Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Marie Mercier, M. Jean-Claude Tissot.

1. Procès-verbal

2. Questions d’actualité au Gouvernement

réforme des retraites (i)

M. Guillaume Gontard ; Mme Élisabeth Borne, Première ministre ; M. Guillaume Gontard.

contribution sur les profits des entreprises

Mme Colette Mélot ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; Mme Colette Mélot.

guichet unique pour les entreprises

M. Serge Babary ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Serge Babary.

rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (I)

M. Jean-François Longeot ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

réforme des retraites (ii)

Mme Michelle Gréaume ; M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ii)

M. Julien Bargeton ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.

déclarations du président de la république

Mme Laurence Rossignol ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

affichage environnemental des produits agricoles

Mme Guylène Pantel ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

zéro artificialisation nette

M. Jean-Baptiste Blanc ; Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité ; M. Jean-Baptiste Blanc.

suites données au projet de loi relatif à l’immigration

M. Jean-Yves Leconte ; M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer ; M. Jean-Yves Leconte.

épreuves de médecine annulées

M. Antoine Lefèvre ; M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention ; M. Antoine Lefèvre.

vague de démissions des élus municipaux

M. Jacques Le Nay ; M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement ; M. Jacques Le Nay.

situation dans le haut-karabagh

M. Philippe Pemezec ; Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

projet de fusion de l’autorité de sûreté nucléaire et de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

Mme Angèle Préville ; Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique.

visa consulaire pour les algériens

M. Damien Regnard ; Mme Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères ; M. Damien Regnard.

prix de l’essence

M. Pierre-Antoine Levi ; M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie ; M. Pierre-Antoine Levi.

Suspension et reprise de la séance

3. Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat

M. le président

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

M. Claude Raynal, président de la commission des finances

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales

M. Stéphane Sautarel

M. Jean-Louis Lagourgue

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

M. Daniel Breuiller

M. Georges Patient

M. Thierry Cozic

M. Pascal Savoldelli

M. Michel Canévet

M. Christian Bilhac

M. Pascal Allizard

Mme Isabelle Briquet

M. Jean-Marie Mizzon

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes

4. Mise au point au sujet d’un vote

5. Candidatures à une commission mixte paritaire

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Marie Mercier,

M. Jean-Claude Tissot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Questions d’actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.

J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, au respect, qu’il s’agisse du respect des uns et des autres ou de celui du temps de parole.

réforme des retraites (i)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

M. Guillaume Gontard. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.

Le prince-président (Exclamations sur les travées du groupe RDPI.) nous a gratifiés à l’heure méridienne de sa bonne parole.

Totalement hors-sol, il a annoncé continuer à avancer à marche forcée.

Totalement hors-sol, il a osé comparer l’un des plus grands mouvements populaires de notre histoire à la sédition factieuse des suprémacistes blancs envahissant le Capitole.

Totalement hors-sol, il a insulté les manifestantes et les manifestants, sans avoir un mot pour condamner les exactions de la police (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui, sous vos ordres, tabasse, nasse, jette des grenades en pleine tête, roule à moto sur les gens, intimide et arrête n’importe qui, n’importe quand, sous le regard alarmé du Défenseur des droits. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Totalement hors-sol et plus à une incohérence près, il a tout de même reconnu que cette réforme était brutale et, surtout, qu’elle ne s’intéressait ni à la réalité du travail, ni à la pénibilité, ni aux fins de carrière, ni aux reconversions.

Madame la Première ministre, avec gravité, avec inquiétude, nous vous le demandons solennellement : revenez à la réalité et retirez cette réforme avant d’avoir un drame sur la conscience. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur Guillaume Gontard, après des semaines où l’on a pu voir beaucoup de postures, il est temps de rappeler quelques vérités. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.)

Oui, cette réforme est nécessaire pour assurer l’avenir de nos retraites. (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

M. Hussein Bourgi. N’importe quoi !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Sans elle, les déficits s’accumuleraient et nous serions contraints à des hausses d’impôts ou à des baisses de pensions, au détriment des plus modestes et des classes moyennes.

Oui, cette réforme a fait l’objet de concertations intenses. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.) Depuis l’automne dernier, le ministre du travail Olivier Dussopt et moi-même avons rencontré les organisations syndicales et patronales et les groupes parlementaires à de nombreuses reprises. Le projet a d’ailleurs considérablement évolué grâce à ces concertations.

M. Hussein Bourgi. Grâce à M. Retailleau !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Oui, cette réforme est le fruit d’un débat parlementaire long et dense : il a donné lieu à plus de 175 heures de débats en séance et un accord a été trouvé en commission mixte paritaire.

Oui, le compromis fonctionne. Nous avons travaillé ensemble, bâti un projet qui reprend des propositions que la majorité sénatoriale prônait parfois depuis longtemps, mais aussi des idées qui n’étaient pas les vôtres, issues de l’Assemblée nationale. Ce projet, vous l’avez adopté par deux fois à une large majorité. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)

M. David Assouline. C’est la méthode Coué !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. À cet égard, je tiens à saluer les membres de la majorité sénatoriale et ceux qui soutiennent l’action du Président de la République pour leur engagement au service de notre modèle social. (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Enfin, oui, nous avons respecté l’esprit et la lettre de la Constitution et nous sommes arrivés au terme du cheminement parlementaire de cette réforme.

En revanche, non, on ne peut pas brader l’intérêt général…

Mme Cécile Cukierman. C’est pourtant ce que vous faites !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … par démagogie ou par peur de l’impopularité.

Non, les violences ne sont pas excusables et je veux rendre hommage à nos policiers et à nos gendarmes pour leur engagement au service de l’ordre républicain. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)

Monsieur Gontard, comme l’a dit le Président de la République tout à l’heure, nous entendons les doutes et les colères qui s’expriment dans les mouvements sociaux… (Exclamations sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

Mme Cécile Cukierman et M. Fabien Gay. Non, vous n’entendez pas !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … et qui dépassent largement la question des retraites. Je pense à cette demande de justice : nous devons veiller à ce que les travailleurs bénéficient davantage des profits exceptionnels de certaines entreprises. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Mme Cécile Cukierman. En taxant les superprofits ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je pense aux attentes de nos concitoyens dans leur rapport au travail, à notre capacité à prévenir l’usure professionnelle et à offrir des perspectives de carrière à chacun.

Mme Éliane Assassi. En les faisant travailler deux ans de plus ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Nous devons continuer sur le chemin de la réindustrialisation et du plein emploi, car ils permettront d’assurer notre souveraineté et l’avenir de notre modèle social.

Nous devons veiller à l’ordre républicain en prévoyant des moyens supplémentaires pour nos forces de l’ordre et notre justice. Nous devons permettre à nos compatriotes de vivre mieux en prenant des décisions aux effets sensibles et rapides, en travaillant avec nos collectivités sur la santé, sur l’éducation et sur la transition écologique. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Ce cap fixé, le Président de la République m’a chargée d’engager un travail avec tous les parlementaires qui veulent agir pour notre pays. Nous en sommes capables, nous l’avons montré encore récemment en bâtissant des majorités de projet, comme sur la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables ou encore hier, à l’Assemblée nationale, sur le nucléaire.

Monsieur Gontard, dans des périodes d’inquiétude, l’immobilisme n’est jamais la solution. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Madame la Première ministre, sortez de votre posture, de votre déni, et revenez à la réalité !

Je vous pensais plus lucide que le Président de la République. Même les ressorts autoritaires de nos Constitutions d’un autre temps sont brisés. Vous ne pouvez pas gouverner en technocrate de palais contre le peuple.

Nous sommes entrés cette semaine dans un de ces moments récurrents de notre histoire où le fleuve de la colère populaire est sorti de son lit. Seul le pouvoir exécutif peut en tarir la source et rétablir le calme.

Retirez votre réforme et remettez tout à plat – le travail, la retraite –, comme l’a lui-même annoncé le Président de la République tout à l’heure. Tant que vous y êtes, lancez aussi la refonte de nos institutions anachroniques pour que les mots du Président de la République – « J’ai le sens de la démocratie. » – ne soient pas un énième mensonge, une énième provocation. Vous n’avez de toute façon plus de majorité pour faire autre chose. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)

contribution sur les profits des entreprises

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

Mme Colette Mélot. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Dans un contexte de forte inflation, nos entrepreneurs sont préoccupés. Ils ont suivi avec beaucoup d’attention les incidents des secteurs bancaires étrangers, ainsi que les réponses apportées par les régulateurs.

Indispensable pour contenir l’envolée des prix, qui ronge le pouvoir d’achat de nos concitoyens, la hausse des taux directeurs entraîne dans le même temps un renchérissement du crédit. Alors que l’investissement est toujours nécessaire à une économie en croissance, il l’est encore davantage lorsque l’on a pour ambition de réindustrialiser le pays.

Le Président de la République a rappelé à plusieurs reprises combien il était essentiel à notre souveraineté que nous puissions de nouveau produire en France.

Nous partageons ce constat et nous avons soutenu les mesures prises par le Gouvernement afin de favoriser le retour de l’industrie sur notre sol, notamment la baisse des impôts de production.

Aujourd’hui, le chef de l’État a annoncé la mise en place prochaine d’une contribution des entreprises en faveur des salariés.

Monsieur le ministre, dans un contexte où nos entreprises ont autant besoin d’être rassurées que nos concitoyens, pourriez-vous nous donner des éclaircissements sur ce nouveau dispositif ? S’agit-il d’une nouvelle taxe ? Comment la compétitivité et la capacité d’investissement de nos entreprises seront-elles préservées ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Madame la sénatrice Colette Mélot, nous partageons totalement votre objectif (Exclamations ironiques sur les travées du groupe CRCE.) de trouver le bon équilibre entre la compétitivité des entreprises, notamment de notre industrie, et la nécessité de mieux partager la valeur pour les salariés, pour que tous ceux qui travaillent en aient tout simplement pour leur engagement.

C’est ce que nous avons fait depuis six ans. Nous avons simplifié l’intéressement et les accords de participation. Nous avons supprimé la taxe à 20 % qui pesait sur les accords d’intéressement et de participation. Nous avons mis en place, en accord avec le Président de la République, la prime défiscalisée jusqu’à 6 000 euros pour redistribuer de la valeur aux salariés.

Nous avons également demandé à toutes les entreprises qui bénéficient de rentes – je pense aux entreprises énergéticiennes – de redistribuer cette rente par le biais de la contribution sur la rente inframarginale, qui rapporte plusieurs milliards d’euros et qui finance le bouclier énergétique que nous avons mis en place avec la Première ministre.

La proposition du Président de la République est la troisième étape de cette meilleure répartition de la valeur entre le salarié et l’entreprise. Nous voulons que les entreprises qui font du rachat d’actions contribuent davantage à une meilleure rémunération des salariés, car elles ont les moyens de le faire. Nous voulons les obliger à distribuer plus d’intéressement, plus de participation, plus de primes défiscalisées, lorsqu’elles font du rachat d’actions. Nous voulons que ce soit substantiel. Nous pourrions par exemple envisager un doublement des sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement ou des primes défiscalisées pour toutes les grandes entreprises qui font du rachat d’actions.

De quelles entreprises parlons-nous ? Nous parlons des grandes entreprises, celles qui comptent plus de 5 000 salariés et celles qui font du rachat d’actions.

Quelle est la méthode que la Première ministre et le Gouvernement privilégient ? Nous ferons une proposition aux partenaires sociaux pour qu’ils négocient une meilleure participation, un meilleur intéressement, une distribution plus large d’actions avec les grandes entreprises qui ont recours au rachat d’actions. Telle est la proposition que, avec la Première ministre et le Président de République, nous faisons pour un meilleur partage de la valeur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.

Mme Colette Mélot. Monsieur le ministre, je vous remercie de nous avoir rappelé les mesures qui avaient déjà été prises et les nouvelles mesures dont nous attendons, bien sûr, de nombreuses retombées – une nouvelle répartition, une contribution des grandes entreprises –, afin que l’intéressement et la participation puissent améliorer les conditions de vie de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

guichet unique pour les entreprises

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Serge Babary. Le 18 janvier dernier, j’ai interrogé le ministre de l’économie et des finances sur les difficultés de fonctionnement du guichet unique des entreprises mis en place le 1er janvier. Sa réponse s’était alors voulue rassurante : le dispositif serait corrigé « dans les toutes prochaines semaines », une échéance ayant été fixée au « début du mois de mars, pas plus tard » !

Depuis, cette échéance est sans cesse repoussée.

Sur votre suggestion, madame la ministre, la délégation sénatoriale aux entreprises s’est déplacée à l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) le 8 février dernier et a pu constater l’ampleur et la complexité de la tâche.

En dépit de solutions temporaires telles que la réouverture d’Infogreffe, ce service de simplification continue de dysfonctionner jusqu’à compromettre en particulier l’avenir de la filière artisanale.

Première difficulté, le registre national des entreprises n’est pas fiable et ne comporte aucune mention d’appartenance au secteur des métiers et de la qualité artisanale.

Les chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) sont dans l’incapacité de fournir des extraits d’inscription issus du registre national, la synthèse obtenue après validation n’étant pas reconnue par les partenaires, banques et assureurs.

Seconde difficulté, la complexité du système de catégorisation est telle que les entreprises artisanales ne sont tout bonnement plus identifiées !

L’alerte est donnée, les chambres des métiers et de l’artisanat ne peuvent plus exercer leurs missions de contrôle. Elles sont contraintes de maintenir leurs logiciels métiers en doublon du guichet unique, ce qui représente un coût important.

Le réseau des CMA a formulé des propositions. Madame la ministre, quelles suites allez-vous y donner ? Quelles mesures allez-vous prendre pour fiabiliser le registre issu du guichet unique et permettre une meilleure identification de l’activité et de la qualification artisanales ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de lartisanat et du tourisme. Monsieur Serge Babary, vous le savez, depuis le 1er janvier dernier, nous travaillons constamment à rendre le guichet unique totalement opérationnel pour les formalités d’entreprise. Comme vous l’indiquez, nous en avons parlé ensemble et je vous remercie d’ailleurs, en tant que président de la délégation sénatoriale aux entreprises, d’avoir pris le temps de rencontrer les équipes de l’Inpi pour mesurer leur engagement.

Le déploiement se poursuit. À ce jour, nous dénombrons plus de 470 000 formalités, créations et modifications. Vous le savez, monsieur Babary, il n’y a pas aujourd’hui de problèmes concernant les créations. En revanche, des difficultés subsistent concernant les formalités de modification et de cessation d’activité.

Hier, nous avons franchi une nouvelle étape, les formalités de cessation ayant été basculées sur le guichet unique, ce qui nous rapproche de l’objectif de parvenir à un outil unique d’ici à la fin du mois de juin prochain et nous en donne la garantie.

Pour autant, il existe des marges d’amélioration, vous les avez mentionnées, monsieur Babary, notamment en ce qui concerne le traitement des déclarations des entreprises artisanales. Je pense au problème des multi-validations qui se pose quand un artisan doit obtenir la validation de ses données non seulement par la CMA, mais aussi par le greffier du tribunal de commerce. Mes services se sont saisis du sujet, ils accélèrent leurs travaux pour améliorer et faciliter le partage d’informations.

La qualité et la précision du registre national des entreprises sont aussi un enjeu. Ce registre, que vous connaissez, a été conçu pour regrouper les données de toutes les entreprises. Il est légitime que les entreprises du secteur des métiers et de l’artisanat soient clairement identifiées en tant que telles au sein du registre. Des insuffisances demeurent encore pour l’instant. Là aussi, nous accélérons et nous travaillons pour les corriger le plus rapidement possible.

Enfin, comme vous l’avez mentionné, monsieur le sénateur, la catégorisation, dont je rappelle qu’elle a été bâtie et définie avec tous les partenaires du projet, y compris, soyons clairs, CMA France, est l’un des enjeux les plus importants et les plus complexes pour le fonctionnement du guichet unique. L’engagement du ministère de l’économie est total.

Pour vous être rendu à l’Inpi le 8 février, vous le savez, monsieur Babary, ce projet, comme tout projet informatique d’ampleur, est complexe, mais nous serons au rendez-vous fin juin. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI.)

M. Hussein Bourgi. Comme nous !

M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour la réplique.

M. Serge Babary. La difficulté principale, c’est que ce nouveau dispositif devait être opérationnel au 1er janvier dernier. Par conséquent, depuis trois mois, les entreprises rencontrent de grandes difficultés, non plus à s’inscrire, comme vous l’avez souligné, madame la ministre, mais à procéder à quelque modification que ce soit. Les artisans sont confrontés aux mêmes problèmes : dans la mesure où ils ne peuvent être pris en considération, leurs relations avec les banques, les assureurs et autres intervenants s’en trouvent compromises.

M. le président. Il faut conclure !

M. Serge Babary. Il faut donc faire au plus vite. Comme je l’ai déjà indiqué à M. le ministre de l’économie, simplifier est difficile et la numérisation ne règle pas tout. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (I)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-François Longeot. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Il y a deux jours, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) publiait la synthèse de son sixième rapport. Ce document, très attendu, résonne comme un coup de semonce. L’humanité est au pied du mur. Face au réchauffement climatique, c’est agir ou périr.

Monsieur le ministre, le gouvernement auquel vous appartenez et l’Union européenne en ont bien conscience, ce dont témoignent les efforts d’accélération de la transition environnementale.

Pourtant, aujourd’hui même paraît une étude sur l’impact que risque d’avoir cette transition sur l’emploi dans notre pays. Selon cette étude, qui émane du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), un service qui dépend de Matignon et dont la qualité des travaux n’est plus à démontrer, la transition écologique pourrait avoir le même effet que la désindustrialisation ayant eu lieu depuis 1997.

À l’heure où Bercy achève la coconstruction de son projet de loi pour une industrie verte, le problème est crucial. Les auteurs de l’étude soulignent que, « selon la Commission européenne, entre 35 % et 40 % des emplois pourraient être touchés par la transition écologique ». La question clé est de savoir s’il pourra y avoir une réallocation de main-d’œuvre fluide entre les secteurs gagnants, c’est-à-dire les secteurs décarbonés, et les secteurs polluants.

Dans la situation actuelle, rien n’est moins sûr, car, jusqu’à présent, les plans sociaux ne se sont jamais faits sans casse humaine, au moins pour les travailleurs les moins qualifiés, qui ont toujours peiné à retrouver un emploi et encore plus à ne pas subir une importante baisse de salaire.

Monsieur le ministre, ma question est simple : comment anticipez-vous le problème de la mutation nécessaire de l’emploi dans le cadre de la transition vers une industrie verte ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Hélas, trois fois hélas, notre pays n’a pas eu besoin de transition climatique pour connaître des délocalisations industrielles de masse, comme c’est le cas depuis trois décennies.

La faute française, elle est là : 2 millions d’emplois industriels détruits depuis les années 1980, des usines qui ferment absolument partout, une part de la production industrielle dans la richesse nationale qui passe de 20 % à juste un peu plus de 10 %. (M. Philippe Bas sexclame.) Ces délocalisations sont le résultat de trois décennies de politique anti-industrielle.

Sous l’égide du Président de la République, depuis 2017, les gouvernements successifs ont pris les mesures nécessaires pour obtenir des résultats. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Les premières décisions que nous avons prises ont été de baisser l’impôt sur les sociétés, de diminuer les impôts de production, de mettre en place un prélèvement forfaitaire unique. Parce qu’il n’y a pas d’industrie sans capital, baisser la fiscalité sur le capital, c’est accroître l’industrialisation du pays. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)

Voilà des vérités que personne ne voulait voir en face. Résultat : nous ouvrons aujourd’hui plus d’usines que nous n’en fermons.

M. Bruno Le Maire, ministre. Mieux, nous avons recréé pour la première fois depuis trois décennies 88 000 emplois industriels depuis deux ans en France.

Mme Cathy Apourceau-Poly. C’est un mensonge !

M. Bruno Le Maire, ministre. Je vais vous dire ma conviction : la transition climatique est une chance pour notre industrie. Le ministre chargé de l’industrie et moi-même allons proposer un projet de loi pour une industrie verte, qui favorisera la commande publique pour les produits industriels verts français et européens.

Mme Cathy Apourceau-Poly. Allez le dire dans le Pas-de-Calais !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous allons mettre en place des crédits d’impôt et des mesures fiscales plus fortes pour tous ceux qui travaillent dans les secteurs de l’hydrogène vert, des batteries électriques, des panneaux solaires, des véhicules électriques, pour favoriser la création d’emplois verts et industriels dans notre pays. Nous allons faire en sorte d’accélérer l’ouverture des usines et l’extension des usines vertes existantes pour accroître les relocalisations industrielles et les créations d’emplois.

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous devons conjuguer croissance et climat. Telle a toujours été la ligne de force du Gouvernement, de la Première ministre et du Président de la République. Les résultats sont là, nous allons accélérer. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

réforme des retraites (ii)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Mme Michelle Gréaume. Monsieur le ministre, un peuple refuse de se soumettre, il est vent debout contre une réforme dont il ne veut pas : le recul à 64 ans de l’âge de départ à la retraite.

Face au mouvement social massif, qui porte l’exigence de retrait, face à une Assemblée nationale qui n’a voté la réforme ni en première lecture ni en commission mixte paritaire, vous vous enfermez, avec le Président de la République, dans un repli autoritaire, lourd de danger pour la démocratie.

Vous avez affirmé vouloir aller au bout du cheminement démocratique. Quelle provocation ! C’est bien un chemin de croix auquel nous assistons, rythmé par les articles de la Constitution désormais connus de tous : 47-1, 44.3 et 49.3.

Monsieur le ministre, comment parler de cheminement démocratique, alors que, depuis jeudi, le droit de manifester est mis en cause ?

Le groupe CRCE demande que soit mis à l’étude le comportement des forces de sécurité depuis jeudi soir. Il ne s’agit pas de cautionner des dégradations, mais nous assistons à des violences policières et à des réquisitions inacceptables. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le maintien de l’ordre relève de votre responsabilité. Pour autant, l’ordre, ce n’est pas le matraquage et le gazage à tout va ! C’est savoir entendre la foule, l’opinion, le peuple qui dit non !

La colère est là, elle monte. La morgue et le mépris du chef de l’État ne passeront pas cette fois et la répression policière ne peut être la voie pour résoudre cette crise politique, sociale, très profonde.

Le chef de l’État, droit dans ses bottes, ne veut ni dissolution, ni référendum, ni remaniement. Qu’il retire alors ce projet si injuste.

M. François Patriat. Il a été adopté tout de même !

Mme Michelle Gréaume. Si, par malheur, M. Macron ne veut pas assumer cet échec, s’il s’y refuse, nous le contraindrons par la demande de référendum d’initiative partagée que nous avons lancée !

M. Macron, lors de son interview insipide et inutile, a affirmé choisir l’intérêt général. En réalité, entre le peuple et l’intérêt des riches, il choisit l’intérêt des riches.

Demain sera une formidable journée, où un peuple uni, une foule immense, légitime, se lèvera pour défendre sa condition, pour défendre ses droits.

M. le président. Votre question !

Mme Michelle Gréaume. Madame la Première ministre, il est encore temps : retirez votre projet ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de linsertion. Madame la sénatrice Gréaume, oui, le projet de loi portant réforme des retraites est allé au bout de son cheminement démocratique (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.) et il va continuer.

M. Olivier Dussopt, ministre. Ce projet de loi faite suite à quatre mois de concertation. Il a donné lieu à plus de 175 heures de débat à l’Assemblée nationale et au Sénat et votre assemblée, le Sénat, l’a voté à deux reprises : une première fois en première lecture, après l’examen de chacun des articles,…

M. Fabien Gay. Par un vote bloqué !

M. Olivier Dussopt, ministre. … une seconde fois, après que la commission mixte paritaire a abouti à une conclusion partagée. C’est la démonstration que le processus est allé au bout.

Si l’Assemblée nationale n’a pu voter en première lecture, c’est uniquement en raison de l’obstruction systématique et organisée des groupes de gauche (Exclamations sur les mêmes travées. – Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.), qui l’a privée de sa capacité à délibérer.

Ce projet de loi est nécessaire, madame la sénatrice.

M. Fabien Gay. Pour rassurer les marchés financiers !

M. Olivier Dussopt, ministre. Il est nécessaire pour faire face aux déficits structurels et pour améliorer le système de retraite. Sa mise en œuvre à la fin de l’année, lorsque le Conseil constitutionnel se sera prononcé, permettra de revaloriser les petites pensions, de mieux prendre en compte la pénibilité, mais aussi de mieux accompagner celles et ceux qui ont commencé à travailler tôt.

Madame la sénatrice, vous avez à deux reprises parlé de responsabilité. Être responsable, c’est faire cette réforme…

M. Pierre Laurent. Contre les salariés !

M. Olivier Dussopt, ministre. … et prendre la décision de la mener à son terme pour sauver notre système de retraite et faire en sorte que les générations qui viennent puissent accéder à un système qui les protège et qui protégera les plus fragiles.

M. Jean-Marc Todeschini. Arrêtez vos mensonges !

M. Olivier Dussopt, ministre. Être responsable, madame la sénatrice, c’est saluer la mobilisation sociale, lorsqu’elle est organisée et qu’elle se passe bien. En revanche, lorsqu’il y a des violences, il faut les condamner.

M. Fabien Gay. Entendez la colère sociale !

M. Olivier Dussopt, ministre. Quand on condamne les violences, madame la sénatrice, on soutient les forces de police placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur.

Je profite de votre question pour saluer l’ensemble des forces de police et de gendarmerie, qui, par leur travail, par leur intervention, garantissent la sécurité et le maintien de l’ordre. C’est aussi l’expression de la démocratie et de la liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ii)

M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Julien Bargeton. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la transition énergétique.

« Une exploitation et un surdéveloppement vampiriques, une exploitation non durable des ressources en eau, la pollution et le réchauffement climatique incontrôlé sont en train d’épuiser, goutte après goutte, cette source de vie pour l’humanité. » Ainsi s’exprime António Guterres dans l’avant-propos d’un rapport publié avant l’ouverture de la session inédite de l’ONU consacrée à l’eau, qui débute aujourd’hui.

Les inondations au Pakistan en 2022 nous ont montré les conséquences du réchauffement de notre planète sur le cycle de l’eau : 33 millions de personnes concernées, 1 700 morts, 1,8 million d’hectares de terres agricoles dévastées.

Le sixième rapport de synthèse du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) montre que ces épisodes seront de plus en plus intenses et de plus en plus récurrents sous nos latitudes.

Dans notre pays, l’hiver historiquement sec que nous venons de traverser nous montre qu’il est plus que jamais nécessaire de préserver cette ressource. C’est l’un des enjeux principaux de notre siècle.

Ces impératifs nous pressent donc de modifier notre rapport à l’eau, nos modes de gestion afin d’en assurer la qualité, la quantité et le caractère renouvelable. Cette incertitude implique également de replacer l’eau au cœur de tous nos débats sur les changements climatiques.

Le Gouvernement a annoncé dévoiler prochainement cinquante mesures relatives à la gestion de l’eau. Dans le cadre de cette journée de l’ONU consacrée à l’eau, madame la ministre, pouvez-vous nous en dire davantage sur le contenu de ces propositions visant à renforcer et à améliorer la gestion de l’eau dans notre pays afin d’en assurer la qualité et la quantité pour nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Monsieur le sénateur Bargeton, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de mon collègue Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui, comme vous le savez, est fortement investi sur ce sujet et qui rencontrera dans les prochains jours António Guterres pour fixer un agenda sur l’eau qui soit particulièrement ambitieux, à l’échelle tant internationale que nationale.

Vous avez raison de mentionner également le rapport du Giec, qui confirme l’extrême urgence d’agir pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris en matière climatique. Pour notre part, nous sommes passés à l’action, comme nous y invite ce rapport, sous l’égide du Président de la République et de la Première ministre. Je rappelle ainsi que le premier quinquennat du Président de la République a permis de doubler le rythme de baisse de nos émissions de gaz à effet de serre. Nous continuerons d’agir.

Je ne reviens pas sur le vote très large sur ces travées de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables et, en première lecture, du projet de loi Nucléaire, qui sont autant d’éléments nous permettant d’agir pour notre planète et de lutter contre le réchauffement climatique.

La ressource en eau est un enjeu majeur en France. Nous devons collectivement, État comme collectivités locales, mieux anticiper la diminution de la ressource en eau, mieux préparer les sécheresses à venir. C’est tout l’objet du plan Eau que la Première ministre et Christophe Béchu présenteront très prochainement, qui est une brique importante de l’ensemble de la planification écologique voulue par le Président de la République.

Nous devons engager une réelle transition sur trois axes : la sobriété de nos usages – elle fera écho à la sobriété énergétique –, la garantie de l’accès à une eau potable de qualité et la restauration du grand cycle de l’eau.

Ce travail s’inscrit dans la continuité des Assises de l’eau et du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. Il s’agit de concilier, à l’échelle des territoires, une moindre disponibilité de la ressource et des besoins accrus.

Les Français attendent de nous que nous agissions et, je peux vous le dire, le Gouvernement sera au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

déclarations du président de la république

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre.

Que nous a dit le Président de la République tout à l’heure ?

Mme Laurence Rossignol. D’abord, il nous a dit que la majorité du pays, celle qui s’oppose à sa réforme, serait dans le déni de la réalité et dans l’ignorance – et que lui seul nous conduirait vers la lumière. C’est une insulte à l’intelligence des Français.

Il nous a dit que les manifestants seraient noyautés par des factieux. Il est allé jusqu’à les comparer aux suprémacistes de Brasilia ou du Capitole. C’est encore une insulte.

Il nous a dit que les syndicats auraient refusé de négocier. C’est un mensonge, a déjà répondu Laurent Berger.

Il nous a dit que nous n’aurions fait comme contre-proposition que l’augmentation des déficits, alors qu’aucun de nos amendements n’a été retenu ni examiné, pas même ceux qui portaient sur l’augmentation des cotisations patronales. Encore un mensonge, donc. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Il nous a dit que les entreprises ne finançaient pas les retraites. Alors là… La seule explication possible est que, trahi par son inconscient, le Président de la République fait part de son rêve ! Mais c’est aussi un mensonge. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Il nous a dit que les Français ne voudraient plus travailler et qu’il remettrait les bénéficiaires du RSA au travail. C’est une insulte.

À la crise démocratique qu’il a approfondie, à la crise politique qu’il a ouverte, il a répondu par la perspective de nouveaux débauchages, sans doute parmi les députés qui n’ont pas voté la motion de censure. C’est une indécence.

Il nous a dit vouloir taxer les entreprises qui rachètent leurs actions, sauver l’éducation, la santé et l’industrie, sans jamais préciser ni où, ni quand, ni comment.

Mais il n’a pas manqué de nous dire que la réforme des retraites serait appliquée sans délai.

Madame la Première ministre, de matinale en journal de 20 heures, ou de 13 heures, vous-même, le Président de la République et vos ministres ne faites qu’asséner les mêmes arguments d’autorité. La seule autocritique que vous nous concédez est celle d’une défaillance pédagogique.

Vous voulez apaiser le pays ? Je le crois sincèrement. Mais il n’y a qu’une solution : rendez aux Français les deux ans de vie que vous leur volez ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Votre question, madame la ministre Laurence Rossignol…

Mme Laurence Rossignol. Je ne suis plus ministre !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Je vous appelle « madame la ministre » parce que, en 2014, vous étiez ministre déléguée auprès de Marisol Touraine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

J’ai été député socialiste…

M. Jérôme Durain. Certains n’ont pas trahi !

M. Olivier Véran, ministre délégué. … et vous et moi, nous avons eu le courage de soutenir en 2014 une réforme des retraites portée par le Gouvernement auquel vous apparteniez, qui a, pardonnez du peu, allongé la durée de cotisation pour tous les Français qui travaillent. Vous l’avez fait dans un souci de justice, avec pour objectif d’équilibrer un système de retraite qui, dans la durée, aurait été déficitaire.

M. Patrick Kanner. Et les carrières longues ?

M. Olivier Véran, ministre délégué. Permettez-moi aussi de vous rappeler, madame la sénatrice, qu’à l’époque, lorsque vous faisiez partie du Gouvernement, un texte important, courageux et nécessaire pour l’économie de notre pays, a été adopté en ayant recours à l’article 49.3. Pour autant, vous n’avez pas alors démissionné du Gouvernement, pas plus que je n’ai quitté le groupe socialiste. (Exclamations sur les travées du groupe SER.) Vous avez sans doute la mémoire sélective, moi pas !

En écoutant votre question, j’ai l’impression que vous avez l’oreille sélective, madame la sénatrice, moi pas. Je dirais même l’oreille déformante, car jamais le Président de la République n’a comparé les manifestants à des factieux. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Au contraire, il a clairement fait la distinction entre les manifestations démocratiques, dont il a salué l’organisation et la sécurisation par les organisations syndicales, et les groupes violents, qui viennent de l’ultragauche et cherchent à saccager nos villes. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Surtout, madame la sénatrice, nous venons du même bord.

M. Hussein Bourgi. Mais elle n’a pas trahi !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Quand nous disons que nous allons augmenter les petits salaires, qui sont inférieurs du SMIC, vous devriez dire oui ! Quand nous disons que nous allons améliorer les fins de carrière pour les salariés, vous devriez dire oui ! Quand nous disons que nous allons lever une contribution exceptionnelle sur les grands groupes qui rachètent des actions, vous devriez dire oui !

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Et, quand nous proposons de mettre en formation les bénéficiaires du RSA qui sont loin de l’emploi, ou même de les employer, vous devriez applaudir avec nous, madame la sénatrice. C’est cela, avoir de la mémoire, du courage et de la conviction dans la continuité ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

affichage environnemental des produits agricoles

M. le président. La parole est à Mme Guylène Pantel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Guylène Pantel. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Sécheresse hivernale historique, inflation, difficultés de transmission des exploitations, élevages pastoraux en péril, prédation : la vulnérabilité du monde agricole est perceptible dans les discussions à bâtons rompus que nous avons avec les professionnels du secteur. Les réponses apportées par les autorités sont parfois insatisfaisantes et suscitent l’agacement, l’anxiété ou la résignation.

À cela s’ajoute l’équation complexe sur les contours du futur dispositif d’affichage environnemental sur les produits alimentaires, prévu dans la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire et remodelé dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Ce projet d’envergure fait l’objet d’un travail de concertation piloté par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et le ministère de la transition écologique, qui ont collecté des contributions jusqu’au 10 mars dernier, notamment sur les modalités d’affichage.

L’analyse du cycle de vie est la méthode d’évaluation privilégiée pour classer les produits ou les services, en fonction des émissions de gaz à effet de serre, des atteintes à la biodiversité et de la consommation d’eau et d’autres ressources naturelles que leur production a entraîné. En découle l’attribution d’une note, qui sera affichée sur les produits ou services, en rayonnage ou sur internet.

Bien que ce dispositif réponde à une aspiration légitime des consommateurs, bon nombre de producteurs craignent qu’il ne soit inadapté à des produits locaux et artisanaux, à l’instar de ce qui avait été observé avec le Nutri-score.

La demande des exploitants agricoles est simple : ne créez pas de nouvelles sources de découragement !

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que le nouvel outil d’affichage environnemental ne posera pas pour les produits du terroir les mêmes difficultés que le Nutri-score ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Madame la sénatrice Pantel, je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence des ministres Christophe Béchu et Bérangère Couillard, qui assistent aujourd’hui à la conférence des Nations unies sur l’eau à New York.

La transition écologique, comme vous le savez, est au cœur de l’action gouvernementale et la planification écologique est une priorité de notre Première ministre.

L’information du consommateur sur les caractéristiques environnementales des produits est fondamentale pour faire évoluer nos modes de consommation. Nous voulons et nous devons permettre aux consommateurs de devenir des « consom’acteurs ».

C’est pourquoi la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a prévu la mise en place d’un affichage environnemental sur les produits.

Cet affichage intégrera des données sur l’impact sur l’environnement de la fabrication et du transport des produits. Il prendra en compte les ressources extraites, la consommation d’eau, les émissions de gaz à effet de serre ou encore les effets sur la biodiversité.

Vous questionnez la méthode. Plusieurs expérimentations ont été conduites en 2021 sur les produits alimentaires et en 2022 sur le textile.

Ma collègue Bérangère Couillard a réuni dès le mois d’octobre 2022 les associations de consommateurs, les ONG et les porteurs de ces expérimentations pour recueillir leurs attentes et leurs idées, afin de construire ensemble cet affichage environnemental.

Priorité a été donnée aux produits alimentaires et aux textiles. L’objectif est, pour ces deux secteurs, qu’un affichage environnemental puisse être déployé dès le début de l’année 2024 par les entreprises volontaires, avant de devenir obligatoire, comme le prévoit la loi.

En ce qui concerne le secteur alimentaire, pas de découragement, pas de défaillance ! Ma collègue Bérangère Couillard réunira les parties prenantes le 27 mars prochain pour lancer une véritable concertation sur la première version du projet de méthode de calcul de l’affichage environnemental des produits alimentaires.

zéro artificialisation nette

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Ma question s’adresse à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Le Sénat s’est livré, depuis près d’un an, à un patient et minutieux travail d’écoute et d’expertise du « zéro artificialisation nette » (ZAN), cet édifice aux nombreux vices cachés. Au terme d’une maturation collective et transpartisane, la commission spéciale, présidée par Valérie Létard, a fait adopter la semaine dernière, à une large majorité, une proposition de loi d’initiative sénatoriale qui consolide les fondations et conforte l’ouvrage, pour que celui-ci puisse traverser le temps.

Il faut le répéter : face aux mauvais procès qui sont faits à notre texte, le Sénat n’a pas bouleversé l’architecture du ZAN. Les cibles et les trajectoires sont intactes. Des ajustements, de la souplesse et des outils nouveaux étaient nécessaires pour répondre aux inquiétudes, voire à la colère, de certains élus locaux. Nous les avons écoutés et pris au sérieux.

Longtemps muet sur le sujet, le Gouvernement dit aujourd’hui être prêt à adapter la loi. Il a longtemps sous-estimé, et sous-estime encore, le potentiel hautement inflammable du ZAN. Son approche comptable et recentralisatrice et l’absence d’accompagnement des collectivités face à ces nouvelles obligations inquiètent les élus de tous les départements et, ici, sur toutes les travées.

Nos auditions nous ont convaincus qu’il était impératif d’apporter des réponses législatives à des questions aussi variées que celles qui portent sur le calendrier, les grands projets, la prise en compte des efforts passés, la garantie rurale, les communes littorales, les bâtiments agricoles… Il fallait éteindre l’incendie.

Le texte que nous avons rédigé et adopté à une large majorité est aujourd’hui prêt à être examiné par l’Assemblée nationale.

Ma question est simple : le Gouvernement tiendra-t-il sa promesse de poursuivre la discussion sur la base du texte adopté par le Sénat ? Quand cette proposition de loi sera-t-elle inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Monsieur le sénateur Blanc – monsieur le rapporteur –, laissez-moi vous dire quelques mots avant de vous dire oui… (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Chaque année, en moyenne, 20 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers sont consommés en France. Les conséquences de ce phénomène sont écologiques, mais aussi socio-économiques, comme la diminution du potentiel de production agricole.

La France s’est fixé pour objectifs d’atteindre à horizon de 2050 le zéro artificialisation nette et une réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers avant 2030.

En novembre dernier, lors de son discours de clôture du Congrès des maires de France, Mme la Première ministre a rappelé que le Gouvernement était prêt à un certain nombre d’évolutions,…

M. Philippe Bas. Prouvez-le !

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. … comme la prise en compte des grands projets d’envergure nationale et la garantie rurale, à laquelle nous sommes tous attachés.

Les propositions du Gouvernement ont été défendues par Christophe Béchu lors de l’examen de la proposition de loi sénatoriale sur le ZAN la semaine dernière. Vous le savez, monsieur le rapporteur, elles n’ont pas été retenues par le Sénat, qui a préféré ce que nous pensons être une trajectoire moins économe en termes d’artificialisation.

Le Gouvernement considère aujourd’hui que le texte du Sénat ne permet pas de respecter la trajectoire ambitieuse de réduction de l’artificialisation que nous portons. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cette trajectoire est fixée dans la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Cependant, monsieur le sénateur, cette proposition de loi a encore vocation à évoluer dans le cadre de la navette parlementaire. L’objectif est de parvenir à un compromis acceptable pour l’ensemble des acteurs – députés, sénateurs, associations d’élus locaux ou associations de défense de l’environnement – sur ce sujet, qui est aussi important pour les Français que pour les élus locaux. Le Gouvernement est très désireux de trouver un compromis acceptable pour tous. Nous le trouverons ensemble, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.

M. Jean-Baptiste Blanc. Je ne peux vous laisser dire que nous sortons de la trajectoire, madame la ministre. Nous sommes dans la trajectoire. (Mme Valérie Létard acquiesce.) Je vois d’ailleurs que Mme Létard approuve ce que je dis.

Nous pensons que seuls les élus locaux pourront porter la transition écologique ; il faut leur en donner le temps, les moyens et l’ingénierie nécessaires. Sur un sujet aussi inflammable, écoutez le Sénat ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE.)

suites données au projet de loi relatif à l’immigration

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Yves Leconte. Ma question s’adresse au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

La France est dans la rue pour manifester son désaccord profond avec le passage en force d’une réforme des retraites qu’elle rejette en bloc. Cette réforme n’est pas soutenable d’un point de vue humain et social, et son poids repose exclusivement sur les efforts des travailleuses et travailleurs.

C’est dans ce contexte très tendu qu’était prévu l’examen au Sénat du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, à compter de mardi prochain.

Alors que les étrangers voient leurs droits particulièrement dégradés en France, qu’ils sont soumis à des conditions de plus en plus exigeantes et à des procédures toujours plus complexes, qui les maintiennent dans des situations de précarité et d’insécurité juridique et administrative inacceptables, une réforme de ces droits mérite d’être abordée avec sérénité et sérieux.

C’est pourquoi, au vu du contexte actuel, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé que ce projet de loi soit retiré de l’ordre du jour de notre assemblée.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les propos du Président de la République, qui semble annoncer une série de textes découpant votre projet de loi à la manière d’un puzzle ?

Quoi qu’il arrive, le Gouvernement peut et doit prendre rapidement les mesures qui s’imposent en matière de régularisation des travailleurs étrangers. Il n’est pas besoin d’une loi pour réviser au plus vite la liste des métiers en tension, dans le cadre d’une concertation avec les partenaires sociaux, ou pour donner des instructions aux préfets en faveur de l’admission au séjour des étrangers qui contribuent chaque jour à l’effort national – et cotisent pour nos retraites.

Dans l’attente de mesures législatives permettant de sécuriser durablement leur séjour et leur emploi, il convient de ne pas maintenir ceux-ci dans une situation inadmissible de précarité et d’agir rapidement avec les outils existants. Monsieur le ministre, qu’attend donc le Gouvernement pour agir face à ces urgences ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le sénateur Leconte, vous avez bien entendu le Président de la République et je vous remercie de vous faire ici l’écho de ses propositions.

M. le président du Sénat s’est exprimé sur ce point lors de sa rencontre avec le Président de la République, je crois, et j’ai moi-même échangé avec François-Noël Buffet, président de votre commission des lois.

Nous entendons votre demande. C’est pourquoi la Première ministre va dans un moment, avec le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et moi-même, proposer au Parlement une méthode de travail afin que soient adoptées les mesures législatives nécessaires pour améliorer l’intégration des étrangers, mais également pour lutter contre l’immigration irrégulière.

Je pense à la lutte contre les passeurs, à l’intégration par la langue, par le travail, ou à l’expulsion des délinquants étrangers, que nous devons pouvoir faire plus facilement. Je pense aussi aux moyens que nous devons donner à notre justice et à nos préfectures. Ces sujets législatifs, il est nécessaire que nous les abordions.

Mais une nouvelle méthode de travail est souhaitée par le Président de la République et les chambres parlementaires, sur le projet de loi sur l’immigration, mais aussi sur tous les autres textes. Je laisse le soin à la Première ministre de l’évoquer ultérieurement avec les présidents des deux chambres. J’espère avoir répondu à votre interrogation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Patrick Kanner. C’est flou !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre. Mais s’il y avait une volonté politique, en particulier sur l’intégration par le travail, vous auriez commencé depuis 2017, ou au moins 2022, à faire ce que vous pouviez faire. Commencez maintenant !

Il n’est nul besoin de modifications législatives pour prendre un certain nombre de mesures, que ce soit sur la liste des métiers en tension ou l’admission exceptionnelle au séjour. Allez-y : montrez-nous que vous avez sur ce sujet une volonté politique, que vous ne vous en tenez pas simplement à des paroles ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes CRCE et GEST.)

épreuves de médecine annulées

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. Ma question s’adresse à M. le ministre de la santé et de la prévention.

Monsieur le ministre, le 13 mars dernier, les 10 000 étudiants en sixième année de médecine étaient appelés à passer en centre d’examen des épreuves blanches en prévision du concours d’entrée à l’internat, prévu en juin prochain.

Organisées par le Centre national de gestion, qui dépend de la tutelle de votre ministère, les épreuves ont vite tourné au fiasco : bugs à répétition, impossibilité de valider les réponses, ralentissements, problèmes d’affichage, voire carrément déconnexion en cours d’épreuve.

À tout juste trois mois des véritables épreuves classantes nationales, décisives pour le choix de la spécialité et du lieu d’exercice, ce coup d’essai constituait pourtant une occasion privilégiée pour les étudiants de se situer par rapport au niveau national et de tester les conditions qui les attendent.

En outre, le concours répondait à de nouvelles règles d’organisation, suivant une méthodologie inédite. Les étudiants ne disposaient donc pas d’annales des examens précédents ni de supports pour s’entraîner.

Les réponses du Centre national de gestion sont tout aussi lunaires. Plutôt que d’assumer la responsabilité d’un dysfonctionnement du système informatique, le centre préfère minimiser le problème et invoque une « incompréhension sémantique », suggérant que les épreuves auraient été non pas un véritable concours blanc, mais bien un simple test pour vérifier la performance du logiciel. On croit rêver !

L’Association nationale des étudiants en médecine de France demande que de nouvelles épreuves blanches soient organisées dans les meilleurs délais, sur une plateforme fiable et opérationnelle.

À trois mois des épreuves de classement national, qui détermineront toute la carrière de nos futurs médecins, allez-vous enfin mener une politique ambitieuse d’investissement dans les moyens mis à disposition de nos étudiants ? Pouvez-vous garantir la totale fiabilité du support numérique des épreuves d’ici au mois de juin ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la prévention.

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. Monsieur le sénateur Lefèvre, heureusement que cette panne a eu lieu le 13 mars dernier ! Comme vous l’avez dit, il s’agissait d’une épreuve blanche, à l’issue de laquelle les étudiants n’étaient de toute façon pas classés, leurs réponses n’étant pas évaluées. Cette épreuve blanche était bien destinée à tester la nouvelle plateforme informatique, qui répond aux évolutions du deuxième cycle des études médicales.

Cette épreuve a été interrompue. Elle a fonctionné pour 85 % des étudiants. Les autres n’ont pas réussi à valider leurs résultats. Des corrections ont donc été apportées et, le lendemain, 97 % des bugs étaient corrigés. Comme nous n’avions pas atteint les 100 % qui auraient permis de valider la plateforme de test, nous avons préféré reporter le deuxième passage de cette épreuve blanche. Je redis que les étudiants n’auraient de toute façon pas obtenu les résultats de cette épreuve, qui n’aurait pas donné lieu à un classement. Il ne s’agissait que d’un test technique.

La deuxième partie, qui devait se tenir le 15 mars, a été annulée. Bien entendu, le Centre national de gestion s’est attelé à la correction de l’ensemble des difficultés. Une nouvelle épreuve blanche se déroulera à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai, afin que tout fonctionne parfaitement au mois de juin.

Cette épreuve est en effet primordiale pour les étudiants en médecine, puisqu’elle préjuge de leur avenir professionnel et du choix de leur spécialité.

Comme lors de tous les tests, nous avons constaté des difficultés, qui sont corrigées. Un nouveau test aura lieu avant que cette plateforme ne soit totalement opérationnelle en juin.

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.

M. Antoine Lefèvre. Nos étudiants en médecine ont connu beaucoup de déconvenues : des confinements à répétition, des enseignements à distance et du stress. Ils méritent davantage de considération.

La France a un besoin urgent de nouveaux médecins, tout le monde le sait, particulièrement ici au Sénat. Nous devons donc tout faire pour mettre toutes les chances de réussite de leur côté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)

vague de démissions des élus municipaux

M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jacques Le Nay. Ma question s’adresse à Mme la Première ministre. « Ce que les élus ne supportent plus, c’est de servir de défouloir. » Ces mots ont été prononcés par le président de l’association des maires du Morbihan lors de la présentation du nombre de démissions intervenues depuis trois ans.

La situation est inédite dans le département : quatre élus municipaux démissionnent chaque semaine depuis 2020. Le mandat local n’attire plus.

Le Morbihan n’est pas une exception : en Loire-Atlantique, un élu local démissionne chaque jour. Et nous savons que le phénomène est national.

Plusieurs facteurs concourent à ces désengagements. Les élus subissent des violences de toute nature : physiques, verbales, via les réseaux sociaux… Et, trop souvent, les plaintes sont classées sans suite.

Les élus sont résignés et exaspérés. L’empilement des normes et la lourdeur administrative découragent les bonnes volontés. Même les plus motivés ont du mal à concilier leur vie professionnelle avec l’exercice d’un mandat chronophage et mal indemnisé.

Enfin, les compétences propres du maire se sont réduites. Alors que l’urbanisme constitue un ultime élément d’attractivité de la fonction, l’objectif du zéro artificialisation nette complexifie leur mission. C’est un dernier coup de massue sur un engagement déjà mal en point.

Au-delà de cette vague de démissions, la question se pose de la capacité même à maintenir un fonctionnement régulier des collectivités territoriales et à pourvoir aux fonctions d’élu.

Madame la Première ministre, comment comptez-vous redonner des moyens et du sens au mandat de maire et, plus généralement, à celui d’élu local ? Ceux-ci sont les premiers remparts et les garants de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement.

M. Olivier Véran, ministre délégué auprès de la Première ministre, chargé du renouveau démocratique, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur Jacques Le Nay, vous avez raison de souligner que la France a un besoin absolument vital de l’engagement de ses élus locaux. Sans leur action déterminée, il n’y aurait pas de vie communale, départementale, régionale. Les Français le savent.

Ce qui fonde l’engagement des élus locaux, ce n’est certainement pas l’appât du gain ou la gloriole, mais la volonté de se mettre au service des autres. Et ce n’est pas peu dire qu’il est difficile d’être élu local !

Qui se réveille à cinq heures du matin quand la neige est tombée un peu trop fort pendant la nuit et que les routes sont encombrées ? Le maire ! Qui doit intervenir lorsque des conflits de voisinage peuvent dégénérer ? Le maire ! Qui est pris entre les injonctions contradictoires de normes imposées depuis Paris, mais difficiles à appliquer sur le territoire ? Les maires !

La moindre des choses est d’offrir aux élus locaux la protection qu’ils méritent. Dans une France où l’on constate jour après jour la montée de la violence sur les réseaux sociaux, de la violence verbale – parfois jusque dans les hémicycles du Parlement –, voire de la violence physique, il était indispensable d’agir.

En 2019, nous avons donc renforcé le régime de protection des élus, qui s’apparente désormais à la protection fonctionnelle applicable aux agents publics, notamment lorsqu’un élu fait l’objet de poursuites pour des fautes qui sont détachables de ses fonctions ou lorsqu’il est victime de violences ou d’outrages « à l’occasion ou du fait de ses fonctions ».

Cette protection peut également être accordée, à leur demande, aux conjoints, enfants et ascendants directs des élus qui seraient décédés dans l’exercice ou du fait de leurs fonctions, à raison des faits à l’origine de ce décès.

Le financement de cette mesure n’est pas très lourd. La loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite loi Lecornu, a créé l’obligation de souscrire une garantie qui permet de couvrir aussi le conseil juridique, l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation pour les communes d’assurer la protection fonctionnelle des membres du conseil municipal. Ce dispositif rend plus effective et moins risquée la mise en œuvre de la protection fonctionnelle par les communes.

À cela il convient d’ajouter la proposition de loi déposée par Nathalie Delattre. Enfin, ma collègue Dominique Faure pourrait aussi vous expliquer que nous allons créer une cellule d’analyse des atteintes aux élus locaux et de lutte contre ces phénomènes au sein du ministère de l’intérieur.

M. le président. Il faut conclure !

M. Olivier Véran, ministre délégué. Croyez en notre détermination pour avancer en la matière. Et nous avancerons avec vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Le Nay, pour la réplique.

M. Jacques Le Nay. Si rien n’est fait, cette situation contribuera à la crise profonde que connaissent nos institutions. Ne l’oublions pas, le maire est le représentant de l’État dans sa commune. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

situation dans le haut-karabagh

M. le président. La parole est à M. Philippe Pemezec, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Pemezec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la terre d’Arménie brûle et nous regardons ailleurs. Depuis l’automne 2020, l’Arménie est en état de siège, après l’invasion de l’enclave arménienne de l’Artsakh par l’armée d’Azerbaïdjan, soutenue par la Turquie, qui s’en sert comme avant-garde pour poursuivre et achever l’éradication du peuple arménien entamée en 1915.

Alors que la guerre civile a déjà fait 5 000 morts et 15 000 blessés en trois ans, on assiste aujourd’hui à un véritable blocus orchestré par l’Azerbaïdjan pour empêcher les vivres et les médicaments d’arriver jusque dans l’enclave arménienne.

Les seuls qui aient droit de passage sont les Arméniens qui fuient la guerre, la famine et la misère, mais ils n’ont droit qu’à un aller simple, l’Azerbaïdjan comptant sur le départ des 120 000 Arméniens restants pour établir définitivement son joug sur ce territoire.

Il ne s’agit là que d’une première étape pour rayer de la carte cette terre chrétienne qu’est l’Arménie, la plus ancienne du monde, aujourd’hui encerclée par l’expansion musulmane.

Depuis nos villes des Hauts-de-Seine, qui accueillent une forte communauté d’origine arménienne, nous envoyons des vivres, des médicaments, et aussi des médecins, en partenariat avec l’association Lumière Française. Ainsi, nous essayons de forcer le blocus.

Mais qu’attend le Gouvernement, au-delà des messages d’amitié, pour demander le respect des règles internationales et du droit des peuples ?

L’Arménie, ce petit pays, porte les mêmes valeurs que les nôtres. C’est vrai que l’Arménie, ce n’est pas l’Ukraine, et qu’on n’y trouve ni pétrole ni gaz, contrairement à l’Azerbaïdjan. L’Arménie n’a rien, hormis sa foi et son courage.

Ma question, madame la ministre, est donc la suivante : la France est-elle prête à mobiliser, pour défendre en Arménie un peuple ami qui est en train de mourir, les mêmes moyens diplomatiques, voire militaires, qu’elle a mis en œuvre en Ukraine ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Merci de votre question, monsieur le sénateur Pemezec, qui me permet de rappeler que, depuis le premier jour, c’est-à-dire depuis le 12 décembre, la France dénonce le blocage du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan et ses conséquences économiques et humanitaires.

En effet, depuis cette date, la population ne peut plus circuler librement. Les vivres arrivent de façon parcimonieuse, grâce au Comité international de la Croix-Rouge, que la France aide, monsieur le sénateur, tout comme ses partenaires de l’Union européenne.

Cette situation ne peut plus durer. La libre circulation doit être rétablie sans tarder et l’approvisionnement des populations du Haut-Karabagh doit être mieux assuré, d’abord parce que c’est le droit – la Cour internationale de justice s’est prononcée par référé il y a quelques semaines –, ensuite parce que ce blocage alimente les tensions et éloigne les perspectives d’un règlement politique, qui est le seul possible.

C’est un accord de paix que nous recherchons, et que l’Arménie recherche, monsieur le sénateur, avec son voisin. Je prévois de me rendre à Bakou et à Erevan dans le courant du mois d’avril pour porter ce message et rappeler la nécessité d’une solution politique.

J’y rappellerai également la nécessité de respecter le cessez-le-feu auquel les deux parties se sont engagées et je soulignerai combien les menaces d’emploi de la force sont inacceptables.

Je le redis, monsieur le sénateur : nous sommes déterminés, je suis déterminée. La France agit, elle ne regarde pas ailleurs ; elle ne parle pas, mais elle agit !

projet de fusion de l’autorité de sûreté nucléaire et de l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Angèle Préville. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’aube du lancement d’un grand programme nucléaire dans notre pays, le Gouvernement a proposé, par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, la fusion de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ou plutôt l’absorption de l’IRSN par l’ASN.

Ce projet de loi, qui prévoit tout un panel de mécanismes dits d’accélération, avait déjà été examiné au Sénat, mais sans cet amendement.

Quelle drôle d’idée, quand on a un parc vieillissant qui nécessite toute notre attention et quand on lance un programme très ambitieux de huit ou quatorze nouveaux réacteurs, voire plus encore !

Fort heureusement, les députés, plus raisonnables, ont rejeté cette fusion.

Dois-je rappeler que nous ne sommes à l’abri de rien ? Dans le pays le plus nucléarisé au monde, nous pouvons remercier tous les jours notre sûreté pour n’avoir connu, jusqu’ici, aucun accident nucléaire.

L’IRSN est indépendant. Il exerce des fonctions d’expertise et de recherche, qu’il fournit à l’ASN. C’est l’ASN, en tant qu’autorité, qui prend les décisions. C’est basique, c’est efficace et c’est une nécessité absolue.

Pourquoi casser ce qui fonctionne ? Pourquoi créer de la confusion, voire du désordre ? Les salariés de l’IRSN sont d’ailleurs sous le choc, KO debout. Sur quelle étude d’impact repose ce choix ?

L’arrêt de quatre réacteurs à l’automne, à la suite de la détection de problèmes de corrosion sous contrainte, qui ont conduit à agiter le spectre du blackout, a-t-il agacé ? A-t-il provoqué l’ire de certains, pour qui « la sûreté, ça suffit comme ça ! » ?

Nous sommes au printemps et il n’y a pas eu de blackout, mais de nouvelles corrosions ont depuis été découvertes. La réalité est que nous avons plus que jamais besoin d’organismes robustes, qui ont largement fait leurs preuves et qui sont même reconnus internationalement.

En matière de nucléaire, notre boussole doit être cette aiguë conscience des périls dont parle Edgar Morin.

Votre volonté d’effacement de l’IRSN a été sèchement rejetée par l’Assemblée nationale. Non seulement elle est malvenue, mais elle est dangereuse.

On se doute – ce n’est pas dans l’ADN de ce gouvernement – que vous n’allez pas lâcher prise, madame la ministre. Or, sur ce sujet comme sur les autres, gouverner, est-ce s’entêter ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition énergétique.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. Madame la sénatrice Préville, en matière énergétique, le Président de la République a un objectif ambitieux : faire de la France le premier grand pays à sortir des énergies fossiles et à reprendre en main son destin énergétique.

C’est dans ce contexte que le Gouvernement travaille à un programme nucléaire de six nouveaux EPR 2 et à la mise à l’étude de huit réacteurs supplémentaires.

C’est un projet pour notre indépendance énergétique ; c’est un projet pour la planète ; c’est un projet qui doit aussi nous permettre de reprendre le fil de la plus grande aventure industrielle française depuis les années 1970.

Le conseil de politique nucléaire du 3 février dernier, qui s’est tenu sous l’égide du Président de la République et de la Première ministre, a mis à jour la feuille de route pour mobiliser tous les maillons de notre filière nucléaire.

C’est dans ce contexte que le Gouvernement a décidé le renforcement – le renforcement ! – de notre sûreté nucléaire en avançant sur le rapprochement de l’ASN et de l’IRSN.

De quoi s’agit-il ? Très simplement, il est proposé d’élargir les missions de l’Autorité de sûreté nucléaire, en s’inspirant des modèles éprouvés des autorités de sûreté du Canada ou encore des États-Unis, en rapprochant la décision et le contrôle des missions d’expertise et de recherche. (Mmes Marie-Noëlle Lienemann et Émilienne Poumirol sexclament.)

Il s’agit donc, au fond, de réunir sous la même bannière et sous le statut le plus indépendant qui soit, celui d’autorité administrative indépendante – c’est le statut de l’ASN –, des services qui concourent à la même mission de service public.

Au terme de cette réforme, l’Autorité de sûreté nucléaire – ou cette composition ASN-IRSN – deviendrait la deuxième autorité de sûreté du monde, au regard de ses moyens humains et financiers. Sa crédibilité scientifique serait en outre renforcée.

Nous sommes donc bien loin des fantasmes et des modèles que vous évoquez. (Mme Laurence Rossignol et M. Pierre Laurent protestent.)

Le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, adopté hier à une large majorité par l’Assemblée nationale, prévoit entre autres la remise par le Gouvernement au Parlement d’un rapport explicitant les modalités de mise en œuvre de cette réforme et l’avis de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

M. le président. Il faut conclure !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Mon collègue Franck Riester et moi-même ne manquerons pas de vous solliciter, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les modalités selon lesquelles le Sénat souhaite être associé à cette réforme.

M. le président. Il faut conclure !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Nous avancerons dans la concertation. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Franck Montaugé proteste.)

visa consulaire pour les algériens

M. le président. La parole est à M. Damien Regnard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Damien Regnard. Madame la ministre, après la visite en Algérie du président Macron en août 2022, suivie de la visite de la Première ministre accompagnée de seize de ses ministres, après la visite de M. Darmanin en décembre 2022, qui nous a expliqué à son retour que tout allait bien et qui a supprimé la réduction de 50 % du nombre de visas délivrés aux Algériens par la France, il semble que nous ayons tout lâché. Mais pour quel résultat ?

Les délivrances de laissez-passer consulaires vers l’Algérie pour les personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) étaient déjà extrêmement faibles, inférieures à 1 %.

Après le rappel de son ambassadeur en France le 8 février 2023, l’Algérie a annoncé que ses dix-huit consulats présents sur notre territoire ne délivreraient sine die plus un seul laissez-passer consulaire et menacé de suspendre la délivrance des visas pour les Français souhaitant se rendre en Algérie.

Je t’aime moi, non plus !

Où en sommes-nous, madame la ministre, de la main tendue et de cette repentance incessante envers l’Algérie ? Où sont les résultats ?

La réforme de votre ministère, qui écarte des diplomates chevronnés, véritables négociateurs et bâtisseurs de ponts entre nos pays respectifs, commence à faire vaciller tout un édifice.

À quand des mesures fortes pour une France forte et respectée ?

Des mesures de rétorsion existent pourtant. Elles sont simples : suspendre la délivrance des visas aux Algériens souhaitant se rendre en France. Parallélisme des formes et égalité de traitement, ni plus ni moins ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Mme Catherine Colonna, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, depuis la visite d’amitié du Président de la République les 25, 26 et 27 août 2022, nous avons engagé avec l’Algérie une dynamique ambitieuse. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

Cette visite a été suivie de la tenue de la cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien, sous l’autorité de Mme la Première ministre et de son homologue algérien, les 9 et 10 octobre 2022.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, le ministre de l’intérieur s’est ensuite rendu en Algérie le 17 décembre dernier.

J’ajouterai enfin – vous l’avez oubliée – la visite en France du chef d’état-major de l’armée algérienne, une première depuis bien longtemps.

Mme Catherine Colonna, ministre. Monsieur le sénateur, il faut éviter de tomber dans le piège de ceux qui souhaitent faire échouer notre ambition. (M. Damien Regnard proteste.) Ce n’est pas votre vœu, j’en suis sûre.

Nous continuerons de travailler avec les autorités algériennes à la levée des difficultés constatées, car l’approfondissement de notre relation est dans l’intérêt de nos deux pays.

C’est dans cet esprit que la France traite notamment la question de la migration entre l’Algérie et la France. La coopération entre nos deux pays porte sur la délivrance des visas – un groupe de travail conjoint doit favoriser les mobilités, notamment entre les jeunes professionnels –, mais également, pour que cette coopération soit cohérente, sur le retour en Algérie des Algériens en situation irrégulière, comme le droit le commande.

Ce dossier fait partie de nos priorités immédiates. Nous y travaillons, notamment avec le président Tebboune, dont je suis sûre, monsieur le sénateur, que vous aurez noté avec intérêt les dernières déclarations. (M. François Patriat applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Damien Regnard, pour la réplique.

M. Damien Regnard. Si la visite du président algérien Tebboune en France au mois de mai prochain est confirmée, il sera toujours temps de remettre le sujet sur la table avec fermeté.

Enfin, je pense opportun de rappeler que la naïveté peut être considérée comme de la faiblesse. Non, madame la ministre, nous ne voulons pas d’une France qui se couche. Nous voulons une France qui se fasse respecter ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

prix de l’essence

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le président, madame la Première ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adressait à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, mais il est parti…

En mars 2022, le prix du baril de Brent oscillait entre 115 et 130 dollars, tandis que le prix à la pompe était élevé : le prix du litre de gazole était de 2,11 euros et celui d’un litre d’essence sans plomb de 2,06 euros en moyenne.

Douze mois plus tard, alors que le prix du baril de pétrole n’a jamais été aussi bas depuis quinze mois – il est de 75 dollars – et alors que l’euro remonte, le prix des carburants ne baisse pourtant quasiment pas, ou très peu.

M. Vincent Segouin. C’est vrai !

M. Pierre-Antoine Levi. Ces derniers jours, les prix à la pompe étaient toujours très élevés pour les automobilistes : le litre de gazole était à 1,82 euro et le litre d’essence sans plomb à 1,97 euro en moyenne.

Nul besoin d’être prix Nobel d’économie pour se rendre compte que lorsque le prix du baril est en hausse, les prix à la pompe augmentent très fortement, mais que lorsque le prix du baril baisse significativement, les prix à la pompe ne diminuent que très peu.

Monsieur le ministre, il est d’usage de faire des comparaisons avec nos voisins européens. Aussi, je me suis permis d’observer la situation dans quelques pays : en Allemagne, le sans plomb 95 est à 1,76 euro et le gazole à 1,73 euro ; en Belgique, ces prix sont respectivement de 1,65 euro et de 1,70 euro ; en Espagne, enfin, ils sont de 1,62 euro pour le sans plomb 95 et de 1,55 euro pour le gazole.

Comparaison n’est pas raison certes, mais comprenez que dans le contexte actuel de tensions économiques, sociales et maintenant politiques, nos concitoyens ont l’impression de ne pas payer le juste prix.

