M. Max Brisson. Exact !
Mme Corinne Imbert. Ensuite, je suis toujours étonnée de voir certains débats venus d’outre-Atlantique prendre une place si importante au sein de l’actualité française.
Instinctivement, ma philosophie gaulliste m’enjoint de ne point céder aux sirènes de l’actualité court-termiste et je ne peux que regretter ce phénomène de transposition de débats qui n’ont bien souvent pas lieu d’être dans notre pays. (Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Max Brisson opinent.)
Quelqu’un dans cet hémicycle peut-il réellement affirmer que le droit à l’IVG se trouve aujourd’hui menacé dans notre pays ? Peut-on comparer une société où la lutte contre l’IVG est un marqueur politique fort à une Nation où aucun des douze candidats à la dernière élection présidentielle ne s’est prononcé en faveur d’un rétrécissement du droit à l’IVG ? Les réponses, mes chers collègues, vous les connaissez.
Enfin, très attachée au droit à l’IVG et à la protection de l’enfant à naître, je me suis imaginé un scénario catastrophe dans lequel une poignée de personnes hostiles à l’interruption volontaire de grossesse prendraient le pouvoir par la force et souhaiteraient abolir ce droit durement acquis. Pensez-vous sérieusement que la Constitution empêcherait quoi que ce soit ?
Non, la Constitution ne pourra alors plus rien pour le droit à l’IVG, comme elle ne pourra plus rien pour les libertés publiques, pour la liberté de la presse ou pour la liberté de conscience. Le XXe siècle européen est rempli d’exemples de pays qui ont connu un recul des droits fondamentaux à la suite de l’arrivée au pouvoir de régimes autoritaires. Comment croire que l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution renforcera ce droit ?
Je crois que le débat que nous avons aujourd’hui traduit un phénomène bien plus important qui mine le rôle du politique dans notre pays : le recul progressif de la capacité à agir sur le réel. Des exemples de combat pour les droits des femmes, il en existe pléthore, et nous savons que, malgré une amélioration considérable de la place des femmes dans notre pays, le chemin est encore long.
Nous préférons débattre d’un sujet qui n’en est plus un, dans lequel certains voient une opportunité de se placer du bon côté du récit, de « faire l’actualité », comme disent les communicants.
Mes chers collègues, je pense qu’une partie de la classe politique s’est offert une publicité avec ce texte,…
M. Xavier Iacovelli. Pas de mépris !
Mme Corinne Imbert. … mais que cet écran de fumée n’a d’équivalence que l’incapacité à se saisir des thématiques du réel. La posture est facile, faire montre de bons sentiments l’est aussi. Il est bien plus difficile de mener à bien des réformes ambitieuses qui ont un impact sur le quotidien de nos concitoyens. C’est l’éternel débat de la prévalence du fond ou de la forme, mais l’histoire n’est pas dupe.
Pour toutes ces raisons et parce que nous croyons à la prévalence du fond sur la forme, le groupe Les Républicains votera dans sa très grande majorité contre cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle initiale.
proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse
Article unique
Le titre VIII de la Constitution est complété par un article 66-2 ainsi rédigé :
« Art. 66-2. – La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. »
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l’article.
Mme Hélène Conway-Mouret. Ma circonscription mondiale m’amène à constater sur le terrain, quand je vais à la rencontre des associations féministes, que le droit à l’avortement est aujourd’hui remis en question, quand il n’est pas menacé, y compris dans des pays démocratiques – nous avons cité la Pologne et les États-Unis, mais il y en a de nombreux autres.
Si ce droit semble acquis en France aujourd’hui, je ne peux que citer cette phrase de Benoîte Groult : « À toutes celles qui vivent dans l’illusion que l’égalité est acquise […], je voudrais dire que rien n’est plus précaire que les droits des femmes. »
Nous avons l’avantage de vivre dans un pays dans lequel l’égalité entre les femmes et les hommes est inscrite dans la Constitution et où les femmes sont libres de disposer de leur corps, même si, à cause d’un manque de moyens médicaux, 3 000 à 4 000 Françaises sont forcées de se rendre à l’étranger chaque année, car « hors délais ». Eh oui, l’IVG continue d’être un combat !
Ce droit concerne également les Françaises vivant à l’étranger. Pour la première fois, le budget 2023 du ministère de l’Europe et des affaires étrangères consacre une ligne budgétaire à nos compatriotes vivant dans des pays où elles n’ont pas accès à l’IVG afin qu’elles puissent la pratiquer en France. Il convient désormais que l’État accélère le déploiement de ce dispositif d’accompagnement, voire de rapatriement, et clarifie les conditions d’accès à ce droit fondamental afin que la protection consulaire inclue l’assistance à l’IVG.
Enfin, faut-il rappeler que 81 % des Français sont favorables à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, selon un sondage réalisé en juillet 2022 ?
Alors, mes chers collègues, pour celles et ceux qui ne sont pas encore convaincus, soyons en phase avec les attentes de nos compatriotes et surtout ne ratons pas l’occasion de confirmer l’exemplarité de la Constitution française en matière de droits fondamentaux et de protection des libertés individuelles.
M. le président. La parole est à Mme Annick Billon, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Annick Billon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite réaffirmer avec force devant vous ma position personnelle sur la proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons ce soir.
Ce droit à l’IVG a été inscrit dans la loi grâce à la force de l’engagement d’une femme, Simone Veil, en 1975. Je voterai cette proposition de loi constitutionnelle, comme j’ai voté en faveur du texte de notre collègue Mélanie Vogel à l’automne dernier.
J’entends les contestations de mes collègues qui dénoncent l’inscription dans la Constitution d’un droit qui ne serait aujourd’hui pas menacé. Qui peut le certifier ? Pas moi !
J’entends les opposants à l’IVG qui profitent de ce débat pour s’opposer à ce droit, voire qui nous intimident ou nous menacent.
Parce que l’IVG doit demeurer un droit fondamental pour les femmes, inscrivons-le dans la Constitution !
Je voterai ce texte, tout en étant consciente qu’il ne constitue pas une fin en soi. Le vote d’aujourd’hui est une étape, un signe envoyé à toutes les femmes et au Gouvernement.
N’oublions cependant pas que graver l’IVG dans notre Constitution n’aura de légitimité que si son accès demeure garanti partout sur notre territoire pour toutes les femmes – nous pouvons nous accorder, je le crois, sur cela. Actuellement, il ne l’est toujours pas. Ce vote nous oblige à y remédier au plus vite. C’est un impératif de santé publique face à un délit de non-assistance à femme en danger.
Au-delà des rédactions proposées, la question qui nous est posée ce soir, mes chers collègues, est simple : souhaitons-nous consolider ce droit à l’IVG ? Ma réponse est oui ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC, RDPI, GEST et SER. – Mmes Elsa Schalck et Anne Ventalon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck, sur l’article.
Mme Elsa Schalck. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la question qui nous est posée par ce texte est la suivante : voulons-nous apporter une garantie constitutionnelle au droit à l’interruption volontaire de grossesse ?
À titre personnel, je le souhaite et je voterai aujourd’hui, comme en octobre dernier, pour la constitutionnalisation de cette liberté fondamentale pour les femmes.
Pourquoi ? Parce que la Constitution est notre texte à valeur suprême ; elle est le socle commun des valeurs et des libertés fondamentales de notre société, celles auxquelles nous ne devons pas déroger.
Inscrire l’IVG dans la Constitution, c’est inscrire ce droit fondamental au sommet de notre hiérarchie des normes, c’est sacraliser un droit qui a fait l’objet de très nombreux combats pour faire partie de notre patrimoine juridique fondamental.
À l’heure où les droits des femmes en général et le droit à l’avortement en particulier, peuvent faire l’objet de reculs dans des pays pas si lointains, et même si la situation américaine n’est pas comparable à la nôtre, j’ai la conviction qu’il est pertinent de conférer la plus haute protection à ce droit. Les droits des femmes nécessitent notre constante vigilance, notre mobilisation et notre action de chaque instant.
L’absence actuelle de remise en cause de l’IVG dans notre pays ne saurait nous exonérer de tout faire pour protéger et garantir, dès aujourd’hui, ce droit auquel nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, RDPI, GEST et SER. – Mmes Else Joseph et Anne Ventalon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, sur l’article.
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’avoue que j’ai quelques difficultés à reconnaître le Sénat dans les débats qui nous animent et qui nous animeront peut-être encore longtemps, puisque pas moins de six propositions de loi ont été déposées sur ce sujet…
J’ai des difficultés à reconnaître notre assemblée, parce que nous nous vantons souvent d’une certaine sagesse sénatoriale. Or je ne la vois pas ici, car en réalité nous réagissons, comme de vulgaires tabloïds, à un événement qui ne nous concerne pas et ne nous regarde pas : une décision de la Cour suprême des États-Unis qui n’a aucun impact sur la France, de la même façon que notre vote n’en aura aucun sur les États-Unis. Cette situation me paraît assez surprenante !
Je suis également étonnée, car nous avons l’habitude de faire preuve d’une certaine objectivité. Or j’entends que nous débattons de l’IVG comme si c’était le sujet de cette discussion et comme si une menace pesait vraiment en France sur cette liberté des femmes.
Mes chers collègues, vous savez que cela n’est pas le cas ; vous savez que nous ne discutons pas de l’IVG et que, même si l’on brandit assez facilement la menace de l’extrême droite qui pourrait nous priver de cette liberté, ses élus ont majoritairement voté, à l’Assemblée nationale, pour la constitutionnalisation de l’IVG. Là encore, nous manquons d’objectivité.
Généralement, nos débats sont empreints d’une certaine rigueur juridique. Aujourd’hui, j’entends parler de la Constitution comme si c’était un fourre-tout dans lequel nous pourrions inscrire tout ce qui nous tient à cœur, et qui serait alors protégé comme dans un coffre-fort.
Là encore, vous savez que c’est faux. La Constitution est l’ensemble des règles qui régissent nos institutions : elle n’est pas intangible, puisque nous l’avons modifiée vingt-quatre fois depuis 1958. La liberté dont nous débattons aujourd’hui n’a probablement pas grand-chose à y faire, même si le Conseil constitutionnel a indiqué qu’elle découlait d’une liberté déjà prévue dans la Constitution, la liberté des femmes. (Marques d’impatience sur les travées du groupe SER.)
Enfin, j’ai l’habitude ici d’un certain respect. Or j’entends que certains auraient des positions dignes et d’autres, non. Nous avons toujours des positions dignes dans cet hémicycle ; elles sont diverses, mais elles doivent pouvoir être acceptées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe SER.)
Pour ma part, je ne voterai pas ce texte.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
M. Yan Chantrel. C’est du sabotage !
M. le président. Mes chers collègues, c’est à moi qu’il revient de gérer les temps de parole.
La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, je m’étais inscrite pour intervenir sur cet article, car j’ai évidemment des réflexions à partager sur cette question.
Mais je vois la liste des demandes de parole, qui ne cesse de s’allonger. Certains collègues qui se sont exprimés lors de la discussion générale demandent même, de nouveau, la parole. Après ces interventions sera débattu l’amendement de Philippe Bas qui donnera lieu, lui aussi, à des explications de vote… Or tout doit s’arrêter à vingt heures quarante-cinq !
Je ne voudrais pas que le Sénat, qui s’est déjà fait remarquer au mois d’octobre dernier pour son vote hostile à la constitutionnalisation du droit à l’IVG, le soit aujourd’hui pour une manœuvre de procédure qui consisterait à faire durer le débat afin que nous ne puissions voter aujourd’hui ni l’amendement de Philippe Bas ni le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et sur des travées des groupes GEST et RDSE. – Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen applaudissent également.)
Ce n’est pas la première fois que nous discutons de l’IVG ou de sa constitutionnalisation et je passe mon tour de parole pour permettre au vote d’avoir lieu dans le temps imparti. (Mêmes mouvements.)
Rappel au règlement
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, mes chers collègues, après ce que je viens d’entendre, j’aimerais rappeler comment sont organisés les travaux parlementaires.
