M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je le redis, cela fait plaisir de voir un élu non ultramarin s’intéresser à ces questions. Je vous remercie donc de votre intervention.
L’État ne saurait être maire, architecte et constructeur. Je suis d’accord avec vous à 100 %, à une réserve près : je ne sais pas si, avec les méthodes que vous évoquez, nous réussirons à construire 80 000 logements sociaux d’urgence, qui est le besoin actuel. Si nous en faisions 5 000, ce ne serait déjà pas mal.
Monsieur le sénateur, c’est aux maires et aux architectes qu’il faut tenir votre propos ! Le ministère chargé de l’outre-mer ne délivre pas les permis de construire et ne définit pas les plans de ces bâtiments que, tout comme moi, vous appelez de vos vœux.
Nous allons faire de la publicité en ce sens, mais que pouvons-nous faire de plus ? Nous essayons de planifier – je pense notamment au bioéthanol que j’ai évoqué récemment devant des parlementaires –, mais nous devons progresser tous ensemble.
L’objectif Logement outre-mer devra conduire les différentes parties à s’engager dans cette voie. Dans ce domaine – malheureusement ou heureusement, je ne sais pas –, nous ne pouvons qu’inciter les élus locaux.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, un ministre peut tout de même prendre un certain nombre d’initiatives, ne serait-ce que pour organiser les filières, pour faire de la formation et travailler sur le côté normatif. Vous le savez, certaines normes sont très bloquantes – vous l’avez évoqué précédemment. Il faut les faire évoluer et les assouplir, afin que des expérimentations soient menées dans les territoires d’outre-mer.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation sénatoriale aux outre-mer a publié, il y a tout juste dix-huit mois, un rapport d’information très intéressant sur la politique du logement dans les outre-mer.
La problématique de l’habitat informel a retenu l’attention de mes collègues et méritait d’être débattue dans cet hémicycle. Aussi, je profite de l’occasion pour remercier le président de la délégation, Stéphane Artano, de cette initiative, ainsi que les rapporteurs Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel du travail accompli.
Pour répondre à la problématique du logement en outre-mer, le Parlement adoptait au moins deux novembre 2018, dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite Élan, des dispositions spécifiques à la Guyane et à Mayotte pour lutter contre l’habitat informel. Dans ces territoires, le législateur donnait ainsi aux représentants de l’État le pouvoir d’ordonner aux occupants des habitats informels d’évacuer les lieux et aux propriétaires de procéder à la démolition des structures dès lors que celles-ci présentaient des risques graves pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique.
La nouveauté résidait dans le fait que les préfets pouvaient ordonner les démolitions sans passer par une décision judiciaire.
Nous pouvons le dire, la loi Élan a suscité un formidable espoir au sein de nos populations, éprouvées par le développement des habitats sans droit ni titre. La Guyane et Mayotte sont confrontées à l’accroissement de l’habitat spontané qui se développe sous la pression démographique, conséquence d’une très forte immigration.
En Guyane, un logement sur quatre a été construit sans droit ni titre. À Saint-Laurent-du-Maroni, commune frontalière avec le Surinam, l’habitat informel représente 60 % des logements. Aussi, dès que la mairie envisage un projet de construction, le terrain est occupé. Il en est de même pour une opération d’intérêt national dont la mission première est d’enrayer la dynamique du logement informel et d’anticiper la démographie galopante en créant près de 30 000 logements d’ici à 2030.
Paradoxalement, de nombreuses zones d’habitat spontané sont installées sur du foncier appartenant à l’État, le premier propriétaire foncier de Guyane. L’impuissance de certains acteurs ne rassure guère les petits propriétaires, qui ont le désagréable sentiment d’être privés de leurs droits, mais aussi du fruit de leur dur labeur.
L’ancienne maire que je suis a fréquemment été confrontée aux difficultés liées à l’occupation illégale de logements et au développement de zones d’habitat informel.
L’ancienne maire que je suis a souvent eu à intervenir face à la colère des habitants, des propriétaires, désabusés par les occupations illégales de certains bâtiments et de nos espaces publics.
En tant que maire, je devais m’employer à calmer l’exaspération des citoyens face à l’inaction de l’État. En 2018, alors même que les parlementaires, ici au Sénat, discutaient des contours de la loi Élan, une foule vindicative avait procédé au délogement d’une dizaine de familles d’un squat à Cayenne. Nous avons évité de peu un drame. Alors, moi aussi, j’avais placé beaucoup d’espoir dans cette loi.
Quatre ans après, quel bilan pouvons-nous tirer de cette loi ? En s’appuyant sur son article 197, les préfets de Guyane et de Mayotte ont certes ordonné la démolition de plusieurs zones d’habitat spontané, des opérations ont permis de raser des dizaines de squats où se côtoyaient insalubrité, misère et insécurité, mais nous devons avoir la franchise et l’honnêteté de dire que ces opérations n’ont malheureusement pas eu les résultats escomptés.
Face à la pression migratoire qui frappe ces deux territoires et à la multiplication des contentieux qui ralentissent les procédures, plusieurs limites sont à souligner.
À Mayotte comme en Guyane, le législateur a voulu, au travers de cette loi, faciliter l’expulsion des occupants de terrain sans droit ni titre. Le passage de la théorie à la pratique est toutefois bien plus complexe que prévu.
M. Victorin Lurel. Ah oui !
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. En effet, dans un élan humaniste, le législateur a conditionné les expulsions à des propositions de relogement. Les préfectures ne sont néanmoins pas en mesure de proposer des solutions de relogement aux familles. Par conséquent, les opérations d’évacuation aboutissent systématiquement à la reconstruction de nouvelles zones. Les habitants errent d’un squat à un autre.
J’insisterai donc sur ce point : la Guyane n’est pas en mesure de proposer des solutions de relogement aux habitants délogés. En raison d’une offre de logements quantitativement insuffisante, la Guyane ne peut déjà pas répondre à la demande de nos compatriotes en matière de logements. Depuis vingt ans, l’habitat informel progresse bien plus vite que le logement légal.
Par conséquent, je me réjouis de ce débat, mais également de l’examen, demandé par le groupe RDPI, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l’occupation illicite. Nous devons chercher de nouvelles adaptations, afin que l’État de droit puisse s’exercer pleinement en Guyane comme à Mayotte, mais aussi dans tous les territoires, face aux occupations illicites. Il n’est pas acceptable que certains territoires de la République continuent à livrer, seuls, ce combat contre l’habitat informel.
Pour conclure, je rappellerai une réflexion de l’ancien Président de la République, François Mitterrand, lors de son déplacement officiel en Guyane au mois de septembre 1985 : il s’était alors offusqué que l’on continue à lancer des fusées sur fond de bidonvilles. Près de quarante ans plus tard, les fusées décollent toujours. Les zones d’habitat informel, elles, se multiplient à la vitesse d’un lanceur au décollage.
Monsieur le ministre, rien n’a changé depuis plus quarante ans !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, une chose a changé : la pression migratoire est devenue extraordinaire.
Certes, c’est une constante en Guyane, notamment avec les Haïtiens, les Surinamiens et les Brésiliens. La Guyane a une tradition d’accueil, même si la question du logement se pose toujours.
Il ne faut pas confondre avec la nouvelle immigration d’Afghans, de Syriens, de Marocains et de Kurdes. Je le dis : je ne veux pas qu’ils stationnent autour de la cathédrale. J’ai donc donné instruction de démonter systématiquement leurs tentes. Nous avons obtenu parallèlement des places et de l’argent pour les loger. Je salue d’ailleurs l’action du président de l’assemblée de Guyane, Gabriel Serville, qui a mis à disposition des locaux. Nous sommes donc confrontés à un problème d’immigration.
Je suis un ancien préfet, et je dois dire qu’il faut choisir entre ordre et désordre. Je n’ai jamais expulsé, sauf cas grave, des personnes que l’on ne peut pas reloger. Et comme le territoire de la Guyane est contraint, nous n’y arrivons pas…
La solution passe par la construction de logements, notamment sociaux, et par le démarrage réel des opérations d’intérêt national (OIN). J’ai rencontré ce matin Mme Trochimera, la maire de Cayenne, pour lui dire que les 26 OIN ne se feront pas avec l’aide des Forces armées en Guyane (FAG). Il faudra vingt-cinq ans…
Nous allons nous atteler à faire avancer la zone d’aménagement concerté (ZAC) de Margot à Saint-Laurent-du-Maroni, en la confiant directement à la communauté de communes, comme je l’ai annoncé au président Serville. J’insiste, il faut construire du logement : c’est la réponse !
Nous avons des problèmes, mais, de grâce – je sais, madame la sénatrice, que vous pensez la même chose –, ne trahissons pas notre âme (Mme Marie-Laure Phinera-Horth approuve.), et ce en matière d’immigration comme de logement !
J’ai vu ces immigrés, je ne les blâme pas : ils sont comme vous et moi.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du logement dans les outre-mer a déjà fait l’objet de nombreux débats. Pour autant, elle demeure une préoccupation majeure de nos populations.
Le rapport d’information n° 728 sur la politique du logement dans les outre-mer de Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel comprend de nombreuses recommandations destinées à permettre la mise en œuvre d’un plan pluriannuel pour favoriser la construction de logements sociaux et résorber l’habitat insalubre.
Cela a été dit, le premier Plom, de 2015 à 2019, a été un échec. La non-prise en compte de nos spécificités locales n’a pas permis de conduire une politique de logement efficace.
Les mesures déployées sans réelle ingénierie locale ont laissé nos territoires avec les mêmes problématiques : habitat indigne et insalubre, dents creuses, friches, inadéquation entre l’offre et la demande, sans même parler des problématiques liées à l’indivision successorale.
L’objectif d’« assurer un habitat pour toutes les populations dans leurs diversités » n’a pas été atteint. Avec la mise en place du Plom 2 entre 2019 et 2022, on a tenté de rattraper le retard accumulé pour résorber l’habitat indigne et construire efficacement sur l’ensemble de l’archipel.
Au sein de notre population, ce sont 80 % des ménages qui sont éligibles au logement social. Il y a clairement une inadéquation entre l’offre de logement et les besoins exprimés.
Il nous appartient aujourd’hui, collectivement, de trouver des solutions innovantes pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Ces réponses devront s’inscrire dans l’esprit de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS, en apportant des solutions différenciées, car, si la plupart de nos territoires sont exposés aux mêmes risques naturels majeurs, ils font cependant face à des contraintes différentes, liées en grande partie à leur position géographique, mais aussi à la densité de la population de leur territoire.
Plus de cinq ans après la production du rapport d’information de 2017, Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d’un obstacle un atout par nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer Éric Doligé, Karine Claireaux et Vivette Lopez, nous pouvons constater que certaines des recommandations formulées n’ont pas eu d’applications concrètes au sein des territoires ultramarins. Nous avons malheureusement pu en mesurer les conséquences après le passage des ouragans Irma et Maria en 2017 et Fiona récemment. Tout comme vous, monsieur le ministre, puisque vous vous êtes rendu sur place, nous avons vu les dégâts qu’ils ont occasionnés.
Il paraît indispensable de mieux prendre en compte nos modes de construction pour faire face aux risques naturels majeurs, mais aussi de repenser l’aménagement de nos territoires.
La réalité socioéconomique de nos populations doit aussi conduire notre réflexion et guider notre action.
Comment permettre au plus grand nombre de ménages d’accéder à la propriété, avec des coûts de construction modérés dans un contexte d’inflation ?
Quelles mesures pouvons-nous prendre pour diminuer notre impact énergétique lors de la construction des habitations, mais aussi dans les usages du quotidien ?
Nos politiques publiques doivent être la caisse de résonance de la dimension sociale, environnementale et économique de la vision stratégique qui doit inspirer nos débats sur les orientations des politiques de logement dans les outre-mer, afin qu’elles s’inscrivent à court, moyen et long termes.
Nous devons nous servir des exemples de constructions d’une particulière longévité comme base pour adapter nos pratiques, en appliquant, bien évidemment, les nouvelles normes.
Je pense à la maison Boc, une habitation en bois édifiée dans le centre-ville de Grand-Bourg de Marie-Galante, construite en 1900, et à la maison Zévallos, une maison coloniale de 1870, en bois, située dans la commune du Moule. Ces deux maisons toutes deux en bois et primées par le Loto du patrimoine pour faciliter leur rénovation interpellent par leur longévité et leur résistance aux aléas climatiques.
S’inspirer des modes de construction traditionnels et des styles architecturaux de l’époque en les adaptant à nos modes de vie actuels est un enjeu, notamment environnemental, que nous devons relever de façon efficiente.
La mutualisation des expertises locales sur les modes de construction adaptée aux territoires ultramarins doit faire l’objet d’un véritable projet qui pourrait se traduire par la création d’un laboratoire de recherche.
Maîtriser les coûts des constructions en édifiant des maisons en bois, plus respectueuses de notre environnement, moins coûteuses, grâce à la mise en place de circuits d’acheminement plus courts, favorisant aussi la diminution de l’empreinte carbone, est un double enjeu.
Enfin, je terminerai mon propos en rappelant qu’habiter un logement dans les Drom expose aux aléas climatiques et qu’il est important d’assurer son habitation. Si les risques sont importants, il nous appartient de veiller à maîtriser les coûts assurantiels, car nous n’en retirons pas toujours les effets escomptés.
Cela a été dit, le souhait de nombreux architectes est de construire différemment, selon de nouvelles normes. Le 20 janvier prochain, les architectes de la Guadeloupe et de la Martinique organiseront un colloque sur la construction en bois dans les outre-mer. Nous sommes sur le bon chemin et les propositions que vous avez formulées vont dans le bon sens, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, vous avez évoqué deux sujets.
Sur les divisions successorales, j’ai participé hier, comme certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, à un colloque organisé par le Conseil supérieur du notariat et j’ai également rencontré les assureurs. Les uns et les autres doivent participer à la rénovation des logements outre-mer, car nous n’y arriverons pas sans eux.
Je pense aux difficultés que posent les successions compliquées à la Martinique et en Guadeloupe, sans parler de Mayotte et de Saint-Martin ! Les indivisions successorales conduisent à des blocages et les constructions sur la zone dite des cinquante pas géométriques posent également problème. Nous travaillons sur ces sujets avec les collectivités territoriales, notamment régionales, pour trouver des solutions.
Les logements vacants sont un autre sujet d’ampleur. Il suffirait d’occuper la moitié d’entre eux pour atteindre notre objectif. Ce point me préoccupe : comment peut-on avoir une crise du logement en Guadeloupe et en Martinique, alors que ces territoires perdent 5 000 habitants par an et que des milliers de logements sont vacants ? Il nous faut trouver la solution ! C’est ensemble que nous y parviendrons, avec les notaires et les assureurs notamment.
Je finirai en évoquant, dans le même ordre d’idées, un point qui concerne la Martinique et la Guadeloupe : faut-il ou non relever le revenu minimum pour permettre à un certain nombre de personnes plutôt âgées, qui ont réussi, d’occuper des logements HLM vacants ? J’y suis favorable, mais il faut mettre cette mesure au point.
Sur l’habitat individuel adapté, vous avez évidemment raison, madame la sénatrice. J’en parlerai en conclusion tout à l’heure.
M. le président. La parole est à Mme Viviane Malet. (Mmes Micheline Jacques et Nassimah Dindar applaudissent.)
Mme Viviane Malet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à commencer mon propos en saluant l’initiative de la délégation sénatoriale aux outre-mer qui a demandé un débat sur la thématique de la politique du logement outre-mer.
Il s’agit d’un sujet fondamental pour les habitants de nos territoires frappés par une crise du logement sans équivalent, qui mérite que notre assemblée travaille sur cette question plus longuement qu’à la marge d’un projet national et hexagonal.
Les chiffres que je vais livrer ont déjà été moult fois donnés dans cet hémicycle. D’ailleurs, vous les connaissez, monsieur le ministre.
Je l’ai indiqué à cette même tribune le 1er décembre dernier, le logement, c’est tout d’abord un « constat saisissant » : « 80 % des Ultramarins sont éligibles à un logement social, mais 15 % d’entre eux seulement en disposent. » C’est d’autant plus préoccupant que nos populations vieillissent et que leurs revenus sont plus faibles que dans l’Hexagone.
Il est donc impératif de répondre au besoin annuel en logements sociaux, lequel est estimé entre 9 000 et 10 000.
Autre chiffre alarmant : les logements indignes et insalubres représentent près de 13 % du parc de logements dans les outre-mer, contre 1,3 % dans l’Hexagone.
Dans le seul département de La Réunion, plus de 100 000 habitants sont mal logés, 17 000 logements privés sont identifiés comme insalubres et 25 000 familles primo-accédantes sont en attente d’un logement social. Au 30 juin 2022, près de 38 000 demandes de logement social sont enregistrées, alors que 2 000 logements à peine ont été livrés par an en moyenne dans les cinq dernières années.
