Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Ce n’est pas ce qui est prévu !
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Leur place dans les musées peut se justifier, notamment certains restes archéologiques ou objets constitués à partir de restes humains ainsi transformés, comme dans certaines collections anthropologiques.
M. Pierre Ouzoulias. Nous avons écarté ces cas de figure du dispositif ! (Mme la rapporteure le confirme.)
Mme Nathalie Elimas, secrétaire d’État. Sur ce point, on ne peut qu’être favorable à l’article 2, puisqu’il entend délimiter assez strictement le champ des restes humains restituables. Certains critères retenus à cette fin nous semblent parfaitement pertinents et rejoignent ceux qui ont été identifiés dans les travaux conduits sous l’égide du ministère de la culture.
Ainsi, pour que des restes soient restitués, premièrement, il faut que leur origine ait été identifiée dans le cadre d’un processus scientifique. Deuxièmement, les conditions de leur collecte doivent porter atteinte au principe de dignité de la personne. Troisièmement, ces restes doivent appartenir à des groupes humains encore existants, dont les cultures sont actives, et leur restitution ne peut avoir comme finalité une exposition muséale. Quatrièmement, et enfin, ils doivent enfin avoir fait l’objet d’une demande officielle de restitution par l’État concerné.
Toutefois, dans le texte qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, il nous semble qu’il manque au moins un critère : celui d’un âge maximal des restes humains, pour que ceux-ci soient restituables. Il nous semble nécessaire de considérer qu’au-delà d’une certaine ancienneté, par exemple cinq cents ans, un reste humain ne peut plus être restitué, car le lien avec le peuple d’origine apparaît forcément distendu et plus difficilement rattachable à une population actuelle.
En outre, d’autres critères figurant dans ce texte sont insuffisamment protecteurs pour les institutions patrimoniales. Par exemple, le fait qu’un reste humain n’ait pas fait l’objet de recherches depuis dix ans n’a pas de sens, car cela ne signifie nullement qu’il ne soit plus susceptible de faire l’objet de recherches à l’avenir.
J’ajoute que certaines conditions posées au retour des restes humains sont discutables : la coopération avec les pays d’accueil n’est pas un critère aussi primordial dans ce cas que pour les objets muséaux, qui peuvent faire l’objet de projets conjoints.
Dernier point, l’élaboration d’une liste intermédiaire de biens restituables fragilise le principe d’inaliénabilité en instaurant une nouvelle catégorie, en droit, dans les collections publiques.
Le cas des œuvres répertoriées « Musées nationaux récupération », ou MNR, issues de la récupération artistique après la Seconde Guerre mondiale, ne saurait lui être comparé. Ces biens figurent en effet sur une liste à part, parce qu’ils n’ont jamais intégré la domanialité publique, et cela du fait que, à l’origine il y a eu dépossession illégale de leur propriétaire privé.
S’agissant d’objets faisant partie intégrante des collections publiques, l’établissement d’une telle liste crée une catégorie dont le statut en droit paraît un peu nébuleux : ils ne sont ni dans les collections publiques ni vraiment en dehors ; ils possèdent en quelque sorte un statut d’attente.
Cet inventaire nécessiterait en outre un travail colossal, dans lequel le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), qui est le principal concerné, tout comme les autres musées de France qui ont des collections d’anthropologie physique, n’aurait certainement pas les moyens de s’engager.
Il conviendrait, sur ce point en particulier, de consulter le président du MNHN, ce qui à notre connaissance n’a pas été fait. (M. Pierre Ouzoulias proteste.)
Dans ce contexte, malgré une volonté partagée d’aboutir un jour à un texte permettant de régler ce sujet spécifique et de faciliter les restitutions quand elles sont justifiées, le Gouvernement ne soutiendra pas, à ce stade, la présente proposition de loi. (M. Julien Bargeton applaudit.)
Mme le président. La parole est à M. Lucien Stanzione.
M. Lucien Stanzione. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la restitution des biens culturels est un sujet complexe, qui mêle des intérêts et des acteurs divers et bien souvent opposés et qui suscite de nombreuses interrogations, notamment sur les plans historique, économique, géopolitique, diplomatique, éthique et spirituel.
