Mme le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
Mme le président. Avant de mettre aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi, je vais donner la parole, pour explication de vote, à un représentant par groupe.
La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Jocelyne Guidez et M. Claude Kern applaudissent également.)
M. Jean-Claude Requier. Madame le président, madame la ministre, mes chers collègues, sans difficulté, la commission mixte paritaire a convergé vers l’adoption d’un projet de loi en faveur du renforcement de la reconnaissance et de la réparation par la France des drames subis par les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives au lendemain du 19 mars 1962.
Notre rapporteure a rappelé que les modifications apportées par les deux assemblées aboutissaient à un texte équilibré. Dans ces conditions, mon groupe est globalement satisfait de son évolution.
Par l’adoption de ce texte, nous concrétiserons ainsi la volonté, exprimée d’abord par le Président Jacques Chirac et reprise par ses successeurs jusqu’au président Emmanuel Macron, de mieux reconnaître le sort des harkis et la responsabilité de l’État de l’époque quant à leur accueil en métropole.
À quelques jours des soixante ans des accords d’Évian, il est en effet important de marquer, par un assez large consensus politique, une nouvelle étape de la gratitude que la France doit à ceux qui l’ont choisie à un moment de son histoire déchirée.
Nous avons tous rappelé, en première lecture, le terrible quotidien que fut celui des harkis et de leurs familles dans les camps et hameaux de forestage, dans ce qui constituait de véritables prisons à ciel ouvert : insalubrité, brimades, privations de liberté… Condamnés à mort dans leur pays, près de 42 000 harkis ont été condamnés à la survie sur notre territoire.
Oui, incontestablement, la France a abandonné les harkis. Elle a manqué à son devoir moral, ainsi qu’à ses valeurs, lorsqu’elle n’a pas mis en place le digne accueil que méritaient pourtant tous ces hommes, femmes et enfants qui laissaient derrière eux leur terre natale, leur Algérie devenue algérienne dans la douleur.
En face de cet abandon, qui sera désormais inscrit dans la loi, une nouvelle réparation verra le jour avec l’indemnité forfaitaire en compensation du préjudice résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de séjour dans des structures fermées.
En première lecture, le Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) a approuvé tous les dispositifs du texte, même si – cela a été largement dit – nous aurions aimé que l’ensemble des structures d’accueil soient visées.
Néanmoins, grâce à l’apport de nos collègues députés, qui ont donné à la commission nationale de reconnaissance et de réparation la capacité de proposer des évolutions de la liste des structures concernées, la porte reste ouverte à des améliorations futures. Nous devons rester vigilants sur ce point, afin que tous les harkis bénéficient de la politique de réparation, dès lors qu’ils ont subi une forme de relégation.
Je relèverai également, dans ce projet de loi, l’enrichissement de la journée nationale du 25 septembre, qui permettra de rendre hommage, non seulement aux harkis, mais aussi à tous ceux qui leur ont porté assistance : officiers, particuliers ou maires.
Si cette journée fait déjà partie de notre calendrier mémoriel depuis le décret du 31 mars 2003, son ancrage dans la loi permettra de garantir la transmission de cet épisode difficile de l’histoire française aux futures générations.
Évoquer le destin des harkis, c’est aussi évoquer une part de l’histoire de l’Algérie. La réconciliation entre ce pays et la France n’a toujours pas franchi tous les obstacles, plusieurs décennies après la fin des combats. Des deux côtés de la Méditerranée, les sensibilités restent vives.
Cependant, le 4 février dernier, le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra n’a pas manqué de rappeler, en marge du sommet de l’Union africaine, que les relations entre la France et l’Algérie étaient « dans une phase ascendante ». Souhaitons que cela dure afin que nos deux pays regardent ensemble l’avenir et les défis que nos peuples ont aujourd’hui à surmonter en commun ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique.
M. Jean Louis Masson. Madame le président, madame le ministre, chers collègues, nous voterons bien entendu ce texte, car il permet de réparer beaucoup de mal, de carences et d’incuries.
En ce qui concerne les séquelles de la guerre d’Algérie, beaucoup reste à faire. Ce texte, dont le mérite revient au Gouvernement, ne constitue pas une fin en soi. Nous déplorons que, depuis près de cinquante ans, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, n’aient ni fait leur travail ni assumé leurs responsabilités.
À mon avis, le bouclage de la guerre d’Algérie est un véritable désastre. On pouvait quitter l’Algérie, mais il est invraisemblable de l’avoir quittée comme on l’a fait, (M. Gérard Longuet opine.) en laissant tant les pieds-noirs que les harkis dans une situation catastrophique et en faisant semblant, pendant des décennies, qu’il n’y avait plus aucun problème et plus rien à faire ! C’est une véritable honte pour la France !
Je ne partage pas le point de vue de ceux qui parlent de « décolonisation ». Quand on voit l’état dans lequel est l’Algérie aujourd’hui, malgré les ressources financières énormes dont elle dispose grâce au pétrole, ceux qui voudraient nous donner des leçons du côté d’Alger sont peut-être mal placés pour le faire. Je regrette que tous les gouvernements, en voulant faire preuve de compréhension et de tolérance, ne se laissent finalement guider par une sorte de dictature intellectuelle émanant tant du gouvernement algérien que des milieux soi-disant bien-pensants de la France.
Je le dis et je le répète, si ce texte est positif, il ne va pas assez loin et ne répare pas tous les torts que la France a faits à ces pauvres gens expulsés d’Algérie à l’époque, Européens comme Algériens, dont les harkis. Je vote le texte, mais ce n’est pas un solde de tout compte.
Mme le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Émilienne Poumirol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier une nouvelle fois les associations de harkis pour avoir accompagné notre travail de leurs éclairages et de leurs propositions, nourris par leurs vies ou celles de leurs proches. Je remercie également l’ensemble de mes collègues parlementaires de leur engagement et de leur participation à un texte aussi important.
Les sénatrices et sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ont voté en faveur de ce projet de loi, car ce texte s’inscrit dans la lignée des différentes lois et des discours présidentiels ayant donné des signes de reconnaissance envers les harkis.
François Hollande, dans un discours de 2016, a reconnu explicitement la responsabilité du gouvernement français dans « l’abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie, et les conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France ».
En inscrivant dans la loi la reconnaissance de la Nation envers les harkis, leur abandon et la responsabilité de l’État dans les conditions indignes de leur rapatriement après les accords d’Évian, nous faisons un pas de plus vers une mémoire apaisée.
Ce projet de loi répond également à une ancienne demande des veuves de harkis en modifiant le délai durant lequel elles peuvent faire valoir leur droit à l’allocation viagère. Le bénéfice de cette allocation sera de plus étendu aux veuves dont le conjoint vivait dans un autre pays de l’Union européenne.
Néanmoins, comme nous le soulignons tous, ce texte ne peut valoir pour solde de tout compte. Nous regrettons que nos propositions n’aient pas été retenues et que subsiste ainsi une distinction de reconnaissance et de droits entre les anciens harkis. Nous l’avons dit à maintes reprises, le texte exclut du dispositif de reconnaissance celles et ceux qui n’ont pas transité par certaines structures. Pourtant, dans bien des cas, il s’agit de familles arrivées en France par leurs propres moyens, sans bénéficier d’un rapatriement militaire.
Nous déplorons donc que la loi n’étende pas la reconnaissance de la responsabilité de l’État en ce qui concerne les conditions d’accueil et de vie sur le territoire à l’ensemble des anciens harkis et de leurs familles rapatriées. Nous en sommes convaincus, un droit à réparation individuelle et une reconnaissance non discriminatoire seraient source d’apaisement.
De plus, au-delà des sommes allouées, le système forfaitaire retenu n’est pas à la hauteur des préjudices dont furent victimes les harkis et leurs familles. En aucun cas, il ne représente une reconnaissance par la Nation des violences vécues. Dans son idée même, ce système permet certes l’acceptation d’un préjudice, mais non la reconnaissance de la culpabilité. Les anciens harkis et leurs familles méritent que leur histoire et leurs souffrances soient entendues et justement réparées.
Enfin, le texte ne reconnaît pas que les personnes concernées étaient et sont des citoyens français à part entière, comme le précise l’ordonnance du 21 juillet 1962. Ce manque de reconnaissance demeure une vraie blessure pour l’ensemble des anciens harkis. Nous regrettons qu’un consensus n’ait pas pu être trouvé sur cette question.
Si le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera ce texte, c’est parce que nous faisons un pas supplémentaire pour mieux reconnaître tant les souffrances des harkis et de leurs familles que les sacrifices endurés par toutes les victimes de la guerre d’Algérie, qu’il s’agisse des rapatriés, des anciens membres des formations supplétives et assimilés, des disparus ou des victimes civiles et militaires.
