M. Max Brisson. Pourtant, en écoutant le président du musée du quai Branly-Jacques Chirac, nous avons été confortés dans ce que nous ressentions, à savoir combien est important le travail méthodique d’éclairage, de contextualisation, de recherche de provenance de chaque objet ; combien est important ce travail en coopération avec les scientifiques des pays demandeurs ; combien cela pourrait faire tomber les visions idéologiques visant à soumettre l’histoire de chaque œuvre au prisme d’une vision globale empruntant les lunettes déformantes du présent pour la soumettre aux exigences présupposées de notre époque.
M. Julien Bargeton. Voilà le débat démocratique !
M. Max Brisson. Oui, chaque objet a une histoire propre, qui ne peut se réduire à une vision généraliste et être passée sans dégât au tamis de nos débats du XXIe siècle. Ce travail minutieux, nous le devons au respect de la vérité historique.
Or, justement, se doter d’une institution permettant d’élaborer un éclairage historique, archéologique et muséologique, tel est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi que j’ai l’honneur de porter avec Catherine Morin-Desailly et Pierre Ouzoulias. Le Gouvernement aurait dû, madame la secrétaire d’État, la faire sienne, plutôt que la snober.
M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
M. Julien Bargeton. Mais non !
M. Max Brisson. En effet, quoi qu’en pensent les tenants d’une histoire réécrite, les contextes varient selon la nature du bien, les conditions d’acquisition et les voies d’entrée dans les collections publiques.
En revanche, une loi-cadre ne me paraît guère envisageable en l’état actuel des travaux réalisés dans nos musées, tant que quelques règles communes ne seront pas dégagées. Telle pourrait être la fonction de la commission de réflexion proposée dans notre texte.
Bien entendu, des moyens importants devront suivre ; c’est la condition sine qua non pour étayer la vérité et repousser l’idéologie. Que l’on n’accorde aucun moyen au musée du quai Branly montre la faiblesse de la volonté politique d’agir en la matière depuis cinq ans, ce qui laisse à penser que le chef de l’État, une nouvelle fois, a surtout privilégié l’effet d’annonce, et non une politique structurante, inexistante tout au long du quinquennat.
M. Pierre Ouzoulias. Exactement !
M. Max Brisson. Par cette proposition de loi, le Sénat quant à lui compte s’inscrire dans une position constante : la nécessité d’une analyse objective du contexte d’acquisition, fondée sur une méthode partagée. Sans cela, le fait du prince continuera de sévir au service de la diplomatie, mais plus encore de la réécriture de notre histoire dans sa globalité,…
M. Julien Bargeton. Ah !
M. Max Brisson. … ainsi que de l’histoire de chaque objet, soumis, malgré lui, à l’instrumentalisation politique de notre siècle.
Voilà pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à voter la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. (Applaudissements sur toutes les travées, à l’exception de celles du groupe RDPI.)
M. Julien Bargeton. Dites simplement que vous êtes contre les restitutions !
Mme le président. La parole est à M. Thomas Dossus.
M. Thomas Dossus. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 28 novembre 2017, devant les étudiants de l’université de Ouagadougou, le Président de la République prenait un engagement qui se voulait fort. Lors de ce discours, il reconnaissait qu’il était inacceptable que l’Afrique soit dépossédée d’une large partie de son patrimoine culturel et s’engageait à permettre, d’ici à 2022, « des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».
Voilà tout juste un an, nous examinions un projet de loi actant le retour du trésor de Béhanzin et le sabre avec fourreau dit « d’Oumar Tall », respectivement au Bénin et au Sénégal.
Nous sommes encore loin d’un processus dynamique d’une diplomatie culturelle plus active avec le continent africain.
En prenant en compte les demandes émises par tous les pays et connues à ce jour – Tchad, Mali, Éthiopie, Madagascar, etc. –, ce sont en effet plus de 13 000 biens qui devraient être examinés comme « candidats au retour » sur leur terre d’origine. Le texte de l’année dernière a été le seul et unique du quinquennat en provenance du Gouvernement sur ce sujet.
Certes, le cadre législatif ne facilite pas les choses, puisque chaque restitution émanant des collections nationales doit faire l’objet d’un texte de loi spécifique.
Déjà en 2018, les universitaires Felwine Sarr et Bénédicte Savoy ont évoqué cette situation dans leur Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain : vers une nouvelle éthique relationnelle. Ils y reconnaissent que l’usage de ces lois d’exception « limite à l’extrême les cas de restitution » et qu’il conviendrait d’amorcer des démarches plus durables et globales avec les pays concernés.
Il y a bien nécessité de sortir des lois d’exception et d’établir une coopération culturelle plus intense avec le continent africain. Cela passe par une forte évolution des mécanismes de restitution actuels, tributaires du fait du prince, souvent en dehors de toute considération scientifique ou patrimoniale. La présente proposition de loi va dans ce sens, ce que nous saluons.
Ce texte prévoit la création d’un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens. L’instance aura pour mission de donner son avis sur les demandes de restitution et sera composée d’experts de nombreuses sciences humaines et historiques chargés d’évaluer ces demandes.
Nous espérons qu’il permettra d’objectiver les motivations des restitutions et d’en accélérer le processus – non pas que nous soyons pressés de nous débarrasser de ce patrimoine, mais parce qu’il est temps de construire la coopération culturelle avec le continent africain sur des bases saines, affranchies autant que faire se peut des considérations purement diplomatiques ou politiques du moment.
La proposition de loi procède d’une intention louable, la méthode est la bonne et elle pallie les manquements du Gouvernement.
Toutefois, comme l’année dernière, je ne puis m’empêcher d’appeler à ce que nous allions encore plus loin. Nous espérons qu’à terme le Parlement pourra se fonder sur ce conseil nouvellement créé et valider, par exemple à l’occasion du vote d’une loi annuelle, les restitutions que celui-ci aura proposées. Ainsi, nous pourrions satisfaire à la fois l’inaliénabilité des collections et la nécessité d’un cadre stable de restitution.
Oui, nous avons besoin d’un cadre stable pour ces restitutions. C’est le ciment indispensable d’une nouvelle approche avec le continent africain, une « nouvelle éthique relationnelle », comme le disent Felwine Sarr et Bénédicte Savoy.
Le débat sur la dépossession de notre patrimoine culturel français est caduc. Il s’agit désormais d’instaurer un dialogue avec les pays d’origine de ces biens, afin qu’ils deviennent, comme nous l’avons été avant eux, les gardiens d’un patrimoine pour toute l’humanité.
C’est cet idéal qu’il nous faut viser inlassablement, celui du dialogue entre chacune des cultures pour le bien de toutes et tous, celui du partage vu comme un enrichissement mutuel, et non une dépossession, celui de la justice et de la culture comme offrande faite au monde.
C’est un combat de tous les instants, de toutes les politiques, fait de petits pas et de grandes avancées. La présente proposition de loi participe de ce mouvement. C’est pourquoi le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, « Est-ce là, où la religion ne permettait même pas aux hommes libres d’entrer pour prier, que tu as osé, toi, lancer les esclaves au pillage d’un sanctuaire ? Est-ce sur ces objets, dont le droit sacré te forçait à détourner même les yeux, que tu n’as pas hésité à porter les mains ? […] Croyez-moi, juges, […] si pendant ces dernières années nos alliés et les peuples étrangers ont subi nombre de malheurs et d’injustices, il n’en est pas qui soient et qui aient été plus pénibles pour des Grecs que ces pillages de sanctuaires et de villes ».
Ainsi s’exprimait Cicéron lors du procès de Verrès, le gouverneur concussionnaire de la Sicile, qui avait pillé toutes ses œuvres d’art. L’histoire des collections est souvent celle du vol, du dol, de la captation, du détournement ou de l’accumulation d’objets collectés sans grand souci de leurs origines et des conditions de leur réunion.
Les temps ont changé, et il n’est plus possible de satisfaire la curiosité du public ou ses plaisirs esthétiques dans l’ignorance de leurs fonctions antérieures, des systèmes sociaux auxquels ils ont appartenu et des destins parfois tragiques qu’ils ont accompagnés. L’existence de ces objets et de ces œuvres ne commence pas avec leur exhibition.
Cette exigence éthique et scientifique de reconnaissance des circonstances des collectes est très loin d’être satisfaite pour une part majeure des œuvres des collections nationales.
Ce récolement général devrait être la première étape indispensable de toute démarche de restitution. C’est un travail de fond qui doit être réalisé de façon collégiale, par la mobilisation de plusieurs disciplines et en collaboration avec les scientifiques des pays d’origine de ces pièces. Disons-le sans ambages : au pire, il n’a pas commencé, au mieux, les moyens dérisoires qui lui sont consacrés éloignent d’autant son achèvement.
Tant que cet inventaire ne sera pas suffisamment avancé, l’aliénation d’objets des collections nationales continuera d’obéir aux vicissitudes des petits arrangements entre États, aux sollicitations entre amis, aux traditions surannées des cadeaux diplomatiques, et il sera demandé au Parlement, tout en lui refusant le besoin d’en connaître, de voter sans renauder des lois de circonstance organisant dans l’urgence et la quasi-clandestinité leur dépossession.
M. Max Brisson. Très bien !
M. Julien Bargeton. Mais non !
M. Pierre Ouzoulias. Il en fut ainsi des restitutions d’œuvres au Bénin et au Sénégal. Le Sénat approuva leur principe, mais s’opposa, par une large majorité, à leurs modalités.
Lors des auditions réalisées par notre commission pour l’examen de ce texte, il n’a toujours pas été possible d’appréhender les modalités d’instruction de ces demandes. Nous n’avons pas obtenu officiellement la copie des lettres adressées par les gouvernements du Bénin et du Sénégal, et il ne nous a pas été possible de déterminer pourquoi certaines œuvres revendiquées par le Bénin ne lui ont pas été restituées.
Ce retour des œuvres béninoises aurait dû être le prétexte d’une collaboration culturelle ambitieuse entre nos deux pays. Il s’est plutôt apparenté à une froide opération notariale de transfert de propriété, qui a frustré les deux parties.
Les restitutions devraient être l’un des éléments d’un échange culturel conçu comme un pont entre deux mondes qui regardent leur passé pour mieux construire leur avenir en commun. La forme législative appropriée de cette coopération pourrait être celle d’une convention internationale. Réduire la restitution à un article législatif constatant la radiation d’objets sur l’inventaire d’un musée est indigne de la valeur symbolique portée par les demandes.
M. Max Brisson. Et c’est peu démocratique ! (M. Julien Bargeton proteste.)
M. Pierre Ouzoulias. L’impéritie des services de l’État à engager le récolement des collections, l’absence de méthode pour l’instruction des demandes et le manque d’ambition politique et culturelle de la précédente loi de restitution ont conduit les signataires du présent texte à proposer la constitution d’un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens.
Constatant la nécessité de donner un nouvel élan à la politique de réparation des spoliations antisémites des œuvres entre 1933 et 1945, le ministère de la culture s’est doté, en avril 2019, d’une nouvelle mission rattachée au secrétaire général du ministère. Sans confondre les deux offices, le Sénat considère que le conseil national proposé par ses soins a la même utilité pour insuffler, coordonner et rendre public les programmes d’échanges d’œuvres.
Vous nous expliquez, madame la secrétaire d’État, que les restitutions ne sont pas le fait du prince. Montrez-le ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, RDSE et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais en préambule remercier Mme la rapporteure, notre chère Catherine Morin-Desailly, ainsi que les rapporteurs de la mission d’information, Pierre Ouzoulias et Max Brisson, de la qualité et de la pertinence de leurs travaux, qui permettent une évolution nécessaire de la loi sur un sujet d’actualité récurrent.
Le présent texte s’inscrit dans la droite ligne et la continuité des travaux menés de longue date par le Sénat sur ce sujet. Le groupe Union Centriste se mobilise sur la question depuis vingt ans.
En effet, les deux premières lois de restitution de restes humains appartenant à des collections publiques françaises ont été adoptées sur l’initiative de Nicolas About et Catherine Morin-Desailly. Il s’agit de la loi du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud et de la loi du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.
Dès 2007, Catherine Morin-Desailly a été mobilisée sur la question du retour des biens culturels. À cette date, alors qu’elle était adjointe à la culture du maire centriste de Rouen Pierre Albertini, elle avait fait adopter à l’unanimité une délibération pour restituer à la Nouvelle-Zélande la tête maorie appartenant au musée de la ville. Mais le ministère de la culture de l’époque avait contesté la délibération votée devant la juridiction administrative.
Outre le texte législatif ponctuel qu’il aura donc fallu pour permettre ce retour, dès cette époque était apparue la nécessité d’établir une procédure et des critères objectifs pour traiter des réclamations étrangères de biens appartenant à des collections publiques.
Faute de quoi, en dépit de leur protection par le principe d’inaliénabilité, les collections encourent un risque majeur d’arbitraire. Sans critère scientifique objectif, le fait du prince prévaut, ce qui revient à faire dépendre le sort des collections de l’aléa diplomatique.
La loi de restitution des têtes maories avait mis en place une instance scientifique : la Commission scientifique nationale des collections (CSNC). Celle-ci était chargée de contrôler les déclassements et les cessions de biens appartenant aux collections publiques, ainsi que de définir une doctrine générale sur ces questions.
La CSNC n’a toutefois pas joué son rôle, puisqu’elle s’est déclarée incompétente pour juger des demandes de restitution. Elle a été supprimée, sur l’initiative du Gouvernement, par la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.
Le problème reste donc aujourd’hui entier. Mais il se pose avec plus de force que jamais, puisque les demandes de restitutions n’ont cessé de se multiplier au cours des dernières années.
C’est bien ce qui a conduit le Président de la République à s’emparer du sujet lors du discours de Ouagadougou, le 28 novembre 2017, et à commander le rapport Sarr-Savoy.
Cette actualité a accouché d’une troisième loi de restitution, la loi du 24 décembre 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, qui concernait pour la première fois des œuvres et objets d’art, non des restes humains.
Le Sénat avait alors adopté un amendement visant à créer un conseil national chargé de réfléchir aux questions de circulation et de retour d’œuvres d’art extra-occidentales. Cette création s’est opposée à un veto catégorique de la part du Gouvernement et de sa majorité. La CMP n’a pu aboutir en raison de cette mesure.
Le 16 décembre 2020, en adoptant les conclusions de sa mission d’information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques, le Sénat a formulé quinze propositions, qui constituent une doctrine unique en la matière.
La présente proposition de loi concrétise les deux propositions faites par la mission d’information relevant du domaine législatif : d’une part, la création du Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens ; d’autre part, l’extension de la procédure judiciaire prévue à l’article L. 124-1 du code du patrimoine pour faciliter la restitution de certains restes humains appartenant aux collections publiques.
La première de ces propositions, la plus importante, tire les leçons de l’échec de la CSNC, en donnant clairement compétence à l’institution créée de se prononcer sur les demandes de restitution et en resserrant sa composition autour de douze membres, au lieu d’un collège pléthorique.
C’est le seul garde-fou possible pour éviter que les collections ne se transforment en « étagères à goodies », dans lesquelles l’exécutif n’aurait qu’à piocher au gré de ses intérêts diplomatiques. Pour ce faire, le texte pérennise autant que possible le principe de l’inaliénabilité des œuvres. Le patrimoine et l’histoire qui lui est associée ne doivent pas devenir des instruments politiques ou des variables d’ajustement dans les relations diplomatiques.
Il s’agit, plus globalement, de réduire au maximum le risque d’arbitraire pesant sur les procédures de restitution.
L’ambition de ce texte est de proposer un cadre précisant clairement les critères de restitution des œuvres. Ceux-ci devront être déterminés de façon objective et scientifiquement établis.
Nous nous réjouissons de voir que, au travers de cette proposition de loi, c’est l’humain qui prime. Nous affirmons nos valeurs. Les biens artistiques et culturels ne sont pas des biens comme les autres. Ils doivent respecter la dignité humaine et favoriser la transmission des valeurs entre générations.
Le groupe Union Centriste votera, bien entendu, ce texte. Et comme il me reste un peu de temps pour m’exprimer dans cette discussion générale, je souhaite renouveler mes remerciements au trio qui nous réunit ce soir, à savoir Catherine Morin-Desailly, la rapporteure, ainsi que Max Brisson et Pierre Ouzoulias pour le travail qu’ils ont mené sur le sujet.
J’ai un seul regret, celui que le Gouvernement ait été incapable de s’emparer de cette proposition de loi dès à présent… Mais je ne doute pas que cela viendra ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et CRCE.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la déclaration universelle sur la diversité culturelle de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) affirme la « spécificité des biens et services culturels qui, parce qu’ils sont porteurs d’identité, de valeurs et de sens, ne doivent pas être considérés comme des marchandises ou des biens de consommation comme les autres ».
Dans ces conditions, selon une conception identitaire, on peut comprendre la nécessité du retour d’un bien vers celui à qui il fait sens, tout comme on peut accepter la valorisation des biens culturels dans une perspective universaliste, car la culture s’épanouit au contact des autres.
Bien entendu, au regard de notre histoire, en particulier de celle qui nous lie au continent africain, il est clair que ces deux approches peuvent se heurter.
Aussi, la proposition de loi a le grand mérite de mettre en place un cadre rigoureux de nature à traiter, dans la transparence et sans arrière-pensées, les demandes de retour de biens culturels dans leurs pays d’origine. Le RDSE est tout à fait favorable à son adoption.
Madame la secrétaire d’État, ce débat peut-il ouvrir la voie à la loi-cadre voulue par le Président de la République ? La réflexion, en effet, ne sera pas épuisée aujourd’hui…
Au fond, quelle est la finalité du retour d’un bien culturel dans son pays d’origine ? S’agit-il pour le donateur de l’utiliser comme un levier de soft power – « puissance douce », en français ? La multiplication des conventions de dépôt engagées par le Gouvernement participe sans doute au dialogue politique avec les pays d’Afrique.
Par ailleurs, lorsque l’on sait qu’une grande majorité de biens culturels ont été acquis dans des conditions inacceptables, s’agit-il de faire acte de repentance ? On peut accéder à ce besoin moral de réparer, mais doit-on pour autant qualifier sans nuance les musées européens de « musées des autres », comme le fait le polémique rapport dit « Savoy-Sarr » ?
À cet égard, dans le texte qui nous occupe ce soir, le choix du mot « retour », plutôt que celui de « restitution », va dans le sens d’un apaisement nécessaire autour de cette question sous-jacente des spoliations. Le retour fait référence à l’histoire et à la géographie, sans se focaliser sur les conditions d’acquisition.
Pour le législateur, la meilleure façon d’éviter ces écueils est de mieux encadrer la politique de retour des biens culturels, en donnant avant tout un rôle accru aux experts, comme nous le faisons dans le présent texte.
Pour autant, à terme, une réflexion plus vaste sera nécessaire. Comme l’a rappelé notre collègue Bernard Fialaire lors de l’examen de la loi relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, le « retour » d’un bien culturel doit relever avant tout d’une réflexion culturelle.
Le principe d’inaliénabilité, qui protège les collections publiques, apparaît bloquant, alors que, en réalité, il n’est pas absolu. En effet, ce n’est pas la nature d’un bien qui fait obstacle à l’aliénation ; c’est son affectation au domaine public. La procédure de déclassement le confirme.
Dans une future loi-cadre, on attend un dépassement de ces notions. En réponse à des demandes de pays qui auraient un attachement historique ou identitaire à des biens culturels, il faut mettre en avant la notion de don, qui intègre l’idée de la propriété inaliénable du bien culturel au niveau de son essence, et non de sa matérialité.
Ce droit doit en effet se construire à partir de la dimension culturelle d’un bien, pour dépasser son titre de propriété.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Certains biens ont d’ailleurs acquis une vocation culturelle en sortant de leurs frontières, en se confrontant avec d’autres cultures. Cela relativise l’endroit où ils se trouvent.
