Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le président Serge Babary d’avoir proposé ce débat portant sur la proposition de résolution de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Développer la RSE est important pour l’ensemble de nos entreprises, bien sûr, mais aussi pour notre économie, car notre monde est en pleine mutation. L’effort important que nous devons consentir pour nous y adapter concerne aussi nos entreprises, c’est-à-dire les valeurs qui les fondent, les hommes et les femmes qui y travaillent, les objectifs qu’elles visent et les produits qu’elles fabriquent.
Nos entreprises en France et en Europe sont confrontées à trois défis majeurs.
Le premier, déjà ancien, est celui de la compétitivité face à une concurrence internationale toujours plus aiguisée.
Le deuxième défi, fondamental, est celui de la transition énergétique et écologique, qui nécessite d’adapter tout le processus de production de biens et de services aux impératifs du changement climatique.
Enfin, le troisième défi est celui du capital humain. Nos entreprises peinent à conserver dans la durée leurs cadres, soucieux de plus d’autonomie et d’une responsabilité différente. Elles peinent aussi à attirer les plus jeunes et les meilleurs diplômés par la seule promesse d’une stabilité professionnelle et d’une bonne rémunération. Là encore, la crise sanitaire a rendu cette réalité tangible à tous : le bien-être au travail et la quête de sens dans le travail sont aujourd’hui au cœur des problématiques de recrutement.
Dans ce contexte général, face à ces trois défis majeurs, les entreprises françaises disposent globalement d’atouts solides. La France a joué un rôle de précurseur en matière de RSE ; il s’agit aujourd’hui de conserver ce leadership et d’en faire un atout pour nos entreprises.
Depuis des années maintenant, la RSE a essaimé un peu partout. Les grands groupes et les entreprises s’en sont saisis et communiquent beaucoup sur cette démarche. Je m’en réjouis, mais il s’agit de faire plus et mieux : il ne faut plus dire que l’on fait, mais faire réellement. La RSE doit être partie intégrante du business model de l’entreprise, pour lui conférer des atouts à la mesure de ses engagements.
L’accélération normative – particulièrement celle de l’Union européenne, mais aussi celle voulue par les autorités françaises – est très importante en ce domaine. Le rapport en rend compte de façon détaillée.
Ainsi, depuis le 1er janvier de cette année, les entreprises de plus de 250 salariés réalisant 40 millions d’euros de chiffres d’affaires ou 20 millions d’euros en total du bilan doivent réaliser un « bilan des émissions de gaz à effet serre » particulièrement exigeant et précis. C’est un élément à souligner.
La directive CSRD, qui prévoit d’harmoniser et de standardiser ce reporting, est entrée en vigueur le 5 janvier dernier.
Elle élargit considérablement le périmètre des sociétés et entreprises potentiellement soumises à la publication d’informations extrafinancières. Selon les évaluations, cela concernerait plus de 50 000 entreprises européennes, soit cinq fois plus qu’actuellement. Cela aura un impact sur nombre de petites et moyennes entreprises sous-traitantes ou cocontractantes, affectant donc largement notre tissu de PME.
Nous avons proposé – je m’exprime ici également en tant que rapporteure des travaux de la délégation aux entreprises – que cette information extrafinancière soit harmonisée sous le contrôle d’une autorité publique européenne.
Enfin, s’agissant des PME, si le reporting et son contrôle sont essentiels, il paraît indispensable d’aller au-delà de ce contrôle formel et d’accompagner réellement ces entreprises, dont les finances sont contraintes, dans l’évolution de leurs pratiques. Il me semble également important d’accompagner les auditeurs des PME, qui n’ont pas les moyens des Big Four en matière de conseil.
La RSE est non pas un effet de mode, mais un levier au bénéfice des économies et des entreprises européennes, pour que celles-ci se dotent d’un atout majeur.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Je vous répondrai tout d’abord, madame la rapporteure, sur les professions du chiffre.
Les commissaires aux comptes (CAC) joueront un rôle important dans l’application de la directive CSRD, et ils le savent. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) est déjà très active pour former ces professionnels. La performance extrafinancière fait en effet appel à des compétences nouvelles. Ce chantier est en cours, et j’y suis attentive.
