compte rendu intégral

Présidence de Mme Laurence Rossignol

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Françoise Férat,

M. Joël Guerriau.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Mes chers collègues, compte tenu du nombre d’amendements à examiner sur la proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, et en accord avec le Gouvernement et la commission spéciale, nous pourrions ouvrir la nuit de la séance de ce jour et inscrire la suite de l’examen de ce texte à l’ordre du jour du jeudi 16 mars, à l’issue de l’espace réservé au groupe RDSE et le soir.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État
Discussion générale (suite)

Compétences de la collectivité de Saint-Barthélemy

Adoption d’une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l’exercice de compétences de l’État, présentée par Mme Micheline Jacques (proposition n° 51, texte de la commission n° 405, rapport n° 404).

Conformément à l’article L.O. 6213-3 du code général des collectivités territoriales, le Sénat a consulté le conseil territorial de Saint-Barthélemy sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Micheline Jacques, auteur de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi organique visant à permettre à Saint-Barthélemy de participer à l'exercice de compétences de l'État
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 6 rect.

Mme Micheline Jacques, auteur de la proposition de loi organique. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi organique vise à doter la collectivité de Saint-Barthélemy de la faculté de participer à l’adaptation des règles destinées à favoriser la continuité des soins dans l’île. Il s’agit d’un sujet épineux qui préoccupe la population.

Je tiens à remercier les rapporteurs Valérie Boyer et Alain Milon de leur implication et de l’intérêt qu’ils ont manifesté pour ce texte.

Le dispositif initial visait à permettre à la collectivité de Saint-Barthélemy de participer à la compétence de l’État en matière de sécurité sociale. En effet, bien que la santé soit l’objectif autour duquel se cristallise le texte, le véritable enjeu est celui du financement. Il s’agit d’assurer la continuité des soins à Saint-Barthélemy en tenant compte de l’insularité du territoire et des surcoûts liés à la petite taille de l’île et à son économie.

La proposition de loi organique s’inscrit dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, qui permet aux collectivités d’outre-mer dotées de l’autonomie de participer aux compétences conservées par l’État. De la sorte, les réalités locales sont mieux prises en compte dans des domaines dont l’État doit continuer à garantir la cohésion.

Ce texte s’inscrit en outre dans la continuité de l’objectif de maîtrise de sa destinée qui a présidé à l’érection de Saint-Barthélemy en collectivité d’outre-mer. La collectivité a ainsi toujours été à l’initiative de mesures d’adaptation aux réalités du terrain, tout en ayant une relation très harmonieuse avec l’État.

Mon prédécesseur Michel Magras, ancien président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, avait lui-même porté en 2015 la demande d’une plus grande implication de la collectivité dans la définition de la politique de protection sociale, en déposant deux propositions de loi, l’une organique et l’autre ordinaire. La même année avait été créée la caisse de prévoyance sociale (CPS) de Saint-Barthélemy, sur laquelle j’aurai l’occasion de revenir.

La nouvelle majorité n’a, du reste, pas fait exception à ce principe, en créant une commission ad hoc diagnostic territorial de l’offre de soins, un domaine qu’incarne avec une implication et une énergie sans faille la première vice-présidente.

Aucune collectivité d’outre-mer n’a jusqu’à présent participé à la compétence de l’État en matière de sécurité sociale. Une fois de plus, Saint-Barthélemy propose d’innover, comme elle l’a fait déjà pour plusieurs dispositifs. Elle est ainsi la seule collectivité à avoir renoncé au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). Et les missions du service départemental d’incendie et de secours (Sdis) et de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) sont assurées par des services de la collectivité, en lieu et place d’un établissement public et d’un groupement d’intérêt public (GIP).

Ce texte n’a pas la prétention d’être révolutionnaire. Il tend simplement à utiliser les outils d’adaptation offerts par le statut de collectivité d’outre-mer dotée de l’autonomie. Il est la traduction d’une demande qui n’est pas nouvelle. En effet, depuis plusieurs années, les élus ont alerté les gouvernements sur la dégradation de l’offre de soins, en particulier hospitalière. Cette dégradation a connu une accélération ces derniers mois.

Le coût de la vie, en particulier le niveau vertigineux des loyers, combiné aux difficultés du quotidien sur un territoire de 21 kilomètres carrés, contraint la mise en œuvre des politiques publiques. Fidéliser les médecins hospitaliers pour permettre un fonctionnement continu de l’hôpital requiert de tenir compte d’un tel contexte.