Une œuvre a une vocation universelle et elle appartient au patrimoine universel de l’humanité, qui pourrait en être le nu-propriétaire. L’usufruit, quant à lui, trouverait sa place en fonction de son intérêt culturel, soit dans un musée à vocation universelle de dialogue interculturel, soit dans son pays d’origine si sa présence est nécessaire à l’approfondissement de l’identité de ce pays.
M. Pierre Ouzoulias. Très bonne idée !
M. Jean-Claude Requier. La circulation des biens serait ainsi facilitée, sous réserve de l’amélioration des politiques muséales ou de conservation des pays d’accueil des biens culturels. Le corapporteur spécial de l’aide publique au développement que je suis ne serait pas opposé à un véritable renforcement des moyens de la coopération en matière d’ingénierie culturelle.
En attendant, mes chers collègues, dans le sillage de Bernard Fialaire, le RDSE approuvera ce texte visant à un dépassement des frontières, à un patrimoine culturel partagé et à une meilleure concorde entre les peuples. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, GEST et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Très bien !
Mme le président. La parole est à M. Olivier Paccaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Madame le président, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission, madame la secrétaire d’État, cher Max Brisson, cher Pierre Ouzoulias, mes chers collègues, à de trop nombreuses reprises depuis cinq ans, le pouvoir exécutif a fait peu de cas de la représentation nationale et de la souveraineté du Parlement.
En matière de patrimoine aussi, le Gouvernement s’est montré peu soucieux du rôle des parlementaires dans la préservation et la sauvegarde de nos collections nationales. Oubliant qu’elles ne lui appartiennent aucunement, le chef de l’État a pris la mystérieuse habitude d’agir seul et discrètement pour traiter les demandes de restitution, métamorphosant le Parlement en chambre d’enregistrement.
M. Julien Bargeton. Mais non !
M. Olivier Paccaud. S’il est louable que la France se saisisse de la question de la circulation des biens culturels, les méthodes retenues par l’exécutif semblent plus que contestables. Outre le mépris affiché envers les assemblées, le pouvoir exécutif fait fi de l’expertise scientifique et de la voix des acteurs de la culture. Or on ne peut mesurer la pertinence et l’opportunité de telles démarches sur les seuls critères politiques, diplomatiques et – pourquoi pas ? – médiatiques.
Fût-il éclairé, un Président de la République ne saurait être un monarque absolu. D’ailleurs, dans le royaume de France, même sous Louis XIV, les prérogatives royales étaient encadrées. (M. Julien Bargeton s’exclame.)
À plusieurs occasions et en l’espace d’une seule année, les parlementaires ont été placés devant le fait accompli : entre novembre 2019 et novembre 2020, trois restitutions à des pays étrangers ont été effectuées. Ce sont autant d’humiliations pour le Parlement, qui détient pourtant des prérogatives exclusives pour autoriser la sortie définitive de ces biens.
Nonobstant l’intégrité de nos collections, c’est donc aussi le principe de séparation des pouvoirs lui-même qui est ainsi bousculé.
M. Julien Bargeton. Oh !
M. Olivier Paccaud. Lors de son déplacement à Ouagadougou, en novembre 2017, le Président de la République expliquait vouloir poser les jalons d’une nouvelle politique patrimoniale avec l’Afrique. Dont acte ! Mais encore faut-il ne pas tomber dans le piège du fait du prince, car ce n’est pas à un élu, quel qu’il soit, de déterminer l’avenir de nos collections publiques. Le patrimoine n’est pas politique et son sort ne doit pas fluctuer au gré des alternances et de l’air du temps.
Ce texte aspire ainsi à éclairer scientifiquement et sur le temps long la gestion de nos biens culturels. La teneur et la portée symbolique de ces questions nous obligent à ne pas les traiter dans la précipitation. Elles exigent un travail long et collectif de coopération avec les pays demandeurs.
Chaque requête, d’où qu’elle vienne et quelle que soit sa nature, doit être examinée au cas par cas, car le seul contexte colonial ne peut suffire – tant s’en faut – à fonder la légitimité du retour d’un bien culturel, auquel cas l’ensemble de ces démarches s’assimileraient à des actes de repentance ou de contrition.