Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai eu plaisir à échanger avec vous au fil de l’eau, et je serai donc plus rapide lors de cette intervention finale. J’ai bien noté les différences entre la lecture politique de ce sujet par le Gouvernement et celle que vous faites, madame la sénatrice Apourceau-Poly, ainsi que plusieurs de vos collègues.
L’idée selon laquelle le partage du temps de travail aurait un impact sur le taux de chômage me semble plus que discutable.
Selon vous, le partage du temps de travail et la baisse de la durée légale du travail devraient nous permettre de réduire le chômage structurel. Je l’ai dit, ce débat est quelque peu décalé puisque les efforts du Gouvernement en la matière ont payé. Sur le fond, si les solutions sont diverses, elles se situent essentiellement au plus près du terrain, dans la réalité du tissu économique des entreprises et des associations de notre pays.
Ce qui nous sépare politiquement, c’est votre vision assez statique de l’économie. En préparant ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs, je me souvenais de mes études d’économie à l’université de Lille et des propos de mon directeur de mémoire, qui disait toujours « toutes choses étant égales par ailleurs ». Avec une telle lecture, on ne fait bouger qu’un seul facteur et l’on suppose que tout le reste est une constante. Or cela ne correspond pas à la réalité de notre monde, où tout bouge et où il faut s’adapter, évoluer !
Un autre élément nous différencie. Nous estimons, comme M. Chasseing, que la réduction du temps de travail représente un coût pour les entreprises. On a dû trouver une solution à ce problème lors de la mise en place des 35 heures via des aides d’État massives ou une modération salariale, pour ne pas dire plus, dans un certain nombre d’entreprises. Ce n’est, selon moi, une bonne solution ni pour les salariés, qui attendent à juste titre – vous l’avez dit à plusieurs reprises – un partage de la valeur ajoutée et une juste récompense de leurs efforts, ni pour les finances publiques ; ce n’est pas à la collectivité de supporter la réduction du temps de travail et d’en masquer les coûts.
Pour ce qui concerne le temps travaillé, lors de notre débat, chacun s’est appuyé sur des statistiques allant dans le sens de son projet politique. Mais il faut comparer les temps de travail à temps complet au niveau européen. Mme Puissat l’a dit, notre pays est l’un de ceux qui travaillent le moins, à l’exception de la Suède. (M. Thomas Dossus proteste.)
Au sujet de l’évolution séculaire de la durée du travail, je ne nie pas que dans certains secteurs où l’on travaille sur ces sujets, notamment l’hôtellerie ou les cafés-restaurants, des évolutions sont nécessaires concernant l’organisation du travail et l’harmonie entre la vie professionnelle et la vie personnelle. D’autres secteurs doivent réfléchir à ces questions.
L’action du Gouvernement et des partenaires sociaux est réelle en la matière. La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail porte ainsi sur la qualité de vie au travail et promeut des actions concrètes à cet égard. Le quatrième plan Santé au travail, qui va être largement diffusé au niveau des régions et des entreprises, y contribue également.
J’estime pour ma part que le véritable combat consiste à augmenter l’offre d’emplois, car c’est ce qui permet de diminuer le taux de chômage et d’améliorer la qualité des emplois.
J’ai compris que vous n’étiez pas nombreux à vouloir mettre en avant ce succès du Gouvernement… Pourtant, depuis quatre ans et demi que nous sommes aux responsabilités et que le Président de la République est à la tête du pays, nous nous sommes tout de même employés à réduire le chômage !
Nous avons investi près de 15 milliards d’euros pour mieux former les demandeurs d’emploi, comme M. Lévrier l’a dit. Nous avons renforcé récemment ces mesures en menant une politique visant à accompagner ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi. Je pourrais aussi citer le contrat d’engagement jeune (CEJ), dont l’objectif est d’aider ceux qui ne sont pas aujourd’hui en situation d’intégrer l’entreprise de se reconstruire. L’expérimentation, élargie et réussie, des « territoires zéro chômeur de longue durée » fait partie des éléments constitutifs de notre réussite.
Je remercie le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir permis ce débat, et je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la qualité de nos échanges.
Conclusion du débat
Mme le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Cathy Apourceau-Poly, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des intervenantes et intervenants qui ont participé à ce débat, qui ne fut pas caricatural et au cours duquel chacun a pu défendre sa vision de la société.
Je vous remercie également, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir pris le temps de répondre à chaque intervenant, même si je ne partage pas toujours les réponses que vous apportez.
Nous avons bien noté nos désaccords avec la majorité sénatoriale, laquelle souhaite augmenter le temps de travail et repousser l’âge de départ à la retraite. Il s’agit effectivement d’un vrai débat entre deux projets de société.
Pour répondre à ma collègue de l’Union Centriste, qui a résumé le débat à l’image du « partage du gâteau », il est vrai que nous posons la question du partage de la valeur ajoutée.
Oui, nous devons augmenter la taille du gâteau ; je rappelle toutefois que près de 6 millions de nos concitoyens sont sans emploi, et n’ont donc aucune part de ce gâteau… À l’inverse, les actionnaires et les dirigeants des grandes entreprises se réservent la meilleure part.
Nous proposons donc d’augmenter la taille des parts mais aussi, pour filer la métaphore culinaire, de répartir le glaçage monopolisé par une poignée. Nous voulons également modifier la recette pour que le gâteau soit meilleur et qu’il améliore la santé des salariés.
Je répondrai au secrétaire d’État, qui nous vante les bons chiffres de l’emploi, que la baisse du nombre de chômeurs ne concerne pas tous les secteurs. Je pense notamment à l’emploi industriel, en baisse depuis 2019. Je rappelle en outre que, durant la crise sanitaire, 200 000 personnes ont été radiées des listes pour rejoindre le halo du chômage.
Comme l’indiquait notre collègue du groupe RDSE, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un taux de chômage des jeunes à 20 %.
Je note les points d’accord avec les groupes socialiste et écologiste sur la nécessité de réduire le temps de travail, et je partage les propos de Marc Laménie concernant les difficultés des territoires sinistrés.
Si nous voulons globalement réduire le temps de travail, nous devons aussi aux travailleurs à temps partiel, qui sont souvent des travailleuses, d’augmenter leur temps de travail. La bataille pour le temps libre a toujours été un combat. Aujourd’hui encore, le temps disponible demeure le reflet des inégalités.
Notre collègue de la majorité gouvernementale a cité les chiffres de l’OCDE sur le nombre d’heures travaillées en France. Ladite organisation estime que la durée hebdomadaire de travail, pour les seuls temps plein, est de 40,2 heures pour la France, contre 40,4 heures pour les pays de l’OCDE. Nous sommes donc pleinement dans la moyenne européenne, et non en dehors !
Contrairement à nos collègues de droite, nous considérons qu’en allongeant la durée de cotisation et en repoussant l’âge de départ à la retraite, on maintient des salariés en activité alors que leurs emplois pourraient être occupés par des jeunes qui peinent à trouver du travail. Dans le même temps, au moment de leur départ à la retraite, de nombreux travailleurs sont au chômage, en situation d’inaptitude médicale, ou touchent les minima sociaux.
La réduction du temps de travail peut contribuer à inverser cette logique en permettant à de nombreux salariés d’arriver à la retraite en meilleure santé. Je rappelle qu’à l’âge de 35 ans l’espérance de vie des cadres est de trente-quatre ans, et celle des ouvriers de vingt-quatre ans, soit un écart de dix ans. Cette injustice est inacceptable.
En posant la question de la diminution du temps de travail, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’inscrit dans un projet de transformation de la société où le fruit des richesses créées profiterait en priorité au plus grand nombre, et notamment à celles et à ceux qui les produisent par leur travail.
Une meilleure répartition du travail permettrait à toutes et tous de travailler dans de meilleures conditions, de préserver l’environnement – cela a été dit à plusieurs reprises –, d’aller dans le sens de l’égalité femmes-hommes et de mieux rémunérer le travail en augmentant les salaires, comme l’a souligné ma collègue Laurence Cohen.
Souhaitons que les campagnes de l’élection présidentielle et des élections législatives soient l’occasion de débattre projets contre projets, plutôt que de commenter les petites phrases des uns et des autres ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Agnès Canayer et M. Marc Laménie applaudissent également.)
Mme le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Le partage du travail : un outil pour le plein emploi ? »
Je voudrais remercier les membres du groupe CRCE d’avoir accepté cette expérimentation d’un débat interactif et choisi ce sujet qui s’y prêtait très bien. Je salue également l’ensemble des sénateurs et sénatrices, qui ont joué le jeu de ce débat.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie également d’avoir accepté d’être le premier cobaye de cette expérimentation. (Sourires.) Vous vous êtes prêté au jeu, et vous avez participé à rendre ce débat interactif très riche, très intéressant et très vif. Tel était le but de cette expérimentation, que nous souhaitons pérenniser.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à douze heures dix.)
Mme le président. La séance est reprise.
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Sûreté des installations nucléaires
Débat organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires
Mme le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, sur la sûreté des installations nucléaires.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Daniel Salmon, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Daniel Salmon, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que l’énergie nucléaire est présentée dans notre pays comme la solution magique pour lutter contre le réchauffement climatique et assurer notre indépendance énergétique, l’actualité nous a rappelé ces dernières semaines les nombreux écueils et les dangers de cette énergie.
Je fais référence en particulier à la centrale du Tricastin, régulièrement à la une de l’actualité pour ses défaillances. Il y a quelques semaines, un lanceur d’alerte a déposé plainte contre EDF, pour des motifs de « mise en danger de la vie d’autrui », « infractions au code pénal, au code de l’environnement, au code du travail et à la réglementation relative aux installations nucléaires ».
L’accusation n’émane ni d’une organisation antinucléaire ni d’une association de défense de l’environnement, mais bien d’un cadre d’EDF, ancien membre de la direction de cette centrale.
Les faits dénoncés sont graves. Ils mettent en lumière des dysfonctionnements très sérieux en matière de sûreté et de protection environnementale. Ils illustrent un réel problème de transparence, et nous interrogent également sur le rôle des autorités de contrôle.
Au-delà du coût faramineux du programme de réhabilitation du parc nucléaire français, au-delà du fiasco financier que représentent les EPR, au-delà de la dépendance aux importations d’uranium ou de la vulnérabilité et du caractère indéfendable de notre pays, nous souhaitons au travers de ce débat poser la question, plus spécifique, mais ô combien centrale, de la sûreté des installations nucléaires.
L’augmentation du nombre d’incidents au cours de ces dernières années mérite que la représentation nationale s’empare de ce sujet et débatte des leçons à tirer rapidement de cette situation critique.
Il y a onze ans, l’accident survenu à Fukushima avait déjà démontré qu’un haut niveau de sûreté n’était jamais définitivement acquis, y compris dans les pays maîtrisant le mieux l’énergie nucléaire.
Pour reprendre les mots de la chancelière Angela Merkel, Fukushima n’a pas seulement été « une catastrophe incommensurable pour le Japon », mais aussi « une césure pour le monde entier et pour l’Europe », dans la mesure où « elle montre que ce que l’on croyait totalement impossible peut devenir possible ».
Il est apparu très vite indispensable de « concevoir l’inconcevable », de se préparer au pire et d’imposer des exigences de sûreté bien plus strictes.
Une série de prescriptions post-Fukushima visant à renforcer la sûreté des installations est progressivement entrée en application depuis maintenant dix ans. Mais nous ne pouvons que constater avec effroi la lenteur du déploiement de ces mesures demandées à EDF.
Dans un avis rendu il y a un an, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) souligne que l’ensemble des modifications post-Fukushima ne sera pas mis en place avant 2034 ! Un rapport publié par l’association négaWatt en 2021 précise également que sur vingt-trois mesures structurantes identifiées, seules douze ont été réalisées sur l’ensemble du parc, et qu’aucun réacteur n’est actuellement à niveau.
Un autre sujet est celui des failles importantes en matière de sûreté liées à la sous-traitance, qui a pris une place considérable dans l’industrie nucléaire.
La multiplication des entreprises sous-traitantes, dénoncée notamment par une commission d’enquête parlementaire en 2018, ou plus récemment par la Cour des comptes, conduit à une perte de compétences des exploitants sur les missions constamment déléguées à des opérateurs extérieurs.
Dans ces circonstances, lancer un chantier colossal de plusieurs EPR implique que les pouvoirs publics disposent de garanties vraiment indépendantes sur la capacité d’EDF et de ses sous-traitants à mener à bien ce chantier.
Dans un monde futur déréglé par l’effet du réchauffement climatique, ni le débit des fleuves, ni l’étendue des inondations, ni les dégâts que les tempêtes peuvent causer sur les littoraux ne sont pleinement anticipables, comme n’était pas prévisible l’ampleur des inondations qui ont ravagé la Belgique et l’Allemagne cet été. À mesure que le climat change, l’improbable devient plausible, l’impensable s’impose dans l’actualité. Les risques faibles d’aujourd’hui sont les catastrophes de demain.
Selon de nombreux observateurs, ces risques liés au changement climatique sont insuffisamment pris en compte, alors qu’ils affecteront notamment l’approvisionnement des réacteurs en eau de refroidissement, en raison tant de la baisse du niveau des fleuves que du réchauffement des eaux.
Déjà, quatre réacteurs sur dix sont à l’arrêt en période de canicule. Combien le seront quand la température aura augmenté de deux degrés, en 2050 ?
Madame la secrétaire d’État, comptez-vous demander aux exploitants la preuve que leurs réacteurs sont en mesure de résister à tout aléa climatique combinant plusieurs facteurs et affectant plusieurs centrales simultanément ? Il s’agit là de l’une des préconisations du rapport parlementaire dont votre collègue Barbara Pompili était la rapporteure.
Les pandémies sont désormais un facteur de risque à prendre en compte pour la maintenance et la vie des centrales. À la mi-décembre, dix-sept réacteurs étaient à l’arrêt, majoritairement à cause d’un calendrier de maintenance chargé, fortement perturbé par les confinements successifs.
Ces nouvelles menaces, comme les dangers historiques – je pense à la lancinante question des déchets –, doivent être posées et débattues.
La gestion des déchets du nucléaire est en effet un enjeu à part entière. L’une des caractéristiques de cette industrie est qu’elle produit des déchets dont la radioactivité se prolonge sur des milliers d’années.
À l’heure actuelle, il n’y a aucune solution satisfaisante : il est proposé l’enfouissement en profondeur des déchets, sans possibilité de contrôle ultérieur, en espérant que pendant des milliers d’années tout se passera bien. Une solution acceptable pendant encore combien de temps ?
Les nombreux accidents et anomalies révélés soulignent un peu plus, s’il le fallait, l’autre menace pour la sûreté des installations, celle du vieillissement du parc nucléaire et du prolongement des autorisations d’exploitation au-delà des quarante ans prévus à l’origine lors de la construction de ces centrales. Ce grand carénage pose nombre d’interrogations, tant sur le plan de la faisabilité technique que sur le plan financier, son coût étant estimé à plus de 100 milliards d’euros. (M. Stéphane Piednoir le conteste.)
Ce problème se pose avec une acuité particulière pour les trente-quatre réacteurs de 900 mégawatts, qui abordent leur quatrième visite décennale. La question de la pertinence de la prolongation de la durée d’exploitation des centrales fait partie des sujets à mettre sur la table.
C’est pourquoi nous demandons un état des lieux indépendant et transparent de toutes les installations nucléaires en France, réacteur par réacteur. Cette mise à plat est d’autant plus indispensable que le Président de la République a récemment annoncé – de manière fort démocratique ! – la création de nouveaux réacteurs en France.
Loin d’être des cas isolés, les irrégularités soulevées semblent s’inscrire dans un problème plus systémique : c’est à l’exploitant EDF lui-même de déclarer les incidents à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Dans un autre registre, c’est comme si Spanghero fournissait des informations aux services de la répression des fraudes sur la composition de ses lasagnes de cheval, prétendument au bœuf !… Les révélations de ces dernières semaines ont montré les limites de ce fonctionnement, dans lequel l’omerta et une politique de dissimulation seraient en quelque sorte la règle.
Par ailleurs, l’ensemble du rôle de contrôle des centrales est porté par le seul « gendarme du nucléaire », l’ASN. Là aussi, cette situation ne peut pas inspirer totalement confiance.
Que comptez-vous faire, madame la secrétaire d’État, afin de renforcer les moyens de contrôle de l’ASN sur la sûreté des centrales ? Comptez-vous faire l’analyse de la suffisance de ce contrôle, qui repose aujourd’hui sur cette seule ASN ? Comptez-vous protéger le statut de lanceur d’alerte dans l’industrie nucléaire française ?
Nous avons besoin de ces éléments pour que l’opinion publique puisse se prononcer sur la pertinence ou non du renouvellement du parc nucléaire, sur l’avenir des réacteurs et le lancement potentiel de nouveaux EPR.
L’acceptabilité des risques énoncés ne doit pas relever uniquement des experts, et encore moins des promoteurs du nucléaire. C’est une question dont la réponse revient aux citoyens, par un processus démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de nous donner à nouveau l’opportunité de débattre de ce sujet essentiel et tout à fait d’actualité qu’est la sûreté nucléaire.
Ce sujet est essentiel parce qu’à l’heure de la décarbonation de notre mix énergétique, le nucléaire, à côté des énergies renouvelables, a un rôle de premier plan à jouer.
Ce sujet est d’actualité, parce que nous sommes à la veille de décisions importantes, qu’il s’agisse de la prolongation de la durée de vie des réacteurs nucléaires de 900 mégawatts électriques au-delà de quarante ans, ou de la construction de nouveaux réacteurs annoncée par le Président de la République.
En faisant de l’investissement dans les compétences la priorité de notre politique énergétique, nous devons toujours avoir à l’esprit la sûreté et la sécurité des installations. Tout cela nécessite un travail de long cours et demande des moyens, que nous avons très récemment renforcés.
Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), nous visons l’objectif d’une part de 50 % de nucléaire dans le mix énergétique à l’horizon 2035.
Les scénarios récemment proposés par Réseau de transport d’électricité (RTE) recherchent l’équilibre nécessaire entre le développement massif des énergies renouvelables et le nucléaire, qui demeure indispensable dans la durée. Nous avons donc déployé récemment 470 millions d’euros dans le cadre de France Relance, et 1 milliard d’euros pour le nucléaire et l’innovation.
À cheval entre innovation et maintien des compétences, nous avons posé de nouveau un cadre pour des décisions courageuses, qui se fondent sur cette nécessaire sûreté. La décision d’arrêter pour des raisons de sûreté en période hivernale les réacteurs du palier N4 de Chooz et de Civaux témoigne du fait que cet engagement est tenu.
Ma conviction sur ces sujets, c’est que toutes les questions sont légitimes, et que les réponses doivent être tout à fait transparentes.
Je suis particulièrement honorée d’être parmi vous aujourd’hui puisque j’ai participé en tant que députée à la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires au Parlement, en 2018. J’ai également siégé au conseil d’administration de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).
Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, il n’y a pas de solution magique. Nous devons trouver en responsabilité un cadre et des équilibres dans les configurations actuelles. À titre personnel et dans le débat public, le dérèglement climatique m’a parfois conduite à reconsidérer l’apport du nucléaire dans nos objectifs de décarbonation.
Les principes fondamentaux qui nous guident sur ces questions de sûreté nucléaire sont d’abord ceux de la responsabilité première de l’exploitant et de l’indépendance du contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire. Certains sujets relèvent directement de sa compétence, et l’ASN n’a donc pas à se soumettre à des instructions gouvernementales.
Je tiens d’ailleurs à saluer le travail des 2 300 agents qui opèrent ces contrôles et conduisent cette expertise de sûreté nucléaire au sein de l’ASN et de l’IRSN. Depuis 2014, pour que ces instances assurent leurs missions, l’ASN a été renforcée de 56 postes et l’IRSN de 21 postes, preuve de la priorité que nous donnons à la sûreté des installations.
Enfin, le troisième principe qui nous guide est celui du rôle d’encadrement du Gouvernement, qui élabore le cadre réglementaire de la sûreté nucléaire. Une évaluation périodique du système de sûreté nucléaire est menée par nos pairs à l’étranger, ce qui garantit un regard extérieur tout à fait indispensable et indépendant.
Nous devons évidemment toujours être plus efficaces, continuer à améliorer et à adapter le dispositif.
Le Parlement participe pleinement à cette amélioration, par exemple au travers du rapport évoqué, qui a été publié en juin 2018 à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires. Près de la moitié de ses 33 préconisations ont aujourd’hui été pleinement mises en œuvre, et un tiers sont en cours de réalisation, avec des avancées tout à fait significatives. Vous le savez, la ministre Barbara Pompili et moi-même y sommes très attachées.
Ce rapport avait par exemple mis en avant les enjeux importants de la gestion des déchets nucléaires et de l’impact environnemental du cycle du combustible. Ces sujets ont été placés au cœur de l’élaboration de la cinquième édition du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR), et nous avons été attentives à ce que, dans le cadre de France Relance, des moyens soient attribués afin de lancer des appels à projets pour une gestion innovante des déchets nucléaires.
Pour garantir la sûreté des installations face au changement climatique, l’ASN demande dorénavant aux exploitants d’améliorer leur résistance aux événements climatiques extrêmes. Nous devons anticiper les conséquences des baisses annoncées du débit des fleuves et de l’augmentation des températures, puisque le refroidissement des centrales nucléaires nécessite, comme vous le savez, de grandes quantités d’eau, ce qui a pu causer récemment l’arrêt de deux centrales en période de canicule.
Enfin, la clé d’une filière nucléaire sûre tient évidemment aux compétences humaines et à la qualité de l’expertise. Ces dernières, quelle que soit notre opinion concernant la part du nucléaire dans le mix énergétique, demeurent nécessaires dans le contexte du vieillissement de notre parc nucléaire, qui nous impose de nous projeter dans l’avenir.
Ce vieillissement pose notamment la question centrale de la poursuite du fonctionnement des réacteurs de 900 mégawatts au-delà de quarante ans, voire de cinquante ans. En France, les autorisations d’exploitation des installations nucléaires sont réexaminées tous les dix ans. Ce réexamen périodique doit permettre d’évaluer en profondeur la conformité des installations aux impératifs de sécurité et de sûreté, mais aussi d’améliorer le niveau de sûreté en intégrant les retours d’expérience et les derniers progrès techniques.
Ce travail, nous l’avons dernièrement approfondi, avec la participation du public. La quatrième visite décennale et les éventuelles visites suivantes seront désormais soumises à une enquête publique portant, d’une part, sur les mesures prises par l’exploitant depuis le précédent réexamen périodique, et, d’autre part, sur celles que l’exploitant envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées pour améliorer la sûreté de l’installation.
Je me réjouis également de la concrétisation de cette mesure et du lancement, jusqu’au 14 février prochain, de la première enquête publique sur le premier réacteur de la centrale de Tricastin. Ce sont des nouveautés, et il faut absolument que le plus large public s’y investisse. Cette transparence est l’une des conditions essentielles du rétablissement de la confiance.
Pour regarder vers l’avenir, il faut aussi que le nouveau parc nucléaire atteigne le plus haut degré de sûreté. Comme l’a annoncé le Président de la République, nous allons, pour la première fois depuis des décennies, devoir relancer la construction de réacteurs. Le succès de ces nouvelles constructions reposera d’abord sur une organisation industrielle permettant de respecter effectivement les exigences de qualité requises.
Malheureusement, cela n’a pas toujours été le cas ces dernières années, lors desquelles de nombreux retards se sont accumulés. Nous devons donc tirer des retours d’expérience des chantiers des EPR en France, en Finlande et au Royaume-Uni, comme de l’incident de la centrale de Taishan en Chine, lié à la dégradation de certains crayons de combustible, qui a eu lieu cet été.
Ces retours d’expérience sont tout à fait indispensables et utiles. Les grands donneurs d’ordre, EDF et Framatome, ont d’ailleurs engagé depuis le printemps 2020 des plans structurants. Des travaux ont lieu sur les compétences à entretenir. Le Gouvernement est tout à fait investi, comme j’y reviendrai au fil des questions.
Débat interactif