M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Nous allons procéder au débat, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, nous nous retrouvons pour la remise du rapport public annuel de la Cour au Parlement.
L’exercice est traditionnel, mais il présente des nouveautés, puisque cette édition est consacrée à un bilan de quarante ans de décentralisation. Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut que se réjouir d’un tel choix thématique, qui suscitera – j’en suis sûr – de nombreuses observations de la part de mes collègues.
Avant d’aborder le thème de la décentralisation, je note que le rapport conserve une tradition : celle de consacrer sa première insertion à la situation de nos finances publiques.
La Cour rappelle ainsi que la croissance s’est élevée à 2,6 % en 2022 et estime qu’elle devrait s’établir à seulement 0,5 % en 2023, soit en dessous de l’hypothèse gouvernementale de 1 %. Ces chiffres traduisent clairement le ralentissement de notre économie.
Le déficit public atteindrait 5 % du PIB en 2023 et la dette publique 111,2 % du PIB. Les dépenses publiques ont, certes, progressé sous l’effet de l’inflation et des mesures de soutien à l’économie et aux ménages, ce qui explique en partie ces chiffres, mais, comme le note aussi la Cour, entre 2019 et 2023, les baisses discrétionnaires de prélèvements obligatoires ont représenté à elles seules un point de déficit public.
Le projet de loi de programmation des finances publiques n’a toujours pas été adopté par le Parlement. La Cour note que celui-ci repose sur des hypothèses macroéconomiques très optimistes et estime, rejoignant ainsi la majorité sénatoriale, qu’il n’est pas suffisamment ambitieux en matière de baisse des dépenses.
Je formule le vœu que la Cour tire aussi les enseignements de ses constats sur les prélèvements obligatoires pour observer a minima que le projet de loi de programmation ne repose que sur une jambe, celle de la maîtrise des dépenses, sans jamais interroger le volet recettes. Nous aurons à en reparler dans les semaines et les mois à venir.
Je souhaite à présent évoquer le bilan que dresse la Cour de la décentralisation.
Le rapport montre que si les dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités territoriales ont augmenté depuis le premier acte de la décentralisation, cette hausse s’explique par les transferts successifs de compétences et la recherche d’amélioration des services publics.
La Cour reconnaît par exemple que la décentralisation a permis d’améliorer les conditions matérielles d’accueil des élèves dans les collèges – on pourrait aussi parler des écoles et des lycées –, même si les départements sont désormais confrontés aux enjeux de rénovation du bâti scolaire, notamment en matière d’efficacité énergétique : cette question est précisément l’objet d’une mission d’information du Sénat dont les travaux viennent d’être lancés.
La Cour note aussi le dynamisme territorial du spectacle vivant. Ses observations rejoignent celles des rapporteurs spéciaux de la commission des finances. Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, ces derniers regrettaient l’absence de réflexion sur la pertinence de l’action de l’État en faveur de la création dans les territoires, qui pourrait s’apparenter à un renouvellement automatique des aides habituellement versées, à l’image d’une dépense de guichet.
De manière générale, qu’il s’agisse de l’appui au développement économique dans les territoires, de la gestion de l’eau ou des déchets ou encore des politiques sociales, sujet sur lequel nos collègues rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » se sont largement penchés – la commission des affaires sociales a fait de même –, la Cour appelle à la clarification des compétences non seulement entre collectivités, mais aussi avec l’État.
Globalement, le poids des dépenses locales dans le PIB demeure inférieur à la moyenne européenne. Comme le souligne la Cour, la France reste finalement un pays peu décentralisé.
Pour en venir plus précisément aux finances locales, qui font l’objet d’un développement spécifique, le principal enjeu me semble résider moins dans le niveau des dépenses des collectivités que dans le mode de financement, ce dernier apparaissant de plus en plus inadapté.
En effet, la substitution progressive aux ressources provenant de la fiscalité locale de parts d’impôts nationaux a distendu le lien qui existait entre les collectivités territoriales, pourvoyeuses de services à la population et aux entreprises, et ces derniers. Les dotations de l’État sont trop complexes et leur effet péréquateur est insuffisant. Le dispositif actuel manque de prévisibilité et de lisibilité pour les élus comme pour les citoyens.
