Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas du tout ce qu’il a dit !
Mme Sylvie Goy-Chavent. M. Duplomb s’appuyait sur du vécu, lui !
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions dit lors de l’examen de cette proposition de loi, si nous avons conscience que la question de la régulation du foncier agricole est essentielle pour assurer l’avenir de notre agriculture, il n’en demeure pas moins que nous sommes réservés sur la portée de ce texte.
Ainsi, comme de nombreux observateurs, nous pensons que le remède pourrait être pire que le mal, puisque nous créons finalement un système de deux poids deux mesures, en lieu et place d’un même seuil de contrôle pour tous et d’arbitrages reposant sur un corpus législatif commun.
Nous ne comprenons toujours pas pourquoi est opérée une distinction entre le seuil général de contrôle des structures et le seuil qui s’appliquera aux sociétés, ni pourquoi il a été choisi de mettre en place une inégalité de traitement entre les personnes physiques et les personnes morales détentrices de parts de sociétés. Cela risque d’accélérer le phénomène sociétaire, donc, inévitablement, l’agrandissement que cette proposition de loi est pourtant censée combattre.
Pis, ce texte instaure de multiples dérogations au nouveau contrôle des cessions des parts sociales, voire un cumul des différentes dérogations permettant l’agrandissement sans contrôle d’une exploitation. Lors des débats en première lecture, il avait été rappelé, à juste titre, qu’« il suffirait de se pacser avec son salarié qui est aussi son cousin éloigné » !
Sans parler de la mise en place de mesures compensatoires qui permettront l’agrandissement, mais aussi l’accélération de la financiarisation de notre agriculture et mettront à mal les contrôles traditionnels…
Dès lors, faut-il se contenter d’une loi a minima sur le foncier, au risque de ne plus aborder ce sujet pourtant fondamental ? Faut-il se contenter d’un compromis qui, malheureusement, n’endiguera pas le phénomène de libéralisation et qui ne garantira pas un accès et un usage équitables à ce bien commun, même si certains n’aiment pas cette expression, qu’est le foncier agricole ?
Nous ne le pensons pas et nous ne nous y résignons pas, tout comme de nombreux syndicats agricoles ou associations qui sont vent debout contre cette proposition de loi. Cela a déjà été dit lors de la discussion de la proposition de loi, que ce soit la Confédération paysanne, Terres de Liens, la Fédération nationale d’agriculture biologique, aGter et France Nature Environnement, tous dénoncent le manque d’ambition du texte, qui « ne réglera aucunement la difficulté d’accès au foncier […] pour les porteuses et porteurs de projets agricoles et notamment les “non-issus du milieu agricole” ».
Or, comme le soulignent un certain nombre de spécialistes du droit du foncier agricole, le foncier constitue la trame essentielle du territoire que le code de l’urbanisme qualifie de « patrimoine commun de la Nation ». Et, ne nous y trompons pas, sur ce sujet comme sur bien d’autres, nombreux sont ceux qui plaident pour la disparition de toute régulation au motif qu’elle serait un frein à la liberté d’entreprendre et au développement économique des entreprises agricoles, tout cela au nom de la compétitivité.
En même temps, oserais-je dire (Sourires.), nous sommes nombreux ici au Sénat, et qui plus est de manière transpartisane, à partager le constat que l’agrandissement excessif des structures, la diminution du nombre d’exploitations et d’exploitants et l’industrialisation des processus de production ont des conséquences néfastes pour l’aménagement du territoire, l’environnement, la qualité des produits et des sols, l’emploi et, surtout, la vitalité des territoires ruraux.
L’accaparement des ressources foncières, par des investisseurs étrangers, mais aussi par de grands groupes nationaux, représente une véritable menace. Nous pouvons toutes et tous, en tant que de besoin, le dénoncer.
Malgré ce constat, permettez-moi de le dire, nous restons en deçà des enjeux, nous nous éloignons toujours plus du « pacte foncier qui, depuis les années 1960, établit dans le monde agricole un équilibre entre la propriété et le travail de la terre », comme le dit si bien Dominique Potier,…
M. Laurent Duplomb. Alors là…
Mme Cécile Cukierman. … entre le besoin de propriété et d’accaparement et la nécessité de donner de la valeur au travail de celles et ceux qui, au quotidien, font vivre la terre sans compter leurs heures. Ce pacte donnait la priorité au facteur humain plutôt qu’aux mouvements de capitaux et de concentration.
Notre pays a profondément besoin de « justice foncière », voire d’« utopie foncière », pour reprendre les mots d’Edgar Pisani, c’est-à-dire d’une rénovation du rapport à la terre.
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. Il faudrait que le Sénat débatte d’une grande loi foncière agricole.
Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne voterons pas les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Christian Redon-Sarrazy applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 25 novembre dernier, près de la gare Saint-Lazare, les Jeunes Agriculteurs se sont mobilisés pour distribuer gratuitement aux passants plus de 1 100 baguettes de pain, correspondant à la production perdue toutes les minutes du fait de la disparition de foncier agricole – un symbole très fort, vous en conviendrez !
Cette opération avait pour objectif de faire « prendre conscience aux consommateurs que si, demain, il n’y a plus de foncier agricole, il n’y aura plus de production alimentaire en France ».
Le Sénat salue l’initiative de cette proposition de loi, qui atténuera la disparition du foncier. Il s’agit ici de relever le défi de la maîtrise du foncier aux moyens de deux objectifs : d’une part, lutter contre la concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres, en contrôlant les cessions de titres des sociétés ; d’autre part, agir pour l’installation et la consolidation des exploitations, grâce à un mécanisme d’incitation à vendre ou à donner à bail rural à long terme une surface compensatoire à un agriculteur.
Le cœur du dispositif, créé à l’article 1er, est inspiré de celui de l’Autorité de la concurrence pour le contrôle des concentrations économiques. Il instaure un contrôle administratif et des prises de participations sociétaires, au profit d’un bénéficiaire qui dépasse un seuil d’agrandissement significatif.
Le mercredi 1er décembre, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord après des heures de négociation déterminées et des prises de position solides. Elle a conforté les mesures votées par le Sénat en novembre. Nous avons maintenu l’essentiel de nos positions d’équilibre visant à réguler sans faire obstacle au développement de notre secteur agricole.
Ainsi, le préfet de département sera compétent pour conduire la procédure de contrôle, au plus près des exploitants et de leur activité, reprenant ainsi une proposition du Sénat. Le préfet de région est toujours chargé de fixer le niveau du seuil. Le seuil plancher déclenchant le contrôle des cessions a été rehaussé à 1,5 fois la surface agricole utile régionale moyenne, conformément à la volonté du Sénat de viser les opérations excessives, et non la majorité des opérations courantes.
Les transmissions entre membres d’une même famille, dès lors qu’ils s’engagent à poursuivre l’exploitation, ont été exclues du dispositif de contrôle jusqu’au quatrième degré inclus, comme l’avait prévu le Sénat.
Pour ne pas complexifier à outrance le travail des agriculteurs qui ont choisi de s’associer au sein d’une même société, les transmissions entre exploitants associés de longue date ont été permises, mais encadrées.
L’accord qui a été trouvé reconnaît la liberté de gestion des agriculteurs dans la mise en œuvre des mesures compensatoires, en leur laissant la possibilité de proposer au préfet un locataire ou un acheteur pertinent, ou d’opter pour l’appui de la Safer.
De manière unanime, les membres de la commission mixte paritaire ont soutenu la volonté du Sénat de demander au Gouvernement une évaluation obligatoire, précise et chiffrée de ce nouveau dispositif de contrôle d’ici à trois ans.
L’article 5, qui vise le cas d’un acquéreur unique, a été rétabli par la commission mixte paritaire. Il prévoit que, si une opération conduit à un agrandissement excessif, le préfet peut, après avis de la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), suspendre l’instruction de la demande d’autorisation pour huit mois, afin d’encourager davantage de candidats à postuler.
Afin de rendre opérationnelles ces mesures d’urgence au plus vite, la commission mixte paritaire a prévu une entrée en vigueur de l’article 1er à une date fixée par décret, au plus tard le 1er juillet 2022.
Les agriculteurs attendaient une grande loi. Ce n’est pas le grand soir du foncier agricole, chacun en convient ! Même si les débats ont été vifs entre les deux chambres, même si des discordances ont pu se faire entendre parmi les acteurs de la filière, ceux-ci attendent ce texte, qui devrait permettre de répondre de manière efficace aux dérives.
Les membres de la commission mixte paritaire se sont écoutés et ont chacun fait des concessions dans l’intérêt général de notre modèle agricole. C’est pourquoi l’ensemble des membres du groupe Union Centriste votera en faveur des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les uns et les autres l’ont rappelé, la politique foncière est structurante pour notre agriculture, car elle conditionne en grande partie le modèle agricole que nous souhaitons.
En effet, si nous voulons avoir un minimum de souveraineté alimentaire, si nous voulons une agriculture durable, diversifiée et des produits de qualité, si nous voulons sécuriser l’emploi agricole et garantir ainsi le dynamisme de nos territoires ruraux, nous sommes bien d’accord : il faut absolument préserver un modèle équilibré, dans lequel coexistent des exploitations de taille différente, des exploitations sous forme sociétaire et surtout des structures familiales, qui, au-delà d’une communauté de travail, représentent bien souvent une communauté de vie.
À l’issue de l’examen de la proposition de loi de notre collègue député Jean-Bernard Sempastous, nous allons, je le crois, dans le sens de cet objectif, même si les défis de la politique foncière appellent une réflexion plus vaste que le seul contrôle des structures et cessions de titres sociaux. Nous attendions une grande loi foncière ; ce ne sera, hélas, pas pour tout de suite !
Comme l’a dit mon collègue Laurent Duplomb, nous avons quelques points de divergences dans ce débat, mais nous ne devons pas avoir peur de réformer. En attendant, nous avons aujourd’hui la possibilité d’apporter un début de réponse à une évolution observée dans nos régions, celle de la part de plus en plus importante des formes sociétaires au sein de notre modèle agricole.
On en connaît les conséquences : l’accaparement des terres et les difficultés d’accès des jeunes agriculteurs au foncier agricole, alors même que près d’un agriculteur sur deux atteindra l’âge de la retraite au cours des cinq à sept prochaines années, comme cela a été souvent rappelé dans nos débats. La Safer, compétente en la matière, doit pleinement faire de l’installation sa priorité. Monsieur le ministre, il faudra pour cela lui donner les moyens nécessaires.
L’adaptation rapide du contrôle des cessions de parts de sociétés s’impose donc. Aussi, mon groupe partage tout à fait l’ambition de cette proposition de loi.
Je suis heureux de constater que la commission mixte paritaire a trouvé un équilibre satisfaisant, préservant au passage les quelques apports du RDSE. Je ne reviendrai pas sur la question du seuil surfacique, qui a été très discutée. Je rappellerai seulement que j’aurais préféré que l’on s’en tienne à la fourchette fixée dans le texte initial, un niveau qui me semblait bien répondre à la diversité des exploitations couvrant notre territoire.
J’approuve également l’encadrement des exemptions au contrôle. Je note toutefois que celles-ci demeurent nombreuses, et qu’un effort n’a pas été fait en direction des foncières agricoles agréées « entreprises solidaires d’utilité sociale ». Nous sommes quelques-uns ici, y compris le Gouvernement, à avoir souligné notre attachement à Terre de Liens, qui effectue un travail remarquable de promotion des exploitations durables et sociales.
Enfin, la clarification de la procédure pour la mise en œuvre des mesures compensatoires, ainsi que le rétablissement sur la base d’une nouvelle rédaction de l’article 5, relatif à l’adaptation des motifs de refus d’autorisation d’exploiter, permettent de retrouver l’esprit de la proposition de loi initiale.
Mes chers collègues, compte tenu des améliorations apportées par la commission mixte paritaire, le RDSE approuvera ce texte.
Sans anticiper les prochains débats, je me réjouis également de l’examen après-demain de la proposition de loi sur les retraites agricoles, puis à la rentrée du grand projet de loi sur l’assurance récolte. Protéger le foncier agricole, protéger les agriculteurs, qu’ils soient anciens ou actifs, tout cela participe d’une même ambition, celle de conserver à notre pays sa vocation de nation agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Pierre Louault applaudit également.)
Mme le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement, l’ensemble de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 53 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 249 |
Contre | 76 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Au terme de ce vote, je voudrais remercier le rapporteur du travail qu’il a effectué.
Je salue également M. le ministre, qui a aidé le Sénat à trouver les voies du compromis avec l’Assemblée nationale.
Je félicite bien sûr le rapporteur de l’Assemblée nationale de l’initiative de cette loi que, à titre personnel, j’avais en ligne de mire depuis une dizaine d’années. Au moins, les choses sont faites !
Je remercie enfin l’ensemble des équipes du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi que celles du ministère, qui ont travaillé en collégialité et en bonne intelligence.
Cette loi est importante. Elle ne va peut-être pas aussi loin qu’on l’aurait voulu, mais en la matière, il faut avancer, même modestement, et toujours mettre un pied devant l’autre. C’est ce que nous venons de faire, ensemble. Je vous remercie des équilibres trouvés et de ce vote ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
Mme le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais à mon tour vous remercier. Nous commençons, depuis le temps, à avoir une certaine expérience des travaux parlementaires en commun. (Sourires.)
Cette commission mixte paritaire m’a appris une chose dont j’étais convaincu : il ne faut jamais lâcher, surtout dans la dernière ligne droite. La veille au soir, beaucoup pensaient encore qu’il ne serait pas possible d’arriver à un accord.
Je voudrais remercier tous ceux qui ont été acteurs de ce processus. Monsieur le rapporteur, en compagnie de tous les membres de la commission mixte paritaire, dont vos collègues de l’Assemblée nationale, vous avez joué un rôle très important pour permettre à ce texte d’aboutir.
Ne jamais remettre au lendemain ce que l’on peut faire aujourd’hui : voici le bel enseignement de cette CMP.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Julien Denormandie, ministre. Il s’applique aussi aux travaux parlementaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie d’avoir beaucoup œuvré, vous et vos équipes, ainsi que celles du ministère. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente, est reprise à quinze heures trente-cinq.)
Mme le président. La séance est reprise.
6
Interdiction des pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre
Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne (proposition n° 13, texte de la commission n° 239, rapport n° 238).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chère Dominique Vérien, mesdames, messieurs les sénateurs et les sénatrices, les « thérapies de conversion » constituent des atteintes insupportables à l’intégrité humaine. Elles sont totalement inacceptables en France en 2021.
Être une personne LGBT+ n’est pas une idéologie. Être soi n’est pas un crime.
Non, l’homosexualité et la transidentité ne sont pas des maladies que l’on pourrait soigner. Non, il n’y a rien à guérir, parce que l’on ne choisit pas son orientation sexuelle et parce que l’identité de genre n’est ni plus ni moins que l’identité que l’on ressent au fond de soi.
Ces pratiques rétrogrades appelées « thérapies de conversion » embrassent un large spectre de pratiques et revêtent un caractère protéiforme : harcèlements, agressions physiques, exorcismes, retraites spirituelles, traitements hormonaux, et même, parfois, électrochocs.
Faire subir des électrochocs à des personnes souvent vulnérables, avec l’illusion de pouvoir transformer ces personnes en ce qu’elles ne sont pas : comment l’accepter ?
Comment ne pas voir cette vulnérabilité qui se mue parfois en culpabilité, toujours dans une souffrance extrême ?
Grâce au travail mené par Laurence Vanceunebrock, en étroite concertation avec des associations, des experts, des médecins et des autorités religieuses, cette proposition de loi instaure un délit spécifique visant à réprimer ces pratiques.
L’objectif est de mieux identifier ce délit, de mieux protéger les victimes, de favoriser la libération de la parole et, ainsi, de mieux mesurer l’ampleur de ce phénomène dans notre pays.
Oui, cette proposition de loi permettra aux victimes de passer plus facilement la porte des commissariats ou des gendarmeries. Elle permettra aux forces de l’ordre et aux magistrats de mieux appréhender les fautifs, pour mieux les condamner.
Ces pratiques ne sont pas nouvelles et dépassent nos frontières. D’autres pays européens, tels que l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, ont déjà légiféré ou sont en train de le faire.
Cette loi permettra enfin d’envoyer un signal clair à celles et à ceux qui cherchent à contraindre une personne à renier son identité de genre ou son orientation sexuelle.
Cette loi permettra d’envoyer un signal fort aux victimes de ces pratiques, qui, à l’heure actuelle, n’ont pas toujours conscience de l’illégalité de ces actes. Par cette loi, nous leur affirmons clairement qu’elles seront protégées.
Mesdames, messieurs les sénateurs et les sénatrices, il est important de préciser que les « thérapies de conversion », qu’elles soient religieuses, médicales ou sociétales, sont le fait d’une minorité de personnes. Mais cela n’atténue en rien leur gravité.
Cette proposition de loi ne vise évidemment pas à stigmatiser celles et ceux qui accompagnent de manière bienveillante les personnes qui en manifestent la volonté. Les aides apportées par la famille ou les amis, le travail accompli par les médecins, les représentants de culte ou les associations restent essentiels et doivent perdurer. L’accompagnement offert à une personne en réflexion sur son orientation sexuelle ou son identité de genre n’est clairement pas visé par ce texte.
Notre démarche vise en revanche à renforcer les droits et la protection des personnes LGBT+. L’écoute, le soutien et la protection, d’où qu’ils viennent, sont indispensables.
Au moment où les droits des personnes LGBT+ sont remis en cause au sein même de l’Europe, alors que ces enjeux affleurent dans notre débat public, ce texte s’inscrit dans le combat mené depuis le début de notre mandat contre toutes les formes de discriminations et pour l’égalité des droits de tous les citoyens.
Cela se traduit dans le plan triennal d’actions du Gouvernement pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ lancé le 14 octobre 2020.
Ce progrès s’est également traduit par l’ouverture de la PMA (procréation médicalement assistée) aux couples de femmes et aux femmes célibataires, par la publication il y a quelques mois d’une circulaire du ministère de l’éducation nationale pour mieux accueillir les élèves transgenres, mieux appréhender la transidentité et, ainsi, lutter contre le taux de suicide quatre à sept fois plus important pour les personnes concernées.
Il se traduit par le renforcement de la formation tant des forces de l’ordre que de la magistrature, par la désignation de référents discriminations au sein du ministère des armées, ou encore par le lancement d’une campagne de communication nationale de lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre par Santé publique France.
Permettez-moi d’ailleurs de profiter de cette tribune pour saluer le travail remarquable effectué au quotidien par les équipes de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) pour sensibiliser nos concitoyens, former les professionnels et accompagner les associations engagées sur ces sujets.
Mesdames, messieurs les sénateurs et les sénatrices, il est du devoir de l’exécutif comme du législateur de protéger toujours plus nos concitoyens.
Il est du devoir des responsables politiques de prendre en considération la pluralité de notre société et de veiller à ce que la loi permette scrupuleusement à chacun et à chacune d’être respecté dans son intégrité et dans sa dignité humaine.
Je voudrais également, devant vous, remercier l’ensemble des associations qui œuvrent chaque jour pour faire avancer les droits des personnes LGBT+, en particulier celles qui se sont engagées depuis plusieurs années dans ce combat contre les « thérapies de conversion ».
Je pense notamment au collectif « Rien à guérir », dont le porte-parole Benoît Berthe est présent au Sénat cette après-midi. Monsieur Berthe, je sais le travail que vous avez mené et les obstacles auxquels vous avez été confrontés. Votre contribution est précieuse pour toutes les victimes. Il s’agit pour elles d’une grande avancée.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs et les sénatrices, je vous remercie toutes et tous pour votre implication et votre travail sur ce texte, en particulier vous, madame la rapporteure Dominique Vérien.
Cette proposition de loi mérite que nous dépassions les clivages partisans, afin d’être votée d’une seule main. Pour reprendre les mots d’Amin Maalouf, « c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c’est notre regard qui peut les libérer. »
Cette après-midi, c’est votre vote qui protégera nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe UC. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Mme le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai une confidence à vous faire : en tant que parlementaire, il m’arrive parfois de ne pas saisir pleinement l’intérêt de certains textes, tant ce que l’on veut nous faire voter est déjà présent d’une façon ou d’une autre dans nos codes.
À quoi bon créer un nouveau délit alors que les faits sont déjà sanctionnables sur le fondement de dispositions déjà existantes ?
M. Philippe Bonnecarrère. Eh oui !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il serait possible d’appliquer ce raisonnement au texte que nous examinons aujourd’hui. On pourrait facilement le balayer et le rejeter d’emblée, en estimant que, de toute façon, les « thérapies de conversion » peuvent d’ores et déjà être sanctionnées par les articles du code pénal relatifs aux violences volontaires, au délit d’abus de faiblesse, au harcèlement moral ou encore à l’exercice illégal de la médecine.
Pourtant, il n’en est rien, parce que le droit et la loi ne sont pas des sciences froides et purement objectives. Ils sont aussi le reflet d’une société, de son état d’esprit, de ses valeurs, des interdits qu’elle pose et des choses qu’elle nomme. Car tout l’enjeu de ce texte est bien là et tient en un seul mot : nommer.
Nommer le délit, c’est poser une interdiction franche et c’est reconnaître le mal qui a été fait.
Nommer le délit, c’est permettre aux victimes de se reconnaître en tant que telles – on sait l’importance que cela peut avoir dans leur reconstruction.
Nommer le délit, c’est enfin permettre une véritable quantification du phénomène et une meilleure prise en charge judiciaire.
Finalement, c’est un message fort que la République envoie en créant un délit autonome visant à sanctionner les thérapies de conversion. Ces actes ne sont plus acceptables. Peu importe son orientation sexuelle ou son identité de genre, chacun a le droit à la protection de la République. Accepter l’autre au-delà de ses différences, c’est aussi contribuer à faire de notre société un espace de liberté.
Ce texte est donc nécessaire. De plus, il s’inscrit dans la continuité de la résolution du Parlement européen du 1er mars 2018 condamnant les thérapies de conversion et appelant les États membres de l’Union européenne à légiférer pour les interdire.
Plusieurs de nos voisins, par exemple l’Allemagne ou certaines régions espagnoles, se sont déjà saisis de ce sujet. C’est également le cas de plusieurs États des États-Unis ou du Canada.
Je voudrais également préciser qu’il ne s’agit pas d’un texte sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Je connais les doutes de certains d’entre vous sur cette dernière expression, qui figure pourtant déjà dans le code pénal, dans le code du travail ou encore dans le code du sport.
En outre, le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2017, a estimé que l’expression « identité de genre » était suffisamment claire et précise pour figurer dans la loi.
J’ajoute également que les responsables des cultes que nous avons auditionnés et auxquels nous avons clairement posé la question nous ont expliqué non seulement être pour cette loi, mais aussi ne pas avoir de problème avec la présence de la notion d’identité de genre dans le texte.
Enfin, le médecin spécialiste que nous avons auditionné a insisté sur le fait que cette réassignation est, dans certains cas, un besoin vital, une question de survie même.
Toutefois, ici, la présence de l’expression « identité de genre » sert simplement à protéger ceux qui en ont besoin de ceux qui considèrent qu’homosexualité et transidentité sont des maladies ou des péchés que l’on peut traiter par de pseudosciences.
Concrètement, on parle ici de pratiques pouvant prendre la forme de groupes de parole où l’on doit se mettre à nu, de jeûnes, de sessions d’enseignement, de prières de guérison ou de délivrance, d’hypnose, d’électrochocs, voire d’exorcismes, de « viols de guérison » – curieux concept –, ou d’excision. Sauf que, en réalité, il n’y a pas davantage de malades que de maladies. Il n’y a donc rien à guérir.
Les seules thérapies possibles sont celles qui visent à soigner les conséquences de ces pratiques barbares et moyenâgeuses. Isolement, dépression, suicide, voilà les seuls résultats que peuvent espérer obtenir ces charlatans.
Le constat est dur, mais il est partagé par les associations de victimes bien sûr, mais aussi par les responsables des cultes, qui ont tous tenu à dénoncer les thérapies de conversion, ne serait-ce que parce que ces dernières passent par des dérives sectaires et un profond dévoiement des textes sacrés. Tous ont tenu également à saluer la nécessité de cette loi.
Les médecins et les psychiatres nous ont, pour leur part, alertés sur les conséquences désastreuses de ces pseudo-thérapies – je les ai déjà évoquées –, comme sur la nécessité d’offrir une écoute attentive et bienveillante face aux questionnements sur son orientation sexuelle ou son identité de genre.
Une écoute bienveillante et attentive est nécessaire, et nous avons justement tenu à rassurer en inscrivant dans ce texte une distinction entre les « thérapies de conversion », que nous condamnons, et l’accompagnement et le soutien.
Ainsi, le parent ou le professionnel de santé qui invite à la prudence et à la réflexion le mineur qui s’interroge sur son identité de genre et envisage un parcours médical ne pourra évidemment pas être poursuivi. Il ne s’agit pas de pénaliser celui qui invite simplement à prendre le temps de la réflexion avant de se lancer dans un changement profond.
Il ne s’agit pas non plus ici de pénaliser l’accompagnement spirituel et religieux. La liberté de culte est parfaitement respectée et préservée.
Cet accompagnement, qu’il vienne d’un parent, d’un médecin ou d’un proche de confiance, est donc parfaitement légitime, mais il ne doit jamais aboutir à la proposition d’une thérapie de conversion, c’est-à-dire d’une pratique ayant pour effet une altération de la santé physique ou mentale de la personne.
D’ailleurs, dans le cas où cette pratique serait à l’initiative du parent, le juge devra se prononcer systématiquement sur le retrait ou non de l’autorité parentale. Nous estimons qu’il s’agit d’une mesure de bon sens, qui permet d’avoir un texte équilibré et qui s’inscrit dans la continuité du travail de l’auteure de la proposition de loi, Laurence Vanceunebrock, dont je salue ici l’engagement sur le sujet.
En définitive, je l’ai dit, ce texte est nécessaire. Alors que ces thérapies de conversion visent principalement des adolescents et de jeunes adultes, à une période de leur vie pleine de questionnements et de doutes, où ils sont bien souvent vulnérables, la République se doit de les protéger.
Nous leur devons la possibilité de s’épanouir librement et de se construire. Je m’adresse à tous ceux qui ont été victimes, à tous ceux qui ont eu le courage de témoigner, comme aux anonymes : nous reconnaissons votre peine et nous sommes aujourd’hui pleinement à vos côtés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI, GEST et SER. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)