compte rendu intégral

Présidence de M. Pierre Laurent

vice-président

Secrétaires :

Mme Esther Benbassa,

M. Pierre Cuypers.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, lors du scrutin n° 8 sur l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi instaurant la vaccination obligatoire contre le SARS-CoV-2, M. Yan Chantrel souhaitait ne pas prendre part au vote.

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Monsieur le président, lors de ce même scrutin, M. Gérard Poadja souhaitait voter pour.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.

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Candidatures à une délégation sénatoriale

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation de dix membres supplémentaires pour siéger au sein de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai
Discussion générale (suite)

Gel des matchs de football le 5 mai

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant au gel des matchs de football le 5 mai (proposition n° 318 [2019-2020], texte de la commission n° 22, rapport n° 21).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai
Article unique (Texte non modifié par la commission)

Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il est aujourd’hui question de se souvenir, en mémoire des victimes du drame de Furiani : 19 décès, 2 357 blessés, tant de familles endeuillées à qui j’adresse mes plus sincères pensées. Je tiens également à saluer celles et ceux qui sont présents aujourd’hui dans les tribunes, ainsi que le député qui les accompagne.

Il faut se souvenir de ce soir du mardi 5 mai 1992, soir de demi-finale de la coupe de France de football au stade Armand-Cesari.

Un soir qui devait être synonyme de liesse pour les amoureux de football qui venaient assister, de toute la Corse et du continent, à un match entre le Sporting Club de Bastia et l’Olympique de Marseille.

Un soir qui est déjà inscrit dans notre mémoire collective comme un drame pour l’ensemble du sport français et qui le sera encore davantage avec l’adoption de cette proposition de loi.

Je suis honorée, en tant que ministre chargée de la ville, d’être présente aujourd’hui à l’occasion de l’examen de ce texte. Je n’oublie pas qu’à l’époque mon prédécesseur Bernard Tapie était présent à Furiani. Je tