M. Jean-François Husson. Il faut arrêter !
M. Yan Chantrel. Vous voulez sacrifier cet âge de la vie durant lequel, après avoir consacré l’essentiel de son existence au travail salarié, on dédie son temps libéré à sa vie familiale, à ses parents dépendants, à ses enfants, à ses petits-enfants, aux vies associative, culturelle, sportive, caritative, démocratique, qui sont essentielles à la vie de notre pays. Voilà ce que vous voulez supprimer ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.)
M. le président. Les amendements nos 518 et 567 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour présenter l’amendement n° 579.
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le ministre, selon vous et votre gouvernement, supprimer les régimes spéciaux, c’est de la justice sociale. Quelle est donc votre vision du milieu du travail ? Pour vous, la justice sociale passe systématiquement par un alignement par le bas.
Certains régimes spéciaux sont des régimes autonomes, qui trouvent leur équilibre dans des niveaux de contribution ou de cotisations délibérément plus élevés que la moyenne. Il s’agit d’un choix des partenaires.
D’autres, dans des secteurs d’activité bien spécifiques, résultent de conquêtes sociales – qui ont d’ailleurs été validées à l’époque par des exécutifs appartenant à votre majorité – et visent à prendre en compte les conditions d’exercice particulières de certains métiers.
La pénibilité, les risques professionnels, le fait que le travail puisse altérer les capacités physiques et morales et priver les travailleurs et travailleuses d’années de vie en bonne santé – ou d’années de vie tout court ! – vous vous en moquez !
Plutôt que de prendre une mesure dogmatique, posez-vous les bonnes questions !
M. Philippe Bas. Ah !
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou, pour présenter l’amendement n° 666.
Mme Annie Le Houerou. Cet amendement vise à maintenir les régimes spéciaux de retraite visés par l’article 1er, à savoir ceux des industries électriques et gazières, de la RATP, de la Banque de France, du Cese, des notaires et des clercs de notaires. Il n’est pas inutile de répéter que ces régimes spéciaux ont été créés pour compenser la pénibilité des métiers qui y sont exercés.
M. Marc-Philippe Daubresse. Ah oui, c’est pénible d’être clerc de notaire !
Mme Annie Le Houerou. En 2019, les retraités recevant une pension d’un régime spécial représentaient seulement 6 % environ de l’ensemble des retraités. En les supprimant, le Gouvernement va mécaniquement soumettre les travailleurs de ce régime au droit commun, c’est-à-dire les intégrer au régime général, les privant ainsi d’une compensation suffisante de la pénibilité de leur métier.
M. Marc-Philippe Daubresse. Ce que veulent deux Français sur trois !
Mme Annie Le Houerou. Mettre fin aux régimes spéciaux, c’est une diversion pour faire oublier la confiscation par le Gouvernement de deux années de retraite à tous les Français. Ne nous laissons pas berner : une vraie mesure de justice sociale et d’équité serait d’appliquer les mesures de prise en compte de la pénibilité à tous les travailleurs et travailleuses qui accomplissent des travaux pénibles.
En 2017, vous avez supprimé des critères de pénibilité en échange d’un suivi médical personnalisé qui serait offert aux travailleurs concernés. En quoi consiste ce suivi médical, si ce n’est en un constat des effets de la pénibilité, un constat du fait que, après des années de dur labeur, les salariés sont « cassés » ?
Ceux qui travaillent dans l’industrie agroalimentaire, ceux qui accompagnent nos aînés, ceux qui construisent nos maisons et nos routes, ceux qui nous transportent midi et soir ne veulent pas que l’on mesure les effets de leur travail sur leur santé ; ils les ressentent tous les jours et les mesurent tous les matins en se levant !
Ce qu’ils demandent, c’est le respect de leur métier et de leur personne. Ils demandent que l’on prévienne leurs douleurs et que l’on travaille sur les facteurs de pénibilité. Or la santé au travail et la prévention au travail ne sont pas à la hauteur de leurs attentes.
Mme Émilienne Poumirol. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 726 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 808.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er, car cette réforme des retraites est injuste, injustifiée et inopportune. Elle rencontre l’opposition de la majorité des Françaises et des Français.
La suppression des régimes spéciaux ne peut en aucun cas résorber les problèmes de financement du système de retraites, dont le Conseil d’orientation des retraites (COR) a démontré qu’il n’était pas au bord du gouffre, comme voudrait le faire croire le Gouvernement.
L’article 1er tend à supprimer les régimes dits spéciaux, qui ont été obtenus par les luttes et les conquêtes sociales des salariés et de leurs organisations syndicales représentatives pour faire valoir, dans certains secteurs d’activité, des conditions particulières, difficiles, voire pénibles d’exercice.
À l’heure où les secteurs concernés sont, pour plusieurs d’entre eux, en manque d’agents ou de salariés, la mise en cause des régimes spécifiques de retraite renforcera cette carence. Par exemple, quelque 4 000 emplois de chauffeurs de car ne sont pas pourvus en Île-de-France. Le secteur des transports rencontre des problèmes de recrutement très importants, qui contribuent à l’embolie de nombreux réseaux.
Ainsi, plutôt que de tout supprimer de manière démagogique, le Gouvernement serait mieux inspiré de retirer sa réforme, de reprendre de véritables négociations avec les partenaires sociaux et d’étudier, profession par profession, l’opportunité de revenir intégralement ou en partie sur certains régimes dits spéciaux.
Une bonne réforme des retraites est une réforme qui allie sauvegarde de la répartition et progrès social, pas une réforme qui stigmatise certains et monte les Français les uns contre les autres.
M. le président. Les amendements nos 821 et 861 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter l’amendement n° 896.
M. Victorin Lurel. Nous demandons que cet article soit supprimé. Les arguments présentés par les uns et les autres me semblent suffisants pour que je concentre mon propos sur d’autres motifs.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré qu’un régime spécial devrait se suffire à lui-même et ne saurait faire appel à personne d’autre que ses clients ou ses agents. Selon vous, nous ne pourrions en aucun cas faire appel au contribuable par l’impôt. Cet argument m’interpelle, car cela reviendrait à ne plus tenir compte de l’utilité sociale des activités. Or si nous allons au bout de cette logique, nous devrions supprimer tous les services publics : les usagers devraient tout financer.
Cette conception restrictive du régime par répartition m’interpelle. Nous savons depuis longtemps que les régimes spéciaux sont en partie financés par des subventions et des impôts, ce qui est tout à fait normal, dans la mesure où les emplois qu’ils couvrent sont d’utilité sociale. C’est le rôle du travail.
Je ne me retrouve pas non plus dans votre conception de la valeur travail, en cela que le capital est une accumulation de travail mort tandis que les salariés représentent du travail vivant. Or ces derniers payent des impôts. Dès lors, pourquoi le capital ne devrait-il pas également contribuer à la solidarité nationale ? (Mmes Victoire Jasmin et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.)
M. le président. L’amendement n° 941 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Claude Raynal, pour présenter l’amendement n° 980.
M. Claude Raynal. Je m’exprimerai en quelque sorte ès qualités, car je ne suis pas sûr que beaucoup de mes collègues comptent intervenir sur le sujet de la Banque de France. En tant que président de la commission des finances, je me dois de dire quelques mots sur la suppression du régime de retraite de cette dernière.
Tout d’abord, cette mesure concernant environ 10 000 salariés, sa portée est limitée.
Par ailleurs, le régime de la Banque de France est totalement aligné sur celui de la fonction publique, en matière d’âge de départ comme de durée de cotisation.
En outre, les pensions versées aux retraités de ce régime n’ont jamais rien coûté à l’État. En revanche, l’État a perçu à de nombreuses reprises des excédents de la couverture des engagements du régime de retraite de ce régime, par solidarité avec le régime général, pour un montant qui s’élèverait à plus de 1 milliard d’euros à ce jour.
Enfin, les flux futurs de pensions sont déjà intégralement couverts. Alors quoi ? Quelle est la logique de la suppression de ce régime autonome, si ce n’est – et il est toujours très dangereux de s’engager sur ce terrain moral – une supposée exemplarité ?
Mes chers collègues, quelle façon extraordinaire, de la part de l’État, de remercier les salariés d’une institution qui, par la politique monétaire très conciliante qu’elle a menée ces dernières années, a protégé le budget de celui-ci ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Laurent applaudit également.)
M. le président. Les amendements nos 1008, 1029 et 1059 ne sont pas soutenus.
La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 1075.
M. Jean-Claude Tissot. Dans la même logique que les précédents, cet amendement vise à supprimer l’article 1er. Issus de longues luttes sociales menées par les salariés du privé comme du public, les régimes spéciaux ont été conçus de manière à être adaptés à des professions exercées dans des conditions de travail particulières, bien souvent difficiles et pénibles.
Avec mes collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je considère que la suppression des régimes spéciaux visés par cet article n’est, sous couvert d’un prétexte d’équité, qu’une diversion pour faire oublier que tout le monde va pâtir du report de l’âge légal de départ à la retraite.
En effet, comme nous le soulignerons en présentant plusieurs autres amendements sur l’article 1er, une grande partie des régimes spéciaux concernés sont excédentaires et ces excédents proviennent d’un taux de cotisation bien plus élevé que la moyenne du régime général.
Vouloir présenter comme de mauvais élèves des professions qui ont fait, voilà des décennies, le choix de surcotiser constitue une orientation étonnante pour un gouvernement disant défendre le budget de la Nation « à l’euro près »…
Monsieur le ministre, il est temps de comprendre les spécificités de ces professions et d’entendre les difficultés quotidiennes des salariés des industries électriques et gazières, sur lesquels nous devons compter pour rebâtir notre souveraineté énergétique. Il est temps de comprendre les spécificités du régime des salariés de la Banque de France, de celui des clercs de notaire, et de celui des salariés du Cese. Il est grand temps, enfin, de prendre correctement en compte la pénibilité, le stress quotidien, l’environnement du travail et les horaires atypiques des salariés de la RATP.
Pour toutes ces raisons, supprimons l’article 1er, qui ne représente rien d’autre qu’un retour en arrière. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
M. le président. L’amendement n° 1096 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 1151 rectifié bis.
Mme Monique Lubin. Je voudrais que les choses soient bien claires. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.) Je suis ravie que cela vous plaise, mes chers collègues !
La suppression des régimes spéciaux ne consiste pas uniquement en l’alignement de l’âge de départ à la retraite. Cela modifiera aussi la base de calcul du montant de la retraite, puisque l’on passera de la rémunération des six derniers mois pour la RATP et les gaziers et de la moyenne des dix meilleures années pour les clercs de notaire à la moyenne des vingt-cinq meilleures années – on sait ce que cela a donné en 1993 pour les salariés du privé –, et que cela modifiera également la durée de cotisation.
Évidemment, grâce à la « clause du grand-père », les agents actuels ne seront pas concernés. Vous espérez donc, monsieur le ministre, que les choses se passeront en douceur, mais l’ambiance risque tout de même d’être un peu curieuse quand se côtoieront, dans la même entreprise, deux catégories de personnel exerçant le même métier, mais n’ayant pas les mêmes avantages !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Alors, il faut voter l’amendement de M. Retailleau !
Mme Monique Lubin. En outre, cela a déjà été évoqué : où se trouve l’urgence de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), puisque l’effet comptable de la réforme ne se fera réellement sentir que dans de très nombreuses années ?
Par ailleurs, madame la rapporteure générale, vous nous avez menacés d’un référendum,…
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. Oh, « menacés »…
Mme Monique Lubin. … mais c’est facile ! Vous – et tous les autres – martelez, depuis que ces régimes existent, que ceux-ci sont illégitimes : cela a forcément fini par s’imprimer dans la tête des Français ! Évidemment, il est beaucoup plus simple de désigner à la vindicte de nos concitoyens le voisin qu’ils croisent tous les jours et qui est peut-être un peu plus chanceux qu’eux que le très fortuné, qui bénéficie de beaucoup plus d’avantages, mais qu’ils ne croisent jamais parce qu’il ne vit pas avec eux !