L’île est dotée d’un établissement de proximité, l’hôpital de Bruyn. Pour les cas les plus graves, elle est dépendante des évacuations sanitaires vers les centres hospitaliers de Saint-Martin – cela représente 80 % des évacuations –, de la Guadeloupe ou de la Martinique. Les évacuations sont prises en charge par le budget de l’hôpital. La piste est trop courte pour permettre à des aéronefs de plus de vingt places d’atterrir, et les évacuations ne peuvent être effectuées sur des lignes régulières. Leur coût pèse donc sur les dépenses hospitalières.

Ainsi, en 2022, 194 évacuations ont été réalisées, pour un coût de 600 000 euros pour l’hôpital, alors que la dotation est de 420 000 euros. L’impossibilité d’atterrir de nuit est l’autre contrainte des évacuations sanitaires. Lorsque l’hôpital fonctionne en sous-effectifs, au-delà d’un certain nombre d’évacuations sanitaires, il n’y a plus de médecin urgentiste présent. Il s’agit donc de disposer sur place des ressources médicales chaque fois que cela est possible.

C’est non pas la taille de la population, mais les besoins et les risques qui doivent être les critères de définition de l’offre de soins. Je veux ici rassurer le Sénat et le Gouvernement. L’attachement au principe de solidarité n’est pas remis en cause. En effet, la présente proposition de loi organique ne vise en aucun cas à lier capacités contributives et dépenses de santé, mais à les ajuster aux besoins réels. La population de Saint-Barthélemy est en droit d’attendre une offre de santé aussi large que possible sur un petit territoire insulaire. Surtout, depuis dix ans, le projet politique s’est bâti sur l’existence d’un « excédent » des comptes territoriaux que jamais personne n’a pris la peine d’infirmer, alors que les élus s’en prévalaient.

Le budget de l’hôpital affiche une dépense de 251 000 euros annuels pour loger des personnels. En déficit d’attractivité, celui-ci recrute difficilement des intérimaires, peu impliqués. Avec la probable adoption de la proposition de loi portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite proposition de loi Rist, des contraintes supplémentaires s’appliqueront à ces recrutements. Durant plusieurs années, l’hôpital de Bruyn a fonctionné, disons-le, selon une organisation propre aux médecins de l’île. Le retour légitime aux règles de droit commun de fonctionnement d’un établissement hospitalier a conduit au départ de la quasi-totalité des médecins hospitaliers basés à Saint-Barthélemy.

La réalité de l’île, c’est aussi que le laboratoire de biologie médicale n’est plus aux normes, notamment d’accessibilité, et a besoin de s’agrandir. Mais il ne peut pas supporter un loyer multiplié par trois.

La CPS est en réalité un démembrement de la Mutualité sociale agricole (MSA) Poitou, qui a permis de proposer un service de proximité jusque-là inexistant. Saint-Barthélemy doit pouvoir, comme les autres collectivités d’outre-mer qui le souhaitent, disposer de sa caisse propre, même non autonome.

Par ailleurs, l’absence de personnalité morale de la CPS soulève deux questions majeures : d’une part, celle de la fiscalité des pensions de retraite du régime général, d’autre part, celle de l’efficacité du recouvrement distant des cotisations, comme en attestent les chiffres. En effet, nous avons découvert que les impayés de cotisations représentaient plus de 97 millions d’euros. Pour une île comme Saint-Barthélemy, et au regard de son niveau d’activité économique, c’est inadmissible !

À la suite du diagnostic établi par la majorité actuelle, plusieurs pistes ont été lancées : le partage de la compétence santé par le biais d’une agence territoriale de la santé ; la construction d’un pôle hospitalier qui regrouperait l’hôpital, des logements, le laboratoire et une maison de santé accueillant ponctuellement des spécialistes ; la nomination d’un coordinateur de santé.

La réglementation de la santé stricto sensu ne pose pas de difficultés à Saint-Barthélemy. C’est l’organisation et le financement des soins, en particulier hospitaliers, qui doivent être mieux adaptés pour prendre en compte des réalités incompressibles de l’île, comme le coût de la vie et les contraintes de l’insularité.

