M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote. (Fortes marques d’impatience sur les travées du groupe SER.)
M. Loïc Hervé. J’entends ce que disent mes collègues sur l’opposition entre les spécialistes de la Constitution et ceux qui ne le seraient pas. Moi, en règle générale, je doute avant de décider et je n’ai aucune certitude. Depuis le début, ce débat me fait réfléchir et me fait cheminer.
Ce dont je suis sûr, c’est que, si l’on doit changer la rédaction de notre Constitution, que ce soit le choix du législateur constituant ou celui du peuple, dans le cas où le Président de la République convoquerait un référendum, chaque mot doit être pesé au trébuchet.
Or on en est à la quatrième rédaction et la référence explicite à l’IVG ne figure même plus dans l’amendement de Philippe Bas qui vise à modifier l’article 34 de la Constitution.
Certains d’entre nous veulent tellement qu’il y ait une référence à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution qu’ils sont prêts à accepter n’importe quelle rédaction.
Cette quatrième rédaction a été présentée comme une rédaction de compromis, mais j’aimerais savoir entre qui se fait ce compromis – normalement un compromis engage des personnes qui ont des avis différents.
Cette rédaction qui ne parle même plus d’« interruption volontaire de grossesse » pose une vraie difficulté. Je voterai contre, car si l’amendement de Philippe Bas était adopté, l’article unique serait ainsi rédigé et cela emporterait adoption de la proposition de loi. Monsieur le président, il me semble qu’il serait bon de rappeler ce point avant le vote.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Marques d’impatience sur les travées du groupe SER. )
M. Bruno Retailleau. Premièrement, je veux dire à tous nos collègues que, si l’amendement de Philippe Bas était adopté, il vaudrait adoption de l’ensemble de la proposition de loi. Je me rends compte que tous ne sont pas informés de cet élément de procédure.
Deuxièmement, si le garde des sceaux a des doutes, j’ai une certitude : cela a été dit à plusieurs reprises, l’amendement de Philippe Bas est superfétatoire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. On peut le voter alors !
M. Bruno Retailleau. Sinon, pourquoi aurions-nous débattu, dans cet hémicycle, de propositions de loi visant à insérer l’IVG dans la Constitution ?
Troisièmement, je ne vois strictement aucune raison de modifier le vote que nous avons déjà émis à l’automne dernier et de procéder à un revirement. En politique, la constance et la cohérence sont vertus.
J’ai entendu prononcer les mots de « signal » et de « symbole », mais je considère que la politique doit être d’abord liée au réel. Méfions-nous, mes chers collègues, car à force de la déconnecter du réel, les Français se déconnecteront ensuite de la politique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1 rectifié bis.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 152 |
Le Sénat a adopté. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, RDPI, GEST et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – Mmes Anne Ventalon et Elsa Schalck applaudissent également.)
En conséquence, la proposition de loi constitutionnelle, constituée de l’article unique ainsi rédigé, est adoptée.
10
Communication d’avis sur des projets de nominations
M. le président. Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 et à celles de l’article 65 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis défavorable, d’une part, à la nomination de Mme Élisabeth Guigou – 2 voix pour, 29 voix contre – et, d’autre part, à celle de M. Patrick Titiun – 6 voix pour, 20 voix contre – aux fonctions de membres du Conseil supérieur de la magistrature.
Conformément aux mêmes dispositions, la commission des lois a également émis un avis favorable à la nomination de Mme Dominique Lottin – 22 voix pour, 7 voix contre – et un avis défavorable à celle de M. Patrick Wajsman – 11 voix pour, 12 voix contre – aux fonctions de membre du Conseil supérieur la magistrature.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures vingt.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures vingt, sous la présidence de Mme Laurence Rossignol.)
PRÉSIDENCE DE Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
11
Mise au point au sujet d’un vote
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Burgoa.
M. Laurent Burgoa. Lors du scrutin public n° 117, mon collègue Fabien Genet souhaitait s’abstenir.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
12
Retraite de base des non-salariés agricoles
Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses (proposition n° 166, texte de la commission n° 277, rapport n° 276).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être devant vous ce soir pour l’examen de la proposition de loi relative au régime de retraite des non-salariés agricoles, déposée à l’Assemblée nationale par le député Julien Dive.
Nous avons su, grâce à la discussion, poser les bases d’un consensus républicain avec les différents groupes de l’Assemblée nationale, ainsi qu’avec l’auteur de ce texte, ce qui a conduit à son adoption à l’unanimité par vos collègues députés le 1er décembre dernier.
L’adoption conforme de la proposition de loi par votre commission des affaires sociales le 23 janvier dernier permet de prolonger et de renforcer ce consensus, qui nous amène à aborder le débat d’aujourd’hui – et je ne peux évidemment y voir qu’un bon présage pour l’adoption définitive de ce texte.
Je tiens à souligner que les attentes en matière de retraites agricoles sont nombreuses et légitimes. Elles répondent à la volonté de voir nos agriculteurs et nos agricultrices vivre dignement à la retraite, après des années de labeur consacrées à nourrir les autres.
C’est la raison pour laquelle, au-delà du texte qui nous réunit, j’ai pris la question des retraites agricoles à bras-le-corps tout au long de la concertation que nous avons menée lors de la préparation de la réforme des retraites, dont vous connaissez maintenant les résultats. Ainsi, outre les partenaires sociaux interprofessionnels, j’ai associé la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) à l’ensemble des discussions, et nous avons naturellement échangé sur ce sujet des vingt-cinq meilleures années d’assurance.
Je connais également l’attention que porte le ministre de l’agriculture à cette question et je suis convaincu que, si la réforme est juste, c’est aussi grâce à une meilleure prise en compte des spécificités agricoles.
Avant d’entrer dans le détail de la proposition de loi, je souhaiterais replacer cette initiative dans son contexte.
L’attention portée aux retraites agricoles ne date évidemment pas de cette législature. Depuis vingt ans, les réformes et les propositions se sont succédé pour améliorer la situation des retraités agricoles et revaloriser les petites pensions.
L’objectif a toujours été le même : concilier prise en compte des spécificités agricoles et convergence vers les autres régimes.
L’équation n’a pas changé, mais nous avons, à chaque fois, su la résoudre collectivement : il y a près de vingt ans, en créant la retraite complémentaire des exploitants agricoles ; il y a bientôt dix ans, en créant la garantie de retraite minimale pour les chefs d’exploitation, dans le cadre de la réforme alors défendue par Marisol Touraine ; et, plus récemment encore, grâce aux deux lois Chassaigne, qui portent le nom de leur auteur et qui ont permis de revaloriser de manière inédite les pensions des chefs d’exploitation agricole et de leurs conjoints, c’est-à-dire, la plupart du temps, de leurs conjointes.
Ces conquêtes agricoles nous ont rappelé que le consensus ne se décrète pas, mais qu’il se construit. Beaucoup d’entre vous étaient déjà présents sur les bancs du Parlement lors de l’examen des futures lois Chassaigne. Ils se souviennent que les dernières avancées ont été longuement mûries à partir de 2016, faisant l’objet d’une concertation avec l’ensemble des syndicats agricoles ainsi que de discussions avec les représentants des retraités – je pense notamment à l’Association nationale des retraités agricoles de France (Anraf) – et d’un long travail avec les opérateurs, en premier lieu le réseau des mutualités sociales agricoles (MSA) et les services de l’État.
Pas à pas, nous avons su collectivement préparer et financer ces mesures de revalorisation, qui ont finalement été votées par l’ensemble des groupes parlementaires, avec le soutien de la majorité et du Gouvernement.
Ces revalorisations ont produit des effets concrets. Au total, les deux lois les plus récentes, adoptées durant le précédent quinquennat, ont permis de revaloriser les pensions de plus de 330 000 anciens agriculteurs, soit 30 % des retraités de droit direct du régime. Le gain est significatif, puisque les pensions ont augmenté en moyenne d’environ 100 euros par mois, ce dont nous pouvons tous nous féliciter.
Cela signifie-t-il pour autant que la totalité du chemin a été parcourue ? Je ne le crois pas.
Le régime de retraite des non-salariés agricoles est devenu profondément complexe, additionnant les strates de pension et multipliant les paramètres. La sédimentation du régime agricole nuit aujourd’hui à la lisibilité du système, donc à la confiance qu’il doit inspirer, notamment aux jeunes générations d’agriculteurs. Quelle que soit notre appartenance politique, nous le constatons tous dans nos circonscriptions, dans nos départements.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’examen de cette proposition de loi. Porter le principe d’un calcul des retraites agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années est en apparence consensuel. Toutefois, comme souvent, je l’ai souligné à l’Assemblée nationale et je le redis ici, le diable est dans les détails.
Les débats en commission des affaires sociales, sous l’autorité de Mme la présidente Deroche, ont permis de soulever un certain nombre de questions, dont celle de la meilleure manière de concilier un calcul sur le fondement des vingt-cinq meilleures années et la protection d’un système devenu très redistributif depuis les lois Chassaigne 1 et 2, celle des solutions à envisager pour permettre l’application d’un système par annuités dans le cadre d’un régime par points ou encore celle de l’entrée en vigueur de la mesure, dernier point qui a suscité de nombreux débats.
Je suis satisfait que les indications de la MSA aient été prises en compte, en particulier le renvoi de la mise en œuvre de ce texte à 2026 plutôt qu’en 2024. Ce délai reste très ambitieux : il faudra une mobilisation collective pour avancer de manière concrète et efficace.
Je souhaite désormais – j’espère que le Parlement partage ce vœu – que nous puissions apporter des réponses à ces nombreuses questions. C’est tout le sens du texte soumis à l’examen de votre assemblée aujourd’hui.
La mission qui verra le jour, si cette proposition de loi est définitivement adoptée à l’issue de nos débats, devra définir dans un délai, lui aussi ambitieux, de trois mois les scénarios permettant d’atteindre l’objectif de transformation du système.
Nous devrons veiller collectivement à ne pas remettre en cause les droits acquis et à ne pas fragiliser des carrières linéaires qui ne bénéficieraient pas de cette mesure.
Aussi, au moment d’engager la discussion, je veux poser, avec l’appui de Mme le rapporteur et des différents groupes du Sénat et, au-delà, avec l’ensemble des parlementaires, les bases d’un consensus que je souhaite le plus large possible.
Nos agriculteurs et nos agricultrices, plus largement les Français et les Françaises, nous attendent sur cet horizon de justice sociale.
Marche après marche, réforme après réforme, nous trouvons ensemble les chemins d’un compromis républicain, qui a su si bien s’illustrer par le passé en matière de retraites agricoles et qui s’illustrera de nouveau ce soir. J’espère que nous franchirons un nouveau pas pour davantage d’égalité et de reconnaissance des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du RDSE. – Mme Kristina Pluchet, MM. Alain Duffourg, Marc Laménie et Jean-Claude Tissot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà deux ans, notre assemblée adoptait la loi Chassaigne 2, qui a permis de fixer la pension minimale de base des conjoints collaborateurs et des aides familiaux d’agriculteurs au même niveau que celle des chefs d’exploitation.
Un an plus tôt, nous avions déjà voté la loi Chassaigne 1, qui relevait de 75 % à 85 % du Smic la garantie de pension des chefs d’exploitation justifiant d’une carrière complète accomplie en cette qualité.
La présente proposition de loi, déposée par le groupe Les Républicains et votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 1er décembre dernier, constitue donc la troisième pierre que la Nation doit apporter à l’édifice de sa reconnaissance envers un monde agricole en grande souffrance et pourtant si essentiel à la grandeur de la France.
Le mode de calcul des pensions de nos agriculteurs, il faut bien le dire, est particulièrement illisible. À une pension forfaitaire de 312 euros par mois pour une carrière complète s’ajoute une pension proportionnelle calculée dans le cadre d’un système hybride fonctionnant par points, mais intégrant nombre de paramètres des régimes par annuités, notamment en matière d’âge d’ouverture des droits, de durée d’assurance, de surcote et de décote et de revalorisation des pensions.
La pension de base des assurés ayant atteint le taux plein est ensuite portée, au travers de la pension majorée de référence (PMR), à un montant minimum de 748 euros par mois, soit le montant du minimum contributif majoré des régimes alignés.
Vient ensuite la pension de retraite complémentaire, également exprimée en points. Les seuls chefs d’exploitation justifiant de la durée de cotisation requise pour l’obtention d’une pension à taux plein, dont au moins dix-sept années et demie au régime des non-salariés agricoles, bénéficient d’un complément différentiel, le CDRCO (complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire), qui porte le montant global de la pension de l’assuré jusqu’à 85 % pour une carrière complète accomplie en qualité de chef d’exploitation. J’espère que vous suivez ! (Sourires.)
Malgré l’accumulation des dispositifs de pension minimale, force est de constater que la plupart des agriculteurs perçoivent encore des pensions très faibles, en moyenne inférieures de 700 euros par mois à celles de l’ensemble des retraités de droit direct. Les polypensionnés, qui représentent plus de 80 % des assurés du régime, perçoivent des pensions généralement supérieures à celles des monopensionnés.
Comment cette situation s’explique-t-elle ? Assez logiquement, elle résulte de la faiblesse des revenus professionnels des agriculteurs. Je rappelle à cet égard que près des deux tiers d’entre eux ne parviennent pas à atteindre le niveau du Smic annuel. Leur effort contributif s’en trouve donc nécessairement amenuisé par rapport à celui des salariés ou des artisans et commerçants, dont les taux de cotisation sont supérieurs.
Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur l’opportunité de maintenir une des spécificités du régime des non-salariés agricoles en matière de calcul des pensions, à savoir son fonctionnement par points, qui fait reposer le montant de la pension sur l’ensemble de la carrière, tandis que celle des ressortissants des régimes alignés, qui résulte d’un système par annuités, est calculée sur le fondement des seules vingt-cinq meilleures années de la carrière.
En effet, il s’agit, avec le régime des professionnels libéraux, dont les affiliés ne connaissent généralement pas les mêmes difficultés financières, du seul régime de base à fonctionner de la sorte.
Fort heureusement, l’inspection générale des affaires sociales (Igas) s’est déjà penchée sur le sujet voilà plus de dix ans. Son rapport, bien que devenu en partie obsolète compte tenu, entre autres, des multiples revalorisations des minima de pension intervenues depuis sa publication, nous éclaire suffisamment sur ce scénario.
Il ressort de ces travaux que l’instauration d’un régime par annuités favoriserait les retraités les moins modestes au détriment des plus fragiles.
En effet, la bascule impliquerait l’abandon du barème d’attribution des points actuellement en vigueur au profit d’un mode de calcul fondé sur l’application d’un taux au revenu annuel moyen des vingt-cinq meilleures années. Or ce barème est particulièrement redistributif et très protecteur pour les assurés situés en bas de l’échelle des revenus.
À moins qu’ils ne bénéficient de la PMR, qui leur assure un taux de remplacement supérieur à 50 %, les assurés aux revenus inférieurs à 12 500 euros par an verraient leurs droits diminuer, tandis que les agriculteurs aux revenus plus élevés bénéficieraient d’un taux de remplacement supérieur au taux plein de 50 % appliqué dans les régimes alignés.
De plus, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux ne seraient plus en mesure de valider quatre trimestres par an, comme le leur permet leur assiette de cotisation actuelle, si les règles de validation des trimestres des régimes alignés leur étaient appliquées. Il en résulterait une diminution de leur durée de cotisation et, dans certains cas, la perte du bénéfice de la PMR. Ce n’est pas le sens que nous voulons donner à cette réforme.
Nous préconisons donc de retenir la solution identifiée par l’Igas comme la mieux à même de limiter le nombre de perdants, à savoir l’application de la règle des vingt-cinq meilleures années, tout en conservant un fonctionnement par points. Concrètement, il s’agirait de calculer la moyenne annuelle des points acquis au cours des vingt-cinq meilleures années et de l’appliquer à chaque année de la carrière, comme si l’assuré avait obtenu ce même nombre de points chaque année du début à la fin de son activité.
Sous réserve d’une réactualisation nécessaire des travaux réalisés voilà dix ans, les retraités du régime agricole pourraient voir leur pension augmenter de près de cinquante euros par mois en moyenne. Le coût de la réforme pourrait atteindre jusqu’à 470 millions d’euros à l’horizon 2030, mais sans doute bien moins en réalité du fait des différentes réformes des minima de pension des retraités agricoles menées en 2014, en 2020 et en 2021, qui ont absorbé une partie du coût évalué en 2012.
Quoi qu’il en soit, le régime a les moyens d’assumer une telle charge : en maintenant la part de ses ressources, actuellement supportée par la solidarité nationale, son excédent devrait approcher les 800 millions d’euros en 2026.
L’année 2026 est précisément l’horizon auquel le texte, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, fixe l’objectif de mise en œuvre d’un mode de calcul des pensions de retraite des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq meilleures années. De fait, la MSA n’était techniquement pas en mesure de mettre en œuvre un tel changement avant cette date.
Aux termes de la proposition de loi, il reviendrait au Gouvernement de déterminer par décret les paramètres exacts du nouveau mode de calcul des pensions.
Il devra, à cet effet, remettre au Parlement, dans un délai de trois mois, un rapport présentant les options possibles et celle qu’il envisage de retenir, tout en indiquant les dispositions législatives et réglementaires qu’il conviendra de modifier pour permettre son application, en évaluant ses conséquences sur le montant des cotisations et des pensions et sur l’équilibre financier du régime, et en proposant des mesures de redistribution et de simplification.
Il serait opportun, dans ce cadre, de choisir une montée en charge progressive, de façon à éviter de léser les assurés partis à la retraite juste avant l’entrée en vigueur de la réforme.
En outre, le rehaussement de l’effort contributif des assurés, notamment des conjoints collaborateurs, aux fins d’assurer la validation de quatre trimestres par an, mais également des exploitants les moins modestes, doit être envisagé. Les organisations syndicales en ont pleinement conscience et se disent prêtes à y réfléchir.
Nous souhaitons également que le mode de calcul de la PMR, notamment en ce qui concerne la prise en compte des pensions de réversion, ainsi que le plafond de revenus qui lui est applicable soient alignés sur ceux du minimum contributif, dans une logique d’équité. Nous y serons attentifs.
Mes chers collègues, le texte qui vous est soumis est-il parfait ? Bien évidemment, non : j’estime qu’il n’encadre pas de façon pleinement satisfaisante le rôle confié au Gouvernement de définir les paramètres exacts de la réforme. En outre, le délai de trois mois prévu pour la réalisation d’un travail d’évaluation et la formulation de propositions aussi complexes est largement insuffisant. J’ajoute qu’il n’est pas optimal de se prononcer sans évaluation récente et précise des effets et du coût d’une réforme de cette ampleur.
La commission aurait aimé vous proposer des amendements contribuant à remédier à ces lacunes. Cela aurait toutefois entraîné le renvoi du texte à l’Assemblée nationale, sans garantie d’un nouvel examen ni d’une adoption définitive.
Pleinement consciente de l’importance symbolique de cette grande marque de soutien national à ces femmes et à ces hommes auxquels nous sommes tous redevables, la commission a donc jugé préférable de sécuriser les avancées acquises de haute lutte et vous invite à adopter la proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.
Tous les écoliers de France connaissent par cœur le trop célèbre mot de Sully : « le labourage et le pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée. » (Marques de satisfaction sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Bravo !