Nos concitoyens, c’est évident, ne réclament pas un nouveau chèque carburant ; ce qu’ils veulent, c’est une véritable baisse des prix à la pompe.

Monsieur le ministre, j’ai conscience que le prix des carburants est un mécanisme complexe. Il est temps cependant que les prix soient transparents et enfin cohérents avec les variations du prix du baril.

Ma question est donc la suivante : que compte faire le Gouvernement, à très court terme, pour que les prix à la pompe reflètent enfin de manière plus visible les cours du marché du pétrole ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

M. Roland Lescure, ministre délégué auprès du ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de lindustrie. Monsieur le sénateur Levi, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence du ministre Bruno Le Maire, qui m’a chargé de vous répondre. (Marques dironie sur les travées du groupe Les Républicains.)

Les mécanismes de répercussion du prix du baril sur les prix à la pompe sont complexes. Cette répercussion prend souvent un peu de temps (Exclamations sur les mêmes travées.) et reflète de manière incomplète la volatilité extrême qu’on observe sur les marchés.

Le prix du baril de Brent, vous l’avez dit, a connu la semaine dernière une très forte baisse, reflet essentiellement des incertitudes financières. Il fait le yo-yo au jour le jour, ce qui n’est pas le cas, il est vrai, des prix à la pompe, qui reflètent avec retard les évolutions à la hausse ou à la baisse des prix du baril.

Le taux de change entre l’euro et le dollar peut également avoir un impact positif ou négatif sur le prix à la pompe.

Je dois reconnaître que, ces derniers jours, les désorganisations dans les chaînes d’approvisionnement ont pu conduire les distributeurs à reconstituer des stocks de précaution, face à un certain nombre de conflits et de blocages qui ne facilitent pas les livraisons d’essence.

Cela étant, le prix de l’essence a baissé ces derniers jours. (Mme Vivette Lopez, ainsi que MM. François Bonhomme et Vincent Segouin sexclament.) Les prix s’établissent plutôt autour de 1,90 euro pour le supercarburant sans plomb et de 1,80 euro pour le gazole.

M. François Bonhomme. Quand il y en a !

M. Roland Lescure, ministre délégué. J’espère bien, si le prix du baril continue de baisser, que celui de l’essence diminuera aussi.

Enfin, votre question est l’occasion de rappeler aux Françaises et aux Français que le Gouvernement a mis en place – à la suite d’un vote du Parlement d’ailleurs – un chèque de 100 euros, qui permet à 4 millions d’entre eux de bénéficier, d’ores et déjà, d’une facture réduite à la pompe.

M. Vincent Segouin. Ce n’est pas ce qu’on demande !

M. Roland Lescure, ministre délégué. J’engage celles et ceux qui n’ont pas encore réclamé ce chèque à se rendre sur le site impots.gouv.fr. Cela prend cinq minutes, c’est extrêmement simple et cela rapporte gros : 100 euros ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Protestations sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Antoine Levi, pour la réplique.

M. Pierre-Antoine Levi. Monsieur le ministre, comme vous l’avez dit, quand le prix du baril monte, le prix de l’essence augmente fortement dès le lendemain ou le surlendemain. En revanche, quand les prix baissent, il faut attendre plusieurs semaines avant que cette baisse ne soit répercutée à la pompe. Ce n’est pas normal.

J’espère que le Gouvernement saura inciter à plus de transparence. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.

Notre prochaine séance de questions au Gouvernement aura lieu le mercredi 29 mars 2023 à quinze heures.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes suivi d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes.

(M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont introduits dans lhémicycle selon le cérémonial dusage.)

M. le président. Monsieur le Premier président, monsieur le rapporteur général, c’est avec plaisir que nous vous accueillons pour notre débat sur le rapport public annuel de la Cour des comptes, rendu public le 10 mars dernier. Je vous remercie de votre présence.

Depuis 2020, la conférence des présidents a souhaité donner à cette séance de dépôt de votre rapport une forme nouvelle. Comme les années précédentes, un représentant de chaque groupe politique pourra s’exprimer au cours de ce débat.

Notre choix d’un débat ouvert et pluraliste démontre l’intérêt que nous portons aux observations et aux recommandations formulées dans le rapport public annuel, qui rencontre chaque année un écho médiatique réel.

Ce choix traduit également notre attachement à la mission d’assistance du Parlement au contrôle du Gouvernement que notre Constitution confie à la Cour des comptes. Vos éclairages apportent un concours précieux à la mission de contrôle que nous avons tous ici à cœur de faire vivre et de renforcer.

M. le président. Cette année en particulier, monsieur le Premier président, au-delà de l’analyse de la situation d’ensemble des finances publiques, la question de la performance de l’organisation territoriale de notre pays, qui est abordée dans votre rapport quarante années après les premières lois de décentralisation, devrait susciter au Sénat – je n’en doute pas – un débat nourri et peut-être passionné. (M. le Premier président sourit.)

Nous menons nos propres réflexions sur ce sujet – nous l’évoquions avant cette séance – dans le cadre notamment du groupe de travail transpartisan sur la décentralisation, qui a été mis en place le 5 octobre dernier.

Ce groupe de travail remettra ses conclusions d’ici au début de l’été. Notre priorité sera de consolider l’autonomie et la place de tous les échelons des collectivités territoriales – en particulier le bloc communal, mais pas seulement –, qui forment le socle de notre démocratie.

Monsieur le Premier président, je vous invite maintenant à rejoindre la tribune : vous avez la parole.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en application de l’article L. 143-6 du code des juridictions financières, j’ai eu l’honneur de vous remettre à l’instant, monsieur le président, le rapport public annuel de la Cour des comptes.

Je vous remercie de l’accueil réservé à la Cour, qui traduit la qualité des liens qui unissent nos deux institutions. Vous savez à quel point, comme mes prédécesseurs, je suis attaché au rôle de la Cour des comptes à l’égard du Parlement.

Depuis Philippe Séguin, qui a été Premier président jusqu’en 2010, la Cour des comptes se définit comme à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement et sa mission d’assistance au Parlement est, pour nous, absolument essentielle.

Je salue, d’ailleurs, l’attention du Sénat et l’organisation particulière de ce débat, qui permet à chaque groupe de s’exprimer. Ce n’est pas le cas dans l’autre assemblée et je pense que cette formule est extrêmement heureuse, en ce qu’elle permet un débat pluraliste sur nos travaux.

J’ai grand plaisir à vous retrouver en séance publique pour présenter ce qui reste le vaisseau amiral de toutes nos productions : le rapport public annuel.

Je dis « amiral », car depuis le 1er janvier 2023, tous nos rapports sont publiés, si bien qu’il sort de la Cour des comptes pratiquement un rapport thématique par jour ouvrable en moyenne, parfois plus, soit près de deux cents par an.

Néanmoins, le rapport public annuel conserve à nos yeux une importance toute particulière. Cette année, ce rapport est singulier à double titre, puisque la Cour a fait le choix de travailler sur le bilan de la décentralisation, un sujet majeur qui intéresse hautement nos concitoyens et qui, je le sais, vous intéresse au premier chef, mesdames, messieurs les sénateurs.

Je dirai quelques mots sur le contexte dans lequel a été élaborée cette publication, qui n’est plus, comme par le passé, un assemblage de nos productions. Ce rapport s’organise désormais sous un format thématique. J’ai souhaité prendre cette orientation dans le cadre du plan de modernisation de la Cour des comptes. Ainsi, l’année dernière, le rapport avait pour thème la crise du covid-19 ; l’année prochaine, il portera sur l’adaptation au changement climatique.

Nous avons choisi de consacrer cette édition 2023 à la décentralisation, parce que nous sommes quarante ans après le lancement du processus engagé par l’adoption de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions. Son décret d’application aura quarante ans dans quelques jours.

Ce qu’on a appelé plus tard l’acte I de la décentralisation – ou lois Defferre, du nom du ministre de l’intérieur de l’époque – fut, à l’évidence, une rupture historique avec la tradition centralisatrice française. Elle visait à donner aux collectivités territoriales la maîtrise de leur devenir et à leur permettre de rapprocher l’administration des administrés.

Ce mouvement s’est concrétisé, dans un premier temps, par la fin de la tutelle des préfets sur les collectivités locales, par le transfert des fonctions exécutives vers les départements et vers les régions et par un nombre important d’autres transferts de compétences.

La Cour dresse dans son rapport un état des lieux de la performance de l’organisation territoriale actuelle de notre pays, héritière de ce long mouvement décentralisateur, et confronte les réalisations avec les ambitions initiales de cette politique. C’est un sujet soumis en effet à controverses, sur lequel la Cour a voulu apporter, avec son propre regard, un éclairage objectif.

Nous avons identifié sous l’angle qui est le nôtre les principaux enjeux financiers, mais aussi institutionnels, et présenté une série d’exemples concrets montrant les forces et les faiblesses de cette organisation au regard de la qualité et de l’efficience des services rendus à la population.

Ce thème a évidemment poussé la Cour et les chambres régionales et territoriales des comptes – vous vous en doutez, c’est une coproduction ! – à imbriquer encore davantage leurs enquêtes : neuf des dix chapitres de ce rapport public annuel sont ainsi issus de travaux réalisés conjointement par la Cour des comptes et par les chambres, si bien que, au total, treize chambres régionales et la chambre territoriale de Nouvelle-Calédonie se sont mobilisées pour élaborer ce rapport.

Cette évolution et ce travail commun se renforceront encore puisque, grâce à la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, les chambres régionales des comptes pourront désormais procéder dans les territoires à des évaluations de politiques publiques locales, notamment à la demande des grands exécutifs locaux.

Je me réjouis de cette évolution très positive et je remercie le Sénat de l’avoir particulièrement portée.

Comme chaque année, le rapport public annuel est précédé d’un chapitre liminaire relatif aux finances publiques, dont la présence est à nos yeux absolument indispensable, tant la situation des finances publiques conditionne la conduite de la politique de la Nation – je ne sais pas comment on fait une bonne politique sans finances publiques saines – et tant son actualité se révèle cruciale dans la période que nous traversons. On ne peut pas dire en effet que nos finances publiques soient dans le meilleur des états.

Je commencerai donc par vous livrer nos grands messages sur la situation actuelle de nos finances publiques. Déjà dégradée avant la pandémie de covid-19, cette dernière appelle, me semble-t-il, des mesures fortes et urgentes.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire devant la Première ministre lors de notre rentrée solennelle voilà quelques semaines, comme je m’en suis entretenu avec le Président de la République lorsque je lui ai remis ce même rapport, le redressement des finances publiques est un véritable impératif national.

La Cour préconise d’examiner sérieusement la qualité de la dépense publique pour réformer les politiques publiques et, in fine, déterminer comment en maîtriser les coûts.

Après 2021, qui a été l’année du rebond de l’activité économique, 2022 a été une année solide, mais elle a aussi été celle d’un premier ralentissement et, surtout, de la reprise de l’inflation, ce qui n’a pas permis de réduire substantiellement le déficit public.

Le choc sur les prix de l’énergie et les conséquences de la guerre en Ukraine ont ramené la croissance à 2,6 %, en deçà des 6,8 % de 2021, une année, certes, de rattrapage exceptionnel par rapport à la terrible année 2020.

L’économie française a heureusement montré des signes de résilience en 2022, mais l’inflation s’est peu à peu imposée dans le paysage et devrait demeurer à des niveaux élevés en 2023, atteignant 4,2 % selon le projet de loi de finances initiale, soit un peu moins que la prévision qui fait consensus chez les économistes et que nous reprenons.

Du côté des recettes publiques, le tableau est, là aussi, contrasté. Celles-ci ont conservé un certain dynamisme en 2022, après avoir beaucoup augmenté en 2021, mais un ralentissement est à prévoir pour 2023.

Le taux de prélèvements obligatoires a atteint un pic à 45,2 % ; il devrait diminuer en 2023 pour retrouver son niveau d’avant-crise, soit 44,7 %. Hors crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires devraient rapporter au total 5,5 milliards d’euros en 2023, après une baisse de 5,7 milliards en 2022.

Certaines baisses pérennes d’impôts ont été temporairement compensées par une hausse des recettes liées à l’énergie. Disons-le, c’est un dynamisme exceptionnel des recettes, notamment fiscales, qui a caractérisé les exercices 2021 et 2022, sans permettre pour autant une inflexion du déficit du fait d’un dynamisme tout aussi marqué des dépenses.

Car, et – cela ne vous surprendra pas – c’est pour nous le point le plus préoccupant, la dépense publique continue de croître à un rythme soutenu. Après avoir atteint 1 461 milliards d’euros en 2021, les dépenses publiques ont progressé en valeur de 4,3 % en 2022 et augmenteront, selon les prévisions, de 3,2 % en 2023.

À partir de 2020, le Gouvernement a mis en œuvre ce qui a été appelé le « quoi qu’il en coûte », c’est-à-dire un ensemble de mesures importantes pour soutenir les ménages et les entreprises face aux effets de la crise sanitaire, mesures prolongées ensuite par des dépenses de relance dès l’automne – j’ai présenté un rapport à ce sujet devant votre commission des finances –, puis de lutte contre l’inflation. Le poids de ces mesures a, certes, ralenti, mais celles-ci restent très significatives, puisqu’elles atteignent 37,5 milliards en 2022 et encore 12,5 milliards en 2023.

L’année 2022 devait marquer la sortie, revendiquée, du « quoi qu’il en coûte », mais d’autres dépenses ont pris le relais, notamment pour atténuer la hausse des prix de l’énergie, pour un total de 25 milliards d’euros en 2022 et de 36 milliards en 2023. En parallèle, les dépenses publiques ont été mécaniquement alourdies par l’inflation.

Je ne veux pas lancer ici un dialogue avec le ministre de l’économie et des finances, pour qui le « quoi qu’il en coûte » est terminé ; je m’en suis entretenu avec lui. Je lui donne acte que certaines mesures sont désormais effectivement plus ciblées. Mais si nous ne sommes plus dans le « quoi qu’il en coûte », nous risquons d’être dans le « cela coûte très cher », en l’occurrence près de 50 milliards d’euros en 2023.

Notre message est donc très clair sur ce point : l’ampleur des dépenses engagées en réponse aux crises sanitaire et énergétique brouille l’appréciation de l’évolution de la dépense publique totale. Même si l’on défalque ces mesures exceptionnelles, la dépense publique a continué de progresser en volume de 3,5 % en 2022 et de 0,7 % en 2023, soit un niveau supérieur à ce qui était prévu par le projet de loi de programmation des finances publiques, qui n’a pas pu être voté.

Tout cela m’amène à mon dernier point – mais c’est le principal, et j’y suis très attaché – sur les finances publiques : la trajectoire de notre dette.

Là encore, les scénarios annoncés ne me paraissent pas satisfaisants. Les déficits ont atteint 6,5 % du PIB en 2021 et devraient se stabiliser autour de 5 % en 2022 et en 2023. C’est un ratio qui reste tout de même élevé, alors que la croissance va se tasser. Il en résulte une dette publique qui devrait atteindre 111 % du PIB en 2023, soit près de 14 points au-dessus de son niveau d’avant-crise. Cela représente 700 milliards d’euros supplémentaires.

Prenons un peu de recul historique. En 2000, c’est-à-dire lors de l’entrée dans l’euro – j’étais membre du Gouvernement, comme Alain Richard, ici présent –, la France et l’Allemagne avaient exactement le même taux de dette publique, soit 58,8 % du PIB. La dette de l’Allemagne a augmenté de 10 %, celle de l’Italie de 40 % et celle de la France de 55 % !

Cet effet de divergence et de stagnation de notre endettement – il ne devrait pas se réduire d’ici à 2027 – est, selon moi, tout à fait préoccupant et traduit une dégradation relative de nos finances publiques.

Pour ma part, je n’ai jamais parlé de la France comme d’un pays en faillite. Je ne parle jamais de problème de soutenabilité de notre dette, car – fort heureusement ! – la France a une signature solide et reste arrimée à l’Allemagne.

Toutefois, un pays endetté à l’excès ne dispose pas des marges de manœuvre suffisantes pour investir à long terme dans son avenir, surtout si vous ajoutez à cela une hausse des taux de 1 %, qui signifie un surcroît de charge annuelle de la dette de 31 milliards d’euros à un horizon de dix ans.

Il sera très difficile de financer les investissements nécessaires si nous ne réduisons pas cette dette. Pour financer une montagne d’investissements, vous avez un problème si vous faites déjà face à un mur de dettes !

La dette finit toujours par engorger et paralyser l’action publique – c’est une conviction que j’ai depuis très longtemps – et par interdire le financement des investissements d’avenir dont notre pays a besoin. Voilà pourquoi un désendettement maîtrisé n’est pas une politique d’austérité ; c’est juste indispensable pour préparer l’avenir.

Le panorama que je dresse est d’autant plus sérieux qu’un recul de la croissance est attendu en 2023. Les estimations de croissance s’améliorent et la menace de récession s’éloigne, la Banque de France estimant la croissance à 0,6 %, ce qui n’est pas si loin de l’estimation de la loi de finances pour 2023, à savoir 1 %.

Néanmoins, nous nous dirigeons vers une croissance plus lente que celle que nous avons connue en 2020 et en 2021. Après 2023, nous entrerions dans une ère assez longue de croissance autour de 1,5 %. Nous ne sommes pas, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’aube de nouvelles « trente glorieuses » : attendons-nous à des années de croissance modérée !

J’insisterai sur un point : la situation et les perspectives des finances publiques appellent à assurer la soutenabilité de la dette publique ; c’est un enjeu de souveraineté. Voilà pourquoi nous plaidons pour un redressement de nos finances publiques sans tarder.

Notre constat est simple et constant. Nous formulons trois objectifs pour la période 2023-2027.

D’abord, réduire sensiblement les déficits pour repasser nettement et au plus tôt sous la barre des 3 %, car la plupart de nos partenaires européens n’attendront pas 2027 et feront le nécessaire dès 2025. Ensuite, amorcer sans tarder la décrue de la dette. Enfin, préserver notre potentiel de croissance.

Quelles sont les pistes que nous proposons ? Nous en parlons souvent en commission des finances : il me semble que l’accent doit être résolument mis sur la maîtrise de la dépense.

Cela passe par l’initiative d’une revue des dépenses, proposée par le ministre des finances, que j’approuve pleinement. Encore une fois, il s’agit non pas d’austérité, mais de regarder, politique par politique, ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, ce qui est efficace et ce qui l’est moins. On peut être plus efficace et plus juste sans adopter pour autant de mesures plus coûteuses. Soyez assurés que la Cour des comptes apportera sa contribution à cette revue des dépenses.

Autre point dont j’ai discuté souvent en commission des finances – je connais la difficulté politique du moment –, notre pays doit se doter rapidement d’une loi de programmation des finances publiques.

Cette loi n’est pas anecdotique ; elle est importante non seulement sur le plan juridique – le Haut Conseil des finances publiques que je préside ès qualités peut difficilement formuler des avis dans ce contexte – et politique, mais aussi sur le plan national et européen.

À un moment, l’Union européenne réactivera ses règles liées aux finances publiques, et la Commission adoptera de nouveau des avis ; j’ai travaillé sur le sujet lorsque j’étais commissaire européen. C’est aussi sur la base d’un objectif de moyen terme que l’Union européenne décide du niveau de subventions accordées aux États membres.

Cette loi de programmation doit être à la fois réaliste et ambitieuse.

À l’échelon national, nous devons poursuivre des réformes d’envergure sans repousser en fin de période l’amélioration de notre dépense publique et de notre déficit.

Enfin, à l’échelon européen, une réforme du cadre de gouvernance des finances publiques doit voir le jour avant la levée de la clause dérogatoire, le 1er janvier 2024. Je considère à titre personnel que la proposition de la Commission, qui met l’accent sur l’évaluation de la dépense publique ou encore l’appropriation nationale des règles de gestion des finances publiques, va dans la bonne direction.

Ce constat sur les finances publiques étant posé, nous nous sommes intéressés à la décentralisation, objet de la partie thématique de notre rapport public. Nous avons souhaité répondre à la question : le niveau de décentralisation et l’organisation territoriale française ont-ils permis d’atteindre les trois objectifs fondateurs des lois Defferre ?

Ces objectifs étaient, je le rappelle, de renforcer la démocratie locale, de rapprocher la décision politique et administrative du citoyen et d’améliorer l’efficacité et l’efficience de la dépense publique. Notre rapport fait suite à un premier bilan de la Cour des comptes sur la décentralisation entre 2000 et 2010. Quelles conclusions tirons-nous ?

Disons-le, malgré les tentatives de rationalisation des deux premières étapes de la décentralisation, ce que l’on a appelé les actes I et II, ce nouveau bilan montre que les réformes menées depuis 2010 n’ont pas permis de remédier complètement aux défauts de notre organisation territoriale, faute d’une vision consensuelle entre les différents acteurs.

En d’autres termes, l’ambition d’ouvrir un acte III ne s’est pas matérialisée par la reprise du processus de décentralisation de manière constante.

Une série de lois de moindre portée que celles des années 1980 et 2000 ont été adoptées, traduisant un dessein plus hésitant et même parfois contradictoire.

J’en donnerai quelques exemples : la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, dite loi RCT, a rationalisé l’intercommunalité et a créé les métropoles, tandis que la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, ont plutôt abouti à un brouillage de compétences. Le sort des départements l’illustre, puisqu’ils ont fait l’objet d’un double mouvement, d’abord de réaffirmation des compétences, puis de réduction de leur poids.

M. François Bonhomme. « En même temps »…

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Plus récemment, la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Élan, et la loi 3DS repositionnent les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) au service de leurs communes membres et développent la différenciation et l’expérimentation.

Si ces lois ont pour objectif louable d’atténuer certains effets des lois précédentes, elles n’en ont pas bouleversé l’économie.

Pour le dire autrement, j’ai le sentiment qu’un premier mouvement a cherché à renforcer l’échelon intercommunal et celui des régions, avec les grandes régions et qu’un second mouvement est au contraire revenu sur la demande de proximité, donc sur le rôle des communes et des départements.

C’est un balancement dans les deux sens qui n’a pas tout à fait atteint sa position d’équilibre, la phase 2 n’ayant pas effacé la phase 1… Les démarches se sont donc empilées, alors qu’elles n’allaient pas dans le même sens.

