Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter la délégation aux entreprises de la qualité des travaux entrepris dans ce deuxième rapport d’information sur la responsabilité sociétale des entreprises, notamment l’investissement de son président Serge Babary, ainsi que celui des rapporteurs Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Jacques Le Nay.
Plus qu’un acronyme, la RSE est désormais au cœur de la vie de nos entreprises. Pratiques de management, exigences comptables ou encore transparence des données : aucun pan de la vie d’une entreprise n’y échappe.
Si les plus importantes de nos sociétés n’ont pas de difficulté à se saisir du sujet, ce n’est pas le cas pour nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) et PME, qui n’ont bien souvent pas les moyens humains ou financiers de mettre en œuvre des stratégies de RSE ambitieuses.
Pourtant, cette mise en œuvre revêt une importance déterminante tant pour notre planète que pour la compétitivité de nos entreprises.
Le défi de la transition écologique et de l’adaptation au changement climatique ne doit pas être uniquement l’affaire des collectivités locales : il doit aussi concerner les habitants et les entreprises. Ces dernières détiennent un véritable pouvoir pour changer le comportement des consommateurs en proposant des biens et services durables, conçus dans une responsabilité sociétale.
Souvent en économie et en marketing, l’offre crée la demande. Proposez des produits responsables et qualitatifs : ils trouveront preneurs ! Les consommateurs sont très attentifs aux engagements sociaux et environnementaux des entreprises.
La disparition de la taxe professionnelle et l’annonce de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pourraient distendre les liens entre le territoire et les entreprises. La RSE permet de les retisser. Les plus petites entreprises auront d’ailleurs tendance à avoir un lien de proximité externe « à leur taille » pour témoigner d’une implication sociétale, avec l’école du village ou du quartier, la commune ou des associations locales.
La norme ISO 26000, standard international, qui définit le périmètre de la RSE autour de sept thématiques centrales, prévoit des obligations en matière de communautés et de développement local.
Afin de faire de la RSE un véritable atout pour toutes nos entreprises, y compris les plus petites, il est donc urgent d’agir à triple titre.
Premièrement, nous devons mettre en œuvre un choc de simplification en matière de RSE, afin que chaque entreprise puisse respecter les obligations françaises et européennes, notamment dans le cadre de la future directive CSRD. Cela passera notamment par la création d’un référentiel RSE adapté aux ETI et aux PME.
Deuxièmement, nous devons promouvoir un modèle de RSE complet, car deux des trois piliers des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la mise en œuvre d’une politique sociale et l’existence d’une gouvernance transparente, évoluent aujourd’hui dans l’ombre de la lutte contre le réchauffement climatique. La RSE n’est pas une responsabilité environnementale des entreprises, mais elle est une responsabilité sociétale de celles-ci.
Troisièmement, les pouvoirs publics doivent davantage prendre leur part, afin de rendre la RSE opérante. L’obligation d’une clause environnementale dans des marchés publics d’ici à 2025 est une première étape. Cependant, nous devons aller plus loin. À ce titre, je salue la proposition des rapporteurs d’intégrer un droit de préférence pour les offres des entreprises ayant une stratégie en matière de RSE, à égalité de prix ou à équivalence d’offre. Un tel droit sera un outil précieux pour faire de la RSE un atout pour la compétitivité d’une entreprise.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, si avec les membres du groupe Union Centriste nous saluons la montée en puissance de la RSE au sein de nos entreprises, nous estimons qu’elle doit être accessible à l’ensemble.
Nous devons continuer de travailler pour faire de ce principe une véritable réalité sur le terrain et un outil pour la compétitivité des entreprises les plus vertueuses. Ainsi, la RSE deviendra un atout pour notre économie et nos entreprises.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Le Gouvernement est attaché à deux fondamentaux que vous avez abordés, madame la sénatrice : la proportionnalité et la progressivité, notamment à l’endroit des entreprises de taille intermédiaire que vous avez mentionnées.
L’objectif pour la France est désormais de transposer au cours de l’année 2023, et en tout état de cause d’ici à juillet 2024, la directive CSRD entrée en vigueur le 14 décembre dernier. Il n’est pas possible, par conséquent, de redéfinir le périmètre des entreprises concernées ou de revenir sur le principe des informations publiées.