Le groupe socialiste dispose d’un ordre du jour réservé de quatre heures et il a choisi d’y inscrire deux textes.
Nous débattons de quatre rédactions différentes de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution. Nous avons le droit de disposer du temps nécessaire pour débattre de ces différentes rédactions qui touchent au texte fondamental de la République française.
Je ne peux donc accepter un tel procès d’intention ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, j’aimerais que le débat continue de se dérouler de façon sereine et je ne fais qu’appliquer le règlement du Sénat.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Article unique (suite)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, sur l’article.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne cherche pas à faire durer le débat, mais celui-ci est suffisamment important pour que chacun puisse s’exprimer.
Je voudrais faire trois observations rapides.
Première observation, nous avons eu précédemment un débat sur le point de savoir s’il s’agissait de conforter un droit ou d’afficher un symbole. En ce qui me concerne, je pense que la Constitution n’est pas un symbole : c’est un texte sérieux dans lequel les libertés sont évoquées. Certains souhaitent y inscrire la liberté d’avorter. Demain, pourquoi pas la fin de vie ou la procréation médicalement assistée (PMA) ? Je ne pense pas que la Constitution soit l’endroit où il faille inscrire ces questions sociétales.
Deuxième observation, vous nous appelez, monsieur le garde des sceaux, même si vous ne l’avez pas dit très clairement, à voter conforme ce texte afin de pouvoir avancer sur le sujet et organiser un référendum.
Mais le Gouvernement souhaite-t-il vraiment organiser aujourd’hui un référendum ? Êtes-vous certain que ce soit le moment le plus propice pour tenir un débat apaisé sur une question aussi grave que celle-là ?
Enfin, troisième observation, j’ai cru comprendre que le Président de la République voulait à tout prix attacher son nom à une modification de la Constitution et qu’il concoctait donc une réforme constitutionnelle. Ne pensez-vous pas, monsieur le garde des sceaux, qu’il serait préférable d’avoir une vision globale et d’éviter de réviser la Constitution en fonction des aléas de l’actualité, fût-elle américaine ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sur l’article.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ne nous trompons pas de débat, mes chers collègues ! Il n’est pas question ici de remettre en cause des droits ouverts par la loi Veil ; il s’agit de savoir s’il est pertinent pour nous, parlementaires français, de nous emparer d’une problématique qui s’est en réalité posée au sein de la société américaine, avec toutes ses spécificités, et non dans notre pays. Personnellement, je pense que non.
Je voudrais m’adresser à toutes les femmes qui nous regardent aujourd’hui pour leur dire que le recours à l’IVG n’est absolument pas remis en cause en France, puisqu’il s’agit de l’un de nos droits fondamentaux.
La position constante du Conseil constitutionnel sur ce sujet est extrêmement protectrice. Le recours à l’IVG découle de la liberté de la femme, tirée de l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Inscrire un tel dispositif dans la Constitution, quelle que soit la rédaction choisie, n’aurait qu’une conséquence : fragiliser le recours à l’IVG.
Il n’est pas souhaitable d’attiser des peurs fondées sur la situation d’autres pays. Compte tenu du climat déjà particulièrement anxiogène que connaissent nos concitoyens, il me semble inutile d’en rajouter.
Pour l’ensemble de ces raisons, comme de nombreux collègues qui sont à mes côtés au sein du groupe Les Républicains, je m’opposerai à cette proposition de loi constitutionnelle, en cohérence avec mon vote il y a quelques semaines.
M. Xavier Iacovelli. Quelle surprise !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Et je précise que je n’aurai pas honte de mon vote ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie Mercier, sur l’article.
Mme Marie Mercier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai l’habitude de m’exprimer sur ces sujets de société. En l’espèce, j’ai l’impression qu’on veut légiférer de manière symbolique et au cas où… Or ce n’est pas le rôle du législateur.
D’ailleurs, qu’est-ce qu’un symbole ? La question n’est pas simple d’un point de vue étymologique. Le symbole est un fait évoquant par une correspondance analogique, formelle, naturelle ou culturelle quelque chose d’absent ou d’impossible à percevoir.
