compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Orientation et programmation du ministère de l’intérieur
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (projet n° 876 [2021-2022], texte de la commission n° 20, rapport n° 19, avis n° 9).
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer en préambule le travail des deux rapporteurs. S’il nous arrive encore fréquemment de constater des désaccords, ceux-ci sont toujours exprimés avec une cordialité certaine.
Le constat vaut également pour M. le ministre. S’il nous arrive encore plus fréquemment de constater des désaccords entre lui et le groupe socialiste (M. le ministre sourit.), nous sommes sensibles au fait qu’un ministre prenne le temps de nous répondre, même si nous préférerions, bien entendu, qu’il émette un avis favorable sur nos amendements.
Je commencerai par évoquer les éléments dont nous regrettons l’absence dans le projet de loi.
Plusieurs membres de notre groupe ont déploré de ne pas trouver suffisamment de contenu dédié aux préfectures et à la présence de l’État sur le terrain en dehors de la sécurité. Alors que votre gouvernement communique sur la réouverture bienvenue de sous-préfectures, nous aurions pu attendre plus d’ambition de la part du ministère de l’intérieur sur l’incarnation de l’État au quotidien.
Il y a une autre grande absente, ou une quasi-absente de ce projet de loi : la réforme de la police judiciaire. Les mentions qui en sont faites dans le rapport annexé sont succinctes. Et même si nous en avons débattu avec passion mardi dernier dans cet hémicycle, nous savons tous que le destin de cette réforme ne se joue pas ici.
La balle est donc dans votre camp, monsieur le ministre, pour réconcilier votre ministère avec ses propres troupes, ainsi qu’avec les représentants du monde judiciaire, qui redoutent une atteinte à la séparation des pouvoirs.
Nous savons tous que vous revendiquez une certaine fibre sociale. Je pense toutefois que vous ne devriez pas la cultiver au point d’ajouter des manifestations de policiers aux manifestations de salariés ! (Sourires sur les travées du groupe SER.) Pour faire entrer la police judiciaire dans les commissariats, c’est comme pour faire cesser les blocages dans les dépôts : il faudra négocier.
Puisque j’ai évoqué rapidement le monde de la justice, je crois qu’à droite comme à gauche, nous regrettons de ne pas parvenir à aborder les questions de sécurité et de justice dans un même élan. Nous faisons tous un lien entre les problèmes de sécurité et la réponse pénale, et nous constatons les occasionnelles tensions entre magistrats et policiers. Il nous manque la stéréophonie chère au rapporteur Marc-Philippe Daubresse. Ce regret concerne d’ailleurs tout autant le Parlement que l’exécutif.
Nous regrettons également l’absence de mention du continuum de sécurité. Ce silence sur la coopération entre les collectivités et l’État central est étonnant, alors que la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés semblait en faire un tout indépassable.
Nous craignons qu’un tel silence ne soit la traduction de faiblesses dont nous avions fait état à l’époque : le continuum de sécurité peut en effet rapidement ressembler à un marché de dupes. Si une mairie ne consacre pas suffisamment vite des moyens à la sécurité, que ce soit en raison d’un contexte budgétaire ou d’une croissance démographique locale exigeante, elle pourra être pointée du doigt ; c’est arrivé récemment. Si elle le fait, elle prendra la lumière médiatique, donc les coups, en lieu et place du Gouvernement, et on lui en demandera toujours plus.
Nous considérons pour notre part que la sécurité doit rester d’abord la prérogative de l’État central.
Mais j’ai assez parlé de ce qui n’est pas dans le texte ! Le vote de notre groupe repose bien évidemment sur les trois aspects principaux du projet de loi.
Il y a une certaine cohérence dans le rapport annexé. On voit la filiation avec le livre blanc de la sécurité intérieure et le Beauvau de la sécurité. La place octroyée au numérique, même si nous comprenons les inquiétudes de certains agents échaudés par les échecs récents, nous semble légitime.
Nous vous remercions d’avoir bien voulu prendre en considération plusieurs améliorations proposées par notre groupe au travers des amendements de mes collègues Laurence Harribey, Gisèle Jourda ou Patrick Kanner. Ainsi en va-t-il de l’accessibilité des locaux et des démarches dématérialisées pour les personnes en situation de handicap et de la meilleure projection des moyens de sécurité civile sur tout le territoire. Les modifications apportées au texte qui permettront de s’assurer de l’objectivité du choix d’implantation des 200 brigades de gendarmerie annoncées ou encore d’étudier la création d’une seconde base pour les Canadairs constituent de bonnes nouvelles.
