M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice Dindar, la tentation du bien est parfois pire que la tentation du mal…
Il nous faut bien cerner les questions : nous les connaissons et les partageons. Nous devons ordonnancer ce que nous avons à faire ensemble, mais il ne faut pas agir tous azimuts.
Je fais, pour ma part, une différence entre l’Anah et l’Anru, dont vous auditionnerez prochainement la directrice générale. Vous pourrez ainsi lui demander pourquoi on ne construit pas de logements HLM dans les zones relevant du PNRU (programme national de rénovation urbaine). On n’en construit plus à La Réunion ! Nous allons changer cela.
Il faut appréhender les problèmes généraux, puis les territorialiser. C’est ce que je ferai, dans la suite du Plom, et que j’appellerai, comme je l’ai dit, « objectif Logement outre-mer ».
Qu’est-ce que le Frafu ? Il s’agit de la LBU, plus des fonds des régions que l’on mobilise sur des sujets particuliers.
M. Victorin Lurel. Pas tout à fait…
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. C’est ainsi que l’on me l’a décrit, mais vous m’en direz plus, monsieur le sénateur… En tout cas, le Frafu utilise les fonds de la LBU.
La question est donc la suivante : que finance-t-on avec la LBU ? Nous devons nous mettre d’accord. Peut-être ne devrait-on pas, selon les territoires, financer les mêmes projets avec la LBU. Cela participe de la territorialisation, sur laquelle je suis vigilant.
Les organismes HLM, même si j’y suis très attaché, doivent être plus dynamiques, car la problématique repose sur eux ! Il nous faut aussi travailler avec l’Anah, qui, pour le dire ainsi, ne fait pas tout à fait le job outre-mer… Le nombre de logements vacants à réhabiliter est considérable ! J’ai invité le président du conseil d’administration et la directrice générale de l’Anah à entrer davantage dans le système.
Essayons de bien cerner les questions et de territorialiser les priorités, qui ne sont pas les mêmes selon les territoires.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. Nous allons, par exemple, financer à 100 % le déplacement du village de Miquelon.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour la réplique.
Mme Nassimah Dindar. Monsieur le ministre, le Frafu est un fonds qui concerne l’aménagement, soit le poste qui souvent coûte le plus cher. Vous avez raison, on a recours à la LBU quand on a besoin d’aménager les routes en vue de la construction de logements sociaux, mais on pourrait aussi mobiliser fortement le Frafu via les dispositifs européens.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vrai que, ces dernières années, la question du logement a fait l’objet de nombreux rapports d’information et d’amendements visant à améliorer le traitement de l’habitat indigne et à faciliter la production de logements sociaux. Pour autant, la situation reste toujours aussi préoccupante et contraignante. En effet, force est de constater que leur déclinaison opérationnelle tarde à se concrétiser et que les effets ne se font pas encore sentir.
En parlant de réalités territoriales, je vais me permettre d’apporter quelques précisions sur les dispositifs relatifs au logement à Saint-Pierre-et-Miquelon.
En application de la loi organique, la compétence en matière de logement appartient à la collectivité. Par voie de conséquence, la loi de 1989 sur le logement ne s’applique pas sur l’archipel alors qu’elle est d’ordre public dans l’Hexagone.
Ainsi, au travers de son schéma territorial d’aménagement et d’urbanisme (Stau), la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon porte un véritable projet d’accompagnement à la rénovation thermique et, parallèlement, mène un processus d’élaboration d’un programme territorial de l’habitat.
Dans le contexte tendu que nous connaissons et face à la pénurie du parc immobilier, la collectivité souhaite répondre aux besoins de la population en matière de logements. Les bâtis sont parfois dégradés, tandis que les loyers proposés ainsi que les coûts à l’achat ont fortement augmenté ces dernières années et ne sont plus du tout maîtrisés.
Dans ce cadre, il est nécessaire de réfléchir à la mise en place d’outils fiscaux de lutte contre la vacance et la rétention foncière – la collectivité y travaille –, ainsi qu’au déploiement d’un système d’aide incitatif à la rénovation énergétique, avec un focus social et urbanistique. Nous devons aussi étudier la faisabilité de l’instauration d’un code de la construction et de l’habitation qui prenne en compte la reconnaissance des normes pour les matériaux de construction nord-américains utilisés localement et la pratique dominante de l’autoconstruction.
Afin de répondre à ces différentes problématiques, je souhaite vous interpeller sur cinq thèmes, monsieur le ministre.
Premièrement, concernant la réactivation de la LBU pour Saint-Pierre-et-Miquelon, que vous avez évoquée, je rappelle que ce dispositif a eu un réel effet de levier sur la création d’une offre dans le marché locatif aidé entre 1981 et 2015. La réactivation de ce type de dispositif permettrait d’augmenter rapidement l’offre locative et redonnerait de l’activité au secteur du bâtiment et aux PME de la construction, à coût réduit pour la puissance publique et, in fine, pour le particulier.
Deuxièmement, le rôle de l’État dans la politique de logement social sur le territoire doit être clarifié en matière de financement des résidences sociales et des aides personnalisées au logement. Par ailleurs, la collectivité territoriale souhaite que l’État puisse accompagner dans leurs projets de rénovation et d’adaptation les personnes en perte d’autonomie ou de handicap.
Troisièmement, à ce jour, Saint-Pierre-et-Miquelon n’entre toujours pas dans le champ d’intervention de l’Anah, qui reste un partenaire privilégié des collectivités territoriales dans le développement de leur politique de logement. Il est indiscutable que l’appui méthodologique et les moyens financiers proposés par l’Anah permettraient à l’archipel de se doter d’une véritable politique de l’habitat.
Quatrièmement, au regard des objectifs fixés par le Gouvernement en matière de consommation d’énergie et de rénovation thermique, l’État pourrait-il s’engager à étudier les possibilités d’accompagnement des usagers dans leurs projets de rénovation et d’adaptation du logement en termes tant de financement que d’expertise en appui au point info énergie (PIE) local ? Je sais que Stéphane Normand a interrogé le Gouvernement à ce sujet récemment.
Cinquièmement, et ce n’est pas le moindre des thèmes que je souhaite aborder – vous l’avez d’ailleurs évoqué, monsieur le ministre –, le déplacement du village de Miquelon, du fait du changement climatique et de la montée des eaux a pour conséquence la nécessité de s’adapter et de réurbaniser de nouvelles zones. Cette initiative, lancée par la mairie de Miquelon, a été soutenue par l’État, donc le Gouvernement, et la collectivité territoriale.
La question se pose aujourd’hui des moyens financiers qui pourront être mis sur la table pour accompagner la mise en œuvre des réseaux de la nouvelle zone à urbaniser. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, ce que vous venez de dire à ce sujet ? Tous les habitants de l’archipel, notamment ceux de Miquelon ainsi que les jeunes qui voudraient revenir s’y installer, seraient heureux d’entendre cet engagement de l’État, que je saurais apprécier à sa juste valeur.
De manière globale – j’anticipe quelque peu et je le dis comme je le pense –, il serait inacceptable de s’entendre dire que la compétence logement de la collectivité l’oblige à faire face et à se débrouiller seule.
Ce que nous demandons, ce sont des moyens financiers en investissements afin de soutenir le conseil territorial – nous l’avons récemment précisé à la Première ministre –, afin de donner une impulsion et un effet de levier aux constructions locatives à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cet effet de levier ne serait pas le même que sur d’autres territoires ultramarins : les moyens financiers à mobiliser ne sont pas aussi énormes que cela si nous nous y mettons tous.
Nous souhaitons un véritable partenariat. C’est d’ailleurs ce que l’État vient de faire en Guadeloupe en apportant, dans le dernier budget un soutien massif de 20 millions d’euros, notamment pour redresser les finances du syndicat mixte d’eau et d’assainissement. On ne peut pourtant pas dire que l’État ait des compétences en ce domaine, mais je salue son initiative et cet investissement. Il s’agit, selon moi, d’intelligence collective. Je suis persuadé que nous saurons trouver cette voie à Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur Artano, vous savez combien Saint-Pierre est cher à mon cœur ! Je m’y rendrai d’ailleurs au mois de mars ou d’avril prochain.
Je vous ferai des réponses simples.
Oui, la compétence logement relève de la collectivité et, de ce fait, les aides de l’Anru et de l’Anah ainsi que la LBU et les aides à la pierre ne s’y appliquent pas. Il faut changer cela, car une commune de 6 000 habitants ne peut, sans aide, disposer des mêmes services que les autres collectivités.
Dans le cadre des discussions engagées avec le président du conseil territorial et dans la ligne de la réunion du 7 septembre dernier et de l’appel de Fort-de-France, nous allons donc nous efforcer d’y remédier soit au travers du Ciom, soit de manière institutionnelle. L’objectif est d’intervenir sans empiéter – c’est important – sur la compétence de votre collectivité. Il s’agit seulement de se donner les moyens de vous aider.
