M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Vincent Segouin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 septembre dernier, la commission des affaires économiques publiait un rapport intitulé Compétitivité de la ferme France, un rapport alarmant sur la perte de compétitivité mesurée sur les vingt dernières années : « À l’heure où le commerce international de produits agroalimentaires n’a jamais été aussi dynamique, la France est l’un des seuls grands pays agricoles dont les parts de marché reculent. »
Les exportations sont uniquement portées par les vins et les spiritueux, et dorénavant, plus de la moitié des denrées consommées sont importées.
Ces pertes de marché sont dues à la perte de compétitivité de la ferme France, qui, je le rappelle, est liée au coût du travail élevé, à la surtransposition de règles environnementales, à l’interdiction de construction de retenues d’eau et, plus généralement, au défaut de prévention des aléas climatiques qui entraînent des pertes de rendement et de volume.
Surtout, cette perte de compétitivité est due à la stratégie de montée en gamme des produits agricoles et agroalimentaires adoptée depuis 2017 sans qu’un raisonnement adapté à chaque filière soit mené.
On aurait pu croire que dans le pays où l’industrie du luxe est bénéficiaire, la stratégie de la montée en gamme serait opportune. Mais c’est ignorer le besoin de consommation et de pouvoir d’achat des Français. Nous avons fait fausse route.
Nous critiquons la production de volailles en batterie au regard du bien-être animal, et en même temps, nous importons des poulets issus de ces élevages pour la consommation quotidienne des Français et la restauration hors domicile.
Nous interdisons l’usage du diméthoate pour la culture de la cerise, au risque de perdre des producteurs français, faute de récoltes, et en même temps, nous importons des cerises de Turquie sans vérifier s’il reste des résidus de diméthoate sur les fruits.
Nous laissons faire ceux qui détruisent des réserves d’eau, pourtant autorisées administrativement pour faire face au réchauffement climatique, tout en étant conscients qu’il tombera toujours autant d’eau, mais différemment, avec des mois d’hypersécheresse et des mois d’hyperpluie. La quantité d’eau prélevable au moment où nous en aurons le plus besoin va diminuer ; il nous faut donc repenser notre stratégie de réserve d’eau.
Les exemples sont, hélas ! nombreux.
Le bilan est que la balance commerciale est de moins en moins excédentaire. Les alertes que nous lançons pour l’agriculture depuis ces dernières années rappellent celles qui ont été faites au moment des choix de désindustrialisation de la France, à l’heure où nous en subissons les conséquences et où nous faisons seulement machine arrière.
Le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » augmente pourtant de 29,88 % – mon collègue Patrice Joly l’a rappelé à l’instant. Si tout se résumait au budget, nous pourrions penser que tout ira mieux, mais encore une fois, je suis persuadé que nous ne réglerons pas tous les maux par de l’argent public, et que les ministères font la course aux dotations supplémentaires au lieu de se concentrer sur la maîtrise et l’efficience de l’utilisation de ces dotations.
L’augmentation du budget est en partie due à la mise en place de l’assurance récolte, dont le dispositif définit dorénavant les rôles respectifs de l’agriculteur, de l’assureur et de l’État.
Cette ligne budgétaire est donc plus sincère, ce qui évitera sûrement le vote de dispositions supplémentaires dans le cadre des PLFR. Nous regrettons toutefois que le budget de 600 millions d’euros initialement envisagé n’ait pas été inscrit dans sa totalité.
D’un montant de 560 millions d’euros, les crédits alloués à l’assurance récolte permettront de subventionner 70 % des cotisations et d’intervenir au-delà de 50 % de pertes, sauf en arboriculture et en prairie, où le seuil d’intervention est fixé à 30 % de pertes.
Ces 560 millions d’euros sont financés à hauteur de 120 millions par le fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), c’est-à-dire par des contributions des agriculteurs, et à hauteur de 185 millions d’euros par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) issu de la PAC, le solde étant financé par le budget de l’agriculture.
Une récolte sur cinq étant perdue, ce qui démotive les jeunes qui envisagent de reprendre une exploitation, cette assurance était très attendue.
La ferme France – je l’ai indiqué – perd en compétitivité du fait d’un coût du travail élevé. Le dispositif d’exonération de charges sociales sur les emplois saisonniers, dit TO-DE, qui vise à remédier à cette perte de compétitivité, a été reconduit pour trois ans par les députés.
Nous souhaitions pérenniser ce dispositif pour permettre aux jeunes qui s’installent d’établir un compte d’exploitation prévisionnel stable et rentable sur le temps long.
