Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique, en application du nouveau règlement sur les temps de parole. Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente.
Je vous préviens, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues : je serai intransigeante sur le respect du temps de parole de chacun.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le périmètre des plans particuliers d’intervention (PPI) autour des sites nucléaires.
Ces PPI organisent la prévention, l’alerte et le secours aux populations en cas d’accident. Ils prévoient également le rayon de distribution gratuite de pastilles d’iode, qui réduisent le risque de développement de cancers et de troubles de la thyroïde après une exposition radioactive.
Voilà deux ans, le Sénat adoptait l’un de mes amendements dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative à la sécurité sanitaire, laquelle n’a malheureusement pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, malgré une actualité brûlante sur le sujet.
Cet amendement visait à étendre le périmètre des PPI à l’ensemble des communes membres d’une intercommunalité touchée, et pour cause : bien que ce rayon d’action ait été étendu à 20 kilomètres, il reste bien trop limité et en deçà de celui constaté chez certains pays voisins.
À titre d’exemple, pour être concrète, les habitants de ma commune, Villerupt, en Meurthe-et-Moselle, située à 22 kilomètres de la centrale de Cattenom, ne bénéficient pas de la distribution gratuite de pastilles d’iode, alors qu’elle se situe à 5 kilomètres d’Esch-sur-Alzette, au Luxembourg, dont les habitants bénéficient de cette distribution au titre de la prévention des risques émanant de la centrale de Cattenom.
Le seul critère du kilométrage paraît particulièrement rigide et peu adapté à la vie politique locale, aujourd’hui essentiellement fondée sur la coopération intercommunale. Je précise d’ailleurs que les contrats locaux de santé, qui peuvent contribuer à la sécurité sanitaire, s’appliquent sur des périmètres intercommunaux. Ce critère est également peu cohérent avec le besoin croissant de sécurité sanitaire, dans un contexte de vieillissement de nos centrales, d’augmentation des températures et d’intensification des phénomènes climatiques.
Je réitère donc ma demande : peut-on envisager une mise en cohérence de nos PPI avec ceux de nos voisins européens ou, à défaut, l’extension de ces plans à l’ensemble de l’intercommunalité dès lors qu’une des communes membres est concernée par la règle des 20 kilomètres actuellement en vigueur ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Guillotin, vous évoquez la question du rayon d’application de la distribution de pastilles d’iode, effectivement passé de 10 à 20 kilomètres en 2019, ce qui a permis de couvrir, par précaution, 2,2 millions de personnes supplémentaires. Cette distribution a pour objectif de protéger les populations vivant suffisamment près du lieu d’un éventuel accident pour être susceptibles de subir une exposition aux radiations avant que l’on ait le temps d’intervenir avec des mesures plus radicales.
Le périmètre de 20 kilomètres retenu pour la distribution, effectif à partir de 2021, s’apprécie à l’échelle de la commune. Ce périmètre s’applique à l’ensemble des dispositions de gestion de crise, ou en tout cas à de nombreux dispositifs.
Au-delà des communes concernées, une distribution peut être organisée en temps utile, en prélevant sur les stocks stratégiques existants. À l’échelon départemental, en cas d’accident, on dispose heureusement de plusieurs heures pour intervenir sur un périmètre plus large, puisque la cinétique lente de la diffusion de la radioactivité par l’endommagement des combustibles nous donne un délai d’action urgente supplémentaire.
Ce rayon de distribution fait l’objet d’échanges à l’échelon européen et, évidemment, avec les pays frontaliers. C’est le périmètre retenu par la plupart des régulateurs, dans de nombreux pays, et il a fait l’objet d’une concertation avec l’Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d’Europe de l’Ouest (Wenra) et le Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (Ensreg).
Mme le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour la réplique.
Mme Véronique Guillotin. Le Luxembourg et la Belgique sont bien au-delà du périmètre de 20 kilomètres par rapport à cette centrale ; il y a donc bien une incohérence, des « trous dans la raquette » entre les Luxembourgeois, les Belges et la population frontalière proche de cette centrale.
D’autres régions étant concernées, il serait intéressant d’ouvrir le débat et de réfléchir à l’établissement d’une cohérence au sein des intercommunalités et avec les pays frontaliers.
Mme le président. Mes chers collègues, pardon d’y insister, mais il faut absolument que chacun respecte son temps de parole, sans quoi nous ne pourrons pas terminer ce débat à temps.
Vous disposiez de huit secondes, ma chère collègue, et pas davantage…
La parole est à M. Rémi Cardon.
M. Rémi Cardon. Madame la secrétaire d’État, le mardi 12 octobre 2021, le Président de la République disait vouloir investir 1 milliard d’euros dans l’énergie nucléaire d’ici à 2030, afin de développer les « technologies de rupture », notamment les « petits réacteurs » nucléaires. Le mardi 9 novembre dernier, il annonçait que la France allait construire de nouveaux réacteurs nucléaires sur son sol.
Je suis ravi, madame la secrétaire d’État, que le Parlement s’autosaisisse de ce dossier pour débattre enfin de ces questions essentielles, et j’espère que tout n’a pas été déjà décidé. Si vous êtes dans le secret des dieux, ce que j’aime à penser, pouvez-vous nous indiquer quel mix énergétique est envisagé pour 2050 dans notre pays ? Nous avons bien compris que le Président de la République souhaitait donner une place significative au nucléaire, mais dans quelles proportions ?
En effet, pour garantir la sûreté nucléaire, il est nécessaire d’anticiper les choses à moyen et long termes, surtout dans un contexte de tensions récurrentes sur les capacités de production.
RTE ne nous propose, dans son dernier rapport, pas moins de trois scénarios pronucléaires aux ambitions très différentes. Quel scénario avez-vous retenu ? Combien de réacteurs prévoyez-vous et dans quelle technologie placez-vous tous vos espoirs ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Cardon, cette vision du mix énergétique, de nos besoins et de nos choix de production d’électricité, dans un contexte d’augmentation de la consommation et dans le respect des objectifs de décarbonation, nous oblige, au travers de l’électrification des procédés industriels et de l’évolution de la mobilité et des systèmes de chauffage, à réévaluer le modèle et à nous projeter dans un outil industriel nous permettant d’atteindre nos objectifs.
L’étude de RTE, publiée en octobre dernier, présente plusieurs scénarios mais montre que, dans tous les cas, il nous faut développer de manière très volontariste les énergies renouvelables. Elle précise dans le même temps que les scénarios se dispensant de nouvelles centrales nucléaires ou reposant uniquement sur la prolongation de centrales ne sont pas souhaitables, car ce serait trop lourd technologiquement et trop risqué. Il faut donc trouver un équilibre.
Sur le fondement des préconisations du rapport, le Président de la République a annoncé son intention d’accélérer le développement des énergies renouvelables, tout en construisant de nouveaux réacteurs nucléaires. Des précisions seront apportées très prochainement quant au calendrier des débats autour de ces enjeux.
À court terme, on étudie l’hypothèse de la construction d’EPR 2, un modèle d’EPR amélioré par rapport aux retours d’expérience issus des précédents. Ces réacteurs devront évidemment être autorisés par l’ASN, après une procédure rigoureuse d’instruction. Pour vous donner quelques repères calendaires, nous imaginons, sans être devins, que le dépôt des dossiers des EPR 2 devrait avoir lieu autour de 2023, pour une mise en service attendue entre 2035 et 2037.
Préalablement à cela, sur le fondement de travaux approfondis, EDF a soumis des options de sûreté de l’EPR 2 à l’ASN, qui en a validé les principes. Nous disposons d’un cadre et des retours d’expérience des premiers EPR.
Mme le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. À plus long terme, nous développerons d’autres modèles de réacteurs, les SMR (Small Modular Reactors), nous l’espérons à l’horizon de 2030.