Ces fluctuations ont réduit le succès des réformes, qui n’ont jamais franchi aucun gué. Toutefois, cette ambition a compromis l’intention sous-jacente – je ne me prononce pas sur le fond – de supprimer, peu ou prou, un des échelons de l’organisation territoriale. C’est bien le département qui était visé au départ ; on sait le succès médiocre que cette idée a recueilli dans votre assemblée. La refonte de la carte des régions a mis en évidence la nécessité d’une logique de proximité, mais cela n’a pas abouti à un positionnement clair pour autant.

En outre, contrairement à l’Allemagne ou à l’Italie, la France n’est jamais parvenue à régler la question du nombre de petites communes ; le sujet ne fait pas non plus consensus. Je sais que la question est sensible face à la demande de proximité de nos concitoyens, mais nous devons aussi regarder les difficultés des maires de ces petites communes. Au 1er janvier 2022, notre pays comptait 34 955 communes pour une population moyenne d’environ 2 000 habitants, ce qui est bien inférieur à celle des communes de nos pays voisins.

Vous le savez aussi bien que moi, dans le domaine de l’action publique, une taille critique est souvent nécessaire en matière de portage d’investissements lourds et structurants ou de prise en compte de la complexité juridique et financière de la gestion locale. La promotion des fusions de communes depuis la loi de 2015 a connu un succès très relatif.

Le dernier point de notre diagnostic concerne l’État. Il nous semble que l’organisation de ses services n’a pas été adaptée pour tenir compte de l’évolution de la carte et des compétences des collectivités.

Disons-le clairement, on a trop désarmé l’État déconcentré : la baisse des effectifs a d’abord été le fait de l’échelon déconcentré, et non de l’administration centrale. Nous avons le sentiment – et la Cour avait d’ailleurs réalisé, à la demande du ministre de l’intérieur, un rapport sur les sous-préfectures – que l’on a exagérément désarmé l’État déconcentré. (Mme Françoise Gatel manifeste son approbation.) Vous représentez les collectivités locales : vous savez bien que nous avons besoin de l’État comme partenaire, mais que, souvent, ses capacités ne sont pas suffisantes pour répondre aux demandes. Il faut donc réarmer l’État.

Quels sont les résultats de ces fluctuations ? Un élan initial essoufflé, un paysage institutionnel peu clair, des compétences de plus en plus imbriquées et exercées par plusieurs niveaux de collectivités, d’où des mécanismes de coordination coûteux et rarement efficaces, un État très demandé, mais qui n’a pas la capacité de répondre aux sollicitations.

Nous avons aussi dressé un bilan financier de la décentralisation, montrant une complexification des modalités de financement des collectivités, entre les dotations de l’État, les parts d’impôts nationaux, la fiscalité et les redevances locales. C’est une architecture qui est devenue très peu compréhensible, tant pour les décideurs que pour les contribuables.

Tout cela s’est aussi traduit par une augmentation significative des dépenses locales, qu’il convient tout de même de relativiser : même si la part des dépenses publiques locales dans le PIB est passée de 8 % en 1980 à plus de 11 % aujourd’hui, la France reste un pays très centralisé, puisque la moyenne européenne des dépenses locales s’établit à 18 %.

Bref, selon nous, les objectifs de la décentralisation fixés en 1982 ne sont pas atteints. Ce panorama global n’est pas le plus favorable à l’efficience de la gestion publique locale, à la responsabilisation des acteurs et à l’intelligibilité de cette organisation.

Nous avons donné plusieurs coups de projecteurs sur des politiques qui illustrent ces aspects divers. Nous nous sommes ainsi intéressés au développement économique des territoires et à l’action sociale envers les publics les plus fragiles. On voit bien que l’on a des chefs de file, la région d’un côté, le département de l’autre, qui ne sont pas totalement reconnus comme tels, avec un enchevêtrement d’interventions et de compétences. C’est pourquoi nous appelons à renforcer cette dimension.

Nous avons également pris acte d’aspects plus positifs, comme la décentralisation scolaire, qui a indéniablement permis d’améliorer les conditions matérielles d’accueil des élèves dans les collèges. Nous avons identifié un certain nombre de problèmes en matière de culture, de tourisme, de gestion quantitative de l’eau ; pour cette dernière, nous devrons renforcer le rôle de pilotage des communes.

J’en viens à la gestion des déchets ménagers. La mise en place d’une économie circulaire impose d’associer davantage les filières de production, mais aussi les ménages à la prévention, au réemploi et au recyclage.

Enfin, nous avons identifié des domaines de compétences un peu bizarres dans le sens où ils ne sont ni décentralisés ni clairement partagés et dans lesquels l’intervention des collectivités territoriales est à la fois de premier plan et confrontée à des défis croissants. Le premier d’entre eux est l’accès aux soins de premier recours. En la matière, les collectivités ont parfois pris, de manière spontanée et disparate, le relais de l’État et de l’assurance maladie.

En somme, notre rapport invite à poser les bases d’une nouvelle étape de la décentralisation pour revoir la répartition des compétences entre l’État et les différents échelons de collectivités locales et pour doter chaque échelon des moyens lui permettant de les assumer dans les meilleurs objectifs d’efficacité. Il y a une réflexion à mener sur les institutions et nous savons évidemment qu’il est tout sauf simple de réaliser la grande ambition d’un véritable acte III ou IV de la décentralisation. Néanmoins, et c’est notre message, on ne peut pas se satisfaire du statu quo. N’en restons pas là !

Nous proposons, pour le court et le moyen terme, plusieurs directions : simplifier le partage des compétences et responsabiliser les acteurs, ce qui est une priorité ; approfondir la coopération intercommunale et mieux l’articuler avec le rôle des communes ; renforcer la position de chef de file en matière de politiques partagées, surtout quand le nombre d’échelons est important ; préciser les modalités de coopération en évitant les concurrences inutiles ; utiliser effectivement la différenciation territoriale et les expérimentations pour tester des organisations plus efficaces et mieux adaptées à la diversité des situations locales.

Nous réaffirmons en outre l’importance du rôle de l’État. Il doit plus que jamais assurer la fonction stratégique de régulateur et de partenaire des collectivités. Le besoin d’État est très fort dans les territoires ; nous l’avons constaté à l’occasion de la crise sanitaire. L’État est attendu dans un rôle puissant de stratège des politiques nationales et de partenaire des collectivités. C’est pourquoi nous appelons à un réarmement de l’État déconcentré.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre rapport public annuel 2023 vise à éclairer un sujet compliqué, que je sais délicat, sensible, charnel parfois – j’ai moi-même été élu local durant vingt ans –, mais l’organisation et la cohérence en la matière sont fondamentales pour notre pays.

En 2024, si tout se passe bien, je reviendrai devant vous pour évoquer un sujet également structurant, qui concerne l’ensemble des territoires : l’adaptation des politiques publiques au changement climatique.

Le choix de présenter un rapport public annuel thématique est une manière non seulement de nous montrer davantage encore au rendez-vous des préoccupations de nos concitoyens et de leurs représentants, mais aussi de rendre des éclairages plus exhaustifs sur les questions prioritaires figurant à l’agenda de l’action publique.

Notre maison, la Cour des comptes, se veut une institution de référence sur les politiques publiques et les finances publiques. Elle veut offrir à la représentation nationale et, à travers elle, aux citoyens des éléments de réflexion objectifs qui sont, bien sûr, soumis à réfutation, comme tout élément du débat public. Il faudrait tout de même réapprendre, dans notre pays, à débattre de manière un peu plus sereine, à accepter l’échange d’arguments contradictoires plutôt que d’asséner des vérités. Je prétends non pas détenir une quelconque vérité, mais vous offrir des éléments de réflexion à partir de faits objectifs et d’analyses réalisées de bonne foi. C’est une ambition à la fois vaste et limitée.

Cela étant dit, je vous remercie de votre écoute, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs. Je vous redis tout le plaisir et l’honneur que je ressens, au nom de la Cour des comptes, à participer à cette séance et je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)

M. le président. Monsieur le Premier président, le Sénat vous remercie et vous donne acte du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.

Nous allons procéder au débat, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, nous nous retrouvons pour la remise du rapport public annuel de la Cour au Parlement.

L’exercice est traditionnel, mais il présente des nouveautés, puisque cette édition est consacrée à un bilan de quarante ans de décentralisation. Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut que se réjouir d’un tel choix thématique, qui suscitera – j’en suis sûr – de nombreuses observations de la part de mes collègues.

Avant d’aborder le thème de la décentralisation, je note que le rapport conserve une tradition : celle de consacrer sa première insertion à la situation de nos finances publiques.

La Cour rappelle ainsi que la croissance s’est élevée à 2,6 % en 2022 et estime qu’elle devrait s’établir à seulement 0,5 % en 2023, soit en dessous de l’hypothèse gouvernementale de 1 %. Ces chiffres traduisent clairement le ralentissement de notre économie.

Le déficit public atteindrait 5 % du PIB en 2023 et la dette publique 111,2 % du PIB. Les dépenses publiques ont, certes, progressé sous l’effet de l’inflation et des mesures de soutien à l’économie et aux ménages, ce qui explique en partie ces chiffres, mais, comme le note aussi la Cour, entre 2019 et 2023, les baisses discrétionnaires de prélèvements obligatoires ont représenté à elles seules un point de déficit public.

Le projet de loi de programmation des finances publiques n’a toujours pas été adopté par le Parlement. La Cour note que celui-ci repose sur des hypothèses macroéconomiques très optimistes et estime, rejoignant ainsi la majorité sénatoriale, qu’il n’est pas suffisamment ambitieux en matière de baisse des dépenses.

Je formule le vœu que la Cour tire aussi les enseignements de ses constats sur les prélèvements obligatoires pour observer a minima que le projet de loi de programmation ne repose que sur une jambe, celle de la maîtrise des dépenses, sans jamais interroger le volet recettes. Nous aurons à en reparler dans les semaines et les mois à venir.

Je souhaite à présent évoquer le bilan que dresse la Cour de la décentralisation.

Le rapport montre que si les dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités territoriales ont augmenté depuis le premier acte de la décentralisation, cette hausse s’explique par les transferts successifs de compétences et la recherche d’amélioration des services publics.

La Cour reconnaît par exemple que la décentralisation a permis d’améliorer les conditions matérielles d’accueil des élèves dans les collèges – on pourrait aussi parler des écoles et des lycées –, même si les départements sont désormais confrontés aux enjeux de rénovation du bâti scolaire, notamment en matière d’efficacité énergétique : cette question est précisément l’objet d’une mission d’information du Sénat dont les travaux viennent d’être lancés.

La Cour note aussi le dynamisme territorial du spectacle vivant. Ses observations rejoignent celles des rapporteurs spéciaux de la commission des finances. Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, ces derniers regrettaient l’absence de réflexion sur la pertinence de l’action de l’État en faveur de la création dans les territoires, qui pourrait s’apparenter à un renouvellement automatique des aides habituellement versées, à l’image d’une dépense de guichet.

De manière générale, qu’il s’agisse de l’appui au développement économique dans les territoires, de la gestion de l’eau ou des déchets ou encore des politiques sociales, sujet sur lequel nos collègues rapporteurs spéciaux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » se sont largement penchés – la commission des affaires sociales a fait de même –, la Cour appelle à la clarification des compétences non seulement entre collectivités, mais aussi avec l’État.

Globalement, le poids des dépenses locales dans le PIB demeure inférieur à la moyenne européenne. Comme le souligne la Cour, la France reste finalement un pays peu décentralisé.

Pour en venir plus précisément aux finances locales, qui font l’objet d’un développement spécifique, le principal enjeu me semble résider moins dans le niveau des dépenses des collectivités que dans le mode de financement, ce dernier apparaissant de plus en plus inadapté.

En effet, la substitution progressive aux ressources provenant de la fiscalité locale de parts d’impôts nationaux a distendu le lien qui existait entre les collectivités territoriales, pourvoyeuses de services à la population et aux entreprises, et ces derniers. Les dotations de l’État sont trop complexes et leur effet péréquateur est insuffisant. Le dispositif actuel manque de prévisibilité et de lisibilité pour les élus comme pour les citoyens.

Les constats du rapport public rejoignent ceux de l’enquête de la Cour sur les scénarios de financement des collectivités territoriales demandée par la commission des finances en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). J’ai beaucoup apprécié ce travail et je crois que les différents scénarios doivent être poussés au maximum. Ces constats sont partagés par l’ensemble des acteurs, élus locaux et parlementaires.

La question qui doit désormais être posée est celle des mesures à mettre en œuvre. Or nombre de sujets à trancher ne sont pas consensuels et mériteront dans les mois à venir d’être étudiés par le Sénat pour tracer des pistes concrètes : la frontière entre autonomie fiscale et financière et la place qui doit être faite à la première ; les modalités de compensation des transferts de compétences et des réformes de la fiscalité locale, la compensation au coût historique n’étant pas soutenable dans certains domaines et pour certains territoires ; le dynamisme des recettes qui doit être envisagé au regard de celui des charges. Aujourd’hui, le mode de financement des collectivités est trop souvent décorrélé de leurs charges et, plus fondamentalement, des missions qu’elles exercent et de la qualité des services publics.

La question de l’éventuelle contribution des collectivités au redressement des finances publiques ne pourra être posée qu’une fois ces questions préalablement tranchées.

Par ailleurs, il me semble indispensable d’avoir une approche différenciée de la situation financière des collectivités. La Cour souligne de manière régulière la bonne santé financière des collectivités, mais les écarts entre catégories de collectivités et au sein d’une même catégorie sont trop importants pour ne pas être pris en compte.

En conclusion, le temps qui m’est imparti est trop court pour commenter l’ensemble des contributions particulièrement riches de ce rapport, qui se penche sur sept politiques sectorielles. Il n’est pas possible de porter une appréciation sur les nombreuses recommandations formulées par la Cour, qui dépassent largement l’analyse purement financière. La commission des finances, par ses rapporteurs spéciaux, qui suivent chacune des politiques publiques, tirera – soyez-en sûr, monsieur le Premier président – le meilleur profit de ces contributions, sur des sujets souvent abordés au moment de l’examen des projets de loi de finances. (MM. Thierry Cozic et Marc Laménie applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, comme chaque année, j’ai pris connaissance avec grand intérêt du rapport annuel que la Cour a publié le 10 mars dernier.

Comme de coutume, ce rapport fait tout d’abord un point sur la situation d’ensemble des finances publiques, point qui se révèle de nouveau assez alarmiste.

La Cour souligne ainsi le caractère dégradé de nos finances publiques, aussi bien dans l’absolu que par rapport à la situation antérieure à la crise et par rapport à nos voisins européens. Elle pointe un risque de divergence entre plusieurs groupes de pays, la France appartenant à celui des pays les plus endettés et aux déficits les plus élevés.

À partir de ce constat, elle appelle à un plus grand effort de maîtrise des dépenses publiques. Comme vous l’observez, monsieur le Premier président, la sphère sociale a déjà agi en la matière, au travers de la réforme de l’assurance chômage et, plus récemment, de la réforme des retraites. Nous pourrons à l’avenir avoir des échanges, afin de déterminer si c’est toujours dans le domaine des finances sociales que vous distinguez des axes prioritaires de maîtrise de la dépense publique.

En dehors de ce chapitre traditionnel, le rapport annuel prend la forme d’un bilan thématique consacré à la décentralisation, quarante ans après les lois Defferre.

Il s’agit évidemment d’un sujet auquel le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne peut qu’être sensible.

Je me suis tout particulièrement intéressée au chapitre relatif aux politiques sociales décentralisées.

Les politiques de solidarité, dont le département est chef de file, représentent un volet important de la décentralisation, avec pour philosophie de mettre en œuvre les dispositifs destinés aux publics vulnérables au plus près de leurs bénéficiaires. Les attributions des départements s’adressent principalement à quatre catégories de publics : l’enfance en danger ; les personnes en situation de pauvreté ou de précarité ; les personnes âgées dépendantes ; les personnes en situation de handicap.

Ces politiques s’organisent notamment autour de prestations monétaires dont les caractéristiques principales sont définies à l’échelle nationale : le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Les départements doivent consacrer une part croissante de leurs dépenses de fonctionnement à ces allocations individuelles de solidarité, et leur reste à charge s’est creusé du fait de l’inadaptation des mécanismes de financement au dynamisme de ces dépenses.

Dès l’origine, ces politiques ont souffert de la tension entre le caractère nécessairement national de la solidarité, corollaire du principe d’égalité, et la libre administration des collectivités territoriales dans l’exercice de leurs compétences. Cette tension reste à ce jour irrésolue, ce qui a des conséquences sur l’efficacité des politiques et la qualité du service rendu aux usagers, et explique que la décentralisation n’ait pas tenu toutes ses promesses.

La Cour met en évidence les enjeux de coordination qui résultent de la pluralité des intervenants : les départements, l’État, mais aussi le bloc communal, avec les centres communaux et intercommunaux d’action sociale, la sécurité sociale, notamment ses branches famille et autonomie, et le service public de l’emploi. Ces acteurs interviennent indépendamment les uns des autres et le rôle de chef de file du département est, en réalité, peu opérant.

La Cour des comptes formule ainsi des recommandations visant à rationaliser le déploiement des politiques sociales dans les départements, à en améliorer les outils de gestion et à en réformer le financement.

En matière d’insertion et de lutte contre la pauvreté, le projet France Travail du Gouvernement vise à répondre à une partie des préoccupations de la Cour, en associant les régions et les départements autour du service public de l’emploi. Ce sera l’un des enjeux du projet de loi pour le plein emploi que le Gouvernement a annoncé pour l’été prochain. La commission des affaires sociales sera particulièrement attentive aux ambitions exprimées dans cette réforme en matière d’accompagnement des bénéficiaires du RSA.

Ces dernières années, l’État a fait preuve d’une volonté de s’engager davantage dans l’animation de ces politiques, voire d’en recentraliser certains pans, à l’image de l’expérimentation du transfert à l’État, dans quelques départements volontaires – soumis, il est vrai, à de fortes contraintes financières –, du financement et de la gestion du RSA.

Une démarche de contractualisation entre l’État et les départements a été mise en œuvre dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté et de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance.

Par ailleurs, après avoir renoncé à son projet de revenu universel d’activité, le Gouvernement a récemment lancé plusieurs chantiers concomitants dont la cohérence ne se dégage pas encore avec clarté, comme le « RSA sous conditions » et le projet de « solidarité à la source », qui doivent donner lieu cette année à des expérimentations dans plusieurs territoires. J’indique que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) conduira en parallèle une étude des conditions préalables à la mise en place de la solidarité à la source et de ses implications.

Il apparaît donc que nous n’avons pas fini de tâtonner à la recherche de la bonne formule en matière de décentralisation des politiques de solidarité. En tout état de cause, il est indispensable que les collectivités intéressées soient associées à la conception de l’architecture de ces politiques.

Je conclurai mon propos en remerciant la Cour des comptes de la qualité de ses travaux et des éclairages qu’ils nous apportent. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi quau banc des commissions. – M. Alain Richard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Sautarel. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Sautarel. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, la Cour a publié son rapport annuel ; c’est un moment important de notre vie démocratique, qui gagnerait d’ailleurs à plus en tenir compte.

Le Sénat débat aujourd’hui de ce rapport. Il en partage les constats, mais ne peut pas s’associer aux termes employés concernant la limitation du nombre de communes, alors que nous avons besoin de davantage de décentralisation. J’y reviendrai.

Le constat de la situation extrêmement dégradée des finances publiques de notre pays est posé dans cet hémicycle depuis déjà plusieurs années. On ne peut que saluer la clarté de vos propos sur le sujet, monsieur le Premier président : « La France ne peut pas continuer sur cette voie, qui la distingue de ses partenaires européens. » Il nous faut impérativement agir, faute de quoi tout cela pourrait se terminer très mal.

En détail, que dites-vous ?

Incontestablement, la situation de nos finances publiques est l’une des plus dégradées au sein de l’Union européenne. Alors que nous étions entrés dans la crise déjà affaiblis, le Gouvernement a fait le choix, à partir de 2020, de mettre en œuvre diverses mesures pour soutenir les ménages et les entreprises face aux effets de la crise sanitaire, mesures prolongées par des dépenses de relance dès l’automne 2020. Le poids de ces engagements a progressivement décru, mais ils restent significatifs : 37,5 milliards d’euros en 2022, 12,5 milliards en 2023.

À ces mesures de soutien sont venues s’en ajouter d’autres, destinées à atténuer l’impact de l’augmentation des prix de l’énergie ; celles-ci, vous l’avez rappelé, pèseraient sur nos finances à hauteur de plus de 25 milliards d’euros en 2022 et de 36 milliards en 2023. Nous ne pouvons pas continuer sur cette voie ! Alors que l’année 2023 aurait dû être marquée par la fin du « quoi qu’il en coûte », nous continuons à mettre en œuvre des mesures, insuffisamment ciblées, dont nous n’avons plus les moyens.

Le résultat, c’est un déficit public qui, après avoir culminé à 6,5 % du PIB en 2021, devrait encore atteindre 5 % du PIB en 2023 comme en 2022. Quant à la dette publique, elle dépassera 111 % du PIB à la fin de l’année : c’est 14 points au-dessus de son niveau d’avant-crise.

Si l’on remonte à l’entrée dans l’euro – vous en avez parlé tout à l’heure, monsieur le Premier président –, l’endettement de l’Allemagne a augmenté de 10 points de PIB, celui de l’Italie de 40 et celui de la France de 55. Nous divergeons incontestablement de la courbe de nos partenaires, et cela nous affaiblit. Un désendettement maîtrisé est impératif pour assurer la soutenabilité de notre dette publique. Certes, son taux est encore arrimé à celui de l’Allemagne, mais pour combien de temps ? C’est le premier enjeu de souveraineté !

Hors dépenses exceptionnelles, la hausse de nos dépenses atteint 3,5 % en 2022 ; elle sera encore de 0,7 % en 2023. Rappelons que l’objectif était de 0,6 % par an jusqu’en 2027 : on en est donc loin ! Le budget pour 2024 devra donc être plus exigeant sur ce front que celui de 2023.

À 58 % du PIB, la France a le taux de dépenses publiques le plus élevé de la zone euro. Pour autant – c’est à la fois un paradoxe, une incompréhension et une difficulté démocratique –, cela ne s’accompagne pas d’un haut niveau ressenti de performance des services publics. En outre, un pays endetté à l’excès ne peut pas financer la préparation de son avenir.