Cet amendement n’a toutefois pas été repris dans le PLFSS que le Gouvernement a fait adopter par l’usage du 49.3. Nous regrettons de ne pas avoir été entendus et suivis.
La perte de compétitivité résulte également des normes supplémentaires sur l’emploi des produits et sur les installations qui n’apportent pas de rentabilité supplémentaire que nous imposons à nos agriculteurs. Les Français ne disposant pas d’un pouvoir d’achat extensible, les coûts liés au respect de ces normes ne sont pas répercutés dans les prix de vente.
La filière bio a eu le mérite de faire prendre conscience que la qualité avait un prix, mais cela restera un marché de niche – nous le constatons avec la hausse de l’inflation. Tout le monde a envie de manger mieux, mais le portefeuille des Français fixe les limites.
Le bilan est que nous importons sans contrôler aux frontières la qualité des produits au regard des normes françaises. Pis, nous renforçons les effectifs pour contrôler les fermes françaises au risque de continuer à décourager les exploitants. Il est temps que l’administration accompagne l’économie plutôt que de la contrôler et de la sanctionner.
Enfin, les agriculteurs financent chaque année le Casdar à hauteur de 140 millions d’euros. Ces crédits sont fléchés sur la recherche, pour trouver de nouvelles variétés adaptées aux aléas ainsi que des vaccins. Le budget plafonne à 126 millions d’euros et il n’est pas utilisé dans sa totalité, faute de projet. Comment le ministère de l’agriculture peut-il se satisfaire de cette situation depuis tant d’années ?
Pour conclure, le ministère doit fixer des objectifs en matière de politique agricole pour rétablir la situation économique actuelle et nous permettre de retrouver notre compétitivité, mais aussi, et surtout, notre souveraineté alimentaire.
Nous attendons donc des réponses sur le renforcement des contrôles aux importations, au regard notamment de l’application des clauses miroir, le développement de la recherche pour adapter nos productions végétales au changement climatique et nos vaccins aux maladies.
Nous attendons l’application d’une politique de l’eau satisfaisante pour l’environnement et pour l’agriculture, et nous attendons de l’État qu’il exerce son autorité face aux perturbateurs.
Nous attendons, enfin, la suppression des surtranspositions des règles, qui affaiblissent notre compétitivité sans plus-value.
Face à ces attentes, et contrairement à l’esprit du Sénat qui est habitué au consensus et qui cherche toujours le compromis, la commission des finances a décidé de rejeter les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
En cohérence avec ce rejet, nous demanderons le retrait des amendements à nos collègues, auxquels nous donnerons toutefois un avis. Monsieur le ministre, j’espère que vous prendrez le temps de répondre à nos propositions, et surtout, que vous retiendrez les plus importantes dans le 49.3. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si ce budget paraît séduisant, il est malheureusement trompeur. En augmentation de plus de 900 millions d’euros, celui-ci atteint presque 4 milliards d’euros. Voyant cela, nous pourrions tout simplement nous dire : « Ils ont enfin compris ! » Eh bien non ! car ces 900 millions d’euros se résument en trois lignes qui, elles, n’ont malheureusement rien de bien séduisant.
La première ligne, d’un montant de 400 millions d’euros, correspond à une mesure de périmètre qui consiste à basculer le budget du TO-DE sur le budget de l’agriculture. Lors du salon de l’agriculture, le Président de la République avait annoncé la pérennisation de ce dispositif, ce que nous proposions ; or, au lieu de cela, vous avez par le 49.3 simplement prorogé le dispositif jusqu’en 2026.
Trompeurs sont aussi les 200 millions d’euros de la deuxième ligne, qui sont ajoutés au budget au titre de l’inflation – une autre mesure de périmètre, qui se borne à prendre en compte l’actualité. Mais ces 200 millions d’euros correspondent à une indexation sur une inflation de 5 %. Si celle-ci atteignait 7 %, ce sont, hélas ! 280 millions d’euros qui seraient nécessaires.
La troisième ligne, enfin, d’un montant de 255 millions d’euros, contribuera, avec l’aide européenne et la participation à hauteur de 120 millions des agriculteurs, au financement de l’assurance récolte.
Cette troisième ligne est, elle aussi, trompeuse, monsieur le ministre, car après toutes les annonces qui ont été faites et l’inscription des quatre taux par le Sénat dans la loi du 3 mars 2022 portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, vous auriez dû écrire, non pas 560, mais 680 millions d’euros !
Au-delà de cette problématique mathématique, un certain nombre de points précis devront être réglés définitivement d’ici au 1er janvier de l’année prochaine, c’est-à-dire dans un laps de temps très bref.
Les difficultés liées à la moyenne olympique continuent de se poser, de même que les difficultés relatives à l’évaluation satellitaire de l’indice de production des prairies, bien qu’il semble que ce dossier avance.
Par ailleurs, pour avoir demandé récemment le calcul de mon assurance récolte, j’ai été alerté sur les difficultés liées à l’actualisation des barèmes d’indemnisation. La tonne de matière sèche de maïs est par exemple indemnisée à 111 euros, alors que son coût est trois fois plus important à l’achat.
Monsieur le ministre, nous aurions pu voter un budget qui crée de la confiance. Le TO-DE n’en crée pas, et au vu du montant que vous lui consacrez, l’assurance récolte non plus.
Nous aurions pu voter un budget qui prenne en compte les enjeux, notamment de souveraineté, et ceux dont les agriculteurs vous font part tous les jours quand ils vous disent qu’ils en ont marre des contraintes et des normes.
Mais ce budget est malheureusement comme tous les autres : il laisse planer la possibilité de continuer d’en rajouter sans cesse, quand, dans le même temps, nous ouvrons les portes aux importations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Montaugé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » a été écourté à l’Assemblée nationale par l’activation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, en plein milieu de l’examen de la mission, ce qui a pu engendrer une certaine frustration. Je suis heureuse que ce débat puisse avoir lieu au Sénat, bien que le temps qui nous est accordé soit très limité.
Je souscris à ce que vient de dire le rapporteur pour avis, Laurent Duplomb : ce budget est insuffisant d’un point de vue économique. Il l’est aussi d’un point de vue social, dans ses conséquences pour le métier vécu au quotidien par les agriculteurs.
J’en veux pour preuve les crédits consacrés, en application de la feuille de route, à la prise en charge du mal-être agricole, dont nous déplorons au passage la dispersion et le manque de lisibilité. Le rythme de décaissement de l’aide à la relance des exploitations agricoles, l’Area, laisse à désirer, alors que celle-ci est vitale pour les agriculteurs en détresse.
Si sous-consommation il y a, elle n’est pas à mettre sur le compte d’un manque de besoins, mais plutôt du non-recours, la pression psychologique et normative subie par les agriculteurs compliquant leur accès à des aides auxquelles ils ont droit.
Autre élément de soutien au milieu rural, on devrait profiter des économies réalisées sur les stages tutorés vétérinaires, qui donnent d’excellents résultats, avec 80 % de maintien dans la zone concernée, pour en créer de nouveaux. Ce n’est pas le cas.
S’agissant de la santé animale, il manquait 6 petits millions d’euros pour la mise à jour des bases d’identification animale déployées par les chambres d’agriculture. Dans le contexte de crises sanitaires que l’on connaît, il s’agit pourtant d’un outil essentiel de traçabilité et de surveillance dans une logique préventive.
Toujours dans cette même logique, non pas tant face à l’influenza aviaire qu’en anticipation des autres crises qui ne manqueront malheureusement pas d’éclater, nous proposons une multiplication par dix des crédits dédiés à la recherche sur la vaccination en santé animale.
Comparée aux milliards d’euros d’indemnisation depuis l’an dernier, cette hausse ne paraît pas exagérée et, surtout, elle est en phase avec notre conviction que les solutions pour l’agriculture de demain sont à trouver dans la recherche et la science.
Comme vous le constatez, monsieur le ministre, notre opposition est constructive. Malgré les différentes alertes que nous avons lancées, ce budget n’est pas à la hauteur de l’ambition que nous souhaitons défendre pour notre agriculture.
Monsieur le ministre, croyez que je le regrette infiniment, mais je ne pourrai pas voter ce budget. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Laurent Duplomb a insisté sur la faiblesse économique de ce budget et Françoise Férat sur sa faiblesse sociale et sociétale ; je compléterai notre travail d’équipe en insistant sur sa dimension environnementale, qui ne me semble pas non plus à la hauteur.
Pour adapter notre modèle agricole au changement climatique, il est essentiel d’investir dans l’expérimentation de nouvelles pratiques culturales et de maintenir une recherche et une innovation agricoles de haut niveau.
De ce fait, il faut dire un mot sur le Casdar dont, année après année, les recettes continuent d’être plafonnées. On ne voit pas bien la logique budgétaire de cette sous-estimation, monsieur le ministre. En effet, vous nous avez dit en audition que vous vous engagiez à récupérer l’excédent de cette collecte, qui représente 17 millions d’euros en 2022. Pour 2023, les recettes continuent d’être estimées à 126 millions d’euros, au niveau de celles de cette année, alors qu’avec l’inflation elles devraient encore grimper. Les programmes de recherche appliquée des instituts techniques nécessitent pourtant de la visibilité.
Pour cette raison, nous appelons au rejet des crédits du Casdar. Nous appelons en outre à accélérer l’effort d’identification des crédits mobilisables sur le solde comptable du Casdar, pour prendre de l’avance sur la programmation 2022-2027 du Programme national de développement agricole et rural (PNDAR). L’adaptation au changement climatique n’attend pas.
Sur la forêt, les feux de cet été ont montré la nécessité de développer davantage la surveillance dans les massifs, ainsi que la gestion durable. C’est pourquoi nous appelons à renforcer les effectifs de l’ONF et du Centre national de la propriété forestière (CNPF), car il ne faut pas oublier que la forêt privée représente les trois quarts des surfaces et 90 % de celles qui ont brûlé cet été.
Sur l’ONF, le Gouvernement n’a pas contribué à la clarté des débats, bien au contraire, en supprimant dans le budget initial, puis en rétablissant à l’Assemblée nationale 80 postes, rétablissement d’ailleurs partiel puisque seuls 60 postes sont en réalité financés par l’État, l’ONF devant prendre en charge les vingt postes restants.
En parallèle, nous appelons à augmenter d’autant les effectifs du CNPF, pour dynamiser la gestion et créer des postes de référent incendie, conjointement avec les membres de la mission de contrôle sur la prévention des feux de forêt. Nous défendrons des amendements sur ce sujet.
Je tiens également à souligner que les cinq amendements présentés par la commission des affaires économiques ne coûtent pas plus de 30 millions d’euros, mis bout à bout, soit à peine 1 % des crédits de la mission. Ils servent souvent à financer le « dernier kilomètre » d’une politique publique inachevée. De ce fait, monsieur le ministre, nous espérons que le Gouvernement reprendra certaines de nos propositions, peu coûteuses et utiles. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées du groupe GEST, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant éviter tout suspense inutile : le groupe RDPI ne s’associera pas au concert de critiques et de commentaires plus ou moins acerbes que l’on entend ici ou là. Nous voterons les crédits de cette mission, car ils sont à la hauteur des enjeux.
Le décor est planté !
Nous le savons, notre modèle agricole ne vit pas un long fleuve tranquille : les enjeux sont climatiques, géopolitiques, sociaux, sanitaires et technologiques. L’agriculture française vit actuellement de profondes mutations.
Celles-ci sont d’abord liées aux défis conjoncturels résultant de la guerre en Ukraine, à la montée des prix de l’énergie et à la hausse record des prix des engrais, qui pousse les agriculteurs à retarder leur décision d’en acheter, et donc de planter, ce qui risque d’affecter la récolte en 2023.
Elles tiennent ensuite aux défis structurels, comme les conséquences du dérèglement climatique, le renouvellement des générations et les attentes grandissantes en matière d’alimentation tant durable que saine.
Enfin, au bout du chemin, il y a la souveraineté alimentaire, priorité de ce quinquennat mise en musique par le plan France 2030.
Face à ces nombreux enjeux, le ministère compétent et, plus globalement, ce gouvernement sont au rendez-vous, en augmentant les moyens financiers.
On peut débattre indéfiniment du niveau de la hausse des crédits prévue dans cette mission. Toutefois, selon nous, ce qui compte réellement, c’est de savoir si les investissements prévus par l’ensemble des programmes répondent aux attentes de nos agriculteurs et aux défis de notre modèle agricole. Mes chers collègues, j’aurai la faiblesse de penser que oui.
Arrêtons-nous quelques instants sur les points saillants de cette hausse budgétaire.
Les crédits du programme 149, programme moteur de la mission, étaient en baisse l’année dernière. Ils progressent désormais de 21 %. Cette hausse s’explique principalement par la mise en œuvre de la réforme de l’assurance récolte.
Vous savez comme moi que, face aux sécheresses à répétition, face aux gelées tardives ou aux fortes pluies, cette réforme était très attendue par la profession.
Les agriculteurs drômois, particulièrement touchés ces deux dernières années par les épisodes de gel et de grêle, en parlent régulièrement.
Quelques mois seulement après son adoption au Parlement, la réforme est en ordre de marche. La majorité sénatoriale a d’ailleurs pleinement participé à l’élaboration de cette loi.
Que dit ce budget ? Quelque 680 millions d’euros sont visés pour le triennal, sachant que 560 millions d’euros sont déjà sur la table : 256 millions sont donc inscrits noir sur blanc, qui s’ajoutent aux 185 millions d’euros de crédits européens et aux 120 millions d’euros de taxes affectées. Que demander de plus, mes chers collègues ?
J’évoquerai également l’action n° 26, Gestion durable de la forêt et développement de la filière bois. Le dérèglement climatique a des conséquences dramatiques sur la biodiversité et surtout sur nos forêts. En 2022, pas moins de 65 000 hectares de forêts sont partis en fumée. Nous nous sommes rapprochés des records de 1976 et de 2003. Devant pareil drame écologique, je salue l’engagement de ce gouvernement visant à renouveler 10 % de la forêt française d’ici à 2030.
Pour parer à l’urgence, je salue surtout les 20 millions d’euros supplémentaires dirigés vers l’ONF, qui permettront de mettre enfin un terme aux suppressions d’emplois.
Je saisis également cette occasion pour souligner le renforcement des crédits dédiés aux besoins des patrouilles de surveillance et de contrôle réalisées par l’ONF.
La prévention et la gestion face aux crises sanitaires sont d’autres priorités de cette mission. Nous vivons dans un contexte d’attentes citoyennes fortes et justifiées. Il s’agit en l’occurrence de la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, de la prise en compte du bien-être animal ou encore de l’objectif de 50 % de produits de qualité, dont 20 % de produits bio, dans nos cantines.
Grâce à des crédits en progression globale de 7 %, nous saluons la mise en place d’une police unique chargée de la sécurité sanitaire des aliments, dont l’action devrait à terme être non seulement plus lisible, plus adaptée et plus efficace, mais aussi plus coercitive.
Par ailleurs, réjouissons-nous que la couverture géographique des projets alimentaires territoriaux, chère à notre collègue Frédéric Marchand, ait fortement augmenté en 2021, passant de 65 % à 97 % sous le double effet de la simplification de la procédure de reconnaissance et d’un renforcement du soutien à l’émergence de ces projets.
Enfin, si l’on ajoute le plan France 2030, qui prévoit 2,9 milliards d’euros de crédits pour l’agriculture, ainsi qu’un soutien à l’innovation et au développement des entreprises agricoles, à travers des financements de projets, on peut considérer que ce budget se donne les moyens de financer tant les besoins impératifs de nos agriculteurs que le développement de nouvelles fondations, basées sur l’innovation et l’agroécologie, pour le renouvellement des générations.
À ce propos, je salue également les crédits consacrés à l’enseignement agricole, qui atteignent un total de près de 2 milliards d’euros.
C’est donc un budget ambitieux et visionnaire que notre groupe s’apprête à voter. Il est étonnant que la majorité sénatoriale souhaite le rejeter, et cela alors que vous aviez adopté en commission des finances celui de l’année dernière, pourtant en stagnation.
Encore plus étonnant, vous avez refusé de voter ces crédits en commission, tout en proposant de multiples amendements. Permettez-moi de m’interroger sur la cohérence d’une telle méthode.
Vous l’aurez compris, pour notre groupe, il n’y a aucune raison objective de rejeter les crédits de cette mission et j’invite les groupes politiques qui partagent cet avis à faire preuve de responsabilité.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, entre les mesures budgétaires agricoles et la nouvelle politique agricole commune, la France consacrera 23,3 milliards d’euros à son agriculture en 2023. Le budget, corrigé du transfert des mesures concernant les TO-DE entre la sécurité sociale et l’État – le dispositif continue d’exister grâce à la volonté politique constante et unanime du Sénat –, augmente de 460 millions d’euros.
À 5 % d’inflation, hypothèse basse pour 2023, il aurait fallu, à périmètre constant, 700 millions d’euros supplémentaires dans ce budget global pour retrouver le niveau de soutien de 2022 et 240 millions d’euros supplémentaires si l’on met de côté la PAC.
Le budget que vous nous présentez ne s’inscrit pas dans la ligne d’un renforcement des moyens consacrés à la souveraineté alimentaire, à la différence de ce que le récent rapport de la commission des affaires économiques du Sénat sur la souveraineté économique juge indispensable de faire. Les dispositifs de soutien que vous déployez sont insuffisants : c’est ce que nous disent nombre d’exploitants. Le Gouvernement est attendu sur ce point.
Pour cibler davantage quelques dispositifs à forts enjeux, je constate, en matière d’assurance, la difficulté de budgéter les sommes nécessaires. L’épisode de gel de 2021 a coûté 1 milliard d’euros à l’État. Le dispositif prévu pour 2023, toutes lignes confondues, dont celle du Feader, représentera au mieux 560 millions d’euros. On constate la fragilité des recettes par rapport aux besoins et on s’interroge toujours sur les effets délétères qu’aura la moyenne olympique sur les remboursements payés aux assurés. Il y va de l’acceptabilité de l’assurance pour les agriculteurs eux-mêmes.
Comment, monsieur le ministre, envisagez-vous de contourner cette règle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont les États-Unis s’affranchissent avec de moins en moins de scrupules ? Nous attendons beaucoup du Président de la République à ce sujet et nous souhaiterions des mesures fortes dans l’intérêt premier de nos filières agroalimentaires. Un Buy European Act est indispensable.
Je note parmi les points positifs le milliard d’euros prévu pour la grippe aviaire ; cela me paraît toutefois insuffisant pour couvrir la valeur ajoutée perdue à chaque étape de la chaîne, des producteurs aux consommateurs.
Je souhaite rappeler de nouveau la nécessité de mettre en œuvre des dispositifs de gestion de crise adaptés aux différents types d’élevage. Sauf à vouloir les faire disparaître, ce qui n’est dans l’intérêt de personne, les élevages extensifs, autarciques, souvent en agroforesterie, et ayant des débouchés en circuits courts, ne peuvent être réglementairement traités comme les élevages à forte densité. Aucune étude scientifique n’a démontré à ce jour que ces élevages sont générateurs ou vecteurs de l’influenza aviaire.
Il y va aussi de l’image de nos territoires, comme c’est le cas dans le Gers, et je ne veux pas que des drames sociaux alimentent encore une fois la chronique des faits divers. Je n’ai que trop rencontré, monsieur le ministre, des éleveurs et des éleveuses au bord des larmes, et je n’exagère pas.
Parce que le Varenne de l’eau est resté inabouti sur la question de la ressource et de ses usages, certains en appellent à un plan Marshall de l’eau pour l’agriculture. La question, on le sait, se pose pour tous les usages et dans un cadre de dérèglement climatique qui en complexifie la gestion. On ne pourra avancer sur ce point que dans le cadre d’un partage et d’une coconstruction démocratique à l’échelle territoriale adéquate.
Envisagez-vous, monsieur le ministre, de généraliser sur la base des recommandations récentes du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) ? Dans ce budget pour 2023, combien comptez-vous consacrer au soutien des investissements nécessaires aux opérations de curage des retenues existantes, dont la restauration de capacité de stockage initial permettrait de régler de nombreux problèmes d’irrigation ? Envisagez-vous des simplifications réglementaires ou un acte législatif spécifique pour avancer sans attendre dans cette voie ?
Pour ce qui est de la nouvelle PAC, dont les crédits sont eux aussi en baisse à euros constants, comment la mise en œuvre du plan stratégique national (PSN) va-t-elle permettre, territoire par territoire, de compenser cette perte financière, appelée, hélas ! à se répéter au-delà de 2023 ?
Le développement plus avant de l’agroécologie devrait être au cœur de la loi d’orientation agricole annoncée. Les éco-schémas du PSN devraient permettre de payer aux agriculteurs les externalités positives de leur travail. Y a-t-il dans ce budget, au-delà des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) très spécifiques à certaines pratiques ou à certains milieux, une volonté de mettre en œuvre des paiements pour services environnementaux (PSE) ?
Enfin, quel dispositif envisagez-vous pour soutenir, avant qu’elle ne disparaisse, je le crains, l’agriculture de polyculture élevage, seule possible sur des terroirs difficiles et défavorisés ?
La dernière révision de la carte des indemnités compensatoires des handicaps naturels (ICHN) – je suis bien placé comme élu du Gers pour le dire – nous laisse très dubitatifs à cet égard et la notion de zone intermédiaire reste à définir, réglementairement et géographiquement.
Le modèle de la montagne a fait ses preuves pour le pastoralisme ; d’autres régions difficiles méritent une égale attention. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ainsi qu’au banc des commissions.)