compte rendu intégral
Présidence de M. Alain Richard
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Orientation et programmation du ministère de l’intérieur
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (projet n° 876 [2021-2022], texte de la commission n° 20, rapport n° 19, avis n° 9).
Mes chers collègues, dans l’attente de l’arrivée de M. le ministre de l’intérieur, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à dix heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du chapitre Ier du titre III, l’examen de l’article 6.
TITRE III (suite)
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ACCUEIL DES VICTIMES ET À LA RÉPRESSION DES INFRACTIONS
Chapitre Ier (suite)
Améliorer l’accueil des victimes
Article 6 (suite)
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après l’article 15-3-1, il est inséré un article 15-3-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 15-3-1-1. – Aux fins de bonne administration de la justice, toute victime d’infraction pénale peut, dans les cas d’atteinte aux biens et selon des modalités prévues par décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, se voir proposer de déposer plainte et d’être entendue dans sa déposition par les services ou unités de police judiciaire par un moyen de télécommunication audiovisuelle. » ;
2° La troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 706-71 est ainsi rédigée : « Il est dressé un procès-verbal des opérations qui ont été effectuées. »
M. le président. L’amendement n° 56, présenté par MM. Benarroche, Breuiller et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme M. Vogel et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le moyen de télécommunication audiovisuelle ne peut pas être imposé à la victime.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement pourrait paraître redondant au regard des dispositions déjà existantes. Cependant, je l’ai rappelé plusieurs fois, il semble nécessaire d’insérer dans une loi de programmation des lignes directrices, et celle-ci nous paraît importante.
Nous souhaitons préciser et inscrire expressément dans ce texte que les justiciables doivent toujours avoir le choix de leur mode de relation avec les forces de sécurité. Cela suppose de ne pas les enfermer dans une relation exclusivement numérique.
Certes, vous allez objecter qu’il n’est nullement indiqué qu’ils n’auront d’autre choix que de recourir à une solution numérique, en l’occurrence aux moyens de télécommunications audiovisuels. Cependant, l’expérience vécue par un certain nombre de nos citoyens, à l’occasion de la dématérialisation des services publics ou du passage au numérique, nous conduit à demander l’inscription de cette disposition dans le projet de loi d’orientation et de programmation.
Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, le rapport annexé au projet de loi ne prône pas le tout-numérique, et une personne sera toujours présente au guichet. Nous l’avons bien entendu, mais nous aimerions pouvoir aussi le lire dans le texte.
De plus, cette procédure en ligne suscite des interrogations s’agissant des liens humains, des gestes ou des difficultés d’expression, qu’il est possible de percevoir en présentiel, mais pas en vidéoconférence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je l’ai rappelé hier, et le ministre l’a confirmé, il s’agit d’une faculté : rien n’est imposé par le projet de loi. Si les services de police sont contactés par téléphone afin d’indiquer quelle est la meilleure procédure à suivre, ils répondront qu’il existe deux possibilités.
En outre, même s’il n’est pas en discussion commune avec le présent amendement, je préférerais que soit adopté l’amendement n° 24, présenté par M. Jérôme Durain et le groupe socialiste, que nous allons examiner dans un instant, car ses dispositions me semblent mieux écrites.
La commission demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser mon retard.
Pour ma part, je suis favorable à cet amendement, ou du moins à son principe. Toutefois, comme M. le rapporteur, il me semble que l’amendement n° 24, présenté par le sénateur Durain, est mieux rédigé.
Je suggère donc à M. Benarroche de retirer son amendement, au profit de l’amendement n° 24.
M. le président. Monsieur Benarroche, l’amendement n° 56 est-il maintenu ?
M. Guy Benarroche. Non, je le retire au profit de l’amendement n° 24, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 56 est retiré.
L’amendement n° 24, présenté par M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur et Gillé, Mme G. Jourda, M. Jacquin, Mmes Carlotti, Conconne et Artigalas, MM. Cardon et Cozic, Mmes Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le recours à la procédure visée au premier alinéa ne fait pas obstacle à l’organisation, à sa suite, d’une audition de la victime dans les locaux des services ou unités de police judiciaire si les circonstances le rendent nécessaire. » ;
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Tout le monde l’a compris, cet amendement a pour objet d’empêcher que la téléprocédure ne soit le seul moyen permettant d’accueillir les justiciables ou les victimes et de s’assurer que ce dispositif ne fasse pas obstacle à un accueil physique ultérieur. Je remercie d’ailleurs M. le ministre de s’y être déclaré favorable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. L’avis de la commission est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon les derniers chiffres de l’Observatoire national des violences faites aux femmes, 88 % des victimes d’agressions sexuelles ou de viols ne portent pas plainte. Sont en cause le sentiment de honte et le surencombrement des commissariats, l’attente interminable au poste de police, la mauvaise formation des agents au recueil de la parole des victimes et le mauvais accompagnement qui s’ensuit.
Si des formations spéciales concernant le traitement des violences sexistes et sexuelles existent, elles sont accomplies sur la base du volontariat. En 2018, une étude menée sur un groupe de 500 femmes victimes de violences a montré les failles des bureaux de plaintes : 60 % des participantes à cette étude ont déclaré que des policiers avaient refusé de prendre leur plainte ou tenté de les en décourager.
Des centaines de témoignages ont aussi été collectés sur le site « payetapolice.tumblr.com », afin de dépeindre le climat délétère qui règne au sein des commissariats. Aujourd’hui encore, on s’étonne et on reproche aux victimes de ne pas porter plainte ou de sortir du silence bien trop tard. Dans de telles conditions, je les comprends !
L’article 6 permet le dépôt de plainte en ligne et offre la possibilité d’être entendu au moyen d’une visioconférence pour réaliser sa déposition. C’est une première réponse positive adressée aux victimes, accompagnées ou non par un proche ou un professionnel : elles peuvent, depuis leur domicile, prendre leur temps et passer le cap, parfois douloureux, du dépôt de plainte.
Toutefois, si la dématérialisation des procédures est nécessaire, les garanties essentielles de confidentialité et de protection de la vie privée doivent être assurées.
Je voterai donc en faveur de cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 162 rectifié bis est présenté par Mmes Billon, de La Provôté, Dindar, Férat, Guidez, Jacquemet, Loisier, Morin-Desailly, Perrot, Sollogoub et Tetuanui et MM. Capo-Canellas, Delcros, Détraigne, Kern, Lafon, Laugier, Le Nay, Levi, Louault et Moga.
L’amendement n° 166 rectifié bis est présenté par MM. Favreau, Belin, J.-B. Blanc, D. Laurent et Cuypers, Mme Dumont, MM. Laménie, Gremillet et Houpert, Mme Goy-Chavent, MM. Cadec et Chatillon, Mme Dumas, MM. Genet et Piednoir, Mme Garriaud-Maylam, MM. Cambon, Longuet, Somon et Tabarot et Mme Schalck.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au 8° de l’article 10-2 du code de procédure pénale, après le mot : « procédure, », sont insérés les mots : « y compris au stade du dépôt de plainte ou de l’audition libre, ».
La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 162 rectifié bis.
Mme Annick Billon. Certaines femmes victimes de violences conjugales souhaitant porter plainte contre leur bourreau peuvent être découragées par la complexité apparente du système juridictionnel français, en plus de l’emprise et des menaces qu’elles subissent.
Cet amendement vise donc à garantir à ces femmes le droit d’être accompagnées par un avocat, dès le stade du dépôt de plainte et en audition libre, et, ainsi, à les conforter dans leur décision de déposer plainte.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, pour présenter l’amendement n° 166 rectifié bis.
M. Gilbert Favreau. Il s’agit ici d’obtenir une amélioration des droits de la défense, dès le début des procédures. En effet, lorsque la victime dépose plainte, la possibilité d’être assistée par un avocat lui est généralement offerte si elle se constitue partie civile. Ce n’est pas le cas lorsqu’elle n’exprime pas sa volonté de se constituer partie civile.
Le présent amendement vise donc à insérer cet article additionnel, en précisant que, en cas de dépôt de plainte ordinaire, la victime peut être assistée par un avocat, ce qui n’est pas le cas dans la rédaction actuelle de l’article 10-2 du code de procédure pénale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je suis quelque peu étonné : au sein de la majorité sénatoriale, de nombreuses voix se sont à juste titre élevées pour dénoncer les lourdeurs de la procédure, celle-ci devant toujours être subordonnée au respect des droits et libertés, comme nous l’avons souligné hier.
Or il est ici question d’alourdir de nouveau le code de la procédure pénale, dont l’article 10-2 dispose – vous le savez parfaitement, monsieur Favreau, vous qui êtes un juriste émérite – que les personnes peuvent être accompagnées « chacune, à leur demande, à tous les stades de la procédure », donc pas seulement quand elles se constituent parties civiles.
Je comprends très bien l’intention, et, sur le fond, les rapporteurs sont d’accord. Comme cela a été dit hier, tout doit être fait pour faciliter les démarches des victimes : nous devons nous placer de leur côté, plutôt que d’ajouter dans le droit des mesures qui serviront à des délinquants dont les agissements sont inadmissibles.
En ce qui concerne le cas évoqué par M. Favreau, selon moi, les policiers indiqueront bien aux personnes qui se présenteront à eux qu’elles peuvent demander, dès ce stade, à être accompagnées d’un avocat. Mais il serait intéressant que M. le ministre nous le confirmât…
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le rapporteur, je pourrais reprendre toute votre argumentation, mais je vais me contenter de vous lire l’article 10-2 du code de procédure pénale, notamment son alinéa 8 : « Les officiers et les agents de police judiciaire informent par tout moyen les victimes de leur droit […] d’être accompagnées chacune, à leur demande, à tous les stades de la procédure, par le représentant légal et par la personne majeure de leur choix, y compris par un avocat, sauf décision contraire motivée par l’autorité judiciaire compétente » – donc pas par les services de police.
C’est ce que nous avons ajouté dans ce code, il y a un an, par la loi du 24 décembre 2021. Ce débat a donc déjà eu lieu.
Je veux redire que toute personne qui est victime, quelle que soit la procédure, a le droit de se faire accompagner par la personne majeure de son choix. Nous avions ajouté les mots : « y compris par un avocat », puisqu’il nous avait été dit que les avocats n’étaient parfois pas acceptés par les services de police ou de gendarmerie. La quasi-totalité des avocats étant majeurs en France, il me semble que cette disposition s’applique désormais à 100 % des cas dans les commissariats et les gendarmeries.
J’ajoute que, après le vote de la loi par le Parlement, et conformément d’ailleurs à ce que j’avais indiqué devant le Sénat, j’ai donné personnellement instruction à tous les chefs de service de police et de gendarmerie de ne jamais refuser, même si les locaux sont exigus – cette excuse était parfois donnée à la victime – qu’une personne majeure, et pas seulement un avocat, puisse accompagner les victimes si celles-ci le souhaitent.
Le Gouvernement demande donc le retrait de ces amendements identiques.
M. le président. Madame Billon, l’amendement n° 162 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Annick Billon. Vous l’avez compris, mes chers collègues, l’objet de l’amendement est de permettre systématiquement le recours à cet accompagnement, y compris dans le cadre de violences intrafamiliales.
En effet, le choix d’être accompagné est laissé à la victime. Or, dans le cas des violences intrafamiliales, des phénomènes d’emprise ou des menaces exercées sur la victime peuvent perturber la décision de cette dernière, avec pour conséquence qu’elle ne demande pas d’assistance, alors même qu’elle en a peut-être besoin.
Il serait préférable que cet accompagnement soit prévu de façon systématique, afin que la victime puisse bénéficier d’un meilleur conseil, dès le dépôt de plainte.
Pour l’instant, je maintiens donc mon amendement, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Favreau, l’amendement n° 166 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Gilbert Favreau. Dans le même esprit, je voulais évoquer les dépôts de plaintes.
Au-delà du cas des femmes victimes de violences, une personne qui souhaite déposer plainte et qui n’est pas informée des finesses de la procédure se voit souvent proposer de faire une déclaration simple, sans plainte. La présence d’un avocat à ce moment précis me paraît effectivement importante.
M. le rapporteur et M. le ministre considèrent que, dans l’état de la rédaction du code de procédure pénale, cet amendement est satisfait. (M. le rapporteur et M. le ministre le confirment.) Dans ce cas, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 166 rectifié bis est retiré.
Mes chers collègues, il me semble qu’il s’agit d’un sujet dans le sujet : l’audition libre est bien déjà considérée comme faisant partie de la procédure…
La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Tout à fait, monsieur le président !
Madame Billon, la solution que vous proposez serait pire. En effet, nous connaissons tous des cas où des personnes, choquées par ce qui leur est arrivé, veulent déposer plainte dans l’urgence et se dirigent directement vers un service de police ou de gendarmerie. Or la loi de la République empêche les policiers ou les gendarmes de leur dire qu’elles ne peuvent pas déposer plainte parce qu’elles ne sont pas accompagnées.
En cas de violences conjugales ou d’agression sexuelle, lorsqu’une femme pousse la porte d’un commissariat qui est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il est impossible de lui dire, par exemple à deux heures du matin, d’attendre et d’appeler quelqu’un de son choix, notamment un avocat, pour venir l’assister. On risque d’aboutir à une situation qui serait contraire à votre souhait…
Mme Annick Billon. Je retire mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 162 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 30, présenté par Mmes Rossignol et de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, MM. Kanner, Marie, Bourgi, Kerrouche, Leconte, Sueur et Cardon, Mmes Carlotti et Conconne, MM. Cozic et Gillé, Mmes G. Jourda et Le Houerou, M. Jacquin, Mmes Artigalas, Meunier et Monier, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 15–3–1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 15–3–… ainsi rédigé :
« Art. 15–3–… – La victime présumée de violences commises par son conjoint ou son ancien conjoint, son partenaire ou son ancien partenaire, son concubin ou son ancien concubin est informée de chaque étape de la procédure une fois que les violences commises à son encontre ont été signalées aux autorités compétentes.
« Elle est prévenue avant la remise en liberté ou le placement sous contrôle judiciaire de l’auteur présumé des violences.
« Dans le cadre de la procédure judiciaire, si une condamnation à une peine d’emprisonnement avec mandat de dépôt est prononcée, la victime est prévenue avant la sortie de détention de l’auteur présumé des violences. »
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Je souhaiterais simplement formuler une courte remarque sur les précédents amendements identiques, qui ont été retirés avant que je ne puisse m’exprimer.
Il était tout de même pertinent de préciser que le dépôt de plainte concernait tous les stades de la procédure. En effet, je ne suis pas sûre que cela soit su de tous les avocats ni dans tous les commissariats.
Quant aux commissariats ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre, si vous pouviez nous donner des adresses, monsieur le ministre, nous en serions ravis, parce qu’ils sont peu nombreux dans nos régions ! (M. le ministre proteste.) Tel n’est pas le cas à Compiègne, en tout cas. Le plus souvent, il faut attendre le lendemain matin pour s’y rendre et déposer plainte.
L’amendement n° 30 a pour objet que les victimes soient informées à chaque stade de la procédure de la situation du mis en cause, en particulier lorsque celui-ci est remis en liberté sous contrôle judiciaire ou lorsqu’il sort de détention.
En effet, les victimes ne sont pas systématiquement informées de la remise en liberté de l’auteur des violences qu’elles ont subies. Nous demandons que cette mesure soit prévue par le code de procédure pénale et appliquée par la justice ou par les services compétents.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il me semble que M. le ministre et moi-même avons été clairs sur ce sujet.
J’ajouterai une anecdote. J’ai été maire pendant vingt-neuf ans, et, un jour, une femme, victime d’une agression et traumatisée par ce qui lui était arrivé, est entrée dans mon bureau. Je lui ai proposé de l’aider à trouver un avocat, puisqu’elle en avait le droit à tous les stades de la procédure – c’est d’ailleurs beaucoup plus clair aujourd’hui que lorsque je l’ai reçue. Elle m’a répondu qu’elle ne le souhaitait pas, car elle avait trop honte. Je lui ai dit alors de porter plainte le plus vite possible et j’ai téléphoné au commissariat de police, afin qu’elle soit immédiatement accueillie et que sa plainte puisse être recueillie.
Toutefois, il faut faire attention : ces dispositions pourraient se retourner contre les intérêts de la défense ; c’est ce que le ministre et moi-même essayons de vous expliquer.
Si les victimes ne connaissent pas ces dispositions, ce qui peut être le cas dans les quartiers sensibles ou dont la population est en situation de précarité, cela peut avoir pour conséquence qu’elles renoncent à porter plainte.
Cette disposition est écrite clairement dans le code de procédure pénale, et nous avons très bien fait d’y ajouter la possibilité de demander explicitement l’assistance d’un avocat.
Mme Laurence Rossignol. Je ne vois pas quel est le rapport avec mon amendement !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mais si ! Vous demandez que la victime de violences conjugales soit informée à toutes les étapes de la procédure pénale. Or c’est écrit explicitement dans l’article 10-2 du code de procédure pénale.
Mme Laurence Rossignol. Soit !
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Pour les raisons que le ministre et moi-même avons déjà développées, j’émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la sénatrice, vous conviendrez volontiers que cette question relève davantage de la compétence du garde des sceaux que de celle du ministre de l’intérieur, même si je vais vous répondre.
Ce que vous souhaitez, si j’ai bien compris l’objet de votre amendement, c’est informer l’éventuelle victime, même lorsqu’il n’y a pas de danger potentiel pour elle.
Or l’article 144-2 du code de procédure pénale, modifié le 1er octobre 2004, prévoit que « lorsqu’une mise en liberté est ordonnée […], mais qu’elle est susceptible de faire courir un risque à la victime, la juridiction place la personne mise en examen sous contrôle judiciaire en la soumettant à l’interdiction de recevoir ou rencontrer la victime ou d’entrer en relation de quelque façon que ce soit avec elle en application des dispositions [de] l’article 138. Cette dernière en est avisée conformément aux dispositions de l’article 138-1 ».
Mme Laurence Rossignol. Cet article ne concerne-t-il pas seulement le cas de la détention provisoire ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Non, il me semble que cet article s’applique à tous les auteurs de violences, quelle que soit leur incrimination et quel que soit leur régime juridique.
Actuellement, la loi prévoit deux conditions : ces personnes doivent être mises en examen et présenter un danger pour la victime. Mais vous souhaitez, me semble-t-il, que même sans mise en examen ou sans danger apparent – ce n’est pas à moi de juger de cela, mais nous sommes tout de même en train de faire le droit –, on puisse informer l’éventuelle victime. C’est ainsi que je comprends votre amendement.
Ma compétence est limitée pour un tel débat juridique. Je n’ai pas les services nécessaires pour traiter cette question et je n’ai pas examiné plus en amont votre amendement – je ne crois pas, d’ailleurs, qu’il ait été déposé en commission.
Par conséquent, je ne peux vous donner ni avis favorable ni avis défavorable. Cette mesure impliquerait que les services de police et de gendarmerie, et surtout les parquets, puissent prévenir les victimes. Le nombre de dossiers, comme vous le savez, s’élève à 400 000 par an : c’est beaucoup de travail !
Je serais donc tenté, madame la sénatrice Rossignol, de vous proposer l’alternative suivante.
Une première possibilité serait de retirer votre amendement, afin qu’il soit étudié à l’Assemblée nationale en vue d’une éventuelle commission mixte paritaire (CMP) – vous pourriez imaginer que l’on opte pour la démarche inverse, je le comprends très bien, mais M. le rapporteur s’est exprimé. En tout cas, je suis ouvert à la discussion.
Une seconde possibilité serait d’intégrer cette mesure au texte du garde des sceaux. Mais je conviens qu’il ne viendra pas en discussion avant quelques mois et que l’urgence est au rendez-vous.
Enfin, je puis m’engager à ce que, avec les services du garde des sceaux et vous-même, madame Rossignol, nous examinions le sujet.
Pour ces raisons, et pour que l’on puisse travailler la question en vue d’une prochaine lecture à l’Assemblée nationale, j’exprime un avis de sagesse sur cet amendement, tout en souhaitant plutôt qu’il soit retiré.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous avons travaillé ce dossier, déjà, dans la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, un texte présenté, tout à fait normalement, par la Chancellerie et défendu au banc du Gouvernement par le garde des sceaux.
Sont concernés dans cette loi, pour être plus précis par rapport à ma première intervention, les articles 712-16 et suivants du code de procédure pénale, qui portent sur l’étape cruciale, vous l’avez dit, de la libération, et l’article 745, qui est relatif au sursis avec mise à l’épreuve.
Autant il est légitime que le ministre, dans le respect de l’esprit de son projet de loi, nous propose un certain nombre de procédures améliorées – effectivement, c’est capital à l’heure actuelle, car, à notre grand désespoir, ces violences ne font que s’accroître –, autant il me semble préférable qu’une telle mesure soit présentée dans le cadre du futur texte sur la justice.
Pour autant, comme le ministre le rappelle, nous avons eu ce débat lors de l’examen de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, et des amendements de même nature n’ont pas été adoptés.
S’il y a une avancée sur ce point à l’Assemblée nationale, nous réétudierons la question avec les services du ministère, afin de voir s’il faut aller plus loin en CMP. Mais, à ce stade des débats, et avec des amendements présentés directement en séance, sans avoir été discutés dans des conditions normales au sein de la commission, il me semblerait plus cohérent que cette mesure soit intégrée, le cas échéant, dans le futur texte du ministère de la justice.
Tout en prenant le même engagement que le ministre dans le cas où il faudrait envisager des évolutions au niveau de la CMP, je demande donc le retrait de cet amendement.