Le projet, ambitieux à l’échelle de l’île, de construction d’un hôpital est à l’étude. Mais, j’en suis convaincue, la structure n’est pas le problème, pas plus qu’elle n’est la solution. La restructuration de l’offre hospitalière doit être pensée en tenant compte de l’achèvement prochain d’un hôpital de dernière génération en Guadeloupe. L’idée de développer le tourisme médical de luxe a également été évoquée au cours des travaux préparatoires, mais elle est inadaptée à la clientèle de Saint-Barthélemy.

Je ne peux pas m’empêcher d’évoquer la querelle qui oppose la collectivité à la direction hospitalière s’agissant de la propriété du foncier. Le terrain sur lequel est construit l’hôpital de Bruyn a une dimension patrimoniale collective pour les habitants de Saint-Barthélemy, où l’État est arrivé tardivement.

L’ancien président Bruno Magras avait proposé que les 4,7 millions alloués par le Ségur de la santé soient plutôt affectés au fonctionnement de l’hôpital, véritable nœud du problème, et que le financement des investissements soit laissé aux soins de la collectivité. Dans son sillage, les nouveaux élus sont prêts à réaliser les investissements nécessaires pour rénover le bâtiment, mais ils estiment que la collectivité ne peut investir tant que le foncier ne lui aura pas été transmis. C’est une demande que je relaie et que je soutiens.

La collectivité s’est régulièrement impliquée dans l’amélioration des soins. Le président Bruno Magras a fait le choix stratégique d’orienter la générosité vers l’achat d’équipements médicaux plutôt que vers d’autres postes de dépenses. Ainsi, un scanner a été offert et l’hôpital a pu faire l’acquisition d’un mammographe. La collectivité a fait construire un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dont elle a mis la buanderie et la cuisine à la disposition de l’hôpital. Ces mesures ont permis d’alléger les charges de fonctionnement de ce dernier et ont fait faire des économies à la sécurité sociale, qui éviter de payer le coût d’un aller-retour à Saint-Martin pour chaque examen.

La collectivité, bien que prête à faciliter le logement des personnels hospitaliers et enseignants, ne dispose pas aujourd’hui d’un parc de logements suffisant. Les constructions ne pourront pas être achevées avant deux, voire trois ans.

Le Sénat a bien compris ma démarche, comme en témoigne le rapport pour avis d’Alain Milon : « La présente proposition de loi organique (PPLO) propose une avancée équilibrée par ce qui s’apparente à un “droit de proposition” de la collectivité. » Avec une pertinence qui ne surprendra personne, les rapporteurs ont apporté des modifications au dispositif initial pour parvenir à un équilibre qui crée aussi les conditions de l’indispensable prise en compte de la volonté locale par l’État. L’expérimentation sur une durée de cinq ans laissera le temps d’évaluer l’intérêt de cette nouvelle faculté offerte à la collectivité : la majorité actuelle ou, le cas échéant, la prochaine pourra s’en saisir.

Je terminerai mon propos avec cet extrait du rapport de Michel Magras sur la différenciation : « L’État doit désormais accompagner les collectivités ultramarines pour nourrir leurs capacités propres d’expertise et leur garantir une véritable autonomie qu’elles peuvent mettre au service de leur développement endogène. Cela vaut dans tous les domaines. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Valérie Boyer, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, chère Micheline Jacques, la proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui entend répondre à un problème qui mérite toute notre attention : les inacceptables difficultés que rencontrent au quotidien nos compatriotes de Saint-Barthélemy dans l’accès à une offre de soins complète et adaptée aux particularités de leur insularité.

L’île de Saint-Barthélemy, située à 25 kilomètres au sud-est de Saint-Martin, 230 kilomètres du nord-ouest de la Guadeloupe « continentale » et 6 500 kilomètres de Paris, est très dépendante des territoires voisins de Saint-Martin et de la Guadeloupe pour la prise en charge des cas graves ou complexes.

Le problème est pourtant connu de longue date. Les élus locaux, et particulièrement les sénateurs de Saint-Barthélemy – je pense à notre ancien collègue Michel Magras, qui a été cité, et à Micheline Jacques, qui lui a succédé –, ont régulièrement alerté sur le manque d’adaptation des règles nationales aux réalités locales et sur la dégradation de l’offre soins préjudiciable aux habitants de l’île.

Lors des auditions que j’ai menées avec Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, nous avons pu constater que les difficultés rencontrées par les habitants et les personnels soignants persistaient aujourd’hui encore et étaient de quatre ordres.

