Mme le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Claude Raynal. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mardi dernier, je regrettais en tant que président de la commission des finances que nous nous privions d’une séquence budgétaire de mon point de vue toujours utile. Aujourd’hui, une nouvelle séquence s’ouvre, avec un débat thématique auquel je souhaite contribuer en tant que rapporteur spécial de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
En abordant ce débat, il ne vous surprendra sans doute pas que je revienne avant tout sur la question de l’autonomie financière des collectivités territoriales.
En effet, la suppression de la taxe d’habitation a porté un nouveau coup à l’autonomie fiscale de ces collectivités. Elle a notamment conduit à remplacer, pour les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), 7,1 milliards d’euros de recettes par une fraction de TVA, sur laquelle ils n’exercent aucun pouvoir de taux.
Par ailleurs, la réforme des impôts de production se traduira par le remplacement de recettes foncières par une dotation, certes évolutive, de l’État pour un montant équivalent à 3,2 milliards d’euros en 2021.
Au total, après la réforme de la taxe d’habitation et celle des impôts de production, la part des recettes fiscales sur lesquelles les collectivités locales exercent un pouvoir de taux ou d’assiette s’élèverait à environ 62 % pour les collectivités du bloc communal, 33 % pour les départements et 10,6 % pour les régions.
De ce point de vue, on observe que, dans le total des ressources financières des collectivités, les ressources issues de la fiscalité directe locale diminuent année après année – force est de reconnaître que cela ne date pas d’aujourd’hui –, au profit de transferts financiers de l’État.
Par ailleurs, les principaux concours versés aux collectivités par l’État – la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation politique de la ville (DPV) et la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID) – sont en réalité des subventions d’équipement pour un montant total de 2 milliards d’euros en 2021, hors plan de relance. Il s’agit de financements attribués, pour l’essentiel, de manière discrétionnaire, les commissions de la DETR pouvant, pour cette dernière, corriger à la marge les orientations générales.
Nous n’oublions pas non plus les offres de subvention d’investissement émanant des différentes agences de l’État : l’ANCT, mais aussi l’ANAH (Agence nationale de l’habitat), l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), l’Afitf (Agence de financement des infrastructures de transport de France), l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, dite Agence de la transition écologique), etc. L’ensemble représente tout de même 5 milliards d’euros de crédits budgétaires.
Nous notons dans ce domaine pour le moins une certaine complexité, voire, parfois, une illisibilité. Chacune de ces agences dispose en effet de programmes répondant à des procédures et des délais différents.
Aussi, pour les collectivités souhaitant bénéficier de programmes comme Action cœur de ville, Revitalisation des centres-bourgs ou autre, il faut parfois jongler avec des critères relativement rigides.
Madame la ministre, au mois de mai 2021, la Cour des comptes indiquait que « ces approximations dans les appellations et les concepts [étaient] en fait révélatrices de l’imprécision de la stratégie de l’État ».
En voulant mettre en place une politique d’encadrement budgétaire des collectivités, l’État organise l’aménagement et la cohésion des territoires, en ne laissant à ces dernières qu’une marge de manœuvre réduite.
Dans l’instruction générale du 2 février 2021 relative à la composition et règles d’emplois des dotations et fonds de soutien à l’investissement en faveur des territoires en 2021, on trouve d’ailleurs des consignes très claires de mobilisation de ces dotations au bénéfice des différentes démarches partenariales impulsées par l’État – agenda rural, Territoires d’industrie, Petites Villes de demain, Action cœur de ville –, elles-mêmes regroupées dans les contrats de plan État-région (CPER) et les contrats de relance et de transition énergétique (CRTE).
D’ailleurs, le projet de loi de finances pour 2022 s’inscrit toujours plus dans cette logique, faisant, d’une certaine façon, des collectivités les bras armés de l’État. Ainsi, l’article 45 prévoit, cette année, de supprimer la fraction libre d’emploi de la DSID, même si, il faut bien le reconnaître, celle-ci était de fait déjà très faible et trop dispersée.
Si l’on peut parfaitement comprendre et admettre que des concours financiers soient fléchés par l’État sur des priorités définies par lui, encore faudrait-il que des fonds suffisants soient libres d’emploi pour permettre aux élus d’engager des politiques publiques d’aménagement adaptées en fonction de leurs territoires, politiques qui font souvent l’objet d’engagements électoraux.
Paradoxalement, la gestion des collectivités territoriales est aujourd’hui de plus en plus jugée par nos concitoyens à l’aune de politiques publiques qui sont, en réalité, largement décidées par l’État.
M. Laurent Duplomb. Tout à fait !
M. Claude Raynal. Madame la ministre, sur ce sujet, n’est-il pas temps de réguler et de trouver le bon équilibre entre subventions fléchées, qui peuvent se comprendre, et financements libres d’emploi, totalement nécessaires ?
Mme le président. La parole est à M. Louis-Jean de Nicolaÿ. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, on ne saurait bien évidemment minimiser la contribution des politiques d’appui de l’État, qui est primordiale pour les collectivités, surtout et avant tout en période de crise. Pour autant, nous nous devons d’interroger l’existant, pour que cette action soit efficace et pérenne.
Ainsi, à l’heure des grandes transitions et compte tenu des évolutions de plus en plus rapides, quelles sont les attentes des collectivités, mais aussi leurs perspectives ? Quelle est, par ailleurs, la stratégie de l’État en matière d’approche contributive ?
Aujourd’hui, pour être efficaces, les politiques d’appui se doivent d’être adossées à un dispositif qui soit global, proche des collectivités locales, susceptible de les accompagner sans s’y substituer et financièrement transparent.
Sur ce sujet, nous ne pouvons bien évidemment pas passer à côté de la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires en 2020, sous l’impulsion de la proposition de loi de Jean-Claude Requier. C’est une étape significative pour la politique de soutien de l’État en faveur de la cohésion des territoires, dont il est le garant.
Déjà en 2017, nous soulignions, dans un rapport d’information établi avec Hervé Maurey, la nécessité d’une structure au service des territoires. Bien évidemment, ceux-ci savent se prendre en charge, mais ils se heurtent aux complexités et enchevêtrements des dispositifs actuels.
À ce titre, je salue la volonté de mettre en place un fonctionnement efficace et partagé, avec, à la fois, un rôle de l’ANCT en matière de coordination des opérateurs nationaux avec lesquels elle a contractualisé et l’intervention des préfets de département. Il faut particulièrement préserver les financements de ses partenaires, sans quoi son efficacité sera réduite.
Les élus sont satisfaits de disposer de ce guichet unique, et les comités locaux de cohésion territoriale de l’ANCT doivent maintenant pouvoir pleinement jouer leur rôle pour s’inscrire dans le dispositif et adopter une approche différenciée.
L’ANCT doit permettre une démarche transversale : partir de la réalité vécue par les villes et faire en sorte de leur donner les bons outils en mobilisant toutes les parties prenantes pour faire du « cousu main », mais également offrir une capacité de coordination des ressources disponibles dans la durée, favoriser le partage d’expérience et la montée en compétences des bénéficiaires.
L’innovation publique locale ne doit pas être découragée par un plan national au périmètre préétabli par l’État.
L’ANCT, en fluidifiant et rationalisant l’existant, doit permettre aux territoires moins denses de se développer par des projets propres, sans voir leurs potentialités aspirées par d’autres territoires plus aguerris.
En tout état de cause, une contribution efficace des politiques d’appui en matière d’aménagement et de cohésion passe avant tout aujourd’hui par la contractualisation, en ce qu’elle offre de cohérence avec la prise en compte de la décentralisation et des spécificités locales.
D’ailleurs, à l’heure actuelle, la politique contractuelle de l’État semble devoir reposer que sur deux niveaux seulement : les CPER, pour l’échelon régional, et les CRTE, pour l’échelon infrarégional, ces derniers ayant opéré à la fois une véritable simplification et une unification des dispositifs de contractualisation existants entre l’État et les collectivités territoriales.
On ne saurait oublier, madame la ministre, les zones de revitalisation rurale, les ZRR, pour lesquelles nous attendons avec impatience la mise en place du groupe de travail.
Si les CRTE permettent d’améliorer la lisibilité de l’action publique, la temporalité des programmes est primordiale. Il faut concilier court et long termes, s’adosser aux projets de territoire et pérenniser les projets lancés. Pour être efficaces, ces temporalités doivent être alignées sur la durée d’un mandat, j’insiste particulièrement sur ce point.
De même, une approche en péréquation doit pouvoir être envisagée.
Enfin, la question de la mutualisation des actions entre les communes et l’intercommunalité est importante.
La crise sanitaire et économique que nous subissons encore aujourd’hui a mis en exergue le rôle clé joué par les communes et les EPCI, aux côtés de l’État et des régions, pour gérer l’urgence.
Il s’agit à présent de pérenniser cette coopération pour conforter la reprise et renforcer économiquement les territoires dans les années à venir.
Quelle est la position du Gouvernement sur ces points ?
En conclusion, toute politique d’appui se doit de proposer un cadre souple, capable d’intégrer les évolutions de la décentralisation et la progression des capacités des collectivités locales. C’est par le prisme de cette approche que nous nous permettrons de poser un regard critique sur votre engagement et votre capacité d’action sur le sujet, madame la ministre, et que nous jaugerons une nouvelle politique contractuelle qui se doit de donner de la lisibilité aux collectivités et de garantir l’engagement de l’État dans la durée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je profiterai de ce débat pour évoquer quatre sujets concrets relevant des relations entre l’État et les communes, entrant tous dans la thématique de ce débat.
Le premier sujet concerne les contrats de relance et de transition écologique, les CRTE.
Pour ces contrats, un certain nombre de préfets ont tendance à ne plus traiter qu’avec les présidents d’EPCI, laissant de côté les maires qui n’y sont pratiquement plus associés et qui manquent par conséquent totalement d’information. Tout ou presque se passe comme si ces préfets avaient perdu leur boîte mail…
Si cette pratique devait perdurer et se généraliser, ce serait alors la fin du couple maire-préfet, si cher au Président de la République. J’ose espérer, madame la ministre, que vous saurez le rappeler à qui de droit…
Le deuxième sujet a trait au déploiement des conseillers numériques sur le territoire national.
À la faveur du plan de relance, l’État a décidé de consacrer 250 millions d’euros en 2021 pour soutenir la lutte contre l’illectronisme. Cette initiative, pilotée par l’ANCT, répond à une attente d’un grand nombre de nos concitoyens et je la salue, comme il se doit.
Les premiers conseillers sont à présent sur le terrain, mais déjà se posent deux questions.
La première interrogation porte sur le financement des emplois à l’issue de la période contractuelle prévue. Elle est importante, car elle conditionne grandement la fidélisation des agents recrutés, qui pourraient être tentés de saisir des opportunités plus pérennes. Madame la ministre, pouvez-vous vous engager sur la prise en charge par l’État de la poursuite de ces contrats au-delà de la durée prévue de trois ans ?
La seconde interrogation concerne le financement de la formation. L’ANCT proclame partout que celle-ci est totalement prise en charge par l’État. Pourtant, quid des frais de déplacement lorsque cette formation a lieu dans un endroit éloigné – parfois très éloigné – du lieu de travail et qu’elle occasionne des frais pouvant aller jusqu’à 6 000 euros ? Ce sont des sommes importantes pour les petites communes qui se sont engagées aux côtés de l’État pour favoriser l’inclusion numérique au plus près des territoires.
Le troisième sujet concerne le financement des contrats aidés. Au regard de l’évolution de la situation économique, l’État a décidé, l’été dernier, de modifier la définition des publics prioritaires, en privilégiant désormais les plus jeunes. Or de nombreuses communes, souvent dans une situation financière tendue, avaient monté des opérations ou mis en place des services, notamment dans les domaines scolaire et périscolaire, avec des agents de plus de 50 ans, alors considérés comme public prioritaire. Ces agents, qui remplissent leur fonction avec compétence et efficacité, se trouvent ainsi privés d’une prolongation de leur contrat, au motif qu’ils ne sont plus prioritaires. C’est d’autant plus dommageable que certains sont parfois proches de l’âge de la retraite et qu’ils ne trouveront aucun autre emploi.
Le Gouvernement envisage-t-il de demander à Pôle emploi d’appliquer la nouvelle réglementation avec souplesse ? Il conviendrait de tenir compte de la situation particulière des agents de plus de 50 ans, voire de plus 60 ans, en fonctions au moment de l’évolution réglementaire.
Le dernier sujet met en exergue les difficultés rencontrées par les régisseurs de recettes et, par voie de conséquence, par les maires, dans un nombre croissant de communes. La direction départementale des finances publiques (DDFiP) ne reçoit plus les dépôts de recettes dans son réseau départemental. Elle demande aux régisseurs de les déposer dans un bureau de poste ou une agence postale. C’est ainsi dans le département de la Moselle.
Alors que ces dépôts faisaient l’objet d’un recomptage contradictoire en présence à la fois du régisseur et de l’agent des services fiscaux, la procédure a changé avec La Poste. La recette est désormais recomptée ultérieurement au dépôt. En cas de résultat inférieur à la somme déclarée, la différence est automatiquement imputée au régisseur. Cette pratique est pour le moins choquante !
C’est pourquoi je vous demande, madame la ministre, d’user des relations particulières que l’État entretient avec le groupe La Poste pour exiger un recomptage contradictoire des dépôts d’argent.
Mme le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marie Mizzon. Si La Poste refuse, on risque fort de ne plus trouver d’agents communaux volontaires pour accepter la fonction de régisseur, qui les responsabilise sur leurs deniers personnels. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme le président. La parole est à Mme Martine Filleul. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Martine Filleul. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les collectivités territoriales ont été particulièrement sollicitées pour la gestion de la crise sanitaire. Elles continueront à l’être, sans doute davantage encore avec les défis de la transition écologique. Elles doivent donc être en mesure d’élaborer une conduite stratégique et anticipative de leur développement, afin que celui-ci soit durable et résilient.
Cela suppose qu’elles bénéficient d’une ingénierie. Or la présence des compétences est loin d’être équitable et homogène sur l’ensemble du territoire. Les grandes collectivités, qui ont le plus de moyens, ont pu développer leurs propres ressources ou disposer d’une puissante expertise externalisée. À l’inverse, les plus petites, qui disposent de budgets et d’effectifs bien moins importants, notamment en milieu rural, sont dotées de peu de compétences en interne et manquent de moyens adaptés pour mener à bien leurs projets. Elles doivent donc pouvoir compter sur l’expertise et l’accompagnement de l’État.
L’ANCT a notamment été conçue pour assurer un rôle dans la fabrique des projets et pour faciliter l’accès des collectivités territoriales aux ressources humaines et techniques. Pourtant, contrairement à la promesse qui a été faite d’une augmentation significative de ses moyens, ceux-ci, tant financiers qu’humains, demeurent insuffisants.
Ainsi, pour les collectivités en demande d’ingénierie, il est fait état de 400 projets accompagnés en 2021 et d’une cible de 500 projets en 2022 et 2023. Ce nombre paraît bien faible au regard des quelque 25 000 communes de moins de 1 000 habitants que compte notre pays, dont les moyens sont souvent très limités.
Par ailleurs, le soutien de l’ANCT n’intervient que dans le cadre des programmes d’action qu’elle pilote. Qu’en est-il des communes qui n’entrent dans aucun des dispositifs, comme les programmes Action cœur de ville ou Petites Villes de demain ? Ces trous dans la raquette laissent pour compte des collectivités en difficulté.
En outre, entre les différents dispositifs, les politiques de labellisation ou encore les contrats de ruralité, l’action de l’État en direction des espaces ruraux est en elle-même d’une grande complexité, ce qui rend le soutien en financement et en ingénierie technique peu lisible pour les collectivités territoriales qui peuvent en bénéficier. Il s’agit en somme d’un système absurde, dans lequel l’accès à l’aide de l’État est si laborieux que celle-ci n’est finalement pas à la portée des collectivités qui en ont le plus besoin.
Aussi continuons-nous à appeler le Gouvernement à mettre en place une intervention ciblée, prioritaire et renforcée, au profit des territoires les plus en détresse pour identifier et actionner rapidement les leviers potentiels de développement.
Enfin, nous tenons à rappeler que la décentralisation ne doit pas être appréhendée comme un désengagement ou un dessaisissement de l’État. Si le déploiement des politiques territorialisées échappe de plus en plus à l’action strictement nationale, le renforcement des pouvoirs locaux ne doit pas pour autant faire perdre de vue le rôle éminemment stratégique qui doit encore être celui de l’État en matière de cohésion et de développement équitable des territoires.
À cet égard, on ne peut que regretter le mandat pour rien du haut-commissariat au plan, cette coquille vide qui aurait pu et aurait dû penser la solidarité et la complémentarité entre nos territoires et leur transformation à l’aune du réchauffement climatique. Le développement, indispensable mais anarchique, des éoliennes, concentrées dans quelques régions, ou encore les difficultés des collectivités littorales menacées par le recul du trait de côte et la montée des eaux…
Mme le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Martine Filleul. … sont autant d’exemples récents de la nécessité que l’État mène des politiques d’appui aux collectivités territoriales !
Mme le président. La parole est à M. Bruno Belin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Belin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà à parler de nouveau d’aménagement et de cohésion des territoires ! Au lieu de zone de revitalisation des territoires, on devrait parler de zone de frustration rurale ou de zone de liberté rurale. On aimerait voir des évolutions.
Madame la ministre, qu’attendent les élus ?
Ils demandent d’abord un peu plus d’écoute, un peu plus de confiance, par exemple pour construire. En milieu rural, les règles de 2021, avec les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUi), désavantagent les territoires ruraux. Les règles valables pour les années 2020 ont été imaginées au début des années 2000 ou 2010. Il est grand temps de les revoir, si l’on veut donner un avenir aux territoires ruraux. Pour qu’ils puissent faire de l’aménagement du territoire, il faut d’abord pouvoir construire – ou d’ailleurs ne pas construire.
Nous touchons là au grand débat des éoliennes.
M. Bruno Sido. Ah !
M. Bruno Belin. Madame la ministre, sur ce sujet qui divise les territoires, je vous demande tout simplement de faire en sorte que le dernier mot revienne aux élus locaux. Nous évoluons au milieu d’une multiplicité de procédures et les élus qui en subissent les conséquences sont actuellement entendus les derniers ! Pour un meilleur aménagement du territoire, qui requiert un climat de confiance, je répète qu’il est nécessaire que le dernier mot revienne aux élus.
Je citerai également les longs débats et les chicaneries infinies dans les territoires entre les maires et les architectes des bâtiments de France (ABF). Il ne s’agit pas de savoir si les ABF ont raison ou non ou s’il faut appliquer le principe « qui décide paie ». Le problème est tout simplement la perte d’énergie, le temps perdu, le découragement. Dans cette France de Viollet-le-Duc qu’est la France rurale, où se trouvent partout des monuments et des églises classés, ce temps perdu altère la volonté de construire et de donner un avenir aux territoires ruraux.
M. Bruno Sido. C’est exact !
M. Bruno Belin. S’il faut élargir encore ce débat, je souligne la nécessité de se donner les moyens d’accueillir les innovations.
Il n’est qu’à citer la téléphonie mobile. Madame la ministre, vous savez comme moi qu’il est compliqué d’établir une communication téléphonique entre Salbris et Mondoubleau, deux communes pourtant pas si éloignées l’une de l’autre. Où en sommes-nous des 5 000 ou 10 000 pylônes annoncés à la fin de l’année 2019 ? Voilà bien un sujet sur lequel l’État a la main, avec l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et France Mobile. En matière d’aménagement du territoire, il n’y a pas d’avenir sans progrès dans le domaine de la téléphonie mobile.
Il existe une autre décision simple qui relève de l’État et que les élus attendent dans les territoires : arrêtons les fermetures inutiles, qu’il s’agisse des classes ou des services publics. Arrêtons les fermetures d’officines quand il n’y a pas de repreneur immédiat, car nous savons très bien que les licences ainsi perdues ne se retrouvent jamais. Si nous voulons nous donner les moyens d’accueillir, il faut laisser vivre tout ce que l’on peut laisser vivre.
J’évoquerai enfin le problème de la démographie médicale. Quand sera-t-il résolu ? On ne peut pas attendre dix ans, comme l’affirme le Président de la République à chaque fois qu’il en est question, sous prétexte qu’il a supprimé le numerus clausus ! Des décisions simples peuvent être prises dès maintenant : par exemple, ouvrir les vannes des écoles d’infirmiers ou des écoles de sages-femmes, puisqu’il faut cinq ans pour former ces personnels, d’autant que cela ne coûte rien !
M. Bruno Belin. On peut aussi plafonner les installations quand elles sont en abondance, pour les reverser là où il y a carence.
Voilà donc quelques idées simples en matière d’aménagement du territoire, madame la ministre, pour que la France des frustrations devienne la France des espérances ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’aménagement du territoire a de tout temps été un enjeu majeur. Or un défi crucial guide de plus en plus nos politiques publiques, celui que pose le dérèglement climatique. L’aménagement du territoire en tient compte.
Récemment, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite Climat et résilience, ou encore le projet de loi 3DS ont déchaîné l’actualité locale. Il y a tant à dire lorsqu’il s’agit d’aménagement et de cohésion des territoires !
Parmi les thèmes qui reviennent lors des rencontres dans mon département avec des élus locaux et des citoyens, l’artificialisation des sols est mentionnée le plus fréquemment. La protection de nos territoires est indispensable. Nous avons besoin d’espaces préservés pour notre biodiversité, faune et flore mélangées, et pour notre agriculture.
J’ai été interpellé récemment sur un sujet particulier en Loire-Atlantique : le sort du littoral dans la nébuleuse de l’artificialisation des sols. Pour être plus concret, je prendrai pour exemple le pays de Retz, la Côte d’Amour, la Côte sauvage. De nombreux littoraux français rencontrent les mêmes problématiques.
Prenons la commune de Pornic, en pays de Retz, qui compte quatorze kilomètres de côtes et dont la population augmente de 1,5 % par an. Ce territoire subit de plein fouet les conséquences du changement climatique : montée des eaux, inondations plus fréquentes et tempêtes aux violences inouïes, comme Xynthia en 2010.
Cette commune accueille par ailleurs un flux de population qui s’est accentué dans les dix-huit derniers mois. Depuis le début de la pandémie en effet, les grands centres urbains sont délaissés pour la campagne, les petites villes et les littoraux. Le prix du foncier est donc en nette augmentation et les possibilités de construction sont restreintes. Cette flambée des prix complique la capacité des municipalités à agir.
Les communes littorales sont notamment soumises à la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite Littoral, à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, à la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ÉLAN, à la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite ALUR, à la loi Climat et résilience. Prochainement, elles seront soumises à la loi 3DS. Comme l’a fait remarquer Jean-Michel Brard, président de Pornic Agglo Pays de Retz, ces lois vont, pour leur grande majorité, dans le bon sens. Reste que, mises bout à bout, elles compliquent l’élaboration des plans d’urbanisme et entraînent même parfois des contresens.
Il est évident que l’artificialisation de nos sols doit, à terme, se réduire drastiquement. Cependant, les territoires littoraux ou ruraux doivent pouvoir accueillir de nouveaux arrivants et leur offrir des perspectives économiques, si nous voulons maintenir leur dynamisme.
De plus – et c’est un sujet qui tient à cœur à nombre de Français –, nous devons donner à nos enfants la possibilité de vivre là où ils sont nés et aux Français celle de vivre là où ils travaillent.
Les collectivités territoriales qui sont sous tension en termes d’espace disponible, avec un foncier dispendieux, peuvent avoir du mal à remplir l’obligation d’un pourcentage minimal de logements sociaux. Quand ils trouvent des solutions raisonnables et équilibrées entre toutes les préoccupations auxquelles ils doivent faire face, les élus locaux sont parfois victimes d’insultes et de menaces, les populations refusant que le charme attractif d’une ville balnéaire soit rompu par l’émergence d’immeubles.
Tous les témoignages que j’ai recueillis expriment la même volonté d’une véritable différenciation dans les territoires, pour répondre à leurs besoins spécifiques que les acteurs locaux sont le mieux à même d’identifier précisément. Si la question de l’artificialisation illustre parfaitement la nécessité de nous doter de politiques publiques adaptées en fonction des territoires, elle n’est pas la seule. Bien des domaines le prouvent.
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France est riche de ses diversités. Les politiques publiques qui les accompagnent doivent l’être tout autant. Faisons confiance aux acteurs de proximité pour faire vivre pleinement les forces de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)