Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez inscrit à l’ordre du jour de vos travaux ce débat sur le thème de la contribution des politiques d’appui aux collectivités à l’aménagement et la cohésion des territoires. Il s’agit d’un sujet crucial, qui fait un excellent lien entre les deux volets de mon ministère.
Alors que l’Assemblée nationale examine le projet de loi 3DS, je tenais à être présente aujourd’hui pour discuter avec vous de ces thèmes importants pour l’avenir de nos territoires. Je n’aurai pas le temps de répondre à tous, mais j’essaierai d’introduire des éléments de réponse dès que ce sera possible.
La politique de cohésion des territoires passe par la volonté de construire ensemble des projets dans les territoires, beaucoup l’ont souligné. Vous m’interrogez sur la manière dont les politiques de soutien de l’État aux collectivités territoriales contribuent à l’aménagement et à la cohésion des territoires.
Il est vrai que l’État considère qu’il a une mission d’appui aux collectivités territoriales : à elles l’aménagement de leur territoire, à lui l’aménagement du territoire national, dans une logique de subsidiarité. Toutes les politiques d’aménagement et de cohésion des territoires que nous menons sont conduites de manière partenariale, grâce à la volonté des collectivités territoriales et sur leur initiative.
La question qu’a posée Claude Raynal est naturellement de nature financière, mais il s’agit au fond de savoir quelle place il faut laisser, dans les différentes politiques publiques que l’État a insufflées dans les territoires, à la liberté de choisir d’autres projets. Les programmes Action cœur de ville ou Petites Villes de demain sont des politiques appréciées à l’échelon local, qui illustrent de façon consubstantielle une vision globale de l’aménagement du territoire. Le programme Action cœur de ville, par exemple, traite l’aménagement des centres-villes en agissant sur le commerce, le logement, les espaces publics… Il embrasse à lui seul un certain nombre de politiques publiques.
Sur le très haut débit, l’État a voulu le développement de la fibre, ce qui n’était pas en dehors des préoccupations des élus. Ces derniers savent que la ruralité – le thème a été abondamment évoqué par les différents intervenants – ne peut pas rester à l’écart du développement de la fibre optique.
Aujourd’hui, la coopération passe également par les réseaux d’initiative publique (RIP), qui sont d’ailleurs bien souvent mis en place par des regroupements d’intercommunalités ou de départements. C’est une politique très importante, partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Il ne s’agit pas d’imposer, mais il arrive un moment où c’est la réalité des territoires qui s’impose à nous. Le sénateur de Loire-Atlantique a ainsi évoqué les évolutions climatiques et les problèmes côtiers.
Il faut bien que l’État prenne ses responsabilités et engage des politiques publiques face aux changements sociétaux, géographiques, climatiques. De leur côté, les collectivités territoriales doivent accompagner le mouvement. Il nous faut travailler ensemble.
Claude Raynal a évoqué les aspects financiers. C’est un véritable débat, j’en conviens. Il faut pouvoir aider certains projets qui ne sont peut-être pas intégrés dans nos politiques publiques.
Ainsi que plusieurs orateurs l’ont souligné, la contractualisation est un élément très important. Il a plus été question des CRTE que des CPER. Actuellement, 843 CRTE sont en développement dans les territoires. Je pourrai vous répondre plus précisément sur le sujet tout à l’heure.
J’ai également été interpellée sur les ressources financières des collectivités territoriales. Sans revenir sur la stabilité de l’enveloppe nationale, je précise qu’un certain nombre de départements, comme la Nièvre, les Ardennes ou la Creuse, ont bénéficié d’une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF), et ce malgré la baisse de population de ces trois départements. Par ailleurs, l’État y a lancé des pactes d’aménagement spécifiques.
Les chiffres relatifs aux priorités des collectivités territoriales en matière d’investissement ont été rappelés par Claude Raynal. Nous avons eu la chance, si tant est que l’on puisse qualifier ainsi ce qui est une conséquence de la crise sanitaire, de profiter du plan de relance sur un certain nombre de dossiers, comme la DSIL rénovation énergétique et d’autres DSIL.
