M. Patrice Joly. La taxation des services numériques fait aujourd’hui l’objet d’âpres négociations internationales.
La durée d’application de la taxe sur les services numériques qui a été instituée en France dépendra de l’entrée en vigueur de la réforme internationale de cette fiscalité menée sous l’égide de l’OCDE. Or, depuis mai dernier, nous savons que l’entrée en application de cette réforme sera probablement retardée, du fait de difficultés techniques et politiques qui s’accumulent ; dans ce contexte, il est plus probable que cette réforme aboutisse en 2024 qu’en 2023.
En attendant un accord sur la fiscalité internationale, et dans un souci de justice fiscale, le présent amendement vise à augmenter de manière raisonnable – de 3 % à 5 % – la taxe à laquelle les multinationales du numérique sont assujetties.
Cette légère hausse est amplement justifiée par l’attitude non coopérative des États-Unis et par la concurrence déloyale exercée par ce secteur économique nouveau sur le commerce français, a fortiori en ces temps particuliers de crise sanitaire et de ralentissement du commerce physique.
Cette disposition vise enfin à renforcer la justice fiscale en contribuant à une meilleure redistribution des richesses, les Gafam ayant amplement profité des crises successives pour s’enrichir davantage.
Alors que la situation de millions de personnes déjà en difficulté se dégrade chaque jour, il est urgent de remédier à cette situation extrêmement injuste et profondément inégale, en instaurant un peu plus de justice fiscale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Dans le cadre de l’accord trouvé à l’OCDE, la France s’est engagée à retirer la TSN sitôt que les règles du pilier 1 entreraient en vigueur. Les entreprises assujetties à la TSN pourront demander la restitution de l’éventuel écart qui existe entre le montant de TSN acquitté et le montant d’impôt qui aurait résulté de l’application des nouvelles règles.
Le G20, mercredi dernier, a réaffirmé sa volonté de mettre en œuvre rapidement le pilier 1, en signant la convention multilatérale au cours du premier semestre de 2023.
Or la TSN concerne un ensemble d’entreprises à la fois différent et plus large que le pilier 1. Autrement dit, en adoptant ces amendements, nous risquerions de nous exposer, demain, à rembourser davantage d’entreprises du numérique ! Je pense que telle n’est pas la volonté des auteurs de ces deux amendements. D’où mon avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Je rejoins M. le rapporteur général : il ne serait pas opportun d’apporter une telle modification de taux alors que nous sommes en pleine négociation internationale, car cela risquerait d’affaiblir notre position.
J’engage donc le Sénat à ne pas relever ce taux tant que ces négociations importantes, dont la France est l’un des moteurs, n’auront pas – enfin ! – abouti à une taxation des multinationales du numérique, non seulement en France, mais partout dans le monde.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour explication de vote.
Mme Vanina Paoli-Gagin. J’entends ces arguments.
Je retire donc mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° I-501 rectifié est retiré.
La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote sur l’amendement n° I-459.
M. Éric Bocquet. Nous allons naturellement soutenir l’amendement de nos collègues socialistes, qui n’a pas été retiré.
Franchement, on ne peut pas s’en remettre à l’accord de l’OCDE ! Tout d’abord, les négociations peinent à avancer. Ensuite, selon la formule consacrée, il y a des trous dans la raquette – les industries extractives et les services financiers ont été exclus du champ de la taxe –, et j’ai cru comprendre que la Hongrie et la Pologne ne s’étaient pas montrées très allantes dernièrement sur ce sujet. Comme sœur Anne, nous ne voyons pas d’accord venir !
En adoptant cet amendement de nos collègues socialistes, le Sénat enverrait un signal de notre détermination. Cela permettrait aussi de faire un peu de ménage au sein de l’Union européenne : si nous n’agissons pas, notamment en mettant fin à la règle de l’unanimité européenne sur les sujets fiscaux, nous risquons d’attendre extrêmement longtemps.
Mme la présidente. L’amendement n° I-855, présenté par MM. Bocquet et Savoldelli, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 209-0 B du code général des impôts est abrogé.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. La taxation dite « au tonnage » des armateurs avait été acceptée en 2017 par la Commission européenne, à la condition expresse qu’elle favorise l’immatriculation dans l’Union. Elle est, à ce jour, appliquée par dix-huit pays de l’Union européenne.