En revanche, durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Gouvernement a veillé – j’y ai travaillé très personnellement – à ce que la directive soit proportionnée pour nos entreprises. C’est le cas pour le périmètre des entreprises concernées, puisque les PME qui n’ont pas émis d’actions ou d’obligations sur les marchés réglementés ne sont pas concernées.
En outre, les PME cotées seront exemptées de toute obligation si elles sont couvertes par le rapport de durabilité de leur société mère.
Par ailleurs, dans le cadre de la consultation sur les projets d’indicateurs de rapportage, la France sera particulièrement attentive au nécessaire respect de la confidentialité d’un certain nombre d’informations. La directive permet d’ailleurs aux États membres d’autoriser les entreprises à ne pas publier certaines informations dans des cas exceptionnels dûment motivés lorsque cela nuirait gravement à la position commerciale de l’entreprise face à ses concurrents.
Au-delà de la proportionnalité, permettez-moi de citer quelques dates concernant la progressivité. En 2025 seront concernées les grandes entreprises de plus de 500 salariés cotées sur le marché ou exerçant dans les secteurs de la banque et de l’assurance. En 2026 viendra le tour des grandes entreprises de 250 à 500 salariés. En 2027, seront concernées les PME cotées, avec possibilité de report d’une année, et en 2029 les filiales et succursales de grandes entreprises extraeuropéennes.
Nous avons donc veillé à la proportionnalité, tout particulièrement pour ce qui concerne les PME. L’idée n’est pas de pantoufler et de ne rien faire jusqu’en 2027. Nous avons cinq années devant nous pour les accompagner, les prévenir et, surtout, ne pas effrayer, ce que vous ne faites pas, mais d’autres ne s’en privent pas, celles qui ne seraient pas concernées par le champ de la directive.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Responsabilité sociétale des entreprises, RSE pour les initiés, ou comment assumer sa responsabilité face à la société ?
Si elle mérite d’être connue, la norme ISO 26000 publiée en 2010 a apporté un consensus à la RSE. Cinq ans de travail pour quatre-vingt-dix-neuf pays qui y ont planché. Pourtant, sa notoriété laisse à désirer.
Dans une enquête destinée aux maires de mon département, 39 % des élus ne savent pas ce qu’est la responsabilité sociétale des entreprises. Sur dix-sept étudiants en master 2 de droit rencontrés cette semaine, 100 % ne savaient pas quels enjeux l’entourent. Douze ans après, il est donc primordial d’enfoncer le clou.
La délégation aux entreprises s’est emparée voilà deux ans du sujet avec un rapport d’information dont le titre, Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager, était sans ambiguïté.
Car il s’agit bien de cela : l’exemplarité, que ce soit dans la gouvernance, dans le respect des droits de l’homme, dans les conditions de travail, dans la contribution au développement local, dans les bonnes pratiques, dans la protection du consommateur et, évidemment, de l’environnement.
D’abord destinée aux grandes entreprises, la RSE s’est adaptée et s’est ouverte aux PME et aux ETI, avec une évaluation concentrée sur cinq principes au lieu de sept. Les enjeux sont environnementaux, sociétaux et économiques, collant au triptyque du développement durable.
Dans ce rapport, la délégation aux entreprises présente avec réalité un monde qui n’est pas celui des Bisounours. Certains ont détourné les enjeux éthiques en affichant une image avant les actes, voire sans les actes. Greenwashing ou purpose washing, la manipulation reste la même : on profite de la vague des bonnes intentions pour surfer sur le faux.
Dans un contexte d’après-covid et de crise économique, énergétique, certaines entreprises ont démissionné du processus. D’autres se sont désengagées ou ont baissé la garde, ce qui a entraîné leur expulsion de la labélisation. Certaines, du coup, critiquent ce qui les avait pourtant motivées.
L’enjeu d’image est primordial dans un contexte de concurrence mondiale ; le dénigrement du label est une revanche pas très fair-play pour des groupes qui s’en sont servis sans limites dans leur stratégie de communication…
C’est précisément ce contexte de concurrence mondiale qui doit pousser la France et l’Europe à défendre la norme ISO 26000 qu’il faut réaffirmer plutôt, d’ailleurs, que le reporting, qui ne fait référence à aucune norme.