Par ailleurs, je travaille avec le ministère de la justice sur les moyens de faciliter l’accès au stage de commissariat aux comptes pour les professionnels du développement durable, ce qui pourrait se traduire par une admission sur dossier plutôt que par concours. Cela permettrait deux types d’approches, celle du chiffre et celle du développement durable. Le contrôle des pratiques en matière environnementale, sociale et de gouvernance suppose en effet de maîtriser des connaissances autres que comptables.
Pour ce qui concerne l’Esma (European Securities and Markets authority), l’Autorité européenne des marchés financiers, la France a défendu à de nombreuses reprises l’introduction à l’échelon européen d’une réglementation encadrant l’activité des agences de notation – le sénateur Lemoyne l’avait mentionné. Une telle réglementation devrait être proposée par la Commission européenne dans les tout prochains mois. Outre la directive sur les agences de notation, la France suit de très près ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux, moi aussi, remercier le président Babary et la délégation aux entreprises d’avoir proposé de débattre de ce sujet.
Si l’on reprend le fil de l’histoire, la responsabilité sociétale des entreprises s’est établie comme concept intellectuel dans le courant des années 2000. D’abord facultative et volontaire, cette approche méthodologique a permis de fournir une grille d’analyse nouvelle pour la compréhension du rôle des entreprises, non seulement dans le système économique, mais plus globalement au sein de la société.
Il faut envisager l’avènement de la RSE comme un contre-pied à la libéralisation et à la financiarisation de l’économie opérées à partir de la fin des années 1980.
Ce phénomène a fini par apporter son lot de questionnements. Quel doit être le rôle des actionnaires dans l’économie ? L’investissement, notamment privé, doit-il viser d’autres buts que la simple rentabilité financière ? Les entreprises ont-elles le devoir de compenser les externalités négatives liées à leurs activités ? Doivent-elles avoir comme objectif de produire un maximum d’externalités positives ? De cette question est plus ou moins issu le statut d’« entreprise à mission ».
La RSE, dans un premier temps, a permis de conceptualiser la manière dont les entreprises pouvaient affecter positivement leurs écosystèmes respectifs. Néanmoins, on assiste depuis quelques années à une influence juridique croissante de la RSE.
Étant limité par le temps, je souhaiterais aborder un aspect précis de cette influence juridique croissante.
L’impact de la RSE sur le secteur financier a été particulièrement spectaculaire au cours de la décennie qui vient de s’achever. Je pense que l’orientation de l’épargne des entreprises et des ménages vers des activités vertueuses sur le plan environnemental ou social constitue indéniablement une avancée importante. Mais cet élargissement des critères extrafinanciers n’est pas sans poser de difficultés.
La première d’entre elles est la qualité de l’information non financière dont disposent les investisseurs sur les structures dans lesquelles ils investissent. Le règlement dit SFDR (Sustainable Finance Disclosure), entré en application en 2021, devrait permettre d’unifier cette documentation. Mais la marche à franchir pour les entreprises est très grande et le calendrier très serré.
La seconde difficulté majeure réside dans une conception trop restrictive de la taxonomie européenne. Plusieurs secteurs font régulièrement savoir qu’ils éprouvent de grandes difficultés à trouver des financements. Je pense notamment à l’industrie de la défense, qui n’entre pas dans les critères de la taxonomie européenne, alors qu’elle concourt à l’indépendance de notre pays, ainsi qu’à la défense de nos intérêts vitaux.
Cette problématique ne concerne pas seulement les groupes intermédiaires. Depuis quelques années, certains de nos plus grands groupes de défense se retrouvent en difficulté pour lever des financements.
Par effet collatéral, la concentration de l’épargne sur des secteurs labellisés comme « verts » pourrait conduire au sous-financement d’autres secteurs tout aussi importants pour l’économie française et européenne.
Ma question est donc simple, madame la ministre : dans quelle mesure le Gouvernement peut-il favoriser l’accès des entreprises stratégiques à l’épargne privée, notamment dans le secteur de la défense, et éviter que l’application des critères de la taxonomie conduise à un sous-financement chronique de certains secteurs ? (Mme Françoise Férat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Moga, vous venez d’évoquer, dans la première partie de votre question, le fameux règlement SFDR. Cela me fait plaisir de l’entendre, car il m’est arrivé d’être assez seule pour en parler et y travailler…
Le cadre européen, qui définit, via le règlement SFDR, les exigences spécifiques de reporting pour les acteurs financiers s’inspire largement, vous le savez, de l’article 173 de la loi française relative à la transition énergétique du 17 août 2015.