Ce changement de fiscalité a fait perdre à la France près de 18 milliards d’euros. Or l’enquête de l’OCDE a montré en 2020 que le pourcentage de la flotte mondiale battant pavillon d’un État membre de l’Union européenne avait, lui, reculé. Nous n’avons donc pas retiré les bénéfices escomptés de cet alignement sur une fiscalité très faible.
Je crois savoir quels seront vos avis sur cet amendement, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, et je les déplore, car je constate que, au nom de la concurrence entre les États, toute baisse de la fiscalité devient irréversible. Au fond, il serait sans doute plus simple de supprimer toutes les taxes : cela permettrait d’éviter toute forme de concurrence !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Bocquet. Nous connaissons déjà la réponse…
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas faux ! (Sourires.)
Monsieur Ouzoulias, vous estimez que cette taxe au tonnage est trop faible. Par ailleurs, la crise a entraîné des perturbations économiques fortes, avec des envolées des prix des matières transportées, notamment par voie d’eau.
Néanmoins, la « bulle » des containers venus de Chine a éclaté, et les bénéfices conjoncturels liés à cet état de fait ont fortement diminué – après avoir beaucoup augmenté, les prix du transport maritime par container ont été divisés par deux en quelques mois.
Enfin, comme vous le savez, les armateurs ont pris un certain nombre d’engagements. Nous nous battons pour avoir des industries, mais la France a la chance d’avoir une marine marchande. Efforçons-nous d’y être attentifs !
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° I-1716, présenté par M. Husson, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le II de l’article 299 du code général des impôts est ainsi modifié :
1°Le a du 1° est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« a) Lorsque les interactions entre les utilisateurs de l’interface présentent un caractère accessoire, au sens de l’article 257 ter, par rapport à la fourniture à ces utilisateurs, au moyen de cette interface, par la personne qui la met à disposition, d’un ou plusieurs des éléments suivants : » ;
b) Le deuxième alinéa est complété par les mots : « , sans préjudice de l’assujettissement de ces contenus à la taxe lorsqu’ils constituent par eux-mêmes une interface numérique distincte de celle au moyen de laquelle ils sont fournis ; » ;
2° Au dernier alinéa, après le mot : « fournis » est inséré le mot : « exclusivement ».
II. – Le présent article entre en vigueur le 31 décembre 2022.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Le présent amendement vise à apporter plusieurs précisions relatives à l’application de la taxe sur les services numériques.
Il a tout d’abord pour objet de tirer les conséquences de la décision du 31 mars 2022, par laquelle le Conseil d’État a abrogé plusieurs interprétations apportées par la doctrine fiscale relative au champ de la TSN.
Il vise ensuite à préciser que ne doivent être exclus du champ des services taxables que les services de mise à disposition d’une interface numérique et que l’exclusion de certains services taxables s’entend sans préjudice de l’assujettissement de ces contenus à la taxe.
Cet amendement tend en outre à réduire le champ d’exclusion des services fournis entre entreprises appartenant à un même groupe aux services exclusivement rendus aux entreprises du même groupe.
Enfin, je le précise, ces évolutions s’appliquent à la taxe dont le fait générateur interviendra à partir du 31 décembre 2022.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Cet amendement tend à clarifier opportunément les conditions d’application de la TSN.
L’avis du Gouvernement est donc favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 4.
Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-1446 rectifié, présenté par MM. Labbé, Breuiller, Parigi, Salmon, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Gontard et Mmes de Marco, Poncet Monge et M. Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le deuxième 2° de l’article 726 est complété par les mots : « et aux cessions de parts de sociétés qui exercent une activité agricole, principale ou non » ;
2° L’article 730 bis est ainsi rédigé :
« Art. 730 bis. – Les cessions de gré à gré de groupements agricoles d’exploitation en commun, et d’exploitations agricoles à responsabilité limitée mentionnées au 5° de l’article 8 sont enregistrées au droit fixe de 125 €, lorsque l’acquéreur est un actif agricole n’ayant pas le contrôle d’une surface dépassant une fois et demie la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles, en application du II de l’article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime. Cette surface s’apprécie en additionnant la superficie de tous les biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, toutes productions confondues, que la personne physique exploite ou possède, directement ou indirectement par l’interposition d’une ou de plusieurs personnes morales qu’elle contrôle au sens du IV de l’article L. 333-2 du code rural de la pêche maritime.