Les experts savent que les Américains, qui ne partagent pas les mêmes valeurs de l’entreprise, ont toujours voté contre cette norme et ont créé B-Corp, une norme moins robuste et moins crédible. Concrètement, pas d’évaluation sur site et pas d’écoute des parties prenantes externes et internes. Un vrai chant des sirènes pour certaines entreprises qui se disent qu’elles bénéficieront de l’image de la labélisation sans grosse contrainte. C’est là tout le danger…
Danger encore, concernant l’espionnage qui s’organise via des structures d’évaluation étrangères.
L’Europe doit défendre sa vision humaniste, éthique et environnementale de l’entreprise. Il y a donc, comme le souligne ce rapport, une nécessité à accompagner les petites entreprises dans la mise en œuvre de la RSE, incontournable dans les cinq ans. Mais cela doit se faire dans le respect des textes fondateurs que sont la CSRD et la norme ISO 26000.
La CSRD est publiée au Journal officiel de l’Union européenne depuis le 1er janvier et devra être rapidement appliquée en France : elle précise le nouveau cadre européen de reporting de durabilité.
Concernant la norme ISO 26000, rappelons qu’il s’agit du seul guide méthodologique reconnu internationalement. Il est souvent question de reporting, mais cela n’est pas une fin en soi. Ce qu’il faut soutenir, c’est la RSE dans la stratégie d’organisation des structures. Le reporting, ça vient après. Plus simplement dit, ce n’est pas l’outil qui fait l’artisan !
Enfin, je ne manquerai pas l’occasion de ce débat pour vous livrer un scoop, madame la ministre. Mon cabinet vient de recevoir hier l’attestation de Label Engagé RSE, niveau exemplaire que nous avons atteint en 2019. Il est toujours le seul en France à être labélisé. Ma directrice de cabinet et mon attachée parlementaire, que je tiens à remercier publiquement, soutiennent avec motivation et détermination cet engagement à mes côtés.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Bravo !
M. Henri Cabanel. Stratégie de mandat, télétravail et covoiturage avant que ce ne soit la mode, comptabilité avant que ce ne soit obligatoire, indicateurs de résultats, etc. Bref, nous avons mis en place une méthode simple, sans usine à gaz.
Je remercie également Afnor Certification, qui nous a fait confiance en 2015, quand nous avons indiqué à cette société notre intention d’engagement.
Mon projet est de créer la responsabilité sociétale des élus. Quelque 72 maires héraultais m’ont déjà affirmé leur intention de participer à un groupe de travail que j’ai lancé : c’est une force à mes côtés. Je vous rappelle que nos cabinets ont tous un numéro Siret et que nous pouvons donc nous engager dans une démarche de RSE.
En effet, mes chers collègues, qui mieux que nous, dans ce contexte de défiance, devrait s’engager face aux citoyens ? Ne pouvons-nous être exemplaires, comme nous le demandons aux entreprises, auxquelles nous imposons des obligations toujours plus lourdes ? C’est facile pour les autres, mais plus difficile pour soi-même… C’est pourtant le sens même de l’exemplarité : montrer la voie. Le défi est lancé ! (M. Éric Gold applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Chiche, monsieur le sénateur Cabanel !
Tout d’abord, je serais très intéressée de prendre connaissance de la labellisation dont vous avez fait l’objet.
Ensuite, je suis tout à fait sensible à ce que vous avez dit sur l’exemplarité et a priori plutôt favorable à votre démarche, même si les élus, ici, sont plutôt sociétalement responsables et engagés ; c’est d’ailleurs au cœur de la fonction de l’élu. Votre initiative est particulièrement pertinente, et ce n’est pas un mot en l’air ; j’aimerais que l’on en reparle, car elle m’intéresse.
Par ailleurs, vous avez dit que 80 % des étudiants en master ne savaient pas ce qu’était la responsabilité sociale des entreprises ou ce qu’elle recouvrait. Or, parallèlement, il y a de plus en plus de chaires, de masters et de formations, continues ou secondaires, y compris dans de prestigieux instituts français, sur ces enjeux. La RSE se déploie donc, mais peut-être pas suffisamment dans les cursus universitaires plus classiques ; ce sujet important a été mentionné dans le rapport sénatorial.
Comme M. Jourdain avec la prose, de nombreuses entreprises font de la RSE sans le savoir, notamment les plus petites d’entre elles. C’est le cas, par exemple, quand un directeur de PME ou de TPE partage la valeur, donne des actions et conduit une politique associative. Même s’il ne sait pas forcément qu’il s’agit de rapportage extrafinancier, d’une démarche de développement durable ou de responsabilité sociale, tel est bien le cas !
Je suis en désaccord avec vous sur un point. Je crois, pour ma part, que l’outil va faire l’artisan. Il est indispensable que l’on avance ensemble, en Europe, sur ces 80 macro-indicateurs transversaux avant d’enclencher un travail plus sectoriel en fonction des secteurs d’activité. Même si l’outil est un peu lourd et nécessite d’être adapté aux PME, il doit être homogène, pour que nous parlions le même langage.
Cela fait vingt ans que je suis passionnée par ces sujets et que je me désole que l’on compare des choux, des carottes, des tomates et des politiques sociales…
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. J’espère que cet outil indispensable donnera lieu à une RSE homogène dans les entreprises.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Vous avez raison, madame la ministre, l’outil est indispensable. Mais il importe aussi de disposer de la philosophie adéquate pour s’engager dans la RSE. Je parle ici en tant qu’agriculteur qui s’est engagé dans le bio et qui sait que d’autres ont fait la même démarche pour bénéficier de retombées financières…
En ce qui concerne ma propre démarche RSE, je reste bien entendu à votre disposition.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer le travail de la délégation aux entreprises du Sénat sur la responsabilité sociétale des entreprises, un travail inscrit dans la durée, sous l’impulsion de son président, Serge Babary.
La RSE doit être à la portée de toutes les entreprises, ce qui nécessite une adaptation des exigences à l’échelle de chacune d’entre elles et dans un cadre européen. En ce sens, je souscris aux propositions de la délégation aux entreprises.
Toutefois, la RSE est aussi et d’abord une question de culture, d’état d’esprit, avec un rôle essentiel des conseils d’administration, qui confère à l’entreprise une mission nouvelle d’intérêt général. Je veux donc profiter du temps qui m’est imparti pour élargir le débat, tout en m’inscrivant, je le crois, au cœur de celui-ci.
La RSE, c’est d’abord la sincérité et l’exemplarité. Au-delà de la sincérité du dirigeant, qui ne peut s’ancrer que dans la durée et dans l’exemplarité, le cadre collectif et le cadre juridique sont susceptibles d’aider à réaliser cette ambition. C’est ainsi que la RSE s’inscrit dans le dépassement de l’entité, en direction à la fois d’un intérêt collectif qui la transcende et d’une attention individuelle réelle et sincère qui l’habite.
La RSE est un moyen de s’engager de manière forte et sincère, des tiers certificateurs garantissant cet engagement. Cette intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales constitue une réelle avancée.
À l’occasion de la préparation de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, Nicole Notat et Jean-Dominique Senard ont produit un rapport intitulé L’Entreprise, objet d’intérêt collectif sur la relation entre entreprise et intérêt général.
Leur rapport, qui avait vocation à être pris en compte dans l’élaboration de la loi Pacte, présente un intérêt certain pour asseoir la légitimité, l’authenticité et la sincérité indispensables à l’émergence d’une telle approche, qui peut être qualifiée d’« humaniste ».
La loi Pacte, dont l’ambition était de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois, n’a pas encore donné toute sa mesure et mériterait une évaluation dynamique d’envergure, tant sa portée est considérable. Je suis certain, madame la ministre, que vous partagez cet objectif.
Cette loi a posé le principe selon lequel l’entreprise se fixe un second objectif, parallèlement à sa profitabilité : sa raison d’être.
La raison d’être peut se définir par l’expression d’un futur désirable pour le collectif – parties constituantes et parties prenantes –, justifiant la coopération et rendant compte d’un enjeu d’innovation. Cette raison d’être, but propre de l’entreprise en tant que personne morale, pourrait permettre de renforcer l’engagement des salariés, en étant porteuse de sens.
La réappropriation par l’entreprise de sa responsabilité comme d’une raison d’être, associée à une officialisation stratégique, voire juridique, semble être une bonne piste.
La responsabilité sociétale est ainsi décryptée à travers trois niveaux d’engagement : la considération des impacts sociaux et environnementaux liés à son activité ; la réflexion sur son environnement à long terme ; le statut de « société à mission ».
Longtemps considérées comme contribuant au problème, nombre d’entreprises souhaitent aujourd’hui faire partie de la solution.
Ces défis écologiques, sociaux, scientifiques, de plus en plus d’entrepreneurs ambitionnent de les relever au travers de l’entreprise. Il y a là une occasion historique d’ouvrir la voie à de nouvelles formes d’entreprises, qui pourraient bien dessiner les contours d’un capitalisme du XXIe siècle plaçant l’intérêt des humains et de la planète au cœur de ses finalités et intégrant de nouveaux modes de partage de la valeur créée.
À cet égard, l’évaluation de la RSE, mais aussi de la mise en œuvre de la raison d’être par un tiers indépendant et de la reddition publique par les organes de gouvernance, est une nécessité absolue. La loi doit aider les entreprises à placer au cœur de leur projet la résolution des enjeux de société, sociaux et environnementaux. Elle doit aider à crédibiliser la démarche.
Les pouvoirs publics pourraient ainsi transférer ou partager avec l’entreprise la définition de l’intérêt général pour la société, mettant le chef d’entreprise, c’est-à-dire les organes dirigeants, au cœur d’une mission politique et historique. Ce serait un changement radical de l’organisation française.
Ainsi, on pourrait espérer que l’époque soit non plus à la défiance, mais à la confiance, cette dernière étant assise sur la sincérité des engagements et des convictions. Il semble que cette approche peut et doit permettre que la performance durable devienne une excellence.
La sincérité est première dans cette démarche. C’est pourquoi les cinq propositions de la délégation doivent être mises en œuvre pour franchir une nouvelle étape. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez, à votre niveau, prendre en compte ces propositions.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, la loi Pacte. Votée à cinq heures douze du matin, le 22 mai 2019, elle fait partie de ces lois que l’on n’oublie pas…
Trois ans plus tard, le temps de l’évaluer est peut-être venu, et vous me trouverez toujours à vos côtés pour le faire, voire pour renforcer et améliorer ce texte.
Au reste, je n’ai pas attendu que trois ans passent pour faire avancer la loi Pacte, notamment son chapitre III, et pour travailler sur les sociétés à mission et sur la raison d’être, comme vous l’avez rappelé. Je suis très sensible à la notion de sincérité que vous avez mentionnée à plusieurs reprises, monsieur le sénateur. Celle-ci, comme la confiance, n’exclut pas le contrôle.
Vous vous souvenez, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’avais confié une mission à M. Bris Rocher, lequel a formulé des propositions pertinentes, dont certaines sont soutenues dans le rapport de la délégation aux entreprises.
Je suis plutôt réactive en ce qui concerne les enjeux représentés par les sociétés à mission, mais je rappelle que nous avons été frappés de plein fouet par la crise de la covid-19 ; de ce fait, les premiers bilans des organismes tiers indépendants (OTI), qui sont chargés de contrôler la qualité de la mission annoncée par l’entreprise, n’ont pas été remis en temps et en heure.
Les premières sociétés à mission sont nées dès la fin de 2019, et nous commençons seulement à recevoir les rapports des OTI sur ces missions et leur adéquation avec le cœur de métier des entreprises ; il arrive en effet, vous l’avez dit, qu’une mission en soit quelque peu éloignée.
D’ici à quelques semaines ou à quelque mois, nous disposerons d’un plus grand nombre de rapports d’OTI, ce qui permettra d’améliorer la sincérité des missions. Quant à l’intégration de la raison d’être dans les statuts, je suis totalement acquise à cette idée.
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la notion de responsabilité sociétale des entreprises est essentielle. Pourtant, force est de constater que la « culture RSE » traverse une période difficile. La crise sanitaire a mis nos entreprises à rude épreuve.
Le contexte économique tendu que nous connaissons, tout particulièrement avec la hausse des coûts de l’énergie, inscrit nos entreprises dans une course d’endurance ardue. Bon nombre d’entre elles sont inquiètes.