Ce sujet fait aujourd’hui l’objet d’un débat, et cet enjeu occupe une place croissante dans l’espace médiatique.
Cicéron plaidait déjà en faveur d’une protection du patrimoine et de la restitution des œuvres d’art spoliées à la province de Sicile par Verrès, gouverneur romain accusé d’abus de pouvoir et de vol d’œuvres d’art.
Depuis l’Antiquité, la saisie d’œuvres d’art est le premier facteur de circulation des biens culturels. En 1815, après la défaite de Napoléon, les puissances alliées ont exigé le retour de plusieurs œuvres subtilisées dans le cadre des campagnes militaires menées par notre pays.
De la même manière, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en Allemagne, plusieurs des biens amassés par les nazis sont visés par des demandes de restitution. Les études sur la provenance des œuvres dans les collections allemandes permettent de rendre certains biens culturels à des États étrangers, mais aussi à des particuliers, aux héritiers ou ayants droit des nombreuses familles juives spoliées par le régime nazi.
Si l’on creuse la notion d’objet culturel, on s’aperçoit qu’elle se définit au travers de l’instrument juridique mobilisé et de la matière considérée : sa valeur peut être archéologique, artistique, scientifique, technique, religieuse, laïque, historique ou encore symbolique.
Le bien culturel est porteur de sens ; il est la mémoire et l’empreinte de la culture dont il est issu. Il compose le patrimoine culturel d’une société qui lui permet de forger son identité, sa mémoire collective. C’est ce patrimoine culturel que l’on souhaite transmettre aux générations futures.
Les écueils juridiques sont nombreux et mettent en lumière la particularité et la complexité du sujet. À titre d’exemple, on peut estimer que le principe fondamental de prescriptibilité, quand on l’applique aux demandes de restitution, est peut-être inadapté.
Les restes humains, qui revêtent une importance spéciale au regard de l’éthique et de la morale, doivent faire l’objet d’un traitement particulier.
Je pense à deux cas très représentatifs.
Tout d’abord, j’évoquerai la restitution à la Nouvelle-Zélande de la tête d’un guerrier maori, qui se trouvait depuis la fin du XIXe siècle dans les collections du Muséum d’histoire naturelle de Rouen.
En 2007, la décision du conseil municipal de la ville, qui ordonnait la restitution de la tête maorie à la Nouvelle-Zélande, a été annulée, sur requête du ministère de la culture, par le tribunal administratif de Rouen, qui s’est fondé sur le principe d’inaliénabilité des collections publiques. Les têtes maories n’ont pu être restituées qu’en 2010, après le vote d’une loi dont Mme Catherine Morin-Desailly était déjà l’auteur.
Le second exemple concerne Saartjie Baartman, qui, au début du XIXe siècle, a été emmenée à Londres afin d’y être exhibée pour ses particularités physiques. Elle passa quatre ans au Royaume-Uni avant d’être transférée en France par un organisateur de spectacles. Décédée en 1815, sa dépouille a été cédée au Muséum national d’histoire naturelle, où elle y a été exposée jusqu’en 1970.
Dans les années 1990, Nelson Mandela a demandé le retour de la dépouille de Saartjie Baartman, surnommée « la Vénus Noire » ou « la Vénus hottentote », pour qu’elle soit inhumée dignement dans son village natal. Sa requête n’a suscité aucune réaction, avant qu’une loi publiée le 6 mars 2002, soit douze ans plus tard, ne crée les conditions de ce retour.
La question plus globale du devenir des restes humains conservés dans les collections nationales est toutefois restée durablement en suspens.
De même, si les instruments juridiques européens sont nombreux, notre droit se révèle aujourd’hui impuissant à faire face aux demandes de manière systématique.
Le texte que nous examinons a vocation à pallier ces manques. On ne peut que s’en féliciter, surtout quand on sait que, selon le rapport établi par M. Felwine Sarr et Mme Bénédicte Savoy en 2018, quelque 90 % du patrimoine africain seraient conservés hors du continent.
À mes yeux, l’histoire coloniale reste à écrire, à exposer, à expliciter. Elle relève encore d’un impensé qui ressurgira tant qu’elle ne sera pas prise en compte et abordée aux niveaux institutionnel et politique.
Cette histoire nous apprend à comprendre l’émotion, la souffrance et les liens entre le passé et le présent, la fameuse dimension « postcoloniale » que l’on a tant de difficultés, en France, à considérer comme partie prenante des enjeux scientifiques et des questions de société auxquels nous sommes confrontés.
On ne peut pas évacuer la question des restitutions, qui met au cœur du débat le patrimoine, la culture et l’histoire et qui insuffle une nouvelle dynamique d’échanges et de respect.
D’ailleurs, l’histoire récente en matière de restitution d’œuvres d’art nous montre que, au-delà du blocage législatif, il existe une sorte de coutume, qui a consisté à restituer des biens, en dehors de toute règle établie, en fonction d’intérêts pas toujours très explicites. Pourtant, le Parlement est le seul organe habilité à ordonner et à autoriser ces restitutions. Que dire de telles pratiques ? Je vous laisse seuls juges, mes chers collègues.
Je ne puis que me réjouir de voir que nos discussions ont pris un nouveau tournant et que la réflexion sur la spécificité et les racines du bien culturel semble acquérir une nouvelle place dans le droit des restitutions.
À défaut de la reconnaissance morale, voire philosophique, d’un droit des peuples spoliés, nous nous dirigeons vers une reconnaissance de la particularité des biens culturels. L’objet culturel a des racines, et ce sont ces racines qui doivent être reconnues et qui doivent présider à la décision conduisant au retour du bien.
S’accrocher aux principes en matière de prescription des demandes ou à l’idée que nos collections nationales sont inaliénables ne peut plus être notre seule matrice. Pour aller plus loin, il faut créer les conditions, grâce à ce texte, mais aussi à d’autres dispositions à venir, pour que, dans tous les lieux détenant des œuvres, il y ait une réelle anticipation des demandes de restitution.
Enfin, il conviendra de trouver la meilleure manière de conserver une trace de l’œuvre artistique qui aura rejoint son territoire d’origine, sous la forme de photographies exposées, voire de copies, par exemple, afin que la valeur symbolique et universelle de l’œuvre d’art puisse continuer à être partagée par le plus grand nombre.
Je tiens à souligner l’immense et excellent travail de la rapporteure Catherine Morin-Desailly, ainsi que celui de nos collègues Max Brisson et Pierre Ouzoulias, que j’ai eu grand plaisir à côtoyer.
Le texte que nous examinons aujourd’hui ouvre une nouvelle ère. C’est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le soutient et le votera avec conviction ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au préalable, je souhaite préciser que je ne parlerai pas des restes humains, d’une part, parce que je partage les interrogations éthiques des intervenants qui m’ont précédé sur le sujet, et, d’autre part, parce qu’il s’agit selon moi d’un sujet à part entière et que je ne dispose que de six minutes pour m’exprimer.
En signant en 1566 l’édit de Moulins, Charles IX a prescrit une règle essentielle : il a fait de l’inaliénabilité du domaine public, en France, le principe régissant les collections muséales. Mais, depuis lors, le temps a passé, et notre pays fait face aujourd’hui à des demandes multiples, réitérées, de restitutions d’œuvres d’art, notamment de la part d’États africains au regard de notre histoire coloniale.
Même si, comme cela a été dit, ce phénomène appartient à une histoire ancienne, puisque le Sénat de Rome reprochait déjà à certains généraux les pillages commis durant les conquêtes – j’aurais aussi pu citer le déboulonnage du quadrige de la porte de Brandebourg à Berlin –, il est réactivé aujourd’hui.
Évidemment, il existe un lien très étroit entre l’histoire culturelle d’un pays et la constitution du patrimoine des musées. Certains auteurs l’ont très bien montré : je pense à Krzysztof Pomian dans son très bel ouvrage Le Musée, une histoire mondiale, ou bien à l’historienne Anne-Marie Thiesse, qui décrit parfaitement le rapport direct entre la construction de l’État-nation, notamment au XIXe siècle, et la création des grands musées. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.) On songe immédiatement au musée du Louvre en 1793, mais il existe beaucoup d’autres exemples.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est une réponse explicite au projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal, qui a été adopté en 2020. Elle reprend notamment, dans son article 1er, une disposition que le Sénat avait introduite en première lecture dans ce texte et qui avait été par la suite supprimée par l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, j’ai beaucoup entendu parler de « fait du prince » ou de « décisions du Président de la République » à ce sujet. Permettez-moi de revenir sur ces allégations, car elles sont fausses.
Il est exact que la Ve République garantit un certain nombre de pouvoirs propres au Président de la République, comme celui de nommer le Premier ministre, par exemple – il est prévu à l’article 8 de notre Constitution –, ou le droit de grâce, même s’il doit faire l’objet d’un contreseing ministériel. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Olivier Paccaud. Cela n’a rien à voir, ces pouvoirs sont justement prévus par la Constitution !
M. Max Brisson. N’importe quoi !
M. Julien Bargeton. Or ce n’est pas du tout ce dont il est question ici ! Absolument pas !
Mes chers collègues, on peut toujours débattre de la méthode choisie par le Gouvernement pour opérer ces restitutions, mais on ne peut en aucun cas parler de « fait du prince ».
Jugez plutôt : en 2018, tout d’abord, le Président de la République a commandé un rapport à deux spécialistes,…
M. Max Brisson. Quel rapport ?
M. Julien Bargeton. … Felwine Sarr et Bénédicte Savoy.
Sur cette base, l’exécutif a présenté un projet de loi en 2020, et si la navette parlementaire n’a malheureusement pas permis d’aboutir à un texte commun, ce n’est pas le fait du prince, je le répète, c’est tout simplement la démocratie parlementaire !
Certes, il n’y a pas eu d’accord, mais c’est bien le Parlement qui, en définitive, a autorisé la restitution des biens au Bénin et au Sénégal.
M. Max Brisson. Et pour Madagascar ?
M. Julien Bargeton. D’ailleurs, le Gouvernement partage l’idée d’une loi-cadre,…
M. Max Brisson. Voilà qui est nouveau !
M. Julien Bargeton. … puisqu’il a justement confié à Jean-Luc Martinez, archéologue reconnu, spécialiste du sujet, ancien président-directeur du musée du Louvre, la mission de réfléchir à une doctrine et de définir des critères de restitution.
Cette future loi-cadre, qui est sans doute nécessaire, pourrait effectivement s’appuyer sur le conseil national que vous proposez. Toutefois, même si je suis personnellement très ouvert à cette forme de discussion, les membres de notre groupe s’abstiendront : nous pensons en effet qu’il est préférable d’attendre le rapport de Jean-Luc Martinez avant de créer une telle structure.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. Il n’est pas le seul à écrire des rapports : cela fait dix ans que nous travaillons sur ces questions !
M. Julien Bargeton. On peut bien sûr y travailler ensemble. Réfléchissons par exemple à la composition de cette instance. Par exemple, doit-elle être composée exclusivement de conservateurs ?
Il faudra aussi réfléchir à une doctrine, car chacun voit bien qu’il existe un sous-texte politique : les décisions de restitution ont un rapport avec l’histoire des pays. Un débat politique de fond sur la doctrine est donc nécessaire. Enfin, il conviendra de réfléchir aux procédures à mettre en œuvre.
Tous ces débats sont légitimes, d’autant que je sais bien qu’ils commencent à dater, mais je vous demande d’être patients, mes chers collègues. Un rapport va bientôt être remis : il faut simplement accepter de se donner un peu de temps supplémentaire pour définir l’organisation, le fonctionnement, les règles, en un mot mettre en place une procédure pérenne de restitution des biens culturels extra-européens. D’après moi, cela vaut vraiment la peine d’attendre.
À partir du travail déjà engagé, du projet de loi adopté en 2020, qui a suscité de nombreux débats ici, de la présente proposition de loi et du rapport de M. Martinez, nous pourrons établir, ensemble, le cadre juridique idoine et la procédure pertinente, puis décider de la composition et des modalités d’évaluation et de contrôle de l’instance qui sera compétente sur cette question du retour des œuvres d’art, notamment au regard notamment de la doctrine, dont on voit bien qu’elle suscite un certain nombre d’interrogations, et de l’histoire des différents pays d’où émanent les demandes de restitution. C’est ainsi que nous parviendrons à avancer sur le sujet.
Notre groupe ne s’opposera pas à ce texte, parce qu’il estime qu’il est nécessaire d’aller de l’avant. Par conséquent, il s’abstiendra. Il s’agit d’une abstention constructive, destinée à préparer la suite, parce que ce débat le mérite.
Pour autant, il nous paraît prématuré de voter la proposition de loi dans sa version actuelle.
Mme le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au travers d’une série de sculptures annonciatrices de la naissance du cubisme, Picasso traduisait un sentiment qu’il a défini en ces termes : « Mes plus grandes émotions artistiques, je les ai ressenties lorsque m’apparut soudain la sublime beauté des sculptures exécutées par les artistes anonymes d’Afrique. »
L’art ne connaît pas de frontière ; sa vocation est universelle. Les collections qui remplissent nos musées forment un patrimoine accessible à tous. L’art se nourrit des arts, et nombre d’œuvres sont issues d’une influence multiple, irréductible à une culture ou à une civilisation.
En révolutionnant l’approche occidentale de l’art, l’art africain a engendré l’art moderne. (M. le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication approuve.) La France possède dans ses collections publiques près de 90 000 œuvres d’art africain. Dans des sociétés dépourvues d’écriture, l’art faisait office de livre, support de la parole et vecteur de traditions et de croyances.
Alors que d’innombrables œuvres en bois ou en terre ont disparu, des milliers d’objets du quotidien sortis des malles de missionnaires, de médecins ou d’administrateurs ont bénéficié d’une conservation et d’une mise en valeur exceptionnelle au sein de nos collections.
Nos musées sont des bibliothèques pour toute personne qui sait voir au-delà de la matière brute et lire l’histoire, la tradition ou la grandeur d’un peuple, qui est symbolisée au travers d’une sculpture de bois tendre et de kaolin.
La puissance fascinante d’un masque fang du Gabon, fabriqué loin des regards, dans la solitude de la brousse, et exhibé lors des rites d’initiation, a autant contribué à écrire l’histoire culturelle de l’humanité qu’une danseuse de Degas ou un mobile de Calder.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Jean-Pierre Decool. Biens inaliénables de l’État, les œuvres de nos collections doivent, pour en sortir, faire l’objet d’une démarche démocratique, régie par un cadre juridique clair.
Fixer un cadre et une méthode, tel est l’objet de cette proposition de loi remarquablement présentée par Catherine Morin-Desailly.
Ce texte est l’aboutissement des travaux menés au Sénat en décembre 2020. Il vient combler les lacunes entourant les procédures actuelles de restitution. Face aux revendications croissantes de nombreux pays, notre groupe partage la volonté des auteurs du texte et de la commission de la culture de doter la France des outils juridiques appropriés.
Lors de son discours tenu à Ouagadougou, le Président de la République a inscrit la France dans la démarche engagée par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco, pour favoriser l’accès des pays à leur patrimoine culturel.
Si nous comprenons cette approche, certaines décisions récentes de restitution ont pu surprendre. Le Parlement n’est pas une simple chambre d’enregistrement des décisions du Gouvernement. Il convient de rappeler que la richesse des débats et l’indispensable confrontation des idées et des valeurs de chacun sont des éléments essentiels de notre démocratie.
L’article 1er prévoit d’instaurer une instance scientifique chargée d’émettre un avis sur les demandes de restitution, en amont de la réponse politique. Le Sénat avait avancé cette idée lors de l’examen du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
Le futur Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens comportera douze membres et aura la possibilité d’associer des scientifiques issus du pays demandeur, afin de contribuer à la réflexion.
L’essentiel des œuvres n’a pas vocation à être rendu à leur pays d’origine, mais un travail de fond sur la recherche de la provenance des œuvres sera effectué au cours des prochaines années. Enfin, en plus d’une mission consultative, cette instance jouera un rôle de réflexion, destinée à éclairer le Gouvernement et le Parlement sur toute question entrant dans le champ de ses compétences.
À la lumière de ces éléments, le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. Olivier Paccaud et Lucien Stanzione applaudissent également.)
Mme le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne serions pas dans l’hémicycle ce soir sans le travail acharné de notre collègue Catherine Morin-Desailly. Je veux saluer la constance avec laquelle elle porte au Sénat la question de la circulation des biens culturels. Elle le fait sans jamais se départir d’une ligne directrice : donner à notre pays des règles claires et protectrices sur un sujet où la raison devrait toujours l’emporter sur la passion.
Je souhaite également saluer Pierre Ouzoulias pour son travail et sa participation à l’élaboration d’un point de vue équilibré et constant.
Ensemble, nous avons rédigé un rapport d’information à l’origine de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Celle-ci s’inscrit dans le cadre d’un quinquennat qui fut marqué sur le sujet par une rupture politique majeure.
Rappelons en effet que, à Ouagadougou, en 2017, le Président de la République affirmait : « Je veux que d’ici cinq ans – nous y sommes ! – les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Dans le prolongement de ce discours, en novembre 2018, le rapport Savoy-Sarr recensait 46 000 œuvres d’art provenant d’Afrique, susceptibles d’être rapatriées.
Le mouvement, qui avait de quoi inquiéter, semblait inexorablement lancé. Fort heureusement, le Président de la République s’est heurté à un obstacle de taille : le droit français.
Bien sûr, sa volonté de restituer des œuvres d’art n’est ni une nouveauté ni une singularité de ce quinquennat. Toutefois, la manière employée fut parfois pour le moins singulière, sinon déroutante, en particulier lorsque, pour répondre aux problèmes diplomatiques du moment, il a été procédé, sur ordre du chef de l’État, au transfert d’un bien sous couvert de prêt, plaçant la communauté des musées devant le fait accompli.
C’est ainsi que le Gouvernement a renvoyé en catimini la couronne du dais de la reine Ranavalona III aux autorités malgaches. C’était au moment même où nous discutions, ici, du projet de loi de restitution des œuvres au Bénin et au Sénégal. J’avais alors, tout en émettant des réserves sur ce projet de loi, appelé à établir une méthode pour aborder cette question avec recul et distance. Mme Roselyne Bachelot avait balayé fermement cette proposition.
Certes, au Sénat, nous entendions et entendons toujours la demande des pays africains. Nous ne la contestions pas et ne la contestons toujours pas. Mais nous étions et nous demeurons profondément mal à l’aise d’observer le Gouvernement céder à une vision moralisatrice de notre histoire, tel que l’impose le rapport Savoy-Sarr, dont on sait combien il a faussé le débat.
Nous aurions tellement préféré que le Gouvernement restât fidèle à l’héritage du président Jacques Chirac, lui qui avait chevillé au corps le dialogue des cultures.
Oui, en lui étant fidèle, l’après-discours de Ouagadougou aurait pu être pour la France le moment de l’élaboration d’une véritable politique d’échanges et de circulation, qui aurait apporté une ligne de conduite constante sur un sujet ô combien important. Rien de tout cela ne s’est produit, bien au contraire !
En juin dernier, coup de théâtre : le Président de la République, prenant ministres et conseillers à rebrousse-poil de toutes les déclarations ministérielles antérieures, annonçait la nécessité d’une loi-cadre sur le sujet des restitutions ; Mme Roselyne Bachelot avait dit le contraire à cette tribune.
Lorsque l’on parle de loi-cadre sur les restitutions, il faut d’abord rappeler que, pour nous, toute restitution est un cas à part. Voilà pourquoi le Sénat a toujours estimé que c’était au Parlement de se prononcer en dernier ressort sur chaque cas, mais que, pour cela, il devait être éclairé par un travail de recherche qui permette, pour chaque œuvre, d’en connaître le parcours et, par l’intervention d’experts, le contexte ayant présidé à son dépôt et à sa conceptualisation artistique.
La démarche présidentielle a donc enclenché un nouveau processus, bien tardif. L’ambassadeur thématique Jean-Luc Martinez a été désigné pour réfléchir au sujet. Malheureusement, au moment de son audition, nous n’avons pu connaître le contenu de sa lettre de mission. De même, l’exécutif, auditions après auditions, n’a jamais semblé faire cas, bien loin du discours de M. Julien Bargeton à l’instant, ni du rapport adopté par notre commission ni de la proposition de loi présentée aujourd’hui. Quel mépris !
M. Julien Bargeton. Il y a une majorité à l’Assemblée nationale, voilà tout ! Ce n’est pas parce que le Sénat n’est pas écouté que le Parlement est bafoué !