Mme le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les travaux de la commission mixte paritaire ont démontré l’existence d’un large consensus politique en faveur tant de la reconnaissance de la Nation envers les harkis que de la réparation due à leurs descendants.
La guerre d’indépendance algérienne fut, avec celle d’Indochine, la plus dure des guerres de décolonisation française du XXe siècle.
L’exigence de mener un travail mémoriel dans un climat d’apaisement nous impose de reconnaître la responsabilité de la France dans le massacre de Sétif du 8 mai 1945, ainsi que la responsabilité de l’armée française dans l’assassinat de Maurice Audin en 1957.
Avec d’autres parlementaires communistes, j’étais présente, la semaine dernière, aux commémorations du massacre du métro Charonne. Voilà soixante ans, le préfet de police Maurice Papon réprimait dans le sang une manifestation pour l’indépendance en Algérie, tuant neuf militants communistes ou syndicalistes et faisant 250 blessés.
Nous n’oublions pas l’ensemble des victimes des crimes et atrocités commis lors de la guerre de décolonisation algérienne. La réconciliation de la France et de l’Algérie a été trop longtemps entravée. Il est temps de reconstruire une mémoire commune entre nos deux pays : c’est indispensable.
Contrairement à ceux qui voudraient réécrire l’histoire et rouvrir les plaies, je voudrais rappeler le rôle des députés Georges Colombier et François Rochebloine et des sénateurs Alain Néri et Guy Fischer, notre regretté collègue. Ces quatre parlementaires, issus de tendances politiques différentes, sont à l’origine de la loi faisant du 19 mars la journée nationale du souvenir.
Le texte qui nous réunit aujourd’hui n’est pas parfait. Nous partageons les propos de Mme Patricia Mirallès, rapporteure de la commission mixte paritaire pour l’Assemblée nationale, qui a dit avoir conscience que ce projet de loi ne répond peut-être pas à toutes les souffrances, à toutes les douleurs, à tous les traumatismes subis par les harkis et leurs familles.
Comme nous l’avions souligné en première lecture, nous continuons de regretter que les critères d’indemnisation choisis par le Gouvernement excluent la moitié des harkis du bénéfice de la réparation.
En limitant la réparation aux seules familles passées par des structures comme les camps de transit et de reclassement, le texte exclut celles qui ont été placées dans les cités urbaines.
En limitant la réparation aux harkis ayant séjourné dans des structures entre le 20 mars 1962 et le 31 décembre 1975, le texte ne tient pas compte des familles qui y ont demeuré pendant de nombreuses années.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous estimons que la réparation aurait dû prendre la forme d’une somme unique, plutôt que d’une somme forfaitaire créant une division entre familles de harkis. Je pense notamment à celles qui ont perdu leurs proches dans les camps date d’internement et qui, avec les critères prévus par l’étude d’impact, subissent une double peine.
Ce texte constitue néanmoins une étape supplémentaire de la reconnaissance de la Nation envers les harkis et les oubliés d’Algérie. Toutefois, madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur les moyens dont bénéficie l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre pour remplir sa mission d’indemnisation.
Le rapport budgétaire de notre collègue Marc Laménie lors de l’examen de la dernière loi de finances montrait que l’évolution des crédits ne suivait pas celle des missions attribuées. Ainsi, entre 2014 et 2021, les crédits ont progressé de seulement 2,6 millions d’euros, tandis que les effectifs de l’ONACVG ont été réduits quasiment de moitié.
Alors que le traitement des dossiers de demande d’indemnisation des harkis nécessiterait le recrutement de 6 équivalents temps plein supplémentaires, le budget 2022 supprime 23 postes par rapport à 2021.
Cette contradiction entre les besoins supplémentaires et la réduction des dépenses de personnel et de fonctionnement de l’Office ne peut se justifier uniquement par la baisse des ressortissants. Au-delà de l’inscription de la responsabilité de la Nation dans la loi, il faut, pour la transmission de l’histoire des harkis, des moyens financiers et humains. Nous espérons par conséquent que les crédits budgétaires pour les prochaines années seront revus à la hausse.
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront en faveur du texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe Union Centriste se réjouissent de la réussite de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local.
Ce projet de loi vise à réparer les préjudices subis par eux et leur famille, du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.
Les versions du texte adopté par l’Assemblée nationale le 18 novembre 2021 et par le Sénat le 25 janvier 2022 comportaient peu de divergences, ce qui a favorisé une voie de compromis de bon augure. Nous nous félicitons de cet accord équilibré et cohérent, qui résulte du travail mené en bonne intelligence par nos deux chambres, dans un esprit de coopération.
Je tiens à remercier Mme la ministre Geneviève Darrieussecq de son engagement, ainsi que notre collègue Marie-Pierre Richer de la qualité de son rapport sur un sujet difficile et sensible, qui concerne une page tragique de notre histoire.
Nous considérons que ce projet de loi constitue une avancée. Il s’inscrit en effet dans une trajectoire de réparation des blessures liées à une mémoire encore vive et toujours douloureuse.
Même si ce texte ne répondra jamais à toutes les douleurs de la composante harki, il marque une étape importante du processus de reconnaissance et de réparation.
La navette parlementaire a permis d’en améliorer les dispositions. Je pense à l’introduction par l’Assemblée nationale, à l’article 1er, de la notion d’« abandon », qui correspond bien au sort réservé aux harkis et à leurs descendants, ou encore au renforcement des missions de la commission nationale de reconnaissance et de réparation instituée à l’article 3.
Le Sénat a précisé et enrichi ce projet de loi, particulièrement grâce aux efforts de notre collègue rapporteure Marie-Pierre Richer, pour qui il ne pouvait en aucun cas constituer un « solde de tout compte ».
Grâce au Sénat, la journée d’hommage national aux harkis permettra de commémorer non seulement leur sacrifice, mais aussi les sévices qu’ils ont subis. Notre assemblée a également précisé que la responsabilité de l’État visait des structures de toute nature, y compris certaines prisons qui ont été reconverties en lieux d’hébergement.
Nous apprécions le rattachement de la commission nationale de reconnaissance et de réparation au Premier ministre. Cette mesure permet de clarifier la répartition des rôles entre cette commission et l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, tout en renforçant les garanties d’indépendance de cette nouvelle instance.
Les représentants de l’État siégeant en son sein seront désignés par le Premier ministre et non plus par le ministre chargé des anciens combattants. Cette commission pourra ainsi statuer sur les demandes d’indemnité, signaler toute situation qui mérite un accompagnement spécifique et contribuer aux futurs travaux du Gouvernement sur ce sujet.
Quant à l’ONACVG, elle assurera des missions de soutien nécessaire au bon fonctionnement de la commission. Nous saluons donc la création de ce dispositif tout à fait pertinent.
Enfin, il faut mentionner une autre réelle avancée : l’allongement de quatre ans à six ans de la période au cours de laquelle les veuves des anciens membres des formations supplétives ou assimilés peuvent solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère.
La rédaction initiale du projet de loi a été enrichie par les travaux du Sénat et de l’Assemblée nationale, afin de répondre aux préoccupations légitimes des harkis.
À la veille de la célébration des soixante ans des accords d’Évian, ce texte instaure de nouvelles mesures de reconnaissance et de réparation et pose le principe de la responsabilité de la France. Toutefois, il ne comble pas toutes les attentes, ne referme pas toutes les plaies et ne compense pas notre retard accumulé. Surtout, il ne répond pas à toutes les frustrations et à tous les traumatismes subis par la composante harki pendant tant de décennies.
En tout état de cause, aucune mesure d’indemnisation financière ne permettra jamais de réparer intégralement un tel préjudice. Il nous appartient d’avancer sur ce long chemin de la réconciliation et de la mémoire envers les harkis et les autres membres des formations supplétives. Nous avons toujours un devoir de reconnaissance, un devoir de réparation et un devoir de mémoire envers ces combattants et leurs familles, ces soldats qui, par le sacrifice du sang versé, ont tout donné à leur pays, la France.
Notre travail ne s’arrête pas là ; il devra se poursuivre pour défendre la cause harki, pour communiquer sur le drame des harkis et la grande résilience dont ont fait preuve leurs familles, pour réfléchir aux modalités les plus appropriées de réparation des préjudices subis par les harkis, pour rendre à leurs descendants la fierté d’être Français et totalement intégrés à la Nation, pour transmettre aux futures générations la mémoire de l’engagement des supplétifs au service de la Nation lors de la guerre d’Algérie et des conditions dans lesquelles ils ont été accueillis en France – nous ne pouvons accepter aucune forme d’oubli.
Enfin, à tous ces combattants et à leurs familles, je voudrais dire que leur sacrifice et leur résilience ne seront pas oubliés.
Comme le disait Paul Valéry : « La mémoire est l’avenir du passé. » La mémoire est un socle pour la construction de nos identités, un pilier pour notre cohésion nationale afin de bâtir une nation plus forte, plus solidaire, plus unie et plus résiliente. Une nation qui connaît son passé, qui défend ses valeurs et qui n’oublie pas ceux qui se sont engagés pour elle. La connaissance de notre passé et la reconnaissance de sa complexité sont des clés pour comprendre notre présent et construire sereinement notre avenir.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Jocelyne Guidez. Le courage de la composante harki nous oblige et nous élève dans la continuité de notre histoire.
Nous souhaitons affirmer aux harkis et à leurs familles notre soutien dans la durée et en toutes circonstances.
Mme le président. Il faut vraiment conclure !
Mme Jocelyne Guidez. Nous voterons le texte élaboré par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 99 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Pour l’adoption | 329 |
Contre | 7 |
Le Sénat a adopté définitivement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
8
Choix du nom issu de la filiation
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au choix du nom issu de la filiation (proposition n° 409, texte de la commission n° 468, rapport n° 467).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Mme le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur cette proposition de loi ont été publiés. Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévue par notre règlement.
Discussion générale
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous allez examiner aujourd’hui touche, au fond, à l’une des composantes les plus intimes de l’identité d’un homme ou d’une femme : son nom de famille.
Toujours porteur des racines, le plus souvent source de fierté, le nom de famille peut aussi être une souffrance : une souffrance que, trop longtemps, notre société n’a pas voulu voir ou, pis, qu’elle a accentuée en transformant en parcours du combattant la procédure pour en changer.
Ce texte est un texte qui répare, un texte que beaucoup de nos concitoyens attendent pour apaiser la douleur de porter un nom. Car, nous le savons, certaines personnes supportent leur nom plus qu’elles ne le portent.
Ce texte est avant tout un texte qui simplifie. Le nom de l’enfant mineur peut en effet être une source de tracasseries pour le parent qui n’a pas transmis son nom et qui, pourtant, élève l’enfant au quotidien. Je pense également à l’humiliation qu’éprouvent ces mères de famille qui doivent sans cesse montrer leur livret de famille pour prouver qu’elles sont bien la mère de l’enfant qui ne porte pas leur nom.
Ce texte est aussi un texte d’égalité, un texte qui permettra aux deux parents – j’y insiste : aux deux parents – de transmettre plus facilement leur nom de famille à leur enfant.
Ce texte permettra également à tous ces enfants qui portent le nom d’un père absent ou violent de rendre enfin hommage à leur mère courage.
Ce texte, vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ne bouleverse ni le droit de la filiation, qu’il ne modifie d’ailleurs en rien, ni les règles d’attribution et de dévolution du nom de famille. Il vise à permettre à nos concitoyens qui le souhaitent de retrouver la fierté de porter un nom en adéquation avec leur passé, avec leur identité, avec leur intimité. C’est là quelque chose d’absolument indispensable.
Alors, bien sûr, j’entends un certain nombre de contrevérités exprimées ici et là, notamment dans la presse. J’ai entendu également les procès d’intention qui étaient intentés au Gouvernement. Que les choses soient ici très clairement dites : je soutiens cette loi pour ce qu’elle est une loi majeure de simplification, d’égalité et de liberté.
Je vais donc revenir très précisément sur ce que contenait cette proposition de loi avant qu’elle ne soit amendée par votre commission.
De quoi s’agit-il exactement ? Il s’agit tout d’abord de simplifier les règles de changement de nom pour les personnes qui, après leur majorité, veulent substituer ou ajouter à leur nom celui du parent qui ne leur a pas été transmis.
Vous le savez, les réformes de 2005, puis de 2013, ont introduit dans le droit du nom une certaine souplesse. La procédure de changement de nom est cependant restée d’une grande rigidité : elle nécessite des formalités préalables de publicité, puis une instruction par les services de la Chancellerie, qui contrôlent l’existence d’un motif légitime.
S’il est fait droit à la demande, il faut encore que le Premier ministre signe un décret, lequel est ensuite publié au Journal officiel de la République française. Cela coûte de l’argent – environ 200 euros – et cela prend du temps, parfois beaucoup de temps. Cela demande aussi de se dévoiler, de dévoiler des choses qui relèvent très souvent de l’indicible, qui ne regardent personne, et certainement pas l’administration.
J’ai reçu un nombre colossal de témoignages qui convergent : cette procédure longue et intrusive au mieux décourage ceux qui l’entament, au pire ravive les flammes d’une souffrance déjà bien difficile à supporter.
Là encore, que les choses soient bien claires : cette procédure se justifie pleinement dès lors qu’il s’agit de prendre un nom qui n’est pas celui de l’un ou l’autre de ses parents.
Sur les 4 000 demandes de changement de nom dont je suis saisi chaque année, près de la moitié concernent des personnes majeures qui souhaitent porter le nom du parent qui ne leur a pas été transmis. Il s’agit ici de permettre à toute personne majeure, de manière simplifiée, une fois dans sa vie, d’adjoindre ou de substituer à son propre nom celui du parent qui ne lui a pas transmis le sien.
Ce changement se fera devant l’officier d’état civil et non plus par décret. L’officier d’état civil n’aura pas à contrôler le motif de ce changement, et il ne sera pas besoin de prévoir des formalités de publicité autres que celles qu’assurent les registres de l’état civil. (M. François Bonhomme s’exclame.) En effet, il s’agit seulement pour l’intéressé de porter le nom qui aurait pu lui être attribué à la naissance.
Je soutiens cette réforme avec autant de vigueur que d’enthousiasme, parce que je sais qu’elle est logique, juste et équilibrée.
M. François Bonhomme. C’est visible ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Si les parents ont pu faire le choix du nom de l’enfant nouveau-né, il n’y a aucune raison que cet enfant, lorsqu’il a atteint l’âge de la majorité, ne puisse faire le même choix pour lui-même. Dans la très grande majorité des cas, il sera heureux et fier de porter le nom que l’on a choisi pour lui à sa naissance ; il ne se posera peut-être même aucune question. Mais il faut pouvoir donner la possibilité à ceux qui le souhaitent d’en décider autrement.
Cette proposition de loi offre également la possibilité de simplifier et de compléter les règles relatives au nom d’usage.
Le nom d’usage, c’est celui-ci dont toute personne a le droit de faire justement usage dans sa vie sociale au travail ou dans sa relation avec les administrations. C’est un nom qui ne se transmet pas à ses descendants. Cette proposition de loi fait d’abord entrer dans le code civil les règles de la loi Badinter de 1985, qui ne sont pas assez connues et qui permettent à chaque personne majeure ou mineure d’adjoindre à son nom de famille, à titre d’usage, le nom du parent qui ne lui a pas été transmis.
Les possibilités offertes en la matière seront élargies, pour les majeurs comme pour les mineurs, puisqu’il sera également possible de substituer le nom du parent qui n’a pas été transmis ou de l’adjoindre dans l’ordre voulu.