Les constats du rapport public rejoignent ceux de l’enquête de la Cour sur les scénarios de financement des collectivités territoriales demandée par la commission des finances en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). J’ai beaucoup apprécié ce travail et je crois que les différents scénarios doivent être poussés au maximum. Ces constats sont partagés par l’ensemble des acteurs, élus locaux et parlementaires.
La question qui doit désormais être posée est celle des mesures à mettre en œuvre. Or nombre de sujets à trancher ne sont pas consensuels et mériteront dans les mois à venir d’être étudiés par le Sénat pour tracer des pistes concrètes : la frontière entre autonomie fiscale et financière et la place qui doit être faite à la première ; les modalités de compensation des transferts de compétences et des réformes de la fiscalité locale, la compensation au coût historique n’étant pas soutenable dans certains domaines et pour certains territoires ; le dynamisme des recettes qui doit être envisagé au regard de celui des charges. Aujourd’hui, le mode de financement des collectivités est trop souvent décorrélé de leurs charges et, plus fondamentalement, des missions qu’elles exercent et de la qualité des services publics.
La question de l’éventuelle contribution des collectivités au redressement des finances publiques ne pourra être posée qu’une fois ces questions préalablement tranchées.
Par ailleurs, il me semble indispensable d’avoir une approche différenciée de la situation financière des collectivités. La Cour souligne de manière régulière la bonne santé financière des collectivités, mais les écarts entre catégories de collectivités et au sein d’une même catégorie sont trop importants pour ne pas être pris en compte.
En conclusion, le temps qui m’est imparti est trop court pour commenter l’ensemble des contributions particulièrement riches de ce rapport, qui se penche sur sept politiques sectorielles. Il n’est pas possible de porter une appréciation sur les nombreuses recommandations formulées par la Cour, qui dépassent largement l’analyse purement financière. La commission des finances, par ses rapporteurs spéciaux, qui suivent chacune des politiques publiques, tirera – soyez-en sûr, monsieur le Premier président – le meilleur profit de ces contributions, sur des sujets souvent abordés au moment de l’examen des projets de loi de finances. (MM. Thierry Cozic et Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, j’ai pris connaissance avec grand intérêt du rapport annuel que la Cour a publié le 10 mars dernier.
Comme de coutume, ce rapport fait tout d’abord un point sur la situation d’ensemble des finances publiques, point qui se révèle de nouveau assez alarmiste.
La Cour souligne ainsi le caractère dégradé de nos finances publiques, aussi bien dans l’absolu que par rapport à la situation antérieure à la crise et par rapport à nos voisins européens. Elle pointe un risque de divergence entre plusieurs groupes de pays, la France appartenant à celui des pays les plus endettés et aux déficits les plus élevés.
À partir de ce constat, elle appelle à un plus grand effort de maîtrise des dépenses publiques. Comme vous l’observez, monsieur le Premier président, la sphère sociale a déjà agi en la matière, au travers de la réforme de l’assurance chômage et, plus récemment, de la réforme des retraites. Nous pourrons à l’avenir avoir des échanges, afin de déterminer si c’est toujours dans le domaine des finances sociales que vous distinguez des axes prioritaires de maîtrise de la dépense publique.
En dehors de ce chapitre traditionnel, le rapport annuel prend la forme d’un bilan thématique consacré à la décentralisation, quarante ans après les lois Defferre.
Il s’agit évidemment d’un sujet auquel le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut qu’être sensible.
Je me suis tout particulièrement intéressée au chapitre relatif aux politiques sociales décentralisées.
Les politiques de solidarité, dont le département est chef de file, représentent un volet important de la décentralisation, avec pour philosophie de mettre en œuvre les dispositifs destinés aux publics vulnérables au plus près de leurs bénéficiaires. Les attributions des départements s’adressent principalement à quatre catégories de publics : l’enfance en danger ; les personnes en situation de pauvreté ou de précarité ; les personnes âgées dépendantes ; les personnes en situation de handicap.
Ces politiques s’organisent notamment autour de prestations monétaires dont les caractéristiques principales sont définies à l’échelle nationale : le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Les départements doivent consacrer une part croissante de leurs dépenses de fonctionnement à ces allocations individuelles de solidarité, et leur reste à charge s’est creusé du fait de l’inadaptation des mécanismes de financement au dynamisme de ces dépenses.
Dès l’origine, ces politiques ont souffert de la tension entre le caractère nécessairement national de la solidarité, corollaire du principe d’égalité, et la libre administration des collectivités territoriales dans l’exercice de leurs compétences. Cette tension reste à ce jour irrésolue, ce qui a des conséquences sur l’efficacité des politiques et la qualité du service rendu aux usagers, et explique que la décentralisation n’ait pas tenu toutes ses promesses.
La Cour met en évidence les enjeux de coordination qui résultent de la pluralité des intervenants : les départements, l’État, mais aussi le bloc communal, avec les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, la sécurité sociale, notamment ses branches famille et autonomie, et le service public de l’emploi. Ces acteurs interviennent indépendamment les uns des autres et le rôle de chef de file du département est, en réalité, peu opérant.
La Cour des comptes formule ainsi des recommandations visant à rationaliser le déploiement des politiques sociales dans les départements, à en améliorer les outils de gestion et à en réformer le financement.
En matière d’insertion et de lutte contre la pauvreté, le projet France Travail du Gouvernement vise à répondre à une partie des préoccupations de la Cour, en associant les régions et les départements autour du service public de l’emploi. Ce sera l’un des enjeux du projet de loi pour le plein emploi que le Gouvernement a annoncé pour l’été prochain. La commission des affaires sociales sera particulièrement attentive aux ambitions exprimées dans cette réforme en matière d’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Ces dernières années, l’État a fait preuve d’une volonté de s’engager davantage dans l’animation de ces politiques, voire d’en recentraliser certains pans, à l’image de l’expérimentation du transfert à l’État, dans quelques départements volontaires – soumis, il est vrai, à de fortes contraintes financières –, du financement et de la gestion du RSA.
Une démarche de contractualisation entre l’État et les départements a été mise en œuvre dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance.
Par ailleurs, après avoir renoncé à son projet de revenu universel d’activité, le Gouvernement a récemment lancé plusieurs chantiers concomitants dont la cohérence ne se dégage pas encore avec clarté, comme le « RSA sous conditions » et le projet de « solidarité à la source », qui doivent donner lieu cette année à des expérimentations dans plusieurs territoires. J’indique que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) conduira en parallèle une étude des conditions préalables à la mise en place de la solidarité à la source et de ses implications.
Il apparaît donc que nous n’avons pas fini de tâtonner à la recherche de la bonne formule en matière de décentralisation des politiques de solidarité. En tout état de cause, il est indispensable que les collectivités intéressées soient associées à la conception de l’architecture de ces politiques.
Je conclurai mon propos en remerciant la Cour des comptes de la qualité de ses travaux et des éclairages qu’ils nous apportent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Alain Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la Cour a publié son rapport annuel ; c’est un moment important de notre vie démocratique, qui gagnerait d’ailleurs à plus en tenir compte.
Le Sénat débat aujourd’hui de ce rapport. Il en partage les constats, mais ne peut pas s’associer aux termes employés concernant la limitation du nombre de communes, alors que nous avons besoin de davantage de décentralisation. J’y reviendrai.
Le constat de la situation extrêmement dégradée des finances publiques de notre pays est posé dans cet hémicycle depuis déjà plusieurs années. On ne peut que saluer la clarté de vos propos sur le sujet, monsieur le Premier président : « La France ne peut pas continuer sur cette voie, qui la distingue de ses partenaires européens. » Il nous faut impérativement agir, faute de quoi tout cela pourrait se terminer très mal.
En détail, que dites-vous ?
