compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Karoutchi
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Conventions internationales
Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant l’approbation de l’amendement au protocole de göteborg du 1er décembre 1999, relatif à la réduction de l’acidification, de l’eutrophisation et de l’ozone troposphérique
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’amendement au protocole de Göteborg du 1er décembre 1999, relatif à la réduction de l’acidification, de l’eutrophisation et de l’ozone troposphérique, adopté à Genève le 4 mai 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 669 [2020-2021], texte de la commission n° 861 [2020-2021], rapport n° 860 [2020-2021]).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à l’accord de sécurité sociale sous forme d’échange de lettres des 7 et 20 septembre 2011 entre le gouvernement de la république française et l’organisation internationale pour l’énergie de fusion en vue de la mise en œuvre conjointe du projet iter
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’avenant à l’accord de sécurité sociale sous forme d’échange de lettres des 7 et 20 septembre 2011 entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale pour l’énergie de fusion en vue de la mise en œuvre conjointe du projet ITER, signé à Paris le 4 octobre 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 670 [2020-2021], texte de la commission n° 863 [2020-2021], rapport n° 862 [2020-2021]).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant l’approbation de la mesure 1 (2005) annexe vi au protocole au traité sur l’antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de la Mesure 1 (2005) annexe VI au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (ensemble une annexe), adoptée à Stockholm le 14 juin 2005 et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 803 [2020-2021], texte de la commission n° 79, rapport n° 78).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
3
Élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail (projet n° 802 [2020-2021], texte de la commission n° 77, rapport n° 76).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, monsieur le président Patriat, cher François, mesdames, messieurs les sénateurs, le 21 juin 2019, réunie à l’occasion de sa cent huitième session, dite session du centenaire, la conférence générale de l’Organisation internationale du travail (OIT) a adopté la convention n° 190 visant à éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail.
Cette convention, nous le savons, était particulièrement attendue par les États membres de l’OIT, nos concitoyens, les organisations non gouvernementales (ONG) ou encore les partenaires sociaux.
Le 23 juillet dernier, l’Assemblée nationale a su répondre à ces attentes en adoptant en première lecture le projet de loi qui vous est présenté aujourd’hui.
C’est donc solennellement que j’appelle votre chambre à voter en faveur de ce texte pionnier et protecteur des droits des femmes au travail, qui établit la première norme contraignante, de portée universelle, pour éradiquer la violence et le harcèlement dans le monde du travail.
L’ambition de la convention est d’assurer à chacun et à chacune d’entre nous le droit d’évoluer dans un monde du travail où aucune violence ne peut avoir sa place.
Cette ambition se traduit par un article unique, qui vise à ratifier la convention n° 190 de l’OIT, elle-même composée d’un préambule et de vingt articles.
L’article 1 de cette convention introduit la première définition internationale de la violence et du harcèlement au travail, qui sont « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, […] qui ont pour but de causer […] un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, en comprenant la violence et le harcèlement fondés sur le genre ».
En effet, la violence et le harcèlement au travail sont protéiformes. Il nous faut viser l’ensemble de ces actes inacceptables, encore trop souvent passés sous silence et subis dans la sphère professionnelle.
Cette convention vient ainsi reconnaître le droit de chaque personne à vivre dans un monde du travail libéré de la violence et du harcèlement. C’est un droit essentiel, mesdames, messieurs les sénateurs, et c’est une véritable avancée que de le reconnaître.
Cette convention porte une attention particulière aux violences fondées sur le genre.
À ce titre, l’article 2 rappelle que personne ne saurait être victime de la violence et du harcèlement au travail. Ainsi, le texte impose aux États l’ayant ratifié des obligations de moyens pour protéger chacun dans le monde du travail, et ce quel que soit son statut : salarié, contractuel, stagiaire, bénévole, demandeur d’emploi, etc. Il s’agit de ne laisser personne de côté, sans protection particulière.
La convention est complétée par la recommandation n° 206, qui n’est pas un texte contraignant soumis à la ratification des États, mais qui vient en préciser la mise en œuvre.
Il était essentiel de définir un niveau de normes qui garantisse les protections fondamentales contre le harcèlement et les violences et qui, dans le même temps, puisse être adopté par le plus grand nombre de pays.
Le champ d’application de la convention est particulièrement large. Il doit être lu à la lumière d’obligations qui sont, quant à elles, adaptées aux responsabilités de chacun.