En ce qui concerne les mineurs, l’attribution d’un nom d’usage est considérée en jurisprudence comme un acte grave de l’exercice de l’autorité parentale, qui nécessite préalablement l’accord des deux parents ou, à défaut, l’autorisation du juge.
En cas de séparation, cette règle peut être source de difficultés lorsque l’enfant ne porte le nom que d’un seul des parents et que ce dernier n’est pas d’accord pour modifier le nom d’usage de l’enfant.
C’est la raison pour laquelle je pense qu’il est nécessaire de permettre au parent dont le nom n’a pas été transmis d’adjoindre son nom, à titre d’usage, à celui de l’enfant, à condition d’en avoir informé préalablement l’autre parent. Il est effectivement plus juste que, dans cette hypothèse, ce soit au parent qui s’oppose à l’adjonction de saisir le juge.
Si votre commission a conservé certaines de ces avancées, elle est également revenue sur un certain nombre de ces points.
Les mesures concernant les majeurs ont été conservées. Tout à l’heure, votre rapporteur vous proposera d’ailleurs un amendement visant à reprendre les propositions de renvoi aux différentes combinaisons de noms qui sont offertes par l’article 311-21 du code civil. Cela me paraît aller dans le bon sens.
En revanche, concernant les mineurs, c’est le retour au droit actuel, à la « case départ ». Cela ne vous étonnera pas : je ne puis approuver ce choix, qui fait peser sur la mère la responsabilité de saisir le juge, et cela même lorsqu’il s’agit simplement d’adjoindre au nom du père le nom de la mère qui a porté l’enfant et qui l’a élevé autant que le père. Car, il faut le dire, c’est bien des mères qu’il s’agit la plupart du temps, et cela leur cause bien sûr un tracas supplémentaire.
Le texte issu de votre commission ne permet plus de répondre aux préoccupations légitimes de ces mères séparées, qui sont, on le sait, trop souvent fragilisées.
Votre commission n’a pas souhaité non plus, à l’égard des mineurs, autoriser à titre d’usage la substitution du nom, sous prétexte de stabilité et sous prétexte d’éviter toute exacerbation des conflits. C’est source de complexité. L’idée était d’harmoniser les règles entre le nom d’usage et le nom de famille ; ce texte modifié ne le permet pas, ce qui est, de notre point de vue, regrettable.
Plus encore, à l’article 2, qui concerne le changement de nom de famille, cœur de cette proposition de loi, votre commission a rejeté purement et simplement la réforme proposée. Ce texte devait permettre une plus grande liberté pour chaque Française et chaque Français, sans bouleverser les règles relatives à l’attribution et à la dévolution du nom de famille.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai tout autant que vous pleinement conscience que les équilibres en matière de nom sont particulièrement sensibles et, à vrai dire, toujours fragiles.
Certains ont également parlé d’une « mise à mal de l’unité du nom de la fratrie ». Je leur réponds que non : le principe d’unité du nom de la fratrie prévu par le code civil n’est ici aucunement modifié. D’ores et déjà, dans certains cas, les membres d’une même fratrie portent des noms différents. Cela a toujours existé et c’est inévitable, notamment en raison des modalités d’établissement de la filiation, qui peuvent varier au sein d’une même famille.
Votre commission s’est, quant à elle, inquiétée du risque d’utilisation frauduleuse du changement de nom et de la charge des officiers d’état civil. Je veux répondre sur ces points.
Tout d’abord, le risque d’utilisation frauduleuse, même s’il est négligeable, n’est pas sous-estimé.
Il est négligeable au regard du champ d’application de cette proposition : le choix du nom est limité ; il ne peut s’agir que de porter le nom du parent qui n’a pas été transmis. La procédure simplifiée ne permet pas de choisir un nom fantaisiste ; elle demeure inscrite dans le cadre des noms de la parentèle, c’est-à-dire de ceux qui sont d’ores et déjà inscrits sur l’acte de naissance au titre de la filiation.