« Les cessions de gré à gré de parts de groupements fonciers agricoles au sens de l’article L. 322-1 du code rural et de la pêche maritime, des groupements fonciers ruraux au sens de l’article L. 322-22 du code rural et de la pêche maritime et des groupements fonciers forestiers au sens de l’article L. 331-1 du code forestier, constituées depuis au moins trois ans avant la cession, sont enregistrées au droit fixe de 125 €.
« Les cessions de gré à gré de parts de sociétés civiles à objet principalement agricole, constituées depuis au moins trois ans avant la cession, sont enregistrées au droit fixe de 125 € lorsque l’acquéreur est un actif agricole n’ayant pas le contrôle d’une surface dépassant une fois et demie la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Cette surface s’apprécie en additionnant la superficie de tous les biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, toutes productions confondues, que la personne physique exploite ou possède, directement ou indirectement par l’interposition d’une ou de plusieurs personnes morales qu’elle contrôle au sens du IV de l’article L. 333-2 du code rural. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
La parole est à M. Daniel Breuiller.
M. Daniel Breuiller. En 2021, le Parlement a adopté la loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.
Bien qu’il fût insuffisant, ce texte avait l’objectif louable de mettre fin à la concentration et à l’accaparement des terres en régulant leur transfert via des parts de société, afin de favoriser le modèle de l’agriculture familiale, le partage des terres agricoles et l’installation de nouveaux agriculteurs.
Cet amendement de Joël Labbé vise à mettre en cohérence la fiscalité avec les objectifs de cette loi.
Les transmissions de foncier agricole via les sociétés sont avantagées fiscalement par rapport au droit commun. Les cessions de parts de groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec), d’exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) et de sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA) bénéficient en effet, à titre dérogatoire, d’un droit fixe d’un montant de 125 euros.
Cela permet à des investisseurs qui ne sont pas agriculteurs ou à des agriculteurs qui exploitent des surfaces déjà très importantes de bénéficier d’un régime fiscal avantageux, alors qu’ils ne contribuent pas aux objectifs de notre politique foncière.
Cet amendement tend donc à réserver cette dérogation au transfert de foncier entre les agriculteurs actifs dont l’exploitation ne dépasse pas un seuil de surface correspondant à une fois et demie la surface agricole utile régionale moyenne. Il s’agit de favoriser fiscalement les transferts de foncier sans encourager la concentration des terres et les agrandissements trop importants, phénomènes néfastes pour l’installation, l’emploi agricole, l’environnement et le dynamisme des territoires ruraux.
Mme la présidente. L’amendement n° I-1621 rectifié, présenté par M. Tissot, Mmes Blatrix Contat et Briquet, MM. Cardon, Chantrel, Cozic, Devinaz, P. Joly et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Monier, M. Pla, Mme Préville et MM. Temal et Stanzione, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa du 2° de l’article 726 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce taux est également appliqué aux cessions de parts de sociétés qui exercent une activité agricole, principale ou non. » ;
2° L’article 730 bis est ainsi rédigé :
« Art. 730 bis. – Les cessions de gré à gré de groupements agricoles d’exploitation en commun, et d’exploitations agricoles à responsabilité limitée mentionnées au 5° de l’article 8 sont enregistrées au droit fixe de 125 €, lorsque l’acquéreur est un actif agricole n’ayant pas le contrôle d’une surface dépassant une fois et demie la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Cette surface s’apprécie en additionnant la superficie de tous les biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, toutes productions confondues, que la personne physique exploite ou possède, directement ou indirectement par l’interposition d’une ou de plusieurs personnes morales qu’elle contrôle au sens du IV de l’article L. 333-2 du code rural de la pêche maritime.
« Les cessions de gré à gré de parts de groupements fonciers agricoles au sens de l’article L. 322-1 du code rural et de la pêche maritime, des groupements fonciers ruraux au sens de l’article L. 322-22 du code rural et de la pêche maritime et des groupements fonciers forestiers au sens de l’article L. 331-1 du code forestier, constituées depuis au moins trois ans avant la cession, sont enregistrées au droit fixe de 125 €.
« Les cessions de gré à gré de parts de sociétés civiles à objet principalement agricole, constituées depuis au moins trois ans avant la cession, sont enregistrées au droit fixe de 125 € lorsque l’acquéreur est un actif agricole n’ayant pas le contrôle d’une surface dépassant une fois et demie la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Cette surface s’apprécie en additionnant la superficie de tous les biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, toutes productions confondues, que la personne physique exploite ou possède, directement ou indirectement par l’interposition d’une ou de plusieurs personnes morales qu’elle contrôle au sens du IV de l’article L. 333-2 du code rural. »
La parole est à Mme Florence Blatrix Contat.
Mme Florence Blatrix Contat. Cet amendement de mon collègue Jean-Claude Tissot a été très bien défendu par notre collègue Daniel Breuiller.
Il est urgent de lutter contre la financiarisation du foncier agricole et la concentration des exploitations, afin de préserver notre modèle d’exploitations familiales.
Les mesures existantes ne permettant pas d’éviter efficacement ces écueils, nous proposons un dispositif fiscal susceptible d’améliorer utilement la situation.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Les dispositifs proposés ne me paraissent pas de nature à remédier aux difficultés visées.
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann, pour explication de vote.
M. Olivier Rietmann. Avant de juger de l’efficacité de la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous, dont j’étais rapporteur, encore faut-il attendre qu’elle soit appliquée !
J’ai réclamé les décrets d’application au ministre Fesneau pendant trois mois. Ces textes ont été transmis récemment au Conseil d’État, si bien que la loi n’est applicable que depuis le 1er novembre dernier.
De plus, une clause de rendez-vous complète a été prévue à échéance de deux ans, afin d’évaluer les différents dispositifs prévus. Laissons-nous donc ces deux ans ! On ne peut pas juger une loi qui n’est pas encore appliquée.
Je rappelle par ailleurs que ce texte visait à empêcher, non pas toute transaction portant sur des terres agricoles, mais les agrandissements exagérés. En l’occurrence, j’estime que les critères retenus correspondent tout à fait à ce qu’il fallait mettre en place, mais nous pourrons en dresser le bilan dans deux ans.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° I-1446 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° I-1621 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° I-881 rectifié, présenté par MM. Cabanel, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 2 de l’article 238 bis du code général des impôts, il est inséré un 2 bis ainsi rédigé :
« 2 bis. – L’attribution d’une réduction d’impôt aux entreprises effectuant des versements sous forme de dons en nature de denrées alimentaires au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté est conditionnée au respect des critères suivants :
« a) Les denrées redistribuées doivent être conformes aux principes de l’analyse des risques et de la maîtrise des points critiques énoncés dans le règlement (CE) n° 852/2004 ;
« b) La traçabilité des denrées doit être assurée pour les rendre identifiables ;
« c) Les produits ne doivent être ni détériorés, ni abîmés. L’emballage doit être intact et doit inclure un dispositif d’étiquetage complet, renseignant notamment la date limite de consommation du produit.
« Pour rendre compte du respect des critères susmentionnés et ouvrir droit à la réduction d’impôt, les organismes qui bénéficient des versements complètent et signent l’attestation de don dans un délai défini par arrêté du ministre chargé de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. »
La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Le présent amendement de mon collègue Henri Cabanel vise à conditionner la réduction d’impôt dont bénéficient les entreprises pour leurs dons alimentaires à la qualité des denrées.
La loi du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, dite loi Garot, a introduit l’interdiction de la destruction des produits alimentaires invendus encore consommables. À ce titre, les grandes et moyennes surfaces de plus de 400 mètres carrés doivent signer un partenariat conventionné avec une association d’aide alimentaire habilitée pour le don des invendus alimentaires.
L’article 238 bis du code général des impôts permet à ces entreprises de bénéficier d’une réduction d’impôt égale à 60 % du montant des versements effectués au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté. Or la qualité des dons ne cesse de se dégrader.
Afin d’inciter les entreprises à trier leurs dons, cet amendement vise à lier les avantages fiscaux à la qualité des dons, conformément à l’une des recommandations formulées dans le rapport d’information sénatorial intitulé Aide alimentaire : un dispositif vital, un financement menacé ?, publié en 2018.