J’en viens au volet budgétaire. Le groupe socialiste se félicite des moyens accordés au ministère de l’intérieur. Nous en profitons pour exprimer de nouveau un soutien sans réserve à nos forces de l’ordre – police, gendarmerie, police municipale –, qui ne comptent bien souvent ni leurs heures ni leurs efforts pour assurer la tranquillité de nos concitoyens partout sur notre territoire.
La plupart des candidats à l’élection présidentielle, de gauche comme de droite, s’étaient engagés à accorder plus de moyens à la lutte contre l’insécurité. Les 15 milliards d’euros annoncés dans ce texte constituent donc une bonne nouvelle que nous approuvons sans réserve, même si nous serons vigilants sur l’application de cette loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), budget après budget, dans le contexte économique incertain qui est le nôtre.
Pour finir, les articles normatifs ont peu évolué après l’examen dans l’hémicycle, malgré l’apport bienvenu des amendements de mes collègues Rémi Cardon ou Catherine Conconne.
Le dépôt de plainte par visioconférence me semble mieux encadré, le projet de réseau Radio du futur (RRF) sera sans doute mieux assuré sans ordonnance, tout comme l’adaptation aux collectivités ultramarines. Nous approuvons l’alignement sur le régime des autres personnes dépositaires de l’autorité publique des peines encourues pour les agressions sur les élus.
Nous déplorons le rejet des propositions de mes collègues Laurence Rossignol et Marie-Pierre de La Gontrie visant à mieux lutter contre les violences intrafamiliales et conjugales.
Sur les refus d’obtempérer, il est dommage de ne pas être allé plus loin dans la discussion de l’amendement socialiste qui visait à revenir au dispositif gouvernemental initial de 2016.
Bien entendu, nous ne soutenons pas l’extension des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), même si les limites fixées par les rapporteurs sont bienvenues. Nous n’approuvons pas davantage les nouvelles modalités d’accès à l’examen d’officier de police judiciaire (OPJ) ou le nouvel article qui vise les violences dites « gratuites ».
Je ne trahirai pas de secret en disant que nous nous sommes arraché les cheveux sur la loi anticasseurs et que nous avions des oppositions très profondes sur la loi Sécurité globale. Tout ne nous plaît pas, et c’est un euphémisme, dans cette Lopmi.
Nous avons donc, en raison de ces désaccords, envisagé l’abstention. Mais notre groupe a choisi de prendre ses responsabilités. La demande de sécurité exprimée par nos concitoyens et relayée partout par les élus locaux nous a convaincus de voter en faveur de ce texte et des moyens supplémentaires qui sont alloués à nos forces de l’ordre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, être policier, c’est être au centre de la vie en société, « au centre des choses », comme l’écrivait Albert Camus dans Les Justes.
Un policier doit être en contact permanent avec la population. Il doit être le garant de la confiance que doivent inspirer les pouvoirs publics au citoyen. Il s’agit d’un lien de confiance que permet une police de proximité. C’est une conception de la police qui est défendue par le groupe CRCE, mais qui ne l’est pas dans ce projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
En effet, la Lopmi traduit, à l’issue de cette première lecture, une conception des métiers de la sécurité intérieure qui est toujours bien éloignée de la nôtre, et ce malgré l’exercice de notre droit d’amendement.
Au cours de nos débats, nous avons été cohérents par rapport à nos interventions passées sur la loi Sécurité globale. Nous le répétons, une autre voie est possible : une police qui ouvre des vocations, éveille les jeunes, donne envie de s’engager. Non pas une police trop souvent coupée du citoyen, mais une police de proximité, exemplaire et digne, comme nous le soulignions déjà dans notre proposition de loi du 11 septembre 2017 visant à réhabiliter la police de proximité, qui privilégiait cette vision de la sécurité et reposait sur le triptyque prévention, dissuasion, répression.
Aujourd’hui, la Lopmi met à distance les victimes. Le numérique est en réalité un faux ami, vecteur de simplification. La modernité et l’efficacité ne doivent pas être synonymes d’éloignement. Un tel projet de loi ne peut qu’accentuer le fossé entre police et victime : le temps passé sur la voie publique dans des actions de sanction ou de répression sera la règle, et le temps au commissariat ou à la brigade l’exception.
Aussi, je tiens à souligner que la modification de la procédure pénale et du droit pénal, induite en particulier par une telle distanciation, relève de la compétence propre du ministère de la justice et qu’elle n’aurait pas dû avoir sa place dans une loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur. Vous l’avez reconnu vous-même lorsque vous avez écarté des amendements en reprochant aux parlementaires d’empiéter sur ce périmètre de compétence. Pourtant, vous n’avez pas su être critique envers votre texte, puisque vous avez persisté dans votre défense de la simplification de la procédure pénale.
Or celle-ci doit continuer à préserver un équilibre entre l’objectif de recherche, la poursuite des infractions et la garantie de la liberté et des droits des citoyens. Une simplification de la procédure pénale ne permet aucunement une amélioration de la qualité des enquêtes.
Face à cela, nous avons défendu que la procédure pénale était une garantie indispensable en matière de libertés et de droits fondamentaux pour tous les justiciables, qu’il n’aurait pas fallu simplifier.
De plus, en matière de droit pénal, nous avons mis en relief que l’amende forfaitaire délictuelle représentait un risque d’arbitraire et de disparités de traitement contraires au principe d’égalité devant la justice. Nous dénonçons donc le maintien d’une amende forfaitaire faisant fi du principe d’opportunité de la peine. Nous rappelons qu’il s’agit d’une procédure de masse, systématisée, qui ne fonctionne déjà pas en termes de régularisation des délits.
Nous regrettons également que la question de la formation approfondie des policiers et gendarmes à la procédure pénale n’ait pas été élevée au rang de priorité par ce texte.
En effet, la suppression des trois ans d’ancienneté requis pour passer le concours d’OPJ est un abaissement des exigences en termes de recrutement qui n’est pas souhaitable. La responsabilité nécessite la formation, l’expérience et le recul. Une prise de poste immédiate à la sortie de l’école ne permet pas de satisfaire de telles exigences, bien que cela soit le cas à la sortie d’autres écoles de la fonction publique, comme l’École nationale de la magistrature (ENM).
De même qu’il est difficile d’être jugé par un juge de 25 ans, il sera de même difficile pour un prévenu d’être perquisitionné par un OPJ novice ou pour des policiers d’être encadré par un OPJ sans expérience.
Ce texte est un projet de loi de chiffres, d’effectifs, qui ne se penche pas sur l’humain, sur le rapport entre citoyens et police, les citoyens et le service public. La modernisation du ministère de l’intérieur se paie au prix de la déshumanisation de la police : c’est une rupture.
Le ministère impose sa vision. Il ne prend pas en compte, par exemple, l’impopularité de la police dans les quartiers populaires et les difficultés structurelles de la police. Vous devez accepter, monsieur le ministre, le constat de cette défiance d’une partie de notre jeunesse à l’égard d’une police qui met la pression sans s’atteler, avec d’autres services publics, à resserrer les liens distendus.
C’est une évidence : le tout-répressif ne fonctionne pas et n’a jamais porté ses fruits, bien au contraire ! Il faut donc repenser l’action de notre police, mais aussi de la justice.
Dans le domaine du maintien de l’ordre, ce projet de Lopmi consacre également une police de la répression contre ce qui est dénommé dans le rapport annexé la « subversion ».
Nous défendons une doctrine selon laquelle les dispositifs de maintien de l’ordre doivent reposer le plus souvent possible sur la négociation, le dialogue et la pédagogie, doctrine que nous défendions déjà dans notre proposition de loi du 22 janvier 2019 visant à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l’ordre, et à modifier la doctrine dans ce domaine.
Il faut enfin tirer les leçons des méthodes d’encadrement des manifestations, depuis celles contre la loi El Khomri jusqu’aux manifestations de « gilets jaunes » et aux mouvements lycéens, par exemple.
Il y a aujourd’hui urgence à tirer les leçons de l’escalade de la violence et de l’usage disproportionné de la force publique par les autorités. Un travail d’ampleur doit être engagé pour mettre en œuvre des stratégies de désescalade efficaces. Celui-ci doit commencer par une étude sérieuse, complète, détaillée et documentée des avantages et des inconvénients de chaque type de doctrine.