Notons que l’endettement des collectivités territoriales est, quant à lui, très faible – moins de 9 % de l’ensemble –, confirmant que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faudra accomplir l’essentiel des efforts. Il faudra des milliards pour la transition environnementale et énergétique, pour combler notre retard en matière d’innovation et de recherche, pour renforcer notre politique industrielle ou encore notre système hospitalier. Tout cela, le pays en a besoin. Mais aujourd’hui, il ne s’en donne pas les moyens. La fuite en avant n’est plus possible !

De plus, la trajectoire prévue par le Gouvernement est à la fois trop optimiste et trop peu ambitieuse. Pour la période 2023-2027, même après le rejet du projet de loi de programmation des finances publiques, le Gouvernement retient un rythme de croissance potentielle de 1,35 % par an. C’est au-dessus du consensus, ce qui signifie que ses prévisions sont fragiles et que le moindre accroc remettrait en cause le passage sous la barre des 3 % à la fin du quinquennat. Mais il est également peu ambitieux de vouloir revenir tout juste sous 3 % en 2027, alors que la quasi-totalité des pays de la zone euro devraient repasser sous cette barre dès 2025. Nous sommes en train de décrocher sur le front du déficit et de la dette, et cela va finir par se voir.

Il y a trois leviers pour réduire les déficits, comme vous le rappelez utilement dans votre rapport, monsieur le Premier président.

Le premier consiste à espérer que cette réduction provienne essentiellement de la croissance. Renforcer celle-ci y contribue évidemment, et c’est pour cela qu’il nous faut investir. Mais nous entrons dans une période de croissance modérée, et ce levier ne sera pas suffisant.

Le deuxième consiste à augmenter les impôts. C’est particulièrement compliqué dans un pays où les prélèvements obligatoires sont déjà très élevés – 45 % – et où le consentement à l’impôt est faible.

La troisième voie consiste à maîtriser intelligemment les dépenses. Il faut commencer par là. Il faut insister sur la qualité de la dépense publique. C’est le chemin dans lequel nous voulons nous engager.

La décentralisation constitue le thème de votre rapport annuel, à l’occasion des quarante ans de celle-ci. Je veux vous remercier de les avoir salués, car qui en parle ? Voilà bien un anniversaire oublié au pays des commémorations…

Avec un poids relatif de la dépense publique locale très modéré – 19 % de l’ensemble, alors que la moyenne européenne se situe à 34 % –, nous restons un pays marqué par notre tradition centralisatrice. La décentralisation est un mouvement historique qui doit être non pas remis en cause, mais remis sur pied, consolidé.

On peut surtout parler d’un essoufflement de la décentralisation et de contradictions qui ne sont pas propices à la meilleure efficacité de l’action publique, comme vous le soulignez dans votre rapport. Plusieurs réformes de l’organisation territoriale ont été menées depuis 2010, sans rien clarifier, sans marquer une vraie décentralisation politique aboutie. Les faiblesses de la décentralisation sont en partie dues au brouillage des compétences entre État et collectivités.

Il faut lancer un nouvel acte de la décentralisation qui clarifie la répartition des compétences, avec une véritable liberté locale quant à leur exercice, et veille à doter chaque échelon des moyens requis pour assumer ces compétences.

Le Sénat s’y emploie, sur l’initiative du président Larcher, qui a mis en place un groupe de travail dont les propositions seront rendues d’ici à la fin du printemps.

Oui, il convient de redéfinir le mode de financement des collectivités territoriales comme vous le préconisez. Vous avez présenté à cette fin des orientations devant notre commission des finances.

Oui, il convient de garantir l’autonomie financière, voire fiscale, des collectivités et d’en moderniser la gouvernance.

Oui, il convient de garantir la commune comme socle démocratique de notre pays, qui coûte peu et assure le lien de proximité, tellement indispensable, que beaucoup s’emploient à distendre, voire à rompre depuis bien des années.

Dès lors, non à la réduction autoritaire du nombre de communes, qui remplissent une mission essentielle pour un coût modique. Au contraire, il faut les renforcer. Ce n’est pas seulement affectif ; c’est efficace !

M. Stéphane Sautarel. Fort de ces constats, j’avance cinq pistes que nous pourrions explorer et mettre en œuvre dès le projet de loi de finances pour 2024, avant de réformer et de réduire notre fiscalité : réduire significativement la dépense fiscale et sociale ; engager une revue des dépenses publiques permettant de limiter la dépense inefficace ou injustifiée ; débureaucratiser et différencier les approches, et limiter la place de l’administration administrante ; s’engager à mettre en place une règle d’or, dans le cadre d’une nouvelle gouvernance européenne ; décentraliser vraiment.

Décentraliser vraiment, on le fera en donnant pouvoir, moyens et liberté locale aux collectivités ; en recentrant l’État sur ses seules dépenses régaliennes ; en imposant des blocs de compétences exclusives et une autonomie fiscale pour chaque échelon de collectivités ; en engageant une véritable politique d’aménagement du territoire qui s’attaque à la rénovation de nos infrastructures et, plus largement, confronte les enjeux de l’eau et de la mobilité.

Nul doute que nous aurons à proposer, au sein de mon groupe, de la commission des finances et du Sénat tout entier, des pistes adossées à vos travaux ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le rapport de la Cour des comptes agit chaque année comme une piqûre de rappel : il nous renvoie à la situation très dégradée de nos finances publiques. Ce n’est pas seulement la photographie à la date d’aujourd’hui qui doit nous alerter ; c’est aussi le film de la dernière décennie.

La photographie, d’abord, c’est un déficit à 5 % du PIB et une dette de 3 000 milliards d’euros : la situation demeure très préoccupante. Certes, le Gouvernement était parvenu à sortir le pays de la procédure pour déficit excessif avant la crise sanitaire. Mais le retour dans les clous de Maastricht, conformément à nos engagements européens, n’est pas envisagé avant 2027.

Le film de la dernière décennie, ensuite. Depuis 2010, la dette publique de la France est passée de 85 % du PIB à plus de 110 % aujourd’hui, alors que l’Allemagne, qui en était au même point que nous, a su ramener sa dette à 70 % de son PIB dans le même intervalle. Le décrochage d’avec nos voisins allemands se creuse et nuit à notre crédibilité sur la scène européenne.

Au fond, il n’y a qu’une explication valable pour ce décrochage. La dépense publique n’a jamais cessé de croître, et elle a toujours crû plus vite que les recettes.

Je ne fais pas ici allusion à la période de crise sanitaire. Le « quoi qu’il en coûte » était nécessaire pour préserver nos entreprises et nos emplois. Mais cette parenthèse est close, et nous devons désormais remettre de l’ordre dans nos comptes.

C’est pourquoi je salue la décision du Gouvernement d’engager une vaste revue des politiques publiques, afin d’identifier les économies possibles dans chaque domaine de l’action publique. Cette analyse est nécessaire pour que nous tenions l’objectif d’un déficit à 3 % du PIB en 2027.

Il est bien logique que les collectivités territoriales soient intégrées à cette vaste revue globale. Il en faudrait plus pour effrayer les élus locaux, eux qui sont tenus de présenter, chaque année, des comptes à l’équilibre. Cependant, il me paraît important de rappeler quelques vérités, afin de ne pas se tromper de problème. À cet égard, le bilan dressé des quarante années de décentralisation dans le présent rapport annuel est éclairant.

D’abord, le rapport relève que la part qu’occupent les dépenses locales dans l’ensemble des dépenses publiques a augmenté au cours des quarante dernières années. Elles représentaient 8 % du PIB en 1980, contre 11 % aujourd’hui. Toutefois, cette augmentation apparaît bien limitée si on la met en regard de toutes les compétences qui ont été transférées de l’État aux collectivités.

Ensuite, il y est rappelé que la France reste un pays très centralisé. Globalement, la part des dépenses locales dans le PIB demeure en France inférieure à la moyenne européenne, qui se situe à 18 % du PIB.

De ces deux constats, on peut tirer plusieurs conclusions, dont certaines diffèrent de celles auxquelles la Cour des comptes a abouti.

Ainsi, il est clair que l’augmentation des dépenses publiques locales n’explique que très marginalement l’augmentation des dépenses publiques globales. Il faut se rendre à l’évidence : nous ne rétablirons pas les finances publiques en contraignant davantage les collectivités locales.

De même, ce n’est pas en recentralisant certaines compétences que nous améliorerons la qualité des services publics. Théoriquement, on peut imaginer que la centralisation permette de réaliser des économies d’échelle. Pourtant, si tel était le cas, la France ne serait pas un pays à la fois très centralisé et très dépensier.

Le groupe Les Indépendants a toujours promu la réduction des dépenses publiques. Nous sommes convaincus qu’une plus forte décentralisation doit contribuer à l’atteinte de cet objectif.

En effet, c’est en donnant plus de responsabilités aux acteurs locaux qu’on les rendra plus vigilants quant à l’utilisation des deniers publics. Il faut rapprocher l’endroit où la décision est prise de celui où elle est appliquée. Il faut rapprocher le décisionnaire du bénéficiaire pour améliorer la qualité des services publics.

Je l’ai dit : le rapport annuel de la Cour des comptes est éclairant à bien des égards. Mais la préservation des libertés locales ne doit pas être tranchée selon le seul angle budgétaire. Bien souvent, la respiration démocratique échappe aux chiffres.

C’est pourquoi nous considérons qu’il faut poursuivre la trajectoire de décentralisation, à la fois pour dynamiser les territoires et pour réduire les dépenses publiques. (M. Alain Richard applaudit.)

(Mme Laurence Rossignol remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller.

M. Daniel Breuiller. Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, je vous écoute et vous lis avec attention et intérêt. La décentralisation est sans doute l’un des outils qui renforcent nos capacités à agir. Encore faut-il réellement la promouvoir et non pas, sans cesse, notamment du côté de Bercy, vouloir contrôler l’action territoriale et la contraindre financièrement.

La crise démocratique n’est pas uniquement due à l’actuelle réforme des retraites. Elle est le fruit d’une absence de vision partagée au sein de notre société du pays que nous voulons construire, ainsi que d’un manque de collaboration avec les corps sociaux et les élus locaux.

Les résultats de notre pays sont contrastés, comme vous l’indiquez, et ce n’est pas vrai seulement d’un point de vue financier. Le contraste est aussi démocratique et social, entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, ce qui est perçu comme juste et ce qui ne l’est pas.

Les Françaises et les Français subissent les inégalités brutales de notre société. Ils savent que les entreprises du CAC 40 reversent des dividendes records à leurs actionnaires sans pour autant rectifier les écarts de rémunérations, que ce soit entre les femmes et les hommes ou entre les bas et les hauts salaires. Ils voient des services publics en difficulté. Le regard qu’ils portent sur notre société est marqué d’un sentiment d’injustice, l’attente vis-à-vis des collectivités croît à mesure que la confiance envers l’État décroît.

La Cour des comptes a choisi de travailler, pour son rapport annuel, sur le bilan de la décentralisation. C’est un sujet qui nous anime et nous passionne.

Pour ma part, je veux affirmer une certitude, qui se traduit d’ailleurs dans votre rapport, monsieur le Premier président : la décentralisation est un de nos meilleurs atouts face aux crises. Elle a permis d’immenses progrès dans de nombreux domaines, en rapprochant des citoyens la gestion et la décision. En effet, la démocratie s’enrichit du contrôle direct et de la proximité.

À la manière d’un Georges Perec, je voudrais un instant vous dire : « Je me souviens. »

Je me souviens que, dans les années 1970, pour le jeune banlieusard que j’étais, le cinéma, la musique, les spectacles n’étaient qu’à Paris, alors qu’aujourd’hui les festivals couvrent tous les territoires et participent au dynamisme de nos régions.

Je me souviens du 6 février 1973, date de l’incendie dramatique du collège Édouard-Pailleron, à Paris. La confiance envers l’État avait alors brûlé aussi vite que ce bâtiment, alors qu’aujourd’hui les départements, véritables acteurs de la communauté éducative, consacrent aux collèges en moyenne 6 % de leur budget, le double de ce qu’ils investissaient au début des années 1980.

Je me souviens avoir été convaincu que garantir un lien direct entre la perception des impôts et la réalisation concrète de choix politiques des élus favorisait le consentement à l’impôt. Les lois Defferre furent prometteuses, même fructueuses, mais l’État jacobin et ses services centraux ont-ils, au fond, jamais renoncé à faire rentrer dans le rang la capacité d’initiative des élus territoriaux, que les lois de décentralisation avaient stimulée et que la Constitution a reconnue ?

Je me souviens que François Mitterrand disait à raison : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. »

Vous préconisez une coordination plus efficace des acteurs, monsieur le Premier président. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires et moi-même y souscrivons pleinement, car c’est indispensable pour faire face aux défis environnementaux, démocratiques et sociaux. Mais cette coordination ne peut pas découler uniquement d’une vision technocratique ou financière, comme ce fut le cas pour la création des grandes régions. Nous revendiquons à la fois l’autonomie, y compris fiscale, la coopération et l’État stratège !

Je me souviens enfin du cycle de l’eau, que l’on m’expliquait à l’école. Aujourd’hui, le dérèglement climatique a tout changé. La ressource abondante, dont on ne se souciait guère, est devenue un sujet majeur de préoccupation.

Vous avez raison, monsieur le Premier président, de rappeler que l’eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Alors que notre pays ne respecte pas ses propres principes sur le bon état de la ressource, il est aujourd’hui confronté à une réalité terrible : l’insuffisance quantitative, à laquelle nous ne sommes pas assez préparés. Les conflits d’usage se développent et les contradictions existent au sein même du Gouvernement : les priorités des ministres de l’environnement, de l’agriculture, de la santé ou encore de l’énergie divergent et ne semblent guère arbitrées.

Ces conflits témoignent de la nécessité de nouvelles modalités de gouvernance démocratique, qui ne peuvent pas se limiter à une simplification des procédures et des compétences territoriales.

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) consacre un chapitre complet aux menaces qui planent sur nos écosystèmes hydrologiques et sur les mesures urgentes d’adaptation aux perturbations du cycle de l’eau. En quelques semaines, nous avons vu la remise de deux rapports, le vôtre et celui du Giec, qui répètent encore et encore ceci : il est urgent d’agir !

Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, la dette climatique coûte et coûtera plus cher que la dette financière. Surtout, elle ne se rembourse pas. Nous attendons avec impatience votre rapport sur le sujet l’année prochaine. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le premier président de la Cour des comptes, le rapport public annuel de la Cour, que vous avez remis au Président de la République le 9 mars dernier et que vous nous présentez aujourd’hui, s’attache, au-delà du traditionnel chapitre sur la situation et les perspectives des finances publiques, à dresser un bilan de la décentralisation.

Quarante ans après le début du mouvement décentralisateur amorcé par la promulgation des lois Defferre, la Cour fait état d’un « élan à retrouver ». Monsieur le Premier président, ce n’est pas là une surprise, mais un constat que nous faisons avec vous, car nous croyons qu’une vraie décentralisation est nécessaire et que l’engagement des élus locaux doit être au cœur de l’action publique.

En 2009, la Cour avait déjà réalisé un premier bilan de la décentralisation. Son Premier président d’alors, Philippe Séguin, résumait ainsi, dans sa présentation du rapport, les failles de ce mouvement décentralisateur : « La République, c’est la solidarité nationale. Et il ne faudrait pas que la décentralisation devienne l’alibi de son affaiblissement. »

Monsieur le Premier président, le bilan que vous dressez de ces quarante années aboutit au constat d’une absence de cap clair et lisible et d’un éparpillement des compétences, avec parfois un risque de chevauchement entre les différents niveaux de collectivités. Ce constat est resté le même depuis le rapport de 2009, car l’organisation des services déconcentrés de l’État a failli à s’ajuster aux évolutions – parfois erratiques, il faut le reconnaître – de la carte et des compétences des collectivités.

L’architecture de financement est le reflet de cet éparpillement organisationnel. La Cour nous l’a montré à la fin de l’année dernière, à l’occasion d’un rapport qui mettait en lumière un système de financement à bout de souffle, souffrant d’un manque de lisibilité et de prévisibilité.

Il faut donc aligner résolument le financement, les compétences et les responsabilités, locales et nationales. Il faut clairement identifier des chefs de file pour la conduite des grandes politiques publiques, puis en faire découler une organisation territoriale et une organisation des services déconcentrés de l’État qui épouse cette nouvelle architecture.

De ce point de vue, la position de l’exécutif est claire et va dans le bon sens. Elle s’articule autour des quatre principes suivants : transférer des compétences ; accorder des ressources dynamiques et adaptées ; donner des capacités de différenciation, et j’insiste sur ce terme ; assumer les responsabilités qui vont avec.

Néanmoins, monsieur le Premier président, que dire des collectivités d’outre-mer et en particulier des départements et régions d’outre-mer (Drom), que vous ne mentionnez aucunement dans votre rapport ? Leur réservez-vous un rapport spécifique ?

Si les grands principes que je viens d’énumérer leur sont applicables, ces collectivités ne devraient-elles pas bénéficier d’une différenciation qui leur permettrait de bénéficier de normes spécifiques que les autres collectivités du même échelon ne se voient pas appliquer, ou encore d’exercer des compétences que les autres collectivités de la même catégorie n’ont pas ?

C’est tout le sens de l’appel de Fort-de-France, lancé au mois de mai 2022 par les présidents des Drom pour dénoncer une situation de mal développement structurel. C’était un appel à la coconstruction, avec l’État, d’une décentralisation mieux adaptée à la réalité de ces territoires, une décentralisation qui conjugue la pleine égalité des droits avec la reconnaissance des spécificités et qui refonde la relation entre les territoires d’outre-mer et la République par la définition d’un nouveau cadre. Les signataires ont été reçus le 7 septembre 2022 par le Président de la République. Des travaux se déroulent actuellement au sein de chaque territoire autour de cette question, et un comité interministériel de l’outre-mer devrait se tenir à la fin de ce semestre, afin d’avaliser une première série de décisions.

Monsieur le Premier président, je compte sur votre expertise, qui sera – j’en suis sûr – sollicitée pour que les collectivités d’outre-mer bénéficient d’une juste compensation du transfert de compétences et que le caractère péréquateur de la dotation d’aménagement des communes et circonscriptions territoriales d’outre-mer (Dacom) et du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) soit renforcé. La Cour a déjà travaillé sur ces deux sujets, qui constituent de graves injustices.

Monsieur le Premier président, je remercie la Cour de la qualité de son travail, que je salue.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, dans leurs multiples et vaines tentatives de convaincre l’opinion de la nécessité de la réforme des retraites, le Gouvernement et ses alliés de la majorité sénatoriale ont souvent fait valoir la question de la dette.

C’est précisément ce chantage qui a amené le Gouvernement à reprendre la rhétorique de François Fillon en 2007 sur le thème de la faillite.

Malgré le manque de succès de telles tentatives, nous voici réunis avec les représentants de la Cour des comptes, afin d’examiner, dans une sorte de numéro de duettistes bien huilé, le rapport public annuel de cette dernière, qui nous alerte sur la dette publique. En effet, ce rapport invoque des « risques élevés » sur la soutenabilité de celle-ci.

Ce faisant, la Cour remplit son rôle classique de critique de l’exécutif du point de vue de l’orthodoxie financière. Toutefois, ne soyons pas dupes : elle adresse un reproche en forme de soutien des mesures de répression sociale du Gouvernement.

Aussi, je déplore le fait que la Cour ne s’interroge pas sur une éventuelle hausse des prélèvements obligatoires pour relever les comptes publics. Car l’exécutif trouve ainsi dans ce rapport un prétexte pour aller plus loin dans la compression des dépenses sociales, ainsi qu’une justification de ses contre-réformes.

D’ailleurs, le ministre Bruno Le Maire ne s’y est pas trompé : dans sa réponse officielle au rapport, il a déclaré que les réformes des retraites et de l’assurance chômage, par les économies qu’elles devraient permettre, répondaient aux recommandations de la Cour.

Mais nous voyons clair dans le jeu du Gouvernement. Étant établi que les entreprises disposent toujours du levier du chantage à l’emploi et que le mouvement social est ignoré par ce gouvernement, il est aisé de deviner où l’exécutif compte réaliser l’essentiel de ces économies. En effet, je ne pense pas que les 160 milliards d’euros d’aides aux entreprises feront l’objet d’une refonte massive, afin d’éviter à nos concitoyens une cure austéritaire…

Reste désormais à savoir sur quoi repose cette nouvelle alerte sur la dette publique. Dans son rapport, la Cour des comptes critique le scénario d’évolution de la dette publique construit par le Gouvernement. Néanmoins, monsieur le Premier président, il comporte un impensé de taille. Je serai clair : il est frappant que, dans ce rapport, la question de l’inflation soit si rapidement évacuée.

Alors que la hausse des prix s’est accélérée depuis la mi-2021 et devrait vraisemblablement durer, cette question devrait constituer un axe central de réflexion. Comme vous le savez, il existe une dynamique fondamentale entre la dette et l’inflation. Aussi, je m’étonne que cette question soit absente des discussions entre Bercy et la rue Cambon. L’inflation étant avant tout un phénomène redistributif, il n’est pas inutile de rappeler que des dynamiques similaires à celles opérant entre capital et travail existent également entre le débiteur et le créancier.

En effet, lorsque survient l’inflation, la valeur monétaire de la somme empruntée diminue. Le débiteur doit alors rembourser sa dette à l’aide d’une monnaie dont le pouvoir d’achat est amoindri. De la même manière, la dette détenue par le créancier perd de sa valeur.

Le taux d’intérêt doit en théorie couvrir ce risque, mais si le taux auquel la dette a été contractée est fixe et inférieur au taux d’inflation, alors le créancier ne peut pas compenser cette perte de valeur. Celui-ci ne peut alors qu’ajuster le taux des nouvelles émissions, ce qui ne règle pas le problème de la dette passée.

Ainsi, l’inflation conduit souvent à une redistribution entre créanciers et débiteurs au profit des seconds. Dans la période actuelle, cela se vérifie particulièrement pour ce qui concerne la dette publique. Celle-ci est contractée très largement à taux fixe, et elle est « roulée ». De fait, le capital est remboursé par une nouvelle dette. Mais comme le capital remboursé est déprécié par l’inflation, le poids de la nouvelle dette contractée pour le rembourser l’est également.