Incontestablement, la situation de nos finances publiques est l’une des plus dégradées au sein de l’Union européenne. Alors que nous étions entrés dans la crise déjà affaiblis, le Gouvernement a fait le choix, à partir de 2020, de mettre en œuvre diverses mesures pour soutenir les ménages et les entreprises face aux effets de la crise sanitaire, mesures prolongées par des dépenses de relance dès l’automne 2020. Le poids de ces engagements a progressivement décru, mais ils restent significatifs : 37,5 milliards d’euros en 2022, 12,5 milliards en 2023.
À ces mesures de soutien sont venues s’en ajouter d’autres, destinées à atténuer l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie ; celles-ci, vous l’avez rappelé, pèseraient sur nos finances à hauteur de plus de 25 milliards d’euros en 2022 et de 36 milliards en 2023. Nous ne pouvons pas continuer sur cette voie ! Alors que l’année 2023 aurait dû être marquée par la fin du « quoi qu’il en coûte », nous continuons à mettre en œuvre des mesures, insuffisamment ciblées, dont nous n’avons plus les moyens.
Le résultat, c’est un déficit public qui, après avoir culminé à 6,5 % du PIB en 2021, devrait encore atteindre 5 % du PIB en 2023 comme en 2022. Quant à la dette publique, elle dépassera 111 % du PIB à la fin de l’année : c’est 14 points au-dessus de son niveau d’avant-crise.
Si l’on remonte à l’entrée dans l’euro – vous en avez parlé tout à l’heure, monsieur le Premier président –, l’endettement de l’Allemagne a augmenté de 10 points de PIB, celui de l’Italie de 40 et celui de la France de 55. Nous divergeons incontestablement de la courbe de nos partenaires, et cela nous affaiblit. Un désendettement maîtrisé est impératif pour assurer la soutenabilité de notre dette publique. Certes, son taux est encore arrimé à celui de l’Allemagne, mais pour combien de temps ? C’est le premier enjeu de souveraineté !
Hors dépenses exceptionnelles, la hausse de nos dépenses atteint 3,5 % en 2022 ; elle sera encore de 0,7 % en 2023. Rappelons que l’objectif était de 0,6 % par an jusqu’en 2027 : on en est donc loin ! Le budget pour 2024 devra donc être plus exigeant sur ce front que celui de 2023.
À 58 % du PIB, la France a le taux de dépenses publiques le plus élevé de la zone euro. Pour autant – c’est à la fois un paradoxe, une incompréhension et une difficulté démocratique –, cela ne s’accompagne pas d’un haut niveau ressenti de performance des services publics. En outre, un pays endetté à l’excès ne peut pas financer la préparation de son avenir.
Notons que l’endettement des collectivités territoriales est, quant à lui, très faible – moins de 9 % de l’ensemble –, confirmant que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faudra accomplir l’essentiel des efforts. Il faudra des milliards pour la transition environnementale et énergétique, pour combler notre retard en matière d’innovation et de recherche, pour renforcer notre politique industrielle ou encore notre système hospitalier. Tout cela, le pays en a besoin. Mais aujourd’hui, il ne s’en donne pas les moyens. La fuite en avant n’est plus possible !
De plus, la trajectoire prévue par le Gouvernement est à la fois trop optimiste et trop peu ambitieuse. Pour la période 2023-2027, même après le rejet du projet de loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement retient un rythme de croissance potentielle de 1,35 % par an. C’est au-dessus du consensus, ce qui signifie que ses prévisions sont fragiles et que le moindre accroc remettrait en cause le passage sous la barre des 3 % à la fin du quinquennat. Mais il est également peu ambitieux de vouloir revenir tout juste sous 3 % en 2027, alors que la quasi-totalité des pays de la zone euro devraient repasser sous cette barre dès 2025. Nous sommes en train de décrocher sur le front du déficit et de la dette, et cela va finir par se voir.
Il y a trois leviers pour réduire les déficits, comme vous le rappelez utilement dans votre rapport, monsieur le Premier président.
Le premier consiste à espérer que cette réduction provienne essentiellement de la croissance. Renforcer celle-ci y contribue évidemment, et c’est pour cela qu’il nous faut investir. Mais nous entrons dans une période de croissance modérée, et ce levier ne sera pas suffisant.