Le groupe CRCE refuse de stigmatiser les forces de l’ordre ; je l’ai dit à plusieurs occasions. Et c’est justement parce que nous sommes soucieux des conditions de travail de nos policiers et gendarmes, mais également du sens des professions de la sécurité publique, que nous voterons contre ce texte. Votre projet de Lopmi est contraire non seulement à l’objectif de rapprochement de la police avec les citoyens, mais également à l’idée que nous nous faisons du métier de policier.
Notre peuple exprime souvent une grande inquiétude face aux questions de sécurité. Nous ne pensons pas, contrairement à vous, que la fuite en avant sécuritaire réponde à ces préoccupations. Les chiffres, monsieur le ministre, sont là pour le prouver.
C’est dans le cadre d’un projet de société mettant le service public au cœur de l’épanouissement collectif que nous concevons une action de la police renouvelée, restaurée, efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte portant loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur va franchir une nouvelle étape cet après-midi devant le Sénat.
Et si ce projet de loi a été significativement réduit entre le premier dépôt et le deuxième, la discussion parlementaire, qui – une fois n’est pas coutume – a débuté au Sénat, aura permis des échanges qualitatifs dont la Haute Assemblée a le secret et, désormais, l’exclusivité.
Cette ambiance tient au temps que vous avez consacré personnellement, monsieur le ministre, à répondre à chacun de nos collègues lors de la présentation des amendements ; nous l’avons constaté au cours des trois jours de débat.
Le texte a connu des évolutions significatives au stade tant de l’examen en commission que de la séance publique. Les propositions d’améliorations sont venues de toutes les travées de l’hémicycle. Un certain nombre d’entre elles ont été retenues.
Ainsi, à l’article 1er, l’économie générale du rapport annexé a été non pas bouleversée, mais plutôt confortée.
Le rapport a été amendé ponctuellement pour être enrichi par les travaux de la Haute Assemblée et par la connaissance empirique des sénateurs dans leurs départements. Je pense aux 200 nouvelles brigades de gendarmerie – cela vient d’être évoqué –, aux modalités de leur construction et au rôle que les collectivités territoriales vont jouer, aux côtés de l’État, pour faire de ces brigades une réalité. Je pense également à l’amendement de notre collègue Dominique Vérien sur les maisons de la confiance dans chaque département.
Le champ de la cybersécurité a été longuement évoqué dans nos échanges, et c’est bien évidemment nécessaire tant les attaques numériques et les demandes de rançons sont entrées dans la vie de nos entreprises. Contraindre à un dépôt de plainte dans un délai rapide, c’est permettre à nos cyberpoliciers et cybergendarmes d’intervenir au plus vite.
En plus de la modernisation numérique de votre ministère, qui représente la moitié de l’effort prévu dans la Lopmi, nous avons inscrit dans le dur de la loi le réseau Radio du futur. Grâce à vous, monsieur le ministre, j’ai pu être témoin que les industriels français retenus étaient déjà à l’œuvre. Ainsi, notre pays pourra donner à nos forces de sécurité comme aux services de secours des moyens de communication modernes et résilients en cas de crise.
Je tiens ici à dire que, sur proposition de mon collège rapporteur Marc-Philippe Daubresse, le Sénat a renforcé une fois encore notre arsenal pénal concernant les violences contre les élus, les refus d’obtempérer et les rodéos urbains. L’actualité nous rappelle combien il est nécessaire que les moyens de terrain permettent de mettre en œuvre la sévérité renforcée de la loi que nous nous apprêtons à voter.
Dans le reste du texte, des mesures d’amélioration ont été apportées pour simplifier la procédure pénale. Nous avons prévu le recours à la visioconférence pour la prise de plainte comme pour la déposition, permettant une fois de plus de prendre en compte les réalités nouvelles vécues par nos concitoyens, et parmi eux, par des justiciables parfois très éloignés des commissariats de police et des brigades de gendarmerie ; il s’agit d’une faculté, et non d’une obligation.
Mais, dans ce texte, c’est bien la création des assistants d’enquête auprès des OPJ qui devrait être de nature à améliorer significativement le quotidien des enquêteurs en les soulageant d’une charge administrative bien trop lourde.
Dès l’entrée en vigueur de la Lopmi, il faudra embaucher et former ces 5 500 personnels dans la police nationale ou la gendarmerie nationale. Cet enjeu majeur constituera votre challenge, monsieur le ministre, et celui de votre ministère une fois le texte promulgué.
Le Sénat a fait le choix d’accompagner la déjudiciarisation de nombre d’affaires, en privilégiant le recours aux amendes forfaitaires délictuelles.