Mme la présidente. L’amendement n° I-882 rectifié, présenté par MM. Cabanel, Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Fialaire, Gold, Guérini et Guiol, Mme Pantel et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le premier alinéa du 2 de l’article 238 bis du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’attribution d’une réduction d’impôt aux opérateurs de la grande et moyenne distribution effectuant des versements sous forme de dons en nature de denrées alimentaires au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté est conditionnée au respect de critères définis par décret. Pour rendre compte du respect des critères susmentionnés et ouvrir droit à la réduction d’impôt, les organismes qui bénéficient des versements complètent et signent l’attestation de don dans un délai défini par arrêté du ministre chargé de l’agriculture. »
La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Il s’agit d’un amendement de repli, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. La commission souscrit à l’esprit de ces amendements.
Toutefois, les enjeux ici sont importants. Dans le cadre du PLFR 1, quelque 40 millions d’euros de crédits supplémentaires ont été votés en faveur des associations d’aide alimentaire, puis 80 millions d’euros dans le cadre du PLFR 2. Nous devons donc être vigilants sur ce sujet. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer ?
Je sollicite donc l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roland Lescure, ministre délégué. Je comprends l’objet de ces amendements, qui visent à s’assurer de la qualité des dons effectués, notamment par le biais de banques alimentaires.
Cependant, cette question est en principe déjà réglée, non par la fiscalité, comme il est proposé ici, mais par les règles sanitaires qui s’imposent aux supermarchés et aux magasins par lesquels transitent ces dons.
L’adoption de ces amendements risquerait d’alourdir exagérément les procédures pour ces associations d’aide alimentaire, qui font déjà face à d’importantes contraintes et qui, cela a été souligné, sont déjà très occupées ces temps-ci. Je suggère plutôt de conserver le dispositif actuel.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis de la commission ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. La commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Je voudrais soutenir cet amendement et dire au ministre que, si les associations ont un surcroît de travail, c’est parce qu’elles réceptionnent des denrées parfois périmées !
Il s’agit donc de renvoyer à l’enseigne donatrice la responsabilité de ne pas donner de denrées périmées.
Les gens les plus pauvres ont également droit à cette qualité que la loi consacre. Les entreprises qui font des dons alimentaires doivent assumer cette responsabilité.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Il faut bien distinguer ici l’objectif, qui me semble indiscutable, et le dispositif proposé, qui ne comporte aucune méthode.
En effet, comment faire concrètement ? Mes chers collègues, nous avons tous été maires ; comment procéderait-on ? Tout d’abord, la qualité est une notion variable, car elle a une définition différente selon les uns ou les autres. Ensuite, qui la contrôlerait, et comment ? Cela me paraît extrêmement lourd.
L’intention est bonne, mais d’autres solutions doivent être trouvées afin de résoudre ce problème. De mon point de vue, les dispositions de cet amendement n’y répondent pas.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Bazin, pour explication de vote.
M. Arnaud Bazin. Éric Bocquet et moi-même nous sommes intéressés, dans le cadre d’un rapport de contrôle, à l’aide alimentaire, qui est tout à fait essentielle dans notre pays, et à l’engagement de tous nos bénévoles.
Je partage les observations du ministre et du président de la commission, mais je rappellerai également que céder des aliments dont la date de péremption est dépassée est totalement interdit.
Les associations font face actuellement à de grandes difficultés. Cela a été rappelé, 40 millions d’euros ont été ajoutés au budget afin de les soutenir, en raison de la baisse de la « ramasse », c’est-à-dire des dons de particuliers effectués à la sortie des caisses des supermarchés.
Les cessions par les supermarchés et les grands centres de commerce diminuent également, parce que ces entreprises cherchent à optimiser leurs dépenses dans un contexte de crise. Ainsi, des promotions sont pratiquées pour céder les produits s’approchant de leur date de péremption, par exemple. Ces entreprises font tout pour éviter que leurs comptes de résultat ne soient en déséquilibre.
Ce système souffre actuellement, et cela continuera pendant les mois à venir ; il faudra y être très attentif, car il est essentiel pour notre population.
Dans ces conditions, adresser un message bureaucratique supplémentaire aux entreprises de commerce alimentaire me semblerait catastrophique.