La France est restée fer de lance sur le sujet, avec l’adoption, en 2021, de l’article 29 de la loi relative à l’énergie et au climat, dite Énergie-climat, qui a fait l’objet d’un décret d’application. Ce nouveau cadre réglementaire confirme notre forte ambition en matière de finance durable et établit un reporting plus ambitieux, en particulier s’agissant de l’alignement des investissements sur les objectifs climatiques et de biodiversité, ainsi que sur la gestion des risques.
Pour autant, le règlement SFDR pourrait être renforcé et précisé : j’emploie le conditionnel, car il s’agit d’une option qui est actuellement envisagée par la Commission européenne. Un certain nombre d’éléments ne figurent pas dans ce règlement, et nous avons engagé des discussions avec la Commission pour éviter que, sous couvert de produits financiers divers, d’autres actifs ne soient intégrés dans la taxinomie verte.
Vous avez également mentionné une question très importante : le risque d’éviction que pourraient subir des industries stratégiques, par exemple du secteur de la défense. Mais comme j’ai déjà dépassé mon temps de parole de quinze secondes, je vous propose, monsieur le sénateur, de vous répondre sur ce point par écrit dans les jours qui viennent.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus de vingt ans, la France s’est engagée à développer ce que l’on appelle la « responsabilité sociétale des entreprises », en demandant à ces dernières de rendre des comptes sur autre chose que leurs performances financières.
La loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a ainsi posé les premiers fondements du cadre législatif en matière de RSE. Elle prévoit notamment que les entreprises cotées en Bourse indiquent dans leur rapport annuel une série d’informations relatives aux conséquences sociales et environnementales de leurs activités.
Avec les lois Grenelle I et II, le concept de RSE a été démocratisé et élargi à toutes les entreprises de plus de 500 salariés avec un bilan supérieur à 100 millions d’euros.
Les exigences en matière de RSE n’ont eu de cesse de se renforcer, au plan tant national qu’européen. Afin d’accélérer le changement, la commande publique a un rôle important à jouer. La loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire impose d’ailleurs désormais aux acheteurs publics un seuil minimal de 20 % d’acquisition de produits issus du réemploi ou du reconditionnement.
La commande publique a également été affectée par la loi Climat et résilience de 2021. Ainsi, le Plan national pour des achats durables 2022-2025 a pour grand objectif d’accompagner les acheteurs publics dans la mise en œuvre de cette loi.
Les objectifs sont ambitieux : d’ici à 2025, quelque 100 % des marchés publics devront intégrer des considérations environnementales et 30 % devront comprendre des considérations sociales.
La RSE n’a jamais été qu’un simple instrument de communication, comme peuvent l’affirmer certains de ses détracteurs : elle constitue un levier de résilience, qui permet à l’entreprise de se développer et de s’adapter à l’évolution de son environnement. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont nécessaires, notamment pour aborder l’ensemble des transitions qui doivent être mises en œuvre.
Pour autant, la RSE ne doit pas être synonyme de choc de complexité, comme le souligne le rapport d’information. C’est pourtant ce que laisse craindre l’adoption par le Parlement européen, le 10 novembre dernier, de la directive dite CSRD sur la communication des données de durabilité, qui élargit l’obligation de diffusion d’informations sociales et environnementales à un grand nombre d’entreprises européennes jusqu’alors non concernées, notamment les PME.
Ce sont donc environ 50 000 PME, en plus des entreprises cotées en Bourse, qui devront se soumettre à cette nouvelle directive. Légitimement, nous pouvons nous interroger sur la question de l’impact de cette décision sur les PME qui n’ont pas encore l’ingénierie nécessaire pour répondre à ces nouvelles obligations.
La RSE doit être intégrée au développement de l’entreprise, mais elle ne doit pas la pénaliser. Imposer la RSE à marche forcée aux petites entreprises, qui sont d’ailleurs souvent les plus vertueuses, est contre-productif. Comme l’indique le rapport, il est nécessaire de proportionner ces nouvelles exigences à la taille de l’entreprise.
Enfin, je rappellerai combien la bataille des normes évoquée dans le rapport est cruciale.