Du reste, cette idée est si peu ancrée dans la tête de nos concitoyens que, finalement, même quand on supprime des régimes spéciaux, ils ne le savent pas ; pour la SNCF, par exemple, personne ne l’a encore compris… (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. L’amendement n° 1205 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Victoire Jasmin, pour présenter l’amendement n° 1238.
Mme Victoire Jasmin. L’amélioration continue de la qualité de vie et des conditions de travail nécessite, par équité et pour ne pas déstabiliser les professions et les entreprises concernées, de supprimer cet article.
En effet, la suppression, au travers du présent article, de cinq régimes spéciaux suscite des interrogations, car nous devons au contraire créer les conditions de la cohésion sociale, impliquer davantage les partenaires sociaux et valoriser, d’ailleurs de façon urgente, les travailleurs. L’existence des régimes spéciaux est toujours justifiée par les contraintes spécifiques à chacun de ces métiers. Il est en outre de notre devoir de rendre ces filières attractives.
Monsieur le ministre, vous avez supprimé les CHSCT et vous voulez déshumaniser encore davantage les entreprises et les métiers ! Il faut supprimer cet article inutile et injuste !
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour présenter l’amendement n° 1268.
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, par cet article, vous souhaitez mettre fin à cinq régimes spéciaux de notre système de retraite. Ces régimes entraîneraient, selon vous, des dépenses exagérées que notre système de retraite ne pourrait plus supporter.
En réalité, vous le savez, les dépenses liées aux régimes spéciaux demeurent contenues au regard des recettes totales des cotisations sociales. Surtout, ces régimes permettent de maintenir l’attractivité de secteurs et de cadres d’emploi dont la main-d’œuvre essentielle peine à être trouvée. Je pense particulièrement au régime de la RATP, déjà évoqué, puisque les possibilités de départ anticipé profitent à ceux qui font vivre ce service public essentiel : conducteurs, agents de station, agents chargés de la maintenance des voies, etc.
Non, monsieur le ministre, le départ anticipé de ces personnes n’est ni un privilège hérité de l’ancien monde ni une dépense exagérée, vu la nécessité et la pénibilité de leurs métiers, et, si les économies engendrées par la suppression de ces régimes sont, pour vous, essentielles, c’est avant tout en raison de leur caractère symbolique d’éradication méthodique des statuts en général et de ceux-là en particulier !
Depuis 2017, malgré la hausse sans précédent des revenus des placements financiers, vous refusez d’augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du capital ; vous avez également permis à des foyers très aisés de profiter de déductibilités et de dégrèvements de cotisations, grâce à l’instauration de la flat tax ; et je ne reviens pas sur la prospérité outrancière de CMA CGM, que vous entendez au contraire sanctuariser.
Surtout, au-delà des personnes concernées par les régimes spéciaux, les Français ne veulent pas de votre réforme, monsieur le ministre. Écoutez-les donc…
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour présenter l’amendement n° 1314.
Mme Angèle Préville. Tout le problème est là : c’est parce que les dégâts du travail n’ont pas été corrigés, parce que l’on a renoncé à améliorer les conditions de travail et parce qu’il n’a même pas été envisagé de prévoir des sources de financement en lien avec la nouvelle donne de la société contemporaine – je pense notamment, comme mes collègues, aux profits exorbitants, qui sont très peu taxés par ailleurs – que nous en sommes là.
Cette réforme est socialement injuste, car les régimes spéciaux permettent de tenir compte de la dureté du travail ; j’emploie à dessein ce mot et non celui de « pénibilité ». Les risques, notamment psycho-sociaux, sont peut-être plus prégnants encore que par le passé, les amplitudes horaires et la pénibilité perdurent. Il n’y a donc pas de régime de faveur, il n’y a que la prise en compte de cette dureté, qui abîme.
Oui, tous ceux qui font le même travail doivent avoir les mêmes droits et il doit s’agir des meilleurs droits possible, puisque nous sommes pour le progrès social. C’est tout le questionnement autour du « bonheur différé » que constitue la retraite. En quelque sorte, ces régimes spéciaux sont la compensation de ce qui n’a pas été pensé en amont. Comment demander de travailler plus longtemps dans de telles conditions, qui restent dures ?