Aussi, il ne sera pas possible de perdre la trace de quelqu’un qui aura changé de nom dans le cadre de la réforme. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’organiser une mesure de publicité autre que celle qui est d’ores et déjà prévue à l’état civil.
En outre, les officiers d’état civil transmettent à l’Insee toutes les actualisations et modifications des actes de naissance, et les administrations peuvent obtenir auprès de l’Insee les informations nécessaires pour actualiser leurs propres fichiers. La plupart le font, et cette réforme sera l’occasion de généraliser ce dispositif par voie réglementaire auprès des administrations qui ne le font pas encore.
Concernant à présent la charge des officiers d’état civil, il ne faut pas la surévaluer : le passage par cette procédure simplifiée de changement de nom ne constituait nullement un saut dans l’inconnu pour les officiers d’état civil.
Cette procédure, en réalité, existe déjà en cas de disparité entre le nom porté en France et le nom étranger. Ce changement de prénom se fait déjà devant l’officier d’état civil. Enfin, dans la version initiale de la proposition de loi, l’officier d’état civil n’a pas à contrôler le motif du changement de nom.
Enfin, le texte qui vous est proposé conserve la procédure de changement de nom par décret devant la Chancellerie, mais supprime l’exigence d’un intérêt légitime. Vous me permettrez d’y voir une fausse bonne idée.
La procédure de changement de nom par décret est longue, bureaucratique et, disons-le, aléatoire. Elle nécessite des formalités préalables de publicité, une instruction par les services de la Chancellerie, puis un décret du Premier ministre, lequel est publié au Journal officiel. En cela elle s’oppose à l’esprit même de cette loi : liberté, simplification et égalité.
L’adoption de l’amendement proposé à cet égard par Mme le rapporteur, visant à créer une procédure ad hoc de changement de nom par arrêté devant le ministre de la justice, n’apporterait pas, selon moi, la simplification nécessaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne change pas de nom de famille par plaisir. Un changement de nom est un acte fort, qui fait intervenir son histoire personnelle, toujours, des souffrances familiales, souvent, et parfois la douleur que l’on peut éprouver chaque fois que l’on entend ce mot, qui fait partie de l’identité de tout un chacun.
Changer de nom pour retrouver de la fierté, pour rendre hommage et pour éteindre une souffrance ancrée en soi, voilà ce que va permettre cette proposition de loi.
Voilà pourquoi elle est selon moi indispensable, voilà pourquoi je vous demanderai de préserver les équilibres qui ont été trouvés par l’Assemblée nationale. (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. « Bonjour ! Comment vous appelez-vous ? » « Et toi, c’est quoi ton nom ? » Telles sont les premières questions que l’on pose. Le nom, c’est notre identification et notre différenciation.
Aussi, je voudrais saluer Mme le président – Mme Gruny –, M. le garde des sceaux – M. Dupond-Moretti –, M. le président de la commission des lois – M. Buffet –, et vous tous, mes chers collègues, individuellement – je n’ai pas le temps, bien que j’en aie l’envie, de vous citer personnellement.
L’annonce que vous avez faite, monsieur le garde des sceaux, selon laquelle il sera bientôt possible de choisir son nom de famille une fois dans sa vie, a suscité beaucoup d’espoir, mais aussi quelques craintes.
La commission a évidemment été sensible aux situations particulières décrites par les initiateurs de ce texte et a souhaité y apporter une réponse, tout en restant attentive à préserver l’intérêt de l’enfant, à ne pas trop alourdir les charges qui pèsent sur les services d’état civil et à prendre en compte les conséquences pratiques que cette réforme pourrait entraîner.
À ce jour, personne ne peut évaluer le volume de demandes qui seraient à traiter si cette procédure déclarative entrait en vigueur.
Selon un sondage de l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, commandé par le journal L’Express, 22 % des Français souhaiteraient changer de nom de famille si cette loi était adoptée, ce qui est considérable et inattendu.