Voilà précisément ce qui est évacué dans le rapport, alors même que le Fonds monétaire international (FMI) estimait, dans une étude réalisée en 2019, qu’une inflation de 6 % pendant cinq ans permettrait de réduire le ratio de dette publique de la France de 13 points de PIB.

En conclusion, ce rapport pose les bases pour imposer au pays des cures austéritaires dans les années à venir, sans que tous les paramètres macroéconomiques aient été appréciés de manière efficiente. Or si la tension qui s’exerce sur les finances publiques ne peut pas être ignorée, il apparaît primordial d’explorer toutes les pistes d’assainissement, afin que celui-ci ne s’effectue pas au prix d’une nouvelle casse sociale que notre pays et nos concitoyens ne pourraient pas supporter. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe du RDSE. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, il est vrai que la promesse était belle : l’acte I de la décentralisation devait « mettre fin à un régime centralisé », « modifier profondément la répartition des pouvoirs entre l’État et les collectivités locales », donner à celles-ci la « maîtrise de leur devenir » et permettre de « rapprocher l’administration des administrés ». Belle promesse !

D’ailleurs, cette belle promesse a été renouvelée lors de l’acte II de la décentralisation, dans le cadre de la loi constitutionnelle de 2003. En effet, il était affirmé dans l’exposé des motifs que la décentralisation, « sans remettre en cause l’unité de la Nation, enrichit la vie démocratique et contribue à une application plus effective et moins abstraite du principe d’égalité » des citoyens devant la loi.

Dans les faits, la démarche a produit les maux qu’elle visait à combattre. La décentralisation a été dénaturée, désorganisant, complexifiant et reléguant l’ambition d’une démocratie locale pleine et entière à un vœu populaire inexaucé.

Depuis les années 2010, des actions législatives contradictoires ont été entamées pour revenir sur les erreurs du passé, mais elles n’ont eu pour résultat que de les aggraver. Monsieur le Premier président, il me semble que ces erreurs résultent de trois paradoxes.

Premier paradoxe : une recentralisation a été engagée à marche forcée entre les échelons de collectivités, sans réfléchir, entre échelons et avec les citoyens, à sa pertinence démocratique et territoriale.

Deuxième paradoxe : la décentralisation de certaines compétences s’est immédiatement accompagnée d’une recentralisation des ressources, avec à la clé des transferts de compétences sans moyens budgétaires propres. En somme, on a appliqué la doctrine du toujours plus avec moins, que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, insuffisamment restrictive selon la majorité sénatoriale, conforte.

Troisième paradoxe : l’État s’est désengagé, disparaissant progressivement des territoires, dans une logique que j’appellerais de « sauve-qui-peut ». Aussi, j’appelle à un retour à l’État territorial. Entre 2012 et 2022, nous avons assisté à une hémorragie des services déconcentrés de l’État, avec une coupe de 14 % des effectifs, soit 11 763 équivalents temps plein, des préfectures et des directions départementales et régionales.

Mes chers collègues, quand l’administration territoriale de l’État disparaît, ce sont la cohérence, l’égalité et l’unité de la Nation et des services publics qui disparaissent avec elle. L’État ne peut pas être dévitalisé ; il est responsable. Nous sommes passés d’une République déconcentrée à une République déconnectée.

Nombre d’entre vous exprimez l’ambition d’un acte III de la décentralisation, tout comme le Gouvernement. Pourtant, la pression austéritaire est chaque jour plus prégnante, entre le retour des règles budgétaires de l’Union européenne et les velléités austéritaires du Gouvernement, que la Cour des comptes estime parfois insuffisantes.

Sans faire de provocation, cette nouvelle promesse risque de se transformer – je le dis de manière modérée – en mensonge. Il s’agira de transférer les impératifs de service public et donc de dépenses publiques vers l’échelon territorial. L’État s’en sortirait à bon compte !

En opposant les échelons territoriaux faute de définition des coopérations intrinsèques aux enjeux du siècle et aux disparités territoriales, nos concitoyennes et nos concitoyens se sentiront démunis et dépossédés de leur capacité d’action et de leurs revendications légitimes.

Un acte III de décentralisation devrait se focaliser sur les nouveaux services publics à conquérir – voilà un chantier intéressant ! –, à inventer, car ils sont seuls protecteurs et porteurs d’égalité devant les risques sociaux, écologiques et économiques. Les principes d’égalité, de continuité et d’innovation sont inhérents au service public.

L’égalité « régit le fonctionnement des services publics », selon l’arrêt Société des concerts du conservatoire du 9 mars 1951. Celle-ci revêt de multiples aspects : égalité d’accès à la fonction publique et à la commande publique ; égalité devant l’impôt et les charges publiques ; égalité devant le service public lui-même, etc.

Penchons-nous sur la question incontournable de l’eau, dont la Cour des comptes rappelle justement qu’elle « fait partie du patrimoine commun de la Nation ». En dépit des moyens humains et financiers consacrés à la politique de l’eau depuis une soixantaine d’années, 56 % des masses d’eau de surface et 33 % des masses d’eau souterraine ne sont pas en bon état au sens de la directive communautaire sur l’eau.

Pourtant, tous les échelons des collectivités sont mobilisés, dans une confusion déplorable. Des projets de territoire de gestion de l’eau sont déployés sans cohérence ni existence légale. Les départements ont été dépossédés de cette question, comme de nombreuses autres.

Ainsi, selon les magistrats de la Cour des comptes, la gouvernance de l’eau « offre un exemple de décentralisation inachevée, confiant des responsabilités importantes aux collectivités locales, conjuguées à une intervention permanente de l’État qui manque de cohérence ».

Ces échecs créent des tensions sociales importantes. Des conflits d’usage émergent, la puissance publique n’étant pas aux rendez-vous.

Il nous faut tirer les leçons du passé, consacrer le retour de l’État dans les territoires et – je vous le dis avec solennité – relégitimer la démocratie de terrain, pour la rendre cohérente, coopérative, à même de lutter contre les inégalités. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-François Husson applaudit également.)

M. Michel Canévet. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, le groupe Union Centriste regrette que le Gouvernement n’assiste pas à cette séance, car l’équilibre des comptes publics est, selon nous, une question fondamentale.

Monsieur le Premier président, si vous avez estimé que la France n’était pas en faillite, force est de reconnaître que nous sommes loin d’un équilibre des comptes publics. C’est une préoccupation majeure.

Certes, nous avons été confrontés à diverses crises : la crise du pouvoir d’achat a succédé à celle du covid-19, poussant le Gouvernement à apporter des réponses fortes, ce qui implique des coûts pour l’État. Mais pour faire face à cette étape difficile, mon groupe a proposé plusieurs solutions.

Tout d’abord, face à une situation de dépenses exceptionnelles, il nous a semblé que des recettes exceptionnelles devaient être trouvées. C’est pourquoi le groupe Union Centriste avait proposé une taxe sur les superprofits des entreprises. Alors que de nombreuses personnes rencontraient des difficultés, nous avons constaté que des entreprises traversaient cette période aisément. Dès lors, il nous paraissait normal que ces entreprises contribuent au retour à l’équilibre des finances publiques.

Ensuite, au moment de la crise du carburant, mon groupe a proposé que les aides soient non pas généralisées, mais ciblées sur les personnes ayant besoin de prendre leur voiture pour se rendre au travail. En effet, nous sommes engagés dans la lutte contre le changement climatique et il importe de faire preuve de cohérence à cet égard.

En outre, pour faire peser l’effort sur les recettes, nous souhaitions que les suppressions de la redevance audiovisuelle et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) soient reportées. Hélas ! Nous n’avons pas été écoutés.

Ces reports auraient pu nous permettre de répondre à nos engagements européens en matière d’équilibre des finances publiques, à commencer par la réduction de notre déficit non pas à 5 % du PIB, mais à moins de 3 %, ce qui doit rester un objectif majeur.

Monsieur le Premier président, votre rapport aborde la décentralisation, sujet sur lequel mon collègue Jean-Marie Mizzon aura l’occasion de développer notre point de vue. Permettez-moi tout de même de vous faire part de notre forte préoccupation sur la question de l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales. Nous estimons que la légitimité des élus est indissociable du sens de la responsabilité.

Le sens de la responsabilité découle de la capacité à lever l’impôt, de façon que les élus puissent justifier leurs actes devant leurs administrés. Il nous faudra travailler de manière concrète pour que l’autonomie fiscale et financière des collectivités devienne réalité. Nous devons mettre fin à la dépendance accrue des collectivités aux dotations nationales.

Par ailleurs, monsieur le Premier président, le groupe Union Centriste ne partage pas le point de vue que vous avez exprimé à la tribune sur le nombre de communes. Pour notre part, nous estimons que les communes sont un espace de démocratie primordial et qu’il faut absolument les maintenir. Cela n’empêche pas une bonne organisation territoriale ; c’est bien ce à quoi nous concourons. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac.

M. Christian Bilhac. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, quarante ans après la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, nous sommes invités à commenter la publication du rapport annuel de la Cour des comptes, qui dresse le bilan de la performance de l’organisation territoriale de la France.

Cette publication nous offre l’occasion de mesurer la qualité et l’efficience des services rendus à la population dans les domaines d’action publique partagés entre l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, mais également les organismes de sécurité sociale. La Cour des comptes s’est en effet penchée sur la coordination des acteurs, la répartition des compétences et l’aide à l’action sociale.

Dans un contexte de ralentissement économique, le déficit public de la France s’élève à 5 % du PIB, la situation de notre pays étant l’une des plus dégradées de la zone euro en matière budgétaire.

J’entends souvent évoquer l’influence de la finance et les injonctions de la Commission européenne sur le choix des orientations stratégiques et budgétaires. Pour ma part, j’estime que l’équilibre des comptes est une nécessité, comme le soulignait Pierre Mendès France bien avant la signature du traité de Maastricht. Pour atteindre cet objectif, la réduction des dépenses n’est pas l’unique solution : on peut aussi jouer sur les recettes.

Permettez-moi d’évoquer le fameux couperet de 3 % du PIB, limite vertueuse fixée comme objectif aux États membres de l’Union européenne. Comment ce chiffre a-t-il été choisi ? Une part de mystère demeure, mais il semble correspondre au niveau de l’érosion monétaire au moment de la signature du traité de Maastricht. Toutefois, comment interpréter ou réviser ce chiffre dans un contexte où l’inflation devient nulle ou, au contraire, s’envole ?

Comme le souligne la Cour dans son rapport, seule une véritable nouvelle étape de la décentralisation permettra de remettre en ordre nos comptes publics. Si nous avons décentralisé, il y a toujours autant de ministères… De plus, les économies de personnel réalisées par l’État le sont pour la plupart sur les services déconcentrés de proximité, c’est-à-dire ceux qui fournissent un service direct à nos concitoyens. Des efforts équivalents n’ont pas été imposés aux administrations centrales.

Il nous faut redéfinir le rôle de chacun, tout en veillant à l’égalité d’accès des Français au service public, sur tout le territoire national. L’État doit accepter d’abandonner des pans entiers de ses compétences aux collectivités territoriales pour qu’elles soient appliquées au plus près du terrain. En vue de l’élaboration de cette réforme, il nous faut garder à l’esprit le principe de subsidiarité, afin que les services publics soient administrés à l’échelon le plus proche des administrés.

L’État doit se repositionner sur ses missions régaliennes, de manière à mobiliser les moyens nécessaires pour retrouver un bon niveau d’éducation nationale, à rendre la justice dans de bonnes conditions et à faire en sorte que la sécurité des Français soit assurée, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. À l’État les missions régaliennes, aux collectivités un maximum de compétences. L’État doit simplement contrôler, évaluer et garantir, notamment dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER).

De plus, l’effort de décentralisation implique de renforcer et de rationaliser le financement et l’autonomie des collectivités locales.

En conclusion, la Cour propose plusieurs mesures relatives aux collectivités locales et aux intercommunalités. Si une rationalisation de la gestion des finances locales est, certes, envisageable, il convient toutefois de rappeler, une fois de plus, que les collectivités ne portent pas la responsabilité des déficits. En effet, celles-ci ont l’obligation de voter des budgets en équilibre et dégagent même, année après année, des excédents de leurs comptes administratifs.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, depuis plusieurs années, la dette publique française file, malgré les mises en garde de diverses institutions nationales ou européennes.

Si la crise du covid-19 a coûté cher, elle n’explique pas toutes nos difficultés. Les chiffres du commerce extérieur sont très inquiétants. Les taux d’intérêt remontent lentement, mais avec régularité. Le conflit en Ukraine pourrait durer encore plusieurs mois, voire plusieurs années, continuant ainsi de dégrader nos économies.

L’inflation alimentaire et énergétique tire les prix à la hausse et pénalise les entreprises, les services publics et les consommateurs. De plus, il nous faudra suivre de très près, dans les semaines à venir, les conséquences sur les marchés de la fermeture de la Silicon Valley Bank aux États-Unis et de l’incertitude autour du Credit Suisse.

Comme le souligne la Cour des comptes, la situation des finances publiques restera en 2023 « parmi les plus dégradées de la zone euro, alors que la Commission européenne juge que les risques sont élevés sur la soutenabilité de la dette française à moyen terme ».

En positivant, nous pourrions nous convaincre que la dette a servi a minima à préserver notre modèle social, nos services publics et notre économie. Mais qu’en est-il réellement ?

La crise sanitaire a révélé au grand jour l’état réel de l’hôpital public et les difficultés des soignants. Elle a montré les effets délétères de la mondialisation, notamment des pertes de souveraineté.

La guerre en Ukraine a fait apparaître les limites de notre modèle d’armée. La crise énergétique a mis en lumière les renoncements de l’État en matière de nucléaire. Le changement climatique appelle des investissements massifs. Ces quelques cas soulignent l’ampleur des défis à relever et des dépenses à engager.

Prenons l’exemple de la défense. À l’aube d’une nouvelle loi de programmation militaire, nous mesurons les limites du modèle expéditionnaire et échantillonnaire français dans la perspective de la survenue de conflits de haute intensité : lacunes capacitaires, problèmes de stocks et de masse, extension de la guerre multichamps-multidomaines, concurrence industrielle étrangère de plus en plus rude…

Nos grandes compétences sont encore en France, notamment s’agissant de la dissuasion ; il nous faut impérativement les y maintenir. De même, préservons nos pépites technologiques des prédations étrangères, et soutenons-les dans leur croissance. Il y va de notre sécurité et de notre souveraineté, mais aussi de l’avenir économique de nombreux territoires.

La Cour connaît bien ces sujets de défense ; elle les a étudiés dans un passé récent. La question est : comment accomplirons-nous tous ces efforts quand, dans le même temps, la Cour appelle de ses vœux le « nécessaire retour à une trajectoire de finances publiques soutenable et durable » ? Le Gouvernement sera-t-il contraint à des arbitrages douloureux pour assurer la soutenabilité de la dette ?

Fractures territoriales, fractures sociales… Quarante ans après les premières lois de décentralisation, dont la Cour dresse le bilan, les territoires sont, à juste titre, inquiets pour leur avenir. Comme de nombreux collègues, je le constate dans mon département.

Je crois sincèrement que les Français demeurent très attachés à leur commune et à leur maire, échelons de proximité, qu’ils connaissent le mieux et dont ils ont pu apprécier le rôle durant la crise sanitaire.

Pour autant, la succession rapide des dernières réformes a contribué à brouiller le paysage institutionnel local et les compétences de chacun. La dématérialisation a altéré le lien humain entre administration et administrés, tandis que l’État a progressivement réduit ses effectifs déconcentrés.

Chez les élus, la fatigue législative et réglementaire est réelle. La voie de la réforme permanente et de l’inflation des normes, qui leur coûte cher et leur complique la vie au quotidien, n’est plus tenable.

De plus, les collectivités sont très affectées par la hausse des prix des carburants, des combustibles et de l’alimentation, qui se répercute dans le secteur du BTP ; nous connaissons l’importance des collectivités dans ce secteur.

Par ailleurs, les comptes des collectivités locales ne constituent pas un problème majeur : ils sont nécessairement équilibrés et la dette locale, réelle, est très largement maîtrisée, comme le confirme le rapport.

Si des marges d’amélioration du système territorial existent, il nous faut continuer de soutenir les élus et améliorer les conditions d’exercice de leur mandat. Sinon, nous n’aurons plus de candidats pour faire vivre la démocratie locale.

Qu’il s’agisse de la maîtrise des dépenses, de la préservation de notre souveraineté ou de l’avenir de la décentralisation, nous avons besoin d’un véritable État stratège avec une vision à long terme. L’État ne peut pas être vu comme une holding dont les collectivités territoriales seraient les centres de coûts et seraient donc considérées comme des variables d’ajustement. La France que nous aimons, ce n’est pas celle-là. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Mme Isabelle Briquet. Madame la présidente, monsieur le Premier président, mes chers collègues, l’examen du rapport annuel de la Cour des comptes est toujours un moment important pour les parlementaires. Cette année, la Cour aborde un sujet auquel les sénateurs, représentants des territoires, prêtent une attention toute particulière : la décentralisation.

Cela fait un peu plus de quarante ans que Gaston Defferre, aux côtés de Pierre Mauroy et de François Mitterrand, a posé la première pierre du processus de décentralisation. La Cour en avait dressé un premier bilan en 2009. Hélas ! L’état des lieux dont nous discutons ne présente guère d’améliorations : les compétences s’entremêlent toujours plus, les modalités de financement se sont complexifiées et, plus encore, l’État n’est pas au rendez-vous.

Nous le constatons tous, dans nos départements : l’organisation de l’État reste en décalage avec le maillage territorial. Ainsi, la baisse très importante des effectifs des services déconcentrés de l’État s’est traduite par un désengagement de celui-ci dans les territoires, provoquant un sentiment d’abandon parmi la population et les élus locaux.

Entre la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la réforme de l’organisation territoriale de l’État, c’est l’hécatombe ! La Cour le souligne bien : en dix ans, plus de 11 000 emplois ont été supprimés dans les préfectures, sous-préfectures, directions départementales ou régionales.

J’ai dénoncé cette attrition des moyens de l’État dans mon dernier rapport budgétaire, qui m’a conduite à proposer un rejet des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».

Déconcentration et décentralisation doivent impérativement être coordonnées pour répondre à l’exigence de proximité de nos concitoyens. Nous voyons bien à quel point cette proximité est essentielle. En effet, les crises récentes ont mis en lumière, si besoin en était, le rôle essentiel des services publics et la nécessité de les renforcer en tout point du territoire.

C’était bien là l’un des objectifs de la décentralisation telle que la voulait le président Mitterrand. L’acte I a d’ailleurs pleinement joué son rôle en renforçant la démocratie locale, en rapprochant la décision politique du citoyen et en donnant aux collectivités territoriales les moyens financiers et humains d’exercer les compétences transférées.

Toutefois, après plusieurs réformes décentralisatrices, le message s’est brouillé. Si une clarification s’impose quant à l’exercice des compétences et la complémentarité des différentes collectivités – car nous savons bien que certaines compétences partagées donnent de meilleurs résultats –, la question des moyens des collectivités se pose avec une acuité particulière.

Depuis vingt ans, les collectivités, en particulier les communes, sont confrontées à deux tendances contradictoires : d’un côté, l’attribution de compétences supplémentaires ; de l’autre, une réforme continue de leurs finances. Elles assurent pourtant les services publics de proximité et doivent constamment ajuster leurs actions aux besoins de la population.

La Cour qualifie d’« inadaptée » la substitution progressive des ressources fiscales des collectivités par des dotations de l’État, tant la cohérence entre les recettes locales et les compétences exercées s’en trouve réduite.

Les suppressions de la taxe professionnelle en 2011, de la taxe d’habitation en 2020 et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en 2023, puis en 2024 illustrent parfaitement ce constat.

Ces différentes réformes sont autant d’atteintes à l’autonomie financière et fiscale des collectivités. Elles ont en outre distendu le lien qui existait entre les communes et leurs administrés, utilisateurs des services publics locaux.

Par ailleurs, le manque de lisibilité et de prévisibilité des finances locales, ainsi que la réduction des marges de manœuvre des communes sont un frein important pour l’investissement public.

Les communes y prennent pourtant – nous le savons bien – une très large part, en apportant un soutien indispensable à l’économie locale et à l’emploi. L’enchaînement des crises économique, sociale et sanitaire, ainsi que la forte inflation actuelle rendent nécessaire la refonte du financement de nos collectivités, afin de préserver le maillage territorial assuré par nos communes.

Si j’ai un point de désaccord majeur avec la Cour, c’est bien au sujet de nos communes, qui sont l’échelon de proximité indispensable au maintien de la démocratie locale et doivent être préservées.

En revanche, pour mieux fonctionner – le constat est clair –, l’organisation territoriale de notre pays requiert une articulation plus fine entre l’État et les collectivités. Cette meilleure conciliation ne doit cependant pas servir à contrôler les dépenses des collectivités, mais doit viser à garantir les capacités de financement des investissements publics locaux. Pas plus que les départements et les régions, les communes n’ont vocation à être les variables d’ajustement des comptes publics.

Il nous faut donc renouer avec les objectifs initiaux de la décentralisation et instaurer un véritable dialogue de confiance entre l’État et les collectivités, dans le respect de la libre administration de ces dernières. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Pascal Savoldelli et Christian Bilhac applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, avec ce rapport, la Cour nous alerte une fois de plus sur la situation dégradée de nos finances publiques et, plus significativement encore, sur la position tristement singulière de la France.

Processus lent, longtemps imperceptible, notre déclassement s’accélère tout à coup sous le poids des contraintes extérieures et des incuries intérieures.

Faute de temps, je n’évoquerai qu’un seul sujet, celui des finances des collectivités locales. Si je partage les constats de la Cour des comptes, je suis plus réservé sur ses préconisations.

Dans sa rétrospective, celle-ci revient sur le remplacement de pans entiers de la fiscalité locale par des impôts nationaux, ce qui a eu pour effet de desserrer le lien entre taxation et représentation. Comme la Cour, je regrette que l’on ait cassé un ressort essentiel de la démocratie décentralisée : le consentement local à l’impôt.