Nous n’avons pas emprunté le chemin périlleux de leur généralisation, qui aurait abouti à créer 4 000 cas de figure dans lesquels les AFD auraient été applicables. Il existe actuellement en droit positif 10 délits pour lesquels ces amendes peuvent être infligées. Dans le texte que le Sénat s’apprête à adopter, il y en aura 24, soit 14 de plus. Nous pourrons ainsi évaluer leur mise en œuvre infraction par infraction. Nous savons que certaines AFD fonctionnent bien, voire très bien, quand d’autres sont moins efficaces, d’où l’intérêt du contrôle parlementaire à cet égard.
Nous avons renforcé l’outrage sexiste et sa répression. Et nous avons prévu que l’outrage sexiste aggravé devienne un délit. C’est très important. Le lien de ces dispositions avec le texte n’est pas tout à fait évident, mais l’actualité nous rappelle encore une fois qu’il convient d’avancer sur ce point.
Forts de l’expérience de la crise du covid-19 et des travaux du Sénat en la matière, nous avons aussi renforcé le pouvoir du préfet dans le département et décidé que les agences régionales de santé (ARS) seraient à leur disposition, à l’instar de toutes les administrations de l’État, dès lors qu’il s’agira de prendre des décisions de terrain rapides et d’être efficaces et résilients.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Loïc Hervé. Parfois, nos échanges ont permis de mettre en lumière d’autres débats, qu’il sera nécessaire de continuer lors de l’examen de textes appropriés.
Si la commission des lois du Sénat a chargé deux de nos collègues d’une mission d’information sur la réforme de la police judiciaire, nous avons pu débattre de la question des violences conjugales et intrafamiliales. Par ailleurs, nous avons évoqué la question du droit des images, notamment dans la perspective des jeux Olympiques, ainsi que celle de l’accueil des gens du voyage.
Il appartient désormais au Gouvernement de présenter les textes qui permettront de discuter de ces sujets. En tout cas, pour ce qui le concerne, le Sénat s’en saisira.
Monsieur le ministre, ce projet de loi confère des moyens significatifs à votre ministère pour ses missions régaliennes. Il est fortement attendu sur le terrain par les acteurs concernés, qui – nos auditions l’ont montré – le méritent ô combien. Son adoption devrait réunir un consensus assez large, auquel le groupe Union Centriste apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est vraiment excellent, et nous devons nous réjouir d’avoir l’occasion d’examiner des propositions aussi positives et porteuses de remise en bon ordre en termes tant d’ordre public que de délinquance, entre autres dossiers.
C’est la raison pour laquelle, à titre personnel, j’avais initialement décidé de voter en faveur du projet de loi. (Exclamations amusées.)
M. Loïc Hervé. Jusqu’à présent, c’est bien ; vous devriez vous arrêter là !
M. Jean Louis Masson. Cependant, quand on examine un texte de ce type, on se rend compte que son application dépendra aussi de l’ensemble des dispositifs qui l’entourent et des mesures prises.
Or, monsieur le ministre, la politique que vous avez annoncée depuis maintenant un certain temps comprend un élément qui m’inquiète profondément et qui m’amène à une réflexion : tout ce que l’on peut faire pour renforcer les structures, comme vous le faites dans ce projet de loi, risque d’être menacé par certaines réformes que vous envisagez par ailleurs. Je pense notamment à la mise sous tutelle de la police judiciaire (PJ), sous les ordres des préfets et des pouvoirs locaux. (M. le ministre le conteste.)
M. Loïc Hervé. Hors sujet !
M. Jean Louis Masson. Je crois pour ma part que l’on ne peut pas donner beaucoup de pouvoirs à la police si cela ne s’accompagne pas d’un respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire et de la police judiciaire.
Tous ceux qui exercent des fonctions depuis plusieurs années dans la vie publique savent qu’il y a toujours, dans les grandes villes, des microcosmes au sein desquels des liens finissent par se tisser entre le préfet et un certain nombre de structures politiques, économiques ou autres…
Ce qui fait la force de la police judiciaire, c’est que, contrairement au reste de l’administration de la police, celle-ci n’est actuellement pas impliquée dans les rapports locaux, avec les risques d’influence que cela suppose. Dans certaines villes, ce ne sont même plus des risques ; les réseaux d’influence sont des réalités.
Je crois donc que tout ce que vous faites là est gâché par des choix politiques complètement aberrants et profondément inquiétants du point de vue du respect d’une certaine indépendance de la justice et des organes travaillant pour elle, comme la PJ. On ne peut pas l’accepter !
Compte tenu de la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, je ne sais pas si la réforme de la police judiciaire passera au Parlement… (Marques d’impatience sur les travées du groupe SER.)
C’est la raison pour laquelle je profite de cette séance pour vous faire part de ma totale réprobation à l’égard des mesures envisagées. Cela rassurerait tout le monde si la réforme de la police judiciaire était abandonnée !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de l’examen de ce projet de loi, on ne peut que constater que ce projet de loi, avec ses propositions initiales comme avec les apports importants du Sénat, au regard des dispositions tant programmatiques que normatives, va dans la bonne direction.
Je veux saluer le travail des deux rapporteurs et l’investissement du ministre, au travers des explications qu’il a apportées.
Je ne reprendrai pas les thèmes du sommaire du rapport, qui aborde un certain nombre de sujets sur lesquels nos forces de sécurité publique attendaient des développements et un soutien matériel, technique, numérique et juridique.
Notre assemblée a su défendre d’autres sujets, comme, dans le cas de notre groupe, celui de l’accessibilité des personnes en situation de handicap. Je me réjouis de l’adoption de plusieurs amendements de notre collègue Maryse Carrère.
Je me félicite également de la perspective budgétaire. L’augmentation annoncée semble à la hauteur des enjeux de sécurité publique auxquels notre pays est et sera confronté. Pour autant, il faut que ces moyens soient déployés à bon escient. Je pense notamment à la formation : les carences en la matière ne sont plus à démontrer, surtout en ce qui concerne la formation continue. Le rapport annexé évoque la formation tant en matière numérique que pour les métiers de terrain. J’espère donc qu’il sera suivi d’effet, d’autant que l’article 9 supprime les trois années de pratique pour devenir OPJ.
Je veux revenir également sur l’implantation de nouvelles casernes de gendarmerie. Pour assurer le maintien de l’ordre dans les territoires ruraux, chacun sait la nécessité d’implanter de nouvelles brigades, notamment dans les territoires qui connaissent une poussée démographique. Cela concerne la Gironde, comme j’ai eu l’occasion de vous le dire durant nos échanges. Je serai donc attentive à ce point, et je sais que je ne serai pas la seule ; vous vous en doutez bien.
Au cours de nos travaux, nous avons pu aborder longuement certains aspects. Je pense en particulier à la réforme de la police nationale et, plus spécifiquement, aux problématiques liées à la police judiciaire. Nous avons été quelques-uns à relayer les inquiétudes des acteurs de terrain et des magistrats.
Notre assemblée a fait inscrire en dur dans la loi que la réforme devra « tenir compte des spécificités de la police judiciaire ». Vous avez eu, monsieur le ministre, des propos rassurants, notamment sur la question de l’indépendance des magistrats dans la direction de l’instruction. Nous espérons que ces engagements permettront de réformer sereinement notre police. Car oui, l’évolution de cette dernière est nécessaire !
Les travaux menés pour cadrer l’usage de l’amende forfaitaire étaient aussi bienvenus. Le projet initial soulevait des inquiétudes en raison de son caractère très général. La rédaction par nos rapporteurs de l’article 14, qui limite strictement le champ d’application du dispositif, est, là aussi, de nature à nous rassurer. L’amendement du Gouvernement adopté en séance a complété le dispositif. La solution retenue me paraît plus sage au regard des principes qui gouvernent notre justice.
L’une des innovations du texte soulève néanmoins des interrogations : il s’agit de la création de la nouvelle fonction d’assistant d’enquête. L’analogie avec les greffiers est séduisante, mais elle présente aussi son lot de questionnements. Comment seront-ils formés et encadrés ? Comment seront-ils rémunérés ? Comment seront-ils répartis ? Comment seront-ils contrôlés ? Des échanges ont eu lieu en séance ; je ne crois pas qu’il faille renoncer à l’institution de ces nouveaux personnels, mais il faudra veiller à la manière dont ils seront mis en place.
Au terme de nos échanges, il reste cependant quelques sujets d’interrogation, voire quelques regrets.
Notre collègue Roger Karoutchi l’a évoqué très justement dès la discussion générale : la police et la justice se plaignent souvent l’une de l’autre, au point parfois de s’opposer, alors qu’il y aurait lieu de les penser ensemble.