Une domination des normes et d’une notation extrafinancière américaines constituerait un véritable handicap pour les entreprises européennes. Comment imaginer que ces dernières soient jugées sur des critères non européens, s’opposant parfois à notre culture, tels que les critères ethniques dans l’insertion professionnelle ? Il faut donc aller vers des normes européennes, qui imposeront un référentiel clair dans l’Union.
Je terminerai cette intervention en soulignant que, en France, la majorité des PME repose sur un modèle de capitalisme familial, comme je le constate dans mon beau département de la Mayenne. Ces entreprises ont dans leur ADN un engagement naturel en faveur des territoires sur lesquels elles sont implantées et une attitude bienveillante à l’égard de leurs salariés.
Les entreprises françaises n’ont pas attendu qu’on leur dicte des normes RSE pour s’impliquer. Continuons à les encourager à aller en ce sens et, surtout, veillons à ne pas les pénaliser à propos d’un sujet sur lequel elles font déjà preuve d’un grand volontarisme.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Vous avez abordé, monsieur le sénateur, un certain nombre de sujets.
Je commencerai par répondre à votre dernière remarque. Peut-être ne l’ai-je pas souligné assez clairement, mais nous sommes tous d’accord pour dire que la France est plutôt en avance en matière de RSE, ce qui constitue une bonne raison pour participer à la rationalisation de la RSE au plan européen.
De nombreuses PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) ont des pratiques responsables à l’endroit de leurs salariés, de leur territoire, de leurs fournisseurs et de l’environnement. C’est justement pour mieux les valoriser et les comparer à d’autres PME européennes, moins vertueuses, que la directive CSRD présente un intérêt pour la France. J’assume totalement mon propos : ce règlement est un outil de compétitivité pour les entreprises européennes et pour nos PME.
J’ai évoqué il y a quelques instants, en réponse à Mme la sénatrice Férat, la proportionnalité et la progressivité : le calendrier et les indicateurs appliqués à nos PME, aussi bien en termes de profondeur que d’ampleur du travail, ne seront pas les mêmes.
Je le rappelle, le champ de la directive ne concerne que les PME cotées, même si la directive peut avoir des incidences plus larges dans le cadre de la chaîne de sous-traitance. J’y insiste, car, même si cela n’a pas été votre cas, monsieur le sénateur, certains jouent à se faire peur : les PME françaises non cotées ne seront pas contraintes par les 80 indicateurs macrosectoriels de la directive CSRD. Nous avons assez de raisons d’être angoissés pour ne pas en rajouter !
Nos PME ont de l’avance. Et, comme j’aurai l’occasion de le dire en conclusion dans quelques minutes, elles sont plutôt allantes, et pas seulement les PME familiales. Vous l’avez rappelé, notre code du travail est assez exigeant, nous n’avons pas de retard en matière de considérations environnementales et, en ce qui concerne la gouvernance, nous avons saisi la balle au bond. Nos PME peuvent donc tirer profit de cette législation.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. La taille de l’entreprise est prise en compte ; la progressivité et la proportionnalité sont acquises. L’adoption de la directive le 24 février dernier nous a permis de gagner sur ces points. À nous maintenant de mettre en œuvre ce texte : nous avons cinq ans pour l’appliquer à nos PME cotées.
Nous sommes tout à fait capables de le faire, en accompagnant au mieux nos entreprises ; c’est un point que j’évoquerai en conclusion.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais tout d’abord remercier les auteurs de ce rapport et le président de la délégation aux entreprises, M. Babary.
Je veux les remercier de la qualité de leur travail et de leur détermination s’agissant de la RSE, année après année. Je me réjouis que, malgré les divergences politiques – elles enrichissent le débat ! –, nous partagions les mêmes constats et, je le crois, les mêmes préoccupations. De même, pour la plupart d’entre vous, vous souscrivez aux mêmes objectifs et proposez les mêmes moyens pour les atteindre.
Nous sommes d’accord sur l’importance, pour ne pas dire sur l’urgence, de la transition écologique, sociale, mais aussi de gouvernance de nos entreprises. Une fois dit cela, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que nous sommes en train de construire des outils dont on ne sait pas encore s’ils seront parfaitement opérants face aux défis immenses que pose l’adaptation de nos sociétés et de nos économies à la nouvelle donne climatique.
En tant que secrétaire d’État à l’économie responsable, mon problème était de faire en sorte que les entreprises soient force de propositions. Désormais, en tant que ministre déléguée chargée des PME, il est de faire en sorte que toutes les entreprises puissent adopter ces nouvelles règles du jeu.