La production de logements outre-mer est en crise profonde. Les Plom 1 et 2 n’ont pas répondu aux attentes, ainsi que tout le monde en convient. Il est temps de redresser la barre, afin de présenter aux Ultramarins une politique du logement ambitieuse et efficace.
Une fois ce diagnostic posé, nous devons proposer ensemble des actions concrètes afin d’améliorer la situation. De multiples solutions existent ; encore faut-il les appliquer.
Pour que les crédits de la ligne budgétaire unique soient mieux consommés, nous devons tout d’abord mettre en adéquation les financements proposés avec les besoins réels. À La Réunion par exemple, les T1 et les T2 sont construits non seulement en nombre insuffisant, mais aussi à un coût trop élevé. La question de l’adaptation des normes et des matériaux doit être posée.
La rareté et la cherté du foncier, ainsi que le surcoût des matériaux, doivent nous obliger à changer de logiciel. Il faut impérativement diriger les financements vers les logements pour les seniors ou vers les petites surfaces à destination des jeunes ménages et des personnes seules.
Sans une adaptation de l’offre, mais aussi de la gouvernance, avec une décentralisation accrue de la gestion de ses crédits, la LBU ne sera pas mieux consommée et ne gagnera pas en efficacité.
L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) joue, par ailleurs, un rôle important dans nos territoires, mais elle doit impérativement revoir ses maquettes financières validées avant la crise sanitaire et économique, car les conséquences du covid-19 associées au contexte insulaire ont fait exploser les surcoûts.
La ville de Saint-Pierre, à La Réunion, est par exemple confrontée à ce problème. Elle a contractualisé avec l’Anru au mois de mars 2020, à la veille de la crise du covid-19, et se voit désormais contrainte de solliciter une modification du calendrier ainsi qu’une subvention supplémentaire pour finaliser son programme de rénovation urbaine, qui concerne 500 logements.
Nous avons identifié un autre combat à mener : l’Anah devrait pouvoir intervenir pleinement dans les Drom. Il est impératif de rendre les propriétaires occupants ultramarins éligibles à ses aides ; une telle disparité entre l’Hexagone et les outre-mer ne saurait perdurer.
Ajoutons que le déploiement des résidences autonomie, attendu depuis longtemps, est désormais possible grâce à la loi 3DS.
Enfin, l’accompagnement de l’autoréhabilitation des logements par leurs occupants constitue un autre levier. Certains centres communaux d’action sociale (CCAS) mènent avec succès cette politique, qu’il convient d’encourager et d’étendre. Le département de La Réunion s’est engagé dans cette voie en doublant le nombre de dossiers d’amélioration de l’habitat, le passant de 2 000 à 4 000 par an.
Je conclus mon propos en saluant la concertation opérée par l’association des maires du département de La Réunion, laquelle s’est autosaisie de cette problématique et a conduit un travail de fond en auditionnant tous les intervenants pour déboucher sur des propositions concrètes.
Selon les mots de son président, Serge Hoarau, la feuille de route qu’elle a établie « marque une étape importante, mais n’est en rien un aboutissement. ». Il ajoute : « Il est désormais de notre responsabilité à tous de la faire vivre… »
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. S’agissant de l’Anru, madame la sénatrice, j’ai demandé à sa directrice générale, Anne-Claire Mialot, de me transmettre toutes les conventions Anru concernant les outre-mer. Il faut en effet les revoir pour les rendre plus efficaces, même si cela représente beaucoup de travail. Je partage également votre analyse sur l’Anah, notamment à La Réunion.
Mme Mialot se rendra à La Réunion à la fin du mois pour déterminer s’il est possible de faire du logement dans les zones concernées par le programme national de rénovation urbaine. Il suffit de le décider : si nous ne le faisons pas, nous serons coincés.
Le volume des prêts d’Action Logement est appelé à diminuer, ce qui m’inquiète. Les dispositifs proposés par la Caisse des dépôts et consignations restent, bien sûr, disponibles, mais les taux proposés ne sont pas les mêmes.
Comment harmoniser tout cela et continuer à disposer de prêts, dont le taux d’intérêt ne peut plus être à 0,45 %, puisque nous sommes face à une augmentation, sans pour autant atteindre 3,6 % ? C’est tout l’enjeu, qui concerne notamment La Réunion, où beaucoup de logements sociaux doivent être construits.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinquante-deux.)