La convention prévoit ainsi que les employeurs doivent prendre des « mesures appropriées correspondant à leur degré de contrôle » pour prévenir la violence et le harcèlement dans le monde du travail, dans la mesure où cela est « pratiquement réalisable ».
Ce faisant, la convention appelle l’ensemble des acteurs du monde du travail, employeurs privés ou publics, travailleurs, organisations syndicales et patronales, clients et tiers, à agir avec tous les moyens dont ils disposent pour lutter contre les violences et le harcèlement.
En se faisant le porte-parole de l’Union européenne et de ses États membres durant les deux années de négociation, la France a joué un rôle moteur dans la discussion comme dans l’adoption de ce texte. Mesdames, messieurs les sénateurs, le résultat est à la hauteur de nos attentes.
Vous l’aurez compris, le présent projet de loi revêt une importance majeure pour notre pays qui, grâce – je l’espère – à votre approbation, sera parmi les premiers à ratifier ce texte ambitieux.
La ratification de la convention viendra consacrer l’engagement du chef de l’État en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Dès le début du quinquennat, le Président de la République a en effet pris un engagement solennel et très fort, en faisant de l’égalité entre les femmes et les hommes la « grande cause nationale » du quinquennat, dont la lutte contre le harcèlement et les violences dans le monde du travail fait pleinement partie.
Quatre ans après, le constat est sans équivoque : les actes ont suivi les paroles et les engagements que nous avions pris. Cela s’est traduit par la tenue du Grenelle des violences conjugales, destiné à lutter plus efficacement contre les violences faites aux femmes, notamment dans le monde du travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais revenir avec vous sur quelques-unes de ces mesures.
Très concrètement, nous avons acté le déblocage de l’épargne salariale de manière anticipée pour les victimes de violences conjugales. Cette disposition, en vigueur depuis le mois de juin 2020, permet aux victimes de disposer de fonds dans un délai court pour faire face aux changements matériels imposés par leur situation, par exemple si elles se voient contraintes de déménager.
Toujours très concrètement, nous avons intégré les violences conjugales dans le guide relatif à l’égalité professionnelle à destination des TPE-PME pour accompagner ces petites entreprises dans la prise en charge de ces situations de violence.
Enfin, le futur plan Santé au travail (PST 4) abordera cet enjeu dans son volet relatif à la qualité de vie au travail, afin de renforcer la mobilisation de tous, y compris celle des entreprises, dans la lutte contre ces violences. Nous finalisons actuellement le PST 4 avec les partenaires sociaux. Nous aurons l’occasion d’en parler de nouveau avec eux.
De manière plus globale, la responsabilité de l’employeur en matière de harcèlement et de lutte contre les violences est extrêmement bien établie dans les textes, conformément à l’obligation qui lui est faite de veiller à la santé et la sécurité de ses salariés.
Nous avons également créé dans la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel un référent en matière de harcèlement sexuel dans toutes les entreprises de plus de 250 salariés, afin de prévenir, d’agir et de lutter contre les agissements sexistes et les faits de harcèlement sexuel au travail.
Le Gouvernement, par la voix de la ministre du travail Élisabeth Borne, a encore récemment rappelé sa détermination à ratifier la convention n° 190, à l’occasion du Forum Génération Égalité, qui s’est tenu à Paris le 2 juillet dernier, en présence d’une soixantaine de chefs d’État et de gouvernement, ainsi que d’acteurs du monde entier.
La parole de la France est sans équivoque. Nous avons rappelé fermement et constamment notre position à l’ensemble de nos partenaires internationaux concernant la ratification de cette convention. Tous ensemble, agissons dès maintenant et donnons-nous tous les moyens possibles pour éradiquer les violences et le harcèlement sous toutes leurs formes !
Avec la ratification de cette convention de l’OIT, compatible avec notre droit interne, tous les dispositifs de protection que nous avons mis en place sont aujourd’hui réunis pour faire de la France un pays moteur et exemplaire dans la prévention et la répression de la violence et du harcèlement au travail.
Les partenaires sociaux ont également un rôle actif à jouer en matière de lutte contre le harcèlement et les violences au travail, en application des obligations de négociation qui leur incombent, à l’échelon tant des entreprises que des branches. Ils ont aussi un rôle à jouer pour négocier des dispositifs ambitieux qui n’ont pas tous vocation à relever de la loi.
Je pense notamment à la question de la prise en compte des violences conjugales dans l’organisation du travail au sein de l’entreprise. Ces questions doivent, je le crois, être traitées au plus près du terrain pour que les réponses restent pertinentes et adaptées à la réalité de chacun.
Il est sans doute souhaitable d’aller plus loin dans ce domaine, mais cela suppose d’abord une concertation entre les partenaires sociaux. Vous connaissez mon attachement au dialogue social. Ce sont là des sujets extrêmement délicats, car ils sont à l’interface entre vie personnelle et professionnelle, y compris en cas de violences familiales.
Les partenaires sociaux auront justement pour objectif de faire vivre la convention n° 190 par le dialogue social et de la traduire en mesures concrètes, adaptées aux réalités des défis auxquels nous faisons face dans le monde du travail. Cette convention, une fois ratifiée, les principes qu’elle fixe devront être appliqués, afin que l’ensemble des acteurs du monde du travail puissent se l’approprier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est l’enjeu du présent projet de loi, qui doit permettre à la France de continuer à se montrer exemplaire en ratifiant la première ce texte visant à éradiquer la violence et le harcèlement au travail. (MM. François Patriat, Yves Détraigne, Mmes Marie-Arlette Carlotti et Laurence Cohen applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, en remplacement de Mme le rapporteur.
M. François Patriat, en remplacement de Mme Nicole Duranton, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence de ma collègue Nicole Duranton, rapporteur de ce projet de loi, qui est actuellement en mission à l’étranger pour l’assemblée parlementaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Elle m’a chargé de vous lire son intervention.
« Grâce à une mobilisation syndicale internationale – et j’ajoute, pour ma part, grâce à l’intense action du Gouvernement –, la lutte contre la violence et le harcèlement au travail a été inscrite à l’ordre du jour de la Conférence internationale du travail dès 2015. Trois ans plus tard, la campagne #MeToo et plusieurs affaires judiciaires très médiatisées ont rappelé l’importance et l’urgence de légiférer sur le sujet, afin d’enrayer ce fléau, dont les femmes payent, ici comme ailleurs, un lourd tribut.
« Il est d’ailleurs intéressant de relever qu’aucune étude statistique fiable n’existe sur les violences sexistes et sexuelles au travail, ce qui tend à démontrer que le phénomène est insuffisamment pris en compte, voire tabou, y compris en France. C’est pourquoi l’Organisation internationale du travail s’attelle, à juste titre, à élaborer des normes statistiques internationales.
« C’est dans ce contexte que l’Organisation internationale du travail a adopté, au mois de juin 2019, à une très large majorité, la convention n° 190, qui constitue la première norme internationale dans ce domaine. Sa portée est historique et son contenu est à la hauteur de l’enjeu : toutes les personnes que j’ai auditionnées se sont félicitées des avancées qu’elle comporte, et ont salué le rôle moteur joué par le Gouvernement à l’occasion des deux sessions de négociation.
« Toutefois, les organisations syndicales, comme les ONG, regrettent que les mesures les plus ambitieuses aient été intégrées à la recommandation n° 206, qui n’a aucune portée normative et qui, par conséquent, n’est pas soumise à l’examen du Parlement.
« En outre, le Gouvernement considère que la ratification de la convention n’appelle pas l’adoption de dispositions législatives nouvelles pour se conformer à celles de la convention internationale. »
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu votre rappel de l’ensemble des propositions formulées et des mesures prises en la matière par le Gouvernement. Je les salue et les soutiens totalement.
Je reprends ma lecture : « Je ne peux que regretter un tel choix, car l’examen du texte nous offrait l’occasion d’avancer sur le sujet en droit national, en complément des mesures gouvernementales mises en place à la suite du Grenelle des violences conjugales, entre autres.
« Je salue d’ailleurs ces mesures gouvernementales, qui représentent des avancées et qui étaient attendues. Mais, monsieur le secrétaire d’État, nous aurions pu saisir cette occasion pour être un peu mieux-disant.
« Aussi, mon rapport comporte sept propositions pour aller plus loin dans cette lutte.
« La première consiste à dresser le bilan de la mise en place des référents en matière de harcèlement sexuel et d’apporter les ajustements nécessaires pour garantir leur efficacité. En effet, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel impose la désignation de deux référents, et seulement dans les entreprises d’au moins 250 salariés.
« Ce nombre est insuffisant pour les entreprises qui comptent plusieurs milliers de salariés et qui sont présentes sur plusieurs sites. Par ailleurs, ces référents ont souvent d’autres prérogatives, ce qui limite le temps qu’ils peuvent consacrer à cette mission.