Le programme 112 « Aménagement du territoire », dont relève le fonds national d’aménagement et de développement du territoire (Fnadt), voit ses ressources s’accroître, avec une augmentation de 35 millions d’euros entre 2021 et 2022.
La question de l’ingénierie a été soulevée par plusieurs sénateurs, qui ont évoqué le rôle de l’ANCT. Je le rappelle, celle-ci soufflera sa deuxième bougie au 1er janvier prochain. Je crois que beaucoup a été accompli en deux ans. L’ANCT s’est stabilisée d’un point de vue administratif et financier, avec une subvention pour charges de service public d’un montant de 60,5 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022.
Un tiers du budget de l’ANCT, soit 20 millions d’euros, est destiné au financement du marché d’ingénierie de l’ANCT, qui permet d’aider les collectivités à concrétiser leurs projets en bénéficiant d’expertises externes lorsque le besoin n’est pas satisfait localement. Je tenais à le souligner dans cet hémicycle. En effet, nombre d’entre vous craignaient que la création de l’ANCT ne vienne concurrencer les ingénieries des départements, des intercommunalités, voire des régions. En l’occurrence, l’ANCT ne concurrence rien du tout. Elle agit en subsidiarité quand la ressource ou la spécialité ne suffisent pas.
Je le rappelle, les financements sont évidemment ouverts à toutes les collectivités territoriales. Cela me donne l’occasion de répondre à la question de Martine Filleul : ce n’est pas réservé aux communes inscrites dans un système de contractualisation de type Petites Villes de demain ou Action cœur de ville. Je précise même que les aides sont gratuites pour les communes de moins de 3 500 habitants et pour les intercommunalités de moins de 15 000 habitants. Les territoires ruraux sont donc particulièrement ciblés, car nous savons bien que c’est là que l’ingénierie manque le plus.
En outre, nous avons accompagné certains programmes comme Petites Villes de demain avec des chefs de projet financés à 75 % par l’État et ses partenaires, c’est-à-dire l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) – c’est toujours l’État – et la Banque des territoires.
L’ANCT opère donc via de très nombreux dispositifs sur les territoires. Nous aurons l’occasion d’y revenir pendant le débat interactif.
Je réponds d’ores et déjà à la question sur les ZRR. Tout le monde sait que, dans le cadre de l’examen du projet de loi 3DS à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a émis en commission un avis favorable sur l’amendement visant à prolonger les zonages jusqu’au mois de décembre 2023. Il faudra toutefois y revenir, dans la mesure où le mécanisme adopté ne prend pas en compte la politique de la ville. Le Gouvernement déposera donc un amendement lors de la discussion du texte en séance publique afin d’y remédier. Je profite de l’occasion pour saluer Mme la sénatrice Valérie Létard, très impliquée sur ces sujets.
Monsieur Darnaud, le rapport d’information sur le FPIC est paru voilà un mois. Le Gouvernement est en train d’en étudier le contenu. Il envisage d’intégrer sous forme d’amendements lors du débat à l’Assemblée nationale certaines mesures préconisées par le Sénat, notamment les garanties de sortie, qui est un dispositif très intéressant.
Vous avez également évoqué le projet de loi 3DS. À cet égard, rien n’a véritablement changé sur la question des préfets. Vous le savez, je suis entièrement d’accord avec vous sur la nécessité de redonner toute sa puissance au préfet de département. Toutefois, le préfet de région sera le délégué territorial de l’Ademe : celle-ci ayant une organisation régionale, il n’était pas possible de faire autrement. C’est donc cohérent politiquement. Toutefois, je vous rejoins : il faut renforcer le rôle des préfets de département – nous le faisons.
Je connais vos préoccupations en matière financière, par exemple sur la DSIL. Je suis mobilisée sur ces dossiers, comme je m’y étais engagée.
Monsieur Benarroche, nous travaillons aussi sur la métropole Aix-Marseille-Provence. J’espère que nous aboutirons à un accord entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le sujet.