Mme le président. La parole est à M. Rémi Cardon, pour la réplique.
M. Rémi Cardon. Cette réponse suit le fameux modèle du « en même temps », elle est très prudente. Surtout, elle montre que, de votre côté, les choses ne sont pas encore très claires.
Il faut prendre le temps de bien faire les choses, car le choix du mix énergétique est fondamental. Plus nous créons de centrales nucléaires, plus nous multiplions les risques associés. Débattre, comme nous le faisons aujourd’hui, du risque nucléaire pour notre pays doit justement nous permettre de déterminer un mix énergétique convenable, car l’énergie issue de la fission nucléaire n’est pas une énergie comme les autres : nous en sommes aujourd’hui dépendants, mais elle présente de nombreux risques.
Mme le président. La parole est à Mme Marie Evrard.
Mme Marie Evrard. Madame la secrétaire d’État, la sûreté des installations nucléaires est un sujet particulièrement important. Elle désigne, selon l’ASN, « l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires ».
Le président de cette autorité nous a fourni, lors de son audition, le 7 avril dernier, tous les éléments pour sortir des idées reçues et des débats idéologiques sur le nucléaire. Nous l’avions d’ailleurs applaudi au terme de cette audition. Or il semblerait que certains d’entre nous préfèrent, par facilité ou par calcul politicien, verser dans la caricature et la position idéologique ou carrément agiter les peurs.
Notre parc nucléaire a certes connu, le mois dernier, l’arrêt de quatre réacteurs, ce qui a réduit ses disponibilités. Faut-il pour autant en conclure que la souveraineté énergétique de la France n’est plus assurée ou qu’il faut sortir du nucléaire ? Au contraire, l’arrêt temporaire de réacteurs, c’est la vie normale du parc nucléaire, dans le cadre de sa maintenance ou de visites décennales. Nous devrions d’ailleurs tous saluer la rigueur de la filière et le haut niveau d’exigence de l’ASN.
Avec l’annonce du renouvellement du parc nucléaire, lors de la présentation du plan France 2030, le Président de la République apporte en responsabilité une réponse adéquate et de long terme à cet enjeu majeur qu’est notre indépendance énergétique.
Alors que les visites décennales des réacteurs nucléaires doivent se multiplier d’ici à 2025, je voudrais savoir, madame la secrétaire d’État, ce qui a été prévu pour sécuriser l’approvisionnement énergétique au cours des prochaines années.
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Evrard, votre question sur l’approvisionnement et la sécurité énergétiques est essentielle, à court, moyen et long termes. Le Gouvernement s’attache à y répondre avec application.
Ainsi, depuis plusieurs mois, il a engagé des actions visant à assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique pendant l’hiver 2021-2022. RTE se prépare à pouvoir exploiter le système en situation dégradée, en cas de conjonction défavorable de différents facteurs. Des solutions peuvent être mises en œuvre, comme l’interruption de la fourniture des grands consommateurs industriels ; les capacités d’effacement ont également été sensiblement renforcées. En outre, tous les Français multiplient les « écogestes », qui peuvent être, lors des pics de demande, tout à fait appréciables.
Par ailleurs, Mme la ministre de la transition écologique a demandé à EDF de prendre toutes mesures pertinentes pour renforcer à court terme notre sécurité d’approvisionnement et de mener un audit sur la maîtrise industrielle et l’optimisation des arrêts de réacteur, notamment dans le respect des calendriers de maintenance.
À court et moyen termes, de nouveaux moyens de production doivent nous permettre d’amoindrir ce risque ; je pense en particulier à l’éolien en mer, à l’EPR de Flamanville et aux nouvelles interconnexions. Ensuite, à long terme, la nouvelle vision de ces besoins est développée dans le cadre des différents scénarios produits récemment par RTE.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Madame la secrétaire d’État, le nucléaire n’aura jamais été aussi indispensable. Demain, la demande en électricité va exploser dans notre pays avec l’émergence de nouveaux usages, comme la voiture électrique, ou encore avec l’utilisation accrue de cette énergie dans le numérique, les transports, l’agriculture, le bâtiment et les industries. Tous ces secteurs clefs affecteront fortement notre demande en électricité.
Pour répondre à ces nouveaux besoins, notre mix électrique doit être justement proportionné entre les énergies renouvelables, absolument cruciales, et un nucléaire efficace, innovant, sécurisant et indispensable à l’équilibre de ce mix.
La relance de la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays a été clairement évoquée en novembre dernier. L’innovation dans ce secteur est importante. Prenons l’exemple des petits réacteurs modulaires, les SMR. Ces réacteurs de petite taille présenteraient plusieurs avantages en matière de sûreté, même si leur coût semble encore prohibitif.
Les technologies sont diverses, mais la sûreté des installations reste le point central de ce sujet, vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État. En effet, la réduction des risques d’accident, de fuite ou de rejet de produits radioactifs est capitale pour les personnes et pour l’environnement. La question de la sûreté se pose également en cas d’attaques extérieures, notamment d’origine terroriste, contre des installations nucléaires.
Madame la secrétaire d’État, alors que la France et la filière nucléaire avancent sur le dossier des SMR, qu’en est-il de la réglementation afférente à cette technologie ? Suit-elle ces avancées ? Comptez-vous faire évoluer le cadre réglementaire existant en matière de sûreté pour prendre en compte les particularités de ces petites installations ? Si oui, où en sont les réflexions du Gouvernement ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le sénateur Médevielle, la filière nucléaire française se développe et travaille effectivement sur un projet de SMR à eau sous pression : le projet Nuclear Forward (Nuward). EDF est chef de file de ce projet, conduit avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Naval Group et TechnicAtome. Ce projet est en phase d’avant-projet sommaire (APS) jusqu’à la fin 2022, afin de préciser les aspects de conception et d’innovation technologique et d’affiner le modèle économique.
Du point de vue du calendrier, on situe l’autorisation ministérielle par décret, après avis de l’ASN, autour de 2028. En cas de succès de la phase d’APS, le projet Nuward passera à la phase d’avant-projet détaillé, avant de passer à la conception, en vue de lancer la certification pour la construction d’un premier démonstrateur à l’horizon de 2030.
La quantité limitée de matière radioactive requise pour un réacteur de petite taille constitue un aspect favorable du point de vue de la sûreté et représente une moindre puissance résiduelle à évacuer en cas d’accident, ce qui permet de combiner des systèmes de sûreté passifs et actifs et d’améliorer, là encore, la sûreté de l’installation, grâce à une meilleure diversification des dispositions de conception. Cette compacité nous permet en effet de limiter la taille des composants et de faciliter ainsi la maîtrise de la qualité de fabrication.
Les SMR semblent donc susceptibles d’atteindre des objectifs de sûreté au moins aussi élevés que ceux des réacteurs actuels. Les éléments disponibles à l’IRSN indiquent que les SMR peuvent atteindre des objectifs plus exigeants en matière de limitation des rejets, tant en situation normale qu’en cas d’accident.
Par conséquent, notre cadre réglementaire actuel nous permet tout à fait d’envisager sereinement ces nouveaux dispositifs.
Mme le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour la réplique.
M. Pierre Médevielle. Je suis heureux de constater que nous avançons dans ce domaine. Si nous voulons éviter les grandes difficultés que va connaître l’Allemagne au cours des prochaines années, cela a été rappelé par le P-DG d’EDF, nous devons poursuivre – c’est impérieux – nos efforts et réaliser très vite ces investissements. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
Mme le président. La parole est à Mme Martine Berthet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Avant de poser ma question, je veux répéter que l’énergie nucléaire constitue un atout considérable, non seulement pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon de 2050 mais également pour assurer la souveraineté énergétique de la France. (Protestations sur les travées du groupe GEST.) Je crois que les derniers évènements, en particulier la hausse des prix de l’énergie, en attestent.
Toutefois, la production d’énergie nucléaire ne peut aller sans la sécurité et la sûreté nucléaires. J’en viens donc à ma question.
Avec la pandémie mondiale, l’industrie de la filière nucléaire a été confrontée, pour la première fois de son histoire, à une crise dont l’origine n’avait aucun lien avec son activité.
Durant la période de confinement de 2020, en raison de difficultés liées à la disponibilité de son personnel, EDF a dû revoir son programme d’arrêts de tranches, c’est-à-dire les opérations de maintenance des centrales, réalisées notamment pour des raisons de sûreté des installations. Toute une série d’opérations de déprogrammation et de reprogrammation a eu lieu, avec deux conséquences principales.
D’une part, cette situation entraîne le décalage d’opérations de maintenance dans le cadre des contrôles réglementairement prévus, notamment les réexamens décennaux de sûreté, mais aussi pour la mise en œuvre des préconisations d’amélioration du niveau de sûreté, habituellement effectuée à cette occasion par l’ASN. Cela soulève la question des compétences requises pour les évolutions technologiques demandées, leur gestion et la prise en compte des enjeux organisationnels et humains, maillon essentiel de la sûreté, y compris chez les sous-traitants.
D’autre part, ces décalages vont très rapidement avoir une incidence – la crainte s’en fait dès à présent ressentir – sur la production électrique nécessaire pour faire face, notamment, aux pics hivernaux.
Aussi, pouvez-vous nous préciser, madame la secrétaire d’État, l’impact du décalage du programme des opérations de maintenance des centrales nucléaires d’EDF ainsi que le calendrier de rattrapage prévu, y compris pour la gestion des compétences au regard de ces éléments ?
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la sénatrice Berthet, la filière nucléaire fait face à des enjeux lourds, relatifs à la poursuite du grand carénage, à l’exploitation des centrales en toute sûreté, à l’amélioration de la disponibilité du parc nucléaire, au démantèlement et à la gestion des déchets, ainsi qu’aux nouveaux réacteurs.
Nous avançons dans un cadre et un calendrier contraints. Les compétences doivent être adaptées, l’organisation industrielle doit sans cesse être remise en cause et les exigences de qualité, de productivité et de sûreté doivent être respectées. En outre, cette filière doit s’engager à tenir les délais et les coûts.
Les retours d’expérience qui nous proviennent des précédents chantiers éclairent ce calendrier. Ainsi, pour ce qui concerne la maintenance et la disponibilité du parc, Mme la ministre Pompili a demandé à EDF de prendre des mesures à court terme afin de garantir notre sécurité d’approvisionnement. Par ailleurs, un audit indépendant sur la maîtrise et l’optimisation des arrêts de réacteur doit renforcer la disponibilité du parc nucléaire. Enfin, les donneurs d’ordre – EDF et Framatome – ont engagé, en 2020, des plans structurants sur cette maîtrise industrielle.
Quant au besoin de renforcement des compétences, il est effectivement identifié, notamment dans les domaines de la tuyauterie, du soudage, de la chaudronnerie, des essais et contrôles, et des procédés nucléaires. À cet égard, nous avons inclus, dans le plan France Relance, une mesure de soutien de 30 millions d’euros pour les actions de la filière, notamment la démarche d’engagement de développement de l’emploi et des compétences, conduite par le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen), ou encore la création d’une université des métiers du nucléaire destinée à favoriser l’offre de formations.
Ainsi, dans ces perspectives industrielles extrêmement fortes de la filière, du grand carénage aux nouvelles constructions, nous éclairons ce chemin,…
Mme le président. Veuillez conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. … au travers d’un audit général qui sera mené en 2022 pour vérifier le maintien à un haut niveau de qualité, et d’un audit sur la disponibilité du parc, avec un plan d’action concret.
Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Ma question porte sur la sécurisation des centrales et, plus particulièrement, sur les fuites régulières d’éléments radioactifs, qui menacent notre santé et l’environnement.
Prenons l’exemple de la centrale du Tricastin, qui cumule les anomalies.