On a trop vite oublié que c’est à l’aggravation des déficits et de la dette publique et, plus généralement, à ce qui a été qualifié à peu près partout en Occident de crise de l’État-providence que l’on doit la poussée décentralisatrice du début des années 1980.

Cette revanche du local sur le central, que résume la célèbre formule small is beautiful, soulignait alors l’omnipotence de l’État. Si l’on a pu croire un temps que l’autonomie de décision fiscale allait épouser l’élan décentralisateur des lois Defferre, le flot croissant des exonérations et des dégrèvements et, plus généralement, le remplacement de la fiscalité locale par les mécanismes centralisés que sont les dotations budgétaires en ont décidé autrement.

Loin de freiner la décrépitude du système fiscal local, l’introduction dans la Constitution d’un article consacré à l’autonomie financière des collectivités en 2003 n’a fait que réduire la libre administration à une simple liberté de gestion.

La réforme de la fiscalité locale voulue, après bien d’autres, par Emmanuel Macron aurait pu combler un tant soit peu cette faiblesse. Or il n’en est rien. C’est pire.

À cause des mesures prises depuis 2018, le choix du niveau des dépenses locales a une moindre incidence sur la feuille d’impôt, sans compter que l’incitation à la bonne gestion a presque disparu.

La solution ne réside pas dans un énième encadrement des finances des collectivités territoriales, comme le suggère la Cour. Elle repose au contraire sur la consécration – enfin ! – du couple libertés-responsabilités, autrement dit sur une autonomie accrue des élus locaux dans le cadre d’une décentralisation véritable qui ne serait plus une « coquille vide ».

Les membres du groupe Union Centriste ne croient pas à la tutelle infantilisante de l’État. Au contraire, ils croient à la dialectique démocratiquement vertueuse des interactions entre électeurs, contribuables et usagers du service public.

Une véritable décentralisation présenterait deux atouts majeurs. Elle conduirait à une gestion plus économe des ressources fiscales et à une structure des dépenses publiques s’accordant davantage avec les préférences politiques de nos concitoyens.

Une véritable décentralisation financière aurait des vertus cognitives que le centralisme jacobin n’a pas. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le ratio des dépenses publiques par rapport au PIB est moins élevé dans les systèmes décentralisés que dans les systèmes centralisés, comme l’est le système français. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le Premier président de la Cour des comptes, pour répondre aux intervenants.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à remercier l’ensemble des orateurs et des groupes de la part active qu’ils ont prise à ce débat et de l’intérêt manifeste qu’ils ont apporté à nos travaux.

Je ne dirai pas qu’il y a consensus – et c’est naturel – sur des sujets qui ne s’y prêtent d’ailleurs pas. Mais les différentes prises de parole confirment ce que j’évoquais tout à l’heure, c’est-à-dire la volonté et la capacité de la Cour à être un acteur du débat public, fournissant des éléments qui suscitent des opinions tantôt convergentes, tantôt contradictoires. C’est notre ambition à la fois forte et limitée.

Monsieur le président de la commission des finances, j’ai toujours plaisir à travailler avec vous. Je me réjouis que vous partagiez les conclusions principales de ce rapport public annuel, tant sur la situation des finances publiques – je ne parle pas des remèdes proposés – que sur le bilan de la décentralisation.

Nos prochains travaux, que ce soit à votre demande ou sur notre propre initiative, dessineront de nouvelles perspectives d’évolution, toujours en vue d’une plus grande efficacité de la dépense publique.

Je veux dire ici, comme je l’ai dit tout à l’heure au président du Sénat, que la Cour entend participer à un exercice de revue de la dépense publique au travers d’une série de notes structurelles et thématiques sur les diverses politiques publiques, comme elle l’avait fait avant la dernière élection présidentielle. Elle souhaite ainsi « soulever le capot » de la dépense, afin d’améliorer et de rendre plus efficaces et plus justes ces politiques, sans pour autant que ces dernières soient plus coûteuses.

Il me semble que la contribution des collectivités locales au redressement des finances publiques, sujet qu’ont abordé plusieurs intervenants, est devenue indispensable du fait de l’interdépendance financière croissante entre l’État et celles-ci. Cette participation passe naturellement par un cadre efficace de dialogue.

Notons qu’aujourd’hui, du fait précisément de cette perte d’indépendance et de l’augmentation des concours de l’État, un certain nombre de recettes des collectivités locales sont largement garanties.

Madame la présidente de la commission des affaires sociales, je me réjouis tout autant de travailler avec vous qu’avec M. le président de la commission des finances.

Nous répondons toujours à vos demandes avec diligence et plaisir. Je rappelle à ce titre que la Cour publiera prochainement un audit flash sur les politiques en faveur des chômeurs de longue durée, sujet sur lequel vous avez mis l’accent à plusieurs reprises.

Nous restons évidemment à la disposition de la commission des affaires sociales pour effectuer de nouveaux contrôles. Pour nous, ce dialogue avec votre commission, avec le Sénat en général, est toujours précieux et extrêmement fructueux.

Monsieur Sautarel, il m’a semblé que vous approuviez assez largement l’analyse de la Cour. Je le répète, une revue de l’ensemble de nos dépenses publiques, comme le pratiquent la plupart des pays de l’Union européenne – en réalité, dans notre pays, il n’y a jamais eu de véritable travail de cette nature –, suppose une analyse de la performance : il s’agit de déterminer si les dépenses publiques sont efficaces, puis de dégager des marges de manœuvre en rationalisant les modes de gestion.

Elle ne résulte pas, comme je l’ai entendu, d’une quelconque volonté austéritaire. L’austérité, ce serait de préconiser des coups de rabot, qui appauvrissent les services publics, affaiblissent la capacité de la puissance publique à réagir et pénalisent bien souvent la croissance. Or ce n’est certainement pas ce que la Cour des comptes recommande.

Pour ne citer qu’un exemple, nous avons validé sans réserve la politique du « quoi qu’il en coûte » menée par le Gouvernement pendant la crise de la covid-19 ; je vous renvoie au rapport sur le plan de relance que nous avons réalisé à la demande de la commission des finances.

Nous avions en effet conscience de la gravité de la pandémie, durant laquelle 160 000 Français ont perdu la vie, ainsi que de la nécessité de soutenir les ménages et les entreprises et de favoriser la reprise de la croissance, qui a été rapide. Nous ne sommes pas des fourriers ou des parangons de l’austérité ; ce n’est absolument pas le cas.

Ce que nous suggérons, c’est autre chose. Nous plaidons pour une meilleure qualité de la dépense publique, qui aurait effectivement pour conséquence, et non comme préalable, de réduire ou de ne pas renchérir le coût des politiques publiques.

Il nous arrive régulièrement de préconiser des dépenses supplémentaires quand elles sont nécessaires, par exemple – je parle sous le contrôle de Mme la présidente de la commission des affaires sociales – sur les Ehpad. Autre exemple, auditionné hier par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur la pédopsychiatrie, j’ai évoqué la nécessité de multiplier par deux le nombre de pédopsychiatres recrutés chaque année.

Ne confondons pas les choses !

La maîtrise des dépenses publiques est d’autant plus indispensable que le consentement à l’impôt a diminué.

Je précise que la Cour ne propose pas non plus une réduction autoritaire du nombre des communes. J’ai entendu, ce qui est normal ici, des prises de position fortes sur le rôle des communes. Je les partage, j’allais dire naturellement, puisque, dans une autre vie, j’ai moi-même été président d’un établissement public de coopération intercommunale. La réduction du nombre de communes ne peut évidemment pas résulter d’une démarche autoritaire ; la Cour n’est pas favorable à une telle verticalité.

Cela étant, nous estimons que, si l’on veut être capable de faire face à des investissements lourds et structurants, c’est dans cette voie qu’il faudra s’engager, sur la base du volontariat, et de manière plus énergique que ce qui a été fait jusqu’à présent. Je constate d’ailleurs le constant ralentissement de ce mouvement.

Monsieur le sénateur Lagourgue, la Cour n’appelle pas du tout à un renforcement de l’État centralisé. Je n’ai aucune nostalgie de cela. Nous mettons au contraire en évidence que la France reste un pays très centralisateur.

Ce que nous demandons est un peu plus subtil et va certainement davantage dans le sens de ce que vous et les membres de votre groupe réclamez : nous voulons un réarmement de l’État déconcentré. En effet, au fur et à mesure que l’on décentralise – et sans doute faut-il continuer ce mouvement –, il faut que les élus puissent disposer d’un interlocuteur, l’État, qui soit un partenaire des stratégies territoriales. C’est en étant plus proche du citoyen que nous améliorerons la qualité du service rendu.

Je le dis ici, on a trop désarmé l’État déconcentré. Les réductions d’effectifs qui sont intervenues tout au long des dernières décennies ont davantage concerné les services déconcentrés que les administrations centrales.

Je ne dis pas qu’il aurait fallu faire le contraire, mais, en toute hypothèse, nous voyons bien que, dans certains territoires, l’État est à la fois indispensable et, pour le dire franchement, à l’os. Cette analyse figure notamment dans le rapport sur les sous-préfectures que nous avons remis, à sa demande, au ministre de l’intérieur et des outre-mer. En tout état de cause, la Cour le dit de manière très claire.

Monsieur Breuiller, je me souviens avec vous – je ne connais pas votre âge, mais nous sommes probablement de la même génération – de l’époque de l’État centralisateur. Votre éloquent plaidoyer nous rappelle qu’il n’y a véritablement aucune raison de regretter cette période, à l’inverse de tout ce que le mouvement historique de la décentralisation a apporté, ne serait-ce qu’en termes de résorption des inégalités territoriales. Vous évoquiez à juste titre le cinéma.

Je partage votre souhait de renforcer la cohérence des compétences de la plupart des politiques publiques. Je vous informe que la Cour publiera avant l’été un rapport thématique sur la gestion de l’eau, qui apportera – c’est le cas de le dire ! – de l’eau au moulin de vos débats et réflexions.

Monsieur Patient, le bilan de la décentralisation tel qu’il est dressé dans ce rapport public annuel ne traite en effet pas des collectivités d’outre-mer, parce qu’il nous a semblé que leur spécificité supposait une approche un peu différente ne pouvant pas s’inscrire facilement dans une analyse trop englobante.

Les thématiques liées à l’outre-mer figurent régulièrement dans la liste des travaux au programme de la Cour. Je pense en outre que le rapport public annuel 2024 permettra de traiter de nombreux sujets les concernant ; nous nous engageons dans cette direction.

Monsieur le sénateur Cozic, je vous ai écouté avec attention, et je ne peux pas être totalement en accord avec plusieurs de vos remarques.

Si je résume, vous estimez que l’inflation contribuerait pour beaucoup à la réduction des déficits. Pour ma part, je ne le crois pas : il y a inflation et inflation.

Le choc inflationniste survenu en 2022 résulte pour l’essentiel d’une hausse du coût de l’énergie, qui a conduit le Gouvernement à prendre des mesures pour en atténuer les effets, en faveur des ménages à la fois, avec les dispositifs dits de « boucliers tarifaires », et des entreprises, avec les fameux « amortisseurs ». Cette politique a pesé de manière significative sur les déficits enregistrés en 2022. J’ai rappelé le chiffre de 36 milliards d’euros pour 2023.

L’inflation a aussi conduit à une forte augmentation, près de 15 milliards d’euros, des charges liées aux obligations indexées sur l’inflation, dans la mesure où notre service de la dette a augmenté avant même que la Banque centrale européenne ne décide d’augmenter ses taux.

Or ces deux éléments sont venus peser sur nos déficits, sans que l’effet positif de l’inflation sur les recettes parvienne à ramener l’équilibre.

L’inflation a in fine conduit les autorités à prendre des mesures de resserrement monétaire, qui a abouti à une hausse des taux d’intérêt. Cela pèsera mécaniquement sur l’investissement et, donc, sur la croissance.

Au total, il me semble que l’inflation, en particulier lorsqu’elle résulte d’un choc au niveau des prix de l’énergie, n’est pas une solution au problème de la dette ni un moyen de renforcer la croissance. Les travaux tant de la Cour que du Haut Conseil des finances publiques le montrent.

Vous avez également sinon accusé, au moins soupçonné la Cour d’être partisane d’une cure austéritaire. Je récuse cette idée.

Nous parlons de la dépense publique. En volume, reconnaissons ensemble que celle-ci est considérable en France, puisqu’elle représente 58 % du PIB, soit huit points de plus que la moyenne de l’Union européenne. C’est beaucoup, alors que nos concitoyens ne perçoivent pas forcément une qualité du service public à la hauteur.

J’aimerais dire que notre système éducatif est en pleine forme, que notre système de santé est au top et que notre politique du logement est merveilleuse. Mais je ne crois pas que les Français le perçoivent ainsi.

Un travail doit donc être mené sur la qualité de la dépense publique, avant même de réfléchir à son volume. Même si les deux problématiques sont incontestablement liées, je préfère prendre les choses dans cet ordre. C’est pourquoi je propose cette revue de la dépense publique.

Je me souviens d’une période où le parti qui est le vôtre, monsieur Cozic, s’attelait à l’assainissement des finances publiques, faisait le choix de l’Europe et travaillait à l’entrée de notre pays dans l’euro.

Je me souviens aussi de Pierre Mendès France, homme de gauche, qui déclarait : « Un pays qui n’est pas capable d’équilibrer ses finances publiques est un pays qui s’abandonne. » Aujourd’hui, je ne fais plus de politique, étant à la tête d’une institution impartiale, mais je n’oublie pas ces paroles, et je pense qu’il ne faut jamais les oublier.

Monsieur Savoldelli, je ne crois pas que la décentralisation ait été dévoyée. Je partage le souhait que vous avez clairement exprimé d’un retour à l’État territorial. Cela correspond du reste au réarmement de l’État déconcentré que j’appelle de mes vœux.

En revanche, je ne vois pas le mouvement de recentralisation que vous avez décrit. Je vois plutôt un empilement un peu contradictoire qui rend les choses illisibles.

Vous réclamez de nouveaux services publics qui seraient à inventer autour du thème de l’égalité. Vous avez enfin fait allusion à la politique de l’eau ; le rapport que j’ai mentionné voilà quelques instants devrait répondre à certaines de vos interrogations.

Monsieur le sénateur Canévet, en réalité, le rapport public annuel de la Cour est destiné au Gouvernement. Il est d’abord remis au Président de la République, avant que je ne vienne le présenter devant les deux assemblées. Le Gouvernement a donc parfaitement connaissance de nos constatations et de nos recommandations.

J’entends bien votre préoccupation sur l’autonomie fiscale des collectivités. La Cour évoque évidemment ce point dans son rapport public annuel. Elle ne souhaite pas, comme je l’ai déjà dit, une réduction autoritaire du nombre des communes. S’il y a confusion à ce sujet, je profite de l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer à cette tribune pour rectifier cette idée.

Un rapprochement entre communes ne peut se faire, pour ce qui est d’engager des investissements, que sur la base du volontariat, comme cela s’est déjà vu dans plusieurs départements. Bien entendu, nous savons qu’il existe une très grande hétérogénéité des approches et que certains territoires sont plus impliqués que d’autres. Cela tient sans doute à des raisons historiques et géographiques.

Autant nous ne plaidons pas pour un rapprochement ou une fusion autoritaire des communes, autant il ne faut pas condamner un tel mouvement, qui, sur une base volontaire – j’y insiste –, est parfaitement vertueux. (Mme Françoise Gatel applaudit.)

Monsieur le sénateur Bilhac, vous avez suggéré que nous pourrions combler le déficit public en augmentant les recettes. Il n’est bien sûr ni impossible ni interdit de l’envisager. Mais ayons tout de même conscience – dans une autre vie, une personne que je connaissais avait parlé de ras-le-bol fiscal – que le consentement à l’impôt de nos concitoyens est écorné, qu’il existe des limites assez objectives à l’imposition des ménages et que nous ne pouvons pas pénaliser la compétitivité de nos entreprises.

Au total, j’ai donc le sentiment que les marges de manœuvre dans ce domaine – vous constaterez ma modération – sont limitées. Et comme elles le sont, les deux autres leviers à actionner sont la croissance, qu’il faut muscler – cela implique d’investir et, donc, de se désendetter –, et la maîtrise de la dépense, que nous contribuons à analyser au travers de cette revue.

J’en profite pour rappeler que la rationalisation des compétences nous paraît indispensable. Nous pensons que toute la sphère publique peut contribuer à la maîtrise des finances publiques.

Monsieur le sénateur Allizard, tous les défis que vous avez pointés, notamment dans le domaine de la défense, prouvent que nous devons faire des choix en matière de dépenses publiques et que nos besoins d’investissement sont importants.

Le Haut Conseil des finances publiques, que je préside, est en train d’examiner le projet de loi de programmation militaire qui vous sera bientôt soumis : un texte aussi ambitieux, qui prévoit une augmentation aussi forte des dépenses, limite naturellement nos marges de manœuvre.

Si la loi de programmation des finances publiques avait fixé des objectifs un peu plus ambitieux, on pourrait presque dire qu’un tel projet impose une réduction de la dépense publique plus importante que celle que la Cour elle-même pourrait suggérer. Cela étant, je ne voudrais pas anticiper sur l’avis qui sera rendu sur le sujet.

Il ne me semble pas nécessaire d’aborder la question de la soutenabilité de la dette, car je ne crois pas qu’il s’agisse d’un vrai problème aujourd’hui. En tout cas, il n’y a pas de crise de crédibilité de la dette française.

Pour autant, en la matière, je suis attentif à la divergence qui s’accroît entre la France et le reste de la zone euro. Il y a des limites à ne pas franchir, car nous partageons une zone monétaire commune. Je crains, si je me projette en 2027, que la France reste au même niveau d’endettement, et que tous les autres pays parviennent à réduire leur dette publique. Cela nous conduirait à occuper une place qui n’est pas digne de notre pays.

La France figure parmi les pays leaders dans la zone euro. Nous ne pouvons pas devenir le leader en matière de dette ; je me permets de le souligner ici. (Mme Nadine Bellurot applaudit.)

Autre point, ce n’est pas parce que les collectivités locales sont dans une situation financière saine et équilibrée qu’elles ne peuvent pas contribuer à l’amélioration de l’efficacité de la dépense publique. Il convient d’admettre qu’il y a un problème de niveau de la dépense publique. Dès lors, nous ne devons pas nous priver de travailler à la fois sur la qualité et le niveau de cette dépense.

Madame la sénatrice Briquet, vous avez comparé notre démarche à la révision générale des politiques publiques. Non ! La RGPP n’était pas d’une revue de dépenses ; c’était un simple coup de rabot budgétaire. Ce n’est en tout cas pas la marche à suivre aujourd’hui.

Au fond, notre pays n’a jamais fait de réelle revue des dépenses publiques. Au cours de ma vie antérieure, j’ai notamment occupé un poste de commissaire européen à Bruxelles : j’ai pu observer comment fonctionnait, chez nos partenaires de la zone euro, une revue de dépenses publiques. C’est un exercice beaucoup plus ambitieux et complexe qui suppose de mettre tous les acteurs autour de la table et d’évaluer la qualité de la dépense publique, afin de renforcer l’efficacité des politiques et de faire en sorte qu’elles soient plus justes.

Une revue contribue sans doute à faire des économies, mais elle ne s’inscrit pas dans une logique budgétaire. Ce que je préconise n’est donc en rien une resucée de la RGPP, processus qui avait certainement un intérêt en son temps, mais qui est dépassé aujourd’hui.

Le rapport de la Cour ne remet nullement en cause le rôle majeur des communes dans la démocratie locale. Nous ne pensons évidemment pas qu’elles doivent être la variable d’ajustement des comptes publics.

Monsieur le sénateur Mizzon, la situation des finances locales fait l’objet d’une attention soutenue de la part de la Cour, tant dans ce rapport public annuel que dans le cadre des travaux menés sur les finances publiques locales. À cet égard, permettez-moi de rappeler qu’il existe une formation spéciale de la Cour appelée Fipulo, pour finances publiques locales, qui est présidée par le président de la quatrième chambre, et qui regroupe les chambres régionales des comptes. Cette formation produit des rapports très utiles.

Au début de cette séance, le président Larcher a mentionné le lancement de votre propre mission sur ce thème. Sachez que, si cette dernière souhaite auditionner le président de cette formation, le rapporteur général, moi-même, ou tel ou tel magistrat de la Cour, nous sommes naturellement à votre disposition.

Je conclus mon propos en vous remerciant une nouvelle fois de votre participation à ce débat et de l’estime que vous avez témoignée aux travaux de la Cour. Je veux vous redire à quel point nous sommes disposés à travailler de concert avec votre assemblée.

J’ai vraiment le sentiment qu’évoquait mon prédécesseur Philippe Séguin : la Cour doit se tenir à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement. Nous sommes très attachés à notre mission d’assistance aux assemblées, sans pour autant nous faire leur complice ni tout à fait leur auxiliaire.

Ce travail commun, auquel nos magistrats contribuent avec cœur et avec plaisir, dans le strict respect de délais extrêmement courts, notamment le délai de huit mois maximum dont nous disposons pour achever une enquête – M. le président de la commission des finances et Mme la présidente de la commission des affaires sociales pourront en témoigner –, est pour nous extrêmement précieux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous donne donc rendez-vous l’année prochaine en séance plénière, si tout va bien ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, et nous donnons acte du débat qui s’est ensuivi.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président de la Cour des comptes.

(M. le Premier président de la Cour des comptes est reconduit selon le cérémonial dusage.)

4

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bilhac, pour une mise au point au sujet d’un vote.

M. Christian Bilhac. Lors du scrutin public n° 256, ma collègue Maryse Carrère souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de votre mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin concerné.

5

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs d’emballages ménagers et des producteurs de papier ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)

nomination de membres dune commission mixte paritaire

La liste des candidats désignés par la commission de laménagement du territoire et du développement durable pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant fusion des filières à responsabilité élargie des producteurs demballages ménagers et des producteurs de papier a été publiée conformément à larticle 8 quater du règlement.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire sont :

Titulaires : Mme Marta de Cidrac, MM. Didier Mandelli, Guillaume Chevrollier, Jean-François Longeot, Joël Bigot, Mme Angèle Préville et M. Frédéric Marchand ;

Suppléants : MM. Jean-Claude Anglars, Gilbert Favreau, François Calvet, Michel Laugier, Jean-Michel Houllegatte, Bernard Fialaire et Gérard Lahellec.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER