Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’évoquerai deux points dans mon intervention : la fraude documentaire et la lutte contre la radicalisation.
La fraude documentaire est un sujet majeur, qui concerne bien cette mission. À ceux qui, par pudeur ou dogmatisme, s’évertuent à nous expliquer qu’elle n’existe pas, je souhaite raconter une petite histoire.
Un individu fiché S, chef d’un réseau sophistiqué de faussaires – faux papiers d’identité, comptes bancaires usurpés, escroqueries aux prêts automobiles – a détourné 193 véhicules au moyen de 73 fausses identités, alors qu’il était mis en examen depuis 2010, et ce dans le cadre d’une affaire de financement du terrorisme !
Toujours au sujet de la fraude documentaire, permettez-moi de vous lire ce courriel assez récent, adressé par le responsable d’un commissariat de l’Orne à l’Association des maires de ce département : « Je souhaite vous sensibiliser sur le point suivant : lors de la demande de carte nationale d’identité en mairie, les usagers présentent un certificat de naissance. Ce certificat de naissance peut être vérifié par les agents via le logiciel Comedec, qui est facultatif pour les mairies, car très onéreux. » Ne croyez-vous pas, madame la ministre, qu’il serait temps que l’utilisation de ce logiciel soit gratuite ?
Par ailleurs, lorsque nous essayons, notamment à l’occasion de l’élaboration de la loi de finances, monsieur le président de la commission, d’amender les dispositifs afin d’améliorer les communications, nous voyons nos amendements être jugés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution, au motif qu’ils créent des dépenses supplémentaires. Il est donc impossible aujourd’hui, si vous voulez améliorer l’efficacité d’un logiciel en raison de difficultés de communication ou dans l’échange de données, de le faire par voie d’amendement !
Madame la ministre, il faudrait tout de même que ce type d’amélioration, notamment en ce qui concerne la sécurisation des titres d’identité en mairie, puisse être évoquée avec vos services.
D’autres mesures utiles ne peuvent ainsi être adoptées par voie d’amendement, parce qu’elles constituent une dépense nouvelle. C’est dommage !
Le responsable du commissariat poursuit : « Les voyous profitent de cette faille pour se présenter dans les mairies de ces communes avec de faux certificats de naissance et une demande de carte nationale d’identité. Si l’agent de la mairie ne s’assure pas de l’authenticité du certificat de naissance, le demandeur se retrouve avec une vraie carte d’identité, mais une identité frauduleuse. »
De mon point de vue, le dispositif relève complètement de la mission « AGTE », et la situation est tout à fait réparable.
Par ailleurs, je tenais à vous signaler qu’il n’existe toujours pas de formulaire Cerfa pour les actes de naissance en France. Si le contenu de l’acte de naissance est partout le même, chaque mairie émet des documents sur son propre papier à en-tête, ce qui crée évidemment des facilités pour la fraude.
Un programme du fonds européen pour la sécurité intérieure (FSI), doté de 98 millions d’euros au titre de la programmation 2021-2027, sera reconduit. Il est destiné notamment à la lutte contre la fraude documentaire et à l’interopérabilité des systèmes d’information. Or c’est bien de cela que nous parlons. J’ajoute que la fraude documentaire est aussi favorisée par notre mauvaise communication et par le fait que nous échangeons mal les données.
Madame la ministre, je vous demande donc très officiellement de bien vouloir prendre en considération ce fonds européen de 98 millions d’euros, une enveloppe pas tout à fait anodine. Ne pourrait-on l’utiliser ? Cela éviterait au président Raynal de rendre un article 40 et nous permettrait d’améliorer les dispositifs.
En outre, on nous dit que le fichier Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF) est sur le point de disparaître au profit d’un autre fichier. Cette question relève peut-être davantage de la mission « Immigration, asile et intégration », mais elle s’inscrit pourtant dans la rubrique des titres sécurisés.
Enfin, comme chaque année, je voudrais vous dire mes doutes sur le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Ce comité n’a pas encore subi la moindre évaluation. Il distribue des fonds par-ci, par-là, dans une période particulièrement critique, car on parle moins de terrorisme, certes, mais le sujet de la radicalisation demeure tout aussi important. Il est vraiment fondamental selon moi d’évaluer les actions du CIPDR.
Dans le jaune budgétaire annexé au projet de loi de finances et dénommé Liste des commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres – un très bon document, arraché de haute lutte par le Sénat –, j’ai trouvé trace d’un conseil scientifique sur les processus de radicalisation qui s’est réuni trois fois en 2017, trois fois en 2018 et six fois en 2019. Je n’ai pu savoir s’il s’était réuni en 2020 ou 2021, la crise du covid-19 expliquant peut-être cela.
En tout cas, madame la ministre, je souhaitais vraiment attirer votre attention sur ces deux points : la fraude documentaire et l’évaluation des travaux du CIPDR.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, de prime abord, les montants annoncés semblent plutôt satisfaisants. Nous observons en effet une hausse globale des crédits de paiement comme des autorisations d’engagement de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ».
Cette augmentation traduit une volonté de réforme pluriannuelle en matière tant immobilière que numérique, ce que nous ne pouvons que saluer. Je pense en particulier au développement du système de communication des forces de sécurité et de secours de dernière génération : le réseau Radio du futur. Il est également annoncé une rationalisation des effectifs, qui est attendue, mais qui devra répondre aux besoins réels des territoires – voilà le vrai sujet !
Comment faire pour que nous cessions, comme c’est, hélas, le cas chaque année lors de l’examen de cette mission, de constater le recul de l’État dans nos territoires, notamment les plus ruraux ?
Comment faire pour cesser d’avoir encore à dénoncer l’effacement progressif des services publics de proximité au profit de la dématérialisation et du tout-numérique, qui exclut, de fait, une partie de nos concitoyens de l’accès aux services ?
Si nous nous battons dans cet hémicycle pour la liberté des collectivités et la décentralisation, nous luttons aussi pour une déconcentration efficace qui valorise le travail des préfectures et des sous-préfectures, au service des administrés. Chacun en a conscience ; il faut maintenant traduire cela en acte.
Aussi, s’il y a du bon dans la présentation budgétaire de cette mission, j’entends également les critiques portées par les rapporteurs. Elles traduisent les inquiétudes de nos territoires.
Nous sortons de dix années de réduction continue des effectifs, comme l’a très justement souligné la Cour des comptes dans son rapport. Nous ne pouvons que nous réjouir d’observer que l’année 2022 marque la fin cette trajectoire, avec une stabilisation des emplois. Il faudra inscrire ce retournement dans la durée – c’est en tout cas ce que nous souhaitons.
Du point de vue du personnel, il faut par exemple cesser de recourir à des contrats courts, par essence précaires.
Du point de vue des institutions, nous regrettons ce phénomène de multiplication des agences aussi spécialisées qu’éloignées des administrés, lesquels ne parviennent plus à trouver d’interlocuteur.
La délivrance des titres sécurisés est sans aucun doute l’exemple le plus criant de l’échec des stratégies successives visant à rationaliser et mutualiser, ce qui n’est pas toujours efficace ni nécessairement synonyme d’économies.
Nous parlons ici de quelque chose qui affecte très concrètement le quotidien des Français et qui, par la même occasion, contribue à propager les clichés qui entourent notre administration : lenteur, mille-feuille, paperasse, complexité… Tout le monde connaît quelqu’un dans son entourage qui peut lui raconter les déconvenues qu’il a subies, lorsqu’il a voulu se faire délivrer un document.
Pour l’anecdote, j’ai eu la curiosité de contacter un avocat spécialisé dans les recours en cas de carence de l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS). Il m’a dressé la liste des décisions des juges administratifs enjoignant à l’agence de délivrer, sous astreinte, des permis de conduire à la suite de retards de plusieurs mois.
Dans ce contexte, le groupe du RDSE s’abstiendra sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « c’est le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche » : avancée il y a près de deux siècles, cette image du rôle des préfets comme acteurs de la proximité de l’État est toujours d’actualité.
Le préfet est le bras armé de l’État territorial. Il incarne l’État au plus proche des administrés. Le débat sur l’État territorial, les services déconcentrés et la décentralisation est ancien.
À mesure du mouvement de décentralisation impulsé dans les années 1980, l’administration territoriale de la République a évolué, avec l’émergence des collectivités territoriales. Cette consécration fait apparaître le lien indéfectible entre l’État et ses services déconcentrés, d’une part, et les collectivités territoriales, d’autre part.
La bonne santé du partenariat collectivités-État, aujourd’hui consacré par le couple maire-préfet, conditionne la qualité des politiques publiques, l’exercice des droits et la bonne gestion des ressources publiques au profit des citoyens.
Nous examinons ce soir la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». Composée de trois programmes, cette mission est en hausse globale, mais de manière inégale. Néanmoins, cette augmentation n’est pas à la hauteur d’un véritable réarmement de l’État dans les territoires, comme celui qu’appelle de ses vœux notre collègue rapporteure pour avis de la commission des lois, Cécile Cukierman.
La Haute Assemblée dresse ce constat depuis plusieurs années, et la bonne réception de ce message est de bon augure. Toutefois, les moyens nouvellement alloués n’effacent pas une décennie de recul de l’État dans les territoires. En effet, les sous-préfectures ont perdu un quart de leurs effectifs physiques entre 2012 et 2019, alors que les besoins ne cessaient de s’accroître.
Ces efforts salutaires ne sont pas suffisants. Et au-delà de la simple inscription budgétaire, la réflexion doit porter sur le rôle même de l’État territorial.
Comment rompre avec le sentiment d’abandon des agents et des usagers et rétablir la confiance en un État territorial performant ?
Comment mieux associer les élus de terrain aux transformations et leur redonner de la lisibilité sur l’action de l’État dans les territoires ?
Comment donner une cohérence à l’enchevêtrement des réformes successives, jamais évaluées et empilées les unes après les autres ?
Avec mon collègue Éric Kerrouche, j’ai récemment publié un rapport d’information, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, dont le titre est signifiant : À la recherche de l’État dans les territoires.
En nous fondant sur une large consultation, tant d’élus des territoires que d’agents de l’État, nous avons étayé ce que nous déplorons, depuis longtemps, au Sénat : une succession, depuis quinze ans, de réformes administratives, qui transforment sans inclure suffisamment les acteurs concernés. Près de quatre élus sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux dernières réformes des services déconcentrés de l’État. Et 43 % des préfets et sous-préfets consultés ont le même sentiment.
Le diagnostic est cinglant : l’État est à la peine face aux attentes des élus locaux. La moitié des maires des communes de moins de 1 000 habitants estime que l’offre de services publics sur son territoire est défaillante. Un nombre croissant de communes se tourne vers le département, l’intercommunalité ou le secteur privé en matière d’ingénierie territoriale.
Aussi, nous avons formulé plusieurs recommandations.
Tout d’abord, il faut ancrer le préfet au cœur de l’État territorial. La crise sanitaire a souligné les bénéfices du couple maire-préfet. Il est nécessaire que le préfet connaisse le territoire, en y restant plusieurs années, qu’il dispose, en période de crise, de l’ensemble des services de l’État et surtout qu’il soit délégué territorial de toutes les agences de l’État.
Ensuite, il est nécessaire d’instaurer une relation de confiance avec les élus locaux, grâce notamment à une plus grande transparence dans l’attribution des subventions de l’État et à une évaluation des préfets par les maires.
Il est aussi indispensable de garantir les moyens de l’État dans les territoires, pour qu’ils soient plus adaptés avec une meilleure répartition des effectifs, la sortie de la logique systémique des appels à projets et un renforcement des moyens du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).
Enfin, il convient d’assurer une présence territoriale adaptée, avec une permanence physique garantie dans les locaux des préfectures et sous-préfectures, pour lutter contre la fracture numérique. Il faut notamment refondre les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public.
Nos territoires méritent considération, moyens et performances. Il n’y aura pas de bonne décentralisation sans une réelle déconcentration des services de l’État, au service des élus et des administrés.
La mission que nous examinons n’est pas encore sur cette trajectoire. C’est pour cette raison que le groupe Les Républicains ne la votera pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État » que nous examinons ce soir soutiennent ce qui est au cœur de nos institutions républicaines. Ils sont en augmentation de 10,32 % en autorisations d’engagement et de 4,14 % en crédits de paiement.
Pour autant, cette hausse des moyens, qui intervient après dix ans de recul de l’État au sein des territoires, apparaît insuffisante au regard des enjeux considérables de la mission.
Le réseau préfectoral est indispensable à notre pays et aux services rendus à nos concitoyens. Or l’administration territoriale de l’État est actuellement très affaiblie par les réformes qui se sont succédé, et nous devons faire face à un recul des services publics, surtout des services de proximité.
Le plan Préfectures nouvelle génération, mis en œuvre entre 2016 et 2020, a été fortement orienté vers la dématérialisation des formalités administratives et a profondément remodelé la délivrance des titres, tels que les passeports, les cartes nationales d’identité ou encore les permis de conduire.
De nombreux points de contact qui permettaient à une population souvent âgée ou n’ayant pas accès à internet de disposer d’un interlocuteur dans ses démarches administratives ont été supprimés. En outre, les publics fragiles se heurtent à l’absence de mobilité dans un certain nombre de territoires.
Si l’entrée du numérique dans les procédures apparaît nécessaire au vu des évolutions technologiques, la fracture numérique, territoriale et sociale ne doit pas être aggravée.
Or les suppressions successives des relais physiques de l’État dans les communes au profit de services en ligne ou trop éloignés ont créé un véritable sentiment d’abandon pour les habitants des territoires ruraux.
L’implantation des maisons France Services un peu partout dans nos territoires ruraux connaît un succès mitigé ; il faudra évaluer ce concept dans quelques années et, surtout, poursuivre le financement par l’État de ces structures – c’est un sujet sur lequel les maires se posent beaucoup de questions.
Cette réalité, nous la connaissons tous dans les départements ruraux. De même, nous sommes tous confrontés aux retards dans la délivrance des titres. Les délais d’obtention des cartes nationales d’identité et des passeports sont devenus inacceptables – ils peuvent aller jusqu’à quatre ou cinq mois.
La révolution numérique a ses limites, et les moyens humains restent indispensables.
Je veux enfin attirer votre attention, madame la ministre, sur une autre réalité : la diminution de la qualité de l’ingénierie territoriale délivrée aux communes.
Les départements ont souvent pallié la baisse des moyens de l’administration territoriale de l’État, en créant des structures chargées de répondre aux besoins des communes et en leur apportant soutien et conseil.
En Aveyron, le département a ainsi créé Aveyron Ingénierie afin d’offrir un accompagnement personnalisé et une assistance administrative, juridique, technique et financière aux collectivités locales et à leurs groupements dans l’exercice de leurs compétences et pour la réalisation de leurs projets. La charge de cette ingénierie incombe donc aujourd’hui au département et non à l’État.
Madame la ministre, mes chers collègues, la présence de l’État dans les territoires aux côtés des citoyens et des élus locaux est plus que jamais nécessaire. Si l’on peut se féliciter d’une prise de conscience du Gouvernement sur la nécessité de mieux assurer cette présence territoriale, ce budget ne semble toutefois pas à la hauteur des enjeux.
Pour cette raison, la majorité des membres du groupe Les Indépendants s’abstiendra sur cette mission.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller.
M. Daniel Breuiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’ancien maire d’Arcueil souffre pour les sous-préfets aux moyens rabougris et encore plus pour les usagers. C’est sans doute le cas de nombreux maires et anciens maires, peut-être même à Beauvais ! (Sourires.)
Ce budget présente une augmentation très légère, mais peu signifiante. Depuis 2010, quelque 11 763 postes en équivalent temps plein ont été supprimés dans l’administration territoriale et 4 748 dans le réseau des préfectures, soit 14 % des effectifs et même 24 % pour les seules sous-préfectures.
La commission des lois l’a souligné, les moyens mobilisés ne sont pas suffisants pour atteindre l’objectif de renforcement de l’administration territoriale de l’État et il est nécessaire de s’interroger en profondeur sur le rôle de l’État dans les territoires, ce que le Gouvernement se refuse encore à faire, préférant multiplier des réformes administratives.
Une traduction concrète de cette situation est la création des secrétariats généraux communs, ces nouveaux services déconcentrés interministériels placés sous l’autorité du préfet, qui est lui-même sous l’autorité du ministre de l’intérieur, mettant de fait des administrations comme celle du ministère de la transition écologique sous sa tutelle.
Cette organisation nous interroge particulièrement, d’autant que nous ne sommes pas certains que les premiers retours fassent état de gains issus de cette mutualisation.
Notre expérience des territoires montre des failles dans l’ambition du fameux couple maire-préfet. La commission des lois rappelait d’ailleurs ce problème majeur : les élus locaux ne peuvent compter que sur la bonne volonté des sous-préfets, qui entretiennent de plus en plus difficilement une connaissance fine du terrain et un lien de proximité avec les maires de leur arrondissement.
Aussi, nous avons accueilli avec intérêt le début des réouvertures de sous-préfectures et du renforcement réel d’effectifs. Le plan Préfectures nouvelle génération 2022-2025 marquera-t-il un progrès réel ? Nous le souhaitons !
Défenseur de l’égalité dans l’accès au service public, je rappellerai que le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires n’a cessé d’alerter sur les dangers d’une dématérialisation massive comme seul indicateur d’une modernisation au service du citoyen. L’illectronisme est une réalité qui touche 13 millions de nos concitoyens, et chacun d’entre nous connaît plusieurs expériences, vécues ou rapportées, de difficultés et de situations délicates, voire ubuesques, liées à la fin de l’accueil au guichet.
Nous saluons donc le début de l’augmentation attendue d’effectifs d’agents titulaires consacrés aux missions d’accueil dans les trois prochaines années.
Nous espérons que ce redémarrage pourra aussi servir dans la gestion des titres de séjour. À la veille d’un débat sur l’immigration et l’asile, nous veillerons à ce que la dégradation des délais de rendez-vous en préfecture ou de traitement des dossiers ne serve pas de justification à une aggravation de la situation des étrangers dans leurs liens et échanges avec l’administration.
Il est à noter que la commission des finances a très justement pointé du doigt le fait que la défaillance de l’État dans la délivrance des titres était inacceptable.
Nous comprenons la diminution des crédits du programme « Vie politique » au regard du calendrier électoral de 2023. Nous regrettons toutefois l’absence de la démocratie locale et participative dans ces crédits.
En résumé, allers-retours contradictoires sur la politique d’accueil de l’usager, moyens inadaptés à des réformes dont l’évaluation demeure à faire, recours trop important aux contractuels, dont la pérennisation des emplois est pourtant indispensable, notamment pour les intervenants sociaux au cœur du dispositif de prévention de la délinquance et de la radicalisation, tous ces éléments ne nous permettront pas de voter les crédits de cette mission.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà donc parvenus à l’examen des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l’État ». Cette mission concerne principalement la situation du réseau préfectoral, en particulier de son échelon de proximité, à savoir les sous-préfectures.
Maintes fois, le Gouvernement a affirmé son intention de réarmer l’État territorial, en s’inscrivant dans la continuité des missions prioritaires des préfectures 2022-2025. Cette volonté affichée doit s’inscrire dans la triple mission des préfectures, qui a déjà été rappelée.
Nombreuses sont les personnes qui ont regretté la diminution de la présence et de l’efficacité de l’État sous sa forme territoriale. L’État a beaucoup perdu de terrain ces dernières années, au fur et à mesure des différents plans d’action et réformes.
La création des secrétariats généraux communs départementaux, il y a près de deux ans, est trop récente pour en mesurer les effets et pour évaluer la réalité des objectifs d’économies et de mutualisation des fonctions support des préfectures et des directions départementales interministérielles.
Je sais que la succession de plans d’action n’arrange pas les choses. Je me demande même si ce n’est pas devenu une sorte de stratégie de communication.
Néanmoins, il y a une chose sur laquelle nous voyons clair : les effectifs de l’administration territoriale de l’État. Nous pouvons dire que nous sommes à la croisée des chemins : la réforme de l’administration territoriale de l’État engagée il a plus de dix ans s’est traduite par une réduction ininterrompue d’effectifs. Il s’agit tout de même d’une perte de plus de 11 000 postes en équivalent temps plein que nous avons enregistrée, soit 14 % de l’effectif initial.
C’est seulement cette année que cette trajectoire a été interrompue. Naturellement, il n’est pas surprenant que domine un sentiment d’abandon et de perte de présence humaine dans les réseaux des préfectures.
Même dans l’hypothèse où le Gouvernement prendrait un soin particulier à l’allocation des moyens humains et des effectifs, en tenant compte de manière fine du niveau d’activité des préfectures et des sous-préfectures, cela se traduirait inévitablement par un effacement accru de la présence de l’État.
Il faut dire que les suppressions de postes dans les préfectures ont manqué de discernement, faute d’analyses adaptées. Nous avons tous des retours d’expérience de services au sein des préfectures qui ne fonctionnent pas ou qui fonctionnent mal et où l’abus de l’utilisation de contractuels est source de fragilité et de désorganisation.
Il a sans doute manqué une véritable réflexion globale préalable et une analyse plus fine à chaque niveau de service sur la répartition de l’effort en fonction de la réalité des besoins de chaque région.
Nous avons été un certain nombre à constater et à regretter les difficultés des directions départementales interministérielles, notamment celles de l’écologie et des ministères sociaux, ainsi que le fait que les suppressions portent sur l’échelon départemental, au profit le plus souvent des directions régionales, qui ont été largement épargnées.
Plus structurellement, il y a la question lancinante et parfois criante pour l’État du manque d’attractivité de certaines fonctions ou de territoires.
Je ne vois pas aujourd’hui de stratégie d’ensemble nouvelle, ni les moyens suffisants dans cette mission pour faire en sorte que les postes soient préservés et qu’ils ne restent pas vacants faute de candidats.
Dernièrement, la Cour des comptes a formulé des recommandations à ce sujet ; je n’y reviendrai pas, mais je pense qu’elles pourraient nous inspirer. La Cour recommande notamment un guide méthodologique pertinent, qu’il revient désormais au ministère de l’intérieur de s’approprier et de mettre en œuvre en sa qualité de chef de file de l’administration territoriale de l’État.
Nous attendons donc un rééquilibrage des emplois entre préfectures, en fonction des réalités et des besoins de chaque région. Il semble que vous envisagiez la création d’un observatoire des effectifs de l’administration territoriale de l’État, afin de fiabiliser les données relatives aux emplois au niveau tant régional que départemental. Qu’en est-il vraiment, madame la ministre ?
Une chose est sûre, c’est que toute décision doit se faire à l’aune d’un principe : le rétablissement du lien de proximité. Il s’agit notamment de redonner aux services les moyens de fonctionner, en les rendant plus accessibles et en veillant à maintenir un haut degré de qualité. Autant de principes qui, je l’espère, trouveront une consécration à l’échelle de nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Caroline Cayeux, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord vous transmettre les excuses de Gérald Darmanin, qui regrette de ne pouvoir vous présenter lui-même cette mission. Il est actuellement en déplacement à Bruxelles pour le Conseil « Justice et affaires intérieures ».
La mission « Administration générale et territoriale de l’État » du projet de loi de finances pour 2023, qui vous est soumise aujourd’hui, permet la mise en œuvre par le ministère de l’intérieur et des outre-mer de plusieurs de ses fonctions essentielles : garantir le libre exercice de leurs libertés publiques par les citoyens, avec l’organisation des scrutins électoraux ; assurer une présence continue de l’État sur l’ensemble du pays, dans l’Hexagone comme dans les territoires ultramarins ; assurer la déclinaison locale des politiques publiques nationales.
Cette mission intègre des constantes de l’action ministérielle, mais elle porte également la marque, comme la mission « Sécurités », des chantiers d’envergure portés par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur sur la période 2023-2027, en particulier en termes de réarmement de l’État dans les territoires et de réorientation stratégique du pilotage des politiques publiques, à l’aune des nouveaux enjeux à relever pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
Dans le contexte de la hausse globale du budget du ministère de l’intérieur de 1,25 milliard d’euros pour 2023, la mission « Administration générale et territoriale de l’État » voit ses moyens progresser nettement, avec une augmentation de 10,32 % des autorisations d’engagement et de 4,14 % des crédits de paiement.
Ces chiffres témoignent d’une volonté ambitieuse tournée vers l’avenir. Nous nous donnons ainsi les moyens nécessaires pour nos objectifs dès l’année qui vient.
Plus de la moitié des crédits de la mission sont inscrits au sein du programme « Administration territoriale de l’État », qui témoigne d’un engagement sans précédent pour renforcer la capacité de l’État dans les territoires.
Partant du constat d’un besoin accru de service public et de proximité de l’État, le Président de la République a lancé cette dynamique dès l’an dernier. En témoigne notamment l’annonce qu’il a faite le 10 octobre dernier de la réouverture de six sous-préfectures – cinq en métropole et une en Guyane.
Cette évolution, qui renverse le courant des vingt dernières années, nécessite de s’appuyer sur des effectifs nouveaux. J’oserai vous paraphraser, en disant que nous réarmons les territoires.
L’objectif sur trois ans est de créer 210 équivalents temps plein, dont 50 pour la seule année 2023. Ces créations de postes viennent renforcer les effectifs préfectoraux sur des missions clés, en particulier les services dédiés aux étrangers, la délivrance des titres sécurisés, qui connaît, comme vous le savez, un fort engorgement, en grande partie conjoncturel après les deux années de crise sanitaire, ou encore la lutte contre la radicalisation et le terrorisme.
Cet élan de consolidation du réseau préfectoral bénéficiera à tous nos concitoyens en matière de sécurité et de service public, mais aussi aux élus locaux pour la conception et la mise en œuvre de leurs projets et, en définitive, à l’ensemble de notre pays.
Nous n’abandonnons pas pour autant les efforts continus menés en faveur de la rationalisation des services de l’État dans les territoires, en particulier en matière de mutualisation.
Étape charnière dans la poursuite de la réforme de l’organisation territoriale de l’État, l’année 2021 a vu la mise en œuvre des secrétariats généraux communs départementaux, nouveaux services déconcentrés interministériels placés sous l’autorité du préfet. Ils permettent de grouper et de rendre plus efficace la gestion des moyens budgétaires, des ressources humaines, des achats publics ou encore des systèmes d’information et de communication. Gage de performance et d’économies, leur déploiement se poursuivra.
Pour ce qui est de la conduite et du pilotage des politiques du ministère de l’intérieur, l’objectif constant est celui de la maîtrise des coûts, à la fois en administration centrale et dans les territoires, tout en servant la modernisation et l’indispensable amélioration des fonctions support.
Je pense en particulier aux enjeux numériques, qui constituent une priorité pour l’action du ministère.
La direction du numérique se voit attribuer des moyens nécessaires à la réalisation de ses projets d’ampleur comme la constitution du cloud de deuxième génération ou celle du réseau Radio du futur. Son budget global de 498 millions d’euros sur cette mission doit être mis en regard des autres engagements de la mission « Sécurités », qui prévoit au minimum 381 millions d’euros de dépenses numériques en 2023, notamment pour assurer la transformation numérique des services et l’amélioration des systèmes de communication.
Par ailleurs, le ministère poursuit ses efforts de rationalisation de ses emprises immobilières dans l’ensemble du pays, afin d’optimiser les coûts et de faciliter concrètement la synergie entre ses différents services.
Deux projets sont emblématiques de cette démarche : tout d’abord, la création d’un centre unique du renseignement intérieur – 43 millions d’euros sont engagés en 2023, sur un coût total de 1,3 milliard d’euros –, alors que les services sont aujourd’hui répartis sur plusieurs sites ; ensuite, la création d’un grand pôle transversal des directions support du ministère.
Au-delà, le ministère mobilise près de 340 millions d’euros en autorisations d’engagement, afin de permettre notamment la programmation de nouveaux projets d’implantation d’hôtels de police et de commissariats, ainsi que 384 millions d’euros pour la maintenance lourde du bâti. Conformément aux priorités fixées par la Première ministre, 6 millions d’euros sont en outre spécifiquement dédiés à la rénovation énergétique des bâtiments préfectoraux.
Enfin, ce sont plus de 84 millions d’euros qui sont dédiés au financement de la prévention de la délinquance et de la radicalisation, un budget en hausse de plus de 21 % par rapport à l’année précédente.
Le programme 232, « Vie politique », est le seul qui est en baisse dans la mission, une diminution qui s’explique par le calendrier électoral bien moins chargé en 2023, avec tout de même la tenue des élections territoriales en Polynésie française, ainsi que les élections sénatoriales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la mission « Administration générale et territoriale de l’État » va permettre de poursuivre les chantiers de long terme du ministère et de renforcer la présence et l’efficacité de l’État dans tous les territoires.
Les investissements indispensables à mettre en œuvre pour faire face aux défis nouveaux qui menacent nos concitoyens y bénéficient de moyens solides, mais il ne s’agit en rien d’une dynamique de hausse de l’ensemble des dépenses.
En parallèle d’engagements ciblés et importants, gages d’efficacité, la politique de rationalisation et de contrôle des dépenses de fonctionnement se poursuit avec autant de rigueur.
J’ai bien entendu, mesdames, messieurs les sénateurs, vos critiques, mais je voudrais attirer votre attention sur l’effort historique que nous vous proposons dans cette mission : jamais le ministère de l’intérieur n’avait obtenu un tel budget. Il est néanmoins impossible de rattraper le retard de près de vingt ans de baisse.
J’espère que le Sénat, chambre des territoires, pourra apporter une réponse concrète aux besoins des Françaises et des Français, ainsi qu’aux impératifs de sécurité intérieure. Ce consensus, mesdames, messieurs les sénateurs, il vous appartient désormais de le dégager.
administration générale et territoriale de l’état