Premièrement, certaines prestations et certains actes pourtant indispensables pour le fonctionnement quotidien d’un hôpital ne sont aujourd’hui pas réalisés sur l’île ; je pense en particulier au dépôt de sang.

Deuxièmement, les services de soins font face à des difficultés techniques et opérationnelles qui nuisent à la prise en charge optimale des assurés de Saint-Barthélemy. Ainsi, faute d’éclairage des pistes des aérodromes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, les évacuations sanitaires ne peuvent pas avoir lieu la nuit.

Troisièmement, des obstacles réglementaires empêchent la pleine adaptation de l’offre de soins au territoire, malgré les demandes répétées des élus et des acteurs locaux de la santé. En effet, en application d’une disposition réglementaire nationale, la pharmacie de l’hôpital Irénée de Bruyn ne peut être gérée aujourd’hui que par un pharmacien universitaire, alors que l’établissement ne dispose que de dix lits… Faute d’adaptation de cette règle aux réalités locales, l’activité de la pharmacie hospitalière est aujourd’hui menacée.

Quatrièmement, les services de soins peinent aujourd’hui à fidéliser les praticiens hospitaliers sur le territoire, en raison, d’une part, des contraintes d’exercice sur celui-ci, d’autre part, du coût exorbitant des logements pour ces personnels. Ce point a été évoqué par Micheline Jacques.

La proposition de loi organique apporte une première solution pragmatique et équilibrée à cet ensemble de difficultés en prévoyant de confier à la collectivité de Saint-Barthélemy un pouvoir de proposition dans les domaines de l’assurance maladie et du financement des établissements et services de santé qui relèvent de la compétence de l’État.

Reposant sur une approche « ascendante », que je sais chère à notre assemblée, ce texte atteint un point d’équilibre satisfaisant entre l’exigence d’adaptation, trop longtemps attendue, des normes aux réalités locales et la nécessité de conserver un cadre garant des grands principes de la sécurité sociale sur l’ensemble du territoire national.

Lors de son examen en commission des lois, nous avons retravaillé la proposition de loi organique, afin de recourir à l’expérimentation pour cette modification, certes limitée, mais novatrice, du partage des compétences en matière de santé entre l’État et la collectivité de Saint-Barthélemy.

D’une durée de cinq ans, une telle expérimentation permettra de mesurer les effets de ces dispositions et de les évaluer avant d’en envisager la pérennisation. Les outils doivent être pleinement mobilisés tant ils permettent une réelle différenciation des normes, particulièrement pour des territoires comme les outre-mer qui doivent trouver, dans notre cadre juridique, les moyens concrets d’une adaptation des normes nationales à leurs réalités si spécifiques.

Aussi, il importe que la collectivité puisse disposer de nouvelles procédures organiques pour renforcer la prise en compte par l’État des spécificités de l’île sans pour autant battre en brèche le principe d’une compétence étatique en la matière. C’est pourquoi nous avons, à l’occasion du travail en commission, souhaité renforcer les garanties applicables en la matière aux initiatives qui seraient prises par la collectivité.

À ce stade de mon propos, je me dois néanmoins, mes chers collègues, d’être franche : si cette proposition de loi marque une première avancée salutaire, elle ne pourra pas régler à elle seule l’ensemble des difficultés rencontrées sur l’île en matière d’offre de soins.

Je déplore malheureusement l’inertie de l’État sur ce sujet particulier. À titre d’exemple, à la suite de l’expérimentation concluante visant à accorder aux directeurs généraux d’agences régionales de santé (ARS) un pouvoir de dérogation pour adapter certaines normes aux réalités locales de leur territoire lancée en 2017, le Gouvernement s’est engagé au mois de novembre 2021 à la pérenniser en généralisant ces dispositions à l’ensemble du territoire national.

Comment expliquer que le Gouvernement n’ait toujours pas pris le décret qui avait été pourtant annoncé, alors même que l’ensemble des élus et des acteurs locaux de la santé auditionnés en ont souligné l’importance pour améliorer l’offre de soins de Saint-Barthélemy et ont insisté sur leur souhait de s’en saisir sans plus attendre ?

Madame la ministre, l’État doit se montrer à la hauteur des enjeux et jouer pleinement le rôle qui lui incombe en la matière : vous pouvez compter sur notre vigilance. J’espère qu’une date de parution du décret nous sera donnée.

Pour finir, et c’est un point sur lequel je souhaite insister tout particulièrement, nous avons dû mener nos travaux sans disposer, d’une part, des conclusions d’un rapport demandé par le Parlement voilà plus d’un an sur l’organisation du système de santé et de la sécurité sociale à Saint-Barthélemy, d’autre part, des chiffres de la consommation de soins par les assurés de Saint-Barthélemy, que le Gouvernement s’obstine à ne pas publier.

Cela n’est ni compréhensible ni acceptable par les législateurs que nous sommes, et illustre le peu de considération porté par le Gouvernement à notre endroit. Lorsque nous demandons des chiffres, la moindre des choses serait de nous les donner ! Sinon, comment pouvons-nous jouer notre rôle ?

Indépendamment de ces remarques de méthode, la présente proposition de loi est nécessaire. Je souhaite remercier Micheline Jacques, auteur de la proposition de loi, et Alain Milon, rapporteur pour avis, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler, comme nous l’avions déjà fait par le passé.

Cette proposition de loi, qui a été négociée, est équilibrée et consensuelle. Elle me semble à même d’emporter, sur un sujet d’une particulière importance, une large adhésion aujourd’hui. J’espère que le Gouvernement accompagnera favorablement et soutiendra ce texte, imaginé et rédigé, après consultations, par notre collègue Micheline Jacques pour le territoire ultramarin de Saint-Barthélemy.

J’ai confiance, mes chers collègues, dans le fait que ce texte équilibré recueillera votre assentiment. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Saint-Barthélemy n’est pas ce que l’on désigne parfois sous la dénomination un peu malheureuse de « désert médical ». Néanmoins, des lacunes persistantes ont été identifiées en matière de santé.

Ainsi, certaines spécialités médicales ne sont pas représentées sur l’île – je pense à la cardiologie – ou sont d’un accès limité. Surtout, l’offre hospitalière est fragile, puisque l’hôpital, qui compte dix lits de médecine de courte durée et qui est le seul établissement de santé de l’île, peine à pourvoir les postes ouverts et à recruter, notamment des urgentistes, en nombre suffisant. D’ailleurs, c’est malheureusement le cas un peu partout en ce moment.

C’est au demeurant l’une des préoccupations de notre collègue auteure du texte, qui alerte sur les ruptures dans la continuité des soins. L’attractivité médicale est, comme ailleurs en France, une préoccupation majeure, alors que le coût des logements sur l’île est assurément incompatible avec les rémunérations proposées ou les moyens de l’hôpital.

Au-delà de l’offre présente, c’est bien davantage l’offre manquante sur laquelle les élus ont régulièrement interpellé le Gouvernement. Ils continuent de le faire aujourd’hui.

Alors que le territoire est dépendant de Saint-Martin et de la Guadeloupe pour la prise en charge des patients dans les cas les plus graves, et particulièrement les urgences, les évacuations sanitaires, les fameuses Evasan, cristallisent pour partie des revendications maintenant anciennes. Ces évacuations, au nombre de 183 en 2022, doivent se faire par voie aérienne et sont parfois compromises. Les pistes des aéroports de Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont impossibles à utiliser de nuit, et l’envoi d’un hélicoptère de la Guadeloupe réduit les moyens de celle-ci pendant plusieurs heures. Une étude est annoncée sur la question, mais le problème est identifié depuis vingt ans…

Ces différentes questions, à l’instar d’autres problématiques d’inadaptation du droit commun à la configuration de l’île de Saint-Barthélemy, tardent à trouver des réponses. Je pense ici à la prise en charge des Evasan au regard des lignes régulières disponibles, mais aussi, par exemple, à la question du dépôt de sang sur le territoire, que Valérie Boyer a évoquée. Ces problèmes pourraient pour partie trouver une solution grâce aux services de l’État. Ainsi, un décret en Conseil d’État a été maintes fois évoqué, mais n’a toujours pas été publié.

Je rappelle que la commission des affaires sociales avait, à la suite de la mission à Mayotte en 2022, appelé à donner aux directeurs généraux d’agences régionales de santé outre-mer des pouvoirs de dérogations accrus pour adapter le droit aux réalités ultramarines. Encore faut-il que les textes réglementaires suivent et répondent aux demandes des services sur place.