Le 12 décembre dernier, une énorme fuite de tritium a été enregistrée dans cette centrale. Dans les eaux souterraines situées sous la centrale, des niveaux aberrants de radioactivité ont été relevés : jusqu’à 28 900 becquerels par litre, un chiffre plus de 14 000 fois supérieur au seuil naturel. Mais « tout va très bien » ; pour l’Autorité de sûreté nucléaire comme pour EDF, cette fuite n’a pas de conséquence sanitaire. Ah bon ?
Pourtant, EDF a elle-même admis, lors de la dernière visite de l’ASN, que « l’atteinte du sol ou de la nappe phréatique par écoulement » ne peut pas être exclue du fait « de l’état des joints inter-bâtiments ». EDF parle même dans son communiqué de « marquage » au tritium plutôt que de pollution de l’eau. On tente donc de déguiser la réalité avec des mots, mais il s’agit bien d’une pollution de l’eau.
Le 31 décembre 2021, rebelote ; cette fois-ci, c’est la direction de la centrale qui déclare à l’ASN qu’une partie des instruments de mesure d’un des réacteurs ne fonctionne plus. Le cahier des charges d’EDF impose pourtant que des mesures soient réalisées toutes les deux heures ; cela n’a visiblement pas été fait pendant deux jours…
Il s’agit donc d’une centrale dysfonctionnelle. Et je ne parle même pas de la plainte déposée contre EDF par un ancien salarié, un lanceur d’alerte. La situation de tension et le harcèlement auxquels il faisait face étaient tels que, pour briser la culture du secret, il n’avait d’autre choix que de lancer l’alerte.
Madame la secrétaire d’État, dans ces conditions, la question que je vous pose est simple. Cette centrale, l’une des plus vieilles de France dans son fonctionnement actuel, est dangereuse ; qu’attendez-vous pour demander des comptes à EDF et pour aller contrôler véritablement et profondément cette centrale afin de faire toute la lumière sur cette affaire ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. En 2021, l’ASN considérait que les performances globales de la centrale du Tricastin,…
M. Guy Benarroche. « Globales » !
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. … notamment en matière de sûreté nucléaire, de radioprotection et de protection de l’environnement, rejoignaient l’appréciation générale des performances qu’elle porte sur l’ensemble des centrales nucléaires d’EDF.
Cette autorité indépendante estime néanmoins que les performances de cette centrale, tout en étant conformes à l’appréciation générale portée sur le parc, restent contrastées, avec des fragilités quant au respect des spécifications techniques d’exploitation, observées en 2019 et persistantes en 2020, et des difficultés constatées à propos de la réalisation des essais périodiques.
Le 15 décembre 2021, EDF a déclaré à l’ASN un évènement significatif pour l’environnement relatif à la détection de tritium dans les prélèvements de l’eau souterraine interne de la centrale. Après investigation, EDF a mis en évidence le fait que cette eau provenait du débordement d’un réservoir d’entreposage d’effluents radioactifs liquides. Cette pollution étant circonscrite à l’intérieur de l’enceinte géotechnique du site, cet évènement a été classé au niveau 0 de l’échelle des évènements nucléaires, puisqu’il ne s’agit que d’un écart contenu à l’intérieur de l’enceinte et non d’un incident et encore moins d’un accident.
Quant aux sujets soulevés par le lanceur d’alerte que vous avez évoqué, il convient de traiter factuellement et méthodiquement ces informations et leurs potentielles implications, car une procédure judiciaire est en cours, ce qui nous oblige à respecter toutes les précautions d’usage dans ce type de circonstances.
La direction d’EDF a opposé un démenti formel à ces accusations, tout en évoquant un conflit ouvert du plaignant avec son employeur, lequel plaignant a d’ailleurs été débouté des quatre actions judiciaires et administratives qu’il a intentées jusqu’à présent. Lors de la session plénière du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) du 8 décembre 2021, l’ASN a fait état des investigations menées :…