Mme le président. Monsieur le président de la commission, je vous interromps pour vous prier de bien porter votre masque sur le nez.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Veuillez m’excuser, madame la présidente ! (M. le président de la commission rajuste son masque.)
Nous avons fait le choix de demander l’examen de cette proposition de loi dès aujourd’hui, car nous considérions qu’elle constitue un apport important à la réflexion qui est en cours. Le Gouvernement a lancé une mission et le Président de la République a annoncé une loi-cadre. Les deux articles de cette proposition de loi pourront constituer les deux premiers articles de cette future loi-cadre.
Encore une fois, je remercie les trois auteurs de ce texte : par leur temps d’avance, leur travail et leur réflexion, ils rendent possible une avancée collective que j’estime très importante. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE. – M. Lucien Stanzione applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Pour reprendre les termes de mon collègue Max Brisson, le Sénat est « snobé ».
Malgré les nombreux travaux que nous menons depuis tant d’années, et en dépit de la bonne volonté dont a fait preuve notre assemblée pour faire avancer ce sujet dans le sens inéluctable qui est celui de l’intérêt général et de la préservation de bonnes relations avec les pays étrangers demandeurs, ce texte est balayé d’un revers de la main.
Il aurait pourtant pu faire l’objet d’un approfondissement dans le cadre de la navette parlementaire. Le Gouvernement aurait pu l’amender, madame la secrétaire d’État, notamment son article 2, ce qui nous aurait permis d’avancer. Vous avez choisi de ne pas le faire.
Permettez-moi de revenir sur la question des restes humains. Je suis consternée par la volonté affichée par le ministère de la culture, année après année, gouvernement après gouvernement, de ne rien faire. La mise en place de la Commission scientifique nationale des collections a pris trois ans. Puis, aucun moyen n’a été alloué au groupe de travail spécifique sur les restes humains, pourtant demandé par le Parlement, à l’unanimité de la représentation nationale.
J’ai appris récemment qu’il avait été envisagé d’inscrire les critères de restitution établis par ce groupe de travail dans la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dite « loi LCAP », mais que cette option avait été écartée. Si les critères de restitution des œuvres illicitement acquises figurent pour leur part dans ce texte, nous avons appris lors de nos auditions que le décret n’avait pas été publié.
Madame la secrétaire d’État, vous nous dites aujourd’hui que nos critères sont nébuleux, qu’il faut travailler davantage, qu’il y a des manques. Et en conséquence, vous n’amendez pas ce texte !
Tout cela est à la fois consternant et déplorable, et vous devrez en répondre, d’une part, aux pays demandeurs, et, d’autre part, à toutes les personnalités qui ont travaillé à ces critères, parmi lesquelles on compte tout de même Yves Coppens, Michel Guiraud, Yves Le Fur, Michel Van Praët ou encore Mme Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections de la direction générale des patrimoines, ici présente.
Quand j’entends que ces personnalités n’ont pas suffisamment travaillé et que les critères qu’elles ont établis ne suffisent pas pour rédiger une loi-cadre, les bras m’en tombent !
En tout état de cause, je défends avec force le texte que j’ai rédigé avec mes collègues Max Brisson et Pierre Ouzoulias et que soutiennent de nombreux cosignataires, car je pense qu’il contribuera malgré tout à faire avancer utilement le débat. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et CRCE. – M. Lucien Stanzione applaudit également.)
Mme le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’ensemble de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. Bravo !
3
Limitation de l’engrillagement des espaces naturels et protection de la propriété privée
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues (proposition n° 43, texte de la commission n° 314, rapport n° 313).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Noël Cardoux, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après deux années de travail, je suis en mesure de présenter au Sénat une proposition de loi pour lutter contre le développement de l’engrillagement des milieux naturels.
Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est accéléré considérablement depuis la loi de février 2005, laquelle – on se demande pourquoi ! – a permis aux propriétaires d’enclos attenant à une maison d’habitation de chasser le gibier à poil toute l’année, sans plan de gestion et sans contribution aux dégâts de gibier.
Avant 2005, il s’agissait d’un phénomène peu développé, motivé avant tout par une volonté de protection contre les intrusions ; après 2005, année de rupture, les enclos se sont multipliés, essentiellement pour pouvoir bénéficier des mesures dérogatoires, avec bien souvent des tableaux de chasse excessifs.
Depuis deux ans, un tapage médiatique peu opportun a incité de nombreux propriétaires, craignant une interdiction, à se clore à titre préventif. Si la Sologne est la championne de France des grillages, elle est loin d’être la seule région concernée : la Brenne, la Bourgogne et le sud de l’Île-de-France ne sont pas en reste. Le sud du pays, territoire relevant surtout d’associations communales de chasse agréées (ACCA), avec peu de propriétés privées, est moins concerné.
Voilà pourquoi la date de février 2005 a été choisie, en accord avec la Fédération nationale des chasseurs, qui soutient ce texte – je l’en remercie –, comme point de départ de la suppression des grillages existants, posés, pour la plupart, par opportunité cynégétique.
Il faut néanmoins espérer que les territoires non concernés par cette date et ne pouvant plus bénéficier de dérogation engagent un désengrillagement volontaire, grâce à la mise en place, souhaitable, de mesures incitatives, en dehors des obligations réelles environnementales (ORE) : application stricte du plan de gestion forestière (PSG), bénéfice de l’écocontribution pour l’implantation de haies, exonération de taxe foncière.
Il n’est pas possible, économiquement comme techniquement, de tout supprimer d’un trait de crayon, comme certains le demandent : pour être crédible, une loi doit être applicable. Ce texte doit toutefois permettre une prise de conscience, ainsi qu’une évolution rapide et irréversible.
Il provoque des réactions opposées, certains jugeant qu’il va trop loin et d’autres pas assez ; j’en déduis qu’il s’agit d’un texte d’équilibre, raisonnable, posant des perspectives d’évolution.
Au contraire des propositions de loi présentées à l’Assemblée nationale, il s’agit non pas d’interdire, mais d’équilibrer.
Cette proposition de loi représente néanmoins un virage fondamental, car, tout d’abord, elle respecte le code de l’environnement et la libre circulation des espèces dans les milieux naturels. On peut d’ailleurs se demander pourquoi la non-application de ce code n’a pas été relevée s’agissant de certains grillages posés depuis quelques années.
Ensuite, elle interdit en tout lieu l’engrillagement non franchissable par les animaux à partir de la publication de la loi. Si elle est votée, elle imposera donc un arrêt franc.
En outre, elle supprime les dérogations aux conditions de pratique de la chasse, quel qu’en soit le territoire.
Enfin, elle offre une période de transition suffisante de sept ans pour permettre aux enclos postérieurs à 2005 de se mettre en conformité.
Initialement fixé à dix ans, le délai a été réduit à sept ans par la commission, ce qui est acceptable. Certains proposaient cinq ans, mais le désengrillagement a un coût significatif, qu’il faut pouvoir étaler dans le temps, surtout pour les chasses commerciales, dont environ 10 % sont concernées, lesquelles ont un rôle à jouer dans l’équilibre cynégétique national, en développant une activité économique soutenue et en mettant en œuvre, depuis quelques années, une amélioration sensible de l’éthique de chasse.
Ces chasses commerciales existent, elles permettent à certains chasseurs qui n’ont pas de terrain de chasser et elles font des efforts d’amélioration. Il importe donc de leur donner un temps suffisant pour se mettre en conformité.
À ce sujet, si la régulation des espèces, en particulier des sangliers, doit être assurée par les chasseurs, ce n’est pas la seule justification de la chasse, qui est pour ses adeptes un mode de vie à part entière, comme je l’ai développé dans un récent petit ouvrage intitulé Vivre le vivant.
Ce texte prévoit une sanction, une contravention de cinquième classe, pour les pénétrations non autorisées dans les propriétés privées, qui est une contrepartie incontournable en faveur des propriétaires devant désengrillager leur terrain ; il permet également, dans la perspective de se protéger, de clore un périmètre de cent cinquante mètres autour d’une habitation.
L’exemple de l’Office national des forêts (ONF), qui gère le domaine privé de l’État et doit limiter les intrusions intempestives dans les forêts domaniales, avec les risques qui en résultent, d’incendie en particulier, est la preuve de la nécessité de cette mesure. Les propriétaires auxquels on demande de retirer leurs grillages, ou qu’on incite à le faire, doivent tout de même pouvoir mettre en place un élément dissuasif contre les intrusions.
Cette proposition de loi permet aussi aux gardes de l’Office français de la biodiversité (OFB) de pénétrer dans les territoires clos sans commission rogatoire, sauf dans les habitations.
Elle accorde des pouvoirs supplémentaires aux agents des fédérations de chasseurs. C’est important : les agents de l’OFB étant très sollicités, il est normal que ces agents viennent en complément.
Elle sanctionne le non-respect de ces dispositions par des peines s’alignant sur celles qui sont encourues pour la détérioration des milieux naturels et proscrit la pratique de l’agrainage en tas destiné à attirer le gibier.
Cette dernière interdiction figure, sur l’initiative du Sénat, dans la loi de 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, mais n’est pas sanctionnée, à défaut de décret d’application. En revanche, les schémas départementaux de gestion cynégétique permettent l’agrainage linéaire dissuasif à certaines périodes de l’année, pour une légitime protection des cultures ; nos amis agriculteurs le savent bien.
La simple énumération de ces mesures montre le travail en profondeur effectué par tous ceux qui ont participé à l’élaboration de cette proposition de loi. Je remercie tout particulièrement Sophie Primas, la présidente de la commission des affaires économiques, Laurent Somon, notre rapporteur qui a eu un rôle moteur pour proposer des ajustements opportuns, ainsi que Mme Annie Charlez, ancienne responsable juridique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui nous a apporté son précieux concours. Je remercie, enfin, le Gouvernement, qui a donné un éclairage constructif.
Mes chers collègues, je vous invite bien entendu à approuver le texte adopté par la commission. Ensuite, la balle sera dans le camp de l’Assemblée nationale, je ne sais pas quand, car les élections arrivent. Il me semble pourtant que, en adoptant ce texte, vous engageriez un phénomène irréversible pour limiter ces engrillagements et permettre un dialogue constructif avec les promeneurs sur le partage du milieu naturel et sur la désartificialisation des espaces cynégétiques.
Je serais très heureux que le Sénat soit à l’origine d’une telle évolution. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Somon, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Jean-Noël Cardoux vient de vous présenter les raisons qui l’ont conduit à déposer cette proposition de loi et les principales dispositions de celle-ci.
Je voudrais tout d’abord le remercier, car c’est fort de sa très grande connaissance de la chasse, des milieux naturels et des espèces sauvages que nous pouvons examiner ce soir ce texte complet, équilibré et courageux, pour lutter contre l’emprisonnement de la nature, tout en assurant la protection de la propriété privée.
Il s’agit aussi de s’opposer à l’artificialisation des milieux naturels et de défendre une chasse durable, éthique, exigeante et respectueuse des équilibres biologiques. Cette proposition de loi vient d’ailleurs en complément d’amendements que le Sénat avait adoptés dans la loi du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, pour limiter très strictement les lâchers de sangliers et l’agrainage.
En tant que rapporteur pour la commission des affaires économiques, je voudrais insister sur deux aspects : l’esprit dans lequel nous avons travaillé et les compléments que nous avons apportés au texte, avec l’accord de son auteur.
Sur ce texte, la commission a travaillé avec le souci du rassemblement, afin de faciliter sa future adoption à l’Assemblée nationale.
Il m’a semblé qu’il ne fallait pas aborder la proposition de loi de manière partisane ou conflictuelle entre chasseurs et non-chasseurs, propriétaires et promeneurs, mais essayer de forger le consensus le plus large possible sur un sujet qui doit tous nous rassembler, même si certains voudraient aller plus ou moins loin sur tel ou tel point, j’en ai bien conscience. J’ai donc auditionné le maximum de parties prenantes.
J’ai été frappé à la fois par les attentes très fortes de citoyens qui militent, parfois depuis trente ans, contre ce phénomène et par la maturité du débat et des solutions prêtes à être adoptées, que le rapport de Dominique Stevens et Michel Reffay, diligenté par le Gouvernement en 2019, a contribué à faire émerger.
Cela explique que, en dehors de Jean-Noël Cardoux, trois collègues députés se soient également saisis du sujet : Guillaume Peltier, Bastien Lachaud et François Cormier-Bouligeon.
Venant d’horizons politiques très différents, ils ont chacun, avec leur expérience de terrain, formulé des propositions et fait avancer la question. Je les ai rencontrés, car j’avais à cœur de les écouter, de tenir compte de leur travail et, autant que possible, de rapprocher le texte du Sénat des attentes d’ores et déjà exprimées à l’Assemblée nationale, car il nous faudra, dès que possible, aboutir à un texte commun.
Dans le même esprit, madame la secrétaire d’État, j’ai travaillé avec vos services. J’ai pu prendre en compte leurs difficultés et leurs besoins pour assurer le contrôle et l’application de la loi, et ils m’ont apporté leur expertise. Je tiens à les en remercier.
Ces travaux ont, en outre, été partagés avec des collègues d’autres groupes politiques, afin que nous puissions nous forger une opinion partagée. Cela s’est traduit en commission par le dépôt d’un certain nombre d’amendements identiques ; cela se traduira également, ce soir, par de nombreux avis favorables sur des amendements venus des différents bords de notre assemblée.
Finalement, le texte qui vous est présenté ce soir a été largement adopté par la commission, traduisant la volonté d’avancer ensemble, malgré nos différences, vers une solution attendue pour mettre fin à l’engrillagement des milieux naturels.
Forte de ce travail en partenariat que je viens d’expliquer, la commission a adopté plusieurs modifications au texte initial. Celles-ci résultent toutes d’observations et de demandes que nous avons recueillies lors des auditions et s’articulent autour de deux objectifs : mieux définir les caractéristiques des clôtures autorisées ; mieux assurer l’application de la loi, donc la lutte contre l’artificialisation des milieux naturels.
Concernant tout d’abord les caractéristiques des clôtures, en se fondant sur des exemples concrets, la commission a été attentive à ce que celles-ci assurent le passage de la faune au sol et ne puissent ni blesser ni devenir des pièges pour les animaux.
La commission a également précisé les exceptions pour lesquelles des clôtures hermétiques à la faune seront autorisées. Il s’agira des clôtures agricoles, sylvicoles et d’intérêt public.
Concernant les clôtures sylvicoles, elles seront autorisées pour protéger la régénération de la forêt, mais pas dans le cas d’un massif sous plan simple de gestion, ce qui aurait été un dévoiement. Il semble, d’ailleurs, que beaucoup de zones actuellement engrillagées n’en respectent pas les prescriptions.
S’agissant des clôtures d’intérêt public, il s’agit bien entendu d’assurer la sécurité des routes, des voies ferrées et des grandes infrastructures.
On pourrait s’étonner que le législateur descende dans tous ces détails, mais l’élaboration d’une norme nationale résulte d’une large demande et apparaît aujourd’hui comme une nécessité pour aider les maires dans l’application des plans locaux d’urbanisme (PLU) ou les régions dans celle de leurs schémas d’aménagement.
La commission s’est ensuite attachée à faciliter l’application de ces nouvelles dispositions.
Elle a réduit de dix ans à sept ans le délai de mise en conformité, estimant que, si le premier était trop long, il ne fallait négliger ni les délais d’application de la loi ni les conséquences matérielles et pécuniaires de la remise en cause de droits légalement acquis ou d’exploitations commerciales.
La commission a également souhaité favoriser l’effacement des clôtures antérieures à 2005, en permettant que l’écocontribution puisse être mobilisée pour les remplacer par des haies.
Il était ensuite nécessaire de prévoir des sanctions en cas de refus d’appliquer ces nouvelles normes. La commission a estimé que l’engrillagement de la nature était assimilable à une atteinte au patrimoine naturel, aux milieux comme aux espèces, et qu’il devait être sanctionné comme tel dans le code de l’environnement.
C’est pourquoi elle a retenu la possibilité de prononcer une peine maximale de trois ans de prison et de 150 000 euros d’amende. Cette peine apparaît proportionnée aux enjeux qui s’attachent à la clôture de grands territoires, laquelle n’est pas toujours motivée par la chasse. Dans les cas où cette dernière en est le mobile, l’engrillagement des espaces naturels pourra entraîner la suspension du permis de chasser du titulaire du droit de chasser.
Par ailleurs, comme des enclos subsisteront pendant le temps de mise en conformité, ou, plus durablement, parce qu’ils sont antérieurs à 2005, la commission a voulu combler un vide en permettant aux agents de l’OFB de les contrôler sans se voir opposer la protection du domicile. Je vous proposerai tout à l’heure un amendement visant à étendre cette possibilité aux agents assermentés des fédérations. L’objectif est que, là où s’exerce la chasse, la police de la chasse puisse opérer sans entrave.
En outre, il a paru nécessaire de compléter ces dispositions contre l’artificialisation des milieux et de la chasse, dont les enclos sont les archétypes, par une sanction en cas d’infraction aux règles d’agrainage et d’affouragement. Celle-ci pourra entraîner la suspension du permis de chasser du titulaire du droit de chasser.
Enfin, la commission a souhaité accueillir favorablement la volonté des fédérations de chasseurs de s’impliquer plus fortement dans la police de la chasse, compte tenu des moyens limités de l’Office français de la biodiversité et afin de démultiplier ses efforts sur le terrain. Dans cet esprit, les compétences des agents assermentés des fédérations seront étendues au contrôle de la conformité des clôtures et au respect des plans de gestion des enclos.
Je voudrais, pour finir, apporter deux précisions juridiques sur la rétroactivité de la loi et sur la création d’une contravention de cinquième classe pour la protection de la propriété privée.
La rétroactivité de la loi était nécessaire, car légiférer pour l’avenir aurait fait courir le risque d’une fuite en avant de l’engrillagement, comme on le constate depuis que ce sujet a été médiatisé. Cette rétroactivité doit être aussi importante que possible, pour revenir sur la dégradation des milieux naturels qui est constatée dans plusieurs régions.
La proposition de loi porte la volonté de restaurer les corridors biologiques, mais, dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il est nécessaire qu’elle soit limitée dans le temps, proportionnée et justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. C’est pourquoi la référence à la loi du 23 février 2005, qui avait accordé un certain nombre de dérogations aux enclos, a été retenue.
Par ailleurs, le texte ne remet pas en cause le droit de se clore, mais le conditionne à la libre circulation de la faune et préserve la possibilité d’ériger des barrières plus importantes pour la protection des cultures, des forêts et du domicile, jusqu’à cent cinquante mètres autour de celui-ci, soit un parc d’un peu plus de sept hectares.
Par ailleurs, cet abaissement des clôtures est compensé par la création d’une contravention de cinquième classe en cas de violation de la propriété rurale et forestière. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit donc pas d’un délit et que le prononcé de cette contravention est dans la main des juges, qui sauront faire preuve de discernement et de sagesse.
La commission a donc estimé que la sanction présentait les garanties nécessaires au regard des craintes qui ont pu s’exprimer. Je dois ajouter que, lors des auditions, les associations de terrain en Sologne ont été unanimes pour soutenir cette mesure, car elles constatent des difficultés croissantes liées à la croyance que la nature et ses fruits sont à tout le monde, avant leurs propriétaires et locataires légitimes.
Je dois dire que les problèmes posés par ce type de comportement ne s’arrêtent pas, nous le savons bien, aux frontières de cette belle région !
En conclusion, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je formule le vœu que le texte qui sera voté ce soir par le Sénat, sous l’impulsion de Jean-Noël Cardoux et de notre commission, permette une réelle avancée, par des mesures efficaces et pragmatiques, et puisse être rapidement repris et largement voté à l’Assemblée nationale.
Les amoureux de la Sologne, chasseurs ou non, propriétaires et promeneurs, attendent que cette région retrouve le charme qui a captivé Alain-Fournier, Maurice Genevoix ou Victor Hugo, qui ont porté ses paysages et son atmosphère au niveau de l’art universel.
La poésie a cette force de nous remettre en contact avec le sensible, de nous faire retrouver dans les mots et la rime l’essence de la vie, le goût de la contemplation, de la méditation et de l’imaginaire, un peu comme les amoureux de la nature devant un paysage de Sologne et l’espoir de surprendre un animal.
Comme le disait une personne auditionnée, « ici, on aime la chasse, parce que l’on aime la nature ». C’est dans cet esprit que nous avons décidé, dans cette proposition de loi, de retrouver un peu de ce sens perdu, parfois incompris. (Applaudissements.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Jean-Noël Cardoux, je vous remercie de nous donner l’occasion de discuter de ce sujet essentiel, qui a trouvé son moment, gagné une certaine maturité et pris sa place dans le débat public.
Il est en effet nécessaire de légiférer, nous le savons et nous en avons convenu quand nous nous sommes rencontrés en avril dernier à ce propos, monsieur Cardoux. Il nous fallait nous attaquer résolument à cette question, qui fait l’objet d’une attente forte, laquelle trouve également un écho à l’Assemblée nationale, sous différents angles.
Elle y est abordée de plusieurs façons : la proposition de loi du député François Cormier-Bouligeon, par exemple, concerne la chasse en enclos et fait écho à votre inquiétude au sujet de l’engrillagement. Une alerte a évidemment été lancée en Sologne, territoire riche de ses paysages qui s’est vu défiguré au fil des années par ces pratiques, qui n’ont cessé de s’y développer.
En 2019 déjà, le Conseil général de l’environnement et du développement (CGEDD) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAER) avaient rendu un rapport et établi un premier diagnostic. Leur constat était sans appel : plus de 3 000 kilomètres de grillages, au minimum, avaient été recensés sur les trois départements du Loiret, du Cher et du Loir-et-Cher. Le phénomène s’était nettement amplifié depuis l’évaluation précédente réalisée en 2011.
Nous ne pouvons laisser se développer l’engrillagement en Sologne, non plus que prendre le risque de son extension à d’autres territoires.
Cet engrillagement est parfois le fait de pratiques purement cynégétiques ou relève de la protection de la propriété privée ; j’exclus d’office de ma réflexion les clôtures nécessaires à la protection des routes ou des voies ferrées, à la régénération forestière ou encore aux activités agricoles, qui ne sont, évidemment, pas l’objet de cette proposition de loi.
Les impacts de l’engrillagement sont désormais bien connus.
Le premier se matérialise par des ruptures de continuité écologique dans un contexte de changement climatique appelant, au contraire, à la fluidité. Il est essentiel que les espèces puissent se déplacer sans contrainte. Or nos espaces sont malheureusement déjà trop fragmentés, en raison de l’urbanisation ou des infrastructures ; cela emporte des conséquences sanitaires : la maladie de Lyme, par exemple, se développe davantage dans des espaces fragmentés.
La trame verte et bleue est l’outil qui vise à assurer cette libre circulation. Elle est portée sur les documents d’urbanisme au niveau régional et, plus finement, dans les plans locaux d’urbanisme. En son sein, tout aménagement nouveau devrait être écologiquement transparent.
Nous avons beaucoup progressé sur ce point, avec, par exemple, le développement des passages à faune, mais il reste nombre de points noirs à résorber. La future stratégie nationale pour la biodiversité, que je vous présenterai dans quelques semaines, traitera largement de ce sujet. Ces efforts ne sauraient être entravés par le phénomène insidieux de l’engrillagement.
Le deuxième impact est évidemment paysager : ces clôtures défigurent nos campagnes ; c’est un des premiers motifs de mobilisation en Sologne. Je remercie, d’ailleurs, tous ceux qui se sont emparés de ce sujet, pour le faire connaître et le documenter.
Le troisième impact porte sur la capacité à lutter contre les incendies, car l’engrillagement peut entraver la circulation des engins de secours. Le risque d’incendie se développe, malheureusement, dans le contexte de réchauffement climatique, et il touche des régions qui se pensaient jusqu’à présent épargnées. Nous devons donc veiller à ce que les engins puissent accéder à ces zones et mieux adapter nos forêts à ce risque. Ces clôtures ne font que compliquer ce travail.
Enfin, on ne peut ignorer le sujet plus éthique de ces chasses, qui n’en sont pas lorsqu’elles se pratiquent en enclos. Il n’est pas question ici, toutefois, de légiférer sur cette approche, une évaluation objective de l’impact de l’engrillagement sur la nature ne doit surtout pas se confondre avec un débat autour de la chasse opposant les défenseurs et les détracteurs de cette dernière.
Ce texte se focalise sur la question de l’engrillagement et de ses impacts sur les continuités écologiques ; il répond, en ce sens, à certaines des critiques qui visent la chasse en enclos et nous appelle sans doute à aller plus loin, en incitant, notamment, les établissements concernés à adopter des pratiques différentes.
L’article 1er de la proposition de loi crée, d’une part, une obligation de mise en conformité des clôtures installées postérieurement à l’année 2005 dans les seules continuités écologiques identifiées dans la trame verte ; il interdit, d’autre part, l’installation de nouvelles clôtures étanches dans l’espace naturel.
Je souscris totalement à cette approche, laquelle ne permet toutefois de couvrir que certaines des situations auxquelles nous voulons mettre un terme. Nous ne disposons pas actuellement d’une cartographie des différents types de clôtures avant et après 2005. Il est donc très difficile d’apprécier l’effet de cette mesure et de déterminer si elle sera suffisante.
On sait toutefois qu’elle agira sur une partie importante de la Sologne. C’est le premier des objets de cette proposition de loi, et nous y serons bien sûr vigilants dans l’examen des amendements.
Le texte intègre ensuite dans le droit commun de la chasse les terrains enclos attenants à une habitation. C’est un point important, que je soutiens pleinement. Le régime dérogatoire dont bénéficient ces espaces est un moteur important de l’engrillagement ; un rapport d’audit de 2019 préconisait déjà cette disposition. Je vous félicite et vous remercie de l’avoir intégrée, mesdames, messieurs les sénateurs.
En contrepartie, il est prévu à l’article 4 de permettre aux propriétaires de mobiliser l’écocontribution pour financer efficacement l’effacement de clôtures, ainsi que de pénaliser fortement l’intrusion sur le terrain d’autrui.
Cette mobilisation de l’écocontribution ne peut s’entendre que dans un projet global de renforcement de la qualité de ces milieux, ce que la rédaction de votre commission a bien pris en compte, et je vous en remercie.
S’agissant, toutefois, de votre volonté de sanctionner lourdement les intrusions, un tel dispositif ne me paraît pas pertinent. Il me semble tout d’abord contre-intuitif au regard de la nécessité d’une reconnexion à la nature.
Dans nombre de pratiques de loisir, on ignore parfois que l’on se situe sur un terrain privé ; on peut donc imaginer que cette disposition serait un frein. Au contraire, on pourrait imaginer, par exemple, qu’elle ne concerne pas tous les publics. La contravention prévue, parce qu’elle ne tient pas compte de l’intentionnalité du geste, pourrait également apparaître comme quelque peu disproportionnée.
La commission a cependant apporté des améliorations notables sur la question des contrôles, notamment, lesquels pourront être effectués dans les enclos autour des habitations. Il est évidemment nécessaire de respecter le domicile de chacun, donc de bien les proportionner. Pour autant, cela ne doit pas conduire à soustraire des surfaces entières au contrôle de l’activité de chasse. Il était donc pertinent de disposer de règles claires et différenciées pour deux types d’espaces : l’habitation et les terrains qui l’entourent. C’est chose faite !
La commission a ensuite proposé de lourdes sanctions à l’encontre de ceux qui ne respecteraient pas cette mise en conformité et cette obligation d’abaisser ou de remonter leur clôture. Il me semblait également important d’être dissuasif, notamment au regard du coût des grillages eux-mêmes. Vous avez également répondu sur ce point.
Notre discussion sur ce texte appelle à mon sens plusieurs points de vigilance, concernant, tout d’abord, la prévention des dégâts agricoles et forestiers. En effet, le grand gibier, lorsqu’il est surabondant, cause des dégâts ou menace la régénération des forêts, et l’enlèvement de ces grillages ne doit pas accentuer ces problèmes en périphérie des espaces concernés. Nous y serons vigilants.
Dans cet esprit, j’estime également que nous devons supprimer, ou restreindre le plus possible, les lâchers de gibier.
Je prendrai prochainement des mesures réglementaires, en ce sens : un décret renforcera l’obligation de respecter une densité maximale de sangliers dans les enclos. Ce texte a déjà fait l’objet d’une concertation avec les acteurs ; au-delà d’un animal par hectare, il s’agit d’élevage, et les règles à appliquer doivent donc en tenir compte. Interdire la surdensité est une façon de dissuader l’engrillagement, et cela me semble conforme à une certaine éthique de ces chasses, que nous appelons de nos vœux.
Évidemment, ce décret doit renforcer les mesures sanitaires, avec la mise en place de quarantaines et de plans de gestion des animaux introduits dans les enclos ; dans le cadre des chasses commerciales, un dispositif de marquage des animaux sera également rendu obligatoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je suis persuadée que cette proposition de loi sera une contribution réellement significative et efficace à la lutte contre l’engrillagement.
Ce texte exigera la mobilisation des élus, car les documents d’urbanisme doivent être complétés et mis à jour pour qu’il puisse porter pleinement ses effets. Il devra aussi être rapidement évalué à l’aune des résultats escomptés : nous nous y attacherons.
Je le répète, nous devrons sans doute aller plus loin pour lutter contre certaines pratiques, comme les chasses en enclos – ces chasses qui n’en sont pas, dans la mesure où bien souvent elles ne laissent aucune chance à l’animal. D’ailleurs, la plupart des chasseurs les remettent en question, car ils ne s’y reconnaissent pas.
Le débat que vous ouvrez aujourd’hui, avec ces dispositions extrêmement positives et ô combien nécessaires, est donc le premier pas d’une démarche que nos concitoyens attendent de nous : l’encadrement de la chasse française. (MM. Jean-Claude Requier et Jean-Noël Cardoux applaudissent.)