Mme Pascale Gruny, rapporteur. Pour que l’agriculture demeure à jamais la fierté des Français, adressons aujourd’hui à ceux qui nous nourrissent l’hommage de notre gratitude et de notre considération. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain d’une forte mobilisation contre la réforme des retraites, permettez-moi tout d’abord – comment pourrait-il en être autrement ? – d’avoir une pensée pour les agricultrices et les agriculteurs de notre pays qui travaillent si dur chaque jour pour des pensions souvent très faibles encore.
M. François Bonhomme. C’est vrai !
Mme Cécile Cukierman. La proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains nous rappelle les difficultés actuelles du monde agricole, confronté aux lois du marché et à des distributeurs qui ne permettent pas toujours aux agriculteurs de vivre correctement de leur travail.
Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, plusieurs avancées ont été enregistrées ces dernières années, sous l’impulsion, en particulier, de notre collègue député – mon ami – André Chassaigne.
Ainsi, en 2021, la pension minimale des agriculteurs est passée de 75 % à 85 % du Smic, ce qui a permis une augmentation de 120 euros net par mois pour une carrière agricole complète.
En 2022, comme l’a souligné Mme la rapporteure, une seconde loi a permis d’étendre aux conjoints agricoles le bénéfice de cette mesure. Or 97 % de ces conjoints sont des femmes, dont la pension moyenne était de 600 euros par mois. Désormais, les aides familiaux et les conjoints collaborateurs touchent la même retraite minimale que les exploitants agricoles.
La présente proposition de loi permettrait d’ajouter une strate supplémentaire de protection pour les agriculteurs, en prenant en compte les seules vingt-cinq meilleures années d’assurance.
Le régime de retraite agricole s’est établi sur la base de taux de cotisations bas, souvent justifiés par l’accumulation d’un capital professionnel et d’un patrimoine qui permettaient, pour une part, de garantir un niveau de vie décent. Malheureusement, ce système ne fonctionne plus notamment en raison de la survenance d’aléas climatiques, des variations des cours des produits alimentaires et des crises sectorielles dont souffre l’agriculture.
D’autant que ce système paraît injuste vis-à-vis des autres professions, comme les travailleurs indépendants, par exemple, dont le régime se fonde sur la prise en considération des vingt-cinq meilleures années.
L’adaptation du mode de calcul des retraites des non-salariés agricoles soulève donc un enjeu de justice et d’équité.
La proposition de loi reprend à ce titre une revendication portée depuis des années par les organisations syndicales agricoles.
Lors de la réforme des retraites de 2010, l’inspection générale des affaires sociales avait été saisie pour envisager les conséquences de l’adoption d’un mode de calcul des pensions en fonction des vingt-cinq meilleures années. C’était il y a treize ans…
Le rapport de l’Igas était nuancé, dans la mesure où il concluait qu’une telle réforme améliorerait certes le niveau des pensions des non-salariés agricoles, mais essentiellement les plus élevées d’entre elles, comme l’a souligné Mme la rapporteure.
Par conséquent, garantir à nos agriculteurs de meilleures conditions de vie et de retraite exigerait in fine une remise à plat de l’ensemble du système de retraite agricole.
Aux termes du présent texte, monsieur le ministre, nous laissons certes la main au Gouvernement pour modifier les paramètres de calcul des retraites agricoles, mais nous resterons vigilants. Il faut veiller à ce que l’objectif initial des auteurs de la proposition de loi soit bien satisfait.
En définitive, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera ce texte malgré les réserves que je viens d’émettre : il s’agit d’envoyer un signal positif de justice et de reconnaissance à nos agricultrices et à nos agriculteurs.
Permettez-moi d’ajouter, monsieur le ministre, avec une pointe d’espièglerie tout amicale, après vous avoir entendu présenter la recette miracle ayant permis d’avancer sur le sujet des retraites agricoles, c’est-à-dire, selon vous, le fait de savoir prendre du temps, de travailler collectivement et d’associer les uns et les autres à chaque étape de la rédaction d’un texte pour parvenir à un vote unanime, que cette belle recette devrait figurer dans nos livres de cuisine…