Au même moment – on l’a entendu –, une petite musique se fait entendre : la raison d’être des acteurs économiques ne serait, pour certains, que de l’esbroufe destinée à donner une bonne image à des entreprises faussement engagées. Bref, de l’écoblanchiment ou, en bon français, du purpose washing.
Dans ce contexte, le rapport alerte sur un point : certaines entreprises pourraient être tentées, voire forcées, de négliger leurs engagements environnementaux et sociétaux. Pour couronner le tout, la complexification des obligations en matière de RSE ne cesse de croître et nous interroge sur leur accessibilité pour l’ensemble des entreprises. Ces risques doivent nous mobiliser, tant la RSE, bien loin d’être superflue, constitue au contraire un atout majeur pour gagner en compétitivité.
La RSE participe à garantir la vitalité de nos entreprises, à pérenniser leur implantation et, ainsi, à renforcer le tissu économique local. Pour atteindre ces objectifs, nous devons la revoir avec un œil neuf, nous interroger sur l’inflation normative et adapter les règles aux enjeux actuels.
C’était justement l’objet d’une proposition de notre groupe, à la suite de la mission d’information conduite par Vanina Paoli-Gagin. Il s’agit d’élargir les critères de responsabilité sociétale des grands groupes, en incitant leur collaboration avec les start-up et les PME innovantes.
Dans le même sens, si nous parlons de RSE, nous ne pouvons oublier une notion en développement : la RTE, la responsabilité territoriale des entreprises, une question que nous n’avons pas encore abordée, me semble-t-il.
La RTE permet d’appréhender le territoire d’implantation comme un espace d’ancrage responsable, d’engagement sur le temps long et de collaboration entre le public et le privé.
Dans une logique écosystémique, la RTE représente un axe fort de valorisation, dont témoigne l’enquête dévoilée en novembre 2022 par ESS France, la chambre française de l’économie sociale et solidaire. Selon celle-ci, les missions prioritaires des entreprises sont la création d’emplois, la prise en compte de la transition écologique, enfin le soutien aux filières locales. L’interdépendance progressive entre les acteurs économiques d’un même territoire ne peut qu’inspirer une approche globale de développement mutuel.
Enfin, les études montrent que les salariés sont en attente de formations, pour participer activement aux engagements de leur entreprise et donner du sens à leurs missions quotidiennes. Développer l’accès à la formation permet de changer les mentalités et d’atteindre de vrais résultats par la mobilisation collective à toutes les échelles.
Notre rôle est de continuer à bâtir un environnement propice à la bonne santé économique de nos entreprises. En concrétisant des politiques de RSE et de RTE, elles en sortiront renforcées et pourront contribuer au développement de leur territoire d’implantation.
Dès lors, madame la ministre, j’émets le souhait, au nom du groupe Les Indépendants, que la notion de territorialité soit davantage prise en compte par les entreprises dans leur activité.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Capus, j’approuve totalement vos propos, qui sont frappés au coin du bon sens, et je vous en remercie.
Le combat que nous menons, dont la France est le moteur, consiste à défendre ce sujet à l’échelon européen, auprès des 27 États membres, notamment des pays d’Europe de l’Est dans lesquels la culture de la RSE – vous avez été nombreux à le dire – est très différente de la nôtre, quand elle n’est pas naissante ou balbutiante.
Vous l’avez dit, et M. Cabanel l’avait souligné avant vous, nous avons la volonté de défendre notre modèle de capitalisme européen. Les premiers intervenants de ce débat ont fait état du devoir de vigilance ; Mme Brulin a ainsi évoqué les droits de l’homme. C’est un combat titanesque qu’il nous faut mener pour partager, au-delà des indicateurs, ces pratiques d’entreprises dans l’ensemble des pays européens, dans les domaines environnemental, social et de gouvernance.
Je m’inscris dans la dynamique suivante : comment la France peut-elle encourager l’Europe à accroître ses exigences en la matière ? Mais je considère aussi qu’il ne faut pas oublier l’échelon local. D’ailleurs, l’un n’exclut pas l’autre !
Il ne me semble pas hors sujet de travailler sur des indicateurs territoriaux, dans le cadre de la performance extrafinancière des entreprises que nous portons au sein de l’Europe. Il est toujours utile de rappeler le bon sens !