Mes chers collègues, en toute honnêteté, croyez-vous vraiment que la protection du droit à l’IVG, que je défends de toute mon âme, est absente ou impossible à percevoir ?
Le Conseil constitutionnel a, dès 1975, validé la loi sur l’IVG en soulignant que son article 1er, qui énonce le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, doit pouvoir connaître des limites – soit, précisément, ce droit à l’IVG que nous revendiquons. Vingt-six ans plus tard, le Conseil a renforcé encore la protection de ce droit.
Les femmes n’ont pas besoin de symboles et elles n’en veulent pas. Elles veulent des moyens, des plannings familiaux, des médecins.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Bravo !
Mme Marie Mercier. Nous voulons une éducation sexuelle digne de ce nom et un accompagnement psychologique. On parle de la liberté de la femme à avorter. Êtes-vous sûrs, mes chers collègues, que quelquefois la femme n’avorte pas, parce que son compagnon lui a demandé de le faire et qu’elle s’y sent obligée ? (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Il faut accompagner les femmes, les aider. Nous devons nous attacher à cet objectif, plutôt qu’à inscrire une disposition dans la Constitution : ce n’est pas cela qui nous aidera. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Canévet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Toine Bourrat, sur l’article.
Mme Toine Bourrat. Mes chers collègues, la baisse de confiance accordée par nos concitoyens à la classe politique en général et à l’exécutif en particulier nous oblige.
Sans cesse rappelée par les baromètres d’opinion, cette confiance abîmée, qui confine parfois à la défiance, est souvent le fruit des incohérences que nos concitoyens identifient dans les discours tenus par leurs représentants. Elle nous oblige parce que la politique, c’est d’abord des convictions.
Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l’IVG le 12 octobre 2022 en commission des lois du Sénat.
Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l’IVG le 19 octobre 2022 en séance publique au Sénat.
Nous avons voté contre la constitutionnalisation de l’IVG le 25 janvier 2023 en commission des lois du Sénat.
Je ferai donc preuve de cohérence et voterai contre la constitutionnalisation de l’IVG ce soir en séance publique.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, sur l’article.
Mme Catherine Di Folco. Depuis le début de nos débats, j’ai écouté avec attention chaque orateur, quelles que soient les travées de cet hémicycle sur lesquelles il siège. Le sujet principal qui semble nous occuper est celui de la constitutionnalisation.
Mes chers collègues, je vous le dis comme je le pense : je crois que nous nous fourvoyons. Le mot que nous devrions retenir aujourd’hui et sur lequel nous devons à nos concitoyens de concentrer tous nos efforts est, de mon point de vue, celui d’« effectivité ».
Dire qu’une norme juridique est effective, c’est dire qu’elle existe dans la réalité et qu’elle est appliquée dans les faits. Cette acception classique de l’éminent doyen Carbonnier dans un article précurseur de 1958 renvoie à une application effective des normes. Nous sommes favorables à l’effectivité du recours à l’IVG, mais cette effectivité ne se limite pas à l’application d’une règle : elle doit aussi recouvrir une dimension symbolique.
Or, comme le doyen Favoreu l’énonçait, si le législateur peut abroger certaines des règles qui protègent ou favorisent l’exercice de droits fondamentaux, il ne pourrait pas le faire au point que ces droits n’aient plus d’effectivité.
Dès lors, ne nous trompons pas quant à la question juridique qui nous est posée ! Faut-il ajouter à notre texte fondamental une disposition déclarative ? Je ne le crois pas, et je n’en ai pas honte, madame Vogel. Ou faut-il agir concrètement en faveur de l’accès effectif de toutes les femmes à l’IVG ? J’en suis persuadée et je mets le Gouvernement face à ses obligations en la matière. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, sur l’article.
M. Loïc Hervé. Je m’exprime ici à titre personnel, et non plus au nom du groupe Union Centriste comme dans mon intervention dans la discussion générale.
La question que nous examinons soulève plusieurs débats : celui de l’influence internationale sur nos discussions intérieures, celui de l’opportunité d’une référence à l’IVG dans la Constitution et le débat juridique.
