Sommaire
Présidence de M. Pierre Laurent
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.
2. Mise au point au sujet de votes
3. Démission et remplacement d’un sénateur
4. Candidature à une commission
5. Précision du thème d’un débat d’actualité
6. Modification de l’ordre du jour
7. Demande d’inscription à l’ordre du jour de deux propositions de loi
8. Gestion de l’eau dans une perspective économique et écologique. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains
M. Henri Cabanel ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Henri Cabanel.
M. Philippe Mouiller ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Daniel Chasseing ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Daniel Breuiller ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Daniel Breuiller.
Mme Nadège Havet ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Hervé Gillé ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Hervé Gillé.
Mme Marie-Claude Varaillas ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Amel Gacquerre ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Alain Cadec ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Franck Montaugé ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Franck Montaugé.
M. Jean-Paul Prince ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Cédric Vial ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Joël Bigot ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie ; M. Joël Bigot.
M. Jean-Marc Boyer ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
Mme Anne Ventalon ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Laurent Duplomb ; Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie.
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
9. Instauration des zones à faibles émissions. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
M. Michel Savin ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Michel Savin ; M. Christophe Béchu, ministre.
M. Joël Guerriau ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Jacques Fernique ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Nadège Havet ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Gilbert-Luc Devinaz ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Gérard Lahellec ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Jean-François Longeot ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Nathalie Delattre ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Laurence Garnier ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Laurence Garnier ; M. Christophe Béchu, ministre.
Mme Angèle Préville ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Angèle Préville ; M. Christophe Béchu, ministre.
Mme Christine Herzog ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Elsa Schalck ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Martine Filleul ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Martine Filleul.
Mme Laure Darcos ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Laure Darcos.
M. Stéphane Le Rudulier ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Brigitte Micouleau ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
10. Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d’un Grenelle sur les salaires – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. Franck Menonville ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
Mme Raymonde Poncet Monge ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
M. Michel Dagbert ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
Mme Isabelle Briquet ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Isabelle Briquet.
Mme Laurence Cohen ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Laurence Cohen.
M. Olivier Henno ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; M. Olivier Henno.
M. Christian Bilhac ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
Mme Pascale Gruny ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Pascale Gruny.
M. Franck Montaugé ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; M. Franck Montaugé.
Mme Annick Jacquemet ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
M. Pascal Allizard ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; M. Pascal Allizard.
Mme Corinne Féret ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Corinne Féret.
Mme Catherine Belrhiti ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Catherine Belrhiti.
Mme Chantal Deseyne ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels ; Mme Chantal Deseyne.
Mme Florence Lassarade ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels.
M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
11. Demande de constitution d’une commission spéciale
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
12. Communication d’un avis sur un projet de nomination
13. Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise. – Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux entreprises
Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises
M. Jacques Le Nay, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises
Mme Florence Blatrix Contat, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises
Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises
M. Thomas Dossus ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Jean-Baptiste Lemoyne ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Rémi Cardon ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Rémi Cardon.
Mme Céline Brulin ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Françoise Férat ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Henri Cabanel ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme ; M. Henri Cabanel.
M. Stéphane Sautarel ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Emmanuel Capus ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
Mme Florence Blatrix Contat ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Jean-Pierre Moga ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises
14. Ordre du jour
Nomination d’un membre d’une commission
compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Laurent
vice-président
Secrétaires :
Mme Esther Benbassa,
M. Daniel Gremillet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 décembre 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Lors des scrutins nos 98, 99, 100, 101, 102, 103 et 104 portant sur la proposition de loi visant à rétablir l’équité territoriale face aux déserts médicaux et à garantir l’accès à la santé pour tous, M. Jean-Pierre Corbisez souhaitait voter pour.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
3
Démission et remplacement d’un sénateur
M. le président. M. Philippe Nachbar a fait connaître à la présidence qu’il démissionnait de son mandat de sénateur de la Meurthe-et-Moselle à compter du samedi 31 décembre 2022 à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il a été remplacé par Mme Véronique Del Fabro, dont le mandat de sénatrice a commencé le dimanche 1er janvier 2023, à zéro heure.
4
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
5
Précision du thème d’un débat d’actualité
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a inscrit le prochain débat d’actualité à l’ordre du jour du mercredi 11 janvier à seize heures trente.
Après concertation avec les groupes politiques, ce débat porterait, sur proposition du président du Sénat, sur le thème suivant : « La crise du système de santé », sous forme de discussion générale d’une heure.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
6
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Sur proposition du président du Sénat et en accord avec le Gouvernement et les groupes politiques, nous pourrions fixer les explications de vote et le scrutin public solennel sur le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes au mardi 24 janvier à quatorze heures trente, d’une part, sur le projet de loi relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 au mardi 31 janvier à quatorze heures trente, d’autre part.
En conséquence, nous pourrions prévoir la suite de l’examen de la proposition de loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d’assurance les plus avantageuses le mercredi 1er février au soir.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
7
Demande d’inscription à l’ordre du jour de deux propositions de loi
M. le président. Par courrier en date du 17 décembre dernier, M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, a demandé l’inscription à l’ordre du jour de l’espace réservé à son groupe du jeudi 2 février de la proposition de loi visant à renforcer l’action des collectivités territoriales en matière de politique du logement et de la proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l’exemple » durant la Première Guerre mondiale.
Acte est donné de cette demande.
Pour l’examen de ces deux textes, les commissions se réuniraient le mercredi 25 janvier au matin et nous pourrions fixer le délai limite de dépôt des amendements de séance au lundi 30 janvier à douze heures.
Par ailleurs, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, nous pourrions prévoir une discussion générale d’une durée de quarante-cinq minutes.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
8
Gestion de l’eau dans une perspective économique et écologique
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la gestion de l’eau dans une perspective économique et écologique.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Paul Prince applaudit également.)
Mme Catherine Belrhiti, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année 2022 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée en France.
La première victime de ce climat caniculaire, la plus discrète, mais la plus durablement touchée, c’est l’eau.
C’est un lieu commun de dire que l’eau nous est vitale, non seulement au sens biologique, mais aussi au sens économique.
C’est une évidence de constater que le réchauffement climatique tend à la raréfier et que notre utilisation tend à la souiller.
C’est donc une urgence, aujourd’hui, que de s’accorder sur des moyens efficaces de gestion de l’eau.
Cécile Cukierman, Alain Richard, Jean Sol et moi-même avons déjà mené des travaux sur ce sujet au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, dont le rapport d’information sur la quantité et la qualité de l’eau d’ici à 2050 intitulé Éviter la panne sèche – Huit questions sur l’avenir de l’eau a paru le 24 novembre dernier.
Nos huit recommandations sur l’avenir de l’eau seront d’ailleurs présentées le 18 janvier prochain à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. À cet égard, il faut saluer l’initiative du groupe Les Républicains, qui a demandé la tenue de ce débat, ainsi que, plus largement, la mobilisation du Sénat, qui prouve ce faisant qu’il est à la hauteur du sujet.
Dans ce contexte, les perspectives économiques et écologiques de la gestion de l’eau retiennent naturellement l’attention.
En introduction à ce débat, il nous revient de rappeler les lignes de force et les principaux enjeux de ladite gestion.
En premier lieu, d’un point de vue économique, l’eau doit faire l’objet d’une politique plus ferme d’intervention et d’investissement. À l’heure actuelle, les infrastructures hydrauliques relèvent en effet largement des collectivités locales, qui sont confrontées, et ce de manière croissante, à des coûts élevés d’entretien, de rénovation, voire d’investissement dans les réseaux de distribution.
D’un côté, elles ne peuvent pas y faire face seules et leurs moyens doivent être renforcés.
D’un autre côté, leur liberté se doit d’être défendue. À cet égard, le Sénat s’est prononcé, à la quasi-unanimité, sur la nécessité de préserver la souplesse d’un transfert facultatif de la compétence eau et assainissement de la commune vers les intercommunalités, et ce pour une raison très simple : l’eau répond à une logique de bassin versant et non de périmètre intercommunal. Il est également une autre évidence : ce transfert, rendu obligatoire d’ici à 2026, a déjà engendré une augmentation significative du prix de l’eau pour l’usager.
Une première ligne de force de la gestion économique locale de l’eau apparaît ainsi : la compétence eau et assainissement devrait rester attribuée aux communes, qui doivent être dotées des moyens de l’exercer, sauf à ce qu’elles décident, volontairement, de son transfert. En particulier, la discussion sur les moyens de cette gestion locale ne saurait faire l’économie d’une réflexion précise quant aux moyens des agences de l’eau.
Celles-ci constituent les principaux relais des politiques de l’eau et des programmes pluriannuels d’intervention. Leurs ressources, d’environ 2 milliards d’euros, proviennent pour 80 % des redevances des usagers.
Le périmètre de leurs interventions s’élargit toutefois continuellement, y compris au-delà de la fourniture d’eau potable et de l’assainissement, jusqu’à divers investissements ayant trait au petit cycle comme au grand cycle de l’eau.
Lors du débat organisé sur leur financement, ici même, au Sénat, au mois de janvier dernier, le Gouvernement a pris l’engagement de présenter les grands axes de leur renforcement, après qu’elles eurent subi l’abaissement de leur plafond de recettes en 2018 et la ponction de leur budget au profit de l’Office français de la biodiversité.
Cet élargissement des actions des agences de l’eau, allié à l’écrêtement de leurs moyens, fait craindre que, contrairement au principe fondateur en vertu duquel « l’eau paie l’eau », l’eau ne paie désormais l’État.
Une deuxième ligne de force de la gestion économique locale se dégage donc à son tour : les missions et les moyens des agences de l’eau nécessitent un réajustement précis destiné à sécuriser économiquement cette filière.
Une telle sécurité économique doit par ailleurs aller de pair avec une sécurité écologique.
En second lieu, l’eau doit faire l’objet d’une gestion et d’une consommation plus vertueuses.
Parce qu’elle n’est pas une ressource infinie, elle doit être utilisée en conscience.
Il faut le rappeler clairement : l’eau est d’abord un flux, représentant un volume de 510 milliards de mètres cubes de précipitations annuelles, inégalement réparties sur le territoire et minoritairement captées par nos cours d’eau et nos nappes phréatiques ; 35 milliards de mètres cubes y sont prélevés et 5 milliards de mètres cubes sont consommés.
L’eau est ensuite un stock, naturellement contenu à hauteur de 2 000 milliards de mètres cubes et artificiellement retenu pour environ 12 milliards de mètres cubes.
Pourtant, à l’heure actuelle, tous ces chiffres sont devenus faux : le réchauffement climatique nous impose de fonder nos réflexions sur des volumes diminués, sur des débits annuels amoindris et, par conséquent, sur la perspective d’une consommation rationalisée.
C’est pourquoi il paraît désormais indispensable d’appliquer à cette ressource une lecture économique, permettant une action raisonnée, d’une part, sur la demande, d’autre part, sur l’offre.
Quant à la demande, d’abord, les objectifs de réduction de la consommation de l’eau, définis lors des assises de l’eau de 2019, doivent faire l’objet de pédagogie ainsi que de mécanismes incitatifs qui font actuellement défaut. L’agriculture, qui représente les deux tiers de la consommation, doit modifier en profondeur ses pratiques et se résoudre à un effort de sobriété, notamment en suivant des cycles d’utilisation plus vertueux grâce à l’optimisation technique de l’arrosage et à la récupération de l’évaporation.
Quant à l’offre, ensuite, la création de moyens collectifs de retenue et de stockage d’eau nécessite d’appliquer une régulation, voire une certaine discipline, au stockage individuel. Dans le même sens, le développement de l’assainissement doit permettre d’accroître les volumes d’eau susceptibles de réutilisation après traitement, voire de recharge artificielle des nappes phréatiques.
Dans tous les cas, je tiens à insister sur la nécessité d’une concertation et d’une application locale de la politique de l’eau. Seule l’association des collectivités et des communes est à même de garantir l’efficacité et l’effectivité des dispositifs de gestion de l’eau.
Force est de souligner, à cet égard, l’impérieuse nécessité de poursuivre la rédaction de projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), instruments d’une sobriété localement concertée. Il y a là une condition indispensable pour que tous nos concitoyens prennent conscience de leur solidarité naturelle, laquelle doit valoir entre territoires comme entre usagers. Il s’agit également d’un critère d’équité dans la fixation du coût de l’eau, qui doit rester supportable pour tous.
Aussi, en la matière, devons-nous en appeler à la régulation et à la responsabilité de l’État.
Une troisième et dernière ligne de force se dégage ainsi, liée à la finitude et à la raréfaction de l’eau : la nécessité de penser désormais cette ressource comme un bien commun et un patrimoine commun de la Nation.
Pour faire face à la raréfaction de l’eau et en concilier l’ensemble des usages, une véritable stratégie de sobriété est donc indispensable. C’est l’option la moins coûteuse et la plus efficace pour faire face aux épisodes de sécheresse.
Parallèlement, il conviendra de déployer un véritable panel de solutions variées pour mobiliser la ressource.
L’eau est en effet la ressource la plus précieuse du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dialoguer, écouter, débattre, agir : sur le sujet de l’eau plus encore peut-être que sur tout autre sujet, il nous faut faire tout cela en même temps, alors même que l’urgence climatique bouleverse notre gestion quotidienne de l’eau.
Je salue tout d’abord cette initiative sénatoriale consistant à lancer un tel débat sur notre politique de gestion de l’eau. Ainsi l’occasion nous est-elle donnée d’échanger publiquement sur un sujet éminemment stratégique pour notre nation.
Nous avons longtemps été habitués à ce que l’eau soit partout. Dans un pays comme la France, l’eau est majoritairement tenue pour acquise, courante et peu chère.
Toutefois, si nous voulons la préserver, nous devons lui redonner sa véritable valeur et apporter le plus grand soin à la gestion de cette ressource stratégique.
Le changement climatique entraîne des bouleversements profonds du cycle de l’eau. La sécheresse que nous avons connue en 2022 a été intense et prolongée. Elle a eu un retentissement sans précédent auprès de l’opinion publique. De très nombreux Français ont ressenti ses effets dans leur quotidien, au gré des restrictions et des interdictions.
Cet épisode a fait prendre conscience à nos concitoyens à quel point l’eau était une ressource précieuse et un patrimoine commun de la Nation à préserver. Il a aussi révélé des éléments à améliorer dans notre gestion de crise. Tel est l’objet de la mission d’inspection qui a été diligentée et qui rendra ses recommandations au premier semestre de 2023.
Au-delà de la gestion de crise, il nous faut aussi engager des évolutions structurelles de la gestion de l’eau.
Pour autant, et vous en conviendrez en tant que représentants des collectivités, mesdames, messieurs les sénateurs, nous n’avons pas attendu l’été 2022 pour agir.
Depuis 1964, nous avons une politique de l’eau structurée, organisée et fortement outillée.
La France a placé les collectivités au centre de la politique de l’eau. L’organisation par bassin fait figure d’exemple sur la scène internationale et nous pouvons, collectivement, en être fiers. Nous disposons d’outils et nous sommes en mesure de trouver des solutions face aux défis qui se présentent à nous.
Je vois cette prise de conscience de l’opinion publique comme une occasion de mobiliser l’ensemble des acteurs – particuliers, industrie, agriculture, tourisme, secteur public – dans une même dynamique, sans opposition, sans accusation.
Si, aujourd’hui, nous reposons les termes d’un débat sur la ressource en eau, c’est parce que sa raréfaction rend la question du partage entre ses différents usages de plus en plus cruciale.
Nous devrons être capables d’arbitrer la question du partage de cette ressource, dans la concertation et dans un esprit de responsabilité collective.
Il nous faut aussi construire un cadre propice au déploiement de solutions dans les territoires.
Nous devons nous donner les moyens d’investir pour économiser l’eau, l’utiliser efficacement et selon une logique circulaire, préserver sa qualité et minimiser l’impact environnemental de cette utilisation.
Je sais que le Sénat est particulièrement attentif au sujet de la gestion de l’eau. Les territoires sont en première ligne face aux enjeux et défis afférents.
Je veux avoir un mot pour les collectivités, pour les services de l’État et pour les acteurs économiques qui ont été les plus confrontés à la gestion de crise, car je sais que cette année a été particulièrement éprouvante.
Le Sénat a déjà produit un rapport d’information sur la gestion de l’eau en 2016 intitulé Eau : urgence déclarée, et j’ai pris connaissance avec beaucoup d’attention du dernier rapport d’information publié par la Haute Assemblée sur ce sujet au mois de novembre 2022.
Madame la sénatrice Belrhiti, vous l’avez souligné, ce rapport d’information soulève plusieurs préoccupations partagées par un grand nombre d’acteurs de l’eau.
Vous vous demandez de quels moyens disposeront les collectivités pour agir dans la préservation du grand cycle de l’eau.
Vous vous posez la question de la mise en cohérence des échelons de gouvernance.
Vous promouvez un dialogue renforcé entre les instances de définition des politiques publiques territoriales.
Vous vous interrogez sur la possibilité de lever des freins à l’innovation, dont certains sont réglementaires, comme sur le sujet de la réutilisation des eaux usées.
Ces questions font pleinement écho aux enjeux identifiés lors du lancement du chantier sur la gestion de l’eau qui s’inscrit dans la planification écologique promue par la Première ministre.
Christophe Béchu, Agnès Firmin Le Bodo et moi-même avons inauguré ce chantier, le 29 septembre dernier, avec l’objectif de coconstruire un plan d’action mobilisant l’ensemble des parties prenantes, de bâtir du consensus et de repolitiser le sujet de l’eau.
Il ne s’agissait pas de refaire les assises de l’eau ou le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique : les engagements sont pris et nous nous y tiendrons.
Nous nous sommes appuyés sur les instances de gouvernance et les compétences existantes. Nous avons ainsi mobilisé le Comité national de l’eau (CNE) pour organiser une large concertation des acteurs.
Cette concertation, nous avons souhaité qu’elle soit également déployée dans les territoires, dans les comités de bassin, car notre volonté est bien d’affirmer le principe d’une politique de l’eau décentralisée et concertée avec l’ensemble des usagers.
La phase de concertation vient tout juste de s’achever.
Le Comité national de l’eau et les présidents des comités de bassin m’ont présenté leurs contributions jeudi dernier. Je tiens à souligner la richesse des réflexions, l’important travail accompli pour construire du consensus et les propositions très concrètes qui ont été formulées.
Ce plan d’action ne sera pas le plan d’action de l’État : il sera notre plan d’action collectif. Je compte sur les collectivités que nous avons consultées pour s’associer à sa mise en œuvre.
Christophe Béchu, Agnès Firmin Le Bodo et moi-même présenterons le contenu de ce plan le 26 janvier prochain, lors du carrefour des gestions locales de l’eau.
Ce plan comportera des mesures très concrètes, qui prendront effet à très court terme. Des chantiers stratégiques y seront aussi ouverts, qui permettront de préparer le long terme et se traduiront notamment dans le douzième programme des agences de l’eau.
Sans dévoiler son contenu aujourd’hui – je vous donne rendez-vous dans quinze jours, mesdames, messieurs les sénateurs ! –, je peux d’ores et déjà vous confirmer qu’il traitera des enjeux de gouvernance et de financement et qu’il déclinera un ensemble de mesures tournant autour des quatre enjeux suivants : limiter le gaspillage et promouvoir la sobriété ; opérer, dans la concertation, un partage juste de la ressource ; permettre un accès sécurisé à une ressource en eau potable de qualité ; restaurer un grand cycle de l’eau fonctionnel pour préserver les écosystèmes.
Ce plan traduit une conviction commune : la ressource en eau en France est précieuse, précieuse pour nos écosystèmes, précieuse pour notre santé, précieuse pour notre économie.
Nous devons repolitiser les enjeux territoriaux de l’eau, en particulier les questions de partage de la ressource.
Nous devons nous réunir autour d’une ambition forte pour favoriser des solutions d’adaptation dans nos territoires.
Je serai ravie de revenir au Sénat vous présenter l’ambition et le contenu de ce plan. En attendant, je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. On oppose souvent l’écologie à l’économie. Pourtant, les enjeux relatifs à l’une et à l’autre doivent être rapprochés.
En effet, le constat du réchauffement climatique ou l’annonce de milliers d’espèces disparues ou menacées nous obligent à revoir nos modes de production et de consommation.
Concernant la rareté de l’eau, la situation devient tendue. Dans nos territoires du Sud, des communes sont régulièrement ravitaillées en eau potable.
Se posent donc plusieurs questions quant à la gestion de la ressource.
Comment favoriser encore davantage le partage de l’eau dans un contexte de croissance démographique ? En trente ans, la consommation d’eau a doublé à l’échelle mondiale. Il faut donc raisonner globalement.
Pour ce qui est de la filière agricole, l’irrigation devrait s’accompagner de formations obligatoires et de quotas par production.
Quant à la consommation d’eau potable, malgré les messages de sensibilisation, elle n’est toujours pas raisonnée – songeons, par exemple, à l’utilisation d’eau potable pour laver les voitures ou alimenter les chasses d’eau. Cela est choquant, tout autant que de sacrifier des terres agricoles qui ont bénéficié de l’irrigation.
Seriez-vous favorable, madame la secrétaire d’État, à l’interdiction de la vente de terres agricoles irriguées à des fins d’urbanisation ?
D’autres solutions existent, notamment la récupération des eaux usées. L’objectif de tripler d’ici à 2025 les volumes d’eau non conventionnelle répond aux enjeux et, à cet égard, le décret du 10 mars 2022 relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées est une grande avancée.
Pourtant, comment ces solutions seront-elles concrètement déployées au sein des territoires ? Qui financera ?
Qu’en est-il de l’évaluation des expérimentations qui ont été menées dans les territoires ?
Les projets de territoire pour la gestion de l’eau sont-ils efficients partout en France ? Quel en est le bilan ?
Quid également du dossier des retenues collinaires, lesquelles répondent à deux objectifs, l’irrigation, bien sûr, mais également la limitation des crues ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Cabanel, vous m’interrogez sur les outils mobilisables pour la bonne gestion de l’eau. J’ai reçu la semaine dernière, comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, le Comité national de l’eau et les représentants des comités de bassin, qui m’ont présenté de riches contributions dans le cadre de la concertation pour la planification écologique de l’eau.
En matière de sobriété et de lutte contre les gaspillages et les fuites, nous devons aller plus loin en aménageant la ville selon une conception plus sobre que celle qui a prévalu jusqu’à présent.
Quant aux agriculteurs, mais aussi aux industriels, ils peuvent être plus performants encore qu’ils ne le sont. De nombreuses solutions existent ; le plan que je proposerai avec Christophe Béchu permettra d’accélérer leur mise en œuvre via des moyens financiers et des simplifications réglementaires – je pense notamment à la réutilisation des eaux usées traitées.
Deux axes me semblent importants.
Le premier axe est de faire de la sobriété une politique publique prioritaire. Nous informerons mieux les Français sur les bons gestes. Quant aux collectivités, elles doivent mettre en question leurs usages et proposer des solutions de substitution pour que la croissance de la population et le changement climatique – plus de besoins, moins d’eau – ne causent pas de difficultés.
Le second axe est la nécessité pour les territoires d’organiser un meilleur partage de la ressource. Cela passera par une gouvernance plus efficace et sereine. Compte tenu du nombre important d’acteurs concernés, la rédaction de projets de territoire pour la gestion de l’eau est l’une des méthodes – non la seule, évidemment – qu’il est essentiel de mobiliser.
J’aurai l’occasion d’y revenir plus précisément au cours du débat : concernant les PTGE, une instruction complémentaire à celle du 7 mai 2019 a été élaborée, intégrant les pistes d’amélioration identifiées dans le cadre du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. Elle est en cours de signature et vise surtout à accélérer, car, dans nombre de territoires, les acteurs ne s’entendent ni sur le diagnostic ni sur la nécessité à agir collectivement.
Je termine en mentionnant les retenues collinaires. Cette solution doit être étudiée au cas par cas : il n’est pas question de la généraliser en France, mais chaque projet qui respectera les critères exigeants que nous fixons pourra être validé. Nous aurons l’occasion, pendant ce débat, de revenir plus en détail sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Madame la secrétaire d’État, je reviens sur l’irrigation agricole.
Il faudrait que les agriculteurs qui demandent de l’eau soient formés. Actuellement, lorsqu’un agriculteur dépose une demande d’autorisation d’irriguer, on la lui accorde, à condition qu’il puisse financer cette irrigation, mais il n’est pas formé à la bonne utilisation de la ressource en eau et aucun projet n’existe en ce sens. Il doit être possible d’avancer sur ce point.
En matière d’utilisation des eaux usées, des expérimentations sont en cours, mais je plaide pour que ce genre d’initiatives se développe davantage.
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Notre indépendance alimentaire passe par la sauvegarde de notre agriculture et par le maintien de sa capacité à produire des denrées de qualité en quantité suffisante.
Dans un contexte d’adaptation aux effets du changement climatique, des solutions sont à rechercher pour que les activités consommatrices d’eau puissent se poursuivre.
Dans le domaine agricole, la réponse passe en partie par la possibilité de continuer à irriguer, même pendant les périodes de sécheresse, lesquelles, certaines années, débutent dès le printemps.
Toutefois, la ressource en eau se raréfie.
Encore fortement agricole, le département des Deux-Sèvres figure parmi les plus touchés par les effets de la sécheresse. Confrontés au premier chef aux aléas liés au changement climatique, les agriculteurs deux-sévriens ont dû et ont su s’organiser pour maintenir leur production en qualité et en quantité. Réunis au sein d’une coopérative de l’eau, ils se sont engagés dans la réalisation de retenues de substitution afin d’alléger la tension sur la ressource en eau, ces réserves permettant de stocker de l’eau en période hivernale.
Il convient de rappeler que ce projet a été lancé voilà une dizaine d’années, après concertation, avec l’accord des hydrogéologues, de l’État, des collectivités territoriales, des associations environnementales et des agriculteurs. Parallèlement, ces mêmes agriculteurs se sont engagés à faire évoluer leurs modes de production et se sont tournés vers des cultures moins consommatrices en eau.
Le département des Deux-Sèvres est aujourd’hui tristement connu pour la manifestation violente que ce projet d’investissement a suscitée le 29 octobre dernier, notamment à Sainte-Soline. Ces investissements, pourtant autorisés, font l’objet de contestations et de sabotages. Les porteurs de projet et les entreprises sont soumis à des intimidations. Les conditions dans lesquelles les entrepreneurs interviennent s’en voient dégradées.
Cette situation interpelle l’ensemble des acteurs qui promeuvent des projets identiques à l’échelle nationale. Aussi, madame la secrétaire d’État, vous serais-je reconnaissant de bien vouloir m’indiquer les mesures que le Gouvernement entend prendre pour que ce projet puisse être mené à son terme, mais surtout pour que le développement de ce type d’investissements soit rendu possible à l’échelon national.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Mouiller, vous m’interrogez sur le projet de retenue de Sainte-Soline. Je tiens tout d’abord à rappeler que le Gouvernement condamne fermement les actes de violence et les dégradations qui ont eu lieu.
Les seize retenues d’eau destinées à l’irrigation agricole dans le bassin versant Sèvre Niortaise et Mignon, notamment à Sainte-Soline, constituent une réponse adaptée aux enjeux du territoire, dans l’objectif d’atteindre une gestion durable et équilibrée de la ressource en eau.
Le protocole a été validé en 2018 et signé en présence d’élus de toutes sensibilités ; je ne les nommerai pas ici, mais vous en connaissez un certain nombre. Il est soutenu par l’État pour trois raisons : premièrement, parce que celui-ci a proposé à tous les acteurs du territoire un cadre de concertation pour parvenir collectivement à un projet équilibré entre les besoins agricoles en eau et la préservation de l’environnement ; deuxièmement, parce que les réserves de substitution dans ce bassin versant sont pertinentes pour améliorer la situation durant l’été, comme cela est confirmé par les études scientifiques ; troisièmement, parce que le projet de réserves de substitution a été conditionné à des contreparties du monde agricole – je pense à la réduction de 50 % des pesticides, aux mesures en faveur des zones humides et de la biodiversité ou encore aux évolutions vers des pratiques agroenvironnementales et des cultures moins gourmandes en eau –, ce qui permet d’accélérer la transition écologique.
Le projet, qui a été légalement autorisé, apporte des garanties nécessaires en matière de prélèvement de la ressource en eau. Les études scientifiques du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) de 2022 montrent un gain de débit dans les cours d’eau et de plusieurs mètres de hauteur dans les nappes pendant la saison d’étiage ; les conditions de remplissage hivernales sont strictement contrôlées. Si les niveaux des nappes souterraines sont inférieurs aux seuils fixés par arrêtés préfectoraux, le remplissage des réserves de substitution est interdit.
Soyez assuré que le Gouvernement sera très attentif à la situation du territoire des Deux-Sèvres : ce projet a été validé et sera bien mis en œuvre.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la secrétaire d’État, le 25 novembre dernier, un arrêté plaçait le département de la Corrèze en « vigilance », après plusieurs mois en situation de limitation des usages de l’eau. L’état de sécheresse de cet été s’est étendu à l’automne. La question de la quantité de la ressource en eau dans notre pays se pose donc plus que jamais.
D’un point de vue tant économique qu’écologique, la gestion de l’eau est indispensable. Je prendrai l’exemple de l’agriculture : les sécheresses que nous connaissons depuis plusieurs années ont un impact sur notre souveraineté alimentaire. Notre agriculture perd des parts de marché aux échelons européen et international. Gérer l’eau suppose que l’on puisse poursuivre l’irrigation des terres. Qu’est-il prévu concernant les évolutions des systèmes d’irrigation et de rétention d’eau de pluie – les retenues collinaires d’hiver – en agriculture ?
La gestion de l’eau est également essentielle quand il s’agit de production d’énergie via des moulins ou des barrages. La petite hydroélectricité et les grandes installations sont à la croisée d’enjeux économiques, écologiques, énergétiques, à l’heure – je l’ai dit lors des dernières questions d’actualité au Gouvernement, au mois de décembre dernier – où les lacunes de notre souveraineté énergétique, dues à une diminution du nucléaire, sont bien là.
À l’occasion de ses vœux, le Président de la République a évoqué une hausse des prix de l’électricité plafonnée, ainsi que des aides adaptées autant que nécessaire. Dans l’état actuel des choses, si rien n’était fait, beaucoup de PME seraient en grande difficulté. Nous devons en effet sortir de la dépendance énergétique.
Une meilleure gestion de l’eau peut y participer. La petite et la grande hydroélectricité font partie des solutions. Madame la secrétaire d’État, quelles sont les prochaines étapes envisagées ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Chasseing, je partage votre analyse : le changement climatique en cours aura un impact fort sur notre agriculture. C’est pourquoi le précédent gouvernement a engagé un Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, afin d’évoquer les solutions face à ce défi. Une feuille de route a aussi été présentée par la Première ministre au mois de mars dernier. C’est bien une dynamique d’adaptation que défend le Gouvernement, avec un panel de solutions qu’il conviendra de mobiliser.
Les agences de l’eau et FranceAgriMer accompagnent financièrement l’adaptation de l’agriculture. Dans le cadre de France Relance, plus de 170 millions d’euros ont été dédiés à l’investissement dans les matériels d’irrigation plus performants, par exemple le goutte-à-goutte en arboriculture, le pilotage basse pression en grandes cultures, ainsi que les projets hydrauliques collectifs.
Plus globalement, nous avons construit ensemble trois piliers indissociables pour le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique : premièrement, se doter d’outils d’anticipation et de protection de l’agriculture face aux aléas climatiques, deuxièmement, renforcer la résilience de l’agriculture dans une approche globale, en agissant sur les pratiques agricoles et l’efficience de l’irrigation, troisièmement, accéder à une vision partagée et raisonnée de l’accès aux ressources en eau.
M. Laurent Duplomb. Cela ne veut rien dire !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Il faut continuer à travailler à la fois sur l’adaptation et la mobilisation des ressources. Les plans d’adaptation des filières doivent se saisir pleinement de l’enjeu de changement climatique, comme l’a fait la filière viticole. Les chambres régionales d’agriculture réfléchissent à des projets territoriaux qui seront indispensables. La diffusion des solutions doit se généraliser dans toutes les exploitations.
Monsieur le sénateur, vous m’avez également interrogée sur l’hydroélectricité. Je répondrai ultérieurement à cette question, le temps de parole qui m’est imparti étant limité.
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller.
M. Daniel Breuiller. L’eau est un bien commun inaliénable. On a longtemps cru que, en France, son accès était garanti pour tous et pour tous les usages. Toutefois, en 2022, 80 % des départements furent soumis à des obligations de restriction, dès l’hiver pour certains d’entre eux. Les sécheresses inédites et intenses annoncent un niveau jamais atteint du bouleversement climatique, qui a touché le cycle même de l’eau.
Ce n’est pas un aléa météorologique, c’est une transformation qualitative – élargissement et assèchement de la couche atmosphérique, baisse et non-reconstitution des nappes phréatiques – qui impose des changements de pratiques dans tous les secteurs : vie quotidienne, nucléaire, industrie, agriculture. Si cette dernière est parfois montrée du doigt, elle peut être aussi source de solution en s’adaptant à des cultures plus économes en eau et en favorisant le stockage carbone.
Face à la raréfaction de la ressource, le partage de l’eau devient un enjeu crucial, objet de conflits, parfois dramatiques comme à Sivens avec la mort de Rémi Fraisse. C’est le cas aussi autour des bassines. De ce point de vue, l’assimilation des protestations à de l’« écoterrorisme » ne résout rien, au contraire.
Les chercheurs alertent sur le caractère structurel des modifications en cours. Madame la secrétaire d’État, pensez-vous possible – en ce qui nous concerne, nous le jugeons nécessaire – de mieux partager la connaissance et les analyses scientifiques ? Si oui, comment ? Nous proposons, pour notre part, un doublement des crédits de la recherche.
Quelle modification le Gouvernement entend-il soutenir pour le partage de la ressource en eau : évolution de l’agriculture vers l’agroécologie ? Limitation de l’impact du nucléaire ? Priorisation des usages essentiels du quotidien face aux usages superflus ou de confort ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Breuiller, l’approvisionnement en eau potable est la première des priorités. Plus d’une centaine de collectivités se sont en effet retrouvées en difficulté cette année. Nous avons confié une mission aux inspections pour faire le retour d’expérience sur la gestion de la crise, afin d’être prêts pour la saison prochaine.
Cette mission formulera des propositions qui seront évoquées avec l’ensemble des parties prenantes, réunies au sein du Comité national de l’eau (CNE). Sur cette base, nous mettrons à jour les procédures. Il s’agira de réviser le guide national sécheresse et de s’assurer de la mise à jour des arrêtés-cadres et du plan Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) « eau ».
J’ai aussi demandé aux préfets d’établir la liste de l’ensemble des collectivités ayant rencontré des difficultés d’approvisionnement et d’accompagner en priorité les plus fragiles pour améliorer leur résilience d’ici à l’été prochain. Cela passe notamment par le développement des interconnexions de réseaux. Le Gouvernement engagera 100 millions d’euros de dépenses supplémentaires pour les agences de l’eau.
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas grâce à vous !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. C’est un enjeu important. Il faudra aussi anticiper davantage les sécheresses.
À l’échelon national, je réunirai prochainement le Comité d’anticipation et de suivi hydrologique (Cash). À l’échelle des territoires, je souhaite que les préfets de département réunissent les comités ressource en eau dès la sortie de l’hiver pour anticiper les risques de tensions sur la ressource.
J’ai aussi demandé que les entreprises fortes consommatrices d’eau fassent l’objet d’inspections afin que des solutions en termes d’économies d’eau et d’anticipation des restrictions puissent être évoquées avec elles. Au-delà de la gestion de crise, c’est tout un ensemble de mesures de gestion structurelle de la ressource en eau qui doit nous permettre de garantir l’adéquation entre disponibilité de la ressource et besoins des différents usages. Tel est l’objet du plan que j’ai déjà évoqué.
M. le président. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour la réplique.
M. Daniel Breuiller. D’ici trente ans, le débit moyen des fleuves pourrait diminuer de 30 % à 50 % et les deux tiers de notre pays pourraient connaître des conditions de sécheresses durables. Je ne suis pas certain que nous ayons pris la mesure de ce phénomène. Personne ne pourra dire demain : « On ne savait pas. »
La compréhension partagée est indispensable. Il faut renforcer le travail académique, pour que le fruit de ce travail nourrisse les élus, les professionnels et les organisations non gouvernementales (ONG).
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. L’eau est un bien fondamental. Sa gestion quantitative et qualitative occupe une place centrale dans nos politiques publiques, aussi bien localement que nationalement. L’été dernier, l’ensemble de notre pays a été touché par la sécheresse, des restrictions d’usages, plus ou moins sévères, ont été mises en œuvre. Ce fut le cas dans le Finistère.
Depuis 2001, la France métropolitaine a perdu 14 % de ses ressources en eau renouvelable par rapport à la période de référence précédente. À la suite des assises de l’eau et après le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, il est donc nécessaire d’aller plus vite et plus loin, alors que, nous le savons, le réchauffement climatique intensifiera la durée et l’intensité de ces épisodes. Dans cette volonté d’accélération, rappelons ici que le rôle joué par les élus locaux sera fondamental.
Plus généralement, il nous faut parvenir à un consensus sur l’eau en associant toutes les parties prenantes. Cela passera par un effort de démocratisation, d’éducation, mais aussi de communication ciblée et continue sur les usages et leur priorisation.
À la fin du mois d’août dernier, lors de la Rencontre des entrepreneurs de France 2022, la Première ministre a abordé la notion de planification écologique de l’eau, dans l’objectif de planifier les actions dont nous avons besoin pour accélérer la transition écologique et atteindre l’objectif de baisse de prélèvements : - 10 % d’ici à 2025, - 25 % d’ici à 2035.
Le 29 septembre dernier, dans ce cadre, Agnès Pannier-Runacher, Christophe Béchu, Agnès Firmin Le Bodo et vous-même, madame la secrétaire d’État, avez lancé à Marseille un premier chantier consacré à la gestion de l’eau, laquelle se doit d’être plus résiliente, plus fiable, et ce dans les trois domaines principaux que sont l’industrie, l’agriculture et les usages du quotidien. Pourriez-vous nous préciser la méthodologie retenue et les actions à venir en la matière ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Havet, la politique de l’eau est structurée, organisée et fortement outillée, il est important de le rappeler. Pourtant, durant cette sécheresse historique, nous avons collectivement constaté que nous devions aller plus loin pour être à la hauteur face à l’inéluctable dérèglement climatique.
Le diagnostic est sans appel : on évalue à 81 % l’effondrement des espèces d’eau douce ; trop de territoires sont en déficit ; 30 % des eaux souterraines ne sont pas dans un bon état chimique. Nous devons donc accélérer de manière coordonnée. C’est l’objectif du chantier que j’ai lancé avec Christophe Béchu et Agnès Firmin Le Bodo à Marseille, le 29 septembre dernier.
Ce chantier s’inscrit dans l’exercice de planification promu par la Première ministre. Nous devons engager une transition pour faire preuve d’une réelle sobriété dans les usages de l’eau, renforcer la gouvernance sur son partage, garantir l’accès à une eau potable de qualité et restaurer le grand cycle de l’eau.
Une des clés de la réussite passera par une planification efficace, qui conduira très rapidement à la réalisation de projets. Pour coconstruire le plan d’action, j’ai mobilisé l’ensemble des parties prenantes afin de bâtir du consensus, mais aussi de repolitiser le sujet de l’eau.
Les contributions du Comité national de l’eau et des comités de bassin ont été présentées jeudi dernier. Les acteurs m’ont transmis de nombreuses propositions qui touchent à la fois à la gouvernance, aux outils réglementaires et au financement. J’examine actuellement ces propositions et je tiens à saluer la qualité du travail qui m’a été remis.
Le plan Eau sera annoncé à Rennes, à la fin du mois de janvier, lors du carrefour des gestions locales de l’eau. Je vous donne donc rendez-vous dans une quinzaine de jours, madame la sénatrice.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Je tiens, tout d’abord, à remercier le groupe Les Républicains, à qui nous devons ce débat sur la gestion de l’eau.
Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite vous alerter sur une question déterminante qui a l’avantage d’allier les deux sujets préoccupants du moment : gestion de nos énergies et gestion de l’eau. Je parle ici des barrages hydroélectriques et des lourds enjeux qu’impliquent la mise en concurrence pour l’attribution de leur exploitation et le renouvellement des concessions.
Depuis quinze ans, la Commission européenne fait pression sur l’État pour obtenir la mise en concurrence des barrages hydroélectriques. La France a ainsi reçu deux mises en demeure, en 2015 et en 2019.
Le choix des futurs concessionnaires ne sera pas anodin : ils auront en charge la régulation des cours d’eau, mais surtout la responsabilité de 12 % de la production énergétique métropolitaine, part importante qui fait de la France le troisième pays européen en termes de puissance installée.
En cette nouvelle année, plus de 150 concessions arrivent à échéance. Nombre de parties prenantes se sont déjà opposées à la décision verticale de mise en concurrence, tant elle est éloignée des enjeux territoriaux, et soutiennent, dans un même temps, le maintien du statu quo du quasi-monopole d’EDF.
L’échéance se rapproche fatidiquement et soulève de nombreuses problématiques : iniquité de la mise en concurrence avec les pays membres, pertes d’emplois, hausse des prix de l’électricité, danger pour la sûreté des usagers et la sécurité d’approvisionnement, inégalités entre collectivités.
Madame la secrétaire d’État, la région Occitanie, comme de nombreuses collectivités, vous a demandé dès le mois de novembre dernier d’obtenir une dérogation pour la France. Où en sont les négociations avec Bruxelles et comment le Gouvernement réussira-t-il à répondre aux nombreuses problématiques économiques et écologiques que pose l’ouverture à la concurrence ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Gillé, comme vous le savez, la Commission européenne a engagé un contentieux à l’encontre de la France, portant notamment sur l’absence de renouvellement par mise en concurrence des concessions hydroélectriques échues. Une telle situation nuit aux investissements dans le secteur et elle est source d’incertitude pour les entreprises, les agents, la population, mais aussi les élus.
C’est dans ce contexte que le Gouvernement explore plusieurs scénarios pour le renouvellement des concessions hydroélectriques. Il sera particulièrement attentif à ce que la solution retenue permette la pérennisation et le développement du parc hydraulique français, au bénéfice du système électrique français et des emplois liés à ce secteur d’activité.
Pour le très court terme, l’article 16 quinquies du projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables prévoit que les investissements permettant d’assurer la pérennité d’un ouvrage hydroélectrique dont la concession est échue pourront être réalisés.
Quelle que soit la solution retenue pour la gestion des concessions hydroélectriques françaises dans le cadre de la résolution de ce contentieux, le Gouvernement sera très attentif au potentiel énergétique, technique et humain des sociétés hydroélectriques et à leur ancrage territorial. Il sera en outre, dans le contexte de l’adaptation au changement climatique, tout aussi précautionneux quant aux enjeux de gestion de l’eau.
Ces enjeux peuvent notamment passer par une politique de soutien à l’étiage, à l’instar de celle qui a été menée l’été dernier pendant la sécheresse historique que nous avons connue, afin de préserver le débit de certaines rivières ou de certains fleuves, et ainsi de conjuguer les différents usages possibles de l’eau à l’aval. Ce soutien à l’étiage a conduit à utiliser une fraction de l’eau des grands réservoirs hydrauliques, non pas pour faire du turbinage à des fins économiques, mais pour apporter des volumes complémentaires dans le contexte de sécheresses. Des projets tels que les stations de transfert d’énergie par pompage (Step) pourront également contribuer à la transition énergétique et aux besoins croissants de soutien à l’étiage.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Pour ce qui est de la mise en demeure de l’Europe, je constate que la réponse reste ouverte… Nous suivrons donc ces sujets avec beaucoup d’attention.
La Gironde est directement concernée, madame la secrétaire d’État, puisque le soutien d’étiage bénéficie à la Garonne au travers des barrages, notamment hydroélectriques. Je serai donc particulièrement vigilant.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.
Mme Marie-Claude Varaillas. En France, nous n’avons pas attendu la directive-cadre sur l’eau, puisque, depuis leur création en 1964, le combat quotidien des agences de l’eau est d’assurer le bon état des eaux. Érigées en six établissements publics, elles ont pour mission de lutter contre les pollutions de l’eau en garantissant la protection des milieux aquatiques.
Après avoir subi des baisses d’effectifs continues, allant jusqu’à la suppression de plus de 20 % de leurs emplois, leurs moyens financiers ont été rabotés depuis 2018…
M. Laurent Duplomb. Même avant !
Mme Marie-Claude Varaillas. … par l’instauration du plafond mordant, qui limite leurs capacités d’interventions financières auprès des collectivités territoriales, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et syndicats.
Le récent transfert des compétences eau et assainissement au bloc communal, obligatoire d’ici à 2026, induit un surcoût pour les collectivités. Si l’entretien des réseaux est relativement bien assuré dans les grandes communes, ces réseaux ont souvent plus de soixante ans dans les petites communes et ces dernières rencontrent par ailleurs des difficultés importantes de mise aux normes des installations d’assainissement non collectif, particulièrement onéreuse pour les usagers. Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous donner aux agences de l’eau les moyens d’accompagner les collectivités qui ont à faire face à ces enjeux importants à l’aune du changement climatique ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Varaillas, nous devons disposer de solutions efficaces pour pallier le manque d’eau et le déficit structurel des nappes. Créées par la loi de 1964, les agences de l’eau sont un outil indispensable pour nos territoires : elles sont le bras armé permettant de mettre en œuvre une politique de l’eau qui réponde aux enjeux des territoires.
Je constate que le plafond annuel des taxes et redevances perçues par les agences de l’eau ne bouge plus depuis plusieurs années, ce qui implique de choisir entre des politiques aussi stratégiques les unes que les autres.
La maîtrise du plafond des redevances contribue également à la réalisation de l’engagement pris par le Gouvernement de maîtriser la fiscalité qui pèse sur les ménages. Pour autant, nous avons trouvé des marges de manœuvre budgétaires ces dernières années : avec le plan de relance à hauteur de 250 millions d’euros, puis avec l’augmentation, deux années consécutives, du plafond des dépenses de 100 millions d’euros. Nous avons ainsi obtenu une hausse de 50 millions d’euros pour l’année 2023 dans le cadre de la loi de finances pour répondre aux enjeux liés à la sécheresse de l’été dernier.
Par ailleurs, dans le cadre du plan Eau qui sera annoncé à la fin du mois de janvier, nous préparerons les prochains programmes d’intervention 2025-2030.
Madame la sénatrice, ne doutez donc pas de l’ambition du Gouvernement de doter les agences de l’eau de moyens suffisants pour répondre aux enjeux d’adaptation au changement climatique.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.
Mme Marie-Claude Varaillas. En réduisant les moyens financiers des agences de l’eau, vous transférez la charge aux collectivités territoriales, donc aux contribuables locaux, notamment au travers de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi).
M. Laurent Duplomb. Qui l’a votée ?
Mme Marie-Claude Varaillas. Face aux défis de notre époque, notamment le changement climatique, le principe selon lequel « l’eau paie l’eau » reposant essentiellement sur les seuls usagers est dépassé. La solidarité nationale doit s’exprimer.
L’eau n’est pas une marchandise, elle est un bien commun de l’humanité. À ce titre, nous devons en garantir l’accès et la gestion par la création d’un grand service public national, seul capable, de notre point de vue, de résoudre la globalité des enjeux relatifs à l’eau.
M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre.
Mme Amel Gacquerre. L’été 2022 marquera indéniablement un tournant dans la relation de notre pays à l’eau. Avec trente-trois jours de canicule, des restrictions d’eau dans quatre-vingt-treize départements, des épisodes de sécheresse et d’inondations soudaines, les Français ont pris conscience des effets du réchauffement climatique et d’une ressource en eau rare et à se partager.
Les événements extrêmes que nous avons connus ont exacerbé les tensions autour de l’eau entre utilisateurs agricoles et industriels, usagers et défenseurs de la biodiversité. L’arrêt de certaines productions industrielles, la production d’électricité via les centrales hydroélectriques perturbée, la perte de productions agricoles, etc. : les conséquences de la sécheresse se sont succédé et les conflits d’usages sont apparus dès lors que la priorité d’un usage sur l’autre a dû être arbitrée.
Vous le savez, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’eau connaît un véritable effet ciseau : d’un côté, des besoins et une demande de plus en plus importante pour l’agriculture confrontée à de fortes chaleurs, pour l’industrie du fait de la volonté de réindustrialiser nos territoires, pour la population ; de l’autre, des nappes phréatiques qui peinent à se maintenir et à se reconstituer. Cette situation entraîne des conflits d’usage, menace la cohésion sociétale et nécessite que nous nous organisions. Les usages des uns ne doivent ni pénaliser les autres ni fragiliser les écosystèmes à court, moyen et long termes.
Pour cela, il nous faut aujourd’hui une gestion stratégique de l’eau, une planification globale, transversale et territorialisée de la gestion de cette ressource.
À l’image des difficultés que nous connaissons actuellement en matière d’approvisionnement énergétique, n’attendons pas que les territoires entrent en tension pour mettre en place les outils nécessaires. L’anticipation et la prévention doivent guider l’action publique.
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les propositions du Gouvernement pour bâtir ce dialogue si nécessaire à la préservation du bien commun qu’est notre eau ? Que proposez-vous afin de maîtriser les conflits d’usage ? Plus précisément, que proposez-vous pour organiser le partage d’usage de l’eau, et sous quel délai ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Gacquerre, je vous répondrai en deux temps, d’abord, en rappelant le droit en vigueur relatif à ces questions, ensuite, en détaillant les évolutions à envisager.
La loi sur l’eau du 3 janvier 1992 a établi le principe de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. Celle-ci relève de deux grands articles de principe.
L’article L. 210-1 du code de l’environnement dispose que l’utilisation de l’eau et sa valorisation économique, dans le respect des équilibres naturels, sont d’intérêt général.
L’article L. 211-1 du même code précise les différents intérêts ou usages à assurer ou à concilier. Il fixe ainsi les seules priorités légales à satisfaire : la santé, la salubrité publique, la sécurité civile et l’alimentation en eau potable.
Ces grands principes doivent être respectés lors de l’examen des dossiers et l’instruction des demandes d’autorisation environnementale, y compris de prélèvement et stockage d’eau, ainsi que pour la gestion anticipée, ou de crise, de la sécheresse.
Les questions relatives au partage de l’eau sont réglées dans les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage), dont le rôle est de planifier, ou de manière plus opérationnelle dans le cadre des projets de territoire pour la gestion de l’eau. Au-delà des principes et priorités fixés par la loi, les discussions territoriales peuvent ajouter des priorités entre usages économiques et les pondérer de manière adaptée.
Par ailleurs, le plan Eau que nous publierons à la fin du mois de janvier comportera des dispositions en lien avec celles de la maîtrise des conflits d’usage. La raréfaction de la ressource en eau rend la question du partage entre les différents usages de plus en plus cruciale, comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice.
Outre les arbitrages qui doivent être menés localement, dans la concertation et dans un esprit de responsabilité collective, il nous faut aussi construire un cadre propice au déploiement de solutions dans les territoires. Je souhaite que les collectivités territoriales se saisissent mieux de ces enjeux et que le public en soit mieux informé. Nous devons être capables d’investir pour économiser l’eau, mais aussi pour l’utiliser efficacement.
M. le président. La parole est à M. Alain Cadec.
M. Alain Cadec. L’eau, cet « or bleu », fait partie de notre quotidien et l’on oublie souvent combien elle est précieuse. Au cœur de notre alimentation, de notre hygiène, de nos loisirs, mais aussi de notre économie, elle est essentielle. C’est un bien universel.
En 2022, la Bretagne a subi une sécheresse record, entraînant une pénurie d’eau durant l’été. Aussi, l’État a placé la région en alerte pendant plusieurs mois. Face à la crise, il a fallu trouver des solutions et chacun a dû être raisonnable dans sa consommation d’eau.
En Bretagne se pose une difficulté majeure : le sous-sol comptant très peu de nappes phréatiques, l’approvisionnement se fait essentiellement par des eaux de surface ; or les pluies insuffisantes, la canicule estivale et l’utilisation de la ressource ont fragilisé nos réserves. Cette sécheresse a fait craindre une rupture de l’alimentation en eau potable, notamment dans les Côtes-d’Armor. La ressource, pourtant bien gérée par le syndicat départemental, s’est retrouvée fragilisée.
L’été a aggravé le phénomène. Pour rappel, dans le département, la consommation journalière globale d’eau potable est de 130 000 mètres cubes : 65 % pour les particuliers, 15 % pour les agriculteurs, 20 % pour l’industrie.
Face à ce constat, pour assurer l’avenir et pérenniser l’approvisionnement en eau potable, des investissements des collectivités locales sont nécessaires, voire indispensables.
Quels moyens l’État a-t-il l’intention de mobiliser afin d’aider les collectivités à maintenir ce service essentiel pour les habitants, les entreprises de nos territoires et, par voie de conséquence, pour l’économie du pays ?
Parallèlement, la politique de gestion de l’eau doit évoluer afin de répondre à ces nouveaux enjeux. Madame la secrétaire d’État, quelle sera votre contribution dans cette réforme plus que jamais indispensable ? Quel est, selon vous, le niveau le plus pertinent pour la gestion de l’eau : le bassin versant, la région, le département, l’intercommunalité, la commune ? Et avec quels moyens ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Cadec, j’ai suivi avec beaucoup d’attention les problématiques liées à la sécheresse en Bretagne en 2022. Le préfet des Côtes-d’Armor m’a alertée sur le risque de rupture d’approvisionnement en eau potable.
La sécheresse touche désormais tous les territoires, même ceux qui ne connaissaient pas ces épisodes auparavant. J’y suis particulièrement sensible et, j’y insiste, c’est l’une de mes priorités au sein du Gouvernement.
Cette période de sécheresse a été sérieusement anticipée : le Comité d’anticipation et de suivi hydrologique (Cash) a été réuni dès le mois d’avril dernier et les préfets ont très vite reçu des instructions. Le plafond de dépenses des agences de l’eau a également été rehaussé de 100 millions d’euros, dès le mois de juin. Pour autant, nous avons été collectivement confrontés à la gestion d’une crise hors norme.
Parmi les difficultés rencontrées au cours de cette gestion de crise, nous avons dû faire face à des ruptures d’approvisionnement en eau potable qui ont concerné une centaine de communes rurales. Les impacts économiques ont été difficilement supportables pour certaines filières, notamment l’élevage.
Les écosystèmes ont également souffert de cette situation. Nous avons observé dans les territoires des incompréhensions en matière de gradation des restrictions et des exemptions, ainsi que des difficultés de communication. Nous devons tirer un maximum d’enseignements de cette année historique pour affronter les futurs épisodes de sécheresse, car leur fréquence et leur intensité vont forcément augmenter.
C’est le sens du travail de retour d’expérience que j’ai confié aux inspections générales des différents ministères concernés. Leur rapport, qui comportera notamment des pistes d’amélioration concrète, sera remis ce trimestre.
J’ai aussi demandé aux préfets des communes qui ont connu des ruptures d’engager sans délai l’accompagnement vers une meilleure résilience pour que la situation que nous avons connue l’été dernier ne se renouvelle pas cette année. Nous savons en effet que la situation pluviométrique ne nous permettra peut-être pas de passer la saison estivale sereinement. En tout cas, nous nous efforcerons d’être prêts l’été prochain.
M. Laurent Duplomb. En 2021, il pleuvait tous les jours !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Madame la secrétaire d’État, si elle a été positive sur certains points – je pense aux assurances agricoles, même si la question d’une alternative à l’usage de la moyenne olympique reste en suspens –, la démarche du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique est restée inaboutie sur la question de la ressource en eau et de ses usages.
Au mois de mai 2022, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) remettait un rapport d’évaluation de quinze projets de territoire pour la gestion de l’eau développés en France, assorti de recommandations de nature à améliorer cette approche collective de gestion de l’eau à l’échelle des bassins versants ou des ressources.
Dans le Gers, le PTGE de la Midouze a regroupé agriculteurs et usagers de l’eau. Un programme d’action a été établi et j’ai pris connaissance des attentes des protagonistes.
Ma question est double.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement entend-il inciter les territoires à développer sur l’ensemble de notre pays le dispositif des PTGE et celui-ci fait-il partie du plan Eau que vous avez annoncé ?
Ce serait, selon moi, une bonne chose, car la question doit être traitée dans le dialogue, la coresponsabilité et la compréhension mutuelle des multiples usagers de l’eau. À l’occasion de l’évaluation du PTGE de la Midouze, les agriculteurs ont déploré la longueur et la complexité du processus. Cinq à six ans, c’est beaucoup trop, même si le travail final est de qualité.
Si telle est votre intention, comment entendez-vous simplifier les procédures et accélérer les processus d’élaboration des PTGE ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Montaugé, le PTGE est un outil contractuel permettant d’assurer une gestion équilibrée de la ressource en eau, de maîtriser les pressions de prélèvement à un niveau compatible avec les objectifs environnementaux de la directive-cadre sur l’eau et de répondre aux enjeux du changement climatique.
L’instruction du Gouvernement du 7 mai 2019 relative au projet de territoire pour la gestion de l’eau a donné un nouvel élan à une gestion partagée de la ressource en eau. La démarche PTGE permet, dans une dynamique de dialogue avec tous les usagers de l’eau du territoire, d’aboutir à un programme d’action qui organise le partage de l’eau disponible dans un contexte de changement climatique. Ce programme doit mobiliser un panier de solutions : sobriété, solutions en lien avec la nature, mobilisation de nouvelles ressources, voire mesures de stockage compatibles avec l’atteinte du bon état écologique et permettant de concilier les différents usages.
Faisant suite à une décision du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique a été élaborée une instruction complémentaire à celle du 7 mai 2019, qui intègre les pistes d’amélioration des PTGE identifiées par le Varenne. En cours de signature, elle vise surtout à accélérer le processus, car, dans de nombreux territoires, les acteurs ne s’entendent pas sur le diagnostic et sur la nécessité d’agir collectivement. Elle présente aux porteurs de projet et aux acteurs de la démarche les points fondamentaux pour sa réussite, depuis la feuille de route de cadrage et l’élaboration du programme d’action jusqu’à l’accompagnement par les services de l’État.
Cette instruction détaille notamment le rôle de l’État dans chacune des étapes clés du PTGE, ainsi qu’en termes de gouvernance et en cas de blocage persistant. Elle a été élaborée en concertation dans le cadre du Comité national de l’eau, en lien avec les organisations agricoles et les organisations non gouvernementales (ONG).
Les PTGE n’ont pas vocation à être généralisés. Nous voulons en mettre en place un maximum, mais nous souhaitons surtout qu’ils fonctionnent.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Je souhaite que les PTGE fassent partie du plan que vous avez annoncé.
Pour votre gouvernement, l’eau, dans ses divers aspects et fonctions, devrait être érigée au rang de grande cause nationale et faire l’objet d’un plan Marshall – je pèse mes mots.
Le Gouvernement met en œuvre des règles d’exception pour accélérer le développement de la production d’énergie. Nous attendons de sa part la même approche pour la question non moins cruciale qui est celle de l’eau, à usage agricole en particulier, mais pas seulement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les cours d’eau de notre pays sont depuis longtemps équipés de nombreux ouvrages, tels que des barrages, des seuils ou des moulins.
Éléments familiers de nos paysages, ils furent un temps menacés d’une destruction intégrale par le principe de la continuité écologique, issu du droit européen, qui vise à débarrasser les cours d’eau de tout obstacle. La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, est venue partiellement apporter une solution en préservant certains ouvrages d’une destruction motivée par des gains environnementaux discutables, voire négatifs.
Toutefois, la Commission européenne a annoncé récemment son projet de supprimer les obstacles sur 25 000 kilomètres de cours d’eau dans l’Union européenne avant 2030. Ces ouvrages présentent pourtant deux avantages majeurs.
D’une part, ils peuvent être considérés comme une potentielle source énergétique propre, à l’heure où l’État a pour ambition une décarbonation de sa production d’énergie. Il s’agit là d’une source énergétique d’appoint du mix français, qui présente également l’avantage d’être non intermittente, à la différence des autres productions énergétiques renouvelables. Correspondant aujourd’hui à l’équivalent d’une centrale nucléaire, le potentiel des petites centrales hydroélectriques est encore largement inexploité.
D’autre part, les récents éléments climatiques extrêmes sont venus nous rappeler que les seuils, barrages et retenues d’eau pouvaient constituer des atouts pour prévenir les inondations. Il en va de même en matière de sécheresse : lors d’une récente audition au Sénat, le directeur de l’agence de l’eau Loire-Bretagne a souligné le rôle positif des retenues d’eau dans ce domaine.
Les agences de l’eau consacrent aujourd’hui d’importantes sommes à la destruction des barrages. Cet argent ne serait-il pas mieux employé s’il servait à l’entretien des barrages et à leur mise en valeur énergétique, ou encore à l’entretien des canalisations d’eau et d’assainissement et à celui des stations d’épuration ? (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Prince, la politique de restauration de la continuité écologique concilie les enjeux de restauration des fonctionnalités des cours d’eau avec le déploiement de l’hydroélectricité, la préservation du patrimoine culturel et historique ou encore les activités sportives en eaux vives.
Il ne s’agit en aucun cas d’une politique visant la destruction d’ouvrages sur les cours d’eau. À ce jour, la politique de priorisation mise en œuvre par le Gouvernement a permis d’identifier les cours d’eau sur lesquels il était important d’intervenir pour procéder à de la restauration écologique : ceux-ci représentent 11 % des cours d’eau.
La politique prévue consiste à procéder en priorité à des interventions sur environ 5 000 ouvrages, sur les 25 000 ouvrages obstacles à l’écoulement que comptent ces cours d’eau. La solution technique retenue consiste, selon les cas, à aménager l’ouvrage – je pense à la mise en place d’une passe à poissons, d’une rivière de contournement ou encore d’un abaissement du seuil – ou à le supprimer lorsqu’aucun usage n’est possible.
Depuis 2012, environ 1 400 effacements d’ouvrages ont été recensés sur ces 11 % de cours d’eau, soit moins de 6 % des ouvrages présentant un obstacle à l’écoulement à restaurer prioritairement. Cela représente 1 % de l’ensemble des ouvrages obstacles.
De nombreuses études et publications scientifiques démontrent l’intérêt d’effacer certains petits ouvrages sur les cours d’eau, tant pour la survie et la reproduction des poissons migrateurs que pour l’amélioration générale des fonctionnalités de la rivière, de sa biodiversité et de sa qualité en eau.
Enfin, la politique de restauration de la continuité écologique n’a pas entravé le développement de la petite hydroélectricité, qui a progressé significativement au cours des dernières années – plus de 150 000 mégawatts supplémentaires entre 2018 et 2021 – et n’est limitée que par le faible potentiel restant. La programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028 fixe d’ailleurs l’objectif d’augmenter les capacités hydroélectriques en France.
M. le président. La parole est à M. Cédric Vial. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Vial. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons besoin d’eau et nous avons de l’eau ! Toutefois, le contexte climatique change et le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) prévoit des modifications spatiales et temporelles des précipitations. Il pleuvra toujours autant, mais les pluies diminueront de l’ordre de 16 % à 23 % en été au profit d’épisodes plus intenses lors d’autres saisons, comme l’indique également l’étude Explore 2070.
Pour dire les choses simplement, nous aurons toujours autant d’eau, mais nous n’en aurons souvent pas assez quand nous en aurons besoin et nous en aurons parfois beaucoup trop, avec des risques plus importants de crues. Bref, nous aurons de l’eau si nous savons la gérer.
M. Laurent Duplomb. Exactement !
M. Cédric Vial. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous me dire pourquoi il est vertueux et écologiquement remarquable pour un particulier de stocker l’eau de pluie dans une citerne pour s’en servir quand il en a besoin et pourquoi il n’est pas vertueux de faire exactement la même chose quand il s’agit de retenues collinaires à des fins agricoles, touristiques ou industrielles ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le bon sens, que je vous invite à préférer au dogme et au discours militant, le travail scientifique, que je vous appelle à mettre au-dessus des idéologies, et les récents rapports de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) et de la délégation sénatoriale à la prospective nous incitent à déployer une véritable stratégie à long terme pour la gestion de notre ressource en eau.
Le remède est pourtant simple : nous avons de l’eau si nous savons la garder. Créer des retenues collinaires, favoriser le stockage domestique de l’eau de pluie, améliorer l’infiltration dans les nappes phréatiques, réutiliser les eaux usées – mais on peut aussi produire de la neige ou créer davantage d’espaces végétalisés –, stocker l’eau quand il y en a trop, la garder pour la réutiliser quand il y en a moins et quand on en a besoin : c’est ainsi que nous préserverons les débits de nos cours d’eau et la biodiversité à l’étiage.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement est-il prêt à ne pas reproduire les erreurs qu’il a faites avec notre politique énergétique, à afficher la stratégie que j’ai évoquée pour la gestion de notre ressource en eau et à s’appuyer pour ce faire sur les acteurs de proximité ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Vial, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur la rétention d’eau et sur la nécessité de regarder au cas par cas les différents projets proposés,…
M. Laurent Duplomb. Pourquoi au cas par cas ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. … en examinant les critères et en faisant preuve d’exigence quant à leur mise en œuvre.
Vous avez appelé mon attention sur la question de l’eau en montagne, sur laquelle je souhaite vous apporter des éléments.
Le changement climatique modifie d’ores et déjà le cycle de l’eau. En montagne, les chutes de neige sont de moins en moins importantes, car, on le sait, les glaciers reculent. Cela entraîne des conséquences à la fois pour l’économie des territoires de montagne et pour tous les territoires en aval qui dépendent de cette ressource en eau.
Les conséquences sont très visibles sur les domaines skiables, notamment dans les Pyrénées, les Vosges, le Jura, mais aussi, encore cette année, dans les Alpes. La sécheresse de 2022 a également durement affecté de nombreuses communes de montagne.
En zone de montagne, l’étiage se produit en hiver, et non en été. Avec l’impact du changement climatique, de nombreuses stations de ski ont besoin de stocker de l’eau pour faire de la neige de culture et sécuriser ainsi les pistes de ski. Ces investissements ont du sens, mais il faut prévoir plusieurs points de vigilance.
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas la question !
M. François Bonhomme. Vous ne lisez pas la bonne fiche ! Vous répondez à côté !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Je ne réponds pas à côté ! J’ai déjà évoqué cette question à propos du domaine de Sainte-Soline. Je ne pense pas que vous seriez satisfaits d’entendre de nouveau la même « fiche », comme vous l’appelez, sur la rétention d’eau.
M. François Bonhomme. Ce sont des lieux communs !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. Je peux vous redire exactement la même chose : la vigilance portée par le ministère de la transition écologique sur les projets proposés, la non-généralisation des rétentions d’eau, l’attention bienveillante que nous porterons aux projets respectant les critères de biodiversité et écologiques que nous mettons en œuvre.
M. Vial m’a notamment interrogée sur la question de l’eau en montagne. J’ai pensé qu’il serait intéressant de donner des informations complémentaires, notamment sur les stations de ski (M. Laurent Duplomb proteste.) qui se demandent comment résister demain à la pression et au réchauffement climatiques.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, n’en déplaise au Président de la République, la gestion de la ressource en eau est fortement prévisible et le récent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective démontre la nécessité de repolitiser d’urgence cette question.
L’hiver que nous connaissons est tout aussi inquiétant que l’été caniculaire auquel nous avons fait face et qui n’a pas épargné le bassin de la Loire que je connais bien. En l’absence de précipitations massives dans les prochains mois, des risques de pénuries sont à prévoir. Les collectivités territoriales et les agences de l’eau sont en première ligne et se sont saisies du sujet en diligentant des études hydrologie, milieux, usages, climat (HMUC), afin d’évaluer précisément la ressource du petit et du grand cycle de l’eau pour chaque territoire.
L’État ne doit pas être en retrait de cette politique publique.
Des solutions de nature financière peuvent être apportées pour accroître les investissements en matière d’assainissement. La commune des Ponts-de-Cé, qui m’est familière, a la chance de bénéficier d’une usine de retraitement des eaux particulièrement performante, qui, par un procédé d’ultrafiltration, permet d’assurer une eau de très grande qualité aux usagers et un taux de fuite de l’ordre de 7 %, très inférieur à la moyenne nationale qui est de 20 %.
Malheureusement, mon territoire fait figure d’exception. Aussi, madame la secrétaire d’État, prévoyez-vous un plan massif de soutien financier aux acteurs de la gestion de l’eau pour mener de front ces deux objectifs de qualité et de lutte contre le gaspillage dû à la vétusté des canalisations ?
Il est un autre point sur lequel Christophe Béchu est intervenu récemment : la sobriété. À ce jour, les préfectures de département comme de région disent ne pas être outillées pour informer la population. Au regard de l’ampleur de nos futurs manques, une communication nationale est-elle prévue pour répondre à nos impératifs de gestion et au désir de la population de participer à l’effort collectif ? Particuliers, monde économique, agriculteurs : chaque citoyen a un impact direct sur la masse globale et la qualité de l’eau.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Bigot, vous m’interrogez sur l’augmentation des coûts de la gestion de l’eau et de l’assainissement, ainsi que sur l’accompagnement des élus locaux face à cette hausse.
Le financement du service public de l’eau est fondé sur deux piliers : le prix de l’eau et les subventions publiques. Le prix de l’eau a en effet augmenté ces derniers mois du fait principalement de l’augmentation du prix de l’énergie et des réactifs, comme le chlore. C’est une réalité, qui pose de sérieuses difficultés, car cela nuit très fortement à la capacité d’investissement à un moment où l’on en a fortement besoin.
L’État est aux côtés des collectivités. Il faut travailler sur plusieurs axes.
Le premier axe, c’est d’aider les collectivités à investir. Ce sera notamment l’un des axes du plan Eau que nous présenterons d’ici à la fin du mois de janvier et sur lequel nous consultons actuellement les comités de bassin et les collectivités. La Banque des territoires sera mobilisée pour accompagner les investissements nécessaires.
Le deuxième axe, c’est de limiter le coût de l’accès à l’énergie. Les mesures prises par le Gouvernement permettent de limiter fortement l’augmentation du coût de l’énergie pour les gestionnaires de services d’eau et d’assainissement, donc pour les usagers finaux. Je pense en particulier au bouclier tarifaire et à l’amortisseur, ainsi qu’au filet de sécurité. La tendance d’augmentation du prix de l’eau va continuer : elle est liée à l’augmentation des prix de l’énergie et des réactifs, ainsi qu’au coût des travaux publics.
Dans les territoires où l’augmentation est très forte se pose la question de l’accès des citoyens à cette ressource. Il faudra mettre en place et renforcer les aides aux usagers les plus fragiles : je pense en particulier à la tarification incitative et solidaire. Les collectivités sont compétentes pour mettre en place une tarification sociale de l’eau. Il existe de nombreux outils pour cela, qui doivent être adaptés en fonction des territoires. Des mesures réglementaires seront prises pour faciliter cette modulation de la tarification.
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.
M. Joël Bigot. Voilà maintenant plus d’un an que les assises de l’eau ont eu lieu. Nous attendons des annonces très concrètes : vous avez donné des pistes, madame la secrétaire d’État, qui sont intéressantes, notamment sur la tarification sociale de l’eau.
M. le président. Mon cher collègue, je suis désolé de vous interrompre, mais je vous ai donné la parole pour la réplique alors que vous aviez épuisé le temps qui vous était imparti.
M. Joël Bigot. Dans ces conditions, je n’en dis pas davantage, monsieur le président ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Madame la secrétaire d’État, le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement préoccupe les maires et les élus intercommunaux. En effet, l’obligation de ce transfert en 2026 entraîne, de fait, une perte de pouvoir de décision des élus communaux.
Ces derniers mois, plusieurs propositions de loi, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont visé à revenir sur cette réforme des compétences du bloc communal. Trois raisons essentielles motivent cette démarche, qui tend au maintien des compétences eau et assainissement dans les compétences facultatives des communautés de communes.
Premièrement, il s’agit de garantir le libre choix des élus. La commune reste compétente en matière de distribution d’eau et d’assainissement selon le code général des collectivités territoriales. Il s’agit donc de conforter la commune comme cellule de base de la démocratie locale et de laisser aux communes la libre décision d’un transfert ou non.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. Jean-Marc Boyer. Deuxièmement, il convient de clarifier et harmoniser les relations entre les collectivités et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans la mise en œuvre de ce transfert de compétences. En effet, selon l’antériorité de la nouvelle organisation territoriale du mois d’août 2015, l’appréciation diffère entre compétence obligatoire et facultative et pose de réelles difficultés.
Troisièmement, il importe de différencier et d’adapter la mise en œuvre de cette compétence au regard de la typologie des territoires, très variable en fonction des captages et des interconnexions existantes.
La gestion de l’eau et de l’assainissement est très différente selon qu’il s’agit d’un territoire de plaine, de montagne, de haute montagne, de vallée, de zones humides. Elle nécessite donc une différenciation, appréciée au plus près des élus.
Aussi, au regard de ces trois éléments essentiels – liberté de décision, clarification, différenciation –, le maintien des compétences eau et assainissement dans les compétences facultatives des communautés de communes permettra de satisfaire les objectifs que vous avez évoqués précédemment, madame la secrétaire d’État : limiter le gaspillage, partager la ressource, sécuriser l’accès à l’eau potable, donc décentraliser la politique de l’eau.
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les raisons et les motivations qui interdisent aujourd’hui de maintenir les compétences eau et assainissement dans les compétences facultatives des intercommunalités ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Boyer, vous m’interrogez sur le transfert des compétences aux intercommunalités à partir du 1er janvier 2026, un objectif qui est une priorité forte du Gouvernement.
Prévue pour 2020 dans la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République du 14 juillet 2015, dite NOTRe, cette obligation a depuis été assouplie avec une date limite désormais fixée à 2026. Toutefois, il ne me semble pas pertinent de donner aujourd’hui un signe de retour en arrière, car cette disposition est essentielle.
Elle est essentielle pour garantir un service public efficace…
M. François Bonhomme. Il a toujours existé !
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État. … et un niveau de service que méritent les usagers. Cela passe par une capacité d’investissement suffisante. Nous avons assisté cet été aux appels à l’aide de nombreuses petites communes qui ne peuvent financer en urgence les investissements nécessaires pour la mise en place du citernage et la pose de canalisations.
Le recrutement d’agents techniques de bon niveau pour faire face à ces sujets très complexes est indispensable. Il faut une structure de taille suffisante pour disposer d’un véritable service technique. À l’appui de mon propos, je citerai le rapport de la Cour des comptes du mois de juin 2016, qui insiste sur l’enjeu de la rationalisation à poursuivre. La sécheresse de 2022 doit nous interpeller. Il faudra des collectivités ayant les moyens d’élaborer des projets et se placer à la bonne échelle territoriale.
Par ailleurs, nous avons trouvé ces dernières années des solutions permettant d’apporter des réponses à beaucoup de problèmes locaux. Les collectivités peuvent garder un prix de l’eau individualisé par secteur lors de l’entrée dans l’EPCI. Il est possible de garder des syndicats pour assurer les compétences eau et assainissement. Ces solutions ont été élaborées et débattues avec la représentation nationale – le Sénat y a d’ailleurs beaucoup contribué.
Je suis donc persuadée que nous avons trouvé un équilibre, qu’il faut de la visibilité et de la stabilité dans les décisions. L’enjeu maintenant est surtout d’aider les collectivités à organiser ces transferts et à investir, plutôt que de laisser penser que l’on ne peut rien changer. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Boyer. Les communes apprécieront…
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.
Mme Anne Ventalon. Madame la secrétaire d’État, comme l’a indiqué la délégation sénatoriale à la prospective dans son excellent rapport d’information, la question du financement est au cœur de la problématique de l’eau.
À l’instar d’autres départements, l’Ardèche a souffert d’une sécheresse d’une rare intensité en 2022. Celle-ci a duré de mai à novembre et a réduit drastiquement les ressources hydriques.
Ce déficit de pluviométrie a affecté tous les usages de l’eau, qu’il s’agisse des réseaux d’eau potable, de l’agriculture, de l’industrie ou des loisirs.
Si des mesures de restriction ont été prises pour affronter cette crise, nous savons que cette pénurie historique et son lot de records de températures n’auront demain plus rien d’exceptionnel.
Les communes et leurs groupements devront donc s’adapter à la nouvelle donne et assumer des investissements importants. Les acteurs du bloc communal déplorent déjà un désengagement des agences de l’eau, ce qui oblige, dans certains départements, à remplacer le financement qu’elles assuraient par des dotations de l’État, comme la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR).
Or les agences de l’eau disposent d’un plafond annuel de redevances de 2,2 milliards d’euros. Malgré le renfort des 100 millions d’euros fléchés vers l’investissement qu’a annoncé la Première ministre au mois de novembre dernier, les moyens de nos agences ne sont plus calibrés pour affronter les conséquences du réchauffement climatique, dont les effets se manifestent déjà.
De plus, ce sont ces agences qui abondent à hauteur de 80 % le budget de l’Office français de la biodiversité, ce qui représente une ponction de 15 % de leur budget.
Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous aider les agences de l’eau à sortir de cet effet ciseau ? Sans augmenter les factures d’eau des particuliers, de quelles ressources supplémentaires allez-vous les doter pour leur permettre de mener en parallèle l’adaptation des infrastructures au réchauffement et la contribution à la défense de la biodiversité ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Madame la sénatrice Ventalon, je l’ai déjà souligné, les agences de l’eau sont des outils anciens qui sont indispensables à la mise en œuvre territoriale de la politique de l’eau. Soyez assurée que j’ai suivi avec attention la situation de l’Ardèche. Nous devons avoir des solutions efficaces pour pallier le manque d’eau et le déficit structurel des nappes.
Comme je l’ai indiqué en réponse à la question de Mme la sénatrice Varaillas, malgré l’engagement du Gouvernement à maîtriser la fiscalité qui pèse sur les ménages, nous avons trouvé des marges de manœuvre budgétaires ces dernières années – je les ai détaillées.
Je tiens aussi à rappeler que les agences de l’eau représentent presque 1 500 agents dans les territoires pour accompagner les projets. Dans le contexte que représente l’adaptation au changement climatique, j’ai été attentive à ce que ces agences disposent de moyens pour répondre aux attentes des collectivités territoriales.
En termes de moyens humains, la loi de finances pour 2023 maintient, comme pour 2022, le plafond d’emplois des agences de l’eau, après dix ans de baisse.
Concernant le financement de la biodiversité par les agences de l’eau, le Gouvernement entend aussi votre inquiétude. Je pense qu’il ne faut pas opposer biodiversité, grand cycle de l’eau et petit cycle de l’eau. Pour autant, je regarderai avec attention les propositions issues du rapport sur le financement de la stratégie nationale pour la biodiversité pour 2030.
Je vous le redis, dans le cadre du plan Eau qui sera annoncé à la fin du mois de janvier, nous devrons préparer les prochains programmes d’intervention 2025-2030 : ne doutez pas de l’ambition du Gouvernement de doter les agences de l’eau de moyens suffisants pour répondre aux enjeux de l’adaptation au changement climatique.
M. François Bonhomme. Nous sommes rassurés…
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Madame la secrétaire d’État, après le covid-19 et la pénurie de masques, après la guerre en Ukraine et les pénuries d’huile et de moutarde, après le problème de l’énergie et l’envol des prix de l’électricité, menaçant de faire disparaître des pans entiers de notre économie – sans parler des risques de coupures –, vous vous apprêtez, en ce qui concerne la gestion de l’eau, à faire les mêmes erreurs que vos prédécesseurs, il y a quelques années, qui ont faire preuve d’un obscurantisme dangereux sur le nucléaire.
En effet, malgré de multiples rapports vous alertant sur la perte de notre souveraineté alimentaire et sur notre dépendance de plus en plus grande aux importations de produits alimentaires, vecteur d’émissions de carbone toujours croissantes, vous vous obstinez à vouloir sanctuariser à tout prix la ressource en eau.
Vous allez même, dans votre délire catastrophiste, jusqu’à faire croire que l’eau serait une ressource épuisable et non renouvelable, comme si sa non-utilisation et le refus de la stocker permettraient de mieux se prémunir des manques à venir.
Réduire, par la peur, la culpabilité et l’interdit – en un mot, par dogme –, les usages de l’eau potable à la seule alimentation humaine et sanctuariser cette ressource pour les milieux naturels est totalement fallacieux et, surtout, très dangereux.
Ne plus vouloir autoriser son utilisation pour l’agriculture, donc pour l’alimentation des hommes, ou tellement la réglementer qu’elle deviendrait impossible est suicidaire.
Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique pouvait laisser supposer qu’enfin vous aviez compris la nécessité de l’intérêt prioritaire de l’usage de l’eau à l’agriculture. C’était toutefois sans connaître l’obstination de notre technocratie abrutissante, qui n’aura eu de cesse, durant tous ces travaux, d’en faire au final une vraie supercherie.
Alors, madame la secrétaire d’État, dans quelques années, quand les Français ne pourront plus manger à leur faim à cause des décisions que vous aurez prises, ne croyez-vous pas qu’ils chercheront des responsables ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l’écologie. Monsieur le sénateur Duplomb, le contexte de raréfaction de la ressource nous conduit à accorder à la bonne gestion de l’eau une attention plus grande encore, afin de mieux anticiper collectivement les effets du changement climatique.
Je l’ai indiqué précédemment, c’est tout l’objet du chantier que nous avons lancé et qui aboutira à l’élaboration d’un plan Eau d’ici à la fin du mois de janvier. Ce plan traitera notamment de la sobriété des usages et de la gouvernance du partage de l’eau (M. Laurent Duplomb proteste.) ; vous semblez déjà connaître le contenu de nos annonces, monsieur le sénateur… (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Ces annonces seront ambitieuses. Un travail de concertation a déjà été mené avec l’ensemble des acteurs – vous-même avez dû contribuer au rapport d’information du Sénat sur le sujet –, qui permettra de nourrir la réflexion en vue des annonces que nous présenterons le 26 janvier prochain.
Dans le cadre de cette planification, il faut étudier toutes les solutions d’économie d’eau, mais également toutes les manières de rendre les usages de l’eau plus efficaces.
En ce qui concerne les retenues collinaires, s’il n’est pas question de généraliser ce dispositif en France, chaque projet respectant les critères exigeants que nous avons fixés – je pense en particulier au projet de Sainte-Soline et à celui du bassin du Clain – pourra être validé. Cela répond d’ailleurs à la question de M. Vial, à qui je n’ai pas réellement répondu, car je pensais que sa question porterait davantage sur l’eau en montagne.
Le stockage hivernal ne doit pas être écarté dès lors qu’il est jugé soutenable pour les milieux par les expertises techniques, qu’il s’inscrit dans un projet territorial largement concerté et favorable à la transition environnementale, par exemple s’il est conditionné à un usage plus sobre de l’eau, et qu’il contribue à un meilleur partage de la ressource. Ce n’est pas l’unique solution – dans nombre de territoires, il ne sera pas possible techniquement –, mais les réserves de substitution font bien partie du panel de solutions à mobiliser.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Rémy Pointereau, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau, pour le groupe Les Républicains. Vous l’avez constaté, madame la secrétaire d’État, les interventions de mes collègues démontrent que le système de gestion de l’eau de notre pays est à revoir de fond en comble.
Ce débat s’inscrit dans une série d’initiatives de la Haute Assemblée pour traiter cette ressource si importante, car, vous l’avez bien entendu, des problèmes demeurent. Notre ancien collègue Henri Tandonnet et notre collègue Jean-Jacques Lozach ont déjà tiré la sonnette d’alarme en 2016, au travers d’un excellent rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective intitulé Eau : urgence déclarée. Celui-ci soulignait notamment l’importance du gaspillage d’eau.
N’en citons qu’un seul exemple : les fuites des canalisations d’eau potable s’élèvent à 1 milliard de mètres cubes par an. Ce phénomène doit être mis en relation avec la question du stockage de l’eau, indispensable pour assurer notre indépendance alimentaire et il relativise le tollé des écologistes radicaux, puisque ce volume représente 2 000 réserves de substitution de 500 000 mètres cubes chacune, qui permettraient d’irriguer 500 000 hectares sans prélèvement supplémentaire dans la nappe.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
M. Rémy Pointereau. Si le Sénat a bien alerté l’État sur le sujet, disais-je, rien n’a changé ! Que voulez-vous, mes chers collègues, au Sénat, nous avons souvent raison trop tôt ; c’est notre croix…
En réalité, nous avons oublié que l’eau était une ressource non qui se crée, mais qui se gérait ; or, pardon de le dire, nous ne savons pas la gérer, Cédric Vial l’a rappelé. Alors que d’autres pays, pourtant proches de nous, comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, se sont lancés dans la réutilisation des eaux usées et dans la construction de réserves de substitution, nous continuons, nous, à regarder ces milliards de mètres cubes être gaspillés…
Autre preuve de la mauvaise gestion de cette ressource dans notre pays, le nombre d’acteurs qui gravitent autour de la politique de l’eau… Le 25 janvier dernier s’est tenu dans cet hémicycle un débat sur les agences de l’eau. À cette occasion, j’ai dénoncé le « labyrinthe crétois » que représente l’enchevêtrement des instances qui prennent les décisions : les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) les comités de bassin, les associations environnementales, qui sont d’ailleurs surreprésentées, les agences de l’eau, de taille XXL, ou encore les préfets coordinateurs de bassin.
L’État a ainsi suscité un émiettement des responsabilités, qui est illisible, surtout pour les élus locaux, mais il ne s’est pas contenté de cela ! Parce qu’ils appartenaient à la catégorie des « budgétivores », il a également piétiné les principes forts de gestion de l’eau issus de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite Lema, notamment le principe selon lequel « l’eau paie l’eau ». Avec une diminution de 400 millions d’euros par-ci, un prélèvement de 200 millions d’euros par-là, nous sommes passés de ce principe à celui selon lequel « l’eau paie l’État », comme l’a rappelé Catherine Belrhiti.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2023, nous avons tenté de revenir à ce principe fondateur, en rehaussant le plafond mordant des agences de l’eau, mais vous connaissez comme moi, mes chers collègues, la réponse du Gouvernement sur ce sujet, comme d’ailleurs sur l’ensemble du texte budgétaire : « Sénat, cause toujours, ça m’intéresse ! » Pourtant, cette mesure aurait permis de mieux financer l’eau et l’assainissement, comme l’ont rappelé Anne Ventalon, Alain Cadec et Jean-Marc Boyer.
Pardon d’être aussi cru, madame la secrétaire d’État, mais voilà ce qui arrive lorsque l’on ne fait pas avancer les choses sur un sujet si crucial, alors que d’autres ne cessent par ailleurs de tirer la sonnette d’alarme.
En résumé, l’ensemble des interventions de cet après-midi pourraient être réunies en une seule recommandation : il faut élaborer une Lema 2. En effet, si la loi de 2006 a permis de poser un cadre et d’atteindre un certain nombre d’objectifs, notamment l’amélioration qualitative de l’eau, elle n’a pas apporté de solution en matière de gestion quantitative de cette ressource.
Aussi n’aurai-je qu’une question à vous poser, madame la secrétaire d’État : êtes-vous favorable à une seconde Lema ? Si oui, nous sommes déjà en mesure de vous donner des orientations. En ces temps de crise de l’énergie, il faudrait relancer la production d’hydroélectricité, via une politique de construction de nouveaux barrages, ce qui permettrait en outre de soutenir l’étiage de nos rivières. Il conviendrait également de faciliter la petite hydroélectricité de nos rivières et moulins. Il serait par ailleurs nécessaire de simplifier les instances qui mettent en œuvre les politiques de l’eau. Il importerait en outre de renouer avec le principe « l’eau paie l’eau » et de favoriser la réutilisation des eaux usées. Enfin, il faudrait garantir l’accès à l’eau du secteur de l’alimentation en eau potable pour les productions alimentaires.
En effet, on ne peut pas continuer d’imposer aux agriculteurs d’accomplir les douze travaux d’Hercule pour pouvoir réaliser une réserve de substitution. Aux écologistes radicaux qui font le choix de la violence contre la création de ces réserves, nous devons rappeler que, jusqu’à preuve du contraire, il faut de l’eau pour l’agriculture même biologique, surtout si l’on veut diversifier notre production et conserver notre indépendance alimentaire, au lieu d’importer du maïs et du soja issus d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ou de semences venues de l’autre bout du monde – et ce n’est pas Laurent Duplomb qui me contredira.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Rémy Pointereau. Cette réforme s’impose ! Nous devons fixer un nouveau cadre – attention, pas de nouvelles normes, mais bien un nouveau cadre, plus lisible, plus accessible, pour permettre un usage efficace de cette ressource.
Madame la secrétaire d’État, vous nous avez donné un certain nombre d’avis, mais je souhaite désormais que l’on transforme le verbe en actions concrètes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la gestion de l’eau dans une perspective économique et écologique.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures neuf, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Instauration des zones à faibles émissions
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’instauration des zones à faibles émissions (ZFE).
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Philippe Tabarot, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Philippe Tabarot, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ZFE : trois lettres, un sigle de plus et encore une promesse non tenue d’un fleuve tranquille, tant le sujet de la voiture est devenu inflammable. Je me réjouis donc de l’initiative du groupe Les Républicains, auquel j’appartiens, qui a souhaité l’organisation de ce débat sur l’instauration des zones à faibles émissions, les ZFE.
La population a-t-elle vraiment conscience des restrictions de circulation vouées à se multiplier sur l’ensemble du territoire d’ici à 2025 ? Non, certainement pas. Un récent sondage de l’institut Harris soulignait d’ailleurs que 60 % des sondés ignoraient même ce qu’était une ZFE…
Pourtant, près de 40 % du parc automobile actuel est directement voué à être interdit. Toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants doivent instaurer d’ici à 2025 des zones à faibles émissions mobilité, ou ZFE-m, dans lesquelles seuls certains véhicules, les moins polluants, seront autorisés à accéder au centre-ville.
Cette mesure visait initialement à engager un double objectif salutaire : d’une part, celui de la santé publique, afin que les 40 000 décès annuels liés aux particules fines ne soient plus relégués au second plan, d’autre part, celui de la décarbonation du secteur des transports, le plus gros émetteur de gaz à effet de serre, décarbonation essentielle pour renforcer le droit à la mobilité.
Depuis lors, monsieur le ministre, votre gouvernement a amplifié le mouvement, en mettant au pas quarante-cinq agglomérations, avec, à la clef, l’interdiction prochaine de circuler dans ces zones pour des millions de véhicules.
Néanmoins, d’atermoiements en hésitations, de report en report de leur mise en place, les ZFE, dont l’application est à l’opposé des principes ayant présidé à leur création par la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), relèvent plus aujourd’hui du rituel sacrificiel que du principe positif originel, tant elles suscitent défiance et désespérance.
Pourquoi ?
Tout d’abord, la transition écologique ne peut se faire dans un contexte de perte de vitesse de notre souveraineté, qu’il s’agisse de notre souveraineté économique, via notre incapacité à produire des véhicules électriques à faible coût pour les Français, ou de notre souveraineté énergétique, avec le recours précipité aux centrales à charbon après l’abandon manifeste de notre énergie nucléaire abondante et peu onéreuse.
Ensuite, la transition écologique ne peut pas davantage s’accomplir dans un contexte de rejet social. En cherchant à « starifier » à tout crin une vision anti-voiture, vous avez omis de sanctuariser le seuil d’acceptabilité, totem de justice sociale intimement mêlé à la réussite de la mesure. À vouloir ménager un seul pan de la population, vous mécontentez tout le monde. Figés dans une sorte de sectarisme bureaucratique, vous chassez même, par l’application maximaliste de ces mesures, ce qui fait la richesse d’une nation, la classe moyenne, laquelle symbolise aujourd’hui, malgré elle, la paupérisation de notre Nation.
Entre les plaidoyers acquis sur le marché de la peur et entendus sur les terrains de l’écologisme politique et les tenants du laissez-faire, une voie d’équilibre existe, autre que la fabrique en puissance à « gilets jaunes ». C’est celle que nous avons tâché d’emprunter au Sénat. L’équilibre, ce n’est ni l’eau tiède ni le statu quo ; l’équilibre, c’est le fait de transcender les égoïsmes et de respecter le réalisme.
« L’équilibre est un effort et un courage de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l’avenir », disait Albert Camus. Dans le contexte actuel de changements importants, un sursaut de mobilité doit s’exercer. Le Sénat multiplie les propositions en ce sens, comme la fixation de la TVA à 5,5 % pour les transports ou encore la fin des modernisations au rabais de nos infrastructures.
Quand le Gouvernement a présenté la généralisation des ZFE en 2021, lors de l’examen de ce qui allait devenir la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, texte dont j’étais rapporteur, mes collègues et moi avons insisté sur la nécessité de faire en sorte que la ZFE ne soit pas un facteur aggravant des inégalités.
Malheureusement, à trop agir avec verticalité et radicalité, vous avez dénaturé cette aspiration et transformé les ZFE en « zones de forte exclusion », incarnant ainsi le nouveau miroir d’une écologie antisociale. La ministre Pompili ne nous a pas écoutés et la majorité présidentielle a refusé nos propositions.
Au Sénat, nous avons toujours défendu une écologie qui récuse les mesures strictement punitives et qui accompagne le changement. Aussi, nous avons prôné une approche territorialisée, plus souple, qui fasse confiance aux élus locaux.
Le calendrier trop rapide et restrictif, faisant fi des délais réels de déploiement, impose aux collectivités territoriales un ensemble détaillé de restrictions allant à l’encontre même de la philosophie originelle de l’instrument, pensé d’abord comme un outil de régulation.
Nous avons proposé de revoir le schéma de restriction, de mieux prendre en compte les livraisons et le déploiement des infrastructures de recharge, de décaler la date de mise en œuvre de l’obligation et d’assouplir celle-ci au travers d’un régime de dérogation et d’une minorité de blocage. Nous avons également pointé les lacunes en matière de contrôle. En effet, on ne saurait mettre en place des ZFE sans avoir des moyens adéquats de contrôle, qui sont loin d’exister, même aujourd’hui, en 2023.
En témoignent les récents reports de mise en place, les périodes dites pédagogiques de la métropole d’Aix-Marseille ou encore l’annonce édifiante de la métropole de Nice, dont un conseiller a déclaré : « Nous ne mettrons pas les effectifs de police municipale pour contrôler une interdiction alors que l’État qui en est à l’origine ne mobilise pas ses propres policiers nationaux pour le faire. »
Nous avons tout de même réussi, au cours de la commission mixte paritaire la plus longue de la Ve République, à obtenir de haute lutte la mise en place d’un prêt à taux zéro, applicable depuis le 1er janvier dernier, pour l’acquisition d’un véhicule propre et que nous souhaiterions voir garanti à 100 % par l’État. Ce seul soldat sauvé est un corollaire à notre sens indispensable d’une transition juste.
Plus d’un an et demi plus tard, le temps presse, mais les esprits changent. Face au mouvement bruissant de contestation, vous semblez enfin écouter nos orientations. Je vous les assène de nouveau.
Dès lors que la maturité technologique des véhicules n’est pas au rendez-vous, la ZFE exclut. Dès lors que la France est encore loin de pouvoir offrir un prix de marché abordable pour les voitures propres, la ZFE exclut. Dès lors que certains de nos concitoyens ne se voient pas proposer, malgré les aides, de solutions de substitution financièrement viables, la ZFE exclut. Dès lors que les réseaux des transports en commun ne sont pas assez développés pour permettre de se rendre au centre-ville de manière efficace et rapide, la ZFE exclut. Dès lors que les autorités organisatrices de la mobilité, étranglées par la hausse de l’énergie et sans effort partagé supplémentaire, se voient dans l’obligation d’augmenter les tarifs des billets, la ZFE exclut.
Aujourd’hui, le Gouvernement semble disposé à écrire un nouveau chapitre, grâce à un changement de braquet matriciel. Vous réalisez aujourd’hui que la vérité que vous imposiez hier s’est révélée une erreur. Enfin ! Une réunion des exécutifs locaux concernés a été convoquée, une aide du fonds vert annoncée, une mission flash à l’Assemblée nationale lancée. Je note même la publication du décret du 24 décembre 2022 sur la mise en place d’un régime de dérogation pour les agglomérations, proposé initialement par le Sénat.
Je ne doute pas que mes collègues du groupe Les Républicains Michel Savin, Laurence Garnier, Elsa Schalck, Laure Darcos, Stéphane Le Rudulier, Brigitte Micouleau et Christine Lavarde pointeront avec pertinence les faiblesses de cette mesure.
Entre les chantres de l’anti-bagnole et la suppression unilatérale de la mesure, le Sénat a fait le choix de ZFE faites avec les territoires et non contre eux. Monsieur le ministre, je vous engage donc au nom du groupe Les Républicains à poursuivre dans cette voie, en arrêtant d’imposer et en vous inspirant d’une méthode respectueuse des Français, résumée dans cette formule : informer, écouter et accompagner. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aurais pu souscrire assez largement aux propos que vient de tenir Philippe Tabarot et je n’ai pas le sentiment, en m’exprimant cet après-midi devant vous, d’être dans une opposition frontale avec le Sénat et sa majorité. Je souhaite simplement discuter et présenter, expliquer une mesure qui a certainement souffert d’un défaut de pédagogie et qui, dans les textes – peut-être moins dans la mise en œuvre –, fait précisément l’objet d’un caractère progressif, territorialisé, même si certains angles morts doivent être supprimés. C’est ce à quoi je m’emploierai dans le temps qui m’est imparti aujourd’hui.
Je veux tout d’abord revenir sur un élément : les ZFE visaient initialement non pas à concourir à la transition écologique, mais à répondre à une préoccupation relative à la pollution atmosphérique.
M. Daniel Breuiller. Exact !
M. Christophe Béchu, ministre. À cet égard, je tiens à rendre hommage aux sénateurs qui ont contribué à l’élaboration du rapport de la commission d’enquête, publiée au mois de juillet 2015, sur le coût économique et financier de la pollution de l’air (M. Julien Bargeton applaudit.) – 100 milliards d’euros –,…
M. Daniel Breuiller. Tout à fait !
M. Christophe Béchu, ministre. … tout en précisant que les choses sont minorées. Ce rapport continue de faire référence et autorité aujourd’hui : il est régulièrement cité. Je salue à ce titre le sénateur Husson, qui y a pris sa part. Grâce aux bases actualisées de Santé publique France, nous savons que, en 2021, 40 000 décès étaient liés aux particules fines et 7 000 aux oxydes d’azote.
En outre, et cela revient de manière systématique, ce sont les plus fragiles qui se retrouvent en première ligne face à cette pollution : les plus âgés, les plus jeunes et ceux qui vivent dans des logements les moins bien isolés. L’objectif des ZFE n’est donc pas d’entraver la vie de nos concitoyens, c’est de les protéger.
Dans notre pays, la qualité de l’air s’est améliorée de manière progressive, mais nous devons rester vigilants. Je rappelle d’ailleurs à ceux qui considèrent que nous allons trop vite que l’État a même été condamné par le Conseil d’État, en raison de dépassements persistants de seuils dans plusieurs agglomérations. Je précise d’ailleurs que ces décisions de justice valent pour l’État, mais également pour les collectivités territoriales incapables de faire respecter ces seuils. La responsabilité, y compris judiciaire, est donc partagée pour revenir sous les seuils fixés non par le Gouvernement, mais par l’Union européenne et par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), même s’il y a sans doute des choses à dire à ce sujet.
Ainsi, pour être très concret, je rappelle que la réduction des émissions de polluants s’inscrit dans le cadre d’un plan national, dont les zones à faibles émissions constituent une mesure importante.
Ces zones ne sont pas une invention française. J’ai parfois l’impression, à écouter certains discours, que nous aurions imaginé un dispositif original. À l’heure où nous parlons, quatorze pays européens ont mis en place des zones à faibles émissions et deux cent soixante-dix villes, agglomérations ou métropoles sont aujourd’hui concernées par une telle zone. Les principes retenus diffèrent parfois des nôtres, mais ils reposent presque systématiquement sur quelques invariants.
Pour mettre en place cet outil européen, nous avons adopté, dans le cadre de la loi Climat et résilience, un calendrier progressif, qui impose une mise en œuvre à compter du 1er janvier 2023 dans les dix métropoles en dépassement, tout en laissant à celles-ci le choix des modalités, y compris au travers d’innovations locales. Je pense par exemple aux motards, pour lesquels le Gouvernement n’avait pas imaginé d’obligations, mais qui font l’objet, dans certains territoires, de restrictions, sans que cela figure dans la loi ou dans ses textes d’application.
D’ici à 2025, vous l’avez dit, monsieur le sénateur Tabarot, quarante-trois agglomérations de plus de 150 000 habitants devront avoir mis en place une ZFE et le fameux décret ayant paru pendant les vacances de Noël ne fait qu’appliquer la loi Climat et résilience en précisant les conditions normales de dérogation, en effet suggérées par la Haute Assemblée. Cette mesure permettra aux agglomérations significativement au-dessous du seuil de demander une dérogation à la mise en place des ZFE. Sur les quarante-trois agglomérations, il y en a au moins une dizaine qui réunissent les critères leur permettant, si elles le souhaitent, d’obtenir cette dérogation.
Pour les agglomérations qui dépassent les seuils, le calendrier d’interdiction fixé dans la loi concerne, à partir du 1er janvier 2023, les véhicules relevant du Crit’Air 5 – les véhicules diesel de plus de 22 ans, soit 6 % du parc –, à partir du 1er janvier 2024, les véhicules relevant du Crit’Air 4 – les véhicules diesel de plus de 17 ans, soit 8 % du parc – et, à partir du 1er janvier 2025, les Crit’Air 3, qui comptent beaucoup de voitures diesel et quelques voitures à essence. Je le répète, toutes les accélérations de calendrier procèdent de décisions territoriales et ne sont en aucun cas liées à une décision que le Gouvernement aurait soutenue, accompagnée ou justifiée.
En elle-même, la ZFE ne vise pas à réduire le nombre de voitures, comme je l’entends parfois, elle vise à diminuer la circulation des modèles polluants. Que nous menions par ailleurs une politique de décarbonation des transports se traduisant par la diminution du nombre de véhicules thermiques, en particulier des voitures, au titre de la transition écologique, je l’assume pleinement, mais ce n’est pas à proprement parler le sujet de la ZFE.
Ce dispositif vise en effet au remplacement des moteurs, non à la diminution du parc. C’est ce qui explique les aides spécifiques liées à ces zones, telles que le bonus écologique, la prime à la conversion, le microcrédit ou le prêt à taux zéro…
M. François Bonhomme. Mais cela ne fonctionne pas !
M. Christophe Béchu, ministre. … et c’est ce qui expliquera le dispositif permettant, à compter du second semestre de cette année, via la réservation du leasing à 100 euros, de concrétiser la promesse de campagne du Président de la République.
À ceux qui nous ont reproché de ne pas aller plus vite, je veux opposer l’argument déjà évoqué de la souveraineté et des emplois : nous ne voulons pas mettre en œuvre une mesure de soutien massif à l’acquisition de véhicules électriques à faible prix tant que ceux-ci ne sont pas produits sur le sol européen. La cohérence de la planification écologique exige à la fois de pousser les constructeurs à construire des véhicules électriques sur notre sol et de garantir que nos aides soient orientées vers les filières européennes et françaises. La transition répond en effet à un enjeu climatique, mais ne doit se faire au détriment ni de notre souveraineté, ni du pouvoir d’achat, ni des recettes fiscales de notre pays, qui sont autant de leviers pour avancer.
Ainsi, il y a ce cadre et puis il y a le fait que les collectivités ont aujourd’hui à leur main un calendrier permettant, sauf si elles dépassent les seuils, de déterminer les modalités de mise en œuvre de la ZFE, les dérogations, les horaires, les jours, les dispositifs relatifs aux véhicules utilitaires légers des artisans ou les accompagnements logistiques. Tous ces sujets, y compris les modalités de contrôle, sont laissés à l’appréciation des collectivités, les recettes des contrôles étant d’ailleurs destinées à financer les frais de cette mise en œuvre pour les collectivités.
Il y a quelques semaines, quasiment dès mon arrivée, à la fin du mois d’octobre, j’ai pris l’initiative de réunir, pour la première fois, l’ensemble des agglomérations concernées, afin de constituer des groupes de concertation. La première réunion depuis le 22 octobre dernier aura lieu jeudi prochain et vise à mettre en place un groupe de concertation associant les maires et les patrons de ces territoires, pour proposer un certain nombre de mesures sociales et d’harmonisation. Je ne doute pas que nos échanges d’aujourd’hui nous permettront de ressortir d’ici avec quelques idées sur la manière d’améliorer ce dispositif. (MM. Bernard Buis, Joël Guerriau et Pierre Louault applaudissent.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Michel Savin. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. Monsieur le ministre, la mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) soulève un certain nombre de questions, notamment pour les personnes habitant dans les territoires situés autour de ces zones.
Dans les territoires peu denses, notamment dans les zones de montagne, souvent mal desservies par les transports en commun, il est impossible de renoncer à la voiture pour se déplacer et les habitants de ces territoires sont amenés à se rendre au sein des ZFE, que ce soit pour travailler, pour se soigner ou pour d’autres motifs.
En outre, cela a été rappelé à plusieurs reprises, nombre d’automobilistes n’ont pas les moyens de changer de véhicule, surtout dans le contexte actuel d’inflation. On garde rarement une vieille voiture polluante par plaisir. Mon collègue Philippe Tabarot l’a souligné, il serait injuste que ces personnes soient sanctionnées sans que leur soit proposée une solution de substitution crédible pour leurs déplacements, d’autant qu’ils font partie de ceux que vous appelez les plus fragiles.
Vous souhaitez que nous soyons constructifs et que nous proposions des idées. Une solution pourrait consister à conditionner l’activation de chaque ZFE au fait que l’agglomération considérée soit bien dotée en parkings relais à ses entrées et que ces parkings soient desservis par des transports en commun performants. Cette solution, déjà évoquée dans cette enceinte, permettrait en outre de traiter le problème récurrent de l’encombrement des entrées d’agglomération.
Je souhaite savoir si le Gouvernement compte proposer des aides financières aux collectivités pour ce type d’aménagements et si l’activation des ZFE pourrait être conditionnée à la présence de ces parkings relais.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Savin, je partage cette idée cruciale : à aucun moment il ne faut donner à penser que la véritable raison d’être de cette mesure serait de limiter la mobilité de ceux qui vivent en milieu rural ou d’inciter ceux qui n’ont pas d’argent à ne pas se déplacer, sous prétexte que ce ne serait pas souhaitable.
Le risque existe que les zones à faibles émissions soient perçues comme le retour des octrois du Moyen Âge ou d’autres limitations semblables. J’entends ce qui se dit des ZFE et je ne considère pas comme une coïncidence le fait d’avoir à débattre après-demain, à l’Assemblée nationale, d’une proposition de suppression des ZFE dans le cadre de la niche du Rassemblement national ni le fait que la France insoumise ait demandé, la semaine dernière, la suspension de la mesure.
Je suis particulièrement attentif, depuis le premier jour, à placer au cœur de mes réflexions l’accompagnement solidaire de l’ensemble des habitants. Jean-Luc Moudenc a accepté d’animer, aux côtés de la vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, qui a mis en place une ZFE, un groupe de travail sur les mesures sociales à mettre en œuvre pour éviter les problèmes que vous décrivez.
Strasbourg est un exemple intéressant : la ville autorise son accès à toutes les motorisations vingt-quatre fois par an, indépendamment de la vignette, de manière à pallier le manque de disponibilité des véhicules autorisés et l’absence d’un marché de l’occasion assurant un reste à payer peu élevé.
La question des parkings relais est essentielle. Le fonds vert, que vous avez bien voulu adopter, consacre aux ZFE une enveloppe de 150 millions d’euros, comme Mme Lavarde a eu l’occasion de le souligner… (Mme Christine Lavarde sourit.) Dans ce cadre, les collectivités en dépassement de seuil toucheront 15 millions d’euros, celles établissant des ZFE sans dépassement obtiendront 6 millions d’euros et celles où des ZFE sont en projet percevront 1 million d’euros.
Ces fonds permettront de financer ou d’accompagner la nécessaire mise en place de parkings relais en entrée ou en sortie de ville, connectés à des transports en commun ou à d’autres types de mobilités.
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Monsieur le ministre, j’entends bien votre réponse sur les crédits du fonds vert, mais il faut que l’État s’engage clairement auprès des collectivités. Ces dernières se voient dans l’obligation de mettre en œuvre la réglementation sans avoir les moyens de développer des modes de déplacement alternatifs à la voiture.
Tant que les collectivités n’auront pas mis en place de solutions de remplacement, les ZFE ne seront pas compatibles avec les territoires ruraux et de montagne. Elles entraîneront un vrai dysfonctionnement, une vraie séparation entre les collectivités, accentuant la rupture sociale. L’enjeu est important pour nos territoires. (M. Yves Bouloux approuve.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Ne regardons pas la carte de France des quarante-trois ZFE susceptibles de se déployer à terme comme si elles étaient pleinement effectives pour toutes les voitures, sauf les véhicules électriques.
La réalité du terrain est qu’une dizaine de territoires seulement ont commencé à les mettre en place et que celles-ci concernent essentiellement les Crit’Air 4 et 5. Nous sommes loin de ce que certains décrivent.
Nous en sommes encore au temps de la pédagogie et de la construction des outils d’accompagnement.
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le ministre, garantir la qualité de l’air et protéger par là même notre santé est absolument essentiel, comme vous l’avez souligné. Cela implique de réduire nos émissions polluantes contribuant à la formation de particules fines.
Les réflexions que nous avons échangées dans cet hémicycle sur les zones à faibles émissions furent intenses, ce qui démontre la complexité et, surtout, la nécessité de trouver des solutions efficaces.
Depuis dix jours, une nouvelle étape est franchie avec l’entrée en vigueur des restrictions ou interdictions de circulation des véhicules Crit’Air 5 dans certaines zones. Quand pourrons-nous disposer des premiers retours d’expérience des métropoles mettant en place une zone à faibles émissions, comme en Loire-Atlantique, par exemple, département que vous connaissez bien ?
Je m’interroge plus largement sur le parc automobile français et ses évolutions. Je pense notamment à la décarbonation et à la fin de la vente de véhicules thermiques neufs prévue en 2035. La volonté de bien faire ne se heurte-t-elle pas aux réalités techniques et entrepreneuriales françaises ? Certaines études mettent en doute la consommation en carburant des véhicules hybrides rechargeables sur longue distance, dès lors qu’ils ont épuisé leur faible autonomie électrique.
Nous nous interrogeons également sur la capacité des constructeurs français à créer des voitures électriques compétitives.
Enfin, le maillage territorial des bornes de recharge électrique et des stations hydrogène est loin d’être suffisant. Quels sont les obstacles à son développement ? Quelles sont les prochaines étapes envisagées pour son déploiement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Guerriau, je ne pense pas que les bornes de recharge soient le véritable sujet. Leur déploiement avance vite, conformément aux ambitions retenues par tous les acteurs.
On en dénombre actuellement 82 000, en augmentation de 53 % au cours des douze derniers mois. À ce rythme, nous atteindrons les 100 000 bornes ouvertes au public au cours du premier trimestre, voire du premier semestre en cas de léger ralentissement.
Nous en sommes même à 1,2 million en intégrant les points de recharge des entreprises et des parkings. De nouvelles obligations seront bientôt mises en place.
Le véritable enjeu est celui des bornes de recharge rapide pour la mobilité longue distance. Avoir la journée ou la nuit pour faire sa recharge est une chose, mais être capable de le faire au cours d’un trajet longue distance en est une autre.
L’année 2022 a consacré le lancement d’un appel à projets spécifique sur ces bornes de recharge très rapide, ce qui a permis de valider soixante-dix projets, allant de six à dix points de recharge ultrarapide, en ZFE. Le coût de ces installations ne représente qu’un tiers des 300 millions d’euros engagés dans le cadre de France 2030, sans même considérer les investissements privés susceptibles de voir le jour ailleurs.
Si ces points de recharge rapide retiennent notre vigilance, deux autres sujets essentiels touchent à l’industrie. Le premier concerne la prise de position de l’Europe sur la fin des moteurs thermiques ; le second consiste à s’assurer de l’absence de signaux contraires, afin que chacun comprenne que les efforts de recherche et développement doivent être consacrés au développement d’alternatives aux voitures thermiques. Il est indispensable de tenir ce cap en termes de discours et d’accompagnement.
Dans ce domaine, Français et Européens doivent sortir d’une sorte de naïveté. Au moment où le président Biden lance un plan qui, sous couvert de transition écologique, permet de subventionner ce qui se fabrique aux États-Unis, notre réflexion sur le soutien à l’électrification du parc automobile doit s’accompagner d’une forme de souveraineté, nationale ou européenne, en réservant une partie des aides à ce qui peut être produit sur notre territoire. C’est ce que je souhaite ; je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en reparler. (M. Joël Guerriau applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique.
M. Jacques Fernique. Monsieur le ministre, vous avez raison d’insister sur l’essentiel : la pollution de l’air représente plus de 40 000 décès prématurés par an en France, 400 000 en Europe, et près de 500 à Strasbourg. Oui, les ZFE relèvent d’abord de l’écologie protectrice.
M. Daniel Breuiller. Exactement !
M. Jacques Fernique. Il est tout aussi essentiel de rappeler que les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) sont une réponse éprouvée en Europe, avec près de 270 zones effectives. Comme l’affirme à sa façon Bruno Bernard, à la métropole lyonnaise : « Ne pas faire un truc aussi simple qui existe dans [tant] d’autres villes européennes, c’est absurde ! »
Ce « truc » est en effet « simple », mais il suppose un engagement fort de l’État aux côtés des collectivités. Or l’implication de celui-ci ne peut être considérée comme étant à la hauteur. Vous parliez, voilà quelques instants, de défaut de pédagogie : nous avons besoin d’une forte campagne nationale valorisant l’intérêt des ZFE. Il faut s’attaquer à l’idée fausse selon laquelle l’instauration de ces zones relèverait de simples initiatives locales, disparates et hasardeuses.
Pour les aides dédiées aux modes de transport alternatifs et à l’acquisition de véhicules moins carbonés, nous avons besoin de clarté et de moyens à la hauteur : guichet unique, prêt à taux zéro garanti à 100 %… Strasbourg va incessamment décider d’abonder ses aides, déjà fortes, pour prendre en compte l’inflation. L’État doit se montrer à la hauteur.
Les ZFE seront un succès si un choc d’offre de transports collectifs vient répondre aux interdictions. Là aussi, l’État et la SNCF doivent être au rendez-vous. Depuis le 11 décembre, les Bas-Rhinois ne le ressentent pas ainsi : suppressions de trains, retards et fiasco, selon certains, du nouveau réseau express métropolitain, qui perd chaque jour en crédibilité. L’État doit peser sur la SNCF pour qu’elle réagisse rapidement.
Ce dernier n’a pas tenu son engagement d’assurer aux ZFE, en 2022, un système de contrôle-sanction automatisé. Il faut se reprendre vite et bien, en assurant le retour vers les collectivités concernées de l’essentiel du produit des amendes. Ainsi, Lyon attend un calendrier et des précisions pour l’affectation de ces recettes. Ne laissons pas se décrédibiliser nos ZFE en n’assurant pas le respect des règles nécessaires qu’elles instituent. (MM. Daniel Breuiller et Gilbert-Luc Devinaz applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Pour répondre au premier point de votre question très complète, monsieur le sénateur, le deuxième trimestre de cette année sera le temps de la pédagogie et des campagnes d’information. Nous rappellerons, au travers d’une campagne nationale, la finalité des ZFE, leur objectif, leurs modalités et la valorisation des vignettes Crit’Air.
Pour le deuxième point, relatif à l’accompagnement et à l’aide de l’État, 2023 coïncide avec la mise en place du prêt à taux zéro. Il manque seulement la garantie de l’État, même si ce n’est qu’une question de jours, pour que ce système fonctionne et éviter ainsi de se retrouver confrontés à un défaut de bancarisation, malgré une mise en place théorique.
Nous avons relevé les plafonds d’aides, en faisant en sorte, tant pour la prime à la conversion que pour le bonus écologique, de les élargir à la moitié des Français – sans entrer dans les détails, ce sont globalement les cinq premiers déciles qui ont droit aux aides maximales…
La surprime ZFE de 1 000 euros constitue une nouveauté. Elle peut aller jusqu’à 3 000 euros à partir du moment où les collectivités locales apportent un coup de main. Il existe aussi un dispositif de microcrédit.
La plupart de ces aides ne sont pas éligibles seulement pour le neuf, mais aussi pour l’occasion. Une partie d’entre elles concerne également les véhicules thermiques Crit’Air 1 afin de tenir compte à la fois de la disponibilité des véhicules, pour ceux qui se plaindraient du reste à payer, et de la crédibilité de l’ensemble.
Le contrôle-sanction automatisé ne sera pas disponible avant le second semestre de l’année 2024 – je l’ai dit dès le mois d’octobre dernier aux collectivités concernées. Nous devons passer ce marché sur le plan national, avec l’Agence nationale de traitement automatisé des infractions (Antai). Ce contrôle reposera a priori sur la lecture de plaques d’immatriculation, ce qui suppose de concevoir un marché, à la fois en termes de configuration, de sécurisation des données, de flux et de fléchage vers les collectivités locales, dans le cadre de l’Union des groupements d’achats publics (Ugap). Les collectivités pourront ainsi se saisir d’un projet sur étagère, à charge pour elles de déterminer le nombre des installations et une partie de leurs caractéristiques techniques.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Mises en place depuis les années 1990 dans plusieurs pays européens, les ZFE ont été rendues obligatoires en France par deux lois récentes : celle du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités et celle du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
En effet, le constat, que vous avez rappelé, est simple : l’air respiré dans les métropoles est néfaste pour la santé. Par conséquent, il est nécessaire de remplacer progressivement les véhicules les plus polluants par de plus écologiques et de faire appel à d’autres formes de mobilité, actives ou collectives, notamment avec le développement de lignes de covoiturage et de transports en commun repensés, allant des zones périurbaines aux agglomérations concernées.
Actuellement, onze métropoles ont rejoint le dispositif ; d’ici à 2025, les quarante-trois agglomérations de plus de 150 000 habitants de France métropolitaine, dont Brest, devront avoir créé leur ZFE et décidé du rythme d’interdiction des voitures en fonction de leurs vignettes Crit’Air.
Relever ce défi suppose une information claire, une coordination entre les différentes zones concernées ainsi qu’un éventail d’aides et de dispositifs dédiés à la réussite de cette politique. En ce sens, un référent interministériel sur les ZFE doit être nommé. De même, des groupes de travail doivent être mis en place, notamment sur l’harmonisation des règles des différentes ZFE pour les questions de transport et de logistique ou encore sur l’acceptabilité sociale. Le lancement, courant 2023, d’une campagne de communication à destination du grand public afin d’expliquer cette politique est également prévu.
Pourriez-vous nous préciser la composition de ces groupes de travail ainsi que leurs feuilles de route et leurs agendas ?
Pourriez-vous également revenir sur les différents dispositifs d’accompagnement des particuliers, des entreprises et des collectivités ? Quelles sont les aides à l’achat d’un véhicule à faibles émissions ? Parmi celles-ci, lesquelles rendront le « rétrofit », ou « rétrofitage », accessible au plus grand nombre ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, deux groupes de travail, pilotés par la vice-présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, Mme Jean, et par le président de la métropole de Toulouse, M. Moudenc, vont être créés, conformément à la proposition de France urbaine.
Nous partageons tous l’idée qu’il n’est pas absurde que l’État demande aux élus locaux, lorsqu’il leur transfère une responsabilité, des explications sur la mise en œuvre du dispositif, sur les manques avérés et sur les manières de l’améliorer.
Ces deux groupes de travail se réuniront pour la première fois le 12 janvier, soit le jour de la nomination du coordinateur interministériel. L’objectif est de consacrer, tous les deux mois, un temps spécifique à divers sujets, en particulier l’harmonisation et l’accessibilité sociales. La fin des travaux est prévue pour juin prochain, afin d’apprécier les mesures à mettre en œuvre.
La question du niveau des aides et du type d’accompagnement dont les collectivités bénéficient, ou souhaiteraient bénéficier, sera au cœur des discussions.
En ce qui concerne les aides, vous pouvez prétendre à un prêt à taux zéro depuis le 1er janvier 2023 si vous vivez dans une ZFE. De surcroît, vous bénéficiez d’une surprime à la conversion.
En sus de ces deux dispositifs spécifiques aux ZFE, les aides classiques à l’électrification du parc valent également. Je pense à la prime à la conversion, d’un montant de 6 000 euros à la fois pour les deux premiers déciles et pour les cinq premiers déciles de la catégorie « gros rouleurs », de 4 000 euros pour les véhicules thermiques, de 1 000 euros pour les véhicules d’occasion.
Je pense également au bonus écologique, rehaussé à 7 000 euros pour les cinq premiers déciles. Une surprime est accordée aux habitants d’une commune ou d’une intercommunalité concernée par une ZFE ou à ceux qui travaillent dans une telle zone.
Je pense enfin au microcrédit, dans la limite de 8 000 euros, qui peut se cumuler avec les dispositifs que j’ai mentionnés.
M. le président. La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.
M. Gilbert-Luc Devinaz. Depuis de nombreuses années, nous savons que la pollution atmosphérique a des conséquences néfastes sur la santé humaine.
Santé publique France estimait en 2021 à 40 000 le nombre de décès prématurés par an dus à la pollution de l’air. Dans le Grand Lyon, métropole où je vis, plus de 15 000 personnes sont exposées à un niveau excessif de dioxyde d’azote.
Il y a urgence et la France est à la traîne ! Or la mise en place de ces ZFE se fait plus ou moins difficilement selon les territoires. Les collectivités ont besoin du soutien de l’État pour assurer le succès du dispositif.
La répétition étant l’art de la pédagogie, j’aimerais avoir si le Gouvernement prévoit de mettre en œuvre un plan de communication national afin de sensibiliser l’ensemble des citoyennes et des citoyens et de lever les ambiguïtés sur les réels objectifs d’une ZFE, que vous avez soulevées, monsieur le ministre, dans votre propos introductif.
Le Gouvernement prévoit-il d’autoriser le déploiement de moyens de contrôle et de rendre ainsi les ZFE réellement efficaces ?
Envisagez-vous d’instiller de la souplesse pour permettre aux populations éloignées des centres métropolitains et ne disposant ni de transports en commun ni des moyens financiers nécessaires pour changer de véhicule, d’y accéder sous certaines conditions, comme le préconisait la mission flash de l’Assemblée nationale sur les mesures d’accompagnement de la création de zones à faibles émissions mobilité ? À ce titre, le cas de Strasbourg me semble très intéressant.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, la communication est théoriquement obligatoire dans les mois qui suivent la mise en place d’une nouvelle ZFE par une collectivité territoriale.
Toutefois, nous avons bien compris la limite de ce dispositif. Certaines personnes faisant probablement moins attention aux panneaux d’affichage que d’autres, alors qu’il s’agit des moyens d’expression des collectivités locales, et la pédagogie étant bien l’art de la répétition, je vous confirme qu’une campagne nationale beaucoup plus forte a vocation à être menée au deuxième trimestre de cette année. J’y associerai le groupe des quarante-trois présidents d’agglomération pour étudier avec eux les arguments à mettre en avant et les éléments sur lesquels nous devons insister.
Cette communication est importante pour rappeler la finalité de la mesure et pour ne pas la laisser dépeindre comme recherchant un objectif de forte exclusion, même si j’ai conscience que ce risque existe.
Vous m’interrogez sur l’accompagnement des collectivités, en particulier sur les moyens de rendre effectives les ZFE. Tout l’enjeu – j’ai eu l’occasion de le préciser – consiste à se donner les moyens de construire des dispositifs clés en main dont les collectivités pourront se saisir pour assurer le contrôle automatisé du respect des zones à faibles émissions. Celles qui ne souhaiteraient pas un tel contrôle pourraient d’ailleurs s’en passer : les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) à Lyon, par exemple, comme partout en France, sont déjà habilités à sanctionner le non-respect d’une ZFE-m.
Il faut suivre, en matière de moyens automatisés, des procédures relevant de l’Antai, mais pas seulement. Nous nous penchons actuellement sur cette question. Nous voulons que les solutions retenues permettent d’intégrer dans la future base de données les véhicules des personnes en situation de handicap, qui ne sont pas concernés par le dispositif, les véhicules anciens et les véhicules utilitaires qui bénéficieraient d’exonérations.
Vous m’interrogez également sur l’accessibilité sociale. L’enjeu, je vous le confirme, est d’éviter toute situation d’exclusion. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place un groupe de travail, de même que nous suivons de près l’initiative strasbourgeoise.
M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec.
M. Gérard Lahellec. La question des ZFE, dont nous débattons aujourd’hui, concerne principalement les métropoles.
Pour autant, la pollution atmosphérique touche tout le monde. Les conséquences néfastes sur l’environnement dépassent d’ailleurs le cadre de nos seules frontières.
Les ZFE poussent à l’interdiction de l’usage de véhicules polluants, qui sont souvent ceux des ménages à faibles ressources. Il s’agit fréquemment du seul moyen de transport disponible pour se rendre au travail, étudier ou se faire soigner.
Nous ne pouvons nous contenter d’interdire ; il nous faut également assurer la transition des mobilités en la soutenant davantage. Dès lors, la question du coût nous paraît centrale.
Je prendrai un exemple simple, celui de la performance économique du fret ferroviaire. En raison de la flambée actuelle du prix de l’électricité, le transport ferroviaire aurait avantage à faire rouler des locomotives diesel sous caténaire plutôt que d’utiliser l’énergie électrique. Le chantier de transport combiné de la plateforme de Rennes est ainsi contraint d’envisager un surcoût du transport ferroviaire, alors que le mode diesel reviendrait beaucoup moins cher.
Les entreprises en reviennent donc forcément à des modes de transport plus polluants. Il en va ainsi des liaisons entre Rennes et le sud-est de la France, tandis qu’un autre projet est singulièrement avancé entre Rennes et Lille pour des marchandises partant de la campagne et à destination de ces mêmes villes.
Monsieur le ministre, ne serait-il pas temps d’envisager des dispositions spécifiques afin de ne pas contrarier les projets de transport vertueux ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Lahellec, vous allez m’obliger à citer une nouvelle fois un rapport sénatorial. (Sourires.)
En effet, l’excellent rapport d’information Comment remettre la SNCF sur rail ? s’intéressait aux moyens de doubler la part du fret ferroviaire en France pour revenir dans la moyenne européenne. À se pencher sur les préconisations formulées par les sénateurs, dont certains sont ici présents, la question du coût n’est pas l’élément déterminant pour bloquer le déploiement du fret ferroviaire.
Un rendez-vous important se tiendra sans doute à la fin de ce mois : la remise du rapport du Conseil d’orientation des infrastructures (COI). Ce sera une bonne occasion de mesurer notre degré d’ambition ferroviaire. À ce titre, je ne me tourne pas seulement vers Didier Mandelli, dont chacun se souvient du travail sur la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, ni vers Philippe Tabarot, qui a été membre de cet organisme.
Pour aller plus loin, deux questions sont incidemment posées.
En premier lieu, il faut examiner les suites à donner à la LOM. Les fameux RER métropolitains sont des éléments de réponse. Ils apportent une offre de substitution dans les territoires les plus denses, donc dans les ZFE.
En second lieu, et plus largement, se pose la question du fret. La régénération du réseau est positive pour tous les trains, fret compris. Si certaines difficultés peuvent être liées à cette régénération sur les plateformes, d’autres sont liées à l’existence d’une centaine de sociétés différentes exploitant les wagons de fret et dont les systèmes d’accroche ne sont pas automatisés, ce qui provoque des troubles musculo-squelettiques pour les personnes qui les manœuvrent et entraîne des temps de logistique qui ne sont pas nécessairement adaptés.
Votre question prolonge notre débat en ce que le développement du fret permet de diminuer la circulation des poids lourds sur notre territoire et pas uniquement à l’intérieur des ZFE. Si cet enjeu n’est pas en lien direct avec notre discussion, il s’inscrit bien dans une lutte plus large, à la fois pour la décarbonation et contre les pollutions.
Je vous donne donc rendez-vous dans quelques semaines, monsieur le sénateur, pour poursuivre cette réflexion au moment de nous pencher sur la question du ferroviaire.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. L’instauration de ZFE dans les grandes métropoles françaises est liée à un objectif clair de santé publique. Chacun connaît les effets de la pollution – qui entraîne 40 000 décès chaque année – sur la santé humaine.
La multiplication des ZFE dans les prochaines années suppose néanmoins une meilleure acceptation sociale. La transition écologique ne pourra se réaliser ni être imposée dans un contexte de rejet.
À l’heure actuelle, cette acceptation rencontre des obstacles. Dans une partie des plus grandes métropoles de l’Hexagone, les réseaux de transport en commun demeurent insuffisamment développés pour permettre aux habitants de se déplacer rapidement, particulièrement dans les communes périurbaines qui ne bénéficient pas, contrairement aux centres-villes, d’une offre de transport public adaptée. Dans ces communes à dominante pavillonnaire, éloignées des zones d’emploi, l’utilisation du véhicule personnel relève dès lors d’une nécessité.
Une fois ce constat dressé, il nous faut urgemment résoudre l’équation financière. Les dispositifs existants en matière de transition vers des véhicules propres, y compris la surprime dans les zones à faibles émissions, ne peuvent constituer une aide suffisante pour les millions de ménages modestes concernés. La diminution du prix des véhicules électriques, annoncée depuis plusieurs années, ne se matérialise que lentement ; or ce coût important constitue une barrière difficilement franchissable pour nos concitoyens les moins aisés.
Dès lors, monsieur le ministre, ma question est très simple : comment le Gouvernement compte-t-il améliorer l’accompagnement financier des ménages les plus modestes dans l’acquisition de véhicules propres ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Longeot, je souscris à tous vos propos, sauf pour dire que la question est simple… (Mme Annick Jacquemet et M. Jean-François Longeot acquiescent.) Si tel était le cas, nous aurions déjà trouvé des consensus nous permettant d’y répondre.
Au regard du nombre de personnes qui considèrent que l’écologie punitive est l’ennemie de l’écologie et que conduire une politique de transition écologique contre les Français n’entraîne ni transition écologique ni adhésion,…
M. Laurent Duplomb. C’est pourtant ce qui se passe !
M. Christophe Béchu, ministre. … mieux vaut chercher à inciter plutôt qu’à contraindre. Nous devrions tous, de bonne foi, nous retrouver sur cette position.
Des injonctions contradictoires transparaissent très concrètement : je les assume. On ne peut attendre des secteurs industriels concernés qu’ils soient matures alors qu’ils veulent savoir avec certitude si certaines lois vont entrer en vigueur avant de développer ou de mettre en place une partie de leur recherche et développement…
Où est la solution ? Elle se trouve à mi-chemin entre ceux qui exigent la mise en place immédiate des radars afin de sanctionner rapidement et ceux qui appellent à ne pas les installer. La voie intermédiaire consiste à conserver les dates prévues, à adopter les mesures d’accompagnement et à miser sur deux éléments.
Le premier élément, c’est la mise en place d’un marché des véhicules hybrides et électriques de seconde main. Dans quel monde les ménages achètent-ils des voitures neuves ? Dans notre pays, l’âge moyen des propriétaires de voitures neuves est de 57 ans. Or ces propriétaires appartiennent rarement aux deux derniers déciles. On se retrouve donc avec des aides laissant un reste à payer inatteignable pour les plus fragiles compte tenu du prix des véhicules électriques. C’est la raison pour laquelle il est si important de développer la seconde main.
Le second élément, c’est la mise à disposition de véhicules de plus petit gabarit. Il s’agit du chaînon manquant dans la mesure où nous savons tous qu’il est impossible de développer un réseau de transports en commun à même de se substituer totalement à la voiture individuelle dans les 36 000 communes de ce pays.
Dans les zones denses, il est souhaitable de développer les transports en commun pour les rendre plus performants. Mais ce serait une aberration, notamment écologique, de faire rouler des cars à vide dans des secteurs où il serait préférable de se tourner vers une voiture propre ! L’alternative n’est pas toujours envisageable.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le ministre, je souhaite appeler votre attention sur le manque de lisibilité et de prévisibilité globale des ZFE-m qui handicape les entreprises et les transporteurs dans leurs décisions de renouvellement de flotte.
En effet, si le cadre législatif laisse aux métropoles une grande souplesse pour déterminer le calendrier de mise en œuvre, les conditions d’accès aux zones et les mesures d’accompagnement, cette flexibilité entraîne surtout une forte différenciation d’une métropole à une autre.
Aussi, quand la majorité d’entre elles, à l’instar de la métropole bordelaise, dont je suis issue, n’en sont qu’à la phase de concertation, la métropole de Grenoble interdit dès à présent la circulation des véhicules utilitaires légers et poids lourds non classés, Crit’Air 5, 4 et 3.
C’est pourquoi, en sus d’approfondir le processus d’harmonisation des mesures à l’échelon national, il est primordial que vous répondiez plus concrètement aux difficultés structurelles que rencontrent les professionnels dans leur adaptation aux nouvelles normes imposées par ces ZFE.
En effet, leur parc, composé quasi exclusivement de véhicules diesel classés au mieux Crit’Air 2, est tributaire d’une offre industrielle de véhicules classés 0 ou 1 encore très réduite, notamment sur les segments des véhicules les plus lourds et ayant besoin d’une autonomie élevée.
Ajoutez à cela d’importants délais de livraison, des coûts d’acquisition élevés et des incertitudes sur la disponibilité et l’avitaillement en énergies alternatives, et vous aurez autant de raisons de trouver une voie de négociation avec les métropoles afin d’obtenir des délais de mise en œuvre. Merci de m’éclairer sur vos orientations en la matière.
Enfin, pouvez-vous m’indiquer, monsieur le ministre, s’il est envisageable que l’État mette en place, sur le modèle de la transition énergétique des logements, différents opérateurs pouvant accompagner les entreprises, en qualité de tiers financeurs, dans leurs décisions de renouvellement des flottes ?
Cette démarche incitative permettrait un recours simplifié et plus économique au rétrofitage, par exemple, mais aussi la baisse des coûts de production des véhicules Crit’Air 0 ou 1 ainsi qu’une diminution du reste à charge des demandeurs, lequel est toujours aussi élevé malgré les subventions de l’État et des territoires.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Delattre, je vous remercie de cette question, qui me permet de me concentrer sur les véhicules professionnels.
Avant de répondre plus précisément, je vous rappelle qu’il existe des aides spécifiques pour les artisans. Je parle d’une enveloppe de 9 000 euros dans le cadre de la prime à la conversion, d’un bonus écologique, qui peut monter jusqu’à 4 000 euros, et de la surprime ZFE pour la prime à la conversion, qui peut elle-même monter jusqu’à 3 000 euros. Ensuite, il existe un dispositif spécifique pour les poids lourds, avec un appel à projets coordonné par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) permettant un accompagnement jusqu’à 100 000 ou 150 000 euros par véhicule lourd dans le cadre de la mutation d’une flotte logistique.
Je passe rapidement sur ces aides, qui ne sont pas le cœur de votre question. Vous m’interrogez en effet, d’un côté, sur l’harmonisation, de l’autre, sur la façon d’accompagner la filière, indépendamment de ces aides.
L’harmonisation va être au cœur des préoccupations des groupes de travail animés par Mme Jean et M. Moudenc, qui pourront s’appuyer sur l’Ademe et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ainsi que sur le secteur de la logistique. Il est primordial d’intégrer les professionnels à ces groupes de travail pour faire remonter leurs préoccupations, comme vous venez de le faire, madame la sénatrice, sur la difficulté de procéder à un changement de motorisation.
L’âge moyen du parc professionnel est un peu moins élevé que celui du parc des particuliers. La raison en est simple : plus une voiture est vieille et plus elle consomme et le prix de l’essence étant l’un des éléments de leur compétitivité, les entreprises ont plutôt tendance à rajeunir leur parc. Il s’agit donc de problématiques différentes.
En ce qui concerne le tiers financement, je vous avoue que je m’interroge. Dans quelques jours, ce n’est pas un secret, le Gouvernement va soutenir une proposition de loi, qu’il avait appelée de ses vœux, sur le tiers financement pour la rénovation thermique des bâtiments des collectivités locales. Pourrait-on imaginer un dispositif du même type pour le rétrofitage ? La question est ouverte…
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Garnier. Monsieur le ministre, comme toutes les grandes métropoles françaises, Nantes devra mettre en place une ZFE au plus tard le 31 décembre 2024.
Sur le plan purement environnemental, cela peut apparaître comme une bonne nouvelle pour la santé des Nantais. Toutefois, dès le lendemain, c’est-à-dire le 1er janvier 2025, la dérogation accordée pour l’atterrissage des avions à Nantes Atlantique tombera. De ce fait, de nombreux avions survoleront Nantes, une ville que vous connaissez bien, et notamment des quartiers comme Graslin, l’Erdre, Bretagne, qui comptent des dizaines de milliers d’habitants.
Monsieur le ministre, convenez qu’il va être difficile pour nous de parler de zones à faibles émissions, dès lors que les émissions toxiques liées au transport aérien vont remplacer celles du transport routier. Le Président de la République a fait le choix, voilà quelques années, d’abandonner le projet de transfert et de maintenir l’aéroport à proximité du centre-ville. Les Nantais vont donc en subir directement les conséquences en matière de qualité de l’air dans les prochaines années.
Monsieur le ministre, aurons-nous à Nantes une vraie ZFE ou bien une ZFE en trompe-l’œil, les particules fines des avions venant remplacer celles des voitures ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame Garnier, curieusement, il arrive souvent que je sois très surpris par les questions d’élus proches géographiquement de mon territoire. (Sourires.) Je m’attendais à beaucoup de questions, mais pas à celle-là !
J’en avais préparé d’autres, qui ne m’ont pas encore été posées, en particulier sur les ports. En effet, des maires m’ont fait savoir qu’ils souhaitaient des mesures à ce sujet. C’est un dossier que nous ouvrons : il s’agit de nous assurer que les efforts entrepris pour l’électrification des ports ne se traduisent pas par l’émission de particules fines venant des bateaux à quai.
Dois-je comprendre, madame Garnier, que vous nous suggérez de prolonger les dispositifs applicables à l’aéroport Nantes-Atlantique et arrivant à échéance ? Ou souhaitez-vous que nous menions un travail spécifique sur ce point ? Je suis bien évidemment ouvert à cette dernière hypothèse.
Notre sujet est non pas de nous interroger sur l’origine des émissions, mais bien de mesurer les impacts positifs. La seule chose que je puisse dire, à la minute où je vous parle, c’est que les territoires qui ont déjà été obligés d’instaurer une ZFE étaient en dépassement de seuils. Nantes n’est pas dans ce cas.
Je suis à votre disposition, tout comme à celle de Mme la présidente de la métropole nantaise, pour prolonger cette discussion. Je vous confirme que la circulation automobile n’est pas seule en cause. Il est d’autres types de pollution auxquels le Gouvernement s’attaque avec la même ardeur.
Quand nous mesurons les seuils pour savoir si un territoire doit passer en ZFE, nous ne distinguons pas les sources de pollution. En revanche, nous nous attachons à évaluer l’impact des ZFE déjà mises en place. Pour l’instant, la seule pour laquelle nous disposons d’un minimum de recul, c’est celle de Paris, où l’on estime que 50 000 à 100 000 habitants sont sortis des seuils de pollution.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Garnier, pour la réplique.
Mme Laurence Garnier. Monsieur le ministre, vous avez dit à plusieurs reprises qu’il allait falloir faire preuve de pédagogie pour expliquer cette réforme. Vous comprenez qu’il va être difficile d’expliquer aux Nantais qu’il y aura, demain, les bonnes particules fines, liées aux passages des avions, et les mauvaises particules fines, liées à la circulation automobile !
Je suis bien évidemment ouverte à votre proposition de rencontre et d’échange. Le sujet mérite d’être étudié de près pour garantir aux Nantais la qualité de l’air qu’ils appellent de leurs vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Je n’aimerais pas que l’on nous prête, à l’un et à l’autre, des propos que nous n’aurions pas tenus : à la minute où nous parlons, ni vous ni moi ne disposons d’éléments nous permettant de dire que la situation va se dégrader à l’échéance que vous avez évoquée, ni dans quelle proportion.
Notre souci commun est la santé des habitants. Nous devons donc être en mesure de déterminer la part de chaque source potentielle de pollution en particules fines ou en dioxyde d’azote.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, la mise en place de zones à faibles émissions est une nécessité qui réclame beaucoup d’anticipation. En effet, la ZFE mobilité va contraindre un grand nombre de nos concitoyens à moins utiliser leur voiture thermique, trop ancienne.
S’il s’agit d’une bonne chose non seulement pour la décarbonation de notre mode de vie, mais surtout pour l’amélioration de la qualité de l’air, ce qui est tout de même le but premier de ce dispositif, c’est aussi une très mauvaise nouvelle pour ceux qui n’ont aucun autre moyen personnel de se déplacer. C’est le cas notamment des personnes habitant dans les villes, ou en périphérie de villes, où les transports en commun et les mobilités dites douces sont à la peine actuellement.
Dans certains territoires, l’offre de transports en commun s’est réduite avec la crise du covid-19. La situation s’est ensuite aggravée avec les difficultés de recrutement de chauffeurs et le coût de l’énergie. Les services ne fonctionnent pas à plein et n’ont pas retrouvé partout le niveau d’avant-covid. Or il est légitime que tous les citoyens puissent trouver des solutions pour leurs déplacements quotidiens. Monsieur le ministre, avez-vous envisagé des consultations citoyennes à même d’accompagner sereinement cette transition ?
Si les transports publics relèvent de la compétence des collectivités, nous savons très bien que certaines d’entre elles n’offrent pas encore toutes les alternatives utiles, faute d’investissement.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire concrètement comment l’État compte aider les collectivités à court, moyen et long terme pour développer les solutions alternatives au « tout-voiture » ? Je veux parler de véritables pistes cyclables et de cheminements de piétons dignes de ce nom.
Enfin, si nous voulons que le calendrier soit respecté et que l’acceptabilité sociale soit assurée, il faut que l’instauration des ZFE soit juste. Les vignettes Crit’Air le sont-elles ? C’est une question que l’on peut légitimement se poser, sachant qu’elles n’intègrent, par exemple, ni la masse ni la consommation du véhicule.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu sur la question de la pédagogie ; je vais donc me concentrer sur les modes de transport alternatifs à la voiture que vous avez évoqués et sur la façon d’accompagner ces usages.
Il faut être juste, tout n’est pas seulement de la faute des collectivités locales ou de l’offre. Le vrai sujet, c’est que nous n’avons pas retrouvé le niveau de fréquentation pré-covid, même là où l’offre est restée comparable. Certains de nos concitoyens se méfient et ne veulent pas se retrouver à touche-touche dans des transports en commun. Je le répète, à offre constante, la fréquentation a reculé dans un certain nombre d’endroits.
Au-delà de ce constat, nous savons que les besoins d’investissement sont importants, d’où la relance de l’appel à projets pour les transports en commun en site propre.
Je souhaite également évoquer deux programmes, qui ne sont pas du tout mineurs : d’une part, le plan Vélo, qui s’élève à 250 millions d’euros en 2023, soit le double de la moyenne de ces quatre dernières années, d’autre part, le plan covoiturage, doté de 200 millions d’euros, mis en œuvre cette année.
Nous sommes convaincus que la lutte contre l’autosolisme et le recours aux solutions souples est l’un des moyens les plus sûrs d’être au rendez-vous climatique, sans bouleverser notre parc. De ce point de vue, nous constatons des résultats spectaculaires dans un certain nombre de collectivités, en particulier dans celles où une aide financière a été mise en place pour accompagner le covoiturage, soit précisément ce que le Gouvernement entend soutenir.
La suite, ce sont les infrastructures et les réflexions sur un certain nombre de sujets dans le cadre de la planification écologique. Certains préconisent que l’on donne aux élus locaux la capacité de faire davantage en autorisant, par exemple, le relèvement du versement transport, impôt s’appuyant sur la masse salariale des entreprises pour financer les réseaux de transport sur tout notre territoire.
Faut-il aller plus loin ? La question est ouverte : je pense que le taux de TVA réduit de 5,5 % sur les transports est une excellente idée en ce qu’elle permet de redonner du pouvoir d’achat ou du soutien à l’investissement dans les territoires.
Nous devons bien évidemment concentrer notre action non seulement sur les voitures thermiques, mais aussi sur les autres mobilités qui permettent de les remplacer.
M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, je n’incriminais pas du tout les collectivités. Je vous interpellais sur la nécessité d’un choc de l’offre : les pistes cyclables en France ne sont pas au niveau que nous pourrions attendre. Si peu de gens les utilisent, c’est souvent pour des questions de sécurité.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre. Je partage votre constat, mais il est assez rare que l’on décide d’une piste cyclable à l’échelon du ministère.
Le plan Vélo est là pour répondre aux éventuels besoins financiers, mais le déficit de volonté politique ne dépend pas que du Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog.
Mme Christine Herzog. Monsieur le ministre, en mai dernier, Martine Filleul et moi-même avons remis un rapport d’information sur la mise en place des ZFE mobilité au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Nous y préconisions une phase de concertation entre l’État et les collectivités territoriales.
La nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre fait consensus, mais la mise en œuvre pose question. Comment ? Quand ? Avec quel argent et, surtout, selon quelle communication ? Nos concitoyens se posent mille questions avant de passer à l’achat d’un véhicule électrique.
Qui dit ZFE mobilité dit renouvellement du parc automobile. L’idée de supprimer les véhicules est donc clairement sous-jacente, mais comment se passer d’un véhicule pour aller au travail ? C’est une réalité du monde rural trop souvent oubliée.
Même avec une aide à la conversion de 19 000 euros, l’achat d’un véhicule électrique, qui coûte au moins 30 000 euros, représente une dépense trop importante. Les jeunes qui entrent dans la vie active ne peuvent se le permettre : ils prévoient en moyenne 5 000 euros pour l’achat d’un premier véhicule. Aussi, ce sont principalement les petits revenus urbains et ruraux qui se trouvent pénalisés.
Où sont les bornes ? Comment les financer ? Quid de l’aménagement des parkings extérieurs et souterrains de copropriété ? Combien de bornes de recharge allez-vous faire installer en milieu urbain et rural pour assurer la mise en conformité sans taxer les communes ?
Que vont devenir les stations-service ? Va-t-on envisager, comme en Chine, des stations de recharge de batteries ? Y aura-t-il un modèle universel de batterie ou seront-elles différentes selon les constructeurs ? Comment faire pour les déplacements des travailleurs frontaliers, par exemple de Moselle, qui travaillent à l’étranger ?
Les Français ont besoin de savoir. Nous devons sortir de la science-fiction pour retomber dans le réel.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Herzog, compte tenu du temps dont je dispose, et si vous me le permettez, je ne reviendrai pas sur les dispositifs d’aide que vous avez mentionnés. Il est essentiel de disposer de cette offre de seconde main, dont je parlais précédemment, et de modèles plus adaptés.
Vous avez évoqué un sujet dont on parle très peu, celui des stations-service. Je veux rappeler à cet égard qu’il existe un dispositif spécifique pour permettre aux stations-service indépendantes qui délivrent moins de 2 500 mètres cubes d’essence par an de bénéficier d’un taux de subvention de 60 % à 70 % pour s’équiper en bornes de recharge. C’est typiquement une mesure qui va faciliter la conversion en milieu rural. C’est concret, c’est tangible, et cela existe depuis la loi de finances rectificative pour 2021.
En parallèle, la stratégie de la haute recharge s’impose ; elle doit s’accompagner d’une réflexion sur les aires d’autoroute et les mobilités transfrontalières. Le fait d’avoir des constructeurs principalement européens et des standards arrêtés à l’échelon européen tend à effacer les frontières administratives, le modèle étant globalement le même partout en Europe.
La plus grande station de recharge rapide va ouvrir au mois d’avril prochain, à Madeleine-Tronchet, et représentera l’équivalent de 500 postes de recharge. Nous avons quantité d’autres dispositifs de ce type dans les tuyaux. Nous réfléchissons notamment au branchement de bornes de recharge rapide sur des sites de production d’énergies renouvelables répartis sur l’ensemble du territoire.
Une entreprise très innovante a levé beaucoup de fonds pour développer un système très prometteur, avec des capacités de recharge électrique très rapide partout en France. Il s’agirait du meilleur élément de réponse aux problématiques que nous sommes en train d’évoquer – je ne ferai pas de publicité dans l’hémicycle, mais je serai à votre disposition à l’extérieur. (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Elsa Schalck. Monsieur le ministre, la question de l’acceptabilité sociale est primordiale s’agissant des zones à faibles émissions.
Nous avons toujours insisté, au Sénat, sur l’impérieuse nécessité d’anticiper les aides financières à déployer, de renforcer les mesures d’accompagnement, d’agir de manière progressive et non à marche forcée. Autant de conditions pour éviter que les ZFE, qui sont des outils pour combattre la pollution atmosphérique, ne se transforment in fine en « zones à forte exclusion ».
Actuellement, il demeure un reste à charge trop élevé pour un grand nombre de ménages, notamment les plus modestes, les jeunes actifs et ceux qui sont éloignés des transports en commun. Il en est de même pour les entreprises, en particulier les commerçants et les artisans, déjà fortement fragilisés par la conjoncture. Faisons attention à la césure qui pourrait s’accentuer entre les milieux urbain, périurbain et rural.
En voulant laver plus vert que vert, certains territoires se dirigent malheureusement tout droit vers une ZFE restrictive et punitive. Nous avons de nombreux débats au sein de l’Eurométropole de Strasbourg, où il a été décidé, contre l’avis de certains maires, d’appliquer le dispositif à l’ensemble des communes de manière uniforme et d’interdire, dès 2028, les Crit’Air 2, c’est-à-dire tous les diesels, soit 38 % du parc automobile.
À cet égard, monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur le système de vignettes, qui peut susciter un sentiment d’incompréhension et d’injustice.
Comment expliquer qu’une Porsche essence neuve consommant 11 litres aux 100 kilomètres soit classée Crit’Air 1, quand une Clio de 2005, qui consomme 5 litres aux 100 kilomètres, est classée Crit’Air 4 ? Nous le savons, certains critères importants, comme la puissance, le poids, la consommation, l’entretien du véhicule ne sont pas pris en compte.
Quelles aides financières concrètes le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour rendre socialement acceptable le dispositif de ZFE ? Comment comptez-vous faire évoluer le système des vignettes pour le rendre plus juste ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, vous avez raison : la vignette Crit’Air ne repose aujourd’hui que sur les deux sources de pollution qui nous préoccupent particulièrement, à savoir les particules fines et le dioxyde d’azote. Plus nous avançons, plus la connaissance scientifique s’affine. Nous avons ainsi compris que plus un véhicule est lourd, plus il est susceptible de générer des particules fines au moment du freinage. Cette abrasion pourrait donc aussi être prise en compte.
L’Europe va y remédier avec la nouvelle norme Euro 7, qui ne manquera pas de susciter chez certains constructeurs et, sans doute, certains législateurs, des interrogations sur l’utilité d’ajouter des normes aux normes et sur les délais accordés pour leur mise en œuvre. Cependant, c’est bien la réponse à la question que vous posez.
L’enjeu est d’appliquer des normes identiques à tous les constructeurs, partout en Europe. Nous aurons alors sans doute à nous pencher de nouveau sur notre dispositif vignettes, mais le faire par anticipation n’aurait pas de sens.
Disons-nous les choses clairement : il est peu probable qu’un véhicule Crit’Air 5 puisse devenir Crit’Air 1, quelle que soit la nouvelle norme. La question se posera plutôt pour les véhicules tangents, ceux qui pourraient basculer d’un côté ou de l’autre. Il s’agit non pas de « sauver » les véhicules dont le caractère polluant est avéré, mais de constater que certains de ceux qui étaient considérés comme propres ne le sont pas tant que cela.
Là aussi, je plaide pour une forme de progressivité. Un certain nombre d’entre vous ont expliqué que les choses ne devaient pas se faire à marche forcée. Il faut à la fois avoir les yeux rivés sur ce que l’on apprend et éviter d’accélérer un calendrier qui, à certains égards, est déjà difficile à tenir et se heurte à des critiques.
Si nous voulons faire ces ZFE, il faut assumer le discours tel quel, tenir le calendrier, faire de la pédagogie, réaliser l’accompagnement. C’est la raison pour laquelle nous devons nous appuyer sur les suggestions des élus. La comparaison entre les territoires peut aussi être instructive : certains mettent place un dispositif fonctionnant sept jours sur sept quand d’autres préservent le soir et le week-end ; certains prennent des mesures pour l’ensemble du territoire quand d’autres les réservent aux cœurs de ville plus denses. Nous apprendrons de l’analyse de toutes ces expériences.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, 40 000 décès par an sont attribués aux particules fines : c’est trop, pour ne pas dire insupportable !
Inciter à l’usage des modes de transport alternatifs est nécessaire, mais encore faut-il qu’ils existent. Je pense ainsi aux artisans, qui sont particulièrement inquiets. À ce jour, leur parc utilitaire est quasi exclusivement composé de véhicules diesel. Les alternatives électriques sont encore rares et très onéreuses, bien que des aides spécifiques leur aient été accordées. Il faut tout de même savoir que beaucoup d’entre eux ont fait l’acquisition d’une camionnette d’occasion dont la valeur est inférieure au coût du rétrofit.
Leur activité ne peut être mise en péril, alors qu’aucune solution alternative crédible n’est proposée. Il existe un véritable risque de désorganisation des modes d’acheminement des marchandises et de disparition de la main-d’œuvre dans le cœur des villes.
Un rapport de l’Assemblée nationale proposait des solutions, comme le report du passage aux véhicules Crit’Air 0 ou 1 en fonction de la disponibilité des solutions alternatives ou la création d’un guichet unique centralisant les aides nationales et locales, pour une meilleure visibilité.
Monsieur le ministre, allez-vous tenir compte de ces préconisations pour accompagner au mieux les artisans et les petites entreprises du bâtiment ? Avez-vous d’autres pistes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Filleul, à la minute où je vous parle, le Gouvernement n’a instauré aucune obligation en ce qui concerne les véhicules utilitaires.
Les mesures que vous évoquez sont le fait de collectivités qui ont souhaité harmoniser les mesures s’appliquant aux véhicules légers et aux utilitaires.
Nous avons pris les devants, compte tenu des décisions d’un certain nombre de territoires, et mis en place des aides. Toutefois, nous ne poussons pas pour accélérer la mise en place d’obligations qui ne figuraient pas dans la loi.
Je comprends la cohérence qui conduit des élus à aligner les artisans sur les particuliers, mais, j’y insiste, le Gouvernement avait justement décidé de laisser de la souplesse pour permettre au dialogue local de prendre toute sa place.
Les aides servent précisément à accompagner les artisans. L’âge moyen de leur parc de véhicules est différent de celui des particuliers. Plusieurs soucis se posent : quid, par exemple, des dépanneurs qui ne pourraient plus accéder aux centres-villes, faute d’un véhicule adapté ? Toutes ces questions seront au cœur des travaux du groupe de concertation spécifique d’harmonisation qui va se mettre en place.
Pour résumer, nous mettons en place des aides, mais nous ne pouvons adoucir le calendrier prévu pour les véhicules utilitaires légers, puisque celui-ci n’existe pas !
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.
Mme Martine Filleul. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais il faudrait que le Gouvernement communique officiellement sur l’existence d’une dérogation homogène et transitoire pour les véhicules des professionnels ne disposant d’aucune solution alternative crédible.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, l’instauration des zones à faibles émissions mobilité, en particulier celle de la région Île-de-France, suscite la vive inquiétude des chefs d’entreprise et artisans, qui voient se dresser devant eux un mur écologique et économique.
Le durcissement des règles, entériné par le comité ministériel sur les ZFE du 25 octobre dernier, a été particulièrement mal vécu. De nouvelles restrictions d’accès aux soixante-dix-sept communes situées à l’intérieur du périmètre de l’autoroute A86 doivent également s’appliquer à partir du 1er juillet 2023. Elles risquent de provoquer un naufrage économique pour les 100 000 entreprises franciliennes des secteurs du bâtiment, des travaux publics et du transport routier concernées. Comment desservir les chantiers en cours, assurer les livraisons ou répondre à des marchés avec des véhicules ne correspondant plus aux critères exigés ?
Vous ne pouvez ignorer, monsieur le ministre, l’absence d’offre constructeurs adaptée aux professionnels leur permettant de renouveler leur parc de véhicules utilitaires légers et de poids lourds, dans les délais impartis et à des coûts qui ne fragilisent pas leur activité.
Vous ne pouvez ignorer non plus la durée d’amortissement relativement longue des véhicules destinés aux entreprises du bâtiment et des travaux publics.
Dans ces conditions, et sans mettre en doute l’urgence à agir en faveur des populations vivant dans ces zones denses les plus polluées, il me semble nécessaire de faire preuve d’un minimum de réalisme.
Le Gouvernement est-il prêt à renforcer les aides à l’acquisition des véhicules utilitaires propres ? Vous n’avez répondu que partiellement à cette question, raison pour laquelle je vous la repose. À l’heure actuelle, celles-ci ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux : pas moins de 900 000 véhicules polluants doivent être remplacés dans les seules entreprises artisanales du bâtiment.
Le calendrier de mise en place des ZFE sera-t-il adapté ? Des dérogations de circulation seront-elles accordées ou prolongées ? Enfin, la question des infrastructures de recharge adaptées aux véhicules professionnels reste entière. Un immense défi se pose à nous dont il faut tenir compte.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Darcos, la réunion du 25 octobre dernier était de concertation : aucune mesure de durcissement n’y a été décidée.
J’ai réuni l’ensemble des présidents d’agglomération et nous avons seulement décidé de la mise en place d’un référent, qui sera nommé après-demain, et de nous réunir de nouveau.
Je vais être très clair : le Gouvernement a prévu une entrée en vigueur des mesures de restriction au 1er janvier 2025 pour les Crit’Air 3. Toute date plus précoce serait le fait non d’un arbitrage ministériel, mais d’une décision des autorités locales, lesquelles opteraient pour un calendrier plus contraignant.
J’entends certains me dire qu’il faut temporiser, qu’il faut aller moins vite, mais ce n’est pas moi qui ai voulu aller plus vite que les bornes temporelles qui avaient été fixées. Je peux comprendre cette motivation, au vu des maintiens de dépassements de seuils, mais je ne peux revenir sur une décision que je n’ai pas prise !
Et si nous ne l’avons pas prise, c’est bien parce que nous avions conscience de la nécessité de produire de nouveaux véhicules propres ; or plus on durcit les règles, plus le nombre de véhicules concernés est important.
Chaque année, même sans mise en place de ZFE, le parc automobile connaît de toute façon un renouvellement : les véhicules les plus anciens sont peu à peu remplacés par des véhicules nettement plus récents, même s’ils sont de seconde main. Chaque année qui passe améliore donc l’état du parc.
Laisser plus de temps aux acteurs permet à la fois aux véhicules les plus polluants de sortir du parc automobile, à la filière électrique de s’organiser et à l’offre de se mettre en place. C’est ce que nous faisons avec les aides que nous commençons à offrir et les perspectives que j’esquisse.
Cela étant dit, j’ai entendu vos propos ; certes, je ne décide pas en la matière, mais je vais du moins les relayer.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Je suis bien d’accord avec vous, monsieur le ministre, et je vous remercie de nous aider à relayer cette information auprès de la métropole du Grand Paris.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.
M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, excusez-moi d’être redondant, mais je vais une nouvelle fois focaliser mon propos sur Marseille.
Le prix moyen du mètre carré au cœur de cette métropole atteint désormais 3 654 euros ! Les classes populaires et même les classes moyennes n’ont plus les moyens d’acquérir un bien immobilier dans le centre et sont contraintes d’utiliser la voiture pour s’y rendre.
Les ZFE vont inexorablement créer un fossé entre ceux qui pourront répondre aux normes en changeant de véhicule et ceux qui n’en auront pas les moyens et qui se retrouveront de facto privés de l’accès aux centres urbains.
En effet – il me faut le redire après mes collègues –, le coût d’un changement de véhicule est difficilement supportable pour les catégories les plus fragiles de la population, même avec les aides prévues.
Les ZFE vont donc intensifier la ségrégation spatiale et renforcer la séparation entre les urbains et les habitants plus modestes des zones périphériques. Or il me paraît inconcevable d’exclure de la sorte les plus modestes de nos grandes villes et de nos métropoles. Cela ne saurait être la conséquence principale d’une politique écologique digne de ce nom.
Oui, je reste convaincu qu’il faut atteindre l’objectif louable de réduction de la pollution de l’air, qui génère 40 000 décès prématurés par an. Mais est-ce véritablement cohérent de demander pour ce faire à un particulier de mettre 10 000, 20 000, voire 30 000 euros sur la table, soit parfois un an de salaire ?
Ma question est somme toute assez simple, dans le prolongement de celle que vous a posée ma collègue Elsa Schalck : comment concilier ambition écologique et progrès social pour les classes moyennes et populaires, afin qu’elles ne soient pas les victimes perpétuelles d’une forme d’écologie punitive ? L’écologie, oui, mais l’écologie pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Le Rudulier, encore une fois, je partage la conclusion : il faut mettre en place des mesures permettant d’accompagner les gens. À cet égard, je veux faire plusieurs remarques.
Tout d’abord, sans vouloir attaquer ainsi la ville de Marseille ou sa métropole, je dois souligner que des progrès peuvent sans doute être réalisés en matière de transports en commun sur une partie de son territoire. J’ai entendu les demandes qui nous ont été adressées sur ce sujet, en particulier par Martine Vassal, et vous n’avez pu manquer de relever les crédits inscrits dans le cadre du plan « Marseille en grand » afin d’accompagner le développement des alternatives à la voiture sur une partie du territoire métropolitain. Des discussions sont en cours sur ce point avec la métropole et la ville de Marseille.
Ensuite, je crois profondément au leasing, système qui permettra de concilier respect de l’impératif écologique et offre de tarifs soutenables. En permettant aux particuliers de disposer d’un véhicule à 100 euros par mois, on répondra, sinon à toutes les situations, du moins à énormément d’entre elles. Si l’on calcule le coût total de la possession d’un véhicule thermique, avec les pleins d’essence, et qu’on le confronte au faible coût des recharges électriques pour ceux qui bénéficieront de ce système, on se rend compte du caractère social et écologique de la mesure.
Seulement, il ne faut pas que ce mécanisme soit assis sur des voitures chinoises fabriquées dans des usines employant le charbon ! Sinon, ce qu’on gagnera d’un côté en matière d’empreinte écologique, on le perdra de l’autre. C’est alors que l’on se rend compte qu’il nous faut encore du temps, d’où le caractère progressif de la mise en place de ces ZFE.
Le débat que nous avons est utile, parce que vous faites somme toute œuvre de lanceur d’alerte en prévenant que la généralisation du dispositif, dès demain matin, à tout le monde, à toutes les classes de véhicules, nous conduirait vers cette exclusion sociale. Mais des raccourcis sont parfois faits : on argumente comme si ces zones concernaient d’ores et déjà l’ensemble des véhicules, alors que, pour le moment, il ne s’agit que d’une fraction d’entre eux.
Le caractère progressif de la mise en place des ZFE ainsi que le choix de préférer, durant la présente phase, la pédagogie à la verbalisation, nous permettent de bénéficier de la structuration progressive de l’offre de seconde main et des voitures bon marché qui pourront être intégrées dans le dispositif de leasing promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne pour sa réélection.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Micouleau. Monsieur le ministre, si nul ne remet en cause le bien-fondé de définir des ZFE afin de limiter l’accès des véhicules les plus polluants au centre des grandes agglomérations – parmi lesquelles Toulouse, dont je suis élue –, la loi d’orientation des mobilités, qui a rendu obligatoire l’instauration des ZFE, et la loi Climat et résilience, qui les a renforcées, ont vu le jour avant des bouleversements mondiaux que l’on ne pouvait prévoir.
L’application de ces dispositifs est basée sur l’attribution aux véhicules d’une vignette Crit’Air. Ce système, appliqué de manière globale, se révèle totalement insatisfaisant et particulièrement pénalisant pour les ménages aux revenus modestes et les populations les plus précaires.
Faire évoluer la vignette Crit’Air devient une nécessité au moment où nombre de garagistes expliquent que certains véhicules Crit’Air 3 ou 4, bien entretenus et en très bon état mécanique, polluent beaucoup moins qu’un SUV disposant du précieux sésame que constitue la vignette Crit’Air 1. De plus, nombre de véhicules Crit’Air 3 ou 4 roulent peu.
Nous nous trouvons ainsi face à un système qui commence à coûter très cher aux contribuables et qui ressemble à une obsolescence programmée par l’État du parc de véhicules existants.
Avant d’imposer une transition brutale, ne serait-il pas judicieux de faire évoluer les contrôles techniques vers des vérifications plus approfondies des véhicules à vignette Crit’Air 3 et 4, ce qui permettrait leur utilisation dans les ZFE ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Micouleau, si je suivais à la lettre ce que vous me suggérez, il faudrait réécrire le texte !
En effet, l’attribution des différentes vignettes Crit’Air repose sur des données objectives et lisibles. Il m’est arrivé, dans ma vie antérieure de parlementaire, de me plaindre de textes difficiles à lire et à comprendre. Or, dans le cas présent, si je reconnais qu’il y a peut-être plus simple encore que cette vignette, du moins se fonde-t-elle sur des millésimes, des années : tout un chacun peut comprendre le système sans être obligé de passer chez un garagiste ou de vérifier que le véhicule est équipé de tel ou tel dispositif.
Je suis d’ailleurs prêt à parier avec vous que si l’on expliquait, demain, qu’il est possible, sous réserve de remises à niveau chez son garagiste ou de contrôles techniques spécifiques, de bénéficier d’une vignette permettant de circuler en ZFE, certains ne manqueraient pas de dénoncer une sorte de taxe ou d’obligation d’aller refaire des travaux pour prolonger la durée de vie de son véhicule !
Vous avez en revanche raison sur un autre point, madame la sénatrice : il faut faire attention à ne pas jeter des véhicules qui fonctionnent encore. Cela est important d’un point de vue écologique, quand on sait qu’il faut environ deux tonnes de pétrole pour produire un véhicule, quelle que soit sa motorisation. Il importe donc de ne pas encourager de manière excessive, trop rapide, ces évolutions.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous croyons au rétrofit. Garder un véhicule ancien et en changer la motorisation n’est pas une solution universelle, mais peut constituer un moyen de résoudre une partie de la difficulté que vous évoquez. Le rétrofit est éligible à des aides, ce qui rend le reste à payer moins élevé.
En revanche, certains éléments pris en compte pour apprécier les émissions d’un véhicule n’entrent pas dans les critères des ZFE. Le plus gros écueil en matière de réduction des émissions de particules fines et de dioxyde d’azote concerne les moteurs diesel. On peut prendre le problème par tous les bouts, le principal souci en matière de santé publique reste l’importante diésélisation du parc automobile actuel. C’est la raison pour laquelle nous devons faire en sorte d’en accélérer la mutation.
Tel est bien l’objet des ZFE, avec un calendrier progressif, de la pédagogie et des mesures d’accompagnement.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à écouter tous les orateurs, j’ai eu l’impression de revivre un peu le paradoxe de la poule et de l’œuf : constamment, on s’est demandé si les ZFE devaient entraîner une adaptation de notre parc roulant ou s’il aurait plutôt fallu adapter celui-ci avant de les mettre en place.
Il se trouve que la loi a été votée – certains d’entre nous ne siégeaient pas encore sur ces travées – et qu’elle existe. Il convient désormais de l’appliquer, et ce de la meilleure manière possible pour les citoyens et les acteurs économiques.
Comme il a été largement rappelé, c’est un enjeu vital, puisque la pollution de l’air réduit d’environ 2,2 ans l’espérance de vie et qu’elle entraîne plusieurs milliers de morts par an.
Pour autant, nous ne sommes pas prêts. Nous ne le sommes pas, parce qu’il n’existe pas aujourd’hui de réseau de transport performant dès lors que l’on réside hors d’une métropole et que l’on souhaite s’y rendre. Les réseaux de transport sont conçus soit à l’échelle de l’aire urbaine, soit pour des déplacements entre grandes métropoles, mais non pour se rendre depuis la zone périurbaine vers le cœur d’activité de la zone urbaine.
Nous ne sommes pas prêts, parce que, de fait, le système d’aides en vigueur pénalise ceux qui résident en dehors de la ZFE. Actuellement, si vous résidez dans la ZFE, vous allez bénéficier d’aides majorées ; si vous vivez en dehors, même si vous devez vous y rendre, vous n’y avez pas droit.
Les citoyens sont aussi pénalisés en fonction de leur agglomération de résidence : si vous êtes dans une ZFE qui a des moyens, vous allez pouvoir profiter d’une majoration de l’aide versée par l’État. Pourquoi ces différents systèmes, alors que l’enjeu de la voiture est le même pour chacun ?
Nous sommes aussi en retard parce que, aujourd’hui, notre parc roulant n’est pas prêt. Nous n’avons pas assez de véhicules de substitution, notamment lorsqu’il est question de catégories techniques spécifiques.
En outre, pardonnez-moi, monsieur le ministre, vous nous annoncez que l’on atteindra au premier semestre 2023 le palier de 100 000 bornes de recharge, mais il me semble que cet objectif était fixé pour 2021 : on peut certes toujours se réjouir d’être prêt à un moment ou à un autre, se dire que le retard pourrait être pire encore, mais nous avons bien deux ans de retard en la matière !
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous nous annoncez un programme de communication à partir du premier semestre 2023, mais c’est là encore beaucoup trop tard ! C’est en octobre 2018 que l’État et quinze métropoles se sont engagés pour développer des zones à faibles émissions d’ici à 2020. On aurait pu faire tout cela beaucoup plus tôt !
Pour autant, le Sénat a déjà proposé un certain nombre de mesures concrètes, qui pourraient s’avérer utiles.
Vous avez vanté à l’instant les effets du leasing, mais pourquoi l’État refuse-t-il d’en ouvrir le bénéfice aux collectivités en incluant ces dépenses dans le champ du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ? Cette idée figure pourtant dans des documents produits par votre ministère, certes avant votre entrée en fonction.
Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour mettre en place le prêt à taux zéro ? Notre assemblée l’avait voté dès décembre 2020, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2021.
Pourquoi met-on autant de temps à s’intéresser aux émissions de particules de freinage ? C’est pourtant un véritable sujet, que vous avez rapidement évoqué en réponse à la question de Laurence Garnier sur les avions : 80 % des émissions de particules fines d’un véhicule ne sont pas prises en compte aujourd’hui, parce qu’elles émanent du système de freinage ! Une start-up française, Tallano, travaille sur ce sujet depuis dix ans. En France, elle en est uniquement au stade des essais, alors qu’elle a réussi à diffuser largement sa technologie en Asie. Pourquoi sommes-nous autant en retard ?
Précisons que cette question n’est pas uniquement liée aux voitures individuelles à moteur thermique ; elle est encore plus importante quand on s’intéresse aux systèmes de transports collectifs que sont les métros et les RER. Il conviendrait de s’attaquer à ce véritable enjeu de santé publique des transports collectifs et des zones urbaines.
Je sais que la France regarde avec intérêt ce qui va se produire dans le cadre des discussions européennes sur la nouvelle norme Euro 7, mais nous ne pouvons attendre plus longtemps.
Enfin, monsieur le ministre, une dernière chose m’a quelque peu choquée. Vous ne pouvez pas dire : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre ! » ; vous ne pouvez pas dire : « Ce sont les collectivités qui vont trop vite pour mettre en place les ZFE, ce n’est pas l’État qui en a décidé ainsi… » Pardonnez-moi, mais l’enjeu de santé humaine nous concerne tous. Si des collectivités ont décidé d’aller plus vite, il faut les accompagner, parce que nous en tirerons collectivement les bénéfices ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’instauration des zones à faibles émissions.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-quatre, est reprise à dix-sept heures quarante-six.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d’un Grenelle sur les salaires
Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème « Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d’un Grenelle sur les salaires ».
Dans le débat, la parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe auteur de la demande.
M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis, sur l’initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, pour débattre du partage de la richesse créée dans notre pays. Nous pensons en effet qu’un partage équitable de cette richesse doit pouvoir faire l’objet de discussions dans le cadre d’un Grenelle des salaires.
C’est un fait : la France manque de bras. Dans nombre de secteurs, les offres d’emploi restent sans réponse et les employeurs s’arrachent les cheveux. Dans cette conjoncture, la responsabilité du pouvoir politique est toute particulière, car, comme le disait Camus, « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde ».
La première des responsabilités, c’est donc de nommer correctement les maux qui traversent le monde du travail contemporain. Ce n’est qu’une fois rigoureusement identifiés qu’ils éclaireront la conjoncture actuelle.
On peut communément définir la fonction première du travail comme une manière de gagner sa vie tout en contribuant à lui donner du sens. À l’inverse, quand le travail ne permet pas de vivre dignement ou qu’il se résume à des tâches dont on n’aperçoit pas la finalité, le corps social craque. Les générations se faisant toujours plus diplômées et conscientisées, on entend aussi davantage les aspirations des salariés à une rémunération décente ainsi qu’à une meilleure redistribution et à des conditions de travail plus fidèles à ce qu’une société moderne se doit d’offrir.
La plupart des candidats à l’emploi sont évidemment attachés au salaire, mais ils attendent aussi de leur entreprise qu’elle soit sensible aux valeurs environnementales, au dialogue social et au respect de la vie familiale. Quand cette dernière est déstabilisée par des emplois du temps découpés, des temps de transport à rallonge et des logements à prix prohibitif, le travail devient l’objet d’une longue plainte journalière et seule sa rémunération permet de le rendre acceptable.
Ne nous y trompons pas, la valeur travail n’est ni de droite ni de gauche : elle est universelle, en ce qu’elle permet d’émanciper et de définir les individus dans nos sociétés modernes. S’intéresser au salaire, c’est s’intéresser aux fruits du labeur. En ce sens, le salaire est éminemment politique.
Aujourd’hui, de quoi dépend le salaire ? Je serais tenté de dire, d’une façon simpliste, que l’on peut relier le niveau des salaires à la manière dont le chiffre d’affaires des entreprises est redistribué entre deux pôles principaux : le salaire, à savoir la rémunération des travailleurs, et les profits, à savoir la rémunération du capital.
Or les chiffres sont formels : depuis les années 1980, la part des salaires est grignotée par des profits toujours plus importants. Ce déséquilibre croissant est susceptible d’entraîner derrière lui tout un cortège d’inégalités.
En effet, en accordant une plus grande part aux profits, on favorise les détenteurs de capitaux. Nos sociétés post-industrielles tendent à exacerber cette tendance.
À cela s’ajoutent certains modes de la vie moderne, qui sont de nature à créer une nouvelle économie basée sur l’intelligence artificielle, les impressions 3D, les nanotechnologies et les biotechnologies. Pouvons-nous penser que cela a un effet positif sur la rémunération des salariés ? J’ai du mal à le croire… Pour bon nombre d’économistes, la robotisation de l’économie n’aurait pas nécessairement d’effets sur l’emploi et la répartition du revenu.
En dépit de tous ces bouleversements macro-économiques, il n’en reste pas moins que les pénuries soudaines de main-d’œuvre que l’on observe aujourd’hui sont avant tout liées aux salaires trop bas de certains secteurs. L’exemple de la restauration est le plus criant – j’y reviendrai plus tard.
À ce titre, il est révélateur que, alors que l’exécutif chante les louanges de la loi de l’offre et de la demande pour toute décision d’inspiration libérale, comme la dérégulation des salaires des grands patrons, il trouve dans le même temps révoltant qu’elle profite, pour une fois, aux salariés les moins fortunés.
J’entends déjà certains pourfendeurs de l’assistanat présumé nous expliquer que notre modèle social n’encourage pas le retour à l’emploi. Je rappellerai en réponse, à toutes fins utiles, que la pénurie de main-d’œuvre explose même dans des pays sans droits sociaux comme les États-Unis, où le Big Quit a entraîné la démission de près de 5 millions de travailleurs en trois mois.
Il vous faut donc quitter les postures faussement moralisatrices sur les gens « qui déconnent » – dixit le Président de la République – et vous attaquer au nœud du problème, qui se trouve manifestement dans les salaires. Nous devons aborder ce sujet avec honnêteté, sans travestir la réalité.
En effet, voilà bientôt un an qu’une sorte de fable s’est installée dans le débat public. À en croire ceux qui la propagent, les salaires dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, qui est confronté de longue date à des tensions de recrutement, ont augmenté – tenez-vous bien ! – de 16 % cette année. La réalité est tout autre : dans les faits, l’augmentation réelle n’a été que de 4 %.
Les principaux pourvoyeurs de cette légende sont le patronat et la majorité gouvernementale, qui l’invoquent à tout bout de champ pour contrer les critiques émises sur la stagnation des salaires dans un contexte inflationniste.
Mais cela ne peut durer indéfiniment : la question qui se pose autour de l’augmentation des salaires, c’est surtout celle de la juste répartition de la richesse entre le travail et le capital et, incidemment, de l’augmentation des plus bas d’entre eux.
Le cas de l’entreprise TotalEnergies est le plus édifiant. Alors que le pétrolier battait un nouveau record en dégageant un bénéfice de 17 milliards de dollars, ses raffineries étaient bloquées par des salariés grévistes demandant une revalorisation salariale. Ils ont essuyé un refus complet de la part de la direction. Pourtant, dans le même temps, le conseil d’administration du groupe annonçait, à la mi-septembre, vouloir « partager avec ses actionnaires les forts résultats de la compagnie » par un « acompte sur dividende exceptionnel », soit 2,62 milliards d’euros supplémentaires reversés à ses actionnaires.
Le plus inacceptable dans ce conflit réside indéniablement dans le fait que la revalorisation salariale demandée par les grévistes représentait seulement 150 millions d’euros supplémentaires chaque année : 2,6 milliards octroyés au capital contre 150 millions refusés au travail !
Cet exemple illustre à lui seul mon propos, madame la ministre, mais il est aussi symptomatique des concessions qui sont communément admises pour le capital et que l’on refuse systématiquement aux revenus du travail.
Osons le dire, la juste valorisation salariale du travail est un principe cardinal au sens qu’elle représente le principal point de friction dans nos sociétés : bien plus qu’un principe d’égalité, c’est aussi le ciment de la cohésion sociale. Il est révélateur de voir que les inégalités de revenus sont, selon une étude du ministère de la santé de 2018, parmi celles qui sont les moins acceptées et vécues comme les plus injustes.
Cette injustice est d’autant plus mal perçue que les travailleurs français, qu’ils soient salariés ou indépendants, font partie des plus productifs d’Europe, près de quinze points au-dessus de la moyenne européenne.
Justice salariale et rééquilibrage des revenus du travail par rapport à ceux du capital : voilà le prisme, mes chers collègues, par lequel nous devons aborder notre débat d’aujourd’hui.
Sans dogmatisme ni tabou, nous devrions pouvoir collectivement dégager les contours du Grenelle des salaires que j’appelle de mes vœux, afin que nos concitoyens puissent percevoir la transcription tangible de nos débats et que nous ne nous cantonnions pas à des postures partisanes.
Nos compatriotes nous pressent d’agir ; face à cette urgence, soyons collectivement à la hauteur ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénatrices et les sénateurs, notre débat se tient à peine neuf mois après le début de la crise la plus profonde que l’Europe et le monde aient connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
De fait, l’agression russe a replongé l’économie mondiale dans de nouvelles incertitudes. La guerre en Ukraine a attisé la crise énergétique et fait s’envoler les prix des matières premières. Aussi, malgré les efforts de chacun, l’inflation a rejoint les sommets où nous l’avions laissée à la fin des années 1980, ravivant le spectre d’une inflation autoentretenue par une boucle prix-salaire.
C’est dans ce contexte troublé que la question du pouvoir d’achat s’est naturellement installée au cœur du débat public, ce qui nous amène aujourd’hui à nous interroger sur des questions fondamentales de répartition.
La rémunération du travail est-elle juste et suffisante ? Le partage de la valeur, entre le capital et le travail, est-il satisfaisant ? Faisons-nous assez pour garantir que les salaires permettent une vie décente, même à ceux qui dépendent de faibles revenus ? Voilà les questions de fond qui nous réunissent pour ce débat sur l’opportunité d’un Grenelle des salaires, dans la perspective de mieux rémunérer le travail en France.
Je remercie donc les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous donner ainsi l’occasion de nous saisir de cette question fondamentale. Je tiens aussi à excuser l’absence de M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, Olivier Dussopt.
J’aimerais d’abord dresser un tableau objectif de l’évolution récente des salaires et du pouvoir d’achat en France.
Rappelons en premier lieu que la France a le système le plus protecteur d’Europe pour les bas salaires.
Notre pays est une exception européenne, non seulement parce que tous les États membres de l’Union européenne n’ont pas mis en place de salaire minimal universel, mais aussi parce que cinq pays seulement ont instauré un mécanisme d’indexation automatique du salaire minimal, garantissant qu’il soit aussi stable que possible en termes réels, et donc en pouvoir d’achat.
Le mécanisme français d’indexation du salaire minimal est protecteur à trois égards.
D’abord, il est indexé sur l’indice des prix à la consommation pour les 20 % des Français les plus modestes, pour lesquels l’énergie constitue une part importante des dépenses. Cela permet mécaniquement de surindexer le Smic par rapport au reste de la population.
Ensuite, en plus de l’inflation, le Smic est augmenté chaque année de la moitié du gain moyen de pouvoir d’achat des employés et ouvriers, de sorte à aussi prendre en compte le mouvement des autres salaires.
Enfin, la revalorisation du Smic intervient tous les ans au 1er janvier, mais également en cours d’année dès que la hausse des prix depuis la dernière revalorisation atteint 2 %, ce qui permet de limiter les périodes pendant lesquelles l’inflation rogne sur le pouvoir d’achat du Smic.
Ce mécanisme, auquel s’ajoutent les dispositions du code du travail sur la négociation salariale, mais aussi, parfois, d’amicales invitations du Gouvernement à négocier sur les salaires, entraîne une diffusion progressive des revalorisations. La direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime ainsi qu’entre septembre 2021 et septembre 2022, période pendant laquelle le Smic a connu une hausse historique, le salaire mensuel de base a augmenté de 4,4 % pour les ouvriers, de 4,6 % pour les employés, et de 2,7 % pour les cadres.
Rappelons ensuite que le Gouvernement a mis en place depuis le début de la crise énergétique, à l’été 2021, une série de mesures protégeant le pouvoir d’achat.
L’énergie est l’un des postes de dépenses les plus contraints, qui pèse d’abord sur les ménages les plus modestes. C’est pourquoi le Gouvernement a mis en place un bouclier tarifaire d’une ampleur sans précédent, qui a consisté à plafonner le prix du gaz et de l’électricité et à financer une prime à la pompe.
Ces mesures massives et généralisées ont eu un effet très important sur le taux d’inflation en France, qui est quasiment le plus bas d’Europe. Au mois de décembre dernier, il représentait près de la moitié de celui de l’Italie et était inférieur de trois points à celui de l’Allemagne. De même, l’État a allégé de 11 milliards d’euros les dépenses en énergie des entreprises.
Je tiens à rappeler ces chiffres, car ils permettent de mesurer à quel point, grâce aux lois que vous avez votées au mois d’août dernier, nos concitoyens ont été protégés comme dans nul autre pays en Europe.
Rappelons enfin l’existence des comités des salaires, leur utilité et la fréquence de leurs réunions.
La valeur travail est au cœur de notre projet. Toutefois, si la valorisation du travail passe aussi par une hausse des salaires, soyons clairs : ce n’est pas à l’État d’en décréter l’ampleur. C’est par le dialogue social, à l’échelon des branches et des entreprises, que les mouvements de salaires se décident. L’État doit y accorder une attention soutenue et peut, parfois, faciliter les négociations, mais il ne doit en revanche jamais se substituer à l’une des parties.
L’équilibre dans la concertation est, à n’en pas douter, la méthode qui a le plus contribué à penser, à construire et à transformer notre pacte social.
Le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion préside ainsi le comité de suivi des salaires, qui réunit chaque semestre l’ensemble des organisations patronales et syndicales pour dresser un bilan des négociations salariales dans les 171 principales branches. Le dernier a eu lieu au mois de novembre 2022. Compte tenu de la forte inflation que nous connaissons depuis plus d’un an, il a notamment visé à vérifier la conformité au Smic des minima de chacune de ces branches.
Ce comité démontre que le choix de la concertation est payant. Le nombre de branches qui affichent, de manière structurelle, des minima inférieurs au Smic est passé de 112 à 57 entre mai et décembre 2022. En novembre dernier, seules quatre branches étaient dans une situation de non-conformité depuis plus d’un an, contre une vingtaine en moyenne auparavant.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’idée d’un Grenelle des salaires convoque immédiatement l’imaginaire des négociations glorieuses qui ont fait l’histoire de la gauche – je pense notamment au Grenelle de 1968 –-, lesquelles ont été autant de pierres ajoutées à notre système social si protecteur, si envié et auquel nous sommes, à raison, si attachés. Néanmoins, ce sont là des souvenirs d’un temps où l’économie était radicalement différente de celle d’aujourd’hui.
Cette nostalgie d’un temps où l’État et les partenaires sociaux pouvaient décréter une hausse globale de tous les salaires n’est probablement pas une boussole actuelle pour les politiques publiques. À cette époque, chaque salaire était encadré par des grilles, le chômage ne dépassait pas quelques pourcents et la croissance, comme la productivité du travail, progressait chaque année à un rythme effréné. Vous pouvez certes le regretter, mais telle n’est plus notre réalité.
Alors un Grenelle des salaires, pour quoi faire, mesdames, messieurs les sénateurs ? Pour instaurer un comité de suivi des salaires à côté de celui qui existe déjà ? Je pense vous avoir montré la dynamique de notre démocratie sociale décentralisée et la force et l’efficacité des actions du Gouvernement en faveur du pouvoir d’achat.
À ce stade, le Gouvernement fait le choix de poursuivre le dialogue dans le cadre du comité de suivi, dont nous observons les effets.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.
Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Madame la ministre, le marché du travail doit aujourd’hui faire face à deux problèmes.
Le premier est le différentiel trop important entre salaire net et salaire brut. En effet, le salaire brut engendre un coût du travail trop élevé pour nos entreprises et un salaire net trop bas pour nos salariés, ce qui ne valorise pas assez le travail.
Le second réside dans la difficulté chronique des entreprises à recruter, quel que soit leur secteur d’activité, alors que notre taux de chômage demeure l’un des plus élevés d’Europe. Plusieurs causes expliquent cette difficulté.
Certains chômeurs ont ainsi des problèmes de mobilité, d’autres sont dans des situations personnelles complexes – je pense aux publics très éloignés de l’emploi. Nous le constatons tous les jours sur le terrain, dans nos territoires. Enfin, il existe aussi des freins au travail, qui n’encouragent pas suffisamment le retour à l’emploi.
Nous avons récemment adopté un projet de loi visant à réformer l’assurance chômage. Les règles d’indemnisation sont désormais plus strictes et incitent davantage au retour à l’emploi.
Il nous reste toutefois un long chemin à parcourir avant d’atteindre notre objectif de retour au plein emploi. Il nous faudra sans doute défendre et mettre en œuvre de nouvelles mesures pour continuer de mieux valoriser le travail.
Il faut créer un cercle vertueux, car plus les gens travaillent, plus le volume de cotisations augmente et plus le volume des indemnisations diminue.
Je l’ai dit d’emblée, il est nécessaire de rémunérer le travail, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la compétitivité des entreprises en augmentant le coût de la main-d’œuvre.
Madame la ministre, quelle stratégie comptez-vous mettre en œuvre pour réduire l’écart entre le salaire brut et le salaire net ? Quelles sont vos hypothèses de travail ? Comment accompagner une meilleure valorisation du travail dans notre pays et rétablir la valeur travail ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Menonville, vous demandez comment augmenter les salaires nets sans augmenter les salaires bruts.
Le Gouvernement considère bien sûr qu’il faut soutenir les salaires. C’est une condition absolue pour parvenir au plein emploi, comme vous l’avez très justement rappelé.
L’État soutient les salaires au moyen de plusieurs dispositifs. Il a ainsi instauré la prime de partage de la valeur (PPV), que près de 5 millions de personnes ont perçue entre 2018 et 2020, pour un montant compris entre 2 et 3 milliards d’euros. En 2022, cette prime a été étendue aux salariés gagnant jusqu’à 3 000 euros, voire jusqu’à 6 000 euros sous certaines conditions. En cumul, 2,4 milliards d’euros ont ainsi été distribués en 2022 au titre de la prime de partage de la valeur, auxquels il faut ajouter 0,9 milliard au titre de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (Pepa), en vigueur jusqu’au mois de mars.
La prime d’activité a été pour nous un autre levier. Un salarié au Smic à temps complet perçoit un supplément de 225 euros, soit un revenu net de 1 578 euros, alors que le montant net du Smic s’établit à 1 353 euros.
Enfin, un processus de revalorisation du Smic extrêmement protecteur a été mis en œuvre. La France est l’un des pays, avec les pays du Nord, où les inégalités de salaires sont les plus faibles. En 2018, les différences constatées entre salaires bruts étaient de l’ordre de 3, contre 3,2 aux Pays-Bas, 3,6 en Allemagne et 3,4 en Espagne.
Je pense que nous pouvons dire que les inégalités de salaires ont très peu progressé en France au cours des vingt-cinq dernières années. C’est là un encouragement au retour vers l’emploi.
Entre 1996 et 2020, le salaire médian, en euros constants, a augmenté de 16 %. Les revenus du premier décile et du neuvième décile ont augmenté respectivement de 18,5 % et de 19 %. C’est là aussi un signe d’adéquation entre les différents niveaux de salaires. La politique de soutien des salaires est donc pertinente.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la ministre, cela fait deux ans maintenant que l’inflation rogne le pouvoir d’achat des Français, notamment des ménages les plus pauvres.
L’indice des prix à la consommation harmonisé a augmenté de près de 6,7 % au mois de décembre, soit plus que dans certains pays européens, comme l’Espagne.
En 2023, l’Insee prévoit 7 % d’inflation au premier semestre, une augmentation des prix de l’alimentation de 13 % et un recul du revenu disponible brut et du pouvoir d’achat. De même, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le pouvoir d’achat par unité de consommation va continuer de s’affaisser, portant la baisse à 1,4 % sur deux ans, soit la plus forte depuis quarante ans. Il précise qu’aucune valorisation, ni du Smic ni des aides, ne parvient à compenser cette perte.
La situation est d’autant plus intenable pour les ménages ruraux comme pour les plus pauvres que l’énergie et l’alimentation constituent des postes de dépenses plus importants que pour la moyenne des Français. Ces ménages subissent de plein fouet l’explosion des prix de l’alimentation, notamment des premiers prix des produits de base, qui ont augmenté de 16 % en moyenne dans les grandes surfaces. Ainsi, l’évolution du Smic sur un an ne compense pas l’explosion de ces postes de consommation.
Des politiques publiques sont nécessaires. Il faut provoquer des négociations salariales de branche et mettre fin aux coefficients immergés, aider les TPE (très petites entreprises) à supporter les coûts auxquels elles font face en redéployant les aides, qui bénéficient surtout aux grands groupes. Enfin, il convient de bloquer les prix des produits de première nécessité.
Pourquoi ne pas revaloriser sensiblement le Smic, lui donner « un coup de pouce » ? Une telle hausse a un effet d’entraînement avéré sur les bas salaires.
Madame la ministre, plutôt que d’adopter des postures idéologiques, quand les services de l’État nous fourniront-ils des études sérieuses sur l’effet positif de l’augmentation du Smic dans la formation des salaires, afin de sortir la France de la déflation salariale ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Poncet Monge, je pense vous apporter le maximum d’éléments chiffrés, tirés d’études sérieuses, à l’appui de chacune de mes interventions. À cet égard, selon les conclusions des travaux récents d’un groupe d’études, accéder à votre demande aurait un effet contraire à celui que vous recherchez.
D’après l’OCDE, à la fin de l’année 2022, le pouvoir d’achat des ménages serait de 2 % supérieur au niveau de la fin de l’année 2019, quand il aurait diminué de 4 % en Allemagne et au Royaume-Uni.
Diverses dispositions ont permis d’atteindre ce résultat : la revalorisation du Smic, bien évidemment, mais aussi la hausse du nombre de créations d’emplois. Ainsi, 420 000 emplois devraient avoir été créés sur l’ensemble de l’année 2022, dont 360 000 au cours des trois premiers trimestres. Ce résultat s’explique également par l’efficacité des mesures de pouvoir d’achat votées en 2022.
Grâce au Smic, qui est un système protecteur, le salaire réel des ouvriers et des employés a très peu baissé. L’année dernière, la hausse annuelle du salaire minimum des ouvriers et des employés a été d’environ 4,5 %, contre 2,8 % pour les salaires des cadres et des professions intermédiaires. Le salaire réel des ouvriers et des employés a baissé de 1,2 % environ, celui des cadres et des professions intermédiaires de 3 %.
Ces mesures visent à répondre à l’enjeu de pouvoir d’achat que vous évoquez. Elles sont efficaces, chiffrées et objectives.
M. le président. La parole est à M. Michel Dagbert.
M. Michel Dagbert. Madame la ministre, la retraite est aujourd’hui au cœur de toutes les discussions. Cependant, et nous le savons tous, le débat sur ce sujet ne doit en aucun cas réduire l’attention que nous portons au travail et aux travailleurs dans notre pays, tout particulièrement à la question de leurs salaires.
C’est d’ailleurs dans cette optique que le Gouvernement, et notamment votre ministère, prend depuis plus de cinq ans diverses mesures pour parvenir au plein emploi. Un objectif qui reste à atteindre, mais devenu atteignable.
Si l’accès au travail est au cœur de nos politiques publiques, faire de ce dernier un vecteur d’épanouissement pour le plus grand nombre l’est tout autant.
Par le travail, notre pays saura faire face aux périodes de crise telles que celles que nous traversons actuellement, comme il l’a fait dans le passé. Il sera également mieux armé pour affronter celles qui seraient à venir.
Mais le travail doit aussi, et surtout, assurer à chacun un salaire lui permettant de vivre décemment. Tel est l’objet du comité de suivi des salaires, dont la dernière réunion, présidée par le ministre Dussopt, a eu lieu au mois de juillet dernier.
À cette date, 112 branches sur les 171 suivies affichaient encore des minima inférieurs au Smic. Ce nombre est cependant en baisse par rapport au 1er mai, plus de trente branches étant parvenues depuis lors à proposer des salaires supérieurs ou égaux au Smic, preuve du rôle clef de ces négociations.
Cette forme de concertation se révèle donc la plus utile, car respectueuse du paritarisme.
Depuis la dernière réunion de suivi, avez-vous des retours, madame la ministre, concernant l’avancement de ces négociations de branche ? Pouvons-nous espérer une résorption totale des situations dans lesquelles les minima de branche sont inférieurs au Smic et à quelle échéance ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur, comme vous, nous souhaitons un suivi régulier des négociations salariales de branche.
Le comité de suivi des salaires se réunit deux fois par an afin d’inciter les 171 branches du secteur général à engager des discussions. Il s’agit de s’assurer que les branches mettent en œuvre des minima d’un montant équivalent au Smic.
L’augmentation passagère du nombre de branches dont les minima sont en dessous du Smic n’est pas un problème, même si elle suscite des interrogations. La plupart des branches se sont adaptées au rythme de l’inflation, ce qui constitue une véritable évolution.
Les revalorisations du 1er août et du 31 décembre 2022 ont permis de réduire le nombre de branches en situation de non-conformité, passé de 143 à 57. Cela illustre bien le dynamisme de la négociation de branche, à laquelle nous sommes attachés.
Après la revalorisation du Smic, qui a eu lieu au 1er janvier 2023, de nouvelles branches vont mécaniquement devoir effectuer un travail de mise en conformité : 133 d’entre elles sont désormais en situation de non-conformité, 77 ayant été rattrapées par la hausse du Smic du 1er janvier 2023. Elles ont quarante-cinq jours pour engager des négociations et se mettre en conformité.
Nous avons évidemment confiance dans le dialogue social, les branches ayant l’habitude de négocier et de conclure des accords salariaux.
Je tiens à souligner que le nombre de branches affichant de manière structurelle des minima inférieurs au Smic est particulièrement faible, comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire. Elles sont quatre désormais, et ce depuis plus d’un an. Nous sommes évidemment vigilants et nous travaillerons avec elles, mais une vingtaine de branches sont habituellement dans cette situation ; nous assistons donc à une véritable évolution à cet égard.
J’y insiste, nous faisons confiance aux partenaires sociaux et à leur capacité à faire de la négociation collective un réel outil de progrès.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Madame la ministre, la question des salaires ne peut s’envisager sans évoquer celle du salaire différé, qui regroupe les indemnisations chômage, les cotisations d’assurance maladie, de retraite, en d’autres termes les cotisations sociales. Ce salaire fait donc intégralement partie de l’attractivité des métiers, notamment des plus pénibles d’entre eux.
Ce concept économique est déjà bien connu du Gouvernement puisque nous aurons examiné pas moins de deux textes sur ces sujets depuis le début de la session parlementaire : la deuxième réforme de l’assurance chômage et la réforme des retraites, présentée aujourd’hui même.
Cette part de salaire semble n’être pour le Gouvernement qu’une simple marge de manœuvre économique. Or les cotisations sociales sont essentielles au bon fonctionnement de nos caisses d’assurance collective et constituent le ciment de la solidarité intergénérationnelle dans notre pays.
L’entêtement idéologique libéral et la flexibilisation du marché du travail ont conduit à une réduction de la part consacrée aux cotisations sociales dans les salaires, comme en attestent la facilité avec laquelle le Gouvernement met régulièrement en œuvre des exonérations de cotisations ou encore l’instauration de primes financées par la TVA et la contribution sociale généralisée (CSG), donc par les travailleurs eux-mêmes.
Ces exonérations représentent bel et bien des baisses de salaire, qui mettent à mal notre système collectif et solidaire de protection sociale.
Madame la ministre, notre système de protection sociale lié au travail mérite d’être renforcé. Dans une perspective de justice sociale et d’attractivité des métiers pénibles, quelle est votre position sur le salaire différé ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, ces exonérations ont eu un effet sur les créations d’emplois et ont été dûment compensées par l’État. Elles ont permis de créer plus de 1,5 million d’emplois. C’est l’un des leviers que j’évoquais en faveur du pouvoir d’achat.
Le travail est au cœur de notre projet politique. C’est évidemment par le travail que l’individu acquiert du pouvoir d’achat et trouve sa place dans la société.
Ces exonérations, je le répète, sont un levier qui ; elles ont permis des créations d’emplois en volume, ce qui est une véritable source de satisfaction.
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet, pour la réplique.
Mme Isabelle Briquet. Madame la ministre, je vous ai bien écoutée, mais je ne suis pas sûre que vous ayez répondu à ma question ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe SER.)
Le travail, madame la ministre, doit être émancipateur et le droit du travail et le système social doivent être protecteurs. Notre système social ne doit pas servir à maintenir des travailleurs dans la pauvreté. On parle non pas d’emploi aujourd’hui, mais de cotisations sociales. J’aurais aimé une réponse un peu plus précise à ma question. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je tiens tout d’abord à remercier le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir pris l’initiative de ce débat.
Madame la ministre, dans un contexte de forte inflation, de nombreuses luttes ont lieu dans les entreprises afin d’obtenir des augmentations de salaire et de rattraper les pertes de pouvoir d’achat. Il n’est pas acceptable, dans la septième puissance économique du monde, de ne pouvoir vivre dignement de son travail. Or c’est bien ce qui se passe, madame la ministre !
Selon le dernier rapport de l’Observatoire des inégalités, le nombre de travailleurs pauvres en France est supérieur à un million. Rémunérés bien souvent au Smic, de nombreux salariés subissent des contrats précaires et des temps partiels imposés. Les femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène : elles représentent 60 % des salariés au Smic et occupent 80 % des emplois à temps partiel, et même 97 % des emplois d’aide à domicile.
Le 29 juillet dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demandait à toutes les entreprises qui le peuvent d’augmenter les salaires. Elles n’ont visiblement pas répondu à cette invitation puisque les salaires n’ont progressé que de 2,5 % en 2022, comme vous l’avez souligné, madame la ministre. C’est très en dessous de l’inflation – faut-il vous le rappeler ? –, qui s’est envolée deux fois plus vite.
Les seules augmentations significatives qui ont eu lieu en 2022 sont celles des dividendes, qui ont progressé de 32 % au deuxième trimestre pour atteindre 44 milliards d’euros. Quelle différence !
Madame la ministre, quand allez-vous revaloriser les salaires, en particulier ceux des 120 branches professionnelles dans lesquelles le salaire minimum est inférieur au Smic ? Quand allez-vous revaloriser de 10 points le montant des traitements des agents des trois fonctions publiques et indexer le point d’indice sur l’inflation ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Je commencerai par rappeler un principe de base, madame la sénatrice : ce n’est pas l’État qui décide du montant des salaires.
Je rappellerai ensuite que, selon le rapport que Christine Erhel et Sophie Moreau-Follenfant ont remis à la ministre du travail en décembre 2021, ce sont les conditions de travail les plus morcelées qui créent la pauvreté : horaires atypiques, temps partiels, successions de contrats courts…
En 2019, le taux moyen de pauvreté était de 14,6 % dans l’ensemble de la population et de 6,9 % chez les seuls salariés. Ce taux était de 15,1 % pour les salariés à temps partiel. Il s’élevait même à 24 % pour les salariés à temps partiel dont la quotité de travail était inférieure ou égale à 50 % d’un temps plein. C’est très frappant.
Je rappelle encore une fois que, à la fin de l’année 2022, le pouvoir d’achat des ménages était de 2 % supérieur au niveau de la fin de l’année 2019, sous l’effet conjugué de la hausse du Smic, de l’augmentation des créations d’emplois et des mesures en faveur du pouvoir d’achat votées en 2022. Notre système protecteur du Smic est un atout.
Enfin, je le redis, le salaire horaire net moyen atteignait 16,3 euros en 2020. Le premier décile est à 1 343 euros mensuels, le neuvième à 4 033 euros. Seulement 1 % des Français gagnent plus de 9 638 euros par mois. La médiane, qui se situe à 2 500 euros, est relativement constante.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Le Smic, au 2 décembre 2022, s’élevait à 1 329,05 euros. C’est très compliqué de vivre avec un tel salaire.
Il est de votre responsabilité de faire appliquer la loi, madame la ministre, notamment l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, ce qui est loin d’être le cas. Cela permettrait pourtant d’accroître les ressources de notre caisse de sécurité sociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Madame la ministre, j’aborderai une question qui me tient particulièrement à cœur et qui devrait être, à mon sens, une priorité nationale : la revalorisation du salaire des professeurs et des enseignants.
Je rappellerai d’ailleurs opportunément que le Président de la République, durant sa campagne électorale, s’était engagé à revaloriser d’environ 10 % les salaires des enseignants, et ce de manière inconditionnelle.
Une telle revalorisation devrait être une priorité nationale. Malheureusement, force est de constater que tel n’est toujours pas le cas. Or un pays qui n’investit pas dans l’éducation est promis au déclin. Cette phrase sonne comme une évidence. Les alertes sont nombreuses : le nombre de candidats au certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) a été divisé par quatre en dix-sept ans et il est désormais inférieur au nombre de postes ouverts aux concours.
Par ailleurs, le niveau d’ensemble des élèves français ne cesse de baisser, comme l’a reconnu le ministre de l’éducation nationale.
Enfin, les comparaisons salariales avec les autres pays européens sont éclairantes : en quinze ans, les salaires des professeurs ont augmenté de 30 % en Allemagne, par exemple, quand ils ont stagné chez nous.
Madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement en matière de revalorisation des salaires des professeurs ? Des discussions sont-elles ouvertes avec les syndicats ? Quel est le calendrier du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Henno, nous partageons bien sûr pleinement votre conviction et vos préoccupations concernant l’attractivité du métier d’enseignant, la juste reconnaissance de leur engagement et de leur place au sein de notre système éducatif.
Un point ne fait plus débat : si on la compare avec celle d’autres pays à l’échelle internationale, voire avec celle du reste de la fonction publique en France, la rémunération de nos enseignants est peu conforme à leur niveau de diplôme, d’engagement et de responsabilité.
C’est pourquoi le Président de la République s’était engagé, au cours de sa campagne électorale, à poursuivre la revalorisation engagée dans le cadre du Grenelle et à augmenter la rémunération des enseignants « d’environ 10 % par rapport au statu quo ante pour nos enseignants et là, de manière totalement inconditionnelle », engagement qu’il a réitéré devant tous les cadres de l’éducation nationale lors de la grande réunion de rentrée du 25 août 2022 à la Sorbonne. C’est ce que nous appelons souvent dans nos échanges, parfois un peu techniques, le « socle » de la revalorisation.
À ce même socle viendra s’ajouter un pacte avec les enseignants qui s’engageront à réaliser des missions supplémentaires et à effectuer de nouvelles tâches rémunérées. Cette rémunération supplémentaire pourra représenter une augmentation de 20 %.
Ces deux volets sont indissociables, car notre objectif est double : revaloriser nos professeurs, mais aussi transformer notre école en nous appuyant sur le pacte. Il s’agit de mieux reconnaître des missions, dont certaines sont déjà effectuées par nos enseignants, et d’en encourager de nouvelles.
Cette hausse et ces différentes mesures seront mises en œuvre à partir du mois de septembre 2023. Nous sommes actuellement en concertation avec les partenaires sociaux.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour la réplique.
M. Olivier Henno. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
C’est bien l’État qui décide de la hausse des salaires des enseignants, contrairement à d’autres professions. Avec ma question, je tenais à insister sur l’urgence de revaloriser le salaire de celles et ceux qui exercent ce beau métier.
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Christian Bilhac. Madame la ministre, le 1er juin 1968, les accords de Grenelle entérinaient une augmentation de 10 % des salaires des Français et une hausse du Smig (salaire minimum interprofessionnel garanti) de 35 % à Paris et 38 % en province. Vous l’avez dit, c’est de l’histoire ; les temps ont changé, et les salariés s’en sont aperçus !
Les salariés modestes, notamment les ouvriers ou employés, ont vu au fil des années leur situation financière se dégrader, à mesure que disparaissaient plusieurs aides, ce dont je ne vous fais pas porter la responsabilité.
Je pense à la perte des aides personnelles au logement (APL) pour les locataires et les propriétaires ou à la suppression de la déductibilité des intérêts d’emprunt pour l’acquisition de la résidence principale. Je pense aussi à l’augmentation du coût des mutuelles de santé, avec les déremboursements décidés par la sécurité sociale. Je pense enfin à la disparition des aides versées autrefois par la caisse d’allocations familiales (CAF) pour les vacances ou la rentrée scolaire.
Qu’ont-ils fait pour mériter cela, tous ces travailleurs qui se lèvent tôt le matin ? Aujourd’hui, l’écart se resserre entre les bas salaires et les minima sociaux, malgré la prime d’activité. Avec le retour de l’inflation, les salaires réels diminuent. Il devient urgent d’indexer les salaires sur les prix.
Une négociation doit s’ouvrir avec les partenaires sociaux pour revaloriser les salaires au bénéfice des plus précaires, des emplois les plus utiles et les plus pénibles.
Vous me répondrez sans doute, comme le ministre de l’économie et des finances, que cela entraînerait une augmentation de l’inflation. Mais ne peut-on pas faire le même effort pour les travailleurs que pour les banquiers, dont les taux d’intérêt ont été alignés sur l’inflation ?
Madame la ministre, même si vous avez déjà répondu dans votre propos liminaire, je vous repose la question : comptez-vous organiser une conférence sur les salaires ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Bilhac, je crois en effet avoir déjà répondu à cette question dans mon propos liminaire. Le comité de suivi, présidé par M. le ministre du travail, Olivier Dussopt, se réunit deux fois par an pour accompagner les branches dans la revalorisation de leurs grilles salariales. Il se concentre naturellement sur le cas des branches qui n’ont pas procédé à une revalorisation depuis longtemps faute d’une dynamique suffisante ; je pense aux pompes funèbres ou aux casinos.
Je rappelle que nous avons pris de nombreuses mesures visant à favoriser le pouvoir d’achat. La loi de finances pour 2023 prolonge le bouclier tarifaire jusqu’au 30 juin 2023. La hausse des tarifs du gaz est limitée à 15 % à compter du 1er janvier 2023 et celle de l’électricité l’est à compter du 1er février 2023. Ces mesures ont un impact très concret sur le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Ainsi, l’augmentation moyenne des factures sera de 25 euros par mois pour les ménages qui se chauffent au gaz, au lieu des 200 euros par mois sans le bouclier tarifaire. Pour les ménages se chauffant à l’électricité, l’augmentation sera de l’ordre de 20 euros par mois contre 180 euros sans le bouclier tarifaire.
Le comité de suivi vise évidemment un ajustement à l’augmentation du Smic, mais nous prenons aussi de nombreuses mesures en faveur du pouvoir d’achat des Français pour les accompagner dans cette période d’inflation.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Je reviens sur l’engagement de campagne, déjà rappelé par Olivier Henno, du candidat Macron, qui avait promis une augmentation de 10 % pour tous les enseignants, sans aucune contrepartie, dès le mois de janvier 2023.
La semaine dernière, nous avons assisté à un certain cafouillage. Le ministre Pap Ndiaye a en effet déclaré : « Nous n’avons jamais dit cela. » Le ministère a tenté laborieusement de se rattraper en repoussant l’augmentation au mois de septembre, sans préciser comment elle serait mise en œuvre ni à qui elle profiterait.
Alors que le candidat Macron promettait une hausse générale, le ministère parle aujourd’hui de 10 % d’augmentation en moyenne des rémunérations. Or ce n’est pas pareil qu’augmenter chaque enseignant de 10 % ! Cette hausse devait aussi être inconditionnelle. Elle serait désormais liée à l’accomplissement de tâches nouvelles… C’est flou, donc il y a un loup !
Pouvez-vous nous dire clairement si le Président de la République sera en mesure de tenir sa promesse de campagne, toute sa promesse de campagne ? Et si oui, à quelle échéance ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Gruny, l’engagement et la place des enseignants dans notre système éducatif, ainsi que l’importance des responsabilités qu’ils exercent ont été plusieurs fois soulignés par le Président de la République durant sa campagne.
Lors de la réunion de rentrée des cadres, le 25 août dernier en Sorbonne, le Président de la République a exprimé sa volonté d’organiser une augmentation de la rémunération d’environ 10 %, de manière totalement inconditionnelle. Il s’agit là de ce que nous appelons la revalorisation-socle de 10 %, pour certains enseignants.
S’y ajoutera le pacte, que le Président de la République a expliqué en Sorbonne. En plus de missions que certains enseignants exercent déjà, ils pourront en proposer d’autres, dans le cadre du Conseil national de la refondation ou de concertations locales, par exemple sur des projets d’établissement. Les enseignants auront donc l’occasion de déployer de nouvelles missions pour accompagner la réussite et le développement des élèves et améliorer les conditions d’exercice pour les professeurs eux-mêmes et les équipes pédagogiques. Dans le cadre du pacte, une rémunération supplémentaire sera proposée, ce qui pourra porter l’augmentation jusqu’à 20 %.
Ces deux axes ont été tracés par le Président de la République depuis plusieurs mois déjà. Ils font actuellement l’objet de concertations avec les partenaires sociaux. L’objectif est de déployer les mesures au mois de septembre 2023.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. J’ai bien entendu qu’il n’y aurait pas 10 % pour tout le monde, puisque vous avez parlé de certains enseignants… Avec le pacte viennent des conditions : cela ne correspond pas à la promesse de campagne, qui était donc un mensonge.
Vous parlez d’une augmentation. Si elle était de 10 %, elle coûterait 3,6 milliards d’euros pour une année pleine. Or le budget de 2023 ne prévoit que 1,9 milliard d’euros en année pleine, auxquels s’ajoutent 300 millions d’euros. Le compte n’y est pas. Qu’allons-nous faire ? Nous sommes déjà les derniers sur tout, avec le plus grand nombre d’élèves devant les enseignants, les enseignants les moins payés… Nous avons tout faux ! En plus, nos élèves ne sont pas les meilleurs ! Le « en même temps », le « quoi qu’il en coûte », c’est pour qui ? Ce ne sont que des mensonges ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. La conférence salariale que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain appelle de ses vœux doit aussi prendre en compte la dimension sociétale du travail et du rapport au travail de nos concitoyens.
La valeur travail repose sur une activité utile, qui fait sens pour celui qui l’exerce comme pour la société. Si elle est amenée à se transformer profondément, elle doit rester au centre du projet collectif national. C’est particulièrement vrai des jeunes travailleurs. C’est vrai aussi des métiers de première ligne, que nous avons tous salués pendant la pandémie, mais qui ont trop vite été oubliés depuis.
Pouvez-vous nous présenter les actions éventuelles que vous menez pour construire ou redonner à la valeur travail la place qui devrait être ou redevenir la sienne ? Auprès de qui menez-vous ces actions ? Comment ? Et quel résultat quantifiable ont-elles ? Il va de soi que le salaire est un moyen fondamental pour atteindre cet objectif, mais il ne me paraît pas être le seul.
Portez-vous une conception extensive de la notion de travail ? Le travail doit-il être limité aux formes qu’on lui connaît classiquement ? Ne faut-il pas le penser autrement, comme une contribution au service de la société et de sa cohésion ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur, je tiens à vous remercier de cette question, qui me permet d’évoquer les travailleurs de la seconde ligne, dont nous avons déjà largement salué l’engagement, notamment durant la crise de la covid-19.
M. Franck Montaugé. De la première ligne !
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Je rappelle d’abord tout ce que le pays doit à ces 4 millions de travailleurs de la deuxième ligne : agents d’entretien, facteurs, hôtes de caisse, conducteurs de bus… Ils ont rendu possible la vie quotidienne de nos concitoyens pendant la crise.
M. Franck Montaugé. Ce n’est pas la question !
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. J’ai évoqué tout à l’heure le rapport que Christine Erhel et Sophie Moreau-Follenfant ont remis au ministre du travail. Celui-ci a bien établi que ces salariés gagnaient 30 % de moins en moyenne que les autres. Je crois que cela répond bien à votre remarque. Ce rapport montre aussi que ces salariés ont des conditions de travail plus morcelées : horaires atypiques, temps partiels, succession de contrats courts…
En 2019, le taux moyen de pauvreté était de 14,6 % pour l’ensemble de la population, mais de 6,9 % pour les salariés. Le travail apparaît donc comme un antidote efficace contre la pauvreté.
Le taux de pauvreté est de 15,1 % pour les salariés à temps partiel, et il atteint même 24 % pour les salariés à temps partiel dont la quotité de travail est inférieure à 50 % du taux plein. Même si l’on augmentait les salaires, ce serait insuffisant. Pour ces salariés, la question est de pouvoir travailler à temps complet.
Il s’agit de créer les conditions permettant à ces travailleurs de trouver des contrats plus stables à temps complet. C’est un objectif majeur du Gouvernement. Pour l’atteindre, nous mettons en œuvre des programmes spécifiques dans le cadre de France Travail et nous incitons les entreprises à utiliser des contrats plus stables, notamment par la réforme du bonus-malus. (M. Ludovic Haye applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.
M. Franck Montaugé. Madame la ministre, sans remettre en question votre bonne volonté, je ne suis pas sûr que vous ayez bien compris ma question. (Sourires sur les travées du groupe SER.) Je vais donc essayer de l’illustrer.
Je suis de ces générations qui ont vécu – je pèse mes mots – le dédain, la dévalorisation des métiers manuels et des formations courtes.
Votre réponse est centrée sur la question des salaires. C’est l’un des aspects très importants du sujet. Mais votre propos n’a pas pris en compte le problème dans toute son ampleur.
Les enjeux de reconnaissance, et pas seulement par le salaire, sont considérables. Or votre gouvernement n’y fait aucunement face : aucun plan ne prend en compte cet aspect fondamental de la question. Je le regrette. Mais il n’est jamais trop tard. Je me tiens à votre disposition pour en discuter, madame la ministre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur le niveau de rémunération du travail des femmes.
Les données publiées par l’Insee en 2022 montrent tout le chemin qu’il reste à parcourir pour atteindre l’égalité économique et professionnelle entre les femmes et les hommes. Pour ne citer qu’un seul chiffre, en France, en 2019, le revenu salarial moyen des femmes était inférieur de 22 % à celui des hommes.
Sans remettre en cause la bonne volonté du Gouvernement pour agir sur le sujet, et malgré la lente décrue des inégalités salariales observée depuis vingt ans, un tel constat demeure inacceptable.
Outre la différence de volume de travail, les femmes étant plus souvent à temps partiel, cet écart de revenus s’explique aussi par le fait que les femmes n’occupent pas les mêmes emplois et ne travaillent pas dans les mêmes secteurs d’activité.
De plus, alors que le principe de l’égale rémunération des femmes et des hommes « pour un même travail » est inscrit dans le code du travail depuis 1972, des écarts de rémunération injustifiés persistent dans le secteur privé à poste équivalent et à compétences égales.
Si la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a instauré une obligation de résultat, avec la création de l’index de l’égalité professionnelle pour les entreprises d’au moins cinquante salariés, force est de constater que la situation est toujours loin d’être satisfaisante.
J’ajoute que ces inégalités de carrière et de salaires créent, voire amplifient d’autres inégalités, notamment au moment de la retraite, puisque les pensions de droit direct des femmes sont en moyenne inférieures de 40 % à celles des hommes.
Il me semble urgent d’envisager de nouvelles actions avec l’ensemble des acteurs économiques.
Madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement pour remédier plus efficacement aux différences salariales entre les femmes et les hommes dans le monde du travail ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Jacquemet, merci de cette question, qui nous permet d’aborder un sujet de société essentiel, sur lequel je vous sais extrêmement mobilisée. Je peux vous assurer également de notre engagement extrêmement convaincu.
Il est vrai que l’obligation d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes existe depuis 1972 et qu’elle n’est toujours pas devenue réalité : l’écart de salaire inexpliqué entre les femmes et les hommes à travail égal est encore de 9 %. C’est pourquoi le Gouvernement a fait du sujet une grande cause nationale du quinquennat précédent, et de l’actuel.
Il a mis en place l’index de l’égalité professionnelle, qui pose une obligation de résultat, et non plus uniquement de moyens. C’est un changement majeur. Les premiers résultats montrent que cet index modifie les comportements, même si certains ne sont toujours pas à la hauteur des exigences législatives. Je pense notamment à l’obligation d’augmenter la rémunération des femmes à leur retour de congé maternité.
L’inspection du travail est largement mobilisée pour accompagner les entreprises. Si l’approche se veut dans un premier temps pédagogique, le recours aux sanctions va également s’accroître pour faire appliquer les obligations légales.
L’adoption en fin d’année dernière de la directive sur la transparence des rémunérations m’a réjouie, car cela renforcera encore l’exigence de transparence et de réduction de l’écart salarial entre les femmes et les hommes dans les entreprises.
Je rappelle également d’autres engagements que nous avons pris et qui me paraissent extrêmement forts, autour du compte personnel de formation : nous avons les mêmes droits à temps partiel qu’à temps complet. Mais souvent, les contrats courts et le temps partiel s’associent à des conditions de travail précaires.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. Je rappelle enfin la mesure que nous avons prise sur les pensions alimentaires, et qui viendra en soutien du pouvoir d’achat. Nous partageons donc votre engagement.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la ministre, depuis plusieurs années, l’économie française est à la peine, et beaucoup de nos concitoyens éprouvent des difficultés pour s’en sortir au quotidien. Déjà, en 2018, les « gilets jaunes » alertaient l’opinion sur la paupérisation des territoires et de franges entières de la population : fractures territoriales et fractures sociales.
Au cours de mes déplacements sur le terrain, j’entends fréquemment – comme, je suppose, mes collègues – des agriculteurs, des artisans, des employés, me dire que le travail ne paie plus. Pourtant, ces acteurs économiques du territoire font partie de cette France qui se lève tôt et qui ne compte pas toujours ses heures, souvent dans des métiers ou des filières difficiles.
Le poids des normes et des charges laisse peu de marges de manœuvre pour investir sur l’avenir et augmenter les salaires. Et nous devons aussi rester compétitifs. Des secteurs entiers qui ne manquent pas d’activité peinent à recruter, notamment en raison des niveaux de salaire. Je pense aux soignants et aux enseignants, pourtant si nécessaires, dont les métiers n’attirent plus les jeunes.
La crise sanitaire, la guerre en Ukraine ont conduit à des bouleversements supplémentaires qui ont des conséquences directes sur la vie quotidienne de nos concitoyens : pertes de revenus, hausse du prix des énergies et des matières premières, difficultés d’approvisionnement, hausse des taux d’intérêt et restrictions sur les prêts…
Tous ces effets délétères concourent à un appauvrissement général, en particulier dans les territoires éloignés des métropoles et de leur dynamisme. On comprend d’autant mieux les attentes des Français sur les salaires et leurs inquiétudes quant à la réforme des retraites.
Madame la ministre, quelles mesures sont prises par le Gouvernement pour redonner de l’espoir à tous ces actifs qui veulent pouvoir vivre dignement du fruit de leur travail et, plus largement, pour réduire ces fractures françaises ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Allizard, vous attendez de l’État, bien au-delà des questions salariales, un engagement qui le dépasse.
Bien sûr, il s’agit d’agir sur les tensions de recrutement, avec les acteurs, notamment les branches et les entreprises, qui travailleront sur l’attractivité des métiers. Cela ne se limite pas aux questions de rémunération : l’ensemble des conditions de travail entrent en jeu.
Les périodes de confinement que nous avons connues ont accéléré une mutation des comportements et accru les mobilités dans l’économie française. Les attentes de nos concitoyens ont changé, aussi : ceux-ci ont eu le temps de prendre du recul et de chercher d’autres parcours de vie.
Beaucoup de branches ont engagé de grandes réflexions autour de l’attractivité de leurs métiers et des questions de rémunération. Le secteur des hôtels, cafés, restaurants (HCR), par exemple, a augmenté les salaires de plus de 16 %. Dans les transports routiers, la hausse est de 6 %. À ce travail sur l’attractivité de chaque filière s’ajoutent des efforts de recherche de nouveaux profils, d’accompagnement des compétences et d’aide à la construction de parcours de carrière plus sécurisés, ainsi qu’une meilleure attention portée à la santé au travail.
L’attractivité est donc un enjeu pluriel, tout comme le pouvoir d’achat, qui ne dépend pas que de la rémunération, mais qui peut aussi être renforcé par le niveau de l’emploi et les mesures prises par le Gouvernement, ainsi que par la revalorisation du Smic.
Au fond, votre question était très systémique. Au-delà des travaux du comité de suivi, des négociations régulières sont menées par les branches sur l’attractivité des métiers en tension.
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour la réplique.
M. Pascal Allizard. On peut aussi attendre du Gouvernement une vision stratégique et une politique d’aménagement du territoire. Cela s’est fait à une époque, avec succès.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Corinne Féret. Madame la ministre, en France, les crises sanitaires et économiques se succèdent malheureusement, mettant en lumière une demande forte de reconnaissance, notamment par le salaire, de l’utilité économique et sociale de nombreux travailleurs précaires, à temps partiel et faiblement rémunérés.
Alors que l’inflation galope au rythme effréné de 6 % sur un an, un sentiment de déclassement accable des millions de Français, contraints de s’en remettre à des primes, des allocations ou des chèques pour simplement survivre.
Ces dernières années, le salaire des 10 % de travailleurs les mieux payés a augmenté trois fois plus vite que celui des 10 % les moins rémunérés. Légitimement, s’exprime le besoin d’un meilleur partage des richesses produites et la volonté de vivre dignement avec des salaires décents.
On voit bien qu’il y a urgence à engager la revalorisation du facteur travail par l’augmentation des salaires, et ce sans avoir pour seule réponse des primes aléatoires, la défiscalisation et la désocialisation d’heures supplémentaires, les rachats de RTT ou d’autres mesures qui, au final, n’impliquent que les salariés eux-mêmes.
Au mois de novembre dernier était organisée la première réunion nationale interprofessionnelle sur le partage de la valeur ajoutée. Le Gouvernement a clairement orienté le travail des partenaires sociaux vers les dispositifs de participation, d’intéressement, d’épargne salariale, d’actionnariat salarié et la prime de partage de la valeur ajoutée. Et quid des salaires ?
Madame la ministre, vous ne cessez de rappeler l’importance de la valeur du travail, souvent d’ailleurs pour stigmatiser ceux qui en sont privés. Nous avons parfaitement conscience qu’une augmentation générale des salaires ne se décide pas par la loi, mais relève du dialogue social, autrement dit d’échanges, d’écoute et de négociations.
Ce n’est pas par nostalgie que nous en appelons à un Grenelle sur les salaires. Madame la ministre, quand engagerez-vous enfin un vrai dialogue social sur la question des salaires en France ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice, votre question porte en fait, plus que sur le sujet du jour, sur le rapport au travail. Ce rapport évolue. Cette évolution s’est accélérée au cours des dernières années, notamment par les crises que nous avons rencontrées. De nouvelles aspirations sont exprimées par nombre de nos concitoyens.
Des organisations nouvelles du travail, comme le télétravail, se font jour, et d’autres réalités se transforment, avec l’accélération des transitions écologiques et numériques, sans parler d’un certain nombre d’évolutions sociétales. Cela crée de nouvelles attentes et de nouvelles aspirations.
Les assises du travail que nous avons lancées visent à accompagner ces évolutions sociétales et à réfléchir sur la place du travail et sur la manière dont il peut répondre à ces nouvelles attentes, et à un meilleur lien entre vie personnelle et professionnelle.
Trois thématiques y sont abordées : le rapport au travail, la santé et la qualité de vie au travail, et la démocratie au travail. Ces trois domaines ont connu de fortes évolutions ces dernières années, avec une accélération importante au cours des derniers mois. Ces assises réunissent des partenaires sociaux, mais aussi des universitaires, des personnalités qualifiées, des experts des ressources humaines. L’objectif est d’aboutir en mars prochain à des propositions devant nous permettre, avec l’ensemble des acteurs, de repenser l’attractivité du travail.
Il s’agit aussi d’accompagner les initiatives que nous prenons pour les métiers en tension, comme dans les métiers du soin, où, au-delà de la rémunération, les questions d’organisation sont fondamentales pour attirer les talents dans de nombreuses branches. C’est un enjeu systémique.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.
Mme Corinne Féret. Avec plus de 6 % d’inflation, comment pouvez-vous rester ainsi figée dans votre refus d’organiser une grande concertation sur les salaires ? Les Français doivent pouvoir vivre dignement. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.
Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, mieux rémunérer le travail nécessite avant toute chose de favoriser l’égale rémunération des femmes et des hommes. C’est sur ce point que je voudrais aujourd’hui appeler votre attention, car les inégalités dans ce domaine décroissent trop lentement. En 2020, l’Insee estimait que le revenu salarial des femmes était encore inférieur en moyenne de 28 % à celui des hommes. Un peu moins d’un tiers de cet écart s’explique par des différences de durée de travail. Et la maternité continue d’interrompre ou de réduire sensiblement plus l’activité des femmes que celle des hommes. Les postes les mieux payés demeurent enfin, toujours selon l’Insee, moins accessibles aux femmes qu’aux hommes. La meilleure rémunération des femmes reste l’objectif à atteindre en priorité pour songer, ensuite, à une amélioration générale des revenus liés au travail.
Il s’agit également d’une condition centrale pour de nombreuses priorités gouvernementales actuelles. Comment lutter, par exemple, contre les violences intrafamiliales sans que les femmes, majoritairement concernées, détiennent la même indépendance économique que leur conjoint ?
Comment assurer effectivement le plein emploi sans que cet objectif se réalise indistinctement pour les femmes et les hommes ?
Le Président de la République a déjà déclaré grande cause du quinquennat l’égalité entre les femmes et les hommes. Les indicateurs et les constats d’inégalité se sont multipliés depuis la création de l’index de l’égalité professionnelle en 2018. Il est temps d’agir et d’exiger des résultats à la hauteur des engagements.
Mieux rémunérer le travail en France ne peut pas s’accomplir sans justice sociale. L’égale rémunération des femmes et des hommes en constitue un pilier central. Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il adopter afin de la favoriser ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Belrhiti, permettez-moi de réaffirmer la profonde volonté du Gouvernement et notre conviction, partagée avec vous, que l’égalité de rémunération doit être effective, concrète, et devenir une réalité pour toutes les Françaises.
Les inégalités de traitement fondées sur le sexe d’une personne n’ont pas leur place dans notre société. Elles doivent appeler notre mobilisation collective.
L’engagement très fort du Gouvernement s’est traduit par la mise en place de l’index de l’égalité professionnelle, qui a permis de modifier les comportements d’entreprises non vertueuses en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes, mais aussi, au travers des obligations de transparence, de donner à ces dernières plus de visibilité.
Cette mesure, ainsi que celles que prévoit la loi du 24 décembre 2021 sur l’égalité économique et professionnelle, dit notre engagement à faire avancer les choses. En fixant des objectifs de représentation équilibrée dans les instances dirigeantes des entreprises, ces évolutions législatives feront évoluer concrètement l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Nous avons vu les effets de la loi Copé-Zimmermann sur la composition des conseils d’administration. Je suis pleinement convaincue que nous verrons demain sur ces instances dirigeantes les effets de la législation récente.
L’objectif est que d’ici à huit ans, les entreprises de plus de 1 000 salariés soient tenues de compter au moins 40 % d’hommes ou de femmes dans leur conseil d’administration. Cela produira un effet de ruissellement. Grâce à ces bonnes pratiques, les femmes concernées joueront un rôle modèle dans l’ensemble des différents secteurs d’activité. Leur parcours professionnel fera d’elles des fers de lance pour les jeunes générations.
Je suis en effet extrêmement préoccupée par le faible engagement des femmes dans certains secteurs d’activité. L’égalité de rémunération passe aussi par l’accès à des filières trop souvent « genrées ». Je pense notamment aux filières d’avenir que sont le numérique, la transition écologique ou encore l’énergie. Les rémunérations y sont souvent plus élevées, et les femmes y sont sous-représentées.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.
Mme Catherine Belrhiti. Madame la ministre, les engagements et les efforts du Gouvernement, notamment dans le domaine de la mesure des inégalités, ne sont pas contestables.
Il reste toutefois à leur donner un cadre de propositions et d’applications concrètes qui soient fixées dans le temps et dans leurs effets.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Madame la ministre, face à la hausse des prix, le ministre de l’économie a demandé aux entreprises qui le peuvent d’augmenter les salaires pour redonner du pouvoir d’achat aux Français.
Il s’est d’ailleurs réjoui d’une augmentation du salaire horaire de base des ouvriers et des employés de 4,4 % sur la dernière année.
Cela appelle deux réflexions. Sur la réalité des chiffres, tout d’abord, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) estime que cette évolution doit être mise en regard de l’inflation, le coût de la vie ayant augmenté de 5,7 % entre la fin du mois de septembre 2021 et la fin du mois de septembre 2022.
Ce faisant, on constate, selon les termes de la Dares, non pas une augmentation, mais une diminution du salaire horaire, estimée à 1,3 % sur un an en euros constants.
Ensuite, les augmentations de salaire sont, pour le moment, le fait d’un nombre restreint d’entreprises, dont la plupart souhaitent d’ailleurs retenir leurs salariés.
Or la majorité des entreprises ne disposent pas de telles marges de manœuvre. Beaucoup d’entre elles, notamment les TPE et PME, subissent les effets de l’inflation sur le prix des composants, des matières premières et de l’énergie. Leur situation économique ne leur permet pas de procéder à des augmentations.
De nombreux économistes recommandent donc une autre voie : baisser la pression fiscale sur les entreprises et sur les ménages.
Notre groupe appelle à une baisse du coût du travail, qui permettrait aux entreprises d’augmenter les salaires. Le Gouvernement ne s’est pas engagé dans cette voie, mais procède à des aides ponctuelles, comme la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat.
Madame la ministre, pourriez-vous nous donner votre point de vue et nous préciser si vous souhaitez faire évoluer cette situation ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Pour soutenir le pouvoir d’achat des salariés, le Gouvernement privilégie la confiance dans le dialogue social et les négociations salariales qui s’inscrivent dans un cadre garantissant la mise en œuvre des mécanismes protecteurs de revalorisation du Smic. Il privilégie également l’attribution de la prime d’activité.
Depuis le 1er octobre 2021, le Smic a été revalorisé à cinq reprises, au total de près de 10 % – 9,71 % –, soit bien plus que l’indice des prix sur la même période.
Fondé sur des logiques d’indexation automatique, le mécanisme permettant de calculer le Smic est l’un des plus protecteurs d’Europe.
Dans leurs négociations salariales, les branches suivent ces évolutions, mais les salaires réels s’ajustent effectivement à l’inflation avec un décalage habituel de plusieurs mois. Ils continueront donc à s’ajuster tandis que l’inflation devrait commencer à baisser.
Je réaffirme le choix du Gouvernement de faire confiance au dialogue social, en poursuivant de constants efforts pour impulser une dynamique et provoquer des négociations rapides.
Par ailleurs, le ministère du travail examine l’avancée des négociations de branche, notamment dans les branches présentant un minimum conventionnel inférieur au Smic. Présidé par M. le ministre, le comité de suivi des salaires se réunit deux fois par an. Sa dernière réunion, en novembre 2022, a permis de constater le dynamisme des négociations de branche sur les salaires et le recul des situations de blocage structurel.
D’autres outils sont également à la main des entreprises pour augmenter le pouvoir d’achat des salariés. Ainsi, la prime de partage de la valeur (PPV) a été pérennisée dans la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.
En cumul, 245 137 établissements ont versé 2,43 milliards d’euros de prime PPV entre le mois d’août et le 21 décembre 2022.
En revanche, le Gouvernement n’est pas favorable à l’exonération des cotisations et contributions patronales pour les entreprises accordant une revalorisation d’au moins 10 %.
Cette mesure rendrait beaucoup plus complexe l’activité déclarative des entreprises. Les prélèvements sociaux applicables aux rémunérations selon les entreprises deviendraient illisibles. Cela nuirait à la fluidité et au bon fonctionnement du marché du travail.
Enfin, le coût de la mesure pour les pouvoirs publics serait très élevé, et ses effets d’aubaine très importants, tandis que des effets de seuil questionnent sa solidité juridique.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour la réplique.
Mme Chantal Deseyne. Madame la ministre, je vous concède que le Smic constitue en quelque sorte un filet de sécurité.
Néanmoins, vous savez parfaitement que la France occupe le dernier rang du classement en matière de rémunération du travail. Pour 100 euros, charges salariales et patronales comprises, 46,70 euros seulement reviennent au salarié.
Des efforts sont tout de même possibles, en particulier pour favoriser la compétitivité de nos entreprises.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, le 1er janvier dernier, le Smic a été revalorisé de 1,81 %.
La décision ayant donné lieu à des débats, ma question portera sur le niveau de revalorisation et, plus précisément, sur les conclusions du rapport publié au mois de novembre dernier par le groupe d’experts sur le Smic, qui a alerté sur les conséquences négatives que pourrait avoir une plus forte augmentation du salaire minimum.
L’argument principal relayé par de nombreux économistes repose sur l’augmentation du coût du travail qui en résulterait. Les effets sur l’emploi des travailleurs les plus fragiles – les 15 % de salariés dont le salaire se situe entre 1 et 1,1 Smic – seraient négatifs.
En outre, l’effet d’une plus forte hausse sur le pouvoir d’achat serait annulé en quasi-totalité par l’augmentation des impôts sur le revenu, ainsi que par une baisse des aides sociales pour les ménages qui en bénéficieraient.
Enfin, une forte revalorisation du Smic contribuerait au tassement de la hiérarchie des salaires, entraînant une frustration légitime chez ceux qui se voient rattrapés par le Smic.
Plus généralement, les auteurs du rapport expliquent que le problème n’est pas tant le niveau élevé du salaire minimum que le fait que les salaires progressent plus vite que la productivité.
L’augmentation des coûts de production du fait de la hausse des salaires conduirait les entreprises soit à réduire l’emploi, soit à augmenter leurs prix de vente, et, partant, à perdre en compétitivité-prix, ou encore à réduire leurs marges, ce qui pénaliserait leur capacité à investir et à innover.
Madame la ministre, pourriez-vous nous faire part de votre analyse à partir de ces recommandations ? Vous semblez en effet les avoir suivies, en appliquant la règle d’indexation classique pour la revalorisation du Smic en début d’année sans coup de pouce supplémentaire. Ce positionnement pourrait-il évoluer si l’inflation continue à augmenter en 2023 ?
Par ailleurs, le groupe d’experts recommande de modifier la formule de revalorisation du Smic. Parmi les pistes envisagées, il suggère d’indexer automatiquement ce dernier sur la moyenne des évolutions de minima salariaux d’un panel de branches représentatives.
Ce changement renforcerait le rôle de la négociation collective et responsabiliserait ainsi les partenaires sociaux dans la définition des normes salariales et des minima de branche. Qu’en pensez-vous, madame la ministre ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Madame la sénatrice Lassarade, je tiens à le redire : le mécanisme d’indexation du Smic est l’un des plus protecteurs d’Europe.
Le Smic est indexé sur l’inflation, mais il est également augmenté à hauteur de la moitié de la hausse du pouvoir d’achat des ouvriers et des employés. Dernièrement, il a été revalorisé trois fois : en mai 2022, de 2,65 % ; en août 2022, de 2,01 % ; au 1er janvier 2023, de 1,81 %. Ainsi, sur un an, la hausse du Smic brut s’élève à 6,6 %, pour une inflation estimée à 5,9 % en novembre 2022.
Ce mécanisme très protecteur répond donc à la nécessité que vous soulignez de préserver de façon constante le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes. Dans le contexte d’inflation que nous connaissons, il aura produit des effets particulièrement bienvenus pour nombre de nos concitoyens.
Par le jeu des négociations collectives et des revalorisations des grilles salariales consécutives aux augmentations du Smic, les hausses se transmettent aux ouvriers et aux employés.
En septembre 2022, la hausse de salaire des ouvriers et employés était d’environ 4,5 %, contre 2,7 % pour les cadres. À titre de comparaison, entre janvier 2021 et septembre 2022, le salaire minimum avait nettement moins progressé en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Espagne que les prix à la consommation. L’écart est de plus de 10 points aux Pays-Bas, de 2,5 points en Allemagne et de plus de 5 points en Espagne.
À partir du second semestre 2023, la Banque de France prévoit une baisse de l’inflation. Les effets de l’augmentation des salaires seront donc différés. Ils continueront de se produire, malgré la baisse de l’inflation.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, permettez-moi tout d’abord de saluer ceux qui ont pris l’initiative de ce débat sur la rémunération du travail. La valeur travail est essentielle.
Le Smic bénéficie chaque année, au 1er janvier, d’une augmentation automatique tenant compte de la hausse des prix. Il vient ainsi d’être augmenté de 24 euros pour être porté à 1 353 euros net.
Des revalorisations interviennent également en cours d’année, dès que l’inflation dépasse 2 %. Ainsi le Smic a-t-il été revalorisé trois fois en 2022, deux hausses exceptionnelles ayant eu lieu le 1er mai et le 1er août dernier.
Si ces revalorisations sont nécessaires pour le pouvoir d’achat des salariés et s’inscrivent dans une logique législative, leurs modalités ne sont pas sans conséquence, aussi bien pour les chefs d’entreprise que pour les branches professionnelles.
À l’occasion de la publication du dernier rapport du groupe d’experts sur le Smic, plusieurs organisations représentatives des entreprises ont évoqué, dans leur contribution au rapport, les difficultés liées au rythme accéléré des revalorisations du Smic.
Les TPE, PME et les entreprises les plus fragiles, qui rencontrent actuellement de grandes difficultés, voient leur masse salariale augmenter de manière imprévue et pérenne.
En outre, la question de l’inflation percute le temps nécessaire aux entreprises et aux branches pour mener des négociations salariales viables et apaisées pour l’ensemble de la grille.
Dans le contexte inflationniste actuel, l’application automatique du seuil de 2 % de l’indice mensuel des prix à la consommation pour revaloriser le Smic en cours d’année oblige les branches à engager de nouvelles négociations sur les salaires peu de temps après que la dernière négociation s’est terminée.
Pour endiguer le phénomène, certains proposent de rehausser le seuil de l’indice mensuel à 3 % par exemple, afin de moins perturber le déroulement des négociations salariales et ainsi de laisser toute sa place au dialogue social.
L’espacement des augmentations automatiques du Smic permettrait selon eux des négociations plus qualitatives dans les branches, lorsque la grille de salaires minima est impactée par l’augmentation du Smic.
M. le président. Il faut conclure !
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, que pensez-vous de cette proposition. Envisagez-vous, d’une manière plus générale, de réformer les modalités d’indexation du Smic, comme le recommande le groupe d’experts ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Monsieur le sénateur Chevrollier, je le redis : la France a l’un des systèmes les plus protecteurs pour le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes.
Dans le contexte que nous connaissons, c’est très important. Le système a fait office ces derniers mois de véritable filet de sécurité.
Depuis le 1er janvier 2014, la revalorisation est assurée par l’indexation du Smic sur l’inflation mesurée pour les ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie, au plus près de ce que vivent les salariés concernés.
Elle intègre également la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et employés. Nous sommes ainsi l’un des cinq pays dont le salaire minimum est indexé sur l’inflation et le seul pays d’Europe à s’être doté d’un tel double système. Grâce à ce dernier, la France a pu maintenir un écart constant entre les salaires au cours des vingt-cinq dernières années.
Par ailleurs, le Smic est revalorisé en cours d’année dès lors que la hausse des prix dépasse les 2 %.
Nous avons bien écouté les propositions du groupe d’experts sur le Smic, qui consistent à rehausser le seuil de 2 % à 3 % ou à supprimer l’indexation sur le pouvoir d’achat des ouvriers et des employés.
Ces propositions visent à réduire les risques d’emballement de la boucle prix-salaires. Elles sont sérieuses et dignes d’intérêt : un emballement de l’inflation ne ferait que des perdants, en particulier parmi les plus modestes.
Si l’inflation, un temps circonscrite aux produits alimentaires et à l’énergie, gagne progressivement l’ensemble des biens et services, le risque d’emballement de la boucle prix-salaires n’est toutefois pas avéré à ce jour.
La Banque de France prévoit ainsi un apaisement de l’inflation dans le courant de l’année 2023, puis un retour à un taux de 2,5 % en 2024.
Entre la protection des salariés les plus modestes et les risques d’inflation, nous devons faire des arbitrages. À ce stade et au vu des projections à moyen terme, la protection des salariés demeure prioritaire.
Aussi, je vous confirme que nous ne changerons rien aux modalités de revalorisation du Smic.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Thierry Cozic, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. Thierry Cozic, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Madame la ministre, dans vos propos introductifs, vous avez appelé à ne pas se référer constamment au passé et à ne pas revenir au Grenelle des salaires ou à 1968.
Si vous me le permettez, je reviendrai au XVIIIe siècle, en citant un exemple repris par Marx dans Le Capital. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
« À la fin du XVIIIe siècle et pendant les vingt premières années du XIXe, les fermiers et les landlords anglais rivalisèrent d’efforts pour faire descendre le salaire à son minimum absolu. À cet effet, on payait moins que le minimum sous forme de salaire et on compensait le déficit par l’assistance paroissiale. »
Madame la ministre, nous vivons de nos jours une situation analogue. Votre gouvernement imagine régulièrement de nouveaux dispositifs pour compenser les salaires trop bas. La prime d’activité, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et, dernièrement, l’indemnité inflation font partie intégrante de cet arsenal.
Par la prééminence de tels dispositifs, vous entretenez une situation dans laquelle les montants des salaires sont insuffisants pour vivre et où les travailleurs sont de plus en plus soumis à la contingence des aides.
Force est de constater que nous ne parlons pas du même dialogue social. Nous vous parlons salaire ; vous nous parlez primes.
Je rappelle que la rémunération annuelle nette d’un salarié payé au niveau du Smic se répartit désormais en 84 % de salaire et 16 % de primes de pouvoir d’achat versées par l’État. Ces primes représentent l’équivalent d’un treizième mois, d’un quatorzième et même un peu plus. Autant d’éléments de rémunération qui devraient être du salaire.
Par ces dispositifs, l’argent public vient substituer des revenus à des salaires. Cette stratégie est une aubaine pour les entreprises : à court terme, leurs salariés touchent plus, pour un coût maîtrisé ; à long terme, les salaires restent bas.
Mais il y a des perdants. Ce sont les travailleurs, qui, eux, perdent sur presque tous les plans. En effet, leurs revenus deviennent imprévisibles. Je rappelle qu’une aide distribuée par l’État peut s’arrêter à tout moment, alors qu’un salaire ne peut être baissé de façon unilatérale par l’employeur. Par ailleurs, leur progression salariale de carrière est ralentie. Enfin, pour la double peine, ils cotisent moins pour leur retraite, car ces revenus ne sont pas soumis à cotisations sociales.
Ce constat sans appel ne se limite pas, tant s’en faut, au secteur privé. Aux côtés du salaire, diverses primes et indemnités plus ou moins individualisées occupent désormais une place importante dans la rémunération des fonctionnaires. Elles représentent un quart de leur rémunération et permettent à l’État de compléter un salaire qui n’augmente plus.
Ces tensions salariales appellent une approche qui ne soit pas purement comptable. À bien y regarder, les dispositifs qui ont été imaginés en faveur du pouvoir d’achat depuis vingt ans sont en effet traversés par un important sous-entendu.
Qu’il s’agisse de la prime d’activité, de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ou de l’indemnité inflation, les primes de pouvoir d’achat ont en commun de considérer les travailleurs comme des êtres de besoins et de les réduire à cette condition.
La question de la satisfaction de nos besoins, notamment matériels, est importante et même incontournable. Mais sommes-nous seulement des êtres voués à dépenser ce qui nous est accordé de façon contingente sur un marché de biens et services dont la maîtrise nous échappe totalement ? Le salaire ne se limite pas à cette considération.
Tel qu’il s’est construit au cours du XXe siècle, le salaire permet de reconnaître le travailleur, qu’il soit en emploi ou hors emploi, comme un producteur de valeur économique.
Il n’est pas étonnant, en ce sens, que les revendications salariales se mêlent souvent aux revendications entourant les conditions de travail.
Notre pays n’y coupe pas. Plusieurs mouvements de grève revendiquant une augmentation des salaires se sont enclenchés à l’automne et à l’hiver 2021, y compris dans des secteurs peu enclins aux grèves. Nous avons pu ainsi constater de fortes mobilisations dans plusieurs enseignes de la grande distribution.
Aux revendications d’augmentation générale des salaires de l’ordre de 5 %, les employeurs ont répondu par des propositions d’augmentation de 1 % ou 2 % et par des mesures contournant le salaire : doublement de l’indemnité inflation, versement de primes ou encore augmentation des remises en magasin.
C’est factuel : les primes sont devenues des éléments importants de rémunération pour les titulaires de bas salaires. Finalement, les travailleurs qui mettent en valeur un capital dans le secteur privé se paient de plus en plus eux-mêmes en tant que contribuables. Cela n’est pas admissible.
Dans ce contexte et alors que la période de négociations annuelles obligatoires commence ce mois-ci, j’appelle à ce que nous convoquions un Grenelle des salaires réunissant les organisations syndicales et patronales, afin qu’une réponse systémique et collégiale soit apportée aux travailleurs de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème « Mieux rémunérer le travail en France : la nécessité d’un Grenelle sur les salaires ».
11
Demande de constitution d’une commission spéciale
M. le président. La proposition de loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, présentée par M. Jean Bacci et plusieurs de ses collègues, a été publiée ce jour.
En application de l’article 16 bis, alinéa 3, du règlement, Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ont saisi le président du Sénat d’une demande de constitution d’une commission spéciale sur cette proposition de loi.
Cette demande a été affichée et notifiée au Gouvernement, ainsi qu’aux présidents des groupes politiques et des commissions permanentes.
Elle sera considérée comme adoptée sauf si, avant la deuxième séance qui suit cet affichage, soit à l’ouverture de la séance du jeudi 12 janvier, le président du Sénat est saisi d’une opposition par le Gouvernement ou par le président d’un groupe.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
12
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi ordinaire n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – dix-neuf voix pour, aucune voix contre – sur la nomination de M. Éric Lombard aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
13
Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise
Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux entreprises
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux entreprises, sur les conclusions du rapport d’information Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise (rapport d’information n° 89).
Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.
Madame la ministre, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.
La parole est à Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’inscrit dans une nouvelle grammaire de l’économie. Elle affecte profondément les modalités de production et de commercialisation et constitue un enjeu de pouvoir au sein des grandes entreprises cotées. Ces dernières sont les principales cibles de la législation tant européenne que nationale et de la soft law internationale des normes et labels, dont le rapport d’information de la délégation aux entreprises de juin 2020 avait souligné le caractère foisonnant.
Nous avions alors proposé d’harmoniser le champ d’application des obligations de publication de données extrafinancières, d’éviter les informations redondantes et de se focaliser sur celles qui sont significatives. Le choc de complexité en matière de RSE, que nous avons relevé dans notre deuxième rapport, publié en octobre 2022 et adopté à l’unanimité, est un défi pour les grandes entreprises, comme l’a souligné l’Autorité des marchés financiers au mois de décembre 2021.
Que dire alors pour les PME ! Elles sont elles aussi concernées, en effet, directement ou indirectement, lorsqu’elles appartiennent à des chaînes de valeur, ce qui est souvent le cas. Personne n’a chiffré le coût, humain et financier, que représente l’obligation, pour elles, de fournir un volume d’indicateurs toujours plus important, toujours plus complexe, toujours plus redondant. Le projet de standards du Groupe consultatif européen sur l’information financière (Efrag) comptait 130 items… C’est trop, d’autant que ces indicateurs seront complétés par des informations spécifiques à chaque branche.
Les normes européennes ou nationales doivent également s’appliquer très progressivement aux PME, et ce rythme doit prendre en considération l’environnement économique, actuellement très dégradé. N’ajoutons pas à l’inflation monétaire une inflation réglementaire. Ce millefeuille doit être simplifié ; sinon, il sera indigeste !
La délégation aux entreprises propose, dans son rapport, un principe de proportionnalité, fonction de la taille et des moyens de l’entreprise, sans oublier le respect de la confidentialité de sa stratégie, principe qui devrait se décliner par une approche sectorielle différenciée.
Enfin, et surtout, nos entreprises doivent pouvoir se battre à armes égales. À cet égard, il faut veiller à ce que les entreprises non européennes soient soumises à des exigences équivalentes en matière de publication d’informations extrafinancières. Il y a là une condition de la durabilité de la compétitivité de nos PME.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Le Nay, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.
M. Jacques Le Nay, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les normes sont un enjeu essentiel de la souveraineté. Pour les entreprises, la norme, c’est la notation, et la notation, c’est l’accès au crédit, voire au marché. Cette loi s’applique particulièrement à la RSE et à la publication d’informations que toutes les entreprises, ou presque, devront prochainement produire pour évaluer leur performance, guider les choix de gestion de leurs dirigeants et orienter les investissements.
Au début des années 2000, l’Europe avait perdu la bataille des normes comptables, et les standards américains se sont imposés. Une nouvelle défaite ne saurait être subie, d’autant que les normes et les entreprises européennes sont en avance dans ce domaine, l’Europe étant le continent d’un capitalisme plus responsable.
Dans le rapport d’information de la délégation aux entreprises adopté en octobre dernier, nous avons pointé trois défis.
Le premier est celui d’un standard unique des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), car un double standard mondial créerait une complexité inutile. À cet effet, le dialogue entre les trois entités que sont le Groupe consultatif européen sur l’information financière, le Bureau international des normes comptables (IASB) et le gendarme de la Bourse américaine doit déboucher sur un pacte mondial assorti de normes, de guides et de recommandations communs.
Le deuxième défi est celui du contenu de l’information permettant d’évaluer la performance d’une entreprise. Une telle évaluation ne peut plus se fonder uniquement sur les performances économiques et financières de l’entreprise, mais doit tenir compte de son comportement à l’égard de l’environnement, de son respect des valeurs sociales et de l’éthique, de son engagement sociétal et de son gouvernement d’entreprise.
Il n’y a donc pas, d’un côté, l’information financière, de l’autre, l’information extrafinancière. Cette nouvelle donne suppose l’abandon de la conception friedmanienne de l’entreprise, laquelle ne saurait se réduire à la seule création de profit. Il reste, sur ce terrain, des esprits à faire évoluer, notamment aux États-Unis !
Enfin, le troisième défi est celui de la reconquête de l’autonomie et de la souveraineté en matière de notation et de publication des données des entreprises. Les agences de notation européennes sont toutes passées sous contrôle américain. Leurs méthodologies respectives diffèrent. La nouvelle directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) permet une harmonisation européenne bienvenue.
Comme le recommandait l’Autorité française des marchés financiers en mars 2021, l’Autorité européenne des marchés financiers doit devenir le point d’accès européen unique pour les données financières et extrafinancières des sociétés cotées. Où en est cette proposition, madame la ministre ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Mme Florence Blatrix Contat, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la RSE doit être un atout pour chaque entreprise, car elle porte en elle l’exigence de la transition climatique, la réduction des gaz à effet de serre étant l’un des indicateurs de performance environnementale, sociale et de gouvernance (ESG).
À cet effet, dans le rapport Perrier de mars 2022, dont l’objet est de définir un cadre d’actions pour faire de la place de Paris une référence en matière de transition climatique, il est proposé d’instaurer une comptabilité carbone, mesure qu’avait évoquée notre délégation dès juin 2020. Quelles ont été les suites données à cette proposition ?
Ainsi que nous l’avions recommandé dans le rapport de la délégation aux entreprises adopté en octobre dernier, le Medef préconise, dans la nouvelle version de son code de gouvernance, que la RSE soit placée au cœur des missions du conseil d’administration des entreprises cotées et devienne un élément important de la rémunération de leurs dirigeants. Mais il recommande que les orientations stratégiques pluriannuelles ne soient présentées que tous les trois ans et que la formation des administrateurs aux enjeux de la RSE soit une simple possibilité.
Il faut être plus ambitieux, concernant notamment la formation des salariés administrateurs, qui devrait être un droit, voire une obligation.
Pour être durable, la démarche RSE des entreprises doit être crédible. Or la publication d’une enquête de médias européens, fin novembre, a confirmé les craintes relatives à la notion de finance durable que nous avions évoquées dans notre rapport. Déjà, le rapport de l’inspection générale des finances sur le label public « investissement socialement responsable » (ISR) appelait à sa réforme. La présidente du comité du label s’y attelle depuis le mois de mars 2021. Ses orientations sont attendues. Pouvez-vous nous en dire plus, madame la ministre ?
Cette réforme semble d’autant plus urgente que l’enquête journalistique dont je viens de faire mention a souligné que la moitié des fonds dits durables, y compris les fonds « super verts », investissaient encore dans les énergies fossiles, en contradiction flagrante avec la réglementation européenne. Pourtant, au mois de mars 2021, le ministre de l’économie indiquait qu’il fallait l’assurance que la finance verte n’est pas du greenwashing.
Cette situation, outre qu’elle révèle l’hétérogénéité des notations ESG, remet également en question la crédibilité des engagements climatiques de certaines entreprises, ainsi que le modèle d’audit des entreprises, financières ou non. Les professionnels du chiffre, capables de décrypter la comptabilité financière des entreprises et de vérifier l’exactitude des données, seront-ils désormais capables, sans formation spécifique, d’évaluer aussi la sincérité d’engagements sociaux et environnementaux ? Quel rôle doit être dévolu aux experts-comptables, interlocuteurs privilégiés des PME ? Un immense chantier de formation doit s’ouvrir, comme il est proposé dans le rapport, afin de rendre obligatoire pour tous ceux qui se destinent au monde de l’entreprise la formation aux enjeux de la RSE.
Nous vous remercions, madame la ministre, et espérons que ce sujet important pour notre économie sera porté au-delà de ce débat. C’est ce qu’attendent nos entreprises.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous souhaite à tous une très belle année, une bonne santé, de la joie ; chacun y a droit, malgré les difficultés.
Je vous suis reconnaissante d’avoir pris le temps, en dépit des différentes urgences majeures qui nous occupent tous, d’organiser ce débat, même s’il se tient en cette heure tardive, qui fait suite au rapport d’information si intéressant et approfondi de la délégation sénatoriale aux entreprises et qui porte sur un sujet absolument essentiel pour la compétitivité de nos entreprises. Pour avoir été pendant plus de deux ans secrétaire d’État à l’économie responsable, je sais bien ce que l’on dit de la responsabilité sociale de nos entreprises : « C’est très bien, c’est très important, mais là n’est pas vraiment l’urgence. » Tout le monde s’accorde donc à dire qu’il faut faire quelque chose, mais ce n’est jamais le bon moment…
Votre mobilisation au sein de la délégation aux entreprises et votre présence ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs, démontre que nous pouvons affirmer le contraire. Les trois rapporteurs, en introduction à ce débat, ont abordé de nombreux sujets qui demanderaient – c’est frustrant – un peu plus que les deux minutes dont je dispose… Je veux d’ailleurs vous dire que je ne pourrai pas toujours apporter des réponses exhaustives dans le temps qui m’est imparti aux propos des différents orateurs, compte tenu de la profondeur de ces sujets. Mais, le cas échéant, je prends l’engagement devant la délégation aux entreprises et devant chaque sénatrice et chaque sénateur de vous répondre ultérieurement de manière plus détaillée.
Je veux surtout profiter de ce propos liminaire pour partager l’état d’esprit qui est le mien. La France et l’Europe – cela a été dit – avancent à grands pas sur ces sujets de RSE. La France est en avance ; il nous faut préserver cette avance et il nous faut accompagner toutes nos entreprises, les grandes entreprises, les entreprises de taille intermédiaire, qui sont directement concernées par le champ de la directive CSRD, et nos PME, qui le seront aussi – vous l’avez très bien dit –, directement ou indirectement.
La question est celle du comment. Comment accompagner chacune d’entre elles proportionnellement à sa taille et à ses moyens ? J’aurai à cœur de vous répondre aussi exhaustivement que possible.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Mme Martine Berthet, au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises. Je vous remercie, madame la ministre. Nous souhaitons également vous alerter sur le risque de surtransposition de la directive européenne. La transposition se fera vraisemblablement sous forme d’ordonnance. Nous souhaiterions être associés à ce travail, afin d’éviter la surtransposition. C’est important pour nos entreprises.
Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la RSE, c’est la prise en compte des enjeux de développement durable, environnementaux, sociaux et de gouvernance par les entreprises. Parfois caricaturée en saupoudrage de bonne conscience entrepreneuriale, la RSE est le dépassement de la logique purement comptable ou financière et la prise en compte des logiques responsables des entreprises, une amélioration normative.
Cette notion a été rendue nécessaire ces dernières années, car la nature même des entreprises n’est pas fondamentalement sensible aux trois piliers du développement durable. La RSE, élan destiné principalement aux consommateurs, aux investisseurs et au monde associatif, est un mouvement complémentaire au mouvement social et écologique. L’amélioration des normes de RSE doit rendre les entreprises les plus vertueuses et compétitives.
La société a des attentes de plus en plus fortes à l’égard des entreprises. Elle attend de celles-ci que leur impact environnemental soit le plus réduit possible, voire – soyons ambitieux – qu’il soit positif : que l’entreprise non seulement traite bien ses employés, mais aussi qu’elle soit vigilante quant à son impact global. La rationalité économique ne doit plus être l’ennemie du vivant.
Si la RSE a été, à ses débuts, un mouvement volontaire de la part des entreprises, nous sommes désormais entrés dans une phase plus contraignante et – heureusement – plus exigeante.
Plus contraignante, cette phase l’est notamment par l’édification de normes et de référentiels communs. Comme le montre très bien le rapport dont nous examinons les conclusions aujourd’hui, l’Europe est un continent en pointe sur ces questions. C’est ainsi l’Union européenne qui fut à l’origine, en 2013, de la déclaration de performance extrafinancière pour les grandes entreprises. Complétée en 2018 par la directive sur le reporting extrafinancier (NFRD), partie intégrante de la taxonomie verte européenne, cette déclaration extrafinancière doit inclure des informations sur l’entreprise relatives aux questions environnementales, sociales et de personnels, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption.
C’est également l’Europe qui décide d’assujettir les grandes entreprises au devoir de vigilance et qui – c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui – a mis en avant le concept de double matérialité dans la directive CSRD. Ce concept est assez avancé, puisqu’il prévoit que les entreprises devront non seulement examiner les conséquences de la dégradation des conditions sociales et environnementales sur leurs activités, mais aussi mesurer la manière dont l’activité de l’entreprise influe sur ces mêmes conditions, dans une double relation de cause à effet.
Ces directives s’accompagnent principalement d’obligations nouvelles en matière de reporting. C’est ce qui inquiète particulièrement les entreprises. C’est ce à quoi, essentiellement, répond le rapport que nous examinons aujourd’hui.
Parmi les propositions avancées par nos rapporteurs, nous trouvons tout d’abord la nécessaire proportionnalité des exigences en matière de RSE, qui doivent être imposées selon la taille de l’entreprise. On ne demande pas la même chose à une PME ou à une multinationale. Cet objectif s’entend parfaitement.
Nos rapporteurs appellent ensuite de leurs vœux un renforcement du rôle de l’Autorité européenne des marchés financiers, un effort d’harmonisation des normes, une montée en puissance de la formation, ou encore l’introduction d’une notion d’« offre écologiquement la plus avantageuse » dans le code des marchés publics.
Le groupe écologiste salue naturellement ces propositions, qui vont dans le bon sens et sont autant d’ajustements bienvenus à la montée en puissance de la RSE.
Si le reporting et la transparence sont des outils nécessaires de régulation et d’information des consommateurs et parties prenantes, en tant qu’écologistes, nous sommes convaincus que la solution réside aussi et surtout dans le changement profond des modes de production, de consommation et de gouvernance. La nécessité d’intégrer des logiques non financières dans la marche de l’entreprise devient une évidence, ce que n’est pas encore l’impératif consistant à encastrer l’économie dans les limites planétaires.
Communiquer, comme le fait TotalEnergies par exemple, sur des efforts de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 tout en continuant d’ouvrir de nouvelles exploitations et de rechercher de nouveaux gisements d’énergie fossile relève d’une hypocrisie rare qui nous conduit tous vers la catastrophe. Ce n’est pas la RSE, mais bien la contrainte publique, qui nous sortira de cette situation.
Le changement doit être plus profond, plus radical, plus contraignant aussi. Et la RSE ne parviendra pas, seule, à changer les règles. Elle ne saurait suffire comme outil de régulation de l’impact du monde économique sur nos vies et sur notre avenir.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, je commencerai par dresser un tableau de l’ensemble des coalitions nationales dans lesquelles la France a joué un rôle moteur : la TCFD, Taskforce on Climate-related Financial Disclosures, et la TNFD, Taskforce on Nature-related Financial Disclosures, qui se consacre à la prise en compte des enjeux de biodiversité et à l’action de laquelle vous êtes particulièrement sensible. Un travail de titan, passionnant, est en train d’être mené sur les ressources naturelles de notre planète, sur nos espèces et sur la façon dont l’activité économique affecte notre nature et la biodiversité.
De multiples coalitions mondiales se sont donc créées, pour partie sous l’impulsion de la France, moteur en Europe, qui alimente beaucoup ces institutions. Pour y avoir siégé et avoir contribué pendant plus de deux ans aux côtés du Président de la République, ma conviction est qu’il nous faut aussi être vigilants quant à l’action de ces coalitions. Comme toujours, trop de coalitions tuent les coalitions ; du moins, on peut s’y perdre… Je fais donc trop attention, depuis Bercy, avec Bruno Le Maire, à ce que l’on n’empile pas des coalitions qui en réalité seraient fortes de déclarations d’intention plutôt que d’actes fermes. Je nous invite donc tous, Gouvernement, parlementaires, à la vigilance.
Je souhaite évoquer la proportionnalité, que vous avez mentionnée. Ce n’est en effet pas la même histoire pour une grande entreprise, pour une entreprise de taille intermédiaire et pour une PME. Je veux juste vous dire, monsieur le sénateur, que la directive CSRD – j’aurai l’occasion d’en reparler – s’appliquera dans un premier temps aux seules entreprises de plus de 250 salariés, avant que son périmètre s’étende aux PME cotées.
Je suis acquise à la proportionnalité. Voilà pour les déclarations. Mais il faut maintenant en vérifier l’effectivité dans les actes, notamment dans les actes délégués qui vont nous être transmis.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous penchons ce soir sur un sujet qui est très « tendance ». Mais je veux avant tout tirer mon chapeau à la constance dont, en la matière, a su faire preuve le Sénat : il s’agit de son deuxième rapport sur le sujet. Et il est en effet important de suivre la mise en œuvre des obligations de RSE.
Depuis les premiers travaux effectués sur ce thème, dans les années 1950 et 1960, depuis la prise de conscience symbolisée par le sommet de Rio en 1992, force est de constater qu’il existe une ébullition et une émulation collectives. La France, c’est vrai, y prend toute sa part, de façon positive : article 116 de la loi relative aux nouvelles régulations économiques (NRE), lois Grenelle I et II et, plus récemment, loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) ; vous avez vous-même contribué, madame la ministre, à l’introduction dans ce texte du statut de société à mission.
Mais, c’est vrai aussi, le risque existe d’un simple affichage, comme cela a été pointé dans le rapport Rocher ; d’où la nécessité, au-delà des tendances, de revenir à l’essence de ce qu’est la RSE, à savoir, tout simplement, l’idée que l’entreprise n’est pas une fin en soi, mais un moyen. C’est simple : nous, citoyens, avons des droits et des devoirs ; l’entreprise, elle, se voit reconnaître des libertés économiques, mais elle a aussi des responsabilités économiques, dont elle est redevable. C’est bien de cela qu’il s’agit : l’entreprise évolue dans un environnement, sur lequel elle a un impact et qui a un impact sur elle, positif comme négatif ; c’est le concept de double matérialité.
On le voit bien sur le sujet des retraites, qui nous occupe en ce moment. Où en sommes-nous sur l’emploi des seniors ? En tout cas, nous ne sommes pas là où il faudrait être ! Les entreprises ont, de ce point de vue, une responsabilité sociale. Il est d’ailleurs un peu dommage de constater qu’il faut toujours y aller à coups de menaces de quotas et de sanctions pour espérer faire bouger les lignes.
D’où l’importance, en tout cas, des perspectives tracées par le Président de la République et des chantiers qu’il a annoncés : celui du partage de la valeur, celui qui consiste à conditionner la rémunération des dirigeants au respect des objectifs environnementaux et sociaux de l’entreprise, qu’il évoquait pendant sa campagne. Peut-être Mme la ministre pourra-t-elle nous éclairer sur la suite de la mise en œuvre de cet engagement.
Comment passer des principes généraux et généreux à une mise en œuvre qui doit répudier tout angélisme ? Au regard de la compétition mondiale dans laquelle nous sommes engagés, nous ne devons pas perdre de vue nos intérêts, ceux de nos entreprises, ceux de nos PME ; à cet effet, nous devons mieux les accompagner. Tel est l’objet des recommandations nos 2, 3 et 4 du rapport de la mission : de la proportionnalité, de la simplicité, de la progressivité. Progressivité et simplicité sont acquises avec la directive CSRD, la mesure entrant en vigueur en 2026 pour les PME. L’Efrag travaille en outre sur des normes spécifiques pour les PME. Tout cela va dans le bon sens.
Mon sentiment est qu’il ne faut pas retarder le moment où les PME doivent adopter cet état d’esprit, car il s’agit d’une demande du consommateur, du citoyen, de l’investisseur. C’est donc un service à rendre à ces entreprises que de les aider à emprunter cette voie. De ce point de vue, madame Berthet, je déplore qu’une petite occasion ait été manquée ici même au Sénat. Nous aurions pu y pourvoir par l’article 8 du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne (Ddadue) dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.
La transposition de la directive permettra aussi des mesures de simplification, dans le sens indiqué dans un rapport du Haut Comité juridique de la place financière de Paris. Et la double matérialité est affirmée dans cette directive. On est là, d’ailleurs, au cœur des enjeux normatifs à l’échelon mondial : matérialité versus double matérialité, vision états-unienne versus vision européenne.
Dans ce monde de guerre économique, gardons-nous de toute naïveté : les Américains ne nous ont pas prévenus au moment d’élaborer leur Inflation Reduction Act ; nous devons agir de la même manière. Il est heureux, d’ailleurs, que la directive CSRD permette aux États membres d’autoriser des entreprises à omettre certaines informations quand des intérêts commerciaux majeurs sont en jeu. Cela montre bien que nous ne sommes pas des naïfs.
Il faut prendre en compte aussi l’équité dans la concurrence. À cet égard, l’une des recommandations du rapport, la recommandation n° 5 est d’assurer un traitement identique de reporting pour les entreprises non européennes ; j’y adhère, nous devons y adhérer. La directive CSRD est de ce point de vue un peu perfectible : elle ne s’applique qu’aux entreprises non européennes qui ont au moins une filiale ou une succursale dans l’Union européenne. Nous devrons aller plus loin dans la directive sur le devoir de vigilance – telle est d’ailleurs l’ambition que défend la France – et y inclure toutes les entreprises de pays tiers, qu’elles aient ou non des filiales en Europe. Vous pouvez très bien faire du chiffre d’affaires en Europe sans pour autant disposer d’établissements implantés sur le sol européen…
Encadrons aussi l’activité des agences de notation ESG. Comme l’ont pointé nos rapporteurs, celles-ci sont majoritairement sous contrôle américain. Il serait opportun d’introduire une réglementation à l’échelon européen, afin d’améliorer leur transparence, de gérer les problèmes de conflits d’intérêts, d’organiser leur supervision par l’Autorité européenne des marchés financiers.
Gardons notre avance ! Mme la ministre soulignait cette avance française et européenne. Ne nous laissons pas faire par ceux qui – souvenez-vous : les États-Unis et Cuba, alliance improbable s’il en est, s’étaient retrouvés côte à côte – ont voté contre la norme ISO 26000. Notre spécificité européenne, nous devons la défendre. Ne transigeons pas sur les valeurs qui sont au cœur de la RSE, celles de la dignité de l’homme et du respect de notre environnement.
D’ailleurs – c’est assez comique –, la préhistoire de la RSE, à bien y regarder, c’est à la fois Proudhon et le pape Léon XIII, l’auteur du Système des contradictions économiques et celui de l’encyclique Rerum novarum. Tous les deux avaient à cœur, entre autres, le juste salaire, tout simplement parce qu’ils avaient à cœur la dignité humaine.
Il s’agit bien de cela : d’enjeux supérieurs, prioritaires. Les objectifs de développement durable (ODD), c’est l’affaire de tous, de l’État, des entreprises – saluons le réseau France du Pacte mondial –, des collectivités, qui doivent, elles aussi, embarquer ; et 2030 c’est demain. Nous sommes tous des pays en voie de développement durable : retroussons-nous les manches !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Si M. le sénateur Lemoyne l’accepte, je lui emprunterai volontiers cette expression : nous sommes tous des pays en voie de développement durable. Même si la France, en la matière, n’est ni en reste ni en retard, ce n’est pas une raison pour nous satisfaire des progrès que nous avons pu faire tous ensemble, parlementaires, Gouvernement, au cours des dernières années.
M. Lemoyne a relevé de nombreux points très intéressants. J’aimerais répondre à sa sollicitation concernant la corrélation qui pourrait être instaurée entre la rémunération des dirigeants et la performance extrafinancière de l’entreprise qu’ils dirigent. Au-delà d’une telle corrélation, il faut soulever l’enjeu – objet de la recommandation n° 8 du rapport d’information – de la formation RSE des membres des conseils d’administration et des comités de direction. J’irai même jusqu’à leur adjoindre les administrateurs salariés ; vous en avez dit un mot en introduction, madame la sénatrice Blatrix Contat.
La formation des administrateurs et des mandataires sociaux est un levier essentiel ; j’ai assez souvent ce débat avec le Medef. En la matière, nous devons être vigilants tous ensemble. Le Président de la République en a fait une proposition pendant la campagne ; je le sais bien pour l’y avoir lourdement poussé.
Il y a des marges d’amélioration. Il existe en effet des perspectives pour établir au sein du code Afep-Medef, que vous connaissez et qui fait autorité, dans le cadre d’un droit souple, une corrélation entre la performance extrafinancière et la rémunération des dirigeants. Nous devrons être vigilants et suivre cette évolution, notamment s’agissant de l’intégration d’un ou de plusieurs critères environnementaux et sociaux. Des critères quantitatifs devront également être privilégiés. Le Medef et l’Afep sont plutôt favorables, par le truchement du droit souple, à évolution en ce sens de la rémunération des dirigeants à l’aune de la performance extrafinancière. Je ne manquerai pas de vous tenir informé dès que j’en saurai plus.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon.
M. Rémi Cardon. Je commencerai bien évidemment en remerciant mes collègues qui ont œuvré à la réalisation du rapport d’information.
Si des propositions me semblent particulièrement pertinentes, voire pour certaines triviales – je pense notamment à la différence de traitement pour les TPE –, d’autres me semblent sujettes à débat.
C’est ce débat que j’ai le plaisir d’ouvrir pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, en espérant que nos échanges seront enrichissants. Car, le rapport le montre bien, la RSE est un sujet complexe et, sur certains aspects, paradoxal.
Ainsi, d’un côté, la RSE souffre d’une déferlante de normes qui inquiète, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), et, de l’autre, elle est encore un fourre-tout, malgré justement l’existence de ces normes.
En effet, derrière la RSE, nous pouvons retrouver la simple conformité à des référentiels ou à des normes de qualité ou environnementales, la constitution de fondations pour financer des projets sociaux, culturels, ainsi que des politiques sociales particulièrement engagées, comme des congés paternité de plusieurs mois qu’oseraient à peine espérer certains mouvements féministes !
La RSE est définie par la Commission européenne comme l’intégration volontaire – j’insiste sur ce terme – par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties prenantes.
Le champ des possibles est encore immense. Si les normes sont déjà nombreuses pour imposer cette démarche volontaire, il reste des zones libres, pour ne pas dire de non-droit. Cela fait naître d’inévitables inégalités entre les entreprises.
Une proposition que j’aurais personnellement aimé voir inscrite bien plus haut dans la liste – elle arrive en dernier – est la modification du code des marchés publics.
Les entreprises qui s’engagent volontairement dans une démarche vertueuse, socialement bénéfique et durable doivent évidemment être reconnues et encouragées pour cela. Nous touchons là à la notion d’exemplarité de l’État, qui doit, par un code des marchés publics modernisé, favoriser les candidats vertueux.
L’expérience montre malheureusement que si l’on attend que les entreprises s’y mettent spontanément, on peut attendre longtemps ! Qui aurait pu prédire que le non-partage des superprofits se transformerait en superdividendes ? Madame la ministre, il est encore temps d’agir sur le sujet !
Ensuite, et sans remettre en cause les propositions qui sont faites, puisque la production de chiffres extrafinanciers tend à se développer et qu’il s’agit d’une occasion à saisir, il me semble que nous devrions nous interroger sur l’intérêt et la pertinence même de la RSE, notamment eu égard aux inégalités qu’elle peut engendrer entre les entreprises de tailles différentes.
Il est facile, en effet, pour les grands groupes internationaux de financer une politique RSE généreuse quand ils se sont, de fait, extraits de leur responsabilité sociétale en pratiquant l’optimisation fiscale !
Or la première contribution sociétale d’une entreprise n’est-elle pas de participer à la mise en place des services publics, qu’il s’agisse des infrastructures de transport, des services de santé et des autres services régaliens ?
Pour le dire autrement, est-ce le rôle de l’entreprise de financer directement des services sociaux à l’attention de ses seuls salariés ou revient-il à l’État d’en assurer le juste équilibre pour l’ensemble du pays ?
Madame la ministre, à l’heure où nous cherchons à équilibrer le financement de nos retraites, une fiscalité plus juste et, surtout, plus effective, quelle que soit la taille de l’entreprise, ne serait-elle pas souhaitable ? Ce serait bien plus acceptable socialement, et cela nous éviterait bien des grèves à venir. Mais ça, c’est votre choix !
Enfin, pour reprendre une des propositions du rapport que j’ai déjà évoquée, à savoir la modification du code des marchés publics, il faudrait aussi, me semble-t-il, y intégrer la contribution fiscale des entreprises. De la sorte, les PME, qui bien souvent ne peuvent optimiser à outrance leur fiscalité, auraient une bien meilleure note que les grands groupes, qui, eux, usent de ces optimisations !
De nombreux exemples ont montré l’incompatibilité du RSE avec une recherche de revenus à court terme des entreprises. Le cas le plus marquant en la matière est, de mon point de vue, le limogeage du président du groupe Danone, dont la politique pourtant exemplaire n’était pas du goût des actionnaires. Ainsi, les meilleures politiques de RSE servent souvent avant tout les intérêts des entreprises au détriment d’un intérêt commun supérieur.
Madame le ministre, n’y a-t-il pas danger à laisser ces entreprises financer des services sociaux supralégaux au détriment du plus grand nombre ?
Plus globalement, je souhaite que le Gouvernement reprenne les propositions bienvenues du rapport et en profite pour prendre davantage de recul, afin de s’interroger philosophiquement sur le bien-fondé et les limites de la RSE.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur, votre intervention est intéressante et étayée.
Il fut un temps, dans les années 2000, où l’on parlait de développement durable. Chaque entreprise – peu importe sa taille – faisait un peu ce que bon lui semblait, communiquait et d’ailleurs ne prenait pas beaucoup de risques, puisque les vérifications étaient peu nombreuses. Cela faisait de beaux rapports annuels, mais ne changeait pas véritablement la vie des entreprises…
Puis, en 2014, les choses sont devenues un peu plus sérieuses grâce à la déclaration de performance extrafinancière (DPEF), ou Non Financial Reporting Directive (NFRD), qui a obligé toutes les entreprises européennes de plus de 500 salariés à publier des informations relatives aux questions environnementales, sociales, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption. Depuis environ dix ans, c’est donc un peu moins fourre-tout, pour reprendre votre expression.
Après la NFRD, arrive maintenant la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Alors que nos grandes entreprises ont huit ans de pratique de déclaration de performance extrafinancière à partir de critères assez exhaustifs, mais variables d’une entreprise à l’autre – on en reparlera, mais chacun faisait un peu en fonction de ses envies –, les voilà face à la grande révolution de la CSRD. Chacune devra à présent travailler à partir d’indicateurs convergents. Il sera donc enfin possible de comparer la performance extrafinancière environnementale, sociale et de gouvernance de chaque entreprise sur la base des mêmes indicateurs.
Je rappelle qu’il y aura non plus 130, mais 80 indicateurs devant permettre d’établir des comparaisons. Est-ce à dire que je ne suis pas favorable au fait que les entreprises puissent aussi communiquer plus spécifiquement sur certains indicateurs très en lien avec leur politique sociale ou environnementale ? Cela ne me choque pas. Je suis à la fois favorable à une CSRD mettant en place des indicateurs et au fait de laisser aux entreprises la liberté de communiquer sur les questions qu’elles souhaitent mettre en avant plus particulièrement.
Pour vous répondre, je ne suis pas sûr qu’il y ait d’opposition entre la RSE et la déclaration de performance extrafinancière. Je pense, au contraire, que la déclaration de performance extrafinancière est enfant de la RSE, qui est elle-même enfant du développement durable !
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, pour la réplique.
M. Rémi Cardon. Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez a choisi de décerner le prix Choose France à la société Procter & Gamble à Amiens, et ce malgré le fait que cette dernière pratique notoirement une optimisation fiscale contestable. Cette dernière, légale, mais amorale, prive les salariés d’une juste prime d’intéressement et de participation. Un tel décalage est décevant. C’est sans doute là encore une subtilité du « en même temps » macronien qui m’échappe. Comment peut-on appeler les entreprises à partager la valeur tout en les laissant faire le contraire ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Je remercie tout d’abord les rapporteurs de la délégation aux entreprises de leur travail mettant en lumière les conséquences de l’application des nouvelles normes environnementales, sociales ou de gouvernance sur nos entreprises, en particulier par rapport aux autres pays européens.
Le rapport pointe un grand décalage entre les discours et les actes, entre les objectifs définis et les politiques adoptées. Il illustre par exemple que la France est particulièrement mal classée dans le rapport mondial sur le développement durable en raison de son niveau élevé d’importations. Celles-ci représentent la moitié des émissions nationales dans le bilan carbone de notre pays.
Agir efficacement pour des relocalisations industrielles, comme dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, alors que nous sommes dans un état d’hyperdépendance aux économies du Sud-Est asiatique notamment, apparaît donc, de ce point de vue aussi, comme une nécessité.
De même, en 2017, la France a été la première, avec la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, à définir la responsabilité des entreprises, et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et l’environnement dans leur chaîne d’approvisionnement. Mais la directive sur le devoir de vigilance approuvée par le Conseil européen en décembre dernier n’inclut ni l’usage qui est fait des produits commercialisés par les entreprises, ni les activités des clients des entreprises de services, ni les exportations d’armes.
Sous la pression de la France, les banques sont quasiment exclues du champ et les entreprises ne sont pas tenues de cesser leur relation avec un fournisseur qui viole les droits humains, si cela est préjudiciable à leur activité.
Il est urgent d’encadrer de façon stricte l’activité et la responsabilité sociale, économique et environnementale des entreprises multinationales. Le rapport de la délégation aux entreprises présente plusieurs recommandations intéressantes en ce sens, qu’il s’agisse de renforcer la formation des membres des conseils d’administration et du comité de direction, d’instaurer des modules de formation sur les enjeux de RSE pour les étudiants ou encore de prévoir des mesures de progressivité.
La responsabilité sociétale des entreprises ne doit pas se limiter à la seule lutte contre le réchauffement climatique, mais doit inclure les aspects sociaux ou de gouvernance pour mieux devenir une responsabilité sociale des entreprises.
À l’opposé des ordonnances Macron, qui ont affaibli les pouvoirs des représentants des salariés dans les entreprises, la consultation du comité social et économique (CSE) sur les orientations stratégiques de l’entreprise devrait devenir une obligation.
Les salariés pourraient ainsi s’opposer à des décisions de délocalisation contraires à l’intérêt général ou promouvoir des diversifications de production à même de développer des entreprises.
J’ai en tête l’équipementier Compin, dans l’Eure, qui délocalise des productions, licencie la moitié des salariés de son site d’Évreux, alors même qu’il s’est engagé à le mobiliser pour équiper le matériel ferroviaire financé par la région Normandie.
Afin de mieux valoriser les démarches de RSE des entreprises, l’introduction dans le code de la commande publique d’un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en la matière, à égalité de prix ou à équivalence d’offre, apparaît judicieuse.
L’accès aux appels d’offres des PME locales doit être une priorité. Cela demande de cesser de promouvoir des collectivités XXL, qui surenchérissent les niveaux d’appel d’offres, et les groupements hospitaliers toujours plus gigantesques, qui éloignent d’autant les TPE et les PME de la réponse à ces appels d’offres.
Il faut au contraire considérer que la politique sociale et environnementale des entreprises peut permettre de dépasser les logiques de dumping social.
Nombre de collectivités sont prêtes à jouer pleinement ce rôle. Mais elles-mêmes, soumises aux règles européennes de concurrence, prétendument libres et non faussées, sont empêchées d’utiliser comme elles le devraient le levier de la commande publique.
L’État doit également donner l’exemple en la matière. Or ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
L’État actionnaire, d’abord : je pense notamment à l’entreprise Renault, particulièrement implantée dans mon département de Seine-Maritime, où elle accompagne la stratégie de démantèlement qui menace emplois, sites industriels et nécessaires transitions énergétiques.
L’État, tout court, ensuite : il n’est pas très sérieux de se féliciter que les TPE accèdent à l’énergie à un coût de 280 euros le mégawattheure, c’est-à-dire cinq ou six fois supérieur aux coûts de production en France.
Vous le savez, nous sommes évidemment diamétralement opposés à un Milton Friedman, qui considérait que l’entreprise a pour seule responsabilité d’accroître son profit. Mais, à l’inverse, nous estimons que l’État et la puissance publique ont aujourd’hui une responsabilité à l’égard de toutes nos entreprises face aux coûts de l’énergie.
Or les réponses apportées par le Gouvernement ne sont pas à ce stade à la hauteur. Vous avez parlé d’urgence : voilà, je le crois, un sujet particulièrement urgent qui préoccupe nos entreprises aujourd’hui !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Ironie du sort, j’ai choisi ce soir d’honorer ma présence au Sénat, comme c’était prévu, plutôt que de participer au débat à l’Assemblée nationale sur la mise en œuvre des mesures de soutien face à l’augmentation des coûts de l’énergie. Ne mélangeons pas tout, si vous le voulez bien, je vous répondrai très prochainement sur les aides relatives à l’énergie. Mais évidemment, comme vous l’avez rappelé, nous sommes diamétralement opposés sur ces questions, puisque j’aurai à cœur de défendre un tarif à 280 euros le mégawattheure lissé sur l’année.
En ce qui concerne l’empreinte carbone et les importations, vous avez trois fois raison. Vous m’accorderez que la meilleure façon de faire baisser le bilan carbone de nos importations, c’est de créer les conditions d’une réindustrialisation forte et verte dans notre pays. Ce sera l’objet d’un projet de loi robuste qui vous sera présenté par Bruno Le Maire dans les semaines et mois qui viennent.
Sur le devoir de vigilance, je rappelle que la France est un pays moteur. C’est la loi du député Dominique Potier en 2017 qui a permis de faire avancer la France et l’Europe aujourd’hui. Soulignons quand même que les Allemands ont emboîté le pas des Français et rappelons que l’Europe est aujourd’hui en train de porter le devoir de vigilance à partir de l’influence française. La France a donc joué un rôle absolument moteur en la matière.
Au risque de vous étonner – mais j’aime bien être étonnante –, je ne suis pas très éloignée de vous sur le CSE. Si l’on souhaite que l’extrafinancier soit incarné et vive dans nos entreprises, si l’on veut se montrer responsable en matière d’empreinte sociale, environnementale et de gouvernance, il me semble effectivement important que les salariés soient, à un moment ou à un autre, parties prenantes de cette dynamique. Je ne vais, certes, pas aussi loin que vous, mais vos remarques me semblent intéressantes. Nous pourrions donc en reparler ultérieurement ensemble. (M. Thomas Dossus s’en félicite.)
Vous avez également évoqué la question majeure des marchés publics. C’est un sujet qui avait été abordé à l’article 35 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, sur laquelle je me suis engagée. Mais je vous rappelle que nous avons été repris par le Conseil d’État. Celui-ci a précisé dans son avis qu’il n’était possible en droit européen de promouvoir la notion d’offre écologiquement la plus avantageuse. C’est un vaste problème, auquel je travaille depuis des années. C’est donc avec plaisir que j’en reparlerai avec vous, madame la sénatrice Brulin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter la délégation aux entreprises de la qualité des travaux entrepris dans ce deuxième rapport d’information sur la responsabilité sociétale des entreprises, notamment l’investissement de son président Serge Babary, ainsi que celui des rapporteurs Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Jacques Le Nay.
Plus qu’un acronyme, la RSE est désormais au cœur de la vie de nos entreprises. Pratiques de management, exigences comptables ou encore transparence des données : aucun pan de la vie d’une entreprise n’y échappe.
Si les plus importantes de nos sociétés n’ont pas de difficulté à se saisir du sujet, ce n’est pas le cas pour nos entreprises de taille intermédiaire (ETI) et PME, qui n’ont bien souvent pas les moyens humains ou financiers de mettre en œuvre des stratégies de RSE ambitieuses.
Pourtant, cette mise en œuvre revêt une importance déterminante tant pour notre planète que pour la compétitivité de nos entreprises.
Le défi de la transition écologique et de l’adaptation au changement climatique ne doit pas être uniquement l’affaire des collectivités locales : il doit aussi concerner les habitants et les entreprises. Ces dernières détiennent un véritable pouvoir pour changer le comportement des consommateurs en proposant des biens et services durables, conçus dans une responsabilité sociétale.
Souvent en économie et en marketing, l’offre crée la demande. Proposez des produits responsables et qualitatifs : ils trouveront preneurs ! Les consommateurs sont très attentifs aux engagements sociaux et environnementaux des entreprises.
La disparition de la taxe professionnelle et l’annonce de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) pourraient distendre les liens entre le territoire et les entreprises. La RSE permet de les retisser. Les plus petites entreprises auront d’ailleurs tendance à avoir un lien de proximité externe « à leur taille » pour témoigner d’une implication sociétale, avec l’école du village ou du quartier, la commune ou des associations locales.
La norme ISO 26000, standard international, qui définit le périmètre de la RSE autour de sept thématiques centrales, prévoit des obligations en matière de communautés et de développement local.
Afin de faire de la RSE un véritable atout pour toutes nos entreprises, y compris les plus petites, il est donc urgent d’agir à triple titre.
Premièrement, nous devons mettre en œuvre un choc de simplification en matière de RSE, afin que chaque entreprise puisse respecter les obligations françaises et européennes, notamment dans le cadre de la future directive CSRD. Cela passera notamment par la création d’un référentiel RSE adapté aux ETI et aux PME.
Deuxièmement, nous devons promouvoir un modèle de RSE complet, car deux des trois piliers des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), la mise en œuvre d’une politique sociale et l’existence d’une gouvernance transparente, évoluent aujourd’hui dans l’ombre de la lutte contre le réchauffement climatique. La RSE n’est pas une responsabilité environnementale des entreprises, mais elle est une responsabilité sociétale de celles-ci.
Troisièmement, les pouvoirs publics doivent davantage prendre leur part, afin de rendre la RSE opérante. L’obligation d’une clause environnementale dans des marchés publics d’ici à 2025 est une première étape. Cependant, nous devons aller plus loin. À ce titre, je salue la proposition des rapporteurs d’intégrer un droit de préférence pour les offres des entreprises ayant une stratégie en matière de RSE, à égalité de prix ou à équivalence d’offre. Un tel droit sera un outil précieux pour faire de la RSE un atout pour la compétitivité d’une entreprise.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, si avec les membres du groupe Union Centriste nous saluons la montée en puissance de la RSE au sein de nos entreprises, nous estimons qu’elle doit être accessible à l’ensemble.
Nous devons continuer de travailler pour faire de ce principe une véritable réalité sur le terrain et un outil pour la compétitivité des entreprises les plus vertueuses. Ainsi, la RSE deviendra un atout pour notre économie et nos entreprises.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Le Gouvernement est attaché à deux fondamentaux que vous avez abordés, madame la sénatrice : la proportionnalité et la progressivité, notamment à l’endroit des entreprises de taille intermédiaire que vous avez mentionnées.
L’objectif pour la France est désormais de transposer au cours de l’année 2023, et en tout état de cause d’ici à juillet 2024, la directive CSRD entrée en vigueur le 14 décembre dernier. Il n’est pas possible, par conséquent, de redéfinir le périmètre des entreprises concernées ou de revenir sur le principe des informations publiées.
En revanche, durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Gouvernement a veillé – j’y ai travaillé très personnellement – à ce que la directive soit proportionnée pour nos entreprises. C’est le cas pour le périmètre des entreprises concernées, puisque les PME qui n’ont pas émis d’actions ou d’obligations sur les marchés réglementés ne sont pas concernées.
En outre, les PME cotées seront exemptées de toute obligation si elles sont couvertes par le rapport de durabilité de leur société mère.
Par ailleurs, dans le cadre de la consultation sur les projets d’indicateurs de rapportage, la France sera particulièrement attentive au nécessaire respect de la confidentialité d’un certain nombre d’informations. La directive permet d’ailleurs aux États membres d’autoriser les entreprises à ne pas publier certaines informations dans des cas exceptionnels dûment motivés lorsque cela nuirait gravement à la position commerciale de l’entreprise face à ses concurrents.
Au-delà de la proportionnalité, permettez-moi de citer quelques dates concernant la progressivité. En 2025 seront concernées les grandes entreprises de plus de 500 salariés cotées sur le marché ou exerçant dans les secteurs de la banque et de l’assurance. En 2026 viendra le tour des grandes entreprises de 250 à 500 salariés. En 2027, seront concernées les PME cotées, avec possibilité de report d’une année, et en 2029 les filiales et succursales de grandes entreprises extraeuropéennes.
Nous avons donc veillé à la proportionnalité, tout particulièrement pour ce qui concerne les PME. L’idée n’est pas de pantoufler et de ne rien faire jusqu’en 2027. Nous avons cinq années devant nous pour les accompagner, les prévenir et, surtout, ne pas effrayer, ce que vous ne faites pas, mais d’autres ne s’en privent pas, celles qui ne seraient pas concernées par le champ de la directive.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Responsabilité sociétale des entreprises, RSE pour les initiés, ou comment assumer sa responsabilité face à la société ?
Si elle mérite d’être connue, la norme ISO 26000 publiée en 2010 a apporté un consensus à la RSE. Cinq ans de travail pour quatre-vingt-dix-neuf pays qui y ont planché. Pourtant, sa notoriété laisse à désirer.
Dans une enquête destinée aux maires de mon département, 39 % des élus ne savent pas ce qu’est la responsabilité sociétale des entreprises. Sur dix-sept étudiants en master 2 de droit rencontrés cette semaine, 100 % ne savaient pas quels enjeux l’entourent. Douze ans après, il est donc primordial d’enfoncer le clou.
La délégation aux entreprises s’est emparée voilà deux ans du sujet avec un rapport d’information dont le titre, Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager, était sans ambiguïté.
Car il s’agit bien de cela : l’exemplarité, que ce soit dans la gouvernance, dans le respect des droits de l’homme, dans les conditions de travail, dans la contribution au développement local, dans les bonnes pratiques, dans la protection du consommateur et, évidemment, de l’environnement.
D’abord destinée aux grandes entreprises, la RSE s’est adaptée et s’est ouverte aux PME et aux ETI, avec une évaluation concentrée sur cinq principes au lieu de sept. Les enjeux sont environnementaux, sociétaux et économiques, collant au triptyque du développement durable.
Dans ce rapport, la délégation aux entreprises présente avec réalité un monde qui n’est pas celui des Bisounours. Certains ont détourné les enjeux éthiques en affichant une image avant les actes, voire sans les actes. Greenwashing ou purpose washing, la manipulation reste la même : on profite de la vague des bonnes intentions pour surfer sur le faux.
Dans un contexte d’après-covid et de crise économique, énergétique, certaines entreprises ont démissionné du processus. D’autres se sont désengagées ou ont baissé la garde, ce qui a entraîné leur expulsion de la labélisation. Certaines, du coup, critiquent ce qui les avait pourtant motivées.
L’enjeu d’image est primordial dans un contexte de concurrence mondiale ; le dénigrement du label est une revanche pas très fair-play pour des groupes qui s’en sont servis sans limites dans leur stratégie de communication…
C’est précisément ce contexte de concurrence mondiale qui doit pousser la France et l’Europe à défendre la norme ISO 26000 qu’il faut réaffirmer plutôt, d’ailleurs, que le reporting, qui ne fait référence à aucune norme.
Les experts savent que les Américains, qui ne partagent pas les mêmes valeurs de l’entreprise, ont toujours voté contre cette norme et ont créé B-Corp, une norme moins robuste et moins crédible. Concrètement, pas d’évaluation sur site et pas d’écoute des parties prenantes externes et internes. Un vrai chant des sirènes pour certaines entreprises qui se disent qu’elles bénéficieront de l’image de la labélisation sans grosse contrainte. C’est là tout le danger…
Danger encore, concernant l’espionnage qui s’organise via des structures d’évaluation étrangères.
L’Europe doit défendre sa vision humaniste, éthique et environnementale de l’entreprise. Il y a donc, comme le souligne ce rapport, une nécessité à accompagner les petites entreprises dans la mise en œuvre de la RSE, incontournable dans les cinq ans. Mais cela doit se faire dans le respect des textes fondateurs que sont la CSRD et la norme ISO 26000.
La CSRD est publiée au Journal officiel de l’Union européenne depuis le 1er janvier et devra être rapidement appliquée en France : elle précise le nouveau cadre européen de reporting de durabilité.
Concernant la norme ISO 26000, rappelons qu’il s’agit du seul guide méthodologique reconnu internationalement. Il est souvent question de reporting, mais cela n’est pas une fin en soi. Ce qu’il faut soutenir, c’est la RSE dans la stratégie d’organisation des structures. Le reporting, ça vient après. Plus simplement dit, ce n’est pas l’outil qui fait l’artisan !
Enfin, je ne manquerai pas l’occasion de ce débat pour vous livrer un scoop, madame la ministre. Mon cabinet vient de recevoir hier l’attestation de Label Engagé RSE, niveau exemplaire que nous avons atteint en 2019. Il est toujours le seul en France à être labélisé. Ma directrice de cabinet et mon attachée parlementaire, que je tiens à remercier publiquement, soutiennent avec motivation et détermination cet engagement à mes côtés.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Bravo !
M. Henri Cabanel. Stratégie de mandat, télétravail et covoiturage avant que ce ne soit la mode, comptabilité avant que ce ne soit obligatoire, indicateurs de résultats, etc. Bref, nous avons mis en place une méthode simple, sans usine à gaz.
Je remercie également Afnor Certification, qui nous a fait confiance en 2015, quand nous avons indiqué à cette société notre intention d’engagement.
Mon projet est de créer la responsabilité sociétale des élus. Quelque 72 maires héraultais m’ont déjà affirmé leur intention de participer à un groupe de travail que j’ai lancé : c’est une force à mes côtés. Je vous rappelle que nos cabinets ont tous un numéro Siret et que nous pouvons donc nous engager dans une démarche de RSE.
En effet, mes chers collègues, qui mieux que nous, dans ce contexte de défiance, devrait s’engager face aux citoyens ? Ne pouvons-nous être exemplaires, comme nous le demandons aux entreprises, auxquelles nous imposons des obligations toujours plus lourdes ? C’est facile pour les autres, mais plus difficile pour soi-même… C’est pourtant le sens même de l’exemplarité : montrer la voie. Le défi est lancé ! (M. Éric Gold applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Chiche, monsieur le sénateur Cabanel !
Tout d’abord, je serais très intéressée de prendre connaissance de la labellisation dont vous avez fait l’objet.
Ensuite, je suis tout à fait sensible à ce que vous avez dit sur l’exemplarité et a priori plutôt favorable à votre démarche, même si les élus, ici, sont plutôt sociétalement responsables et engagés ; c’est d’ailleurs au cœur de la fonction de l’élu. Votre initiative est particulièrement pertinente, et ce n’est pas un mot en l’air ; j’aimerais que l’on en reparle, car elle m’intéresse.
Par ailleurs, vous avez dit que 80 % des étudiants en master ne savaient pas ce qu’était la responsabilité sociale des entreprises ou ce qu’elle recouvrait. Or, parallèlement, il y a de plus en plus de chaires, de masters et de formations, continues ou secondaires, y compris dans de prestigieux instituts français, sur ces enjeux. La RSE se déploie donc, mais peut-être pas suffisamment dans les cursus universitaires plus classiques ; ce sujet important a été mentionné dans le rapport sénatorial.
Comme M. Jourdain avec la prose, de nombreuses entreprises font de la RSE sans le savoir, notamment les plus petites d’entre elles. C’est le cas, par exemple, quand un directeur de PME ou de TPE partage la valeur, donne des actions et conduit une politique associative. Même s’il ne sait pas forcément qu’il s’agit de rapportage extrafinancier, d’une démarche de développement durable ou de responsabilité sociale, tel est bien le cas !
Je suis en désaccord avec vous sur un point. Je crois, pour ma part, que l’outil va faire l’artisan. Il est indispensable que l’on avance ensemble, en Europe, sur ces 80 macro-indicateurs transversaux avant d’enclencher un travail plus sectoriel en fonction des secteurs d’activité. Même si l’outil est un peu lourd et nécessite d’être adapté aux PME, il doit être homogène, pour que nous parlions le même langage.
Cela fait vingt ans que je suis passionnée par ces sujets et que je me désole que l’on compare des choux, des carottes, des tomates et des politiques sociales…
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. J’espère que cet outil indispensable donnera lieu à une RSE homogène dans les entreprises.
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.
M. Henri Cabanel. Vous avez raison, madame la ministre, l’outil est indispensable. Mais il importe aussi de disposer de la philosophie adéquate pour s’engager dans la RSE. Je parle ici en tant qu’agriculteur qui s’est engagé dans le bio et qui sait que d’autres ont fait la même démarche pour bénéficier de retombées financières…
En ce qui concerne ma propre démarche RSE, je reste bien entendu à votre disposition.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Sautarel.
M. Stéphane Sautarel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord saluer le travail de la délégation aux entreprises du Sénat sur la responsabilité sociétale des entreprises, un travail inscrit dans la durée, sous l’impulsion de son président, Serge Babary.
La RSE doit être à la portée de toutes les entreprises, ce qui nécessite une adaptation des exigences à l’échelle de chacune d’entre elles et dans un cadre européen. En ce sens, je souscris aux propositions de la délégation aux entreprises.
Toutefois, la RSE est aussi et d’abord une question de culture, d’état d’esprit, avec un rôle essentiel des conseils d’administration, qui confère à l’entreprise une mission nouvelle d’intérêt général. Je veux donc profiter du temps qui m’est imparti pour élargir le débat, tout en m’inscrivant, je le crois, au cœur de celui-ci.
La RSE, c’est d’abord la sincérité et l’exemplarité. Au-delà de la sincérité du dirigeant, qui ne peut s’ancrer que dans la durée et dans l’exemplarité, le cadre collectif et le cadre juridique sont susceptibles d’aider à réaliser cette ambition. C’est ainsi que la RSE s’inscrit dans le dépassement de l’entité, en direction à la fois d’un intérêt collectif qui la transcende et d’une attention individuelle réelle et sincère qui l’habite.
La RSE est un moyen de s’engager de manière forte et sincère, des tiers certificateurs garantissant cet engagement. Cette intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales constitue une réelle avancée.
À l’occasion de la préparation de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte, Nicole Notat et Jean-Dominique Senard ont produit un rapport intitulé L’Entreprise, objet d’intérêt collectif sur la relation entre entreprise et intérêt général.
Leur rapport, qui avait vocation à être pris en compte dans l’élaboration de la loi Pacte, présente un intérêt certain pour asseoir la légitimité, l’authenticité et la sincérité indispensables à l’émergence d’une telle approche, qui peut être qualifiée d’« humaniste ».
La loi Pacte, dont l’ambition était de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois, n’a pas encore donné toute sa mesure et mériterait une évaluation dynamique d’envergure, tant sa portée est considérable. Je suis certain, madame la ministre, que vous partagez cet objectif.
Cette loi a posé le principe selon lequel l’entreprise se fixe un second objectif, parallèlement à sa profitabilité : sa raison d’être.
La raison d’être peut se définir par l’expression d’un futur désirable pour le collectif – parties constituantes et parties prenantes –, justifiant la coopération et rendant compte d’un enjeu d’innovation. Cette raison d’être, but propre de l’entreprise en tant que personne morale, pourrait permettre de renforcer l’engagement des salariés, en étant porteuse de sens.
La réappropriation par l’entreprise de sa responsabilité comme d’une raison d’être, associée à une officialisation stratégique, voire juridique, semble être une bonne piste.
La responsabilité sociétale est ainsi décryptée à travers trois niveaux d’engagement : la considération des impacts sociaux et environnementaux liés à son activité ; la réflexion sur son environnement à long terme ; le statut de « société à mission ».
Longtemps considérées comme contribuant au problème, nombre d’entreprises souhaitent aujourd’hui faire partie de la solution.
Ces défis écologiques, sociaux, scientifiques, de plus en plus d’entrepreneurs ambitionnent de les relever au travers de l’entreprise. Il y a là une occasion historique d’ouvrir la voie à de nouvelles formes d’entreprises, qui pourraient bien dessiner les contours d’un capitalisme du XXIe siècle plaçant l’intérêt des humains et de la planète au cœur de ses finalités et intégrant de nouveaux modes de partage de la valeur créée.
À cet égard, l’évaluation de la RSE, mais aussi de la mise en œuvre de la raison d’être par un tiers indépendant et de la reddition publique par les organes de gouvernance, est une nécessité absolue. La loi doit aider les entreprises à placer au cœur de leur projet la résolution des enjeux de société, sociaux et environnementaux. Elle doit aider à crédibiliser la démarche.
Les pouvoirs publics pourraient ainsi transférer ou partager avec l’entreprise la définition de l’intérêt général pour la société, mettant le chef d’entreprise, c’est-à-dire les organes dirigeants, au cœur d’une mission politique et historique. Ce serait un changement radical de l’organisation française.
Ainsi, on pourrait espérer que l’époque soit non plus à la défiance, mais à la confiance, cette dernière étant assise sur la sincérité des engagements et des convictions. Il semble que cette approche peut et doit permettre que la performance durable devienne une excellence.
La sincérité est première dans cette démarche. C’est pourquoi les cinq propositions de la délégation doivent être mises en œuvre pour franchir une nouvelle étape. J’espère, madame la ministre, que vous pourrez, à votre niveau, prendre en compte ces propositions.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, la loi Pacte. Votée à cinq heures douze du matin, le 22 mai 2019, elle fait partie de ces lois que l’on n’oublie pas…
Trois ans plus tard, le temps de l’évaluer est peut-être venu, et vous me trouverez toujours à vos côtés pour le faire, voire pour renforcer et améliorer ce texte.
Au reste, je n’ai pas attendu que trois ans passent pour faire avancer la loi Pacte, notamment son chapitre III, et pour travailler sur les sociétés à mission et sur la raison d’être, comme vous l’avez rappelé. Je suis très sensible à la notion de sincérité que vous avez mentionnée à plusieurs reprises, monsieur le sénateur. Celle-ci, comme la confiance, n’exclut pas le contrôle.
Vous vous souvenez, mesdames, messieurs les sénateurs, que j’avais confié une mission à M. Bris Rocher, lequel a formulé des propositions pertinentes, dont certaines sont soutenues dans le rapport de la délégation aux entreprises.
Je suis plutôt réactive en ce qui concerne les enjeux représentés par les sociétés à mission, mais je rappelle que nous avons été frappés de plein fouet par la crise de la covid-19 ; de ce fait, les premiers bilans des organismes tiers indépendants (OTI), qui sont chargés de contrôler la qualité de la mission annoncée par l’entreprise, n’ont pas été remis en temps et en heure.
Les premières sociétés à mission sont nées dès la fin de 2019, et nous commençons seulement à recevoir les rapports des OTI sur ces missions et leur adéquation avec le cœur de métier des entreprises ; il arrive en effet, vous l’avez dit, qu’une mission en soit quelque peu éloignée.
D’ici à quelques semaines ou à quelque mois, nous disposerons d’un plus grand nombre de rapports d’OTI, ce qui permettra d’améliorer la sincérité des missions. Quant à l’intégration de la raison d’être dans les statuts, je suis totalement acquise à cette idée.
Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la notion de responsabilité sociétale des entreprises est essentielle. Pourtant, force est de constater que la « culture RSE » traverse une période difficile. La crise sanitaire a mis nos entreprises à rude épreuve.
Le contexte économique tendu que nous connaissons, tout particulièrement avec la hausse des coûts de l’énergie, inscrit nos entreprises dans une course d’endurance ardue. Bon nombre d’entre elles sont inquiètes.
Au même moment – on l’a entendu –, une petite musique se fait entendre : la raison d’être des acteurs économiques ne serait, pour certains, que de l’esbroufe destinée à donner une bonne image à des entreprises faussement engagées. Bref, de l’écoblanchiment ou, en bon français, du purpose washing.
Dans ce contexte, le rapport alerte sur un point : certaines entreprises pourraient être tentées, voire forcées, de négliger leurs engagements environnementaux et sociétaux. Pour couronner le tout, la complexification des obligations en matière de RSE ne cesse de croître et nous interroge sur leur accessibilité pour l’ensemble des entreprises. Ces risques doivent nous mobiliser, tant la RSE, bien loin d’être superflue, constitue au contraire un atout majeur pour gagner en compétitivité.
La RSE participe à garantir la vitalité de nos entreprises, à pérenniser leur implantation et, ainsi, à renforcer le tissu économique local. Pour atteindre ces objectifs, nous devons la revoir avec un œil neuf, nous interroger sur l’inflation normative et adapter les règles aux enjeux actuels.
C’était justement l’objet d’une proposition de notre groupe, à la suite de la mission d’information conduite par Vanina Paoli-Gagin. Il s’agit d’élargir les critères de responsabilité sociétale des grands groupes, en incitant leur collaboration avec les start-up et les PME innovantes.
Dans le même sens, si nous parlons de RSE, nous ne pouvons oublier une notion en développement : la RTE, la responsabilité territoriale des entreprises, une question que nous n’avons pas encore abordée, me semble-t-il.
La RTE permet d’appréhender le territoire d’implantation comme un espace d’ancrage responsable, d’engagement sur le temps long et de collaboration entre le public et le privé.
Dans une logique écosystémique, la RTE représente un axe fort de valorisation, dont témoigne l’enquête dévoilée en novembre 2022 par ESS France, la chambre française de l’économie sociale et solidaire. Selon celle-ci, les missions prioritaires des entreprises sont la création d’emplois, la prise en compte de la transition écologique, enfin le soutien aux filières locales. L’interdépendance progressive entre les acteurs économiques d’un même territoire ne peut qu’inspirer une approche globale de développement mutuel.
Enfin, les études montrent que les salariés sont en attente de formations, pour participer activement aux engagements de leur entreprise et donner du sens à leurs missions quotidiennes. Développer l’accès à la formation permet de changer les mentalités et d’atteindre de vrais résultats par la mobilisation collective à toutes les échelles.
Notre rôle est de continuer à bâtir un environnement propice à la bonne santé économique de nos entreprises. En concrétisant des politiques de RSE et de RTE, elles en sortiront renforcées et pourront contribuer au développement de leur territoire d’implantation.
Dès lors, madame la ministre, j’émets le souhait, au nom du groupe Les Indépendants, que la notion de territorialité soit davantage prise en compte par les entreprises dans leur activité.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Capus, j’approuve totalement vos propos, qui sont frappés au coin du bon sens, et je vous en remercie.
Le combat que nous menons, dont la France est le moteur, consiste à défendre ce sujet à l’échelon européen, auprès des 27 États membres, notamment des pays d’Europe de l’Est dans lesquels la culture de la RSE – vous avez été nombreux à le dire – est très différente de la nôtre, quand elle n’est pas naissante ou balbutiante.
Vous l’avez dit, et M. Cabanel l’avait souligné avant vous, nous avons la volonté de défendre notre modèle de capitalisme européen. Les premiers intervenants de ce débat ont fait état du devoir de vigilance ; Mme Brulin a ainsi évoqué les droits de l’homme. C’est un combat titanesque qu’il nous faut mener pour partager, au-delà des indicateurs, ces pratiques d’entreprises dans l’ensemble des pays européens, dans les domaines environnemental, social et de gouvernance.
Je m’inscris dans la dynamique suivante : comment la France peut-elle encourager l’Europe à accroître ses exigences en la matière ? Mais je considère aussi qu’il ne faut pas oublier l’échelon local. D’ailleurs, l’un n’exclut pas l’autre !
Il ne me semble pas hors sujet de travailler sur des indicateurs territoriaux, dans le cadre de la performance extrafinancière des entreprises que nous portons au sein de l’Europe. Il est toujours utile de rappeler le bon sens !
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le président Serge Babary d’avoir proposé ce débat portant sur la proposition de résolution de la délégation sénatoriale aux entreprises.
Développer la RSE est important pour l’ensemble de nos entreprises, bien sûr, mais aussi pour notre économie, car notre monde est en pleine mutation. L’effort important que nous devons consentir pour nous y adapter concerne aussi nos entreprises, c’est-à-dire les valeurs qui les fondent, les hommes et les femmes qui y travaillent, les objectifs qu’elles visent et les produits qu’elles fabriquent.
Nos entreprises en France et en Europe sont confrontées à trois défis majeurs.
Le premier, déjà ancien, est celui de la compétitivité face à une concurrence internationale toujours plus aiguisée.
Le deuxième défi, fondamental, est celui de la transition énergétique et écologique, qui nécessite d’adapter tout le processus de production de biens et de services aux impératifs du changement climatique.
Enfin, le troisième défi est celui du capital humain. Nos entreprises peinent à conserver dans la durée leurs cadres, soucieux de plus d’autonomie et d’une responsabilité différente. Elles peinent aussi à attirer les plus jeunes et les meilleurs diplômés par la seule promesse d’une stabilité professionnelle et d’une bonne rémunération. Là encore, la crise sanitaire a rendu cette réalité tangible à tous : le bien-être au travail et la quête de sens dans le travail sont aujourd’hui au cœur des problématiques de recrutement.
Dans ce contexte général, face à ces trois défis majeurs, les entreprises françaises disposent globalement d’atouts solides. La France a joué un rôle de précurseur en matière de RSE ; il s’agit aujourd’hui de conserver ce leadership et d’en faire un atout pour nos entreprises.
Depuis des années maintenant, la RSE a essaimé un peu partout. Les grands groupes et les entreprises s’en sont saisis et communiquent beaucoup sur cette démarche. Je m’en réjouis, mais il s’agit de faire plus et mieux : il ne faut plus dire que l’on fait, mais faire réellement. La RSE doit être partie intégrante du business model de l’entreprise, pour lui conférer des atouts à la mesure de ses engagements.
L’accélération normative – particulièrement celle de l’Union européenne, mais aussi celle voulue par les autorités françaises – est très importante en ce domaine. Le rapport en rend compte de façon détaillée.
Ainsi, depuis le 1er janvier de cette année, les entreprises de plus de 250 salariés réalisant 40 millions d’euros de chiffres d’affaires ou 20 millions d’euros en total du bilan doivent réaliser un « bilan des émissions de gaz à effet serre » particulièrement exigeant et précis. C’est un élément à souligner.
La directive CSRD, qui prévoit d’harmoniser et de standardiser ce reporting, est entrée en vigueur le 5 janvier dernier.
Elle élargit considérablement le périmètre des sociétés et entreprises potentiellement soumises à la publication d’informations extrafinancières. Selon les évaluations, cela concernerait plus de 50 000 entreprises européennes, soit cinq fois plus qu’actuellement. Cela aura un impact sur nombre de petites et moyennes entreprises sous-traitantes ou cocontractantes, affectant donc largement notre tissu de PME.
Nous avons proposé – je m’exprime ici également en tant que rapporteure des travaux de la délégation aux entreprises – que cette information extrafinancière soit harmonisée sous le contrôle d’une autorité publique européenne.
Enfin, s’agissant des PME, si le reporting et son contrôle sont essentiels, il paraît indispensable d’aller au-delà de ce contrôle formel et d’accompagner réellement ces entreprises, dont les finances sont contraintes, dans l’évolution de leurs pratiques. Il me semble également important d’accompagner les auditeurs des PME, qui n’ont pas les moyens des Big Four en matière de conseil.
La RSE est non pas un effet de mode, mais un levier au bénéfice des économies et des entreprises européennes, pour que celles-ci se dotent d’un atout majeur.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Je vous répondrai tout d’abord, madame la rapporteure, sur les professions du chiffre.
Les commissaires aux comptes (CAC) joueront un rôle important dans l’application de la directive CSRD, et ils le savent. La Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) est déjà très active pour former ces professionnels. La performance extrafinancière fait en effet appel à des compétences nouvelles. Ce chantier est en cours, et j’y suis attentive.
Par ailleurs, je travaille avec le ministère de la justice sur les moyens de faciliter l’accès au stage de commissariat aux comptes pour les professionnels du développement durable, ce qui pourrait se traduire par une admission sur dossier plutôt que par concours. Cela permettrait deux types d’approches, celle du chiffre et celle du développement durable. Le contrôle des pratiques en matière environnementale, sociale et de gouvernance suppose en effet de maîtriser des connaissances autres que comptables.
Pour ce qui concerne l’Esma (European Securities and Markets authority), l’Autorité européenne des marchés financiers, la France a défendu à de nombreuses reprises l’introduction à l’échelon européen d’une réglementation encadrant l’activité des agences de notation – le sénateur Lemoyne l’avait mentionné. Une telle réglementation devrait être proposée par la Commission européenne dans les tout prochains mois. Outre la directive sur les agences de notation, la France suit de très près ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux, moi aussi, remercier le président Babary et la délégation aux entreprises d’avoir proposé de débattre de ce sujet.
Si l’on reprend le fil de l’histoire, la responsabilité sociétale des entreprises s’est établie comme concept intellectuel dans le courant des années 2000. D’abord facultative et volontaire, cette approche méthodologique a permis de fournir une grille d’analyse nouvelle pour la compréhension du rôle des entreprises, non seulement dans le système économique, mais plus globalement au sein de la société.
Il faut envisager l’avènement de la RSE comme un contre-pied à la libéralisation et à la financiarisation de l’économie opérées à partir de la fin des années 1980.
Ce phénomène a fini par apporter son lot de questionnements. Quel doit être le rôle des actionnaires dans l’économie ? L’investissement, notamment privé, doit-il viser d’autres buts que la simple rentabilité financière ? Les entreprises ont-elles le devoir de compenser les externalités négatives liées à leurs activités ? Doivent-elles avoir comme objectif de produire un maximum d’externalités positives ? De cette question est plus ou moins issu le statut d’« entreprise à mission ».
La RSE, dans un premier temps, a permis de conceptualiser la manière dont les entreprises pouvaient affecter positivement leurs écosystèmes respectifs. Néanmoins, on assiste depuis quelques années à une influence juridique croissante de la RSE.
Étant limité par le temps, je souhaiterais aborder un aspect précis de cette influence juridique croissante.
L’impact de la RSE sur le secteur financier a été particulièrement spectaculaire au cours de la décennie qui vient de s’achever. Je pense que l’orientation de l’épargne des entreprises et des ménages vers des activités vertueuses sur le plan environnemental ou social constitue indéniablement une avancée importante. Mais cet élargissement des critères extrafinanciers n’est pas sans poser de difficultés.
La première d’entre elles est la qualité de l’information non financière dont disposent les investisseurs sur les structures dans lesquelles ils investissent. Le règlement dit SFDR (Sustainable Finance Disclosure), entré en application en 2021, devrait permettre d’unifier cette documentation. Mais la marche à franchir pour les entreprises est très grande et le calendrier très serré.
La seconde difficulté majeure réside dans une conception trop restrictive de la taxonomie européenne. Plusieurs secteurs font régulièrement savoir qu’ils éprouvent de grandes difficultés à trouver des financements. Je pense notamment à l’industrie de la défense, qui n’entre pas dans les critères de la taxonomie européenne, alors qu’elle concourt à l’indépendance de notre pays, ainsi qu’à la défense de nos intérêts vitaux.
Cette problématique ne concerne pas seulement les groupes intermédiaires. Depuis quelques années, certains de nos plus grands groupes de défense se retrouvent en difficulté pour lever des financements.
Par effet collatéral, la concentration de l’épargne sur des secteurs labellisés comme « verts » pourrait conduire au sous-financement d’autres secteurs tout aussi importants pour l’économie française et européenne.
Ma question est donc simple, madame la ministre : dans quelle mesure le Gouvernement peut-il favoriser l’accès des entreprises stratégiques à l’épargne privée, notamment dans le secteur de la défense, et éviter que l’application des critères de la taxonomie conduise à un sous-financement chronique de certains secteurs ? (Mme Françoise Férat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Monsieur le sénateur Moga, vous venez d’évoquer, dans la première partie de votre question, le fameux règlement SFDR. Cela me fait plaisir de l’entendre, car il m’est arrivé d’être assez seule pour en parler et y travailler…
Le cadre européen, qui définit, via le règlement SFDR, les exigences spécifiques de reporting pour les acteurs financiers s’inspire largement, vous le savez, de l’article 173 de la loi française relative à la transition énergétique du 17 août 2015.
La France est restée fer de lance sur le sujet, avec l’adoption, en 2021, de l’article 29 de la loi relative à l’énergie et au climat, dite Énergie-climat, qui a fait l’objet d’un décret d’application. Ce nouveau cadre réglementaire confirme notre forte ambition en matière de finance durable et établit un reporting plus ambitieux, en particulier s’agissant de l’alignement des investissements sur les objectifs climatiques et de biodiversité, ainsi que sur la gestion des risques.
Pour autant, le règlement SFDR pourrait être renforcé et précisé : j’emploie le conditionnel, car il s’agit d’une option qui est actuellement envisagée par la Commission européenne. Un certain nombre d’éléments ne figurent pas dans ce règlement, et nous avons engagé des discussions avec la Commission pour éviter que, sous couvert de produits financiers divers, d’autres actifs ne soient intégrés dans la taxinomie verte.
Vous avez également mentionné une question très importante : le risque d’éviction que pourraient subir des industries stratégiques, par exemple du secteur de la défense. Mais comme j’ai déjà dépassé mon temps de parole de quinze secondes, je vous propose, monsieur le sénateur, de vous répondre sur ce point par écrit dans les jours qui viennent.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plus de vingt ans, la France s’est engagée à développer ce que l’on appelle la « responsabilité sociétale des entreprises », en demandant à ces dernières de rendre des comptes sur autre chose que leurs performances financières.
La loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques a ainsi posé les premiers fondements du cadre législatif en matière de RSE. Elle prévoit notamment que les entreprises cotées en Bourse indiquent dans leur rapport annuel une série d’informations relatives aux conséquences sociales et environnementales de leurs activités.
Avec les lois Grenelle I et II, le concept de RSE a été démocratisé et élargi à toutes les entreprises de plus de 500 salariés avec un bilan supérieur à 100 millions d’euros.
Les exigences en matière de RSE n’ont eu de cesse de se renforcer, au plan tant national qu’européen. Afin d’accélérer le changement, la commande publique a un rôle important à jouer. La loi de 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire impose d’ailleurs désormais aux acheteurs publics un seuil minimal de 20 % d’acquisition de produits issus du réemploi ou du reconditionnement.
La commande publique a également été affectée par la loi Climat et résilience de 2021. Ainsi, le Plan national pour des achats durables 2022-2025 a pour grand objectif d’accompagner les acheteurs publics dans la mise en œuvre de cette loi.
Les objectifs sont ambitieux : d’ici à 2025, quelque 100 % des marchés publics devront intégrer des considérations environnementales et 30 % devront comprendre des considérations sociales.
La RSE n’a jamais été qu’un simple instrument de communication, comme peuvent l’affirmer certains de ses détracteurs : elle constitue un levier de résilience, qui permet à l’entreprise de se développer et de s’adapter à l’évolution de son environnement. Les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont nécessaires, notamment pour aborder l’ensemble des transitions qui doivent être mises en œuvre.
Pour autant, la RSE ne doit pas être synonyme de choc de complexité, comme le souligne le rapport d’information. C’est pourtant ce que laisse craindre l’adoption par le Parlement européen, le 10 novembre dernier, de la directive dite CSRD sur la communication des données de durabilité, qui élargit l’obligation de diffusion d’informations sociales et environnementales à un grand nombre d’entreprises européennes jusqu’alors non concernées, notamment les PME.
Ce sont donc environ 50 000 PME, en plus des entreprises cotées en Bourse, qui devront se soumettre à cette nouvelle directive. Légitimement, nous pouvons nous interroger sur la question de l’impact de cette décision sur les PME qui n’ont pas encore l’ingénierie nécessaire pour répondre à ces nouvelles obligations.
La RSE doit être intégrée au développement de l’entreprise, mais elle ne doit pas la pénaliser. Imposer la RSE à marche forcée aux petites entreprises, qui sont d’ailleurs souvent les plus vertueuses, est contre-productif. Comme l’indique le rapport, il est nécessaire de proportionner ces nouvelles exigences à la taille de l’entreprise.
Enfin, je rappellerai combien la bataille des normes évoquée dans le rapport est cruciale.
Une domination des normes et d’une notation extrafinancière américaines constituerait un véritable handicap pour les entreprises européennes. Comment imaginer que ces dernières soient jugées sur des critères non européens, s’opposant parfois à notre culture, tels que les critères ethniques dans l’insertion professionnelle ? Il faut donc aller vers des normes européennes, qui imposeront un référentiel clair dans l’Union.
Je terminerai cette intervention en soulignant que, en France, la majorité des PME repose sur un modèle de capitalisme familial, comme je le constate dans mon beau département de la Mayenne. Ces entreprises ont dans leur ADN un engagement naturel en faveur des territoires sur lesquels elles sont implantées et une attitude bienveillante à l’égard de leurs salariés.
Les entreprises françaises n’ont pas attendu qu’on leur dicte des normes RSE pour s’impliquer. Continuons à les encourager à aller en ce sens et, surtout, veillons à ne pas les pénaliser à propos d’un sujet sur lequel elles font déjà preuve d’un grand volontarisme.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Vous avez abordé, monsieur le sénateur, un certain nombre de sujets.
Je commencerai par répondre à votre dernière remarque. Peut-être ne l’ai-je pas souligné assez clairement, mais nous sommes tous d’accord pour dire que la France est plutôt en avance en matière de RSE, ce qui constitue une bonne raison pour participer à la rationalisation de la RSE au plan européen.
De nombreuses PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire) ont des pratiques responsables à l’endroit de leurs salariés, de leur territoire, de leurs fournisseurs et de l’environnement. C’est justement pour mieux les valoriser et les comparer à d’autres PME européennes, moins vertueuses, que la directive CSRD présente un intérêt pour la France. J’assume totalement mon propos : ce règlement est un outil de compétitivité pour les entreprises européennes et pour nos PME.
J’ai évoqué il y a quelques instants, en réponse à Mme la sénatrice Férat, la proportionnalité et la progressivité : le calendrier et les indicateurs appliqués à nos PME, aussi bien en termes de profondeur que d’ampleur du travail, ne seront pas les mêmes.
Je le rappelle, le champ de la directive ne concerne que les PME cotées, même si la directive peut avoir des incidences plus larges dans le cadre de la chaîne de sous-traitance. J’y insiste, car, même si cela n’a pas été votre cas, monsieur le sénateur, certains jouent à se faire peur : les PME françaises non cotées ne seront pas contraintes par les 80 indicateurs macrosectoriels de la directive CSRD. Nous avons assez de raisons d’être angoissés pour ne pas en rajouter !
Nos PME ont de l’avance. Et, comme j’aurai l’occasion de le dire en conclusion dans quelques minutes, elles sont plutôt allantes, et pas seulement les PME familiales. Vous l’avez rappelé, notre code du travail est assez exigeant, nous n’avons pas de retard en matière de considérations environnementales et, en ce qui concerne la gouvernance, nous avons saisi la balle au bond. Nos PME peuvent donc tirer profit de cette législation.
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. La taille de l’entreprise est prise en compte ; la progressivité et la proportionnalité sont acquises. L’adoption de la directive le 24 février dernier nous a permis de gagner sur ces points. À nous maintenant de mettre en œuvre ce texte : nous avons cinq ans pour l’appliquer à nos PME cotées.
Nous sommes tout à fait capables de le faire, en accompagnant au mieux nos entreprises ; c’est un point que j’évoquerai en conclusion.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion du débat, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais tout d’abord remercier les auteurs de ce rapport et le président de la délégation aux entreprises, M. Babary.
Je veux les remercier de la qualité de leur travail et de leur détermination s’agissant de la RSE, année après année. Je me réjouis que, malgré les divergences politiques – elles enrichissent le débat ! –, nous partagions les mêmes constats et, je le crois, les mêmes préoccupations. De même, pour la plupart d’entre vous, vous souscrivez aux mêmes objectifs et proposez les mêmes moyens pour les atteindre.
Nous sommes d’accord sur l’importance, pour ne pas dire sur l’urgence, de la transition écologique, sociale, mais aussi de gouvernance de nos entreprises. Une fois dit cela, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que nous sommes en train de construire des outils dont on ne sait pas encore s’ils seront parfaitement opérants face aux défis immenses que pose l’adaptation de nos sociétés et de nos économies à la nouvelle donne climatique.
En tant que secrétaire d’État à l’économie responsable, mon problème était de faire en sorte que les entreprises soient force de propositions. Désormais, en tant que ministre déléguée chargée des PME, il est de faire en sorte que toutes les entreprises puissent adopter ces nouvelles règles du jeu.
La réglementation extrafinancière, telle qu’elle se présente aujourd’hui pour des non-initiés – ne nous voilons pas la face, c’est le cas d’une immense majorité de nos entreprises, notamment de nos PME – représente un choc de complexité, pour reprendre à mon compte l’expression employée par plusieurs d’entre vous.
Cette complexité est une évidence aujourd’hui, mais tout l’enjeu est d’éviter qu’elle ne devienne une réalité demain. Vous l’avez dit et je l’ai répété il y a quelques instants, les PME ne sont pas directement concernées par la plupart des réglementations en cours d’élaboration, mais il faut admettre qu’elles le seront indirectement.
Elles le seront structurellement, parce que la transition écologique suppose un changement de modèle pour toutes les entreprises, et pas uniquement pour les plus grandes d’entre elles.
Elles le seront socialement, parce que les consommateurs demandent des biens et des services plus durables, mais aussi parce que, pour faire tourner nos belles entreprises, il faut des salariés.
Or, vous l’avez dit, madame la sénatrice Blatrix Contat, les jeunes salariés n’arbitrent pas entre les différentes entreprises où ils pourraient travailler selon le seul critère de la performance financière. La RSE est un enjeu d’attractivité majeur dans la bataille des compétences que nos PME doivent gagner. Je suis parfois inquiète d’entendre – cela n’a pas été le cas ce soir et je vous en remercie – des discours assez radicaux du style : « Surtout pas nos PME ! »
Dans dix ans se tiendront ici même des débats au cours desquels on se demandera quelle mouche nous avait piqués pour laisser les PME passer à côté de cette révolution environnementale, sociale et de gouvernance !
En effet, si nous agissons ainsi, nous aurons dans dix ou quinze ans des entreprises à deux vitesses : celles qui mèneront une réelle politique de RSE attireront les talents, et les autres, dont nous savons pertinemment qu’elles manquent déjà de compétences, se retrouveront sur le bord du chemin.
En tant que ministre déléguée aux PME, ce sujet m’interpelle tout particulièrement. Je sais que la RSE est plus difficile à mettre en œuvre par ces entreprises, mais je sais aussi que s’abstenir de le faire serait irresponsable. Ne pas embarquer nos PME dans la révolution de l’extrafinancier et de la responsabilité sociale des entreprises reviendrait à les condamner ou à insulter leur avenir.
Elles le seront juridiquement, enfin, parce que, comme nous l’avons relevé, les donneurs d’ordres de nombreuses TPE et PME réclameront de plus en plus d’informations environnementales et sociales dans le cadre de la chaîne de valeur.
J’ai demandé à la direction générale des entreprises (DGE) de travailler à l’amélioration de la plateforme impact.gouv.fr, que je chéris – car, oui, on peut chérir des plateformes ! (Sourires.)
Je l’ai lancée il y a un peu plus d’un an, et l’on m’avait dit à l’époque, au-delà du fait que cela ne marcherait jamais, que les PME ne l’utiliseraient pas… Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à prendre le temps d’aller consulter ce site : la majorité des entreprises sont des PME, qui donnent les informations qu’elles peuvent recueillir sur leur bilan carbone et leur bilan social, en jouant le jeu de la transparence en matière de RSE.
J’ai proposé à la DGE d’en faire l’outil public de référence, pour permettre aux entreprises, notamment aux PME, de se conformer à la réglementation, en simplifiant leur parcours et en les accompagnant auprès des administrations. Impact.gouv.fr va donc évoluer, pour devenir une plateforme d’accompagnement dans la mise en œuvre des référentiels qui deviendront obligatoires pour nos ETI et nos PME.
Une nouvelle version du site sera déployée dans les prochains mois. Ce n’est pas parce que j’ai changé de poste que je ne suis pas attentivement l’évolution de cette plateforme qui, j’y insiste, permettra de mieux accompagner nos entreprises, notamment les PME, qu’elles soient cotées ou non. Je pourrais de nouveau évoquer avec vous ce sujet à l’avenir si cela vous intéresse.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la délégation.
M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la qualité de nos échanges justifie que nous ayons porté au débat les conclusions de notre rapport.
Nous nous intéressons depuis quelque temps déjà à la responsabilité sociétale des entreprises. Ainsi que l’ont rappelé les trois rapporteurs en introduction, la délégation aux entreprises s’est penchée à deux reprises, en juin 2020 et en octobre dernier, sur le sujet.
Dès 1972, Antoine Riboud, PDG de Danone, expliquait aux assises nationales du Conseil national du patronat français (CNPF) que « la responsabilité de l’entreprise ne s’arrête pas au seuil des usines ou des bureaux. Son action se fait sentir dans la collectivité tout entière et influe sur la qualité de la vie de chaque citoyen. » Presque trente ans plus tard, la même définition était reprise par la Commission européenne, dans son livre vert de juillet 2001. La France s’est voulue, et a été, pionnière en la matière, emportant l’Union européenne vers une nouvelle définition de l’entreprise.
Ce mouvement s’est cependant traduit parallèlement par une accumulation de normes, volontaires et légales, européennes et nationales, visant principalement les grandes entreprises, d’abord cotées, puis, par ruissellement, les ETI et les PME. Notre collègue Martine Berthet en a décrit pertinemment le processus.
En effet, les émetteurs de normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) raisonnent verticalement et produisent en silos, tandis que le chef d’entreprise est souvent bien seul, surtout dans une PME, avec d’autres préoccupations et priorités.
Qui a chiffré le coût organisationnel, humain et financier de ces normes qui, individuellement, sont toutes justifiées, mais qui, alignées, cumulées, sédimentées, sont en capacité d’affaiblir la compétitivité de nos entreprises, surtout si leurs concurrents non européens s’en exonèrent ?
Certes, la RSE est un atout. Elle devient un critère désormais déterminant des investisseurs, même si la finance verte reste encore bien grise, comme l’a souligné notre collègue Florence Blatrix Contat… Mais la nécessité de simplifier, d’harmoniser et d’adapter, notamment pour les PME, évoquée dans le premier rapport de la délégation de 2020, reste plus que jamais d’actualité.
Plus généralement, la simplification de notre appareil administratif et de nos normes économiques ou financières doit redevenir une politique publique. C’est la raison pour laquelle la délégation lance un nouveau cycle d’auditions sur ce sujet. Les entreprises attendent toujours un véritable choc de simplification, et je sais que vous y êtes, madame la ministre, extrêmement sensible.
Avec la loi Pacte, les entreprises se sont vu proposer une sorte de « statut RSE » pour transformer leur nature juridique, afin de prendre en considération les impacts tant positifs que négatifs sur leurs parties prenantes. Il faut les protéger dans cette démarche.
C’est pourquoi nous avons proposé, dans notre rapport d’information d’octobre 2022, qu’un investisseur puisse être obligé de préciser ses intentions lorsqu’il conteste la démarche RSE d’une société, afin de permettre à cette dernière d’accélérer l’alignement de sa stratégie sur les objectifs ESG qu’elle se propose d’atteindre.
Je me réjouis de constater que le Club des juristes a rejoint les conclusions de la délégation aux entreprises dans la mise à jour de décembre 2022 de son rapport d’information de 2019 sur l’activisme actionnarial. Il suggère que l’Autorité des marchés financiers (AMF) propose une recommandation visant à ce que tout investisseur prenant publiquement des positions en vue d’influencer la stratégie, la situation financière ou la gouvernance d’un émetteur déclare ses niveaux de participation à l’émetteur et, plus généralement, au public au-delà des obligations déclaratives résultant d’un franchissement de seuil.
Nous avons tous en mémoire l’affaire Danone – elle a été citée. Cette entreprise était engagée dans une démarche RSE qui a déplu à des fonds activistes craignant un moindre profit…
Je rejoins également notre collègue Jacques Le Nay quant à la nécessité d’une harmonisation mondiale des normes ESG, sans sacrifier la double matérialité, qui est une véritable valeur ajoutée européenne. Pour cela, ce dossier doit être porté au plus haut niveau de l’État et bénéficier d’un suivi attentif du Conseil européen.
La métrique des émissions carbone et la comptabilité extrafinancière restent à construire. L’Union européenne ne peut se défausser sur des acteurs privés, a fortiori américains, pour les définir. Il y va de la reconquête de notre souveraineté économique.
C’est à ces conditions – simplification, consolidation, unification – que l’ambition de la RSE doit devenir un atout pour chaque entreprise, française ou européenne, quelle que soit sa taille. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise.
14
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 11 janvier 2023 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Débat d’actualité sur le thème « La crise du système de santé »,
Débat sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Le soir :
Débat sur la politique du logement dans les outre-mer.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures vingt.)
nomination d’un membre d’une commission
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Véronique Del Fabro est proclamée membre de la commission de la culture de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Philippe Nachbar, démissionnaire.
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER