Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le partage du travail est un outil pour le plein emploi, et je remercie le groupe CRCE d’avoir posé ce débat dans notre hémicycle.
Au-delà, c’est aussi un outil de la transition écologique pour le plein emploi, pour retrouver le sens du travail, pour la santé des travailleurs, pour le partage des richesses, pour une société heureuse produisant selon nos besoins et non pour le profit de quelques-uns.
« À l’âge de la retraite, 25 % des plus pauvres sont déjà morts », pouvait-on lire dans la presse. Les inégalités d’espérance de vie entre les cadres et les ouvriers sont significatives et persistent. À l’âge de 35 ans, l’espérance de vie des hommes ouvriers est de 77,6 ans alors que celle des hommes cadres est de 84 ans, soit 6,4 années de plus.
C’est ainsi la double peine pour les ouvriers : ils vivent moins longtemps pour profiter de leur retraite et développent, à cause d’un travail harassant qu’ils occupent trop longtemps, davantage de handicaps et d’incapacités physiques liés à la pénibilité du travail. Cette injustice est insupportable.
Oui, le partage du travail est un outil majeur de la transition écologique, dans la justice sociale, parce qu’il permet une désintensification du travail, protectrice pour la santé des travailleurs, une meilleure qualité de vie et du temps libéré pour les liens sociaux, et parce qu’il permet de prendre en compte, d’anticiper et d’accompagner l’inexorable et heureuse diminution du travail humain dans certaines branches, liée à la robotisation, et son transfert dans d’autres.
Ce mouvement de réduction du temps de travail doit se faire de différentes manières. Fini le temps des directives strictes venues d’en haut, s’appliquant de manière uniforme, sans prise en compte des réalités du travail ! Ce mouvement doit se faire au profit des salariés.
Toutes les possibilités doivent être mobilisées pour le partage du travail et la réduction du temps de travail : à l’échelle de la semaine, de l’année, avec les congés payés ; ou à l’échelle de la vie, avec l’abaissement de l’âge de départ à la retraite et des années libérées pour des projets de professionnalisation et de formation.
Le travail se transforme et nécessite moins de main-d’œuvre, pour une production égale, voire supérieure. Alors que les progrès constants de la technologie, de notre système éducatif, de nos infrastructures publiques ont permis aux entreprises de produire davantage de richesse avec autant de salariés, la réduction du temps de travail est une manière de faire bénéficier les travailleurs de ces gains ainsi qu’un outil plus juste au service du partage équitable du travail entre tous et toutes.
Oui, aujourd’hui, la baisse du temps de travail est souhaitable. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, la machine s’est enrayée. Les gains de productivité auraient-ils arrêté de croître ? Absolument pas ! La productivité horaire des Français est l’une des plus importantes au monde, cela a été souligné.
Le temps de travail effectif tend à augmenter avec les assouplissements récents, les salaires stagnent, voire diminuent avec la pression du chômage et l’explosion de l’ubérisation. Il a été absorbé par les entreprises dans l’illusoire « travailler plus pour gagner plus » qu’aucun gouvernement n’a été capable de remettre en cause. Qui peut encore y croire à l’heure où le travail est plus mal partagé que jamais, et que certains, qui frôlent quotidiennement le burn-out, côtoient des intermittents de l’emploi précaire – en augmentation –, peinant à aligner quelques heures de missions par semaine pour remplir le frigo ?
Le « travailler plus pour gagner plus » est terminé, autant que la course folle au tout-productivisme. Le sacrifice des travailleurs qu’on presse comme des éponges sur l’autel de la croissance ne peut plus durer !
Ce que souhaitent les écologistes, dans le sillage des grandes conquêtes de la gauche, c’est « travailler mieux pour gagner mieux ». La place du travail dans notre société doit être entièrement repensée. Si elles étaient mieux réparties, les richesses produites permettraient largement à chacune et chacun de vivre mieux dans le respect des ressources limitées de notre planète. Alors partageons ! Et pas seulement le travail, mais tout, et donc aussi les richesses. Créons des emplois pour permettre à ceux qui n’en ont pas de travailler et à ceux qui ont trop de travail de profiter de la vie !
Permettons aux Français de retrouver la maîtrise de leur vie, de s’investir dans la vie citoyenne, dans la vie associative ou de prendre davantage de temps pour leur émancipation personnelle !
Permettons aux Françaises et aux Français qui ont commencé à travailler jeunes et à ceux qui occupent des métiers difficiles de partir à la retraite plus tôt et de profiter d’un temps de repos mérité. Pour cela, prenons vraiment en compte les critères de pénibilité dans le calcul de la retraite : à la place d’un système hyperindividualisé où l’on peine à accéder à ses droits, prévoyons un système de garanties collectives fortes !
Mes chers collègues, il est l’heure de reprendre le chemin du progrès social et de nous doter des outils pour accompagner la transition écologique, qui est aujourd’hui absolument indispensable dans notre pays ! (Mmes Michelle Meunier et Annie Le Houerou applaudissent.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Je vous ai écoutée avec intérêt, madame Taillé-Polian, mais j’estime qu’il est possible de gagner, en même temps, plus et mieux !
Je suis un partisan du partage de la valeur ajoutée. C’est la raison pour laquelle j’ai défendu et voté la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », pour favoriser l’intéressement et permettre une répartition plus large de la valeur ajoutée, y compris au sein des petites entreprises. C’est aussi la raison pour laquelle je porte avec le Gouvernement des mesures qui ont permis, au titre de la prime Macron, d’agir directement sur le pouvoir d’achat des salariés.
Au contraire de vous, je pense que tous ces objectifs ne sont pas incompatibles : il y va même de notre intérêt. Aujourd’hui, nous n’avons plus envie d’un système binaire. Il faut faire du système économique et du fonctionnement des entreprises une lecture « gagnant-gagnant » : les salariés ont tout intérêt au développement de leur entreprise, et l’entreprise a tout intérêt à l’épanouissement de ses salariés parce que ce sont eux qui font tourner la machine. C’est vers cet objectif que nous devons tendre ensemble ; je n’ai pas l’impression que vous y êtes opposée sur le fond, mais vous avez une approche politique plus collective que l’approche de proximité qui est la mienne.
Mme le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le secrétaire d’État, je crois que vous ne m’avez pas bien écoutée ! Quand il y a des gains de productivité, on ne peut pas faire du gagnant-gagnant : à un moment donné, les gains doivent être partagés.
Votre politique a consisté à diminuer les impôts des entreprises et à restreindre les droits des plus démunis. On constate une augmentation du taux de marge des entreprises et une explosion des dividendes. Par ailleurs, la pénibilité du travail et l’intensification de celui-ci augmentent, et l’inégalité face au travail se développe avec l’accroissement de la précarité.
Je le redis, vous ne m’avez pas bien écoutée, ou peut-être n’ai-je pas été assez claire. En tout cas, je tiens à le dire : vos options ne sont pas les nôtres.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe parlementaire a souhaité l’organisation de ce débat sur le partage du travail afin de poser la question des conditions de travail et de vie, de souligner l’importance du temps libre et de montrer que ce partage du travail est un vecteur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
La réduction de quelques heures par semaine de la durée légale de travail pour un temps plein afin d’offrir une meilleure qualité de travail, sans perte de salaire, correspond à une aspiration de plus en plus forte dans notre société.
La sociologue Dominique Méda, autrice de nombreux ouvrages sur le travail et les politiques sociales, a parfaitement analysé ce sujet et rappelé que l’enjeu de la réduction du temps de travail posait également la question du partage du temps dans les couples.
