M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, pour explication de vote.
M. Gilbert Favreau. Monsieur le ministre, le dispositif visé dans cet article a-t-il une parenté avec le projet NexSIS, envisagé par la direction générale de la sécurité civile, qui doit faciliter les communications entre tous les services d’incendie et de secours au niveau national ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Chaize, je comprends l’intérêt du sous-amendement que vous souhaitiez défendre. Le réseau Radio du futur est censé être résilient – c’est l’objet de l’une des clauses que nous imposons à nos cocontractants –, y compris en cas d’interventions négatives sur les réseaux. Vu l’intérêt majeur de ce puissant réseau, il doit continuer de fonctionner même en cas d’événement extraordinaire – calamité naturelle ou attaque contre les pylônes de radiodiffusion. Soyez rassuré : je vais mettre au défi les industriels sur ce point.
La réponse pénale que vous évoquiez est tout à fait envisageable, mais elle doit être examinée dans le cadre d’un texte relevant du garde des sceaux. Mais vous avez raison de mettre ce problème en avant : il est évident que la France connaît depuis plusieurs années, singulièrement depuis plusieurs mois, des attaques qui proviennent de l’ultragauche ou qui peuvent être qualifiées de terroristes – c’est le parquet national antiterroriste qui le dit. Ces sabotages affectent des éléments de modernité que sont notamment les réseaux radio et téléphonique, et font plonger en zone blanche des milliers de nos compatriotes.
La gendarmerie nationale – c’est souvent en zone rurale que ces attaques surviennent – est particulièrement mobilisée : elle procède à des enquêtes sur demande des magistrats et interpelle de nombreuses personnes. Mais, monsieur le sénateur, je constate comme vous que, sur ce sujet comme sur celui des bassines, nous rencontrons d’importantes difficultés malgré les moyens importants que nous déployons.
J’espère avoir répondu à vos interrogations. Je le répète, l’aggravation de l’arsenal pénal que vous avez évoquée relèverait d’un autre texte.
Monsieur Favreau, NexSIS concerne les appels d’urgence, tandis que le RRF est un réseau de communications technologiques entre la communauté des personnels de la puissance publique – policiers, gendarmes, pompiers, administration pénitentiaire, etc. Il ne s’agit donc pas de remplacer les numéros 117 et 118, qui reposent – et c’est heureux – sur d’autres réseaux ; il s’agit de créer un réseau global et unique du ministère de l’intérieur en lien avec d’autres ministères.
M. le président. En conséquence, l’article 5 est rétabli dans cette rédaction.
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par Mme Conconne, M. Durain, Mme de La Gontrie, M. Bourgi, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie et Sueur, Mme Artigalas, M. Cardon, Mme Carlotti, MM. Cozic, Gillé et Jacquin, Mmes G. Jourda, Le Houerou, Meunier, Monier et Rossignol, MM. Tissot, M. Vallet et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 137-1 du code de la procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Aux fins de bonne administration de la justice, dans les territoires régis par l’article 73 de la Constitution, le juge des libertés et de la détention peut recourir à des moyens de télécommunication audiovisuelle pour la tenue des comparutions relatives aux fonctions détaillées dans la présente section, dans les cas et selon les modalités prévues par décret. »
La parole est à Mme Catherine Conconne.
Mme Catherine Conconne. Nos pays sont gangrenés par le trafic de drogue avec sa cohorte quotidienne de drames. Pas plus tard que ce matin, un fonctionnaire a été blessé lors de l’interpellation de trafiquants présumés.
Lors de votre déplacement récent à la Martinique et en Guyane, vous avez fait montre, monsieur le ministre, de réactivité et annoncé des moyens importants pour lutter contre ce trafic que nous déplorons tous et qui transforme nos pays en une plaque tournante de produits stupéfiants avec tout ce que cela comporte comme dommages, y compris pour notre jeunesse qui s’adonne malheureusement à ce genre de pratiques.
Il faudra aussi dégager des moyens pour la justice. Lorsqu’un juge veut entendre quelqu’un qui est en Guyane, un magistrat de la Martinique doit s’y rendre en avion et donc s’extraire de ses tâches quotidiennes pour deux ou trois jours. À la Martinique, comme ailleurs, nous manquons de magistrats.
Par mon amendement, je demande au Gouvernement d’accepter le fait que les magistrats puissent employer les moyens modernes de télécommunications, en particulier la visioconférence – nous l’avons tous utilisée pendant la période du covid –, pour entendre en audience des personnes mises en examen, tout en respectant naturellement les règles habituelles en la matière.
Monsieur le ministre, nous devons mettre en œuvre des moyens importants. Car nous devons taper fort et nous devons aller vite, comme les élus locaux et vous-même l’avez rappelé lors de votre venue à la Martinique.
Nous devons réduire de manière drastique le trafic de drogue, y mettre fin si possible, parce qu’il fait vraiment trop de mal à nos pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Hervé, rapporteur. Ma chère collègue, la commission est pleinement consciente des problèmes auxquels vous entendez remédier par votre amendement, que vous avez présenté avec conviction.
Néanmoins, cet amendement pose une difficulté, puisque le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont jugé que l’on ne pouvait pas imposer aux parties, spécialement pour les questions relevant du juge des libertés et de la détention, un moyen de communication audiovisuelle.
Le cadre juridique doit donc être plus restrictif que ce qui est prévu à ce stade dans votre amendement et il doit préserver les droits de la défense. Il serait utile de travailler cette question avec le garde des sceaux et ses services.
C’est pourquoi la commission demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la sénatrice, je ne peux pas rester insensible à une telle conviction, en particulier quand il s’agit de votre belle île de la Martinique.
Je partage avec vous, vous le savez, l’absolue nécessité de lutter de manière implacable contre les stupéfiants. Du fait de sa position géographique, la Martinique est effectivement gangrenée par la drogue qui vient d’Amérique du Sud pour être vendue en Europe.
Il est vrai – je suis également d’accord avec vous sur ce point – que les moyens technologiques peuvent nous permettre d’aller plus vite, souvent en simplifiant la procédure pénale.
Ce n’est donc pas le ministre de l’intérieur que je suis qui va vous contredire, d’autant que j’ai moi-même proposé et mis en place des dispositions pour favoriser l’utilisation de la visioconférence pour des procédures administratives, par exemple l’expulsion d’étrangers, ce qui m’est parfois reproché, notamment par le groupe écologiste.
Je suis donc favorable par principe à ce type d’évolution, mais vous comprendrez que je me range aux arguments et à l’avis du rapporteur. Je ne suis pas le garde des sceaux – je peux le regretter parfois ! –, et c’est avec lui que vous devez discuter de ce sujet. L’utilisation de la visioconférence pose de lourds problèmes d’organisation aux services du ministère de la justice.
M. le président. Madame Conconne, l’amendement n° 17 est-il maintenu ?
Mme Catherine Conconne. Non, je le retire, monsieur le président, mais je le présenterai à un autre moment, parce que l’adoption d’une telle mesure serait d’une grande utilité.
M. le président. L’amendement n° 17 est retiré.
TITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ACCUEIL DES VICTIMES ET À LA RÉPRESSION DES INFRACTIONS
Chapitre Ier
Améliorer l’accueil des victimes
Article 6
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après l’article 15-3-1, il est inséré un article 15-3-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 15-3-1-1. – Aux fins de bonne administration de la justice, toute victime d’infraction pénale peut, dans les cas d’atteinte aux biens et selon des modalités prévues par décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, se voir proposer de déposer plainte et d’être entendue dans sa déposition par les services ou unités de police judiciaire par un moyen de télécommunication audiovisuelle. » ;
2° La troisième phrase du deuxième alinéa de l’article 706-71 est ainsi rédigée : « Il est dressé un procès-verbal des opérations qui ont été effectuées. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 136 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 207 est présenté par MM. Richard, Patriat, Mohamed Soilihi, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
d’atteinte aux biens
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 136.
M. Gérald Darmanin, ministre. Cet amendement important vise à revenir au texte initial du Gouvernement qui a été modifié par la commission des lois du Sénat sur l’initiative de son rapporteur, Marc-Philippe Daubresse.
Il s’agit de permettre à des citoyens de déposer plainte par visioconférence, grâce à l’identité numérique. Nous connaissons déjà la pré-plainte en ligne et vous avez autorisé la plainte en ligne. Un service de police ou de gendarmerie pourra entendre une personne où qu’elle soit, à son domicile, chez un avocat ou dans le local d’une association de protection des victimes, et de n’importe quel point du territoire national, voire – pourquoi pas ? – de l’étranger.
Je m’empresse de préciser qu’il s’agit d’une possibilité et que cela n’empêche en rien une personne qui dépose plainte ou est auditionnée de se rendre dans un commissariat ou une brigade de gendarmerie, si elle le souhaite. C’est la personne qui le décidera, pas le service de police ou de gendarmerie.
L’utilisation de cette procédure n’exclut pas non plus que cette personne soit convoquée physiquement, par la suite, dans les locaux de la police ou de la gendarmerie, si la nécessité s’en fait sentir pour une raison ou pour une autre, par exemple en raison de la gravité des faits.
Sur l’initiative de son rapporteur, Marc-Philippe Daubresse, la commission des lois a restreint cette possibilité de prise de plainte par visioconférence aux seules atteintes aux biens. L’amendement n° 136 vise à lever cette restriction, pour inclure notamment certaines atteintes aux personnes, en tout cas celles qu’on pourrait qualifier de légères, par exemple, celles sans conséquence physique comme une bousculade ou une gifle – je ne vise pas le cas des violences intrafamiliales. Car même sans arrêt de travail on peut avoir envie de déposer plainte.
Par ailleurs, l’utilisation de la visioconférence peut aussi être utile dans certains cas d’agression sexuelle, de viol ou de violence conjugale. Dans ces affaires, des difficultés, difficilement compréhensibles par la victime, peuvent limiter l’efficacité et la rapidité d’intervention des services de police ou de gendarmerie. L’instruction de l’affaire pour laquelle elle a déposé plainte est en effet parfois longue, et les auteurs des violences peuvent pendant ce temps continuer leurs agissements, ce qui peut conduire à la mort de la victime ou faire d’autres victimes.
Je prendrai un exemple concret : il arrive régulièrement qu’une victime de violences conjugales se réfugie loin de son domicile, dans sa famille ou chez un proche. Elle n’est souvent pas en état, pendant quelque temps, que ce soit pour des raisons financières ou psychologiques, de retourner là où elle a déposé plainte pour faire sa déposition. Son audition peut alors tarder, en particulier quand on passe d’une zone police à une zone gendarmerie ou inversement.
En outre, le recueil de la déposition à l’autre bout de la France par un agent qui n’a pas participé au dépôt de plainte et qui ne connaît pas le contexte est évidemment moins efficace – on perd des jours, des semaines et parfois même des mois – en raison d’un manque d’organisation des services.
Des difficultés peuvent également se poser lorsque plusieurs personnes déposent plainte pour un même dossier.
On peut aussi penser aux cas où une victime d’agression sexuelle trouve d’autres personnes qui auraient vécu la même chose qu’elle. L’utilisation de la visioconférence pourrait certainement permettre d’accélérer les procédures de ce type, par exemple en procédant très rapidement, dans les heures ou les jours qui suivent, à une première audition en visioconférence de toutes ces personnes, quitte à les entendre de nouveau, mais physiquement, un peu plus tard.
Bref, vous aurez compris, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, que la plainte par visioconférence présente un intérêt tant pour la victime que pour les services de police ou de gendarmerie.
Pour autant, je suis d’accord pour dire que ce n’est pas l’alpha et l’oméga des solutions que nous pouvons mettre en œuvre pour améliorer les choses. Je suis d’ailleurs tout à fait prêt à ce que la rédaction que nous vous proposons soit retravaillée durant l’examen du texte par le Parlement, par exemple pour ajouter certaines conditions au dispositif.
En tout cas, la visioconférence nous paraît essentielle pour accélérer les procédures et pour simplifier la vie des gens – ils n’auront plus besoin de poser des jours de congé pour aller déposer plainte au commissariat ou à la gendarmerie, ce qu’ils sont souvent obligés de faire aujourd’hui même pour une affaire vénielle. Cela peut aussi faciliter le dépôt de plainte, car chacun sait que des personnes y renoncent, notamment par faute de temps. Enfin, cela permettra aux enquêteurs de mieux se concentrer sur le fond des dossiers.
Voilà les précisions que je voulais vous apporter. J’espère que ces arguments vous auront convaincu de rétablir le texte de cet article 6.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour présenter l’amendement n° 207.
M. Dominique Théophile. Le ministre ayant apporté de larges explications, je considère que cet amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous avons eu des débats en commission sur ce sujet ; j’avais dit au ministre que nous avions des inquiétudes s’agissant de certaines situations.
Je veux insister sur le fait que cette nouvelle procédure sera non pas une obligation, mais une simple faculté pour la personne qui souhaite déposer plainte. Chacun pourra aller déposer plainte au commissariat ou à la gendarmerie, par exemple s’il estime cette procédure plus protectrice.
La commission a tenu compte des arguments avancés par le ministre et s’en remet sur cet amendement à la sagesse du Sénat.
À titre personnel, je le voterai, parce que le ministre m’a convaincu du fait que la visioconférence pouvait apporter de la rapidité et de l’efficacité dans nombre de procédures, ce qui constitue un élément protecteur pour les victimes. Or c’est ce qui doit nous guider, parce qu’aujourd’hui trop d’entre elles sont abandonnées à elles-mêmes.
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour explication de vote.
M. Hussein Bourgi. Une fois n’est pas coutume, je prends la parole pour soutenir cet amendement proposé par le Gouvernement.
Je le fais au nom de mon expérience de vingt ans comme bénévole dans des associations d’aide aux victimes. Parmi les exemples que vous avez évoqués, monsieur le ministre, certains me parlent très directement, mais je pourrais en citer beaucoup d’autres.
Au lendemain de la commission d’une infraction pénale, la victime est fragilisée psychologiquement, parfois corporellement. Elle s’est peut-être éloignée pour sa convalescence ou pour se ressourcer et se reconstruire ; la distance peut ralentir l’enquête.
La proposition que vous nous faites, monsieur le ministre, avec cet amendement permettrait de répondre à un certain nombre de ces situations. C’est pourquoi je la soutiens avec conviction.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je ne vous surprendrai pas en vous disant que nous nous posons des questions en ce qui concerne cet amendement.
Vous connaissez nos réserves sur l’utilisation de la visioconférence et vous savez qu’elles sont partagées par le Conseil national des barreaux.
Le ministère de l’intérieur a déjà lancé une expérimentation pour délocaliser le dépôt de plaintes chez un tiers, en particulier pour les femmes victimes de violences conjugales, avec l’objectif à terme de dématérialiser cette procédure. Disposez-vous d’un bilan de cette expérimentation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. L’expérimentation que vous évoquez, madame la sénatrice, concerne six départements et vise à « aller vers » les femmes victimes de violences – nous pourrions envisager de l’étendre à d’autres dossiers.
Des policiers ou des gendarmes, équipés de matériel mobile – ordinateur et imprimante –, se déplacent pour aller à la rencontre de la victime, que ce soit chez son avocat, dans le local d’une association, au centre communal d’action sociale ou chez un proche. Ils se rendent chez un tiers pour prendre la plainte, l’imprimer et en donner une copie à la victime. Il s’agit donc non pas d’une procédure par visioconférence, mais plutôt d’une procédure délocalisée. J’insiste, la procédure est classique, mais le lieu est différent.
Cette manière de procéder peut aussi concerner des plaintes déposées, par exemple, par des agriculteurs, que ce soit pour un vol sur l’exploitation ou pour un cambriolage. Le gendarme est souvent obligé de se déplacer une première fois et de demander à l’agriculteur de venir le lendemain à la brigade, ce qui fait perdre du temps à tout le monde. La victime préfère souvent en finir rapidement avec ce genre de procédure.
L’expérimentation permet justement au gendarme de prendre immédiatement la plainte, ce qui évite à la victime de devoir se déplacer. Je ne dispose pas à cet instant, madame la sénatrice, des données précises concernant la mise en place de cette expérimentation, mais je peux vous les adresser, ainsi qu’à la commission, d’ici à la fin de la semaine.
Je peux déjà vous dire que les choses fonctionnent bien quand tout le monde joue le jeu ; il faut certainement mieux communiquer sur ce sujet et peut-être motiver davantage certains préfets en ce sens… Il peut certes subsister des difficultés de connexion à certains endroits du territoire, en zone blanche, mais cela reste assez limité.
Dernier élément de réponse, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez peut-être vu dans vos départements que les gendarmes disposent désormais d’un terminal dénommé Ubiquity qui permet d’exécuter à distance les mêmes tâches qu’en brigade. Nous sommes en train d’engager le même mouvement pour la police nationale.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 136 et 207.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
4
Politique énergétique de la France
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution, sur la politique énergétique de la France.
La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’énergie est au cœur de notre quotidien. Chaque transition énergétique a apporté des changements majeurs dans nos sociétés. Nous sommes en train de vivre une de ces transitions, et nous devons la mener avec détermination et rapidité.
Nous devons aussi la mener avec justice et de manière à en faire une opportunité, pour nos vies, pour notre économie, pour notre planète.
Cette transition est impérative. Dès 2018, le Président de la République a chargé RTE (Réseau de transport d’électricité) d’étudier les différents scénarios devant nous. En février dernier, à Belfort, il a présenté une stratégie énergétique pour notre pays.
M. Jean-François Husson. Et depuis, plus rien !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Quelques jours plus tard, le 24 février dernier, la Russie a envahi l’Ukraine. Par cette décision, Vladimir Poutine a violé les règles internationales, agressé un État souverain et déclaré la guerre à nos valeurs. Depuis, le Kremlin a montré qu’il était prêt à tout pour gagner cette guerre : toutes les exactions, toutes les menaces, tous les chantages. Et parmi ces derniers se trouvent les exportations de gaz.
L’arrêt quasi total des livraisons de gaz russe à l’Europe augmente les risques de pénurie et provoque une explosion des prix de l’énergie. À cette situation s’ajoutent d’autres tensions.
Je pense à celles sur le pétrole, conséquences de la guerre en Ukraine et du refus des pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) d’augmenter leur production.
Je pense également aux tensions sur notre production d’électricité, avec l’arrêt pour maintenance d’une part de notre parc nucléaire. J’y reviendrai. Bien sûr, ce sont des effets conjoncturels, mais d’autres s’installent dans la durée. La sécheresse, effet du dérèglement climatique, par exemple, vient limiter notre production d’hydroélectricité.
Ce contexte nous impose d’aller plus vite et plus loin. Nous devons accélérer notre transition énergétique. Nous devons sortir des énergies fossiles, conquérir notre indépendance énergétique et décarboner nos modes de vie et notre économie.
Nous devons tous nous mobiliser. C’est notre responsabilité collective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, face à cette situation critique, notre premier devoir est de répondre à l’urgence et de protéger les Français, en faisant tout d’abord en sorte que nous puissions traverser l’hiver sans difficulté.
Dès cet été, nous avons pris des mesures pour sécuriser nos approvisionnements : nous avons ainsi décidé de porter nos stocks de gaz à 100 %. Cet objectif est aujourd’hui atteint. Nous avons diversifié nos approvisionnements, en nous tournant notamment vers la Norvège, l’Algérie et les États-Unis. Nous avons augmenté les capacités de nos terminaux méthaniers et, avec le Parlement, nous avons levé les verrous pour installer rapidement un nouveau terminal méthanier au Havre. Les travaux sont en cours.
Ces mesures ont porté leurs fruits et nous sommes aujourd’hui l’une des principales portes d’entrée du gaz en Europe. Cela donne corps à la solidarité européenne : nous allons être en mesure d’exporter du gaz, notamment vers l’Allemagne, tout au long de l’hiver. Et nos voisins nous livreront en retour l’électricité dont nous aurons besoin.
M. Cédric Perrin. Une électricité carbonée !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Dans le même temps, notre parc nucléaire est dans une situation d’indisponibilité exceptionnelle, mais conjoncturelle.
M. François Bonhomme. Quelle surprise !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Elle s’explique, d’une part, par le rattrapage d’une partie des maintenances qui auraient dû se dérouler pendant l’épidémie de covid-19, et, d’autre part, par un problème dit de « corrosion sous contrainte », détecté en octobre 2021, et qui a entraîné l’arrêt de douze réacteurs pour contrôle et réparation. Le calendrier prévoit un redémarrage de ces réacteurs entre aujourd’hui et février prochain. Je sais les équipes d’EDF extrêmement mobilisées et je leur fais confiance pour respecter ce calendrier.
Grâce à notre action, grâce à la solidarité européenne et grâce à la sobriété – j’y reviendrai –, nous pourrons éviter les pénuries.
Dans le même temps, nous devons répondre à une autre urgence et protéger les Français face à l’explosion des factures d’énergie.
En Allemagne, en Italie, en Belgique, au Royaume-Uni, les montants payés par les consommateurs ont explosé et les prix ont parfois été multipliés par plus de deux. De notre côté, très tôt, nous avons agi en mettant en place le bouclier tarifaire, qui a bloqué les prix du gaz et limité la hausse des prix de l’électricité.
Ce bouclier, nous avons décidé de le prolonger. Grâce à lui, la hausse des factures des ménages sera limitée à 15 %. Il en est de même pour les factures d’électricité des très petites entreprises et des plus petites communes. Sans bouclier, les prix auraient doublé. Pour nos compatriotes qui se chauffent au fioul ou au bois, des soutiens spécifiques ont été décidés.
Ces mesures sont les plus protectrices d’Europe, et nous les avons complétées d’un chèque énergie exceptionnel pour les 40 % de Français les plus modestes, qui sont les plus touchés par la hausse des prix de l’énergie.
Mais protéger, cela ne se limite pas seulement aux ménages. Je connais la préoccupation particulière du Sénat pour les collectivités.
M. Jean-François Husson. Pas seulement !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je sais aussi votre attachement à notre vitalité économique et votre inquiétude pour les factures d’énergie des entreprises.
Ces préoccupations, ce sont aussi les miennes et celles de mon gouvernement. Ces derniers jours, nous avons pris plusieurs mesures, en demandant l’engagement et la transparence des fournisseurs d’énergie.
Nous voulons d’abord garantir qu’il n’y ait plus d’entreprises ou de collectivités sans fournisseur.
Nous souhaitons ensuite faire en sorte que chacun puisse vérifier qu’on ne lui propose pas d’offres abusives, grâce à des indicateurs de prix qui seront publiés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Pour les entreprises, nous travaillons avec nos partenaires européens et la Commission à améliorer les aides mises en place après l’agression russe à destination des entreprises les plus consommatrices.
Quant aux collectivités qui connaissent les difficultés les plus fortes, un filet de sécurité a été adopté par le Parlement pour 2022. Sa mise en place sera rapide et des acomptes seront versés d’ici à la fin de l’année. Comme je l’ai dit devant vous la semaine dernière, je souhaite que ce filet de sécurité soit prolongé en 2023 et qu’il puisse bénéficier à toutes les collectivités. Nous travaillons actuellement à ses contours précis et nous pourrons vous les présenter rapidement.
J’ajoute que, face à cette situation difficile, j’ai pris, avec le ministre chargé de la cohésion des territoires, la décision de porter l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à 320 millions d’euros, au lieu des 210 millions prévus initialement. (M. Pascal Savoldelli s’exclame.) Cette hausse, la première en treize ans, permettra à 95 % des communes de voir leur DGF se maintenir ou augmenter.
Je le dis clairement : aucune collectivité, aucune entreprise, ne sera laissée dans l’impasse.
Au-delà de ces mesures, nous sommes au front pour faire baisser les prix de l’énergie. Soyons lucides, les prix du gaz et de l’électricité ne reviendront pas aux niveaux bas de la période covid, mais leurs niveaux actuels ne sont pas raisonnables. Ils sont très excessifs par rapport aux coûts de production et sont tirés vers le haut par des craintes exagérées de pénurie et par la spéculation. Nous voulons ramener les prix à la raison.
Nous y travaillons d’abord en Européens. L’Europe a déjà agi : une obligation de remplissage des stocks de gaz à 80 % a été approuvée, et nous en sommes déjà à 90 % au niveau européen. Ensuite, des règles de solidarité entre États membres ont été décidées en cas de pénurie de gaz.
Par ailleurs, le Conseil des ministres de l’énergie a adopté un règlement qui autorise chaque État membre à mettre en place une contribution exceptionnelle de solidarité des entreprises du secteur fossile et une taxation des bénéfices exceptionnels des producteurs d’électricité.
Tout cela va dans le bon sens mais ne suffit pas, car il faut aussi agir directement sur les prix.
Le Président de la République est pleinement mobilisé sur le sujet. Il s’est entretenu avec la présidente de la Commission européenne, avec le chancelier allemand, et a participé vendredi dernier à un Conseil européen à Prague qui a été largement consacré à la question de l’énergie. La Commission doit faire des propositions pour apporter des réponses à la hauteur des enjeux, lors du Conseil européen des 20 et 21 octobre prochain.
Nous avançons dans plusieurs directions.
Tout d’abord, nous allons mener un dialogue renforcé avec les partenaires qui nous fournissent du gaz. Nous devons faire bloc, alors que la Russie tente de déstabiliser notre modèle démocratique. Nous sommes d’accord pour mettre en place des achats groupés afin d’éviter la concurrence entre États membres et compagnies gazières. La Commission va présenter des règles qui permettront aux États et aux entreprises d’agir de concert dans le dialogue avec nos fournisseurs. Enfin, nous avançons vers l’idée d’un plafonnement temporaire des prix du gaz.