M. Marc-Philippe Daubresse. Alors, instaurons la retraite à 57 ans pour tous !
Mme Angèle Préville. Comme le dit le philosophe Denis Maillard, « avant tout droit à la retraite, les travailleurs demandent aujourd’hui un droit de retrait de la comédie inhumaine du travail ».
M. Marc-Philippe Daubresse. Comme si le travail était une comédie !
Mme Angèle Préville. Puisque toute la réflexion consistant à repenser le travail n’a pas été menée – on a été, d’une certaine manière, paresseux, oublieux, aveugles aux évolutions rapides de la société –, défaire ce qui existe sans rien proposer constitue une régression inacceptable.
M. Marc-Philippe Daubresse. C’est du Karl Marx !
Mme Angèle Préville. Aussi, je propose, avec mes collègues, de supprimer cet article, qui met fin à cinq régimes spéciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour présenter l’amendement n° 1338.
M. Didier Marie. Si certains régimes sont dits « spéciaux », c’est non pas parce qu’ils constitueraient des lieux de privilèges, mais parce qu’ils fonctionnent sur le fondement d’une solidarité restreinte à une profession – comme pour les marins ou les militaires – ou à une entreprise – comme pour la RATP – prenant en compte certaines formes de pénibilité subies par leurs travailleurs : horaires atypiques, fréquence des astreintes ou encore usure physique.
Est-ce à dire que ces travailleurs ont été choyés, privilégiés ? Non, c’est même l’inverse. Ce sont les travailleurs du régime général qui sont, trop souvent, délaissés, défavorisés, au regard de l’évolution des modes toujours plus astreignants de production. J’en veux pour preuve la sous-déclaration croissante des accidents du travail et des maladies professionnelles. Écoutez, à cet égard, ce que dit la Cour des comptes, qui a récemment signalé la sinistralité hors norme dont souffrent certains secteurs, notamment les métiers du soin et du lien, et qui nécessiterait des mesures spécifiques.
En réalité, les régimes spéciaux étaient précurseurs d’une juste appréhension du travail et de ses effets sur les travailleurs. Ils ont veillé à maintenir l’équilibre nécessaire entre la vie au travail et la vie en bonne santé à la retraite. L’objectif devrait donc être d’aligner le régime général sur ces régimes, afin de prendre en considération la spécificité des différents métiers, et non l’inverse.
J’ajoute qu’il est tout de même extraordinaire de supprimer des acquis sociaux issus, pour bon nombre, d’accords obtenus en 1945, juste après la Libération, au travers d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, sans dialogue, sans négociation avec les partenaires sociaux, sans même l’once d’une compensation ! Vous appelez cela l’équité ; pour moi, moins d’avantages et deux ans de plus, c’est de la brutalité.
C’est la raison pour laquelle il faut supprimer cet article. (Applaudissements sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. L’amendement n° 1371 n’est pas soutenu.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 1404.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, vous avez fait allusion précédemment à un ancien président de la commission des lois. Comme nous ne sommes que deux dans cet hémicycle à pouvoir nous prévaloir de ce titre, j’ai cru comprendre que vous vous adressiez à moi ; je crois avoir bien compris… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
François Hollande a un jour décidé de rendre publics les avis du Conseil d’État. Je crois que vous avez une certaine connaissance de M. François Hollande et que, à cette époque, vous partagiez bien des choses avec lui. (Applaudissements sur quelques travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne comprends pas votre argumentation. Je ne vous l’apprends pas, le Conseil d’État a deux fonctions : il est un juge et le conseiller du Gouvernement ; il existe d’ailleurs une littérature abondante sur la compatibilité entre ces deux missions. En tant que conseiller du Gouvernement – c’est de cela qu’il s’agit ici –, le Conseil d’État donne de bons conseils au Gouvernement et je suppose qu’il fait état, dans la note dont il est question, d’appréciations judicieuses.
M. Xavier Iacovelli. Ce n’est pas le sujet !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vois pas en quoi le fait, pour le Gouvernement, pour vous, monsieur le ministre, de décider de partager largement ces appréciations serait contraire à la séparation des pouvoirs. Ça le serait si vous étiez contraint de le faire, mais rien ne vous y oblige, vous en avez simplement la possibilité.
