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Défense extérieure contre l’incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires
Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur les conclusions du rapport d’information Défense extérieure contre l’incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour un rappel au règlement.
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Madame la secrétaire d’État Bérangère Abba, je vous souhaite la bienvenue au Sénat.
Comme vous le savez, les débats d’initiative sénatoriale traitent de sujets importants. Ils constituent un espace de dialogue très constructif entre les sénateurs et le Gouvernement, dès lors que toutes les conditions sont réunies.
Madame la secrétaire d’État, mon propos ne vous vise pas personnellement, mais il sera franc et direct. N’hésitez surtout pas à transmettre ce message à vos collègues.
Nous allons débattre aujourd’hui d’enjeux très importants.
Le débat que nous allons avoir résulte d’une saisine de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation par le président du Sénat lui-même, qui fait suite aux remarques de très nombreux élus, notamment de communes rurales, partout en France.
Ceux-ci nous ont fait part de difficultés graves, voire insolubles : en raison des obligations et des dépenses onéreuses induites par les politiques publiques en matière de défense extérieure contre l’incendie (DECI), non seulement les finances de certaines communes sont mises à mal, mais elles risquent de s’effondrer. Dans certains cas, l’absence de DECI peut même bloquer la construction de nouvelles habitations.
Nos collègues Hervé Maurey et Franck Montaugé, que je salue, ont conduit avec une grande rigueur un excellent travail d’évaluation des nouvelles normes en matière de DECI. Leur travail s’accompagne d’une liste de propositions, saluées par de nombreux maires de tous les départements de France, qui attendent du Gouvernement la mise en œuvre d’un plan d’action.
La défense extérieure contre l’incendie relève de la compétence des collectivités locales, mais aussi du ministère de l’intérieur et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Madame la secrétaire d’État, ne voyez aucune insolence – tout au plus un peu de naïveté – dans mes propos : je vous avoue que le lien entre la biodiversité, domaine dont vous êtes chargée, et la défense contre l’incendie m’avait totalement échappé.
Aussi, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation,…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. … au nom de nos collègues rapporteurs, au nom de tous les maires et de tous les élus ici présents, permettez-moi de vous faire part de mon incompréhension, voire de mon étonnement – pour ne pas dire davantage –, de constater l’absence incongrue de représentants de ces deux ministères au banc du Gouvernement cet après-midi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à Mme Céline Brulin, pour un rappel au règlement.
Mme Céline Brulin. Madame la secrétaire d’État, je veux à mon tour vous faire part de notre étonnement. Durant un instant, avant que – heureusement ! – vous nous rejoigniez, nous avons même cru qu’aucun membre du Gouvernement ne serait présent pour débattre avec nous !
Mon intervention ira dans le même sens que celle de Françoise Gatel : le lien entre la défense extérieure contre l’incendie et la défense de la biodiversité – cette question, tout à fait noble au demeurant, doit évidemment constituer une priorité – n’est pas évident à nos yeux.
Dans leur rapport, nos collègues Franck Montaugé et Hervé Maurey se sont fait l’écho des immenses difficultés rencontrées par de très nombreux maires, notamment sur les plans financier et foncier. Ils soulignent aussi le fait que la DECI requiert des débits d’eau importants – nous y reviendrons sans doute au cours du débat.
Comme on vient de le rappeler, pas moins de quatre ministres ou secrétaires d’État avaient l’occasion, cet après-midi, d’apporter des réponses concrètes et utiles aux questions que nous allons poser.
Madame la secrétaire d’État, sans vous faire offense, je crains que vous ne soyez pas en mesure de nous donner ces réponses.
M. Daniel Laurent. Tout à fait !
Mme Céline Brulin. Il y va pourtant du développement des communes, de la délivrance des permis de construire, pour ne citer que cet exemple, et, plus largement, du crédit de la parole publique. Le travail de nos collègues prend appui sur les préoccupations des élus locaux, qui, parce qu’elles sont concrètes et urgentes, appellent des solutions rapides. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour cet accueil chaleureux ! (Sourires.)
Je porte aujourd’hui la parole du Gouvernement : c’est une faculté offerte, comme vous le savez, à chacun de ses membres. En l’occurrence, je suis présente à la demande de Marlène Schiappa, qui est retenue auprès du Président de la République, et de Jacqueline Gourault, qui, en raison d’engagements pris depuis très longtemps, ne pouvait pas répondre favorablement à votre invitation.
