Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de quoi parle-t-on ?
Le « harcèlement entre pairs », qui est la forme la plus répandue de violence en milieu scolaire, est caractérisé par l’usage répété de la violence physique, des moqueries, des insultes et des humiliations. Il concerne – cela a été rappelé – entre 800 000 et 1 million d’élèves par an, soit 10 % des élèves. Avec l’avènement du numérique, le harcèlement scolaire se prolonge sur les réseaux sociaux, et la sphère privée n’y échappe plus.
Depuis 2017, le Gouvernement a pris la mesure de ce problème grave, qui a récemment abouti au suicide dramatique du jeune Lucas.
Depuis 2018, les téléphones portables sont interdits à l’école et au collège, à la suite d’une proposition de loi de Richard Ferrand, adoptée après engagement de la procédure accélérée. Il s’agissait, en empêchant l’utilisation massive et précoce des téléphones, de lutter contre le cyberharcèlement.
En 2019, la loi pour une école de la confiance a créé le droit de vivre une scolarité sans harcèlement : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale. »
La même année, le Gouvernement a annoncé l’extension des horaires de la plateforme « Net écoute », dédiée au cyberharcèlement.
Le programme pHARe de lutte contre le harcèlement, cité à plusieurs reprises par les orateurs précédents et par vous-même, monsieur le ministre, est désormais obligatoire dans tous les collèges et toutes les écoles élémentaires depuis la rentrée 2022. Il implique à la fois les adultes, les élèves – les collèges ont été dotés d’élèves ambassadeurs – et les parents, qui sont associés à la lutte contre le harcèlement à l’école.
Il s’agit donc d’un dispositif à 360 degrés, qui concerne l’ensemble de la communauté éducative.
L’année dernière, la proposition de loi de notre collègue Erwan Balanant a créé un nouveau délit de harcèlement scolaire, qui sanctionne les élèves, étudiants ou personnels des établissements scolaires et universitaires reconnus coupables de harcèlement. Les peines encourues sont de dix ans de prison et de 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime du harcèlement. Il existe une panoplie de mesures pour lutter contre le harcèlement qui a été complétée ces dernières années, depuis 2017.
Le dispositif paraît bien sûr insuffisant, car le harcèlement est toujours dramatique et le phénomène est encore trop récurrent. Des évolutions sont encore nécessaires. La proposition de loi de notre collègue Marie Mercier du groupe Les Républicains, qui pose le principe d’une mesure d’éloignement du harceleur pour protéger la victime, soulève des questions importantes : qui doit être concerné par l’éloignement systématique ? N’est-ce pas une double peine s’il concerne aussi l’enfant victime ? Une proposition de loi a été également déposée par notre collègue Sabine Van Heghe. On le voit, le Parlement s’est largement saisi de cette question.
Monsieur le ministre, vous avez apporté des éléments de réponse ce matin sur la façon dont sont traités les auteurs de harcèlement dans les établissements scolaires que vous pourrez peut-être compléter lors de ce débat.
Il faudrait également se pencher sur des méthodes complémentaires. Certains pays sont précurseurs sur ce sujet, comme les pays scandinaves, lesquels ont souvent un temps d’avance sur ces questions qu’ils ont prises à bras-le-corps depuis longtemps. Je pense notamment à la méthode de « la préoccupation partagée » ou au programme finlandais intitulé KiVa Koulu, mis en place en 2006 et organisé autour de discussions et de jeux de rôle, avec une systématisation de la lutte contre le harcèlement scolaire dans tous les établissements finlandais. Il serait bien de faire un parangonnage pour voir comment d’autres pays d’Europe ont pu avancer dans la lutte contre le harcèlement.
Nous avons beaucoup progressé sur la question, mais les faits de harcèlement restent encore trop graves et trop nombreux. Je ne doute pas qu’ensemble nous construirons de nouveaux outils, de nouvelles armes, pour lutter contre ce fléau. (MM. Xavier Iacovelli et Yves Détraigne, ainsi que Mme Marie Mercier, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Bargeton, le programme pHARe s’inspire effectivement de l’exemple finlandais. Lorsque j’ai évoqué ce programme et son évaluation, j’aurais dû mentionner la Finlande, où il a donné de bons résultats.
J’attire votre attention sur la dimension pédagogique du programme, qui vise non pas à sanctionner d’emblée, mais plutôt à amener l’enfant harceleur à reconnaître la gravité de ses actes et à participer par la suite à la mobilisation de l’ensemble de la communauté éducative contre les faits de harcèlement.
Il arrive que d’anciens harceleurs soient au premier rang des élèves ambassadeurs dans la lutte contre les situations de harcèlement. En ce sens, l’école conserve bien sa mission première, qui est pédagogique. Parfois, cette dimension peut ne pas suffire et la situation est alors si dégradée entre un ou des harceleurs et les harcelés que la séparation entre les élèves devient la solution ultime.
Cette mesure est envisageable dans le secondaire, puisque les conseils de discipline peuvent scolariser un élève dans un autre établissement que celui d’origine ; en revanche, elle n’est pas possible dans le primaire, où il n’y a pas de conseil de discipline. C’est pourquoi nous proposons de passer par la voie réglementaire, et non législative, pour permettre, dans certains cas et en dernier recours, lorsque toutes les autres solutions auront été envisagées, de déplacer l’élève, indépendamment de l’avis de ses représentants légaux et selon une procédure que je détaillerai si la question m’est posée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe.
Mme Sabine Van Heghe. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit, près de 1 million d’élèves subissent chaque année une forme de harcèlement durant leur scolarité, d’une violence parfois telle qu’elle pousse certains enfants à attenter à leurs jours.
Il est intolérable, monsieur le ministre, que les fondements du vivre ensemble soient ainsi sapés et que les jeunes soient éprouvés à l’âge ou ils font leurs premiers apprentissages, dévoilant leurs fragilités propres à l’adolescence.
Bien sûr, il ne s’agit pas ici de dire que rien ne se fait au sein de l’éducation nationale. Même si le programme pHARe a été généralisé à la rentrée 2021, nous devons encore constater la difficulté à franchir le mur de l’administration scolaire et la tentation du « pas de vagues » au sein de certains établissements.
La lutte contre le harcèlement scolaire passe aussi par les initiatives locales, associatives ou institutionnelles. Dans mon département du Pas-de-Calais, par exemple, j’ai animé avec les services de l’État, de la police, de la gendarmerie, de la justice et de l’éducation nationale une réunion visant à améliorer l’accueil, la protection et le suivi des élèves victimes de harcèlement scolaire, ainsi que la prise en charge des auteurs des faits délictueux.
Je me réjouis de la mobilisation de tous ces acteurs, mais cela reste insuffisant et la question du harcèlement scolaire révèle encore de grandes failles qui doivent être comblées.
Je viens donc de déposer avec mes collègues sénateurs socialistes une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement afin de compléter l’arsenal juridique existant.
Notre texte se veut pragmatique, simple et concret. Il prévoit notamment d’imposer aux réseaux sociaux une nouvelle obligation de sensibilisation des usagers, de renforcer le poids des adultes correctement formés sur le sujet au sein de l’école et de permettre l’exclusion des auteurs pour éviter la double peine qui s’impose aux victimes, forcées de quitter leur établissement pour échapper à leurs bourreaux. Je me félicite, monsieur le ministre, que vous ayez d’ores et déjà repris cette dernière mesure, qui est très importante.
En tout état de cause, la clef de tout, c’est l’augmentation du nombre d’adultes effectivement présents dans les établissements, comme le réclament les sénateurs de notre groupe à chaque discussion budgétaire depuis maintenant six ans. Il est impératif d’augmenter les postes de personnels médico-sociaux et de psychologues dans les établissements scolaires, personnels jouant un rôle essentiel dans la prévention, la détection et la prise en charge des cas de harcèlement.
Pour que la parole des enfants et des adolescents se libère, ceux-ci doivent se sentir écoutés, compris et protégés. C’est par la présence suffisante de personnes formées et à l’écoute que nous pourrons espérer faire fléchir ce fléau insupportable. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Van Heghe, je vous remercie d’abord pour le travail et le rapport que vous avez réalisés sur le sujet avec Mme Mélot.
Nous avons repris votre proposition de mieux diffuser les numéros téléphoniques 3018 et 3020 : ils seront inscrits dans les carnets de correspondance et dans les espaces numériques de travail (ENT). Une campagne d’affichage a également été réalisée, et j’ai pu voir ces affiches dans les couloirs de pratiquement tous les établissements scolaires dans lesquels je me suis rendu.
Nous n’en sommes plus à l’époque du « pas de vagues ». À l’évidence, nous sommes très mobilisés sur cette question et nous avons, depuis un certain temps, passé un cap, même s’il reste du travail à faire.
Nous souhaitons éloigner les élèves harceleurs – et je veux ici remercier la sénatrice Marie Mercier de sa proposition – indépendamment de l’avis des parents ou des représentants légaux, lorsque la situation est devenue intenable et que la sécurité de l’élève ou des élèves harcelés est mise en cause. Cela suppose l’accord du maire de la commune de résidence, voire des deux maires si la scolarisation a lieu dans une commune voisine.
Il faut procéder avec discernement, puisque nous avons affaire à des enfants âgés de 6 à 11 ans et que les situations entre harceleurs et harcelés ne sont parfois pas si claires, avec des « échanges », si j’ose dire, entre la situation des uns et des autres. Mais il faut pouvoir envisager la possibilité d’un éloignement lorsque la situation est bloquée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Van Heghe, pour la réplique.
Mme Sabine Van Heghe. Vous avez raison, monsieur le ministre, il faut certes agir avec discernement, mais il ne faut pas faciliter la vie du harceleur au détriment du harcelé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le harcèlement scolaire est un fléau. Un élève sur dix subit chaque année une forme de harcèlement ou de cyberharcèlement. C’est un drame, car il entraîne des enfants vers des actes extrêmes.
Face à ces situations, nous ne sommes pas totalement démunis, même s’il n’existe pas de remède miracle. Le Sénat a ainsi fait trente-cinq propositions dans le cadre d’une mission d’information précédemment évoquée. La loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a également fourni quelques outils.
Il convient, grâce à ce débat, d’en faire un bilan afin de vérifier que les réponses en matière de prévention, de détection et de soutien aux victimes et à leurs familles sont opérantes.
La loi a inscrit la lutte contre le harcèlement scolaire dans le code de l’éducation, ce qui permet de mieux appréhender et punir ce phénomène. Dans son article 1er, il est instauré « une information sur les risques liés au harcèlement scolaire […] délivrée chaque année aux élèves et parents d’élèves ». Comment cette mesure se traduit-elle dans les établissements scolaires et selon quels moyens ?
L’article 7 prévoit également la remise d’un rapport relatif aux frais de consultation et de soins engagés par les victimes. Monsieur le ministre, ce rapport a-t-il été produit ? Pouvez-vous nous en donner les éléments ?
Le texte prévoyait aussi la « CDIsation » des assistants d’éducation, qui constituent un des rouages d’alerte et de prévention essentiels au sein des établissements. Le décret a tardé à être pris ; bien qu’il ait été publié, certaines académies continuent visiblement à ne pas appliquer cette disposition. Monsieur le ministre, quand cette mesure sera-t-elle généralisée ?
J’aimerais également rappeler la conviction, que j’ai plusieurs fois exprimée ici, d’une revalorisation du statut des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) qui leur garantirait, entre autres, une véritable formation initiale et continue, notamment en matière de harcèlement, le handicap pouvant constituer un « motif ».
Autre avancée de cette loi, mais qui, d’après les remontées de terrain, se révèle encore insuffisante : le renforcement de la formation et de la sensibilisation de l’ensemble des personnels éducatifs. Quel est le contenu de cette formation initiale ? Qu’en est-il pour la formation continue ?
Le programme pHARe, déjà évoqué à plusieurs reprises, a été généralisé en 2022. C’est une bonne chose, mais cette généralisation a été lancée avant même le retour d’expérience des six académies tests. Or leur expertise permettrait, je le crois, d’améliorer le programme.
Je pense, par exemple, à la constitution d’une équipe d’au moins cinq personnes par collège ou par circonscription pour le premier degré. Je rappelle que ce déploiement se fait à moyens humains constants, alors que les personnels ont déjà de nombreuses missions, et même de plus en plus, à effectuer. Les suppressions de postes risquent également de fragiliser ce travail. À cet égard, vous évoquez régulièrement la baisse démographique comme justification, mais la France reste un mauvais élève en matière de taux d’encadrement en comparaison avec d’autres pays européens.
Que se passe-t-il lorsqu’un des membres de l’équipe n’est plus en poste ? Il faut recommencer tout le processus, ce qui est dommage. C’est la même chose avec les dix heures de formation pour tous les élèves du CP à la troisième : qui les assure, comment et avec quels outils ?
Lors de votre audition dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2023, nous vous rappelions, comme cela vient d’être fait, la situation critique de la médecine scolaire qui constitue, elle aussi, un maillon essentiel de la lutte contre le harcèlement. Il est de notoriété publique que les effectifs ont fondu comme neige au soleil, encore plus en milieu rural. Nous manquons de psychologues pour les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased).
Vous indiquiez alors devoir rencontrer le ministre de la santé pour envisager « une autre structuration de la médecine scolaire » et « des alternatives qui permettent de répondre aux impératifs de médecine de prévention et de détection ». Quelles sont ces alternatives ? Où en est-on du travail que vous proposiez de lancer ?
Enfin, le harcèlement scolaire a changé de dimension avec le poids pris par les réseaux sociaux, qui n’offrent aucun répit aux victimes. Les frontières de l’école sont maintenant largement dépassées et il me semble que les plateformes doivent davantage assumer leurs responsabilités.
Pourquoi ne pas avoir retenu l’idée de contraindre les réseaux sociaux à présenter régulièrement des vidéos de prévention et de sensibilisation au cyberharcèlement ?
Enfin, je voudrais revenir sur vos propos de ce matin sur l’éloignement des élèves harceleurs. Jusqu’à présent, cette mesure concernait la victime. Avez-vous consulté les associations d’élus, puisqu’il faudra l’accord du maire de la commune de l’école d’accueil ?
Je suis désolée d’évoquer une question triviale, mais cette mesure entraîne des conséquences financières, puisque la commune de résidence de l’enfant devant changer d’école doit verser une participation. Là encore, avez-vous consulté les associations d’élus sur ce point ? (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Brulin, vous avez fait allusion au programme pHARe et à la loi du 2 mars 2022 qui place la question de la formation au cœur du dispositif. De fait, nous avons intensifié les programmes de formation.
D’abord, en les systématisant au niveau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) pour les professeurs stagiaires ou pour les conseillers principaux d’éducation (CPE) stagiaires.
Ensuite, en organisant des séminaires nationaux avec des déclinaisons académiques pour former les formateurs, si je puis dire, afin que les choses se diffusent au niveau des écoles et des établissements. Le processus est lent, car il y a beaucoup de personnels à former sur le sujet : cinq personnes par établissement scolaire du côté du secondaire et cinq personnes par circonscription du côté du primaire. Nous menons ce travail sur plusieurs années.
En parallèle, il faut organiser la sensibilisation des familles : cette mesure est importante, car elles ont un rôle à jouer. En début d’année scolaire, nous insistons sur le fait que les écoles et les établissements doivent en particulier sensibiliser les familles aux numéros téléphoniques 3020 et 3018.
Vous avez fait allusion à la médecine scolaire : je l’ai dit, nous attendons le rapport des trois inspections générales avant de faire des propositions. Je serai heureux de venir en parler devant vous, si vous le souhaitez.
Quant aux plateformes, je suis d’accord avec vous : elles doivent être responsabilisées. Nous avons d’ailleurs eu un échange sur cette question lors de la visite de la plateforme du 3018.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Toine Bourrat applaudit également.)
M. Jean Hingray. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la communauté éducative est démunie. Elle est démunie, car elle est affaiblie par un phénomène incompris de tous, pourtant bien présent : le harcèlement. Aujourd’hui, le harcèlement scolaire fracture notre jeunesse, endeuille nos familles et brise notre République.
En s’attaquant à notre République, aussi dépassée que désarmée, le harcèlement remet en question sa légitimité, une légitimité pourtant construite au travers des siècles, de Napoléon à Jules Ferry, en passant par Julie-Victoire Daubié. L’école républicaine, de par sa capacité à s’adapter aux circonstances, parfois aux crises, a toujours su aller de l’avant. Mais aujourd’hui, cette légitimité est menacée par la souffrance de millions d’élèves.
Mes chers collègues, il est difficile de comprendre la nature humaine, la psychologie et les rapports de force qui s’opèrent entre les élèves. Nous observons, avec tristesse et colère, les conséquences funestes de ces abus.