Le travail de reconnaissance et de mémoire, qui s’inscrit dans le temps long, doit continuer. Il est primordial d’engager au plus vite le processus de réparation. La commission nationale indépendante mise en place par ce texte doit se mettre au travail au plus tôt, afin que chaque ancien harki reçoive la réparation à laquelle il a désormais droit. En tant que parlementaires, nous y veillerons.
Enfin, nous veillerons aussi à ce que la mémoire des harkis continue de vivre et d’être transmise, notamment grâce au travail de l’ONACVG, pour qu’aucune voix ne soit oubliée. Il faut faire vivre cette mémoire commune, qui participe à notre richesse : celle de la réconciliation nationale et du vivre-ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire réunie le 1er février dernier a trouvé un accord sur le projet de loi portant reconnaissance et réparation de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie.
Il s’agit, comme mes collègues Nicole Duranton et Bernard Buis l’ont rappelé lors de la discussion générale, de franchir un nouveau pas historique.
Historique, car les harkis appartiennent à l’histoire de France. Cette page est sombre, car après avoir servi la France durant la guerre d’Algérie, ces hommes, harkis, moghaznis et membres des autres formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local, se sont retrouvés soit délaissés sur leur terre natale, soit rapatriés en métropole où ils ont été relégués dans des cités urbaines, des camps ou des hameaux de forestage.
Historique, car ce texte traduit l’engagement pris par le Président de la République le 20 septembre 2021, à l’occasion de son discours à la communauté harkie dans lequel il demandait pardon, à juste titre, au nom de la France. Ce discours, salué unanimement, avait créé un espoir légitime et une forte attente.
Historique, enfin, car pour réparer la faute de l’État que représente l’indignité de ces conditions d’accueil et de séjour en France, nous inscrivons dans la loi la responsabilité de l’État et l’impérieuse nécessité d’indemniser et de rendre justice.
Ainsi, les deux premiers articles du projet de loi actent la création d’un mécanisme de réparation des préjudices subis par ces personnes, leurs conjoints et leurs enfants, dans les structures mentionnées. L’abandon dont ces personnes ont été victimes est enfin reconnu explicitement, conformément à la réalité historique.
La commission nationale de reconnaissance et de réparation créée à l’article 3 constitue également une avancée majeure. Elle aura pour missions principales de statuer sur les demandes de réparation, de contribuer au recueil des témoignages et aux actions essentielles de transmission de la mémoire et d’appuyer l’ONACVG dans la conduite de ses missions d’assistance en faveur des rapatriés.
Nous nous félicitons, à cet égard, que notre amendement visant à permettre à cette commission d’entendre, à leur demande, les anciens combattants harkis et autres personnes rapatriées d’Algérie, quelles que soient les conditions dans lesquelles ont été réalisés leur rapatriement et leur accueil sur le territoire national, ait été maintenu en CMP.
Cette disposition, largement soutenue sur toutes les travées de cet hémicycle et par le Gouvernement, qui avait déposé un amendement similaire, est essentielle. Grâce à cet accès prioritaire, la commission pourra proposer toute mesure de reconnaissance appropriée au regard des services rendus à la Nation.
Les modifications apportées tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale ont permis de renforcer ce texte.
Je pense notamment à la possibilité de compléter la liste des camps et des hameaux de forestage, votée à l’Assemblée nationale, mais aussi à l’introduction, au Sénat, d’une disposition précisant que la responsabilité de l’État concernera « des structures de toute nature » ayant fait subir à leurs résidents des conditions indignes et attentatoires à leurs libertés, ce qui ouvre la voie à l’inclusion de certaines prisons reconverties en lieux d’accueil pour les harkis.
Le Sénat a permis d’accroître le rôle précieux de la commission nationale, puisque cette dernière pourra étendre le champ de la reconnaissance et de la réparation grâce à un travail de recherche continu.
Il s’agit enfin de transmettre la mémoire des harkis et d’enseigner cette page de notre histoire aux jeunes générations, pour ne jamais oublier.
Nous saluons l’accord trouvé en commission mixte paritaire, ainsi que le travail de Mme la rapporteure Marie-Pierre Richer, qui a permis de renforcer ce texte, et enfin l’action et la volonté du Gouvernement qui, en inscrivant ce projet de loi à l’ordre du jour, traduit son exigence de poursuivre le chemin vers la réconciliation nationale.