La réponse du Gouvernement est évidemment primordiale et attendue. En tant qu’ancienne élue locale et ancienne parlementaire, je comprends bien vos préoccupations. Dans mon territoire, la Haute-Marne, je travaille de longue date sur ces sujets. J’ai d’ailleurs préparé avec beaucoup de soin notre débat et me réjouis de nos échanges à venir.
M. le président. Dans le débat, la parole est à M. Hervé Maurey, rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui a demandé ce débat.
M. Hervé Maurey, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État – je suis moi aussi étonné de vous voir au banc du Gouvernement, ce qui ne m’empêche évidemment pas de vous saluer –, mes chers collègues, ce débat sur la défense extérieure contre l’incendie, qui nous réunit cet après-midi, est organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation dans le prolongement du rapport Défense extérieure contre l’incendie : assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires que Franck Montaugé et moi-même avons présenté en juillet dernier.
Ce rapport fait suite à une saisine de la délégation par le président du Sénat.
Il est tout d’abord nécessaire de rappeler que la loi du 17 mai 2011 a substitué à la réglementation nationale en matière de défense extérieure contre l’incendie le principe d’une réglementation départementale, établie par le préfet en concertation avec les élus locaux, l’objectif étant de répondre aux spécificités des différents territoires.
Dix ans après l’adoption de cette loi, force est de constater que cette réforme, souhaitée par les élus, notamment par l’Association des maires de France, n’a pas répondu à leurs attentes.
Elle a, au contraire, provoqué un large mécontentement des maires, qui s’explique en grande partie par le caractère inégal et souvent très insatisfaisant de la concertation prévue par le décret de 2015. Selon l’enquête que nous avons menée, 70 % des maires considèrent que la concertation n’a pas été satisfaisante, et 81 % d’entre eux estiment que leur territoire n’est que partiellement couvert au regard des nouvelles normes.
Selon les informations transmises par les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), près d’une habitation sur trois ne serait pas bien protégée contre le risque incendie, ce qui concernerait entre 6 et 7 millions de nos concitoyens – ce chiffre est colossal !
Autre point négatif de la mise en œuvre de la réforme, la DECI est dépourvue de toute étude d’impact préalable. Il en résulte que la plupart des règlements ne répondent pas, ou insuffisamment, aux spécificités infradépartementales et à la différence de dangerosité entre les agglomérations, les bourgs, les centres-bourgs, les hameaux, ou les maisons isolées. Surtout, ils ne tiennent pas compte des capacités financières des communes.
De nombreux maires nous ont fait part des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Ils se trouvent dans l’obligation de renoncer à des investissements importants pour leur commune, sur lesquels ils s’étaient pourtant engagés lors de leur campagne électorale, en raison du coût de la mise en conformité avec le règlement départemental de défense contre l’incendie. Ce sont parfois en effet des investissements de plusieurs centaines de milliers d’euros qui sont demandés à de toutes petites communes.
Je citerai l’exemple de la commune des Bottereaux, située dans le département de l’Eure, qui compte 380 habitants et dispose d’un budget d’investissement de 210 000 euros. Les travaux de mise en conformité s’y élèveraient – j’emploie le conditionnel à dessein – à 3,6 millions d’euros ! Je n’ai pas besoin d’en dire davantage.
Aux aspects financiers s’ajoutent parfois des contraintes techniques liées au débit du réseau, qui ne permet pas l’installation d’une borne, ou au manque de disponibilité de terrains pour l’installation d’une réserve d’eau. Cette situation conduit de nombreux maires à refuser toute autorisation d’urbanisme, enclenchant ainsi un cercle vicieux de baisse de population – et donc de ressources – et de fermeture des classes.
À l’heure où la revitalisation des territoires ruraux s’impose comme une priorité et où des crédits importants sont consacrés à cet objectif, les règlements départementaux de défense extérieure contre l’incendie (RDDECI) viennent trop souvent nuire aux actions menées en ce domaine.
Tels sont les éléments que je souhaitais évoquer dans le temps qui m’était imparti. Je laisse à mon collègue Franck Montaugé le soin de présenter nos propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Jean-Claude Anglars applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, rapporteur de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
M. Franck Montaugé, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission d’information conduite par Hervé Maurey et moi-même, avec le soutien matériel de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que je tiens à saluer, a permis de dresser, avec un recul de près d’une décennie, un premier bilan de la défense extérieure contre l’incendie.
Toutefois, ce bilan doit être, selon nous, complété par un audit national de la DECI conduit par l’État. Cette recommandation a d’ailleurs été accueillie favorablement par le ministre de l’intérieur lorsque nous lui avons présenté notre rapport le 7 décembre dernier.
Pour l’avenir, un meilleur suivi des dépenses des communes en matière de défense contre l’incendie pourrait être envisagé en détaillant l’instruction M14 de manière à faire apparaître clairement le poste de dépenses afférant à cette charge.
Il nous paraît aussi nécessaire de faire précéder les décisions relatives au règlement départemental d’une étude d’impact, afin de mesurer les conséquences financières de ces décisions sur les communes et de mieux prendre en compte les autres solutions possibles. Je pense par exemple aux bâches et autres points d’eau naturels pouvant être utilisés dans un cadre contractuel maîtrisé – cela renvoie d’ailleurs à la problématique plus générale de l’eau en milieu rural.
Il faut en outre insister sur la nécessité d’une méthodologie de concertation, exigeante et précise, des acteurs de la défense extérieure contre l’incendie. Jusqu’à présent, la concertation a trop souvent été plus formelle que réelle. Le périmètre des acteurs concernés comprend certes les partenaires institutionnels et les organisations d’élus, mais il doit s’élargir à l’ensemble des maires.
L’une des principales barrières à la mise en conformité des communes, en particulier les plus petites d’entre elles dans les zones rurales, est son coût. C’est pourquoi un soutien budgétaire significatif de l’État s’impose. Doté de 10,5 milliards d’euros, le plan France Relance est, à cet égard, une occasion à saisir. Selon nos calculs, il faudrait 1,2 milliard d’euros pour couvrir les investissements sur trois ans.
La dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) pourrait également être davantage mobilisée. Actuellement, ce n’est pas le cas dans tous les départements. Le recours à cette dotation devrait être généralisé dans chaque département, pour des montants pouvant aller jusqu’à 100 % du coût du projet à financer, en fonction de critères à définir avec les maires.
Après avoir ainsi répondu à l’urgence, il sera nécessaire de faire un bilan, dans trois ans, de cette mobilisation accrue de la DETR et du financement par le plan France Relance, et de réfléchir à une source de financement plus pérenne.
Les normes en matière de défense extérieure contre l’incendie doivent désormais être figées, et ce après avoir intégré les moyens des SDIS dans les arbitrages à rendre.
Il faut en effet choisir des solutions garantissant une répartition optimale des coûts entre les SDIS et les communes. De même, il convient d’élaborer des règles distinctes et proportionnées à la réalité du risque et à la nature du projet. Pour y parvenir, une approche infradépartementale fine est requise. Cette démarche résultera nécessairement d’une révision des schémas départementaux d’analyse et de couverture des risques (SDACR).
Mais tout ne relève pas nécessairement de la puissance publique. Les dispositifs d’autoprotection ont ainsi probablement un rôle important à jouer dans le domaine de la défense extérieure contre l’incendie. En France, la culture du risque est peu répandue et inégalement diffusée. Il est surprenant que l’obligation d’installation d’un détecteur de fumée, effective depuis 2015, soit si peu respectée et qu’elle ne fasse que très rarement, voire jamais, l’objet d’un rappel. Le renforcement de l’autoprotection doit favoriser, en retour, l’assouplissement des règles imposées aux communes.
Enfin, dans cette approche rénovée, le numérique et les innovations technologiques offrent des pistes intéressantes d’optimisation de la défense contre l’incendie.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voici le large cadre dans lequel s’inscrit notre débat de ce jour. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains. – M. Alain Marc applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année, qui débute une fois encore dans un contexte sanitaire des plus complexes, lequel donne lieu à des débats indispensables, comme celui qui nous réunit aujourd’hui.
Je vous prie de nouveau de bien vouloir excuser l’absence de Marlène Schiappa et de Jacqueline Gourault.
Je suis très honorée d’aborder devant vous la question de la défense extérieure contre les incendies, dont le nombre et la violence augmenteront du fait du réchauffement climatique. Le Gouvernement a à cœur de travailler à la prévention des risques liés à ces incendies. Le développement de la culture du risque et l’amélioration de la gestion des ressources en eau, qui font partie du champ de compétences du ministère de la transition écologique, y contribueront.
En août dernier, à la suite d’un déplacement dans le Var, j’ai pu constater les ravages du feu dans la plaine des Maures, une réserve naturelle nationale malheureusement dévastée cet été. Cela nous a conduits à reconsidérer la question de l’entretien de certains espaces naturels protégés en vue de prévenir les incendies.