Près de 1 million d’enfants subissent des faits de harcèlement scolaire en France. En 2021, vingt-deux enfants ont fait le choix de renoncer, de la pire des manières. Vivant une souffrance insupportable, ils n’avaient plus la force de vivre ; ils ont alors fait le choix de ne plus souffrir.
Nous constatons avec regret la faible prise en charge de notre système éducatif dans la résolution de ce phénomène. Difficilement cernable, le harcèlement prend plusieurs formes – moral, physique, sexuel. Et n’oublions pas le racket.
Le harcèlement, d’une manière générale, est un phénomène qui s’accroît et se complexifie avec les réseaux sociaux. Le semblant d’anonymat qu’il permet, la tendance à suivre les effets de meute et la volonté de se distinguer du groupe font de ces réseaux le lieu propice et privilégié du harcèlement.
Le harcèlement scolaire est partout. De l’école à la maison, en passant par les transports en commun – 50 % des collégiens se plaignent d’ailleurs de violences dans les transports.
Les effets de groupe ont longuement été étudiés et font consensus dans la communauté scientifique. Il y a un leader, des suiveurs, des actifs et des passifs. Ce sont ces mêmes passifs qui, parfois, se trouvent au sein même du corps enseignant, lequel est censé écouter et prendre des mesures, et qui finissent par ne pas agir ou par agir trop tard.
Le harcèlement est l’un des principaux fléaux de notre système éducatif. Les victimes et leurs familles sont parfois confrontées à une parole qui est certes entendue, lorsqu’ils en ont la chance, mais qui n’est pas considérée.
Mes chers collègues, à quoi bon entendre lorsque nous refusons d’écouter ? Il est difficile de reconnaître une situation dans laquelle un élève est harcelé. Le harceleur agit de façon cachée et les formes que peut prendre ce phénomène sont souvent interprétées comme de simples chamailleries d’enfants. Les adultes ne s’attardent pas toujours ou pas assez sur certains phénomènes de microviolence : ils sont considérés comme banals, voire « normaux », entre jeunes et moins jeunes.
Nous assistons à une perte de confiance de plus en plus grande entre parents, élèves et éducation nationale. Et que dire des délais de traitement trop longs au sein des établissements ? Le délai doit donc être défini clairement, afin de ne pas laisser les familles et les victimes en suspens pendant des mois, au cours desquels le harcèlement perdure ou s’intensifie.
La prise en charge des signalements au sein des établissements reste floue : les procédures de signalement ne sont pas harmonisées ; à certains égards, elles sont même inadaptées.
Je le répète, nous sommes face à un phénomène profondément humain, qui mérite une réponse de l’État.
Il faut aussi reconnaître les avancées en la matière. L’éducation nationale s’est dotée de moyens considérables pour lutter contre le harcèlement scolaire. Le programme pHARe a le mérite d’exister, même s’il demeure insuffisant. Il rend les élèves acteurs de la lutte contre le harcèlement, sur la base du volontariat. La procédure semble en apparence louable.
Voilà deux mois, je vous ai interpellé au sujet du suicide du petit Lucas. À la suite de cette intervention, deux familles de mon département, les Vosges, m’ont contacté pour me faire part d’une faille notoire, qui se transforme en cauchemar pour les victimes.
Les élèves harceleurs, animés par une soif de domination, intègrent le programme pHARe qui, je le rappelle, est censé protéger les victimes. Que se passe-t-il, monsieur le ministre ? Il n’est plus question de prévention, il faut des réponses concrètes. Il est nécessaire de responsabiliser des établissements en matière de harcèlement. Nous devons faire de l’école un lieu de vivre ensemble exemplaire.
La prise en charge de la victime est fondamentale, prioritaire. Il faut en même temps encadrer efficacement les harceleurs. De nombreuses méthodes existent pour prendre en charge le harcèlement. Je pense notamment aux méthodes Farsta, No Blame Approach et Pikas. Monsieur le ministre, quelle est la vôtre ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Hingray, au fond, deux écueils doivent être évités : celui de dire que rien ne change dans l’éducation nationale et que ce dont on parle n’est que du vent et, à l’inverse, celui d’expliquer que le programme pHARe et les dispositions prises ces dernières années auraient miraculeusement tout changé.
Nous avançons sur le chemin et je reconnais avec humilité devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons du travail à réaliser ensemble pour réduire ce phénomène catastrophique qu’est le harcèlement.
La formation des enseignants et des adultes dans les établissements et dans les écoles est une mesure très importante. Toutefois, comme je l’ai souligné, cela prend du temps compte tenu de la masse des personnes à former. Néanmoins, j’observe tout de même une prise de conscience dans les communautés éducatives que l’on n’observait pas voilà quelques années.
Les délais de traitement sont peut-être longs, trop longs, mais méfions-nous à l’inverse des procédures expéditives. En la matière, les chefs d’établissement ou les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) peuvent prendre des mesures de sauvegarde par lesquelles un élève harceleur est temporairement écarté sans préjuger de la suite de la procédure.
En dépit de la démarche pédagogique qui sous-tend le programme pHARe et qui est essentielle – j’insiste sur ce point –, il faut également envisager des sanctions. Celles-ci font partie de la pédagogie, qu’elles se traduisent par un conseil de discipline ou, dans le premier degré, par le transfert de l’élève harceleur selon une procédure que nous voulons mettre en place par voie réglementaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Hingray, pour la réplique.
M. Jean Hingray. Monsieur le ministre, j’entends vos propos sur le travail que vous avez entamé, à partir notamment des préconisations du Sénat. Vous l’avez souligné, ce travail sera long.
Je le redis, à la suite de mon interpellation sur le suicide du petit Lucas, deux familles des Vosges sont venues me voir. La Dasen nous a aidés – vous avez évoqué cette possibilité. Le travail que nous menons collectivement doit faciliter la sensibilisation et la prise de conscience des familles, mais je suis étonné, voire choqué, qu’on sollicite un parlementaire pour des problèmes internes à l’éducation nationale.
Vous avez évoqué les sanctions dans votre propos conclusif : je suis tout à fait d’accord, les sanctions doivent être renforcées. Je reprendrai une phrase d’un de vos collègues ministres : il faut être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants !
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 janvier dernier, Lucas, âgé seulement de 13 ans, a mis fin à ses jours. Si les causes directes de son passage à l’acte restent encore à confirmer, les conséquences du harcèlement scolaire dont il a été victime pendant des mois ne peuvent être niées.
Comme lui, chaque année, plus de 800 000 enfants souffrent de harcèlement scolaire et 26 % d’entre eux ont des idées suicidaires. Ainsi, 77 % des jeunes déclarent avoir subi des violences à l’école, qu’elles soient morales ou physiques. Les conséquences psychologiques de ce que trop considèrent comme de simples railleries subies pendant l’enfance sont multiples : perte de l’estime de soi, tendance dépressive, vulnérabilité relationnelle que ce soit dans un contexte professionnel, relationnel ou amoureux.
À un âge auquel ces enfants manquent encore de discernement et auquel très peu parviennent à parler de ce qu’ils subissent, le soutien des services scolaires est d’une nécessité évidente. Comment expliquer l’escalade de violences qu’a subies le petit Farès il y a quelques semaines ? Comment expliquer que sa mère n’ait même pas été prévenue par la direction de l’établissement scolaire ?
Il y a urgence à mettre en place des protocoles adaptés afin de déceler au plus tôt ces situations et d’éviter que de nouveaux drames ne se produisent. Mais il ne faut pas oublier que le harcèlement scolaire ne commence ni ne cesse aux portes des écoles : la rue et les réseaux sociaux sont également un lieu de calvaire pour des milliers de jeunes.
Certes, des peines sont prévues pour les auteurs de harcèlement scolaire. Mais ces enfants en ont-ils seulement conscience ? Face à la hausse des cas, le programme pHARe, des grilles d’évaluation du danger, un numéro d’écoute et d’aide sur le harcèlement sont-ils suffisants ? Les initiatives de certains établissements et collectivités sont louables. À l’heure où la sensibilisation des enfants doit être une priorité, ces violences ne doivent plus être ignorées ni banalisées.
Monsieur le ministre, vous assurez que la prévention et la lutte contre le harcèlement entre élèves constituent l’une de vos priorités. Les enseignants doivent plus que jamais être préparés et attentifs, les parents alertés, afin que l’école puisse redevenir un lieu d’ouverture d’esprit dans lequel chaque enfant, quel qu’il soit, puisse s’épanouir sans entrave.