Or on constate trop souvent une inertie des gouvernements pour apporter des solutions concrètes aux problèmes posés par l’insularité ou l’éloignement de ces territoires. À titre d’exemple, le rapport prévu par la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi 3DS, sur l’organisation des soins outre-mer, en particulier à Saint-Barthélemy, n’a pas été produit à ce jour, soit plus de six mois après l’échéance prévue !

La proposition de notre collègue Micheline Jacques est présentée comme un moyen d’apporter des solutions à des problèmes structurels qui appellent des réponses urgentes et durables. Par cette participation à une compétence de l’État, il est ainsi organisé ce que nous pourrions qualifier de « droit de proposition » formel de la collectivité à l’adresse de l’État, en laissant à ce dernier la pleine compétence.

J’insiste sur ce point, auquel la commission des affaires sociales est très attachée : la santé et la sécurité sociale demeurent et doivent demeurer des compétences de l’État. Il n’y a ici aucun transfert ou partage proposé. J’ai d’ailleurs insisté en commission sur le fait que de telles revendications ne sauraient être recevables au motif que certains territoires seraient hypothétiquement des « contributeurs nets » de la sécurité sociale. S’il est nécessaire que les territoires puissent intervenir et proposer des adaptations locales au droit commun, c’est à l’État d’assumer ses responsabilités.

Pour une île comme Saint-Barthélemy, un tel principe est d’autant plus fondamental que l’offre de soins ne peut se concevoir qu’en cohérence avec celle qui est disponible à Saint-Martin ou en Guadeloupe, où – je le rappelle – un nouveau centre hospitalier universitaire (CHU) est en construction.

C’est en ayant à cœur d’accompagner l’amélioration nécessaire du système de santé de Saint-Barthélemy par la garantie de la cohérence de l’offre de soins à l’échelle régionale et la continuité de la prise en charge des patients que la commission des affaires sociales et la commission des lois vous invitent, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi, sous réserve d’une transformation du dispositif envisagé en une expérimentation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Thani Mohamed Soilihi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de lorganisation territoriale et des professions de santé. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine cet après-midi une proposition de loi visant à permettre à la collectivité d’outre-mer de Saint-Barthélemy de participer à l’exercice de compétences de l’État.

Votre chambre est bel et bien la représentante et le porte-voix, si vous me permettez cette expression, de tous les territoires dans leur diversité. Le débat qui nous occupe aujourd’hui y a donc toute sa pertinence. Il permettra, je l’espère, de lever les incompréhensions qui pourraient persister et d’apporter des réponses aux interrogations soulevées. C’est en tout cas ma volonté et celle du Gouvernement.

Cette initiative sénatoriale s’inscrit, parmi les travaux de la Haute Assemblée, dans une histoire : celle d’une préoccupation légitime des parlementaires que vous êtes face aux difficultés et inquiétudes de nos compatriotes ultramarins. C’est toute l’action de Michel Magras qui se poursuit. Cette proposition de loi de la sénatrice Micheline Jacques en est l’illustration.

Avant d’en venir au texte, j’aimerais aborder plusieurs points qui ont été évoqués lors des débats en commission.

Vous avez regretté le manque d’adaptation des règles nationales aux réalités locales et une dégradation de l’offre de soins. Au-delà, votre commission a déploré un engagement financier insuffisant de l’État et la persistance de difficultés rencontrées par les habitants et les personnels soignants.

Je souhaiterais attirer l’attention de votre assemblée sur plusieurs points.

Le rapport de la commission souligne les difficultés des services de soins en matière d’évacuations sanitaires, faute d’éclairage des pistes des aérodromes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, ce qui entraînerait une perte de chance pour les patients.

Je puis d’ores et déjà vous dire que l’aéroport de Saint-Martin Grand-Case est en train d’être équipé sous l’égide du préfet pour permettre des atterrissages de nuit dans le courant de 2023.

Par ailleurs, une étude en cours vise à examiner les possibilités de recours à un hélicoptère pour assurer les trajets entre les deux îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin et améliorer le marché des Evasan actuellement en vigueur. Les conclusions en seront connues au mois de mai prochain, ce qui permettra d’avancer avec l’ensemble des acteurs concernés et de résoudre cette difficulté réelle que vous évoquez.