Le deuxième consiste à augmenter les impôts. C’est particulièrement compliqué dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà très élevés – 45 % – et où le consentement à l’impôt est faible.
La troisième voie consiste à maîtriser intelligemment les dépenses. Il faut commencer par là. Il faut insister sur la qualité de la dépense publique. C’est le chemin dans lequel nous voulons nous engager.
La décentralisation constitue le thème de votre rapport annuel, à l’occasion des quarante ans de celle-ci. Je veux vous remercier de les avoir salués, car qui en parle ? Voilà bien un anniversaire oublié au pays des commémorations…
Avec un poids relatif de la dépense publique locale très modéré – 19 % de l’ensemble, alors que la moyenne européenne se situe à 34 % –, nous restons un pays marqué par notre tradition centralisatrice. La décentralisation est un mouvement historique qui doit être non pas remis en cause, mais remis sur pied, consolidé.
On peut surtout parler d’un essoufflement de la décentralisation et de contradictions qui ne sont pas propices à la meilleure efficacité de l’action publique, comme vous le soulignez dans votre rapport. Plusieurs réformes de l’organisation territoriale ont été menées depuis 2010, sans rien clarifier, sans marquer une vraie décentralisation politique aboutie. Les faiblesses de la décentralisation sont en partie dues au brouillage des compétences entre État et collectivités.
Il faut lancer un nouvel acte de la décentralisation qui clarifie la répartition des compétences, avec une véritable liberté locale quant à leur exercice, et veille à doter chaque échelon des moyens requis pour assumer ces compétences.
Le Sénat s’y emploie, sur l’initiative du président Larcher, qui a mis en place un groupe de travail dont les propositions seront rendues d’ici à la fin du printemps.
Oui, il convient de redéfinir le mode de financement des collectivités territoriales comme vous le préconisez. Vous avez présenté à cette fin des orientations devant notre commission des finances.
Oui, il convient de garantir l’autonomie financière, voire fiscale, des collectivités et d’en moderniser la gouvernance.
Oui, il convient de garantir la commune comme socle démocratique de notre pays, qui coûte peu et assure le lien de proximité, tellement indispensable, que beaucoup s’emploient à distendre, voire à rompre depuis bien des années.
Dès lors, non à la réduction autoritaire du nombre de communes, qui remplissent une mission essentielle pour un coût modique. Au contraire, il faut les renforcer. Ce n’est pas seulement affectif ; c’est efficace !
M. Guillaume Chevrollier. Très bien !
M. Stéphane Sautarel. Fort de ces constats, j’avance cinq pistes que nous pourrions explorer et mettre en œuvre dès le projet de loi de finances pour 2024, avant de réformer et de réduire notre fiscalité : réduire significativement la dépense fiscale et sociale ; engager une revue des dépenses publiques permettant de limiter la dépense inefficace ou injustifiée ; débureaucratiser et différencier les approches, et limiter la place de l’administration administrante ; s’engager à mettre en place une règle d’or, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance européenne ; décentraliser vraiment.
Décentraliser vraiment, on le fera en donnant pouvoir, moyens et liberté locale aux collectivités ; en recentrant l’État sur ses seules dépenses régaliennes ; en imposant des blocs de compétences exclusives et une autonomie fiscale pour chaque échelon de collectivités ; en engageant une véritable politique d’aménagement du territoire qui s’attaque à la rénovation de nos infrastructures et, plus largement, confronte les enjeux de l’eau et de la mobilité.
Nul doute que nous aurons à proposer, au sein de mon groupe, de la commission des finances et du Sénat tout entier, des pistes adossées à vos travaux ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport de la Cour des comptes agit chaque année comme une piqûre de rappel : il nous renvoie à la situation très dégradée de nos finances publiques. Ce n’est pas seulement la photographie à la date d’aujourd’hui qui doit nous alerter ; c’est aussi le film de la dernière décennie.