Dans mon rappel au règlement, j’évoquais les quatre rédactions proposées : celle de Mme Vogel, la rédaction initiale de Mme Panot, celle de l’Assemblée nationale et celle proposée par Philippe Bas, dont nous débattrons tout à l’heure.
Le tout est encadré par des délais contraints, avec un deuxième véhicule législatif qui est une proposition de loi, ce qui signifie qu’il n’y a eu ni étude d’impact, ni passage du texte devant le Conseil d’État, ni débat en droit.
Par ailleurs, nous le savons tous, la procédure n’ira pas à son terme, puisque la seule issue est le référendum.
Avec quatre rédactions et une issue hypothétique qui est celle du référendum, les défenseurs de l’IVG imaginent-ils une seconde ce que représenterait un débat sur une question sociétale de cette ampleur dans l’état actuel de la société française ?
Je pose la question, parce que nous avons arrêté de faire du droit dans cette maison pour parler de sujets politiques. Je suis hostile à l’inscription de l’IVG dans la Constitution, mais si on devait imaginer de le faire, il faudrait s’interroger sur la qualité du droit que l’on écrit.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est vrai qu’il vaut mieux parler du PLUi du Bas-Chablais !
M. Loïc Hervé. Nous sommes des législateurs : on parle là de la qualité de la Constitution pour les années qui viennent ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Une loi se fait et se défait. Une Constitution, cela ne se défait pas aussi simplement !
Plusieurs sénateurs des groupes SER et GEST. C’est justement la raison pour laquelle il faut inscrire l’IVG dans la Constitution !
M. Loïc Hervé. Nous sommes en train d’improviser, mes chers collègues ! C’est ce que je voulais rappeler en cet instant. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, pour le moment, la discussion est sereine, il ne sert à rien de l’envenimer. Il reste trente-cinq minutes de débat, et je souhaite qu’il se tienne dans le calme.
La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
M. Bruno Retailleau. Merci, monsieur le président, de ce préalable.
Bien entendu, il n’y a pas, d’un côté, le camp de la dignité et, de l’autre, celui de l’indignité. Nos démocraties s’abîment quand le débat public est réduit à une polarisation, à un échange de condamnations et d’accusations. On doit pouvoir débattre, quelles que soient les opinions des uns ou des autres.
Notre assemblée ne doit pas fonctionner sous la pression de telle ou telle partie de l’opinion publique. Nous devons légiférer de façon rationnelle et raisonnable.
Cette proposition de loi constitutionnelle est-elle rationnelle ? Je ne le crois pas, parce que l’existence du droit à l’IVG – et je remercie Agnès Canayer, notre rapporteur, de l’avoir bien démontré – n’est menacée en France par aucune formation politique. Le Conseil constitutionnel a, en quelque sorte, constitutionnalisé le droit à l’IVG,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Non, justement !
M. Bruno Retailleau. … puisqu’il a indiqué, dans plusieurs décisions, qu’il constituait un élément de la liberté fondamentale de la femme.
Cette proposition de loi constitutionnelle est-elle raisonnable ?
Est-il raisonnable, mes chers collègues, d’importer dans notre pays déjà si fracturé les débats qui divisent la société américaine ? Est-il raisonnable de vouloir un référendum sur un tel sujet, monsieur le garde des sceaux ? Vous savez pertinemment que, pour que le texte aboutisse, il faudra en passer par là.
M. Éric Kerrouche. Et alors ?
M. Bruno Retailleau. Enfin, est-il raisonnable de vouloir constitutionnaliser à tout va ?
Dominique de Legge l’a très bien dit, ce pourrait être demain, par exemple, le droit au suicide assisté ou la PMA pour toutes. Pourquoi ces droits seraient-ils de portée inférieure à l’IVG ? Pourquoi ne devrions-nous pas les constitutionnaliser aussi demain ?
La Constitution de la Ve République n’est pas faite pour adresser des messages symboliques au monde entier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Philippe Bonnecarrère et Alain Duffourg applaudissent également.)