« Aucun moyen, par exemple un local pour recevoir les victimes qui les saisissent, ne leur est alloué, et certains référents ne bénéficient d’aucune formation adéquate. D’après les syndicats, certains référents abandonneraient leur fonction, faute de pouvoir l’exercer correctement.
« Ma deuxième proposition est d’améliorer la formation et la vigilance à l’égard des violences et du harcèlement dans le milieu professionnel. Lors du Grenelle des violences conjugales, les experts ont souligné certaines lacunes en matière de formation et se sont prononcés en faveur d’une amélioration du dispositif, à destination de tous les professionnels en contact avec les femmes victimes de violences, comme les cadres intermédiaires et supérieurs et les personnels des ressources humaines.
« En outre, et c’est ma troisième proposition, dans une économie mondialisée, le devoir de vigilance des entreprises doit s’étendre à l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement, afin de veiller au respect des dispositions de la convention, y compris par les sous-traitants et les fournisseurs.
« J’en viens maintenant à la prise en compte des violences domestiques dans la sphère professionnelle. C’est, j’en conviens, un sujet sensible, mais ô combien important !
« Lors d’une récente audition devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, Mme Élisabeth Borne s’est déclarée ouverte à des avancées législatives sur ce point, sous réserve que les partenaires sociaux parviennent à un compromis. Or les organisations patronales semblent hostiles à cette idée, préférant une stricte séparation des sphères privée et professionnelle. Ces deux sphères sont pourtant intimement liées !
« Comment peut-on imaginer qu’une femme victime de violences conjugales puisse en faire abstraction une fois arrivée sur son lieu de travail ? Comment peut-elle occuper au mieux son poste de travail si elle ne trouve aucune aide pour se reconstruire ?
« Je considère à cet égard que le lieu de travail doit aussi être un lieu d’écoute, d’accueil et d’accompagnement des victimes. Il y va d’ailleurs de l’intérêt de l’entreprise elle-même.
« J’appelle donc le Gouvernement à créer les conditions d’un tel accord, en invitant les partenaires sociaux à débattre de cette question dans le cadre du quatrième plan Santé au travail, en cours d’élaboration.
« Pour ce faire, le PST 4 devra prévoir un volet spécifiquement consacré aux violences et au harcèlement pour que des discussions tripartites puissent avoir lieu. Il s’agit là de ma quatrième proposition.
« Par ailleurs, de grandes entreprises françaises ont une politique volontariste pour faire reculer les violences dont leurs collaboratrices peuvent être victimes, y compris lorsqu’il s’agit de violences domestiques. Ces actions sont généralement le fait de grands groupes qui disposent des ressources nécessaires à leur mise en œuvre, et les progrès enregistrés sont bien souvent le fruit de négociations entre les partenaires sociaux. Aussi me semble-t-il important d’intégrer cette thématique aux négociations annuelles sur la qualité de vie au travail, obligatoires dans les entreprises dotées d’organisations syndicales représentatives. C’est l’objet de ma cinquième proposition.
« J’observe qu’en matière de prise en compte des violences faites aux femmes la France accuse un certain retard par rapport à des pays comme l’Espagne, le Canada ou la Nouvelle-Zélande. Dans ces pays, les victimes peuvent bénéficier d’un aménagement de poste et d’horaires, d’absences rémunérées pour accomplir leurs démarches médicales ou juridiques, et d’une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie dans l’entreprise.
« Cette question mériterait, comme je le prévois dans ma sixième proposition, d’être débattue entre les partenaires sociaux : cela permettrait d’aboutir à la création de nouveaux droits pour les victimes, en s’inspirant des meilleures pratiques observées à l’étranger. Une telle démarche permettrait aux victimes de se mettre en sécurité et de se reconstruire.
« Ma septième et dernière proposition vise à garantir l’autonomie économique des victimes de violences – vous y avez déjà fait référence, monsieur le secrétaire d’État.
« Lorsqu’elles démissionnent, ces victimes peuvent désormais bénéficier des allocations chômage et débloquer leur épargne salariale, laquelle n’existe cependant pas dans toutes les entreprises.
« Même si elles sont bienvenues, ces mesures se révèlent insuffisantes pour garantir aux victimes une indépendance économique leur permettant de s’éloigner d’un conjoint violent. En effet, la perte d’un emploi, qu’elle soit consécutive à une démission ou à un licenciement, précarise les victimes de violences conjugales et obère leur indépendance économique. C’est pourquoi il est primordial de protéger les victimes de violences domestiques contre le licenciement.