Compte tenu de ces enjeux, la proposition de loi méritait de bien meilleures conditions d’examen. Nombre d’interlocuteurs m’ont fait part de leur incompréhension du choix de la procédure accélérée pour un texte ayant de telles répercussions, tant du point de vue de la famille que de l’organisation des services de l’État.
À l’origine de ce texte se trouve la volonté de résoudre les difficultés rencontrées par certains parents dans leur vie quotidienne lorsqu’ils ne portent pas le même nom que leur enfant. Je dis « ils », mais il s’agit, dans la grande majorité des cas, de mères, puisque 80 % des enfants portent le nom de leur père.
Le droit existant permet déjà d’utiliser dans la vie de tous les jours, à titre de nom d’usage, l’adjonction des deux noms de ses parents. Pour les mineurs, cette faculté suppose d’abord l’accord des deux parents exerçant l’autorité parentale ou du juge aux affaires familiales, le JAF, en cas de désaccord.
L’article 1er propose de permettre une substitution de nom à titre d’usage, et non plus la seule adjonction. Il autoriserait par ailleurs un parent à ajouter unilatéralement son nom au nom de l’enfant, toujours à titre d’usage, moyennant l’information préalable de l’autre parent qui pourrait saisir le JAF s’il conteste cette initiative.
La commission n’a adopté qu’une partie seulement de ce dispositif. Pour les majeurs, elle a approuvé la substitution. Cela apporterait une solution rapide aux personnes majeures qui souffrent dans leur vie quotidienne de devoir utiliser le nom d’un parent maltraitant, malfaisant ou délaissant. Cela leur permettrait également de tester l’opportunité d’un changement de nom avant d’entamer la procédure adéquate pour modifier ce dernier à l’état civil.
En revanche, s’agissant des mineurs, la commission a pris en compte le fait qu’un enfant ne fait pas de différence entre son nom d’usage et son nom de famille. Le faire connaître dans la vie de tous les jours sous un autre nom équivaut, en pratique, à lui faire changer de nom. Or le nom est un élément essentiel de sa construction.
Cette dimension du nom d’usage ne semble pas avoir été suffisamment prise en compte par les députés. Dans l’esprit de certains, on a l’impression que le nom d’usage ne serait qu’une mention administrative sur une carte d’identité, mais c’est faux ! Pour l’enfant, ce sera le nom par lequel sa maîtresse va l’appeler, celui qui figurera sur son titre de transport et ses relevés de notes.
Si le but de l’article 1er n’était que de faire apparaître le nom de la mère sur la carte d’identité de l’enfant, alors une loi n’était pas nécessaire. Il suffirait de demander au ministère de l’intérieur de changer le format de la carte d’identité pour le mentionner.
Pour cette raison, la commission est défavorable à une substitution de nom à titre d’usage pour les mineurs. Cette disposition risquerait d’ailleurs d’exacerber les conflits familiaux et de susciter davantage de contentieux qu’il n’en existait jusqu’à présent.
La commission n’a pas souhaité non plus accepter la solution, proposée par les députés, qui permettrait à un parent de décider seul d’adjoindre, à titre d’usage, son nom de famille au nom de l’enfant s’il en informe préalablement et en temps utile l’autre parent, pour que celui-ci puisse saisir le JAF en cas de désaccord.
Cette disposition pourrait créer des situations instables dans lesquelles l’enfant serait nommé différemment selon qu’il se trouve chez son père ou chez sa mère et devrait revenir à son nom d’origine si le juge considérait qu’il n’était pas dans son intérêt d’y adjoindre l’autre nom.
Par ailleurs, n’étant pas informés de la saisine du JAF, les services des préfectures eux-mêmes ne pourraient savoir s’ils peuvent, ou non, délivrer un titre d’identité ou de voyage comportant le nom d’usage.
Il nous a semblé que le droit existant était finalement plus protecteur pour l’enfant, puisqu’il comporte l’exigence d’un accord des deux parents ou, en cas de désaccord, d’une autorisation du JAF.