La réglementation extrafinancière, telle qu’elle se présente aujourd’hui pour des non-initiés – ne nous voilons pas la face, c’est le cas d’une immense majorité de nos entreprises, notamment de nos PME – représente un choc de complexité, pour reprendre à mon compte l’expression employée par plusieurs d’entre vous.
Cette complexité est une évidence aujourd’hui, mais tout l’enjeu est d’éviter qu’elle ne devienne une réalité demain. Vous l’avez dit et je l’ai répété il y a quelques instants, les PME ne sont pas directement concernées par la plupart des réglementations en cours d’élaboration, mais il faut admettre qu’elles le seront indirectement.
Elles le seront structurellement, parce que la transition écologique suppose un changement de modèle pour toutes les entreprises, et pas uniquement pour les plus grandes d’entre elles.
Elles le seront socialement, parce que les consommateurs demandent des biens et des services plus durables, mais aussi parce que, pour faire tourner nos belles entreprises, il faut des salariés.
Or, vous l’avez dit, madame la sénatrice Blatrix Contat, les jeunes salariés n’arbitrent pas entre les différentes entreprises où ils pourraient travailler selon le seul critère de la performance financière. La RSE est un enjeu d’attractivité majeur dans la bataille des compétences que nos PME doivent gagner. Je suis parfois inquiète d’entendre – cela n’a pas été le cas ce soir et je vous en remercie – des discours assez radicaux du style : « Surtout pas nos PME ! »
Dans dix ans se tiendront ici même des débats au cours desquels on se demandera quelle mouche nous avait piqués pour laisser les PME passer à côté de cette révolution environnementale, sociale et de gouvernance !
En effet, si nous agissons ainsi, nous aurons dans dix ou quinze ans des entreprises à deux vitesses : celles qui mèneront une réelle politique de RSE attireront les talents, et les autres, dont nous savons pertinemment qu’elles manquent déjà de compétences, se retrouveront sur le bord du chemin.
En tant que ministre déléguée aux PME, ce sujet m’interpelle tout particulièrement. Je sais que la RSE est plus difficile à mettre en œuvre par ces entreprises, mais je sais aussi que s’abstenir de le faire serait irresponsable. Ne pas embarquer nos PME dans la révolution de l’extrafinancier et de la responsabilité sociale des entreprises reviendrait à les condamner ou à insulter leur avenir.
Elles le seront juridiquement, enfin, parce que, comme nous l’avons relevé, les donneurs d’ordres de nombreuses TPE et PME réclameront de plus en plus d’informations environnementales et sociales dans le cadre de la chaîne de valeur.
J’ai demandé à la direction générale des entreprises (DGE) de travailler à l’amélioration de la plateforme impact.gouv.fr, que je chéris – car, oui, on peut chérir des plateformes ! (Sourires.)
Je l’ai lancée il y a un peu plus d’un an, et l’on m’avait dit à l’époque, au-delà du fait que cela ne marcherait jamais, que les PME ne l’utiliseraient pas… Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à prendre le temps d’aller consulter ce site : la majorité des entreprises sont des PME, qui donnent les informations qu’elles peuvent recueillir sur leur bilan carbone et leur bilan social, en jouant le jeu de la transparence en matière de RSE.
J’ai proposé à la DGE d’en faire l’outil public de référence, pour permettre aux entreprises, notamment aux PME, de se conformer à la réglementation, en simplifiant leur parcours et en les accompagnant auprès des administrations. Impact.gouv.fr va donc évoluer, pour devenir une plateforme d’accompagnement dans la mise en œuvre des référentiels qui deviendront obligatoires pour nos ETI et nos PME.
Une nouvelle version du site sera déployée dans les prochains mois. Ce n’est pas parce que j’ai changé de poste que je ne suis pas attentivement l’évolution de cette plateforme qui, j’y insiste, permettra de mieux accompagner nos entreprises, notamment les PME, qu’elles soient cotées ou non. Je pourrais de nouveau évoquer avec vous ce sujet à l’avenir si cela vous intéresse.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la délégation.
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la qualité de nos échanges justifie que nous ayons porté au débat les conclusions de notre rapport.