Aujourd’hui, mes chers collègues, notre assemblée s’apprête, je l’espère, à voter un texte fort et à contribuer ainsi à écrire un nouveau chapitre de notre histoire.
C’est pourquoi le groupe RDPI, avec fierté et émotion, votera en faveur des conclusions de la CMP. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 2001, Jacques Chirac, alors Président de la République, prononçait ces mots qui résonnent jusqu’à nous au moment d’adopter définitivement ce projet de loi : « Les harkis ne sauraient demeurer les oubliés d’une histoire enfouie. Ils doivent désormais prendre toute leur place dans notre mémoire. »
Il est impossible de réparer les préjudices subis par les milliers de harkis qui se sont battus pour la France lors d’un conflit long de huit années ayant fait des dizaines de milliers de morts de chaque côté.
Par ce projet de loi, nous consolidons notre indispensable devoir de mémoire. Le processus de reconnaissance a été lent : en mars prochain, soixante années se seront écoulées depuis la signature des accords d’Évian.
J’aimerais à mon tour rendre hommage à ceux qui se sont engagés aux côtés de la France, au prix de sacrifices immenses. Le devoir de mémoire que nous menons depuis des années, qui aboutit en partie aujourd’hui, nous le leur devons, à eux et à leurs familles, dont les souffrances sont tout aussi immenses.
Je salue la volonté du Gouvernement et l’engagement des parlementaires qui ont œuvré pour parvenir à ce texte. Je tiens à remercier notre rapporteure, Marie-Pierre Richer, de son travail. Les discussions menées et les précisions apportées lors des examens ont montré le caractère essentiel de ce texte pour notre pays.
Le temps de la mémoire et de la reconnaissance consiste aussi à porter un regard de vérité sur les événements de notre passé. Il s’agit, pour la France, d’accepter son histoire et de l’assumer pleinement. Ce devoir de mémoire, que tous ne font pas, est un passage incontournable pour notre avenir.
Si la loi ne peut pas tout, j’espère qu’elle apportera malgré tout un peu de sérénité. L’article 1er constitue le cœur de ce projet de loi.
Il nous permet d’abord d’exprimer notre reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives. L’ajout précisant que notre nation les a abandonnés était nécessaire. Je me réjouis qu’il ait été préservé par la commission mixte paritaire.
L’article 1er nous permet ensuite de rappeler la responsabilité de notre pays pour l’accueil indigne réservé à certains et les souffrances occasionnées – les blessures sont encore vives. Plus de 80 000 personnes sont arrivées sur notre territoire après le conflit. Les conditions de cet accueil ont été évoquées par nombre de mes collègues ; je n’y reviendrai pas. Cependant, je tiens à souligner l’apport essentiel du Sénat, qui a permis des précisions importantes sur ce point.
Comme je le disais au début de mon intervention, ni une loi ni une réparation ne pourront être à la hauteur des préjudices subis. Toutefois, ce texte prévoit un régime d’indemnisation auquel le Sénat n’a apporté aucune modification. Il s’agit d’une avancée notoire, même si elle peut sembler bien tardive et paraître dérisoire aux yeux de certains. Elle contribuera à l’émergence de la vérité et devrait concerner environ 50 000 bénéficiaires. Ses conditions d’octroi me semblent justes et équilibrées.
Enfin, je salue la création d’une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis. Le Sénat a modifié le texte afin de la placer sous l’autorité du Premier ministre, ce qui me paraît nécessaire et adéquat.
Les discussions en commission mixte paritaire ont permis de conserver la quasi-totalité des apports manifestes du Sénat concernant cette commission nationale. Assistée de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, elle aura pour mission de faciliter et de concrétiser les démarches des familles.
Le texte issu de la commission mixte paritaire est équilibré. Il inscrit dans notre loi la reconnaissance de la France envers ceux qui l’ont servie, qui ont choisi de se battre à ses côtés et qui étaient avant tout des Français. Tel était notre devoir, il y allait de la grandeur de notre pays.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera à l’unanimité en faveur de l’adoption de ce texte. (Applaudissement au banc des commissions).
Mme le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelque temps, nous avions déjà eu à nous exprimer sur cette page douloureuse de notre histoire. Nous l’avions fait avec mesure et sens des responsabilités, car en aucun cas nous n’aurions pu laisser instrumentaliser ceux qui ont choisi la France au péril de leur vie. Je tiens d’ailleurs à remercier notre collègue Marie-Pierre Richer pour la qualité de nos échanges.