Votre rapport, messieurs les sénateurs Maurey et Montaugé, nous conduit à juste titre à nous interroger sur le fondement même de la politique de défense extérieure contre l’incendie. Il convient ainsi d’assurer la disponibilité d’une quantité d’eau suffisante sur l’ensemble du territoire, tout en donnant la priorité à la sauvegarde des hommes et des zones habitées. Le domicile des Français doit être protégé, et les sapeurs-pompiers doivent pouvoir intervenir avec des moyens en eau suffisants pour éteindre les incendies, rapidement et en toute sécurité.
La DECI relève de la compétence des maires et des présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Elle s’inscrit dans le prolongement des politiques de l’eau et d’aménagement du territoire.
Le rapport insiste sur la nécessité d’adapter la réponse en matière de DECI à la réalité des territoires et aux contextes locaux et de prendre en compte les obligations qui pèsent sur les collectivités, autrement dit les besoins, les moyens et les préoccupations de chacun. Nous poursuivons donc le même objectif : un cadre doit certes être défini au niveau national, mais il convient de laisser aux acteurs du territoire le choix des moyens pour y parvenir.
Plusieurs principes ont présidé à l’élaboration du décret de 2015, parmi lesquels la déconcentration, l’équilibre entre les règles de la DECI et les moyens des SDIS, ou encore le principe d’une concertation menée au plus près des contextes locaux.
Depuis cette réforme, le cadre législatif et réglementaire, défini dans le code général des collectivités territoriales, repose sur une approche territorialisée et pragmatique de la DECI. Le volume des débits et l’espacement des points d’eau sont désormais fixés dans le cadre du règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie, élaboré par les SDIS après consultation des maires. Ces règlements sont ensuite arrêtés par le préfet du département, après avis du conseil d’administration du SDIS. Les règles sont donc applicables dans chaque territoire, mais peuvent et doivent être adaptées localement.
Partout, nous devons rechercher cet équilibre entre les moyens mobiles des SDIS et les ressources communales. Le référentiel national de la DECI se contente de fournir un cadre méthodologique, car l’essentiel du travail doit être réalisé au niveau départemental.
Les communes et les EPCI peuvent mettre en place des schémas communaux ou intercommunaux, qui déterminent les objectifs de couverture des risques dans les territoires et définissent les équipements à mettre en place prioritairement pour satisfaire à l’ensemble des exigences du RDDECI. Les SDIS peuvent évidemment apporter leur concours aux collectivités territoriales pour élaborer ces documents.
Dans votre rapport, messieurs les sénateurs, vous insistez à juste titre sur l’esprit de la réforme, c’est-à-dire l’indispensable adaptation de la DECI aux besoins des territoires, et sur la nécessité, pour les élus locaux, de s’en imprégner. La concertation avec les élus, pourtant obligatoire pour l’élaboration du RDDECI, a été insuffisante dans certains départements.
Vous formulez vingt et une propositions pour améliorer la situation.
En effet, bien que la loi prévoit d’adapter localement les objectifs de la politique de sécurité anti-incendie, force est de constater – je vous rejoins sur ce point – que des difficultés de mise en œuvre, en cours d’identification par les services du ministère de l’intérieur, existent dans certains départements, pour l’essentiel en Seine-Maritime, en Charente, dans l’Eure et le Gers.
Dans ces territoires, les règles, bien que définies localement, sont considérées par certains élus comme trop sévères, inapplicables ou entraînant des dépenses d’équipement exorbitantes. Si le règlement départemental de défense extérieure contre l’incendie n’est pas mis en œuvre, le développement des communes peut effectivement être entravé. Nous avons à cœur de résoudre ces difficultés.
Les questions posées par ces élus sont légitimes et rejoignent les préoccupations du Gouvernement : il faut viser l’élaboration d’un dispositif souple, concerté et adapté aux situations locales. Le dispositif doit permettre de concilier le maintien, voire le renforcement de la sécurité de nos concitoyens et des sapeurs-pompiers, et la maîtrise des dépenses, qui doivent être proportionnelles aux besoins. Il reste des progrès à réaliser dans ces domaines.
Je ne remets évidemment pas en cause la nécessité de ce mécanisme décentralisé de définition des règlements départementaux de défense extérieure contre l’incendie. La sécurité des populations et des sapeurs-pompiers prime toute autre considération – je sais que vous me rejoignez sur ce point.
La législation actuelle doit donc continuer à s’appliquer, d’autant que des marges de manœuvre existent bel et bien localement et qu’elles ont été utilisées de manière satisfaisante dans de nombreux départements, conformément au droit en vigueur.
Nous devons cependant surmonter les blocages persistants en prévoyant une révision de ces règlements, découlant d’une concertation véritablement fructueuse, seule capable de mettre fin aux ultimes tensions.
Dans la mesure où il partage plusieurs constats établis par la mission sénatoriale, le Gouvernement convient qu’il est nécessaire d’ajuster certains aspects de ce cadre réglementaire, notamment en vue d’adapter la DECI aux effets du réchauffement climatique, comme la recrudescence des incendies dans les espaces naturels et agricoles.
Aussi, nous avons identifié quatre axes de progrès à court terme.
Premièrement, il convient d’harmoniser les pratiques des SDIS en encourageant la diffusion des bonnes pratiques et leur appropriation par l’ensemble des services.
Deuxièmement, et parallèlement aux travaux de votre mission d’information, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui dépend du ministère de l’intérieur, a entrepris d’établir un état des lieux exhaustif en matière de DECI dans tous les départements. L’objectif est d’identifier avec précision les éventuelles difficultés rencontrées sur le terrain et de formuler des propositions pour y remédier. Cette démarche approfondie répond, me semble-t-il, aux préoccupations formulées par votre mission.
Troisièmement, nous encourageons les élus qui sont confrontés à ces difficultés à les signaler au préfet de département, idéalement avant le 31 mars prochain, de sorte que les travaux du Gouvernement en tiennent compte.
Quatrièmement, le ministère de l’intérieur a commandé un rapport d’audit à l’inspection générale de la sécurité civile pour la fin du premier trimestre de l’année 2022. Il s’agit d’établir s’il existe un lien – et, le cas échéant, dans quelle proportion – entre le durcissement des règles régissant la DECI au niveau local et l’évolution des politiques d’équipement des collectivités territoriales durant les cinq dernières années.
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État, car votre temps de parole est écoulé.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Je conclurai, monsieur le président, en ajoutant que le projet de loi 3DS (projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale) prévoit la remise d’un rapport évaluant la mise en œuvre de ces règles.
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Pascal Martin.
M. Pascal Martin. Je remercie vivement notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, en particulier sa présidente Françoise Gatel, d’avoir permis au Sénat de se saisir de la question de la défense extérieure contre l’incendie en lui consacrant une mission d’information. J’adresse toutes mes félicitations à ses rapporteurs, Hervé Maurey et Franck Montaugé, pour le travail qu’ils ont réalisé.
Les représentants des territoires que nous sommes savons à quel point ce sujet est important et sensible localement. Celui-ci me tient particulièrement à cœur, non seulement en tant qu’élu local, mais aussi en tant qu’ancien colonel de sapeurs-pompiers professionnels.
Les difficultés d’application de la nouvelle réglementation sur la DECI sont récurrentes et perdurent. Ainsi, la rigidité des normes complexifie ou rend impossible la délivrance de permis de construire par les maires, malgré une demande croissante. Un budget totalement consacré au financement de la DECI anéantit par ailleurs toute prospective communale durant un mandat.
La problématique de la DECI est très bien résumée dans l’intitulé de la mission d’information et du présent débat : il s’agit d’assurer la protection des personnes sans nuire aux territoires.
Pour la plupart des communes rurales, où le bâti est diffus et l’habitat morcelé, les obligations imposées par les règlements départementaux de DECI sont très souvent source d’insatisfaction, compte tenu des contraintes urbanistiques, financières et juridiques qu’ils induisent. En résumé, la politique actuelle est en partie inadaptée aux réalités locales.
Aussi, madame la secrétaire d’État, pourquoi ne pas envisager une évolution réaliste et pragmatique de la réglementation ? Je pense notamment à la modulation des distances entre les points d’eau et les zones d’habitation. Ne faudrait-il pas également reconnaître de nouveaux points d’eau naturels tels que la Seine ?
Enfin, ne pourrait-on pas recourir à de nouveaux matériels performants et très fiables comme les motopompes flottantes, qui sont légères et facilement manœuvrables, et qui assurent un débit compris entre 30 et 60 mètres cubes par heure ?
Madame la secrétaire d’État, que pouvez-vous répondre à ces nombreux maires ruraux qui nous interpellent pour nous dire que les règles en matière de DECI paralysent leur action, et qu’ils ne disposent pas des moyens financiers pour faire face à leurs obligations ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)