Mme Catherine Conconne. Monsieur le ministre, dans ce domaine, faisons la révolution ! Ouvrons le champ des possibles !
Tout d’abord, cessons de traiter le logement outre-mer dans un vrac dit outre-mer. Le logement est l’expression de la vie des gens, de leur histoire, de leur patrimoine culturel. On ne vit pas à Saint-Pierre-et-Miquelon de la même manière qu’à Tahiti ou à Fort-de-France. Ce traitement global est donc un peu gênant et empêche, me semble-t-il, une lecture clairvoyante de situations qui sont totalement différentes les unes des autres !
Pour ma part, je ne parlerai que de la Martinique, parce que c’est le pays que je connais le mieux. Par respect pour mes collègues, je préfère qu’ils évoquent eux-mêmes les territoires qu’ils connaissent mieux que moi.
La réalité à la Martinique ne correspond pas du tout à ce que j’ai entendu ce soir. En soixante-dix ans, des efforts très importants sur le logement y ont été consentis. Certes, on peut souhaiter plus et mieux, mais l’idéal n’existe pas !
Je ne suis pas si âgée, mais je sais les progrès réalisés depuis soixante-dix ans pour que les habitants de la Martinique vivent mieux. On est loin aujourd’hui du Canal Alaric d’alors ou des opérations de résorption de l’habitat insalubre (RHI) concernant des centaines de logements.
Je vous rappelle que le premier lotissement populaire de la Martinique, celui des Terres-Sainvilles, a été construit dans les années 1920, par le maire de l’époque, Victor Sévère. Celui-ci ne disposait ni de fonds européens, ni de LBU, ni de quoi que ce soit de ce genre, mais il l’a pourtant fait. – I fé’y ! dirions-nous en créole.
La première des révolutions à laquelle je vous invite, monsieur le ministre, c’est le transfert du paquet du logement aux collectivités de chacun de ces pays.
Comme le propose l’Appel de Fort-de-France, la totalité de la politique du logement devraient aujourd’hui être gérée par les collectivités locales. Comment peut-on encore imaginer, en 2023, que nous en soyons réduits à attendre la LBU en provenance de la rue Oudinot pour décider de telle ou telle politique de logement sur place ?
Donnez-nous les moyens ! Ne vous inquiétez pas, nous saurons faire ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.) Nous agirons, bien sûr, en partenariat avec l’État. (Sourires.)
Vous avez évoqué certaines réalités, monsieur le ministre. On dénombre 20 000 logements vacants actuellement à la Martinique, alors que nous perdons entre 4 500 et 5 000 habitants par an. Le pays est passé de 400 000 à moins de 350 000 habitants.
Que fait-on de ces 20 000 logements vides ? J’ai des idées à ce sujet, nous pourrons en reparler si vous le souhaitez, monsieur le ministre. Rassurez-vous, je n’ai pas la volonté de spolier les propriétaires, bien au contraire !
Il s’agit de redonner vie aux fantômes que sont devenus certains quartiers, certaines rues, certaines communes, dont souvent plus de 60 % des logements sont vacants. Que devons-nous en faire ? Il faut les occuper et les reprendre en main. On ne peut continuer éternellement à construire des barres de HLM sur 1 100 kilomètres carrés. Stop ! Nous n’avons d’ailleurs plus les terrains nécessaires pour cela.
À la Martinique, la politique publique doit nous permettre de faire de la dentelle. Nous ne pouvons plus construire de grands ensembles, comme nous avons pu le faire par le passé. Il faut travailler en finesse, densifier les centres-bourgs, réoccuper les logements vacants. Cela exige que nous travaillions ensemble pour coller au plus près de la réalité de chacun des pays concernés et que nous cessions de les traiter en vrac.
Ce que j’ai entendu ce soir ne correspond en rien à la situation de la Martinique. Je suis désolée, mais je ne me suis pas sentie concernée. Recentrons-nous chacun sur nos territoires et leurs réalités et travaillons dans la dentelle, de manière extrêmement précise.
Pour terminer, monsieur le ministre, vous savez que je suis une adepte de la responsabilité. J’insiste donc : dans le cadre de l’Appel de Fort-de-France, certaines actions pragmatiques pourraient être engagées et le logement pourrait fournir une excellente illustration de cette volonté de responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE. – Mme Nassimah Dindar applaudit également.)