Nous nous intéressons depuis quelque temps déjà à la responsabilité sociétale des entreprises. Ainsi que l’ont rappelé les trois rapporteurs en introduction, la délégation aux entreprises s’est penchée à deux reprises, en juin 2020 et en octobre dernier, sur le sujet.
Dès 1972, Antoine Riboud, PDG de Danone, expliquait aux assises nationales du Conseil national du patronat français (CNPF) que « la responsabilité de l’entreprise ne s’arrête pas au seuil des usines ou des bureaux. Son action se fait sentir dans la collectivité tout entière et influe sur la qualité de la vie de chaque citoyen. » Presque trente ans plus tard, la même définition était reprise par la Commission européenne, dans son livre vert de juillet 2001. La France s’est voulue, et a été, pionnière en la matière, emportant l’Union européenne vers une nouvelle définition de l’entreprise.
Ce mouvement s’est cependant traduit parallèlement par une accumulation de normes, volontaires et légales, européennes et nationales, visant principalement les grandes entreprises, d’abord cotées, puis, par ruissellement, les ETI et les PME. Notre collègue Martine Berthet en a décrit pertinemment le processus.
En effet, les émetteurs de normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) raisonnent verticalement et produisent en silos, tandis que le chef d’entreprise est souvent bien seul, surtout dans une PME, avec d’autres préoccupations et priorités.
Qui a chiffré le coût organisationnel, humain et financier de ces normes qui, individuellement, sont toutes justifiées, mais qui, alignées, cumulées, sédimentées, sont en capacité d’affaiblir la compétitivité de nos entreprises, surtout si leurs concurrents non européens s’en exonèrent ?
Certes, la RSE est un atout. Elle devient un critère désormais déterminant des investisseurs, même si la finance verte reste encore bien grise, comme l’a souligné notre collègue Florence Blatrix Contat… Mais la nécessité de simplifier, d’harmoniser et d’adapter, notamment pour les PME, évoquée dans le premier rapport de la délégation de 2020, reste plus que jamais d’actualité.
Plus généralement, la simplification de notre appareil administratif et de nos normes économiques ou financières doit redevenir une politique publique. C’est la raison pour laquelle la délégation lance un nouveau cycle d’auditions sur ce sujet. Les entreprises attendent toujours un véritable choc de simplification, et je sais que vous y êtes, madame la ministre, extrêmement sensible.
Avec la loi Pacte, les entreprises se sont vu proposer une sorte de « statut RSE » pour transformer leur nature juridique, afin de prendre en considération les impacts tant positifs que négatifs sur leurs parties prenantes. Il faut les protéger dans cette démarche.
C’est pourquoi nous avons proposé, dans notre rapport d’information d’octobre 2022, qu’un investisseur puisse être obligé de préciser ses intentions lorsqu’il conteste la démarche RSE d’une société, afin de permettre à cette dernière d’accélérer l’alignement de sa stratégie sur les objectifs ESG qu’elle se propose d’atteindre.
Je me réjouis de constater que le Club des juristes a rejoint les conclusions de la délégation aux entreprises dans la mise à jour de décembre 2022 de son rapport d’information de 2019 sur l’activisme actionnarial. Il suggère que l’Autorité des marchés financiers (AMF) propose une recommandation visant à ce que tout investisseur prenant publiquement des positions en vue d’influencer la stratégie, la situation financière ou la gouvernance d’un émetteur déclare ses niveaux de participation à l’émetteur et, plus généralement, au public au-delà des obligations déclaratives résultant d’un franchissement de seuil.
Nous avons tous en mémoire l’affaire Danone – elle a été citée. Cette entreprise était engagée dans une démarche RSE qui a déplu à des fonds activistes craignant un moindre profit…
Je rejoins également notre collègue Jacques Le Nay quant à la nécessité d’une harmonisation mondiale des normes ESG, sans sacrifier la double matérialité, qui est une véritable valeur ajoutée européenne. Pour cela, ce dossier doit être porté au plus haut niveau de l’État et bénéficier d’un suivi attentif du Conseil européen.
La métrique des émissions carbone et la comptabilité extrafinancière restent à construire. L’Union européenne ne peut se défausser sur des acteurs privés, a fortiori américains, pour les définir. Il y va de la reconquête de notre souveraineté économique.
C’est à ces conditions – simplification, consolidation, unification – que l’ambition de la RSE doit devenir un atout pour chaque entreprise, française ou européenne, quelle que soit sa taille. (Applaudissements.)