« Monsieur le secrétaire d’État, le 1er janvier prochain, la France prendra la présidence du Conseil de l’Union européenne. À ce titre, notre pays devra jouer un rôle moteur pour, d’une part, que les États membres ratifient et appliquent les dispositions de la convention dans des délais raisonnables et, d’autre part, que la lutte contre la violence et le harcèlement au travail constitue l’une des priorités de cette présidence.
« Nous devons montrer l’exemple et faire progresser notre droit interne pour que la convention soit appliquée de manière ambitieuse et que la violence et le harcèlement en milieu professionnel reculent enfin.
« Notre commission a adopté à l’unanimité ce projet de loi, preuve que ce sujet nous concerne tous et qu’il dépasse les clivages politiques. J’espère que le Gouvernement entendra mon appel à aller plus loin. » (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Bruno Sido applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier nos collègues du groupe CRCE d’avoir demandé que nous ayons ce débat sur la ratification de la convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail sur le harcèlement et les violences dans le monde du travail.
Le débat nous permet de mettre en lumière la tendance de ce gouvernement à prendre, dans les grandes enceintes multilatérales, des engagements, par ailleurs louables, mais que l’on peine ensuite à retrouver dans les politiques menées dans notre pays. Cette convention en est un excellent exemple.
L’omniprésence des violences et du harcèlement dans le monde du travail, liés ou non au genre, est aujourd’hui une réalité incontestable. Je rappellerai les chiffres que nous connaissons toutes et tous : en 2019, 30 % des femmes salariées en France ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail, et 70 % d’entre elles n’en ont jamais parlé à leur employeur. Comment s’en étonner lorsque l’on sait que dénoncer ces faits a fréquemment des conséquences négatives pour elles ?
Si les femmes sont significativement plus touchées, n’oublions pas que d’autres groupes y sont aussi très exposés, notamment les travailleurs et les travailleuses précaires, dont le secteur domestique. À ce sujet, nous sommes ébahis que la France n’ait pas encore souhaité ratifier la convention n° 189, cohérente avec la présente convention n° 190.
Il était donc urgent d’élaborer une telle convention. Nous constatons avec satisfaction qu’elle permet d’englober de nombreuses formes de violences et de harcèlement, en s’inscrivant dans une compréhension large du monde du travail. Elle permettrait, par exemple, de mieux protéger les aides familiales, ces membres d’une famille travaillant sans statut salarié, dont 71 % disent avoir été victimes d’atteintes sexistes.
Une telle ratification ne serait pourtant qu’une demi-victoire si nous ne tenions pas compte de la recommandation n° 206, qui y est associée. C’est apparemment le projet du Gouvernement, qui considère que notre législation y est déjà conforme, bien que celle-ci ne permette pas, par exemple, de contraindre les entreprises à agir dans le domaine des violences domestiques.
Malgré les alertes des ONG, des syndicats ou des organes consultatifs, rien n’y fait : le Gouvernement n’a pas l’intention de mettre notre législation en conformité avec ses nouvelles obligations vis-à-vis de la convention, celle-là même qu’il a grandement contribué à faire adopter.
Monsieur le secrétaire d’État, nous vous invitons à remédier à ces incohérences en vous appuyant notamment sur l’étude d’impact de la CGT et de deux ONG, sur la déclaration de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du 28 avril 2020, ainsi que sur le rapport de la commission des affaires étrangères. Il faut déposer rapidement un texte prévoyant les nouvelles mesures qui s’imposent désormais.
Parmi ces mesures, il sera indispensable de mieux protéger les victimes, notamment en améliorant la formation des cadres et en reconnaissant les atteintes comme des accidents du travail.
Nous devrions également renforcer les dispositions de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, en étendant ce devoir aux cas de violence et de harcèlement au travail.
Enfin, afin de protéger les victimes de violences domestiques, nous soutenons l’octroi de plusieurs jours d’absence rémunérés, afin qu’elles puissent veiller à leur santé et effectuer les démarches nécessaires, une meilleure protection face aux risques de licenciement, ainsi que l’assimilation de la démission à une perte involontaire d’emploi lorsqu’elle est motivée par des faits de violence ou de harcèlement.
La France, riche d’une longue histoire en matière de protection des travailleurs et, dans une certaine mesure, des travailleuses, a joué un rôle crucial à l’OIT pour faire aboutir cette convention, participant à consacrer enfin le droit « de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre ».
Nous nous prononcerons donc en faveur de ce projet de loi, mais en appelant à aller jusqu’au bout de l’effort. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE, ainsi qu’au banc des commissions.)