L’index européen d’égalité de genre de 2017 montrait que les inégalités liées au temps persistaient et même qu’elles augmentaient : « Le temps est source d’inégalité massive entre les femmes et les hommes. »
Le partage du temps domestique et familial entre les femmes et les hommes est indispensable pour éviter qu’il ne repose exclusivement sur les femmes.
Lors du passage aux 35 heures, l’Institut national d’études démographiques (INED) a mesuré que le temps moyen consacré aux tâches domestiques avait augmenté de douze minutes par jour chez les hommes. Si ce progrès demeure très relatif, notamment en matière de charge mentale, qui repose encore en majorité sur les femmes, la baisse du temps de travail participe toutefois à l’amélioration du partage des tâches entre les sexes.
Mais réduire le temps de travail à 32 heures hebdomadaires aurait également une incidence sur les temps partiels imposés, en permettant à de nombreuses femmes d’accéder à un temps plein.
Selon l’Insee, la différence de temps de travail est la première cause des 28 % d’écart salarial entre hommes et femmes. Cet écart se répercute sur la retraite et explique l’essentiel des 40 % d’écart de pension entre les hommes et les femmes.
De plus, il n’est pas inutile de rappeler ici que les temps partiels imposés et les politiques d’exonération de cotisations sociales agissent comme des trappes à bas salaire et conduisent à l’accroissement du nombre de travailleuses pauvres.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut donc supprimer les exonérations de cotisations patronales et garantir un temps de travail minimum effectif de 24 heures par semaine, sans possibilité de dérogation.
Les opposants à la réduction du temps de travail sont souvent les partisans des contrats courts et des temps partiels. Les mini-jobs et autres contrats courts sont pourtant autant d’emplois précaires qui renforcent les inégalités entre les femmes et les hommes.
Enfin, la réduction du temps de travail doit s’accompagner d’un renforcement des moyens d’intervention des salariés dans les entreprises. Cela passe par le rétablissement des CHSCT (comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et par de nouveaux droits d’intervention, comme le droit de veto des salariés.
La réduction du temps de travail à 32 heures n’est pas une lubie des organisations syndicales et de certains partis politiques, dont le nôtre. Elle constitue la réalité dans certaines entreprises françaises, comme Bosch à Vénissieux, Welcome to the Jungle ou Love Radius dans le Var.
En Espagne, depuis le mois de mars 2021, le gouvernement a décidé d’engager une expérimentation de la semaine de 32 heures sur quatre jours avec maintien des salaires. Cette expérience porte sur 200 entreprises et plusieurs milliers de salariés.
Enfin, le mouvement « 4 Day Week » mène campagne en Nouvelle-Zélande, en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Irlande en faveur d’une réduction du temps de travail.
En conclusion, la réduction du temps de travail est un projet politique global qui repense la place de l’individu dans l’entreprise et la cité. Elle vise à l’amélioration des conditions de vie en permettant, notamment, de mieux concilier la vie personnelle et la vie professionnelle, et de disposer de temps pour soi, pour les autres, pour les loisirs, la culture ou pour des engagements associatifs par exemple.
Un passage à quatre jours par semaine aurait également un rôle positif sur la santé des salariés. Ce serait aussi un outil de réduction des déplacements, ce qui ne peut être que bénéfique pour l’environnement et l’amélioration des conditions de travail, et un levier pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Contrairement à ce qu’a dit le Président de la République, la France n’est pas le pays où l’on travaille le moins en Europe, ainsi que l’a montré ma collègue Cathy Apourceau-Poly. Au contraire, nous avons une durée moyenne hebdomadaire parmi les plus élevées, ainsi qu’une productivité de vingt points supérieure à la moyenne européenne. Cette productivité doit être partagée pour permettre le travail de toutes et tous, des femmes et des hommes, des jeunes comme des anciens.
Alors, en 2022, engageons-nous dans cette voie de progrès social ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. J’interviens rapidement car je répondrai dans mon propos conclusif. Je veux simplement dire que je ne suis pas étonnée de vous voir, madame Cohen, traiter du sujet du partage du travail au travers de la question, intéressante, de l’égalité hommes-femmes.
Sur le temps partiel, le minimum légal est, vous le savez car vous l’avez rappelé, de 24 heures. Les dispositions conventionnelles permettent d’y déroger, dans un sens comme dans un autre. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette discussion qui permet d’être au plus près de la réalité de ce que vivent les branches d’activité dans un système qui reste dynamique.
Mme le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le secrétaire d’État, je suis satisfaite de constater que ma façon d’aborder le sujet vous a intéressé, mais j’aimerais que cet intérêt se traduise en actes.
J’ai montré combien le partage de travail pouvait être un apport important, et je voudrais citer des chiffres qui datent un peu : en 2017, la Fondation Concorde avait estimé que l’égalité salariale rapporterait 70 milliards d’euros à l’économie et permettrait de créer 26 000 emplois par an. Alors, chiche !
Cela permettrait à des femmes d’avoir une vie plus sereine, puisqu’il y aurait égalité salariale, et de pouvoir se consacrer à leur vie personnelle, ce qui serait satisfaisant tant pour les femmes que pour les hommes et l’économie. Il ne faut pas seulement penser, il faut agir ! (Très bien ! sur les travées du groupe CRCE.)
Mme le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Brigitte Devésa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe CRCE pour le débat qu’il propose.
La question du partage du temps de travail comme levier pour atteindre le plein emploi à la fin du quinquennat implique d’abord de faire le bilan de l’action du Gouvernement.
La politique de l’emploi en France est un échec total. Le chômage se stabilise dans notre pays, mais à un niveau trop élevé, auquel nous avons trop tendance à nous habituer. Je présume que le Gouvernement vantera les bons chiffres d’un taux de chômage se stabilisant à 8 %, c’est-à-dire « mieux qu’avant la crise ». C’est exact, mais c’est encore insuffisant !
Dans notre pays, le plein emploi s’établit à environ 7 % de taux de chômage, alors qu’il est de 4 % chez certains de nos voisins. Nous ne pouvons pas nous contenter de ces résultats.
Pourtant, depuis quarante ans, tous les outils ont été mis sur la table. François Mitterrand disait en 1993 : « Contre le chômage, on a tout essayé. » D’autres répondaient : « Sauf ce qui marche ! » (Rires sur les travées du groupe CRCE.), y compris le partage du travail avec les 35 heures de Mme Aubry, qui n’ont pas été la solution pour tendre vers le plein emploi.
Peut-être certains ici diront-ils que les 32 heures permettront de faire face à la robotisation, à internet et à la raréfaction de l’emploi. Nous n’y croyons pas : les 32 heures n’auront pas davantage d’effet que les 35 heures.
Certains grands économistes annoncent que l’automatisation implique une réduction de l’emploi et, par conséquent, une nouvelle répartition du temps de travail. Pour ma part, j’estime que le partage du travail n’est pas le premier outil pour tendre vers le plein emploi. En effet, lorsqu’une société a un niveau de chômage structurel se situant aux alentours de 9 % à 10 %, elle est dans une phase de son existence dans laquelle l’outil du partage du travail n’est pas une solution.
Dans cette phase, appelée « l’hystérèse du chômage » par l’économiste Ashoka Mody, et qui se définit par une croissance faible qui perdure, les travailleurs restent continûment sans emploi. Ceux-ci perdent peu à peu leur savoir-faire. L’état de récession et les crises laissent des séquelles que la répartition du temps de travail ne résout pas.
La désindustrialisation et la tertiarisation de notre économie maintiennent le chômage dans un lit douillet et les chômeurs dans l’enfer des oubliés.
Le constat est là. En s’accommodant trop longtemps de 10 % de chômage structurel, la France est touchée par une apathie économique et sociale : des générations, des familles entières qui vivent dans le chômage, avec pour corollaire la désagrégation du statut social et de l’estime de soi.
Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais connaître vos propositions sur les moyens de lutter à l’avenir contre l’inadéquation que nous observons aujourd’hui entre secteurs recruteurs ne trouvant pas d’employés et secteurs saturés.
Une baisse du chômage, et de manière plus utopique l’atteinte du plein emploi, n’adviendra que si la France projette de faire évoluer son économie pour répondre aux nouveaux besoins – je pense en particulier à des emplois dans le secteur de l’environnement – et d’opérer une requalification de l’apprentissage et des métiers, et tout cela en même temps !
Il s’agit d’anticiper la France de 2040. Il faut désengorger le tertiaire au profit des nouvelles industries. Il faut également acter la décentralisation économique vers nos territoires, protéger nos brevets et éviter la fuite à l’étranger des personnes hautement qualifiées. Il sera également nécessaire de mener une réflexion sur le travail lui-même. L’économie circulaire doit permettre à un individu d’être rémunéré hors emploi. Il faut créer de nouveaux statuts du travail et aller vers une nouvelle organisation du travail qui ne confonde plus travail et emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Madame la sénatrice, je ne voudrais pas vous décevoir, mais je ne peux évidemment que me réjouir des bons chiffres de l’emploi obtenu par le Gouvernement ! Je vous le dis, c’est d’ailleurs l’une des principales raisons de mon engagement en politique.
En effet, cela fait trente ans que j’entends les uns et les autres expliquer à leurs électeurs qu’ils ont trouvé la martingale magique – vous en avez parlé – pour réduire le chômage. Et puis, en tant que citoyen, je ne voyais pas grand-chose changer. C’est bien pour cela que je me suis engagé, et je ne peux pas vous cacher que je suis assez fier d’appartenir à un gouvernement qui a ramené le niveau du chômage à celui d’avant la crise et qui a permis la création d’un million d’emplois.
On évoquait précédemment la précarité potentielle des emplois créés. Mais plus de 50 % de ces emplois sont en CDI. En réalité, de nombreux CDI ont donc été créés.
Pour le reste, comme vous avez évoqué de nombreux sujets et que je suis assez bavard, je vous répondrai lors de mon intervention conclusive.
Mme le président. La parole est à Mme Brigitte Devésa, pour la réplique.
Mme Brigitte Devésa. Monsieur le secrétaire d’État, je constate que le plein emploi est un horizon qui s’éloigne de plus en plus, et que le quinquennat qui s’achève n’a malheureusement pas assez engagé le marché du travail vers la nouvelle économie et les emplois qui y sont associés.
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, confinements et vagues épidémiques successives nous ont incités en 2020 à nous interroger sur la vie d’après. Le travail, notamment son organisation, n’y a pas échappé.
Aujourd’hui, que reste-t-il de ces envies d’autrement ? Quand philosophie, sociologie et autres sciences humaines envisagent le travail sous des angles parfois totalement différents, l’approche économique confond souvent emploi et travail. Ainsi partager le travail nous permettrait-il de trouver le plein emploi. L’équation est tentante, mais l’approche arithmétique ne suffit pas.
Qu’est-ce que le plein emploi ? Doit-on le vouloir à tout prix et, surtout, à quel prix ? Peut-on le considérer comme désirable quand il se compose pour partie de salariés dont le temps de travail partiel est subi, quand il n’atteint même pas les 24 heures hebdomadaires ? Posons-nous la question. Quand ce travail est précaire, partiel, pénible – parfois même il cumule ces trois caractéristiques – pour certains, ou plutôt devrais-je dire « certaines » puisque majoritairement ce sont des femmes qui occupent ces postes, est-ce enviable, est-ce souhaitable ? Là aussi, interrogeons-nous.
Un travail à la mesure de chacune et de chacun est possible. C’est l’une des approches des territoires engagés dans la démarche des « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Dans mon département, en Loire-Atlantique, c’est l’objectif que s’est fixé le territoire de Pont-Château, dont les efforts ont permis d’aboutir à la labellisation « territoire zéro chômeur de longue durée » à la fin de l’année dernière.
Partant du constat selon lequel personne n’est inemployable et qu’une personne privée d’emploi coûte plus à la société qu’une personne salariée, aujourd’hui une soixantaine de territoires, dans lesquels collectivités locales et partenaires privés et publics sont associés, ont donné ou vont donner vie à des entreprises à but d’emploi. Ces dernières interviennent dans des secteurs où l’offre de services n’est localement assurée par aucun acteur économique public ou privé.
À Pont-Château, c’est dans le domaine de la réutilisation de bois et d’offres de services à la personne qu’interviendront les salariés à durée indéterminée nouvellement embauchés, après avoir été durablement privés d’emploi du fait soit de handicap, soit d’accident de la vie.
D’autres territoires enclenchent la démarche. Dans mon département toujours, la commune de Loireauxence a elle aussi décidé de se mobiliser. Le pays d’Ancenis, en Loire-Atlantique, est reconnu pour détenir un taux d’emploi record. On y atteint même le plein emploi dans la ville-centre. Or la situation est un trompe-l’œil : il y persiste un chômage résiduel.
Les causes en sont multiples : difficultés de mobilité, absence d’offres en adéquation avec les compétences mobilisables et disponibles, souhait des personnes de sortir durablement de la précarité instaurée par de petits contrats saisonniers ou des missions de courte durée, ou enfin des situations personnelles imposant de trouver un emploi répondant aux obligations familiales – et je pense là aux femmes seules avec enfants.
Derrière les chiffres, il y a des réalités d’hommes et de femmes. Regardons-les en face et mettons davantage d’éthique dans la notion de plein emploi.
Ainsi, 47 autres territoires pourtant inscrits dans la loi peuvent encore être labellisés « territoires zéro chômeur de longue durée ». Monsieur le secrétaire d’État, je vous le demande : qu’attend le Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Madame la sénatrice, ce qui caractérise justement ce gouvernement, c’est qu’il n’attend pas, il agit ! Je disais précédemment en réponse à l’une de vos collègues que c’est d’ailleurs la raison de mon engagement en politique.
En réalité, il faut le dire, si un important mouvement politique a eu lieu en 2017, c’est bien parce que nombre de nos concitoyens qui, comme moi, ne faisaient pas de politique ont estimé qu’il était temps que les choses bougent, et qu’il fallait pour cela faire confiance à ceux qui travaillaient dans une entreprise, à Pôle emploi ou dans une association. Je ne vois peut-être pas les choses comme vous, mais j’estime que nous avons réussi à faire bouger les choses.
L’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée » que vous avez citée est, vous le savez, encouragée par le Gouvernement, puisque nous l’étendons. C’est une bonne solution pour remettre au travail ceux qui n’en ont pas. Là où nous partageons la même vision des choses, c’est que nous estimons que le travail est un élément constitutif de la personne : il nous permet de nous épanouir et de nous émanciper. Je ne dis pas que tous les jobs, tous les métiers, sont passionnants – je le sais pour avoir exercé des activités parfois très difficiles dans ma vie. Mais avoir un travail plutôt que d’être en difficulté et isolé est un élément important.
Nous soutenons donc la démarche des « territoires zéro chômeur de longue durée », qui s’intègre dans un ensemble structurel d’actions en faveur de l’insertion portées par Brigitte Klinkert.
Mme le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre intérêt pour ce qui n’est plus maintenant une expérimentation, les « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Vous affichez votre volonté d’aller plus loin. Comme vous le savez, des territoires demandent à y participer et sont prêts à le faire. Se pose bien sûr la question de la pérennisation des financements : c’est le principal sujet, derrière l’intérêt qu’il y a à donner à une personne du travail, qui apporte non seulement un gain financier mais aussi de l’estime de soi et une utilité sociale.
Mme le président. La parole est à M. Marc Laménie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie les membres du groupe CRCE, en particulier la première intervenante Cathy Apourceau-Poly, avec lesquels je partage certaines valeurs liées au travail et à l’emploi, d’avoir mis à notre ordre du jour ce sujet important qu’est le partage du travail.
Cathy Apourceau-Poly, qui représente le département du Pas-de-Calais, a mis en exergue les difficultés que rencontrent les entreprises. C’est aussi le cas dans mon département des Ardennes, qui fait malheureusement partie depuis de nombreuses années des départements sinistrés. Même si nous avons des entreprises performantes, comme PSA qui emploie 2 000 personnes, et une centrale nucléaire, nous avons perdu beaucoup d’emplois liés aux secteurs de la métallurgie et du textile, notamment dans la vallée de la Meuse. Ce combat permanent pour l’emploi, nous le menons toutes et tous dans nos territoires et départements respectifs.
Cela a été rappelé, depuis mars 2020, la crise sanitaire a mis en évidence de nombreuses problématiques. Les intervenants ont largement insisté sur les conditions de travail et évoqué aussi le bien-être au travail, car le télétravail ne règle malheureusement pas tout. C’est un sujet de préoccupation particulièrement important.
Je voudrais préciser quelques points. S’agissant de l’emploi privé, il faut rendre hommage à l’ensemble des chefs d’entreprise qui se démènent pour soutenir l’emploi au sein de leurs entreprises, quelle que soit la taille de celles-ci et qu’elles soient artisanales, industrielles ou autres.
Il faut aussi évoquer l’emploi public, et nos trois fonctions publiques, d’État, territoriale et hospitalière. On le sait, les soignants, qui sont en première ligne dans la fonction publique hospitalière, donnent largement de leur temps, font preuve de dévouement et d’engagement, et souffrent beaucoup.
Quant aux salariés, ils font souvent face dans leur emploi à des difficultés bien réelles qu’ont évoquées nos collègues du groupe CRCE et les orateurs qui sont intervenus à la tribune.
Parmi les priorités des Français, on trouve bien sûr la crise sanitaire, la sécurité, l’emploi et l’activité économique. L’emploi reste une préoccupation pour eux, tout comme pour l’ensemble des exécutifs et toutes celles et tous ceux qui dirigent les entreprises. De nombreux métiers n’offrent que de petits salaires : je prends l’exemple, souvent cité dans cet hémicycle, d’un métier qui demande beaucoup de qualités humaines, celui des aides à domicile. Ces personnels qui travaillent au maintien à leur domicile des personnes notamment âgées ou handicapées méritent le respect et la reconnaissance.
Il ne faut pas oublier que de nombreuses entreprises ont aussi perdu beaucoup d’emplois.
Je veux également rappeler que la complexité du code du travail est souvent dénoncée par les chefs d’entreprise et au sein des réunions de compagnies consulaires auxquelles nous participons dans nos départements et territoires respectifs.
Il faut évoquer l’enjeu des finances publiques, avec l’endettement de l’État et le déficit budgétaire, sans oublier l’autre budget important pour l’État que représente le financement de la sécurité sociale.
De nombreux intervenants ont évoqué la formation des jeunes. Le rôle de l’éducation nationale est fondamental dans les collèges et les lycées pour susciter des vocations. Le lien avec les entreprises et les stages en entreprise sont très importants. Le mérite de la formation des jeunes revient aussi aux chefs d’entreprise via la formation professionnelle et l’apprentissage. Pôle emploi, l’un des opérateurs de l’État, joue aussi un rôle important dans cette formation, et il faut lui en être reconnaissant.
La question du nombre d’heures travaillées n’est vraiment pas simple. Il faut soutenir l’emploi sous toutes ses formes : telle est ma conclusion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)