Au cours de cette commission mixte paritaire, nous avons su défendre les apports du Sénat et obtenir des avancées. Il était inconcevable, par exemple, de voir nos concitoyens divisés. Les harkis, qui ont eu une vie aussi difficile que valeureuse, ne peuvent être catégorisés ou hiérarchisés.
Leurs conditions de vie ont bien évidemment pu être différentes, plus ou moins douloureuses, et leurs séjours plus ou moins longs, mais c’est précisément parce que chaque histoire familiale a dû porter son lot de souffrances qu’il nous a semblé indécent d’exclure des compatriotes au prétexte qu’ils n’auraient pas assez souffert pour mériter notre reconnaissance.
C’est ainsi que la commission nationale pourra désormais proposer « toute mesure de reconnaissance et de réparation » envers les anciens supplétifs et membres de leurs familles. L’amendement visant à préciser ce point, proposé par le groupe Les Républicains et défendu par son président Bruno Retailleau, a été adopté par le Sénat. Ces dispositions permettront, malgré les contraintes constitutionnelles, de faire évoluer le droit à la réparation en fonction des travaux menés par la commission nationale. Cette condition, vous vous en doutez, n’était pas négociable pour nous.
L’article 7, modifié par un amendement de notre rapporteure, porte sur l’allocation viagère ; il constitue également une avancée en ce qu’il allonge de quatre à six ans la période au cours de laquelle les veuves des anciens membres des formations supplétives ou assimilés peuvent solliciter le bénéfice des arrérages de l’allocation viagère. Cette mesure n’a rien d’anodin pour ces femmes, souvent modestes, et leurs familles.
Je pense également au rattachement de la commission nationale sous l’autorité du Premier ministre, gage d’une plus grande indépendance. Je me réjouis que les dispositions de l’amendement déposé avec Christine Bonfanti-Dossat, et cosigné par un grand nombre d’entre vous, aient été conservées.
Mes chers collègues, ce projet de loi panse des plaies encore vives. Nous sommes ici tous lucides : aucun texte ne peut ni ne pourra réparer les blessures d’une guerre. Il faudra encore du temps pour que ces plaies cicatrisent, au nord comme au sud de la Méditerranée, même si nous ne doutons pas que des personnalités politiques sans vergogne chercheront encore à les rouvrir pour mieux s’en servir dans les prochaines années.
Ce travail de reconnaissance, commencé par le Président Jacques Chirac, n’en demeure pas moins une étape importante. Nous devrons veiller à le poursuivre, afin que les jeunes générations ne soient pas en proie aux discours de haine.
Au moment de clore cette prise de parole, je veux également avoir une pensée pour nos anciens combattants qui, très souvent, pour ne pas dire toujours, n’ont plus jamais été les mêmes à leur retour. Leurs témoignages, parfois simplement leur regard, nous rappellent à quel point la paix est précieuse.
En cette période où la situation géopolitique s’assombrit, il me semble important de rappeler qu’une guerre peut très vite se déclarer, mais qu’il faut plusieurs générations pour retrouver une paix harmonieuse. Ce projet de loi en témoigne.
Comme en première lecture, les élus du groupe Les Républicains voteront très majoritairement ce texte.
Madame la ministre, ce projet de loi n’est pas un solde de tout compte. Il rend hommage aux harkis qui ont cru en notre idéal républicain et pour lesquels la République n’a pas su être à la hauteur. Cela, rien ne pourra jamais le réparer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Jocelyne Guidez et M. Olivier Henno applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette loi était attendue comme celle de la reconnaissance des maltraitances et des souffrances, comme celle de la réparation des injustices et des préjudices subis par les harkis.
Elle découlait d’une volonté du Président de la République, qui avait pour objectif de faire de son mandat un moment de réflexion et de réconciliation sur ce sujet. « La France a manqué à ses devoirs envers les harkis, leurs femmes et leurs enfants », avait-il déclaré en septembre dernier.
Elle s’inscrivait aussi dans la lignée d’un arrêt du Conseil d’État de 2018, qui avait reconnu la responsabilité de l’État et qui l’avait condamné à indemniser un fils de harki en réparation du préjudice subi par ce dernier.
Les récents débats sur la reconnaissance du massacre d’octobre 1961 au sein de notre assemblée ont montré combien les blessures de la guerre d’Algérie perdurent. À l’approche des soixante ans des accords d’Évian, il devenait évident de reconnaître et de réparer les conditions inacceptables dans lesquelles les harkis ont rejoint la métropole.
Pourtant, ce projet de loi qu’elles ont réclamé ne répond pas réellement aux attentes des associations de harkis et de leurs descendants. Les résultats issus de nos débats et des travaux de la commission mixte paritaire peuvent paraître équivoques.
Certes, ce texte est une avancée. Il permet un nécessaire changement de paradigme, en passant de mesures de solidarité à des mesures de réparation du préjudice subi du fait de l’action de l’État.
Mais il ne prend pas en compte l’ensemble des harkis et de leurs familles ni n’embrasse la diversité des situations, des conditions de vie, des lieux dans lesquels ils ont séjourné et les conséquences induites sur leur vie familiale et professionnelle.
La déception est à la hauteur de l’espoir suscité. Le manque de concertation dans l’écriture initiale du texte a été unanimement relevé et critiqué, de même que la décision de ne pas inclure l’ensemble des harkis, qu’ils soient ou non passés par les camps ou arrivé avant 1975.
Tous nos amendements, qu’ils aient eu pour objet les périodes ouvrant droit à réparation, les critères d’évaluation des préjudices subis, l’inclusion des années de prison en Algérie, la réparation possible des décès de combattants à destination des veuves et même la création d’une fondation mémorielle ont été jugés irrecevables pour raisons financières.
Malgré nos demandes répétées au Gouvernement, il n’a manifesté aucune velléité de les reprendre à son compte, même partiellement, alors qu’il en avait la possibilité. Comment a-t-il pu ne pas entendre cette volonté d’étendre la reconnaissance et la réparation à l’ensemble des harkis, qu’ils aient vécu dans des camps, dans des hameaux ou ailleurs, parce qu’ils préféraient se débrouiller seuls plutôt que de vivre contraints, qu’ils soient parvenus en métropole avant ou après 1975 ?
Les conditions indignes de leur accueil dans ces structures particulières constituaient bien sûr un problème majeur, mais loin de se limiter aux seuls camps et autres hameaux de forestage.
L’espoir d’une réparation est certes une réelle avancée, si tant est qu’elle soit à la hauteur suffisante pour compenser les pertes de chance de toute une génération en tenant compte, entre autres, de la déscolarisation et des atteintes aux libertés individuelles que toutes ces familles ont subies.
Nous entendons les craintes des associations quant à l’apparition d’une certaine fongibilité entre solidarité nationale et réparation du préjudice subi. Nous devons rester vigilants sur ce point, dans le respect de la position exprimée par notre rapporteure, afin que les réparations prévues par ce texte ne soient pas perçues comme un solde de tout compte.
Le manque de reconnaissance concernant l’affirmation de leur citoyenneté française blesse aussi les harkis. Cette reconnaissance n’est pas superfétatoire pour tous ceux qui l’attendaient.
Nous avons aussi porté l’ambition d’une commission indépendante et diverse dans sa composition, apte à rattraper les imperfections de ce texte. À l’instar de tous les membres de notre assemblée, nous serons attentifs au rôle de cette commission et suivrons son travail.
Mes chers collègues, de l’avis de tous, ce texte aurait mérité des améliorations pour répondre à l’attente et à l’espoir suscité par son annonce. Il devait couronner une longue réflexion sur la place que notre pays n’a pas su octroyer aux harkis. Il doit montrer notre volonté de nous confronter à notre histoire, si difficile qu’elle soit.
À une époque où la réécriture du passé entache la démarche de vérité que nous nous devons et où les révisionnismes tentent de gommer le travail des historiens, il semble judicieux de soutenir ce texte. D’autant que le temps presse eu égard à l’âge de certains harkis.
Ces derniers ont souffert des décisions de l’État. Leur abandon, péché originel, n’a pas été la dernière humiliation que la France leur a fait subir. Ils ont aussi été maltraités et oubliés, sans que tout cela ne soit reconnu ni réparé.
Ce projet de loi permet enfin de le faire, mais presque à contrecœur plutôt que clairement ou sans ambiguïté. Ce texte est incomplet, ce que nous regrettons profondément et ce que regrettent aussi les associations. Nous devons bien mieux aux harkis, à leurs enfants et à leurs petits-enfants. Notre groupe votera majoritairement pour le texte, mais une partie d’entre nous, dont moi-même, s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)