Mme Varaillas m’a accusée de « métropolisation ». Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous écoute avec attention et je peux entendre nombre de préoccupations, mais ce n’est tout de même sous ce quinquennat qu’a été votée la création des métropoles !
Mme Cécile Cukierman. Nous ne l’avons pas votée non plus pendant le précédent quinquennat !
M. Laurent Duplomb. Et l’eau ? Et l’assainissement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les métropoles – au nombre de huit, au départ – ont été instituées sous le précédent quinquennat !
Cela étant, il faut tout de même faire preuve d’un peu de réalisme. Aujourd’hui, les métropoles existent et il faut bien gérer les espaces métropolitains et les espaces urbanisés en général. Il y a donc besoin de politiques de la ville et de politiques d’aménagement des métropoles.
Ainsi que j’ai eu l’occasion de le souligner lorsque je siégeais dans cet hémicycle, je ne comprends pas cet acharnement à vouloir toujours opposer les métropoles aux zones rurales ou à la périphérie. Notre pays a évolué au cours des années depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et nous devons aujourd’hui traiter des sujets qui se présentent à nous.
On ne peut pas accuser l’exécutif en place depuis quatre ans et demi d’avoir métropolisé la France ! La métropolisation s’est faite au fil du temps et les prochains gouvernements devront répondre aux problématiques qui se poseront à eux et seront leur actualité.
Je ne peux pas non plus laisser passer l’accusation selon laquelle le Gouvernement serait en train de se désengager des routes. En réalité, nous ne faisons que terminer la décentralisation des routes, qui – je tiens à le rappeler – concerne uniquement les départements volontaires et dont le processus a été engagé sous le gouvernement Raffarin. La belle affaire !
Je précise également à Marie-Claude Varaillas que l’État fera un chèque de 500 millions d’euros à La Poste dans le cadre du projet de loi de finances – vous savez, celui qui ne sera pas examiné par le Sénat… –, pour que celle-ci continue à rendre le service public dans les territoires. Ce n’est pas vraiment du désengagement !
Je répondrai aux autres points qui ont été abordés dans le cadre du débat interactif.
Débat interactif
Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque groupe dispose de deux questions de deux minutes maximum, y compris l’éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour sa réponse d’une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la ministre, les politiques d’appui aux collectivités sur tout le territoire national, à la ville et à la ruralité, sont nécessaires pour aménager notre pays. Je pense à la santé, au développement économique ou à l’urbanisme. Nous estimons qu’elles doivent être amplifiées dans les territoires ruraux – cela représente 80 % du territoire et un tiers de la population –, afin de réduire les inégalités territoriales et d’y maintenir la vie.
En complément de ce qui existe, un appui devrait concerner la réindustrialisation de ces territoires. Il faut aider les collectivités locales pour permettre le financement des PME, favoriser le tourisme et garantir l’accès à internet pour tous.
Il faut également donner la possibilité aux agriculteurs de diversifier leur production en maintenant les possibilités d’irrigation, et ce avec des préfets développeurs.
Les différents programmes, qu’il s’agisse de Petites Villes de demain, de ceux que vous avez mis en place ou de ceux qui permettent la réhabilitation et la rénovation de nos centres-bourgs, sont nécessaires pour l’urbanisation. L’artificialisation des terres doit être différenciée par rapport aux villes et permettre au monde rural de faciliter la réalisation de maisons individuelles. L’accès à France Services doit être généralisé dans tout le pays.
Le Gouvernement est-il favorable à la mise en place de ZRR mieux ciblées dans les territoires ruraux après 2022 ? L’État accepte-t-il de participer au financement de l’immobilier, des très petites entreprises (TPE), du tourisme, de permettre l’irrigation agricole et de différencier l’artificialisation des terres ?
L’aménagement du territoire, c’est également un médecin dans chaque maison de santé. Ne pensez-vous pas que la mesure adoptée par le Sénat permettant aux futurs médecins…
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Chasseing. … d’être conventionnés seulement après six mois de remplacement dans un désert médical devrait être mise en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme le président. Mes chers collègues, afin de pouvoir tenir l’ensemble des débats inscrits à notre ordre du jour dans les délais prévus, j’invite chacun d’entre vous à respecter le temps de parole qui lui est imparti.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Chasseing, ce n’est pas la question que vous aviez transmise… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. C’est donc que vous avez les questions !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Oui, certains sénateurs donnent leur question avant. Ce n’est pas nouveau, cela a existé sous toutes les majorités ! Certains en revanche s’y refusent systématiquement. (MM. Yves Bouloux et Laurent Duplomb s’exclament.)
Monsieur le sénateur, je connais votre attachement aux ZRR.
Vous le savez, Rémy Pointereau, Bernard Delcros et Frédérique Espagnac m’ont remis un rapport d’information sur l’avenir des zones de revitalisation rurale. Le Gouvernement a indiqué publiquement qu’il prolongera les zonages d’une année supplémentaire – il a d’ailleurs fait voter une disposition en ce sens – et lancera une étude avec le groupe de sénateurs ayant travaillé sur le sujet, afin d’examiner si des évolutions des ZRR sont ou non nécessaires.
Le problème de l’eau, que vous avez abordé, est très important. Dans certains départements, la situation devient très compliquée. Cela concerne non seulement l’alimentation humaine, mais également le volet agricole. Tout le monde sait ce qui s’est passé récemment dans les Deux-Sèvres et le Lot-et-Garonne.
M. Laurent Duplomb. C’est inadmissible !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’eau est un problème absolument vital. L’opposition entre ceux qui font des réserves d’eau, par exemple des bassines ou des retenues collinaires, et ceux qui les condamnent devient terrible. Nous devons avancer sur cette question.
Mme le président. La parole est à Mme Else Joseph.
Mme Else Joseph. Le thème abordé aujourd’hui est très vaste. Il est cependant crucial pour les projets de nos collectivités locales, qui seront encore plus sollicitées, surtout en temps de crise.
Cet appui va bien au-delà du seul soutien financier : c’est la mise à disposition de tous les moyens, humains, techniques ou juridiques, nécessaires à l’aménagement du territoire.
La semaine dernière, j’ai souligné en commission de la culture le défaut d’ingénierie dont pâtissent nos communes. Ce problème peut résumer l’une des difficultés les plus criantes qu’elles subissent.
Si beaucoup a été fait pour le développement de l’ingénierie publique territoriale au cours de ces dernières années, il faut reconnaître que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne.
Ainsi, les petites communes n’ont guère d’administration ni même de cabinet pour appuyer leurs élus. Elles ne peuvent pas bénéficier d’administrateurs territoriaux.
Le seuil démographique constitue un frein à des recrutements nécessaires, comme l’a souligné un rapport d’information publié l’année dernière. Il estimait que 30 000 communes ou intercommunalités ne disposaient pas des moyens suffisants pour organiser leurs propres services d’ingénierie.
Par ailleurs, les plus petites communes doivent être associées aux politiques mises en place, comme on le voit dans le développement des contrats associant l’État aux intercommunalités.
Si de telles associations sont nécessaires, les communes ne doivent pas être noyées. Nous veillerons à ce que tous les maires soient impliqués, afin que ces contrats profitent à tous.
Enfin, force est de reconnaître que les modalités de calcul des mécanismes de dotations, notamment celles s’appliquant à la dotation globale de fonctionnement (DGF), favorisent davantage les territoires urbains que les territoires ruraux. En d’autres termes, les territoires ne disposent pas des mêmes moyens pour réaliser leurs projets.
J’en viens aux mécanismes de péréquation, qui loin d’être optionnels pour un territoire comme le mien, sont au contraire vitaux, en particulier pour les conseils départementaux, qui sont sous perfusion totale et qui connaissent un reste à charge insupportable.
Madame la ministre, que comptez-vous faire pour que les communes les moins peuplées, les plus immergées dans la ruralité, celles qui ont le moins de ressources, bénéficient concrètement de ces politiques et disposent des moyens suffisants pour réaliser leurs projets ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, je partage tout à fait vos préoccupations.
Je le répète : l’offre d’ingénierie de l’ANCT a été au départ constituée pour aider les zones rurales. Localement, cette offre peut être mobilisée par le préfet, qui constate, sur le territoire, l’existence ou l’absence de cette ingénierie dont ont besoin les communes, en particulier les plus petites.
Je ne vous l’ai pas encore indiqué : l’ANCT a créé un marché à bons de commande, afin de répondre aux besoins spécifiques des collectivités territoriales sur des thématiques particulières.
Je répète également – il me semble que cette information n’est pas aussi connue qu’elle devrait l’être – que ce dispositif est gratuit pour les communes de moins de 3 500 habitants, ainsi que pour les intercommunalités de moins de 15 000 habitants.
Cette absence de seuil démographique est un véritable choix de ma part. Certaines communes, qui jouent un rôle centralisateur au sein d’un territoire, qui ont intégré le programme Petites Villes de demain et qui ne comptent pas plus de 2 000, 1 500, voire 1 000 habitants, bénéficient ainsi des services d’un chef de projet, payé par l’État.
Je conclus en évoquant le volontariat territorial en administration (VTA), cher au secrétaire d’État Joël Giraud. Il s’agit d’un programme financé par l’État, là encore, qui permet à 800 jeunes volontaires de participer à des projets municipaux. C’est un apport très important, me semble-t-il, pour les petites communes.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, depuis vingt ans, les gouvernements successifs ne cessent de rogner sur l’autonomie fiscale des collectivités locales.
En la matière, le Gouvernement a battu tous les records avec la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Conséquence de cette réforme, ce sont plus de 30 % de leurs recettes que les élus locaux ne peuvent dorénavant plus moduler !
Alors que s’opérait cette recentralisation fiscale, les transferts de compétences de l’État vers les collectivités se poursuivaient, creusant un fossé toujours plus béant entre les moyens des collectivités et leurs responsabilités.
Tout à sa stratégie d’endiguement de la dépense publique, l’État continue de couper le robinet en direction des collectivités, tout en insistant sur leur rôle essentiel dans tous les domaines : relance économique, gestion de la pandémie, transition écologique, etc.
Reconnaissons tout de même que le Gouvernement innove en matière de contrôle fiscal, en allant jusqu’à contraindre les collectivités dans leur capacité à moduler les taux des impôts locaux.
Cette disposition n’a pas fait grand bruit lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020. Pourtant, à compter de 2023 et de la fin de la taxe d’habitation sur les résidences principales, les communes ne pourront plus faire évoluer le taux de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires comme elles le souhaitent. En effet, de manière assez peu compréhensible, ce dernier sera lié désormais au taux de la taxe sur le foncier bâti.
Pour de nombreuses communes pourtant, en particulier pour les communes touristiques, cette ressource est essentielle. Elle a le double mérite de cibler les ménages les plus aisés propriétaires de résidences secondaires et de lutter contre la sous-occupation des logements.
Madame la ministre, ma question est simple : pourquoi priver les communes de l’un des rares leviers financiers encore à leur disposition ?
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, la suppression de la taxe d’habitation était un engagement du Président de la République. Il a été tenu.
Vous qui êtes sensible au pouvoir d’achat des Français, vous savez que la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales constitue aussi un gain de pouvoir d’achat pour les Français. Je rappelle qu’elle est compensée à l’euro près, donc entièrement.
Vous évoquez le maintien de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, qui représente une ressource pour les collectivités territoriales.
La refonte de la fiscalité locale conserve bien évidemment cette même logique. À compter de 2023, le taux de taxe d’habitation sur les résidences secondaires ne pourra schématiquement augmenter plus ni diminuer moins que celui de la taxe foncière.
Le Gouvernement ne souhaite pas modifier cette règle ancienne, applicable depuis les débuts de la décentralisation. Il n’y a donc pas de nouveauté dans ce domaine.
Votre question aborde cependant un point qui constitue un véritable chantier, celui de la fiscalité applicable aux logements qui ne sont pas occupés toute l’année. En la matière, une réflexion semble nécessaire pour articuler les outils existants : taxe d’habitation sur les résidences secondaires, majoration de la taxe d’habitation, taxe d’habitation sur les logements vacants et taxe sur les logements vacants.
Il y a là, peut-être, une étude intéressante à mener.
Mme le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Madame la ministre, vous m’avez bien expliqué le mécanisme de la suppression de la taxe d’habitation, mais vous ne m’avez pas répondu sur l’autonomie fiscale des collectivités et sur la possibilité qui leur est laissée de décider de leur fiscalité.
Quant au lien qui est établi entre la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et la taxe foncière, on voit bien qu’il vise à protéger les intérêts des multipropriétaires. (Mme la ministre lève les bras au ciel.)
Je trouve cela particulièrement dommage.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, même si vous avez partiellement répondu à nos interrogations, je reviendrai sur la question de l’accès à l’ingénierie.
Dans quelques jours, nous fêterons les deux ans de la création de l’ANCT. Sans remettre en cause vos propos, force est de constater qu’il est encore très difficile pour les maires, en particulier ceux des plus petites communes, de se repérer dans le paysage de l’accès à l’ingénierie.
Comme le disait un élu lors du Congrès des maires le 17 novembre dernier, « pour solliciter de l’ingénierie, il faut de l’ingénierie » !
Ma question est donc la suivante : comment proposer directement aux communes, y compris à celles qui bénéficient de l’aide de l’ANCT, l’ingénierie, notamment financière, nécessaire à la mise en œuvre des différents projets qui émergent de cet accompagnement ? Flécher les collectivités, quelles qu’elles soient, dans les différents appels à projets qui conditionnent un certain nombre de réalisations, n’est pas suffisant.
Enfin, madame la ministre, et n’y voyez pas une offense, vous insistez devant cette assemblée sur la facilité qu’il y a, y compris pour les communes de moins de 3 500 habitants, à saisir gratuitement l’ANCT, mais comment y arriver concrètement ? Ce n’est pas ainsi que le perçoivent les maires de nos départements au quotidien.
Mme le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la sénatrice, nous faisons tout notre possible pour faire connaître l’ANCT. Son directeur général, ici présent, se déplace beaucoup dans les départements et les préfets organisent régulièrement des réunions d’information.
Devançant les questions qui me seraient posées à ce sujet, j’ai demandé des chiffres avant de venir et suis donc en mesure de vous indiquer que 700 petites communes sont aujourd’hui aidées par l’ANCT.
Si nous proposons bien de l’ingénierie financière, encore faut-il que les communes la sollicitent. Je vous comprends, madame la sénatrice, comme vous le savez, je viens d’un département rural, mais il faut aussi que les maires osent demander de l’aide.
En la matière, l’intercommunalité a aussi son rôle à jouer, me semble-t-il. Les équipes doivent communiquer sur l’offre de l’ANCT à destination des petites communes.
J’ai assisté au dernier congrès national des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE). Ces derniers font également de l’ingénierie ; ils dépendent des départements, y jouent un rôle essentiel et sont partenaires de l’ANCT.
J’en profite pour mentionner le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), dont il a été question tout à l’heure et qui est un autre partenaire. Nous proposons de le rendre accessible aux collectivités territoriales, ce que vous savez, puisque cette proposition a été discutée au Sénat.
Merci à vous également, madame la sénatrice, de faire connaître l’ANCT.
Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Nous avons besoin de travailler ensemble à une meilleure visibilité de l’ANCT.
Aujourd’hui, les maires se retrouvent dans la situation de ces jeunes qui postulent à un premier emploi et à qui l’on demande dix ans d’expérience.
Cette difficulté est réelle. Nous devons donc continuer à avancer.