A également été soulignée la difficulté de réaliser certaines prestations et certains actes, comme le dépôt de sang, alors qu’ils sont indispensables au travail quotidien des personnels soignants et à la qualité des soins.

Face à ces problèmes du quotidien rencontrés par nos concitoyens, il nous faut trouver des solutions concrètes et apporter de la souplesse.

La parution d’un décret en Conseil d’État permettra l’adaptation des modalités de fonctionnement de l’offre de soins aux spécificités locales grâce au futur pouvoir de dérogation du directeur général de l’ARS.

C’est également dans ce cadre que certains obstacles réglementaires auxquels vous avez fait référence, comme la pharmacie à usage intérieur du CHU de Bruyn ou le fonctionnement des urgences sur l’île, pourront être levés.

Je m’inscris en faux contre le supposé manque de considération du Gouvernement s’agissant de la situation de l’île. Il faut le rappeler, face à la tragédie qu’a constituée l’ouragan Irma en 2017, la collectivité de Saint-Barthélemy et celle de Saint-Martin ont pleinement bénéficié de la solidarité de l’État et de la sécurité sociale. L’enveloppe globale consacrée au soutien face aux conséquences de l’ouragan a représenté près de 500 millions d’euros pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, soit 11 000 euros par habitant.

En outre, l’État a soutenu les entreprises en facilitant le déclenchement du dispositif d’activité partielle et en proposant un moratoire sur les charges sociales patronales. Lors de la crise du covid, il a également pris toute sa part dans le soutien aux entreprises du territoire, versant près de 1,4 million d’euros d’aides au paiement des cotisations.

Vous le voyez, face à aux difficultés, l’État est au rendez-vous et – je peux vous l’assurer, madame la rapporteure – compte continuer en ce sens.

Je veux également revenir sur la situation globale de l’offre de soins à Saint-Barthélemy et évoquer les supposés excédents des comptes de la caisse de prévoyance sociale locale, comme le laisse entendre l’exposé des motifs de cette proposition de loi.

Il faut le rappeler, les flux de cotisations et de prestations versés sont centralisés au niveau des caisses nationales de sécurité sociale, en particulier de l’Urssaf Caisse nationale (ex-Acoss) et de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), puisque le principe de solidarité s’applique. Il n’existe donc pas d’autonomie financière des caisses locales, celles-ci ne pouvant pas décider librement de l’allocation de leurs recettes tirées des cotisations.

La CCMSA du Poitou retrace dans un outil spécifique les recettes et les dépenses relatives à sa gestion de la sécurité sociale pour Saint-Barthélemy. La CPS de l’île elle-même n’indique pas toutes les dépenses de santé ; celles des établissements sociaux et médico-sociaux ou certains types d’aides apportées aux professionnels de santé échappent en particulier à son champ de compétence. Ainsi, le financement du centre hospitalier de Bruyn et des Evasan, qui s’élève à 8,5 millions d’euros, est presque entièrement abondé au travers de dotations de l’ARS. De même, la CPS ne prend pas en charge toutes les recettes, car elle ne gère pas tous les cotisants de l’île en raison de la complexité de certains dispositifs. En outre, ses dépenses de gestion et d’autres, comme celles qui sont liées aux échanges de données, ne sont pas prises en compte.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par quelques chiffres.

Le montant des prestations concernant la branche maladie versées à Saint-Barthélemy s’élève en 2021 à 18,15 millions d’euros. Dans le même temps, les cotisations maladie et la contribution sociale généralisée (CSG) dues avoisinent les 19 millions d’euros. Ce dernier chiffre est à mettre en regard avec les dettes de cotisations restées impayées auprès de la caisse générale de sécurité sociale (CGSS) de Guadeloupe, qui s’élèvent à 66 millions d’euros. Cette situation budgétaire complexe trouve son explication dans la multiplicité des plans de soutien liés aux différentes crises climatiques et sanitaires auxquelles a été confrontée l’île de Saint-Barthélemy. Loin de moi la volonté d’insister sur ces éléments chiffrés, mais il était nécessaire de rappeler que Saint-Barthélemy a bénéficié et bénéficiera encore, si le besoin s’en faisait sentir, de la plénitude de la solidarité nationale.

Vous évoquez légitimement la remise d’un rapport sur l’organisation du système de santé et de la sécurité sociale sur place. Je peux d’ores et déjà vous annoncer qu’il sera transmis au Parlement d’ici au mois d’avril.