La photographie, d’abord, c’est un déficit à 5 % du PIB et une dette de 3 000 milliards d’euros : la situation demeure très préoccupante. Certes, le Gouvernement était parvenu à sortir le pays de la procédure pour déficit excessif avant la crise sanitaire. Mais le retour dans les clous de Maastricht, conformément à nos engagements européens, n’est pas envisagé avant 2027.
Le film de la dernière décennie, ensuite. Depuis 2010, la dette publique de la France est passée de 85 % du PIB à plus de 110 % aujourd’hui, alors que l’Allemagne, qui en était au même point que nous, a su ramener sa dette à 70 % de son PIB dans le même intervalle. Le décrochage d’avec nos voisins allemands se creuse et nuit à notre crédibilité sur la scène européenne.
Au fond, il n’y a qu’une explication valable pour ce décrochage. La dépense publique n’a jamais cessé de croître, et elle a toujours crû plus vite que les recettes.
Je ne fais pas ici allusion à la période de crise sanitaire. Le « quoi qu’il en coûte » était nécessaire pour préserver nos entreprises et nos emplois. Mais cette parenthèse est close, et nous devons désormais remettre de l’ordre dans nos comptes.
C’est pourquoi je salue la décision du Gouvernement d’engager une vaste revue des politiques publiques, afin d’identifier les économies possibles dans chaque domaine de l’action publique. Cette analyse est nécessaire pour que nous tenions l’objectif d’un déficit à 3 % du PIB en 2027.
Il est bien logique que les collectivités territoriales soient intégrées à cette vaste revue globale. Il en faudrait plus pour effrayer les élus locaux, eux qui sont tenus de présenter, chaque année, des comptes à l’équilibre. Cependant, il me paraît important de rappeler quelques vérités, afin de ne pas se tromper de problème. À cet égard, le bilan dressé des quarante années de décentralisation dans le présent rapport annuel est éclairant.
D’abord, le rapport relève que la part qu’occupent les dépenses locales dans l’ensemble des dépenses publiques a augmenté au cours des quarante dernières années. Elles représentaient 8 % du PIB en 1980, contre 11 % aujourd’hui. Toutefois, cette augmentation apparaît bien limitée si on la met en regard de toutes les compétences qui ont été transférées de l’État aux collectivités.
Ensuite, il y est rappelé que la France reste un pays très centralisé. Globalement, la part des dépenses locales dans le PIB demeure en France inférieure à la moyenne européenne, qui se situe à 18 % du PIB.
De ces deux constats, on peut tirer plusieurs conclusions, dont certaines diffèrent de celles auxquelles la Cour des comptes a abouti.
Ainsi, il est clair que l’augmentation des dépenses publiques locales n’explique que très marginalement l’augmentation des dépenses publiques globales. Il faut se rendre à l’évidence : nous ne rétablirons pas les finances publiques en contraignant davantage les collectivités locales.
De même, ce n’est pas en recentralisant certaines compétences que nous améliorerons la qualité des services publics. Théoriquement, on peut imaginer que la centralisation permette de réaliser des économies d’échelle. Pourtant, si tel était le cas, la France ne serait pas un pays à la fois très centralisé et très dépensier.
Le groupe Les Indépendants a toujours promu la réduction des dépenses publiques. Nous sommes convaincus qu’une plus forte décentralisation doit contribuer à l’atteinte de cet objectif.
En effet, c’est en donnant plus de responsabilités aux acteurs locaux qu’on les rendra plus vigilants quant à l’utilisation des deniers publics. Il faut rapprocher l’endroit où la décision est prise de celui où elle est appliquée. Il faut rapprocher le décisionnaire du bénéficiaire pour améliorer la qualité des services publics.
Je l’ai dit : le rapport annuel de la Cour des comptes est éclairant à bien des égards. Mais la préservation des libertés locales ne doit pas être tranchée selon le seul angle budgétaire. Bien souvent, la respiration démocratique échappe aux chiffres.
C’est pourquoi nous considérons qu’il faut poursuivre la trajectoire de décentralisation, à la fois pour dynamiser les territoires et pour réduire les dépenses publiques. (M. Alain Richard applaudit.)
(Mme Laurence Rossignol remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)