu de souveraineté nationale. Une eau en quantité et de qualité est essentielle pour notre environnement, pour notre santé et pour notre économie. Je pense que notre société est prête pour engager un changement de rapport à l’eau.
La trajectoire collective de sobriété qui consiste à réduire notre consommation d’eau de 10 % à l’horizon de 2030 sera déclinée par territoires, avec les élus et les acteurs locaux, et par secteurs, avec les représentants des filières. C’est un plan qui engage l’ensemble des acteurs – particuliers, industrie, agriculture, tourisme et secteur public – dans une même dynamique.
Le débat que nous avons eu aujourd’hui reflète le contenu de votre rapport d’information et montre à quel point le sujet est vaste et complexe.
J’ai noté, en particulier, vos interrogations sur les moyens pour les collectivités d’agir dans la préservation du grand cycle de l’eau. J’ai également pris en compte la question de la mise en cohérence des échelons de gouvernance et la nécessité qu’un dialogue renforcé s’engage entre les instances de définition des politiques publiques territoriales. Enfin, et cela me tient à cœur tant les marges de progrès sont importantes et réjouissantes, vous avez mis au rang de priorité la levée des freins à l’innovation, qui sont parfois réglementaires, comme sur le sujet de la réutilisation des eaux usées.
J’ai pu, je l’espère, vous montrer que le plan Eau apportait des réponses concrètes et ambitieuses à l’ensemble des préoccupations que vous avez exprimées.
Je suis fière du résultat d’un travail interministériel intense, premier exercice de planification écologique piloté par la Première ministre, qui a démontré l’intérêt de cette méthode.
Je suis encore plus fière des moyens qui sont apportés en faveur de la politique de l’eau. Nous avons beaucoup consulté et avons été à l’écoute, notamment des collectivités. La capacité d’intervention des agences de l’eau, principaux financeurs de la politique de l’eau aux côtés des collectivités, est augmentée de 20 %. C’est un effort inédit qui répond au vœu de l’ensemble des acteurs.
Ces moyens permettront d’accompagner les collectivités les plus en difficulté pour rénover et sécuriser leurs infrastructures d’eau potable – le sujet a été largement évoqué.
Nous changerons d’échelle en matière d’eau recyclée et réutilisée. Des évolutions réglementaires ont été travaillées pour libérer les projets. Nous soutiendrons aussi les collectivités qui souhaitent approfondir le potentiel que pourrait représenter la réutilisation des eaux usées traitées (Reut) pour leur territoire. Un partenariat sera noué avec l’Anel pour cela.
La semaine dernière, je remettais les trophées Eco Actions aux Eco Maires. J’ai vu des projets très stimulants, notamment sur la préservation de l’eau, des projets participatifs, élaborés par et pour les citoyens. Ce sont de véritables pépites. Je crois fondamentalement aux initiatives de terrain, que nous devons encourager pour ensuite les développer à plus grande échelle.
Ce plan traduit une conviction commune : en France, la ressource en eau est précieuse. Elle l’est pour nos écosystèmes, pour notre santé et pour notre économie.
Dans cet élan de repolitisation des enjeux de l’eau, j’attends des élus locaux une mobilisation pleine et entière, en particulier sur les questions de partage de la ressource. Nous devons nous réunir autour d’une ambition forte pour développer des solutions d’adaptation dans nos territoires.
Le 10 janvier dernier, lors du premier débat sur la ressource en eau que nous avions eu ensemble, je vous donnais rendez-vous pour vous présenter plus en détail le plan Eau. Je vous remercie de nouveau de l’opportunité que vous m’avez offerte aujourd’hui de vous présenter les mesures les plus structurantes pour les collectivités.
J’aurai plaisir à poursuivre ces échanges individuellement, ou à l’occasion d’autres débats qui se tiendront dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Pierre Louault applaudit également.)