Nous vous renouvelons donc cette demande, conforme à une doctrine que vous avez certainement approuvée par le passé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. Monsieur Sueur, vous profitez de ma générosité, car vous n’avez pas vraiment défendu votre amendement… (Sourires sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. La parole est libre, monsieur le président !
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission. La vôtre, oui, c’est sûr !
M. le président. L’amendement n° 1434 n’est pas soutenu.
La parole est à Mme Martine Filleul, pour présenter l’amendement n° 1502.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, en supprimant – ou plutôt en fermant, madame la rapporteure générale – cinq des régimes spéciaux, vous divisez pour mieux régner, vous opposez les Français les uns aux autres, vous les divisez ; voilà la stratégie.
Les régimes spéciaux ne constituent en aucun cas un privilège ni une grâce ; en l’état, c’est une compensation, un acquis, une histoire. En tout cas, nulle générosité, nulle dépense exagérée ici.
Vous parlez d’un système qui serait inégalitaire. Oui, mais certainement pas dans le sens que vous lui donnez, car ce sont les métiers qui sont inégalitaires, dans la dureté de leurs effets sur les corps et les esprits. Les ouvriers n’ont-ils pas une espérance de vie inférieure de 6,4 ans par rapport aux cadres ? Pourquoi n’auraient-ils pas le droit de percevoir, aussi longtemps que les autres catégories professionnelles, leur retraite, celle pour laquelle ils ont cotisé toute leur vie ? Loin de réparer les inégalités au travail, cette réforme les accentue.
Nous devons permettre aux travailleurs de partir à la retraite au moment où leur corps n’est pas usé ; nous le leur devons ! Malheureusement pour eux, votre rhétorique est immuable : vous voulez faire porter aux travailleurs le poids de votre réforme comptable. Ceux qui souffrent déjà aujourd’hui dans leur chair souffriront encore plus demain ; ce sera l’inégalité dans la souffrance.
Pour comble, vous simulez une concertation avec les organisations syndicales, sans jamais tenir compte de leurs demandes, de leurs propositions. Tout dialogue absent, vous le payerez et vous le payerez cher, dans la rue ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Une menace ?
Mme Martine Filleul. C’est pourquoi je vous invite à retirer cette réforme.
M. le président. Les amendements nos 1541, 1579 et 1590 ne sont pas soutenus. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour présenter l’amendement n° 1620.
Mme Émilienne Poumirol. Des « privilégiés » – le mot est lâché –, telle est la vision dogmatique, monsieur le ministre, que votre gouvernement semble avoir des personnes affiliées à un régime spécial de retraite.
Je rappelle que les premiers régimes spéciaux ont été mis en place par l’État en 1673 pour les marins. Au fil des siècles, différents régimes spéciaux de retraite ont été instaurés et ils ont été conservés par le Conseil national de la Résistance au moment de la création de notre système actuel de sécurité sociale. Ces régimes sont le résultat de luttes sociales, menées par les salariés et les organisations syndicales de certains secteurs d’activité pour obtenir la reconnaissance des conditions particulières et de la pénibilité de leur travail. La mesure que vous proposez constitue donc une véritable régression sociale, comme l’était déjà, en 2017, la suppression des critères de pénibilité.
Le Gouvernement justifie la suppression des régimes spéciaux par une volonté d’équité, mais il s’agit surtout de diviser les salariés. On le sait bien, depuis Machiavel, diviser pour mieux régner, c’est la solution.
En outre, vous faites un choix arbitraire, à la carte, entre les régimes spéciaux qui seront supprimés par cette réforme et ceux qui seront conservés. Alors que plusieurs secteurs concernés pâtissent d’un manque de personnel, la mise en cause des régimes spécifiques de retraite ne fera qu’aggraver leur manque d’attractivité et leur pénurie de personnel.
Aussi, plutôt que de défendre un système de retraite adapté à la réalité, notamment à la pénibilité, des métiers, le Gouvernement choisit de détruire ces droits acquis et de niveler ainsi les retraites par le bas. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.