Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre question préalable ne valait pas fermeture au débat, mais appel à un vote sanction – sanction d’un budget toujours plus discriminant et béotien.
Nous ferons, amendement après amendement, proposition après proposition, la démonstration de l’échec de ce quinquennat.
Posons-nous d’ores et déjà deux questions. Quels sont les progrès sociaux dont le Gouvernement peut se prévaloir ? Quelles sont ses réussites ?
Baisser la dette, conformément à votre objectif, monsieur le ministre ? Vous l’avez alourdie de presque 20 points de PIB.
Restaurer les finances publiques ? Vous avez réduit d’au moins 52 milliards d’euros les recettes de l’État de façon pérenne.
Retrouver le chemin de la croissance ? L’activité avait reculé de 18 % au second trimestre de 2020, soit un quart de plus que la moyenne européenne.
Baisser le chômage ? Depuis le début du quinquennat, il y a tout de même 17 000 demandeurs d’emploi supplémentaires.
Augmenter le pouvoir d’achat ? Les plus riches ont bénéficié de 3 518 euros en moyenne ; les plus modestes ont encore perdu 35 euros par an.
Restaurer la « compétitivité » de l’économie française ? Le solde de la balance commerciale est négatif de 60 milliards d’euros en moyenne sur le quinquennat, attestant la dépendance de la France aux importations étrangères.
On le sait, « l’éloge des absents se fait sans flatterie ». Le ministre Bruno Le Maire avait tort le 31 mai 2021 ; il a tort en novembre 2021 ; il aura probablement tort en 2022. Non, les indicateurs économiques ne sont pas bons ! Mais quelle importance, tant que triomphe, au bout du compte, la vérité des plus fortunés ? À force de toujours préserver les intérêts des mêmes, monsieur le ministre, vous creusez le fossé des inégalités et ouvrez les frontières d’un paradis… fiscal.
Notre pays est enlisé dans un alourdissement de la dette publique qui menace la pérennité de l’État et la souveraineté de la Nation ; il est amoindri, de surcroît, à mesure que des travailleurs sont privés d’emplois.
Les résultats de la politique d’Emmanuel Macron sont résumés dans les quelques chiffres que j’ai cités. C’est là votre bilan et ce sera, demain, votre fardeau.
Vous avez commencé par détricoter le code du travail, en légitimant le plafonnement des indemnités de licenciement et en consacrant les accords d’entreprise au détriment des accords de branche. Les salariés sauront qui les a privés de leurs droits face au patronat.
Peu après, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, vous avez supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune et restauré l’exit tax. Pourtant, aucun ruissellement n’a coulé sur l’économie réelle.
L’année suivante, la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, a impulsé une véritable dynamique, celle du démantèlement des financements publics de l’habitat social. Le secteur privé a gagné le droit de construire plus vite, moins bien et plus cher. Vous avez obligé à la vente à la découpe, y compris dans les communes carencées au titre de la loi SRU, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Vous avez favorisé la vente des HLM tout en baissant le montant des APL.
En 2020, sur 25 millions de salariés français, seuls 6,2 millions avaient touché la fameuse « prime Macron ». Par ailleurs, en 2019 comme en 2020, les montants perçus étaient bien inférieurs au montant maximal annoncé de 1 000 euros – encore un élément de communication, sans doute… –, plus proches en vérité de 400 euros.
En plus d’évincer la question des salaires et de faire preuve d’une confiance aveugle envers le grand patronat et les cabinets privés, le Président de la République pensait faire un geste à destination des travailleurs précaires. Encore une fois, c’est raté ! Aussi nous a-t-il ressorti les vieilles recettes de la défiscalisation des heures supplémentaires.
Les retraités, eux, avaient obtenu l’injuste augmentation de la CSG, un effort qui, de l’aveu même d’Emmanuel Macron, était « trop important » et « pas juste » pour les retraités percevant une petite pension. C’est à cette même période qu’apparaît le chèque énergie, remplaçant les tarifs sociaux de l’énergie et matérialisant l’incapacité du Gouvernement à anticiper la hausse de la facture pour nos concitoyens.
Nous ne sommes qu’en mai 2019 lorsque le démantèlement de l’État se traduit dans la loi Pacte, ce même État détenant 124 milliards d’euros de participation dans des entreprises stratégiques, sans compter le capital détenu par la Banque publique d’investissement, laquelle n’est pas, nous dit-on, un « bon actionnaire » –.
Il vous a fallu privatiser la Française des jeux, dont les profits sont considérables, et ouvrir la voie à celle d’Engie, puis de La Poste, jusqu’à l’échec – heureux – de la privatisation des aéroports de Paris. Ce camouflet a probablement contribué à faire changer d’avis ces ministres qui, une fois la crise sanitaire arrivée, n’ont pu ignorer la SNCF, EDF ou Air France-KLM, comme si l’État avait finalement une raison d’être dans ces secteurs.
Vient ensuite cette « taxe vitrine » sur les géants du numérique, qui rapporte bien peu à l’État au regard des bénéfices colossaux engrangés par ces entreprises.
Jusqu’à présent, monsieur le ministre, vous avez avancé tout droit sur un chemin sinueux. Dites-vous bien que ce chemin est jonché de travailleurs précaires, de pauvres, de Françaises et de Français qui n’ont constaté aucun progrès social significatif durant le quinquennat d’Emmanuel Macron. Nous partageons leur avis ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – MM. Thierry Cozic et Patrice Joly, ainsi que Mme Isabelle Briquet, applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la présidente, monsieur le ministre – merci de votre présence constante et attentive à nos côtés –, mes chers collègues, l’année 2022 devrait être celle, tant attendue, de la sortie de crise et du retour à une vie un peu plus normale.
D’un point de vue économique, le choc de la crise du covid-19 a été largement absorbé par les finances publiques. Si nous n’en remettons pas en cause le bien-fondé stratégique, le « quoi qu’il en coûte » a un prix : la dette. Et l’État providence a ses limites, temporelles et structurelles.
La limite temporelle sera vraisemblablement atteinte dans douze mois, avec la fin probable de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance européen.
La limite structurelle, quant à elle, a été franchie avant même la pandémie, la dette publique ayant dépassé le seuil symbolique de 100 % du PIB en septembre 2019.
Désormais tournés vers la sortie de crise et contemplant nos comptes publics plus éprouvés encore qu’auparavant, nous pouvons nous réjouir que la charge de la dette reste faible. C’est justement parce qu’elle l’est, et parce que la croissance repart avec force, que notre groupe estime que la priorité budgétaire doit être donnée à la vertu. Lorsque les taux d’intérêt finiront par remonter, il sera trop tard.
Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, le groupe Union Centriste portera une parole de responsabilité budgétaire globale. À cet effet, nous défendrons par voie d’amendement des dispositions visant à assainir nos finances publiques, tantôt à travers des recettes fiscales supplémentaires tantôt à travers des mesures d’économies budgétaires, autant de pistes permettant d’affecter davantage de moyens au service de la dette.
L’une de ces pistes me tient particulièrement à cœur : la transformation de l’impôt sur la fortune immobilière en un impôt sur la « fortune improductive » dont l’assiette réintégrerait notamment le patrimoine polluant dit luxueux, dans la perspective de tenir les engagements environnementaux qui sont les nôtres depuis la signature de l’accord de Paris. Cette mesure est symbolique à plus d’un titre.
Le budget vertueux que nous appelons de nos vœux doit également favoriser le déploiement d’outils permettant de mobiliser l’épargne « covid » des Français, estimée par la Banque de France à 267 milliards d’euros, soit plus du double de son niveau hors pandémie.
L’Observatoire français des conjonctures économiques, dans une note d’avril dernier, précise qu’une consommation d’un cinquième de cette épargne conduirait à une croissance du PIB de 2 points supplémentaires.
Orienter davantage l’épargne vers les fonds propres de nos entreprises constituerait véritablement un puissant moteur pour notre activité économique et notre souveraineté nationale, sans recours à la dépense publique.
Par leur épargne, les Français peuvent investir aussi bien que l’État et même à sa place.
Le fait que la dette française soit détenue à hauteur de 49,5 % par des non-résidents n’inquiète pas les élus de mon groupe : à nos yeux, c’est même un signe de la confiance des prêteurs étrangers. Mais il nous importe que les Français restent souverains et que, via l’épargne nationale, ils détiennent le patrimoine national industriel ou stratégique, quel qu’il soit.
Les membres de notre groupe plaideront également pour la poursuite de la mise en œuvre du plan France Relance. L’objectif de 70 milliards d’euros déployés sur les 100 milliards annoncés doit être tenu d’ici à la fin de l’année 2021.
Face à la menace persistante d’une inflation prolongée, face à une pénurie de main-d’œuvre et de matières premières qui s’annonce durable, nous ne pouvons que nous interroger sur la pertinence du lancement du plan France 2030 dès l’année 2022.
À force de milliards, notre économie s’expose paradoxalement à la surchauffe. Il nous paraît plus cohérent de nous attacher dans un premier temps à concentrer l’effort public sur la consommation des programmes d’investissements d’avenir existants et du reliquat de 30 milliards d’euros de France Relance.
Au nombre des secteurs essentiels durablement affectés par la pandémie et encore inquiets pour demain compte celui de la première transformation du bois ; je défendrai un amendement visant à créer une provision pour investissement en faveur de ce secteur, et notamment des entreprises de scierie, afin de sécuriser l’avenir de ces dernières.
Notre filière bois, comme le secteur de la construction dans son ensemble, est fragilisée par la forte hausse du coût des matières premières. Ce phénomène conjoncturel, qui s’ajoute à une fragilité structurelle en capital, aggrave la situation de nos entreprises sur ce marché très concurrentiel à l’international. La place de l’État est à leurs côtés.
Enfin, un budget ne saurait être vertueux sans donner à notre administration les moyens de lutter contre les fraudes fiscale et sociale. Bien sûr, il faut assurer la sanctuarisation des effectifs de la police, de la justice et de l’armée, ainsi que des moyens des ministères qui en sont chargés. Mais, dans la même logique, les élus de notre groupe, par la voix de Nathalie Goulet, veilleront aussi tout particulièrement au maintien des moyens humains et techniques du ministère de l’économie et des finances, afin qu’il puisse continuer à remplir ses missions en la matière.
Le temps du retour à la normale implique une vigilance particulière quant à nos comptes publics. Il oblige également le Sénat à être force de proposition afin d’accroître l’accompagnement budgétaire des collectivités territoriales, qui ont beaucoup donné, sur le chemin de la reprise.
Toutes ces raisons conduiront notre groupe, dans sa grande majorité, à choisir d’examiner ce budget dans son intégralité ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – MM. Emmanuel Capus, Gérard Larcher et Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Cozic. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Thierry Cozic. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « mieux vaut un raccommodage qu’un trou ». (M. Gérard Larcher approuve.) Cette maxime résume à elle seule tous les écueils du budget qui nous est proposé.
Monsieur le ministre, ce PLF est à l’image des choix budgétaires de votre politique générale : aussi l’occasion m’est-elle donnée de revenir, brièvement, sur ces cinq années budgétaires.
De raccommodage, il est bien question après les cinq années d’Emmanuel Macron au « château ». Mais cela n’empêche en rien la présence de trous dans le budget.
Ce quinquennat peut se diviser en trois périodes. La première est la mise en œuvre du programme néolibéral du Président de la République, de juin 2017 à la fin de l’année 2018. La deuxième, due au tournant imposé par le mouvement des gilets jaunes, va du début de l’année 2019 à mars 2020. La troisième, enfin, a été imposée par la crise sanitaire et le « quoi qu’il en coûte ».
De ces trois périodes, une seule a été choisie : les autres ont été dictées par un agenda sur lequel le maître des horloges n’a eu aucune prise. Nul doute qu’aujourd’hui, sans ces événements, la première période aurait été la seule : il se serait agi, en tout et pour tout, de développer un libéralisme sauvage.
Pourtant, entre le mouvement des gilets jaunes et la crise sanitaire, nous aurions pu imaginer une autre voie que celle qui fut ouverte au début du quinquennat. Force est de le constater : tel n’a pas été et tel ne sera pas le cas. Les très riches restent les grands gagnants des choix fiscaux de votre gouvernement.
Selon une évaluation de l’Institut des politiques publiques, entre 2017 et 2022, les mesures sociales et fiscales ont fait augmenter de 2,8 % le niveau de vie du 1 % des Français les plus aisés, qui – je le rappelle – vivent avec 126 654 euros en moyenne par an, soit un gain moyen de 3 518 euros. « En même temps », le niveau de vie du 1 % le plus pauvre a baissé de 0,17 %, soit une perte de 9 euros sur le quinquennat.
Il semblerait que la boussole politique du Gouvernement ait pour nord les premiers de cordée ; tant pis si même Joe Biden nous explique que le ruissellement est une fable. L’important, c’est que notre Président y croie vraiment : cela conforte sa foi dans le bien-fondé de ses mesures.
Le million de pauvres supplémentaire qui découle de la crise sanitaire est souvent cité. Derrière ces données, il y a des femmes et des hommes à qui, à peine arrivés au pouvoir, vous avez commencé par supprimer 5 euros d’APL, avant de les trahir, au cœur de la crise sanitaire, en refusant d’augmenter les minima sociaux ou de les étendre aux moins de 25 ans.
Vos politiques n’ont eu aucun effet sur l’investissement. Personne n’est surpris, si ce n’est vous, qui feignez de l’être. Le fait était prévu, d’ailleurs. Il a également été confirmé par les études que le Gouvernement a commandées à France Stratégie ; celles-ci concluent à l’impossibilité d’établir un lien entre les réformes de la fiscalité du capital et un accroissement des investissements ou des créations d’emplois.
Affirmer le contraire – vous le faites régulièrement – relève au mieux de la naïveté, au pire du mensonge. Mais je ne m’étendrai pas davantage sur cet inventaire : mon collègue Rémi Féraud a déjà eu l’occasion de l’aborder.
Concentrons-nous sur ce budget.
Le PLF 2022, comme le PLFSS récemment adopté, ne comporte aucune mesure notable en ce qui concerne les ressources publiques, impôts ou cotisations sociales.
Toutefois, la baisse de l’impôt sur les sociétés se poursuit, pour 3 milliards d’euros. La baisse de la taxe d’habitation rapportera 2,8 milliards d’euros aux 20 % de ménages les plus aisés, lesquels bénéficieront de la même somme de 2,8 milliards d’euros en 2023.
Avec les membres de mon groupe, je déplore la pratique récurrente consistant à autoriser les entreprises à verser des suppléments de rémunération défiscalisés et désocialisés. Le quinquennat Macron rivalise d’ingéniosité en la matière. Je pense non seulement à la fameuse prime exceptionnelle de 1 000 euros que les entreprises peuvent verser à leurs salariés, mais aussi à votre lumineuse idée d’exonérer d’impôts et de cotisations sociales les pourboires des hôtels, cafés et restaurants versés par carte bancaire.
Je le dis sans ambages : cette mesure incitera les entreprises à instaurer un pourboire quasi obligatoire de 20 %, comme cela se fait aux États-Unis, et à baisser en contrepartie les salaires fixes.
Tous les salariés ont droit à des salaires garantis. En outre, j’estime que toutes les rémunérations doivent supporter les impôts et les cotisations sociales, non par dogme politique, mais parce que ces dernières ouvrent des droits aux prestations chômage et retraite. En cela, la désocialisation ou défiscalisation des salaires est un piège grossier, qui, de surcroît, se referme toujours sur les mêmes.
Mais là n’est pas le seul écueil de votre politique.
Le plan France Relance est dépeint comme un grand succès. Pourtant, quand on le regarde en détail, seuls 47 des 100 milliards d’euros annoncés ont effectivement été dépensés un an plus tard.
Au passage, je tiens à souligner que, dans nos territoires, l’ingénierie nécessaire pour monter les dossiers suscite des difficultés persistantes.
Ce plan de relance comportait trois volets, qui ont été financés de manière relativement équitable. Néanmoins, il marque un tournant vers un capitalisme technologique vert, par lequel, sous couvert d’écologie, l’État finance les efforts d’adaptation des entreprises françaises.
D’un côté, il peut être utile de financer certaines innovations vertes et d’aider les entreprises à produire en France. De l’autre, le concept de « capitalisme vert » est un oxymore. En effet, le but des entreprises reste la maximisation des profits plutôt que le bien-être social. Leur gouvernance n’est jamais remise en cause et l’objectif de sobriété, que visaient la plupart des 149 mesures de la Convention citoyenne pour le climat, est oublié.
De toute évidence, et malgré la crise sanitaire, il manque une réflexion d’ensemble sur l’évolution à long terme de l’économie française : quelle souveraineté économique voulons-nous ? Quel tournant écologique ? Quel plein-emploi ? Toutes ces questions sont malheureusement laissées sans réponse et ce PLF n’y change rien.
En revanche, sous la pression de Bruxelles, le secteur énergétique est abandonné au jeu du marché et de la concurrence.
Loin du slogan « Make the planet great again », les actes en faveur de l’environnement continuent de se faire attendre.
Tout d’abord, qu’en est-il du plan de rénovation des bâtiments publics et des logements privés ? Ce dispositif est ouvert à tous les propriétaires, quels que soient leurs revenus, qu’ils soient occupants ou bailleurs, pour une somme totale annoncée de 2 milliards d’euros en 2022. Au regard du format retenu, je crains un fort effet d’aubaine : les propriétaires les plus aisés, ayant de toute façon prévu des chantiers de rénovation, pourront profiter de la prime pour effectuer ces travaux à moindre coût aux frais du contribuable.
M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce ne serait pas la première fois…
M. Thierry Cozic. Vous ne cessez de vous présenter en chantres de la défense du pouvoir d’achat. Pourtant, les chiffres nous disent le contraire.
Selon les statistiques publiées par le Trésor, le pouvoir d’achat augmenterait de 8 % entre 2017 et 2022. Or ce chiffre, que vous mettez en avant à la moindre occasion, ne prend pas en compte l’évolution démographique.
Ainsi, le pouvoir d’achat aurait en fait progressé de 1 % par an, soit un gain annuel moyen de 334 euros pour une personne seule. D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas : ils sont même près de six sur dix à estimer que leur pouvoir d’achat a plutôt baissé ces cinq dernières années.
Plan pour Marseille, plan d’investissement France 2030, contrat d’engagement jeune : tous ces dispositifs, inscrits dans le PLF à la faveur de 148 amendements du Gouvernement, cachent difficilement leur finalité véritable. Ils sont la transcription d’annonces tout aussi électoralistes qu’opportunistes, qui frisent parfois le ridicule. Je pense par exemple à votre amendement dispendieux tendant à abonder de 34 milliards d’euros le dispositif France 2030.
Monsieur le ministre, nonobstant ses atours généreux, ce budget pour 2022 ne masquera jamais les choix budgétaires qui vous ont guidés ces cinq dernières années ; ces choix, que nous avons toujours dénoncés, ont toujours profité aux mêmes. Les Français en seront juges dans quelques mois ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après étude approfondie de chacun des rapports, toutes commissions confondues, nous avons tous le sentiment d’être les acteurs d’un mauvais scénario où la fiction est devenue réalité.
Nous mesurons, bien sûr, l’impact de la crise sanitaire sur la vie de nos concitoyens, de nos entreprises et de nos collectivités territoriales. Et nous saluons le retour de la croissance et de la création d’emplois. Mais comment expliquer que la confiance dans l’action publique, entamée il est vrai depuis plusieurs décennies, ne soit pas revenue ?
Les Françaises et les Français sont lucides. Ils savent par expérience que les engagements sont rarement tenus et qu’un jour il faudra collectivement régler l’addition. Ils savent que l’argent facile, l’argent magique, l’argent gratuit n’existent pas. Ils subissent chaque année la hausse du prix des matières premières et de l’énergie ; un chèque inflation ne changera pas grand-chose à leur quotidien.
Avant la crise covid, la trajectoire des finances publiques n’était déjà pas vertueuse. Elle devient vertigineuse et pour le moins hasardeuse.
Comme mon excellente collègue Christine Lavarde, je tiens à rappeler les engagements présentés le 22 février 2017 par le candidat Emmanuel Macron : 60 milliards d’euros d’économies, dont 25 dans la sphère sociale ; 20 milliards d’euros d’économies sur les prélèvements obligatoires et 10 autres sur l’assurance chômage – je note que, sur ce dernier point, la réforme est tout juste engagée et qu’elle ne permettra pas d’atteindre l’objectif annoncé ; réduction de 120 000 postes de fonctionnaires, dont 70 000 dans les collectivités territoriales, ce qui trahissait d’ailleurs d’emblée une volonté d’ingérence dans les exécutifs locaux.
Sur tous ces points, bilan rime avec néant.
Les contrats dits de Cahors, qu’un certain nombre d’élus ont considéré, à juste titre, comme un chantage à la dotation, avaient pour but de contenir la hausse des dépenses de fonctionnement des collectivités signataires entre 0,75 % et 1,65 %.
Monsieur le ministre, ces collectivités ont respecté leur plan de charge, qui représente 13 milliards d’euros d’économies sur cinq ans. Pourquoi l’État ne s’est-il pas imposé, à tout le moins, le même régime d’économies ?
Les élus locaux savent bien que la règle d’or budgétaire s’applique aux seules collectivités et que l’État, prompt à fustiger leur gestion, est loin d’être exemplaire.
En mars dernier, le Premier ministre a confié à un groupe d’experts conduits par Jean Arthuis, garant de l’orthodoxie budgétaire s’il en est, le soin d’analyser la situation et de faire des propositions. Parmi celles-ci figurent la création d’une norme de dépenses pluriannuelle déclinée dans toutes les administrations publiques et la création d’un compteur des écarts, que l’Allemagne, l’Autriche et la Suède ont déjà mis en œuvre. L’ensemble serait contrôlé par une institution budgétaire indépendante issue de la transformation du Haut Conseil des finances publiques.
Après lecture approfondie du travail de Jean Arthuis, le Premier ministre a déclaré : « Ce rapport alimentera les travaux du Gouvernement sur la stratégie politique budgétaire post-crise, ainsi que les réflexions en cours avec le Parlement », dont nous n’avons pas connaissance, « sur la rénovation du cadre de gouvernance de nos finances publiques ».
Qu’en est-il de ces réflexions et démarches ? Je peux le dire au nom des parlementaires : nous vous attendons.
Pour l’heure, comme vous-même, sans doute, quelquefois, nous sommes les simples témoins des annonces quasi quotidiennes du Premier ministre et du Président de la République, faites au gré de leurs déplacements et rencontres.
S’agit-il de clientélisme à visée électorale ? À chacun d’en juger. En tout état de cause, cette situation a rendu difficile l’examen du projet de loi de finances pour 2022 par l’Assemblée nationale – la version transmise au Sénat est un peu plus claire –, car elle ne permet pas une projection cohérente à moyen et long terme.
Ce manque de lisibilité est préjudiciable à l’ensemble des acteurs et forces vives de notre pays. Il inspire des doutes, des attentes et des frustrations. Il incite à la prudence, si l’on en juge par le niveau d’épargne des Français, alors que la consommation des ménages est ô combien nécessaire. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’imprudence, bien sûr, mais de prises de risque.
En conclusion, et pour revenir à des considérations plus immédiates concernant ce projet de loi de finances, nous sommes satisfaits de voir exaucer certains de nos vœux, exprimés de longue date. Je pense notamment aux différents rapports consacrés aux transports et à la mobilité, à la transition écologique et au numérique, pour ne retenir que les sujets relevant de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Nos recommandations sont suivies d’effet, mais à quel prix ? En outre, ces mesures n’occultent en rien nos questions légitimes sur la capacité de votre gouvernement à inverser la trajectoire financière inquiétante qui, sans réforme majeure, nous conduira à un endettement représentant 128 % du PIB dans dix ans – c’est Jean Arthuis lui-même qui l’écrit.
L’année 2022 sera déterminante pour l’avenir et la place de notre pays en Europe et, plus largement, dans le concert des nations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement se félicite d’avoir « stabilisé » les dotations des collectivités territoriales depuis 2017, après des années de réduction. Mais, monsieur le ministre, ce contentement de vous-même ne résiste pas à l’analyse de ce PLF, le dernier d’un quinquennat marqué par une défiance inégalée entre le Président de la République et les élus locaux.
Les conclusions du Congrès des maires, cet après-midi, ne suffiront sans doute pas à renouer avec des élus qui se sentent méprisés, isolés, abandonnés.
Les communes ont perdu un impôt historique – la taxe d’habitation –, dont la dernière tranche disparaît avec ce PLF. Elles ont également perdu la moitié des impôts de production. Les départements, après les régions, doivent renoncer à leur dernier pouvoir de taux.
Les compensations sont incomplètes et illisibles – ainsi du coefficient correcteur. Le paysage des finances locales n’a plus rien de cohérent et plus personne n’y comprend rien !
Le lien, décisif pour la cohésion sociale, entre les citoyens et leurs communes, départements et régions, entre les activités économiques et les collectivités territoriales, se distend.
L’autonomie financière des collectivités, indispensable au respect du principe constitutionnel de libre administration, se réduit encore ; et cette recentralisation ne se traduit aucunement par un renforcement de la présence de l’État dans nos territoires, au contraire. En témoigne la disparition de plus de 500 trésoreries depuis 2013.
Or, moins l’État est présent, plus il se fait tatillon, exigeant et technocrate, à l’égard des communes notamment.
Le recul des services publics se répercute sur les collectivités. Celles-ci doivent par exemple contribuer au financement des maisons France Service pour garantir une présence minimale de la puissance publique, ou encore prendre des initiatives face à la désertification médicale.
L’efficacité économique n’est pas non plus au rendez-vous. Ce sont d’abord les plus grandes entreprises, celles qui en ont finalement le moins besoin, qui bénéficient de la diminution des impôts de production. Pour elles, le gain moyen est de plus de 9 millions d’euros, contre 940 euros seulement pour les très petites entreprises (TPE).
Monsieur le ministre, votre gouvernement poursuit le mouvement de regroupement et de fusion des collectivités, malgré le mécontentement que suscitent les intercommunalités et les régions XXL.
Les communes qui fusionnent sont davantage subventionnées, au détriment de celles qui veulent continuer à assurer la proximité et à faire vivre l’institution préférée des Français.
Vous poursuivez la mise en concurrence entre collectivités. À enveloppes constantes, quand les dotations augmentent pour certaines, elles diminuent pour d’autres, à l’image de la DGF, qui a baissé pour plus de la moitié des communes en 2021. Nous défendrons d’ailleurs des amendements tendant à revaloriser la DGF en prenant pour base l’année 2013 et en tenant compte de l’inflation actuelle.
Nous proposons aussi que l’augmentation de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR) ne se fasse pas au détriment des communes qui n’en bénéficient pas.
La logique de contractualisation et d’appels à projets est tout aussi critiquable. Le fléchage de ces derniers vers des objectifs prédéfinis par l’exécutif pénalise les plus petites communes, qui ne disposent ni de l’ingénierie nécessaire ni du soutien de l’État pour concourir.
Enfin, le soutien accordé aux collectivités territoriales face aux dépenses et aux pertes de recettes subies durant la crise sanitaire est sans commune mesure avec l’aide apportée à la sphère privée. Les collectivités ont pourtant été et restent en première ligne face à l’épidémie.
La clause de sauvegarde devait apporter 750 millions d’euros à environ 12 000 communes. Or seules un peu plus de 3 600 d’entre elles seront concernées, pour 177 millions d’euros mobilisés.
Nous proposons de redonner des moyens d’action aux collectivités, par exemple en compensant les mesures salariales concernant les agents de catégorie C, qui représentent l’essentiel de leur masse salariale.
En investissant, en prenant soin de nos concitoyens, les collectivités prennent part à la relance. Elles doivent être soutenues en ce sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)