Il existe déjà des solutions pratiques aux situations décrites par les mères seules. Il faudrait que le choix du nom d’usage soit un sujet systématiquement abordé avec le père lors de la séparation, au même titre que la résidence habituelle, le droit de visite et d’hébergement ou le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
De même, si le père est absent ou fait de l’obstruction systématique, la mère peut toujours demander l’exercice exclusif de l’autorité parentale et peut décider seule du nom d’usage de l’enfant.
L’article 2, qui focalise toute l’attention, permettrait à tout majeur, une fois dans sa vie, de choisir son nom par simple déclaration à l’officier d’état civil, de la même manière que les parents peuvent le faire pour leurs enfants depuis 2005.
Cet article semble résulter à la fois d’un souci sincère de répondre à des situations individuelles difficiles et d’une volonté assumée de procéder à une simplification administrative qui permettrait à l’administration centrale du ministère de la justice de transférer partiellement la charge de la procédure de changement de nom aux communes.
Cette idée, qui peut sembler logique et séduisante, est loin de faire l’unanimité auprès des juristes et des professionnels du droit que j’ai entendus.
En faisant du changement de nom un acte administratif banal, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une démarche exceptionnelle, la proposition de loi entraînerait des bouleversements qui risqueraient de susciter de nombreuses difficultés personnelles et administratives, sous couvert de simplification. Or il semble que celles-ci n’aient pas été toutes envisagées ou, à tout le moins, qu’elles aient été sous-estimées.
Outre un nombre accru de demandes de titres – cartes nationales d’identité et passeports – auquel il aurait à faire face, le ministère de l’intérieur devrait concevoir de nouveaux outils pour que l’identification des personnes figurant dans ses fichiers soit mise à jour en temps réel, tout en adaptant le cadre réglementaire nécessaire après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.
En effet, il ne dispose pas de la possibilité de s’interconnecter avec le répertoire national d’identification des personnes physiques tenu par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’Insee, comme le fait le ministère de la justice.
Les avocats, par la voix du Conseil national des barreaux, entrevoient également des difficultés à venir dans leurs rapports avec l’administration, en l’absence d’un accompagnement par des dispositifs techniques de mise à jour globale et uniforme des données de l’état civil.
Tout ceci ne peut être balayé d’un revers de main au motif qu’il s’agit d’intendance et que l’intendance suivra.
La commission a estimé qu’il fallait maintenir une procédure centralisée et formelle, car le changement de nom est un acte structurant, juridiquement et psychologiquement, qui a des impacts à très long terme sur la personne et les membres de sa famille – en particulier les enfants mineurs, qui changent de nom par ricochet. Elle est consciente des obstacles qui existent pour changer de nom dans certaines situations et vous proposera un amendement visant à simplifier plus encore la procédure.
Il s’agirait de créer une procédure spécifique auprès du ministère de la justice, qui pourrait mettre en place à cet effet une téléprocédure assortie d’un formulaire du centre d’enregistrement et de révision des formulaires administratifs, ou Cerfa, pour une meilleure accessibilité. La décision finale serait prise par arrêté du ministre de la justice, et non plus par décret du Premier ministre comme cela était initialement proposé, ce qui allégerait considérablement la procédure.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, le nom, c’est toute une histoire : une histoire qui est belle, ou quelquefois laide ; claire, ou quelquefois noire ; sombre, ou quelquefois en couleurs. Mais le nom est aussi quelquefois une histoire d’amour. Quand Juliette dit « Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet », Juliette aime Roméo, non un Montaigu !
Quelquefois, néanmoins, les histoires de nom sont des histoires de désamour, des histoires de souffrance.
Mes chers collègues, faut-il modifier la loi, oui ou non ? Faut-il changer la loi pour un oui ou pour un non ? C’est cette question que nous devons nous poser pour trouver une solution solide, juridiquement forte et simple, pour répondre aux demandes de nos concitoyens, pour faciliter la vie des parents et pour prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants d’aujourd’hui et surtout de demain. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)