Vous l’avez dit, la LBU finance depuis 2017, à titre dérogatoire, le logement à Saint-Pierre-et-Miquelon ; il n’y a pas de raison de s’arrêter….
Il faut nous engager vers la responsabilisation et la différenciation ; ainsi, la discussion engagée aboutira. J’en présenterai les résultats au ministre de l’intérieur et des outre-mer au mois de juillet prochain, puis, au mois de septembre, nous soumettrons ce volet ensemble, après le Ciom, à la Première ministre et au Président de la République.
J’en viens au déplacement du village de Miquelon.
La République a déménagé des dizaines de villages, notamment pour construire des barrages hydrauliques. Ici, ce sera plus simple. Je vous confirme que la direction générale de la prévention des risques (DGPR) financera à hauteur de 100 % les dépenses individuelles.
Doit-on donner cette aide directement aux personnes – et c’est le fonds Barnier qui joue à plein –,…
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-François Carenco, ministre délégué. … ou essaie-t-on de centraliser à l’échelon de l’État pour financer aussi les investissements collectifs ? Ce sera l’objet de ma prochaine visite dans votre territoire, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques.
Mme Micheline Jacques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, il n’y a pas de politique publique efficace sans cadre normatif adapté. Cette problématique est au cœur des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et c’est une approche qui me tient à cœur.
En effet, au cours des auditions en vue du rapport d’information sur la politique du logement dans les outre-mer, de trop nombreux freins normatifs à la production de logements nous ont été rapportés. Or une bonne adaptation permettrait de répondre, certes, au défi de la production, mais aussi à d’autres enjeux. Ceux-ci sont notamment environnementaux et peuvent aussi constituer des leviers de production de valeur, à laquelle je vous sais particulièrement attaché, monsieur le ministre.
Comment comprendre que la Guyane ne puisse importer de bois de charpente du Brésil, mais qu’elle doive le faire venir de Scandinavie ? À l’heure du renchérissement du coût des énergies fossiles et des objectifs de décarbonation, cette situation est l’illustration même de l’inadaptation normative.
La Guyane pourrait également fournir davantage de bois à la Guadeloupe et à la Martinique, sachant en outre qu’elle produit des arbres disposant de solides qualités anti-termites.
À Mayotte, l’entrée en vigueur de nouvelles normes pour les portes de garage a « entraîné la destruction de toute une partie de l’artisanat local ». Voilà un autre exemple de norme qui, se concentrant sur l’objectif de sécurité, occulte les dommages collatéraux qu’elle produit.
Au contraire, il convient désormais d’évaluer de manière plus globale l’impact des normes pour renforcer ce qui pourrait être fragilisé. Là encore, la protection des savoir-faire locaux peut constituer une formidable source d’innovation tout en répondant à plusieurs enjeux.
De fait, la part de recherche et développement est encore très faible dans les outre-mer et offre un potentiel de croissance colossal, notamment pour l’adaptation des matériaux locaux ou régionaux aux contraintes de sécurité. Cela pourrait représenter des opportunités de développement de formations et, pourquoi pas, d’écoles d’ingénieurs dans chacun des bassins océaniques. J’ai eu l’occasion de le suggérer lors du débat budgétaire.
Par ailleurs, le coût des matériaux représente l’un des principaux freins à la construction. C’est pourquoi notre délégation préconise notamment les échanges, transfrontaliers et avec les îles voisines, de matériaux, mais aussi de techniques. L’arsenal normatif doit mieux prendre en compte les pratiques des pays voisins, dont les conditions climatiques ou d’exposition aux risques naturels sont plus proches de celles des outre-mer.
Stéphane Artano l’a rappelé, la Nouvelle-Calédonie a montré la voie avec un chantier d’acclimatation des normes qui s’appuie largement sur la coopération technique régionale avec l’Australie. Si son statut lui permet d’en prendre l’initiative et de maîtriser le processus d’adaptation dans les autres collectivités, l’État pourrait être coordonnateur de la même démarche pour tous les outre-mer. Elle plaide aussi depuis plusieurs années pour la tenue d’assises de la construction outre-mer qui favoriseraient, de surcroît, l’échange de bonnes pratiques, compte tenu de son expérience. C’est une proposition que la délégation a également relayée et que la direction générale des outre-mer (DGOM) et la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) pourraient organiser.
Depuis la publication du rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer intitulé Le BTP outre-mer au pied du mur normatif : faire d’un obstacle un atout, on peut noter les efforts des organismes et administrations producteurs de normes techniques. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour territorialiser la certification, les échanges d’informations entre territoires et, surtout, la production du cadre normatif, afin qu’il ne soit plus essentiellement pensé depuis la métropole.
Enfin, je ne saurais conclure ce propos sans évoquer l’absence de filière de désamiantage dans les outre-mer, ce qui entraîne des coûts considérables. Des propositions de neutralisation existent. Cela m’amène, du reste, à évoquer l’intérêt de l’utilisation de matériaux biosourcés au détriment du béton.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, je suis convaincue qu’en ces temps troublés et de contrainte budgétaire une approche pragmatique du logement ne peut faire l’économie de sa dimension normative.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Madame la sénatrice, puisque vous représentez Saint-Martin et Saint-Barthélemy, je tiens à dire que je compte beaucoup sur les collectivités territoriales pour proposer des terrains dont elles sont propriétaires en vue de construire des logements destinés aux fonctionnaires.
Si vous me proposez des terrains soumis à bail emphytéotique de soixante ans, je m’engage à trouver des investisseurs prêts à financer la construction de ces logements. Cela ne coûtera un sou ni à vous ni à personne ; mieux, cela vous reviendra dans soixante ans ! Je suis en train d’écrire, à cet effet, à chacun des présidents de collectivité : tous ont des terrains, à Saint-Martin comme à Saint-Barthélemy !
Pour ce qui concerne les normes, je vous annonce une bonne nouvelle : la mise en place en 2023, en accord avec la Commission européenne, des marquages outre-mer en substitution des marquages CE pour favoriser l’approvisionnement dans le bassin.
Cette année verra aussi la production du tableau d’équivalence des normes Europe pour une liste de familles de matériaux de construction importés des pays limitrophes outre-mer.
Sur les normes, vous avez raison, il faut avancer.
Je me suis fâché contre les artisans du Plom 2, car je trouvais que cela n’allait pas assez vite. Un certain nombre de normes sortiront en 2023 : nous devrions donc avancer.
Pour le reste, nous progresserons dans le cadre du Ciom.
Enfin, je suis en discussion avec mes homologues espagnol et portugais sur les régions ultrapériphériques – une réunion aura lieu à Madrid prochainement –, en vue d’une révision prévue par l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin de balayer toutes ces normes qui sont bloquantes, en matière de logement comme dans d’autres domaines.
Il faut cependant faire attention, car l’Europe nous apporte beaucoup : nous sommes donc sur un chemin de crête. Les RUP procurent beaucoup d’argent, mais ont aussi de nombreuses contraintes. Il faut trouver le bon chemin, et c’est l’objet des discussions institutionnelles que je mène. J’irai cette semaine à Saint-Martin, à la Martinique et en Guyane afin de travailler sur les sujets suivants : RUP, Europe, normes, Fonds européen de développement régional (Feder).
M. le président. La parole est à Mme Micheline Jacques, pour la réplique.
Mme Micheline Jacques. Monsieur le ministre, je ne représente que la collectivité de Saint-Barthélemy. Je transmettrai votre réponse à son président, Xavier Lédée.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise du logement dans les outre-mer constitue un problème grave et persistant. La question du logement est au centre des attentes et des préoccupations des populations ultramarines.
Les chiffres sont là : dans les départements et régions d’outre-mer, on évalue à 110 000 le nombre de locaux impropres à l’habitation et présentant pour leurs occupants des risques sanitaires ou sécuritaires.
En outre, 80 % des ménages des Drom sont éligibles au logement social et 70 % au logement très social. Or ce sont seulement 15 % des ménages qui accèdent aux logements sociaux. Sur l’île de La Réunion, ce sont 33 000 familles qui sont dans l’attente d’un logement social !
Enfin, on compte près de 120 000 logements vacants dans les Drom. Ce phénomène concerne en particulier les Antilles.
Les conditions de vie dans certains de ces territoires sont indignes de la République. C’est pourquoi il est urgent de mener une grande et ambitieuse politique publique en faveur du logement en outre-mer. Nous l’avons compris, l’État n’est pas le seul concerné : les collectivités, les bailleurs sociaux sont aussi parties prenantes. En outre, les problématiques sont différentes selon les territoires.
Après l’échec du Plom 1, qui n’a pas tenu son objectif de construire et de réhabiliter 10 000 logements par an, un deuxième Plom a été lancé pour les années 2019-2022. Abandonnant la stratégie quantitative du premier plan, le second, qui a été prolongé d’un an, présente une nouvelle approche, tendant à mieux prendre en compte les spécificités des territoires et les enjeux qualitatifs.
Aussi, monsieur le ministre, quel premier bilan pouvez-vous nous présenter en matière de construction de logements locatifs sociaux et très sociaux et de logements réservés à des publics ciblés ? Quels chiffres pouvez-vous également nous donner sur l’action du Gouvernement menée en faveur de la résorption de l’habitat insalubre ? Qu’en est-il, enfin, de la réhabilitation du parc locatif social et de l’accession sociale à la propriété, destinée aux ménages sous plafond de ressources ?
Face à l’ampleur de la crise du logement ultramarin, laquelle, faute d’une véritable politique volontariste de l’État – et depuis longtemps ! –, ne pourra que s’aggraver et afin d’anticiper l’après-Plom 2, la délégation sénatoriale aux outre-mer a recommandé au Gouvernement, dans son rapport d’information datant du mois de juillet 2021, la mise en œuvre d’une action territorialisée et adaptée aux facteurs économiques, environnementaux et humains des outre-mer.
À cet égard, nous l’avons dit, il paraît pertinent que cette territorialisation se traduise notamment par une véritable représentation des outre-mer dans chacune des instances nationales du logement. En effet, le ministère des outre-mer n’est membre ni du conseil d’administration de l’Anru ni de celui de l’Anah. De même, on peut regretter l’absence d’un parlementaire ultramarin au conseil d’administration de l’Anah.
Enfin, il me paraîtrait approprié que les agences nationales, telles qu’Action Logement ou la Banque des territoires, désignent des référents locaux au sein de chaque territoire ultramarin.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour être efficiente, la politique du logement dans les outre-mer requiert des objectifs concrets et territorialement adaptés. Elle nécessite également une volonté forte de l’État et une ambition du « sur mesure ». Elle exige aussi un pilotage au plus près des acteurs locaux.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, je suis très content qu’un élu de l’Aisne s’intéresse au logement social outre-mer : cela prouve que l’on n’a pas perdu la bataille et qu’ensemble on peut la gagner ! (Sourires.)
Je ne ferai pas d’évaluation quantitative du dispositif que j’appelle objectif Logement outre-mer, car cela ne sert qu’à se faire taper dessus ensuite… Le plus possible ! Voilà ce que nous devons faire ensemble. Nous avons de la marge et, plus nous en ferons, mieux ce sera.
Permettez-moi de clarifier mon propos : la suite du Plom 2 sera donc un document intitulé « objectif Logement outre-mer », signé par l’ensemble des parties et pas simplement par l’appareil d’État.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez soulevé le grave problème des logements vacants, qui permettraient de loger des dizaines de milliers de personnes. Nous allons travailler avec l’Anah – comme je l’ai dit précédemment, je vais rencontrer le président du conseil d’administration et la directrice générale dans les jours qui viennent – pour mettre en place des mesures fortes.
L’aide à l’accession et à la sortie de l’insalubrité a été rétablie dans la loi de finances pour 2020. Les crédits de la LBU destinés aux opérations de résorption de l’habitat indigne, contre lequel nous luttons, ont été multipliés par deux entre 2019 et 2020, pour atteindre 32 millions d’euros.
Monsieur le sénateur, vous avez raison : il faut avoir cette vision d’ensemble que chacun appelle de ses vœux. C’est cela qui compte, ce qui explique que je veux non plus un plan Logement outre-mer étato-étatique, mais un objectif Logement outre-mer signé par tous, pour traduire une vision globale et qui décline ensuite, territoire par territoire, les efforts à réaliser.
Car il n’est pas vrai qu’il faille faire les mêmes efforts à La Réunion qu’à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon qu’en Martinique. C’est ce que nous essaierons de mettre en place : nous y parviendrons si toutes les parties acceptent de signer. Il faudra un peu de temps pour mettre en marche ce dispositif.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les problématiques de la politique du logement outre-mer sont nombreuses et le très riche rapport d’information de la délégation aux outre-mer dont nous discutons aujourd’hui en brosse un portrait éloquent.
Parmi les nombreux sujets soulevés par le rapport d’information et les 77 recommandations qu’il formule, j’ai souhaité concentrer mon propos, dans le temps qui m’est imparti, sur la dernière série de recommandations. Celles-ci sont relatives aux nécessaires évolutions de la construction pour s’adapter tout à la fois aux besoins des territoires et au dérèglement climatique, avec son corollaire de catastrophes naturelles qui n’épargnent pas, tant s’en faut, nos territoires ultramarins.
Inventer l’habitat résilient de demain, construit à partir de matériaux biosourcés, est un impératif quand le bâtiment représente les trois cinquièmes des déchets du pays. Les matériaux doivent être produits localement à partir de filières durables, comme le bois, la terre, la paille de chanvre, le bambou. L’habitat doit être imaginé par des architectes pour répondre aux besoins spécifiques des territoires, en tenant compte de leur géographie, de leur climat et des modes de vies de leurs habitants. Il doit aussi être plus économe en énergie et plus résilient face aux catastrophes naturelles qui vont se multiplier. Au-delà des outre-mer, inventer cet habitat de demain est un défi pour l’ensemble du pays.
Fidèles à leur tradition décentralisatrice, les écologistes ont toujours plaidé pour la différenciation des territoires, l’adaptation des normes et le renforcement des tissus économiques locaux. Ce qui est vrai pour résorber la fracture territoriale en métropole prend une dimension bien supérieure dès qu’il s’agit des territoires ultramarins.
De nombreuses préconisations du rapport ont un intérêt majeur. Elles permettraient de renforcer et de créer des tissus économiques locaux, de créer des emplois pour tout niveau de qualification, de créer de la richesse et de limiter l’exode de la jeunesse ultramarine, exode responsable également du vieillissement évoqué dans le rapport d’information.
Au-delà des nombreux bénéfices écologiques de ces propositions, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, leur mise en œuvre permettrait de doter les territoires ultramarins d’outils concrets pour prendre à bras-le-corps le défi du logement dont nous débattons ce soir.
Chaque territoire ultramarin dispose de savoir-faire traditionnels qu’il faudrait non seulement sauvegarder, mais aussi valoriser. Ainsi, la renaissance de la filière de la brique de terre comprimée à Mayotte doit être soutenue et étendue à d’autres expérimentations.
Dans tous les territoires, les potentialités sont multiples. J’en citerai quelques-unes pour vous faire voyager : pin des Caraïbes, bambou, bagasse, vétiver, falcata, amarante appelée aussi bois violet, angélique, gaïac, wacapou, wapa, etc. L’exemple de l’écomusée Te Fare Natura à Moorea en Polynésie française, conçu pour mettre en avant le bois et le style local, doit être érigé en modèle. Avec les matériaux biosourcés, c’est l’habitat vernaculaire qu’il faut réhabiliter.
Partout où une alternative existe, il faut substituer au béton des matériaux locaux moins onéreux, plus vertueux et beaucoup plus efficaces compte tenu des conditions climatiques – ils résistent souvent mieux à l’humidité et à la salinité de l’air. Ils sont également plus efficaces pour concevoir des logements mieux aérés, diminuant les besoins en climatisation, et mieux isolés pour limiter les besoins thermiques. Ils sont enfin plus efficaces face au risque sismique.
Si le béton a d’indéniables qualités, s’il résiste notamment mieux au risque cyclonique, c’est également une ressource non renouvelable et importée. Des alternatives doivent être trouvées pour limiter son usage au strict nécessaire. Comme les auteurs du rapport d’information, nous pensons qu’il faut plutôt privilégier les techniques locales et déjà expérimentées plutôt que de durcir la réglementation paracyclonique. Les architectes auditionnés ont rappelé qu’ils savaient concilier les différents risques dans la conception de l’habitation, mais aussi proposer des solutions de refuge adaptées.
Plus largement, nous sommes entièrement favorables à la promotion d’une architecture bioclimatique performante, reposant sur des savoir-faire traditionnels sublimés par les connaissances de notre siècle. À ce titre, comme le suggère le rapport d’information, les territoires ultramarins sont, et peuvent être davantage encore, de véritables laboratoires à ciel ouvert, des terres d’innovation et d’expérimentation.
Considérant les besoins de logements neufs, la réglementation environnementale 2020 (RE2020) trouvera en outre-mer une application proportionnellement plus massive qu’en métropole. Faisons de nos territoires ultramarins le modèle de nos nouvelles ambitions écologiques en matière de construction, en associant matériaux naturels et production d’énergies renouvelables ! On pourra ainsi constater que construction vertueuse, confort de vie et développement économique se conjuguent favorablement. Tout ira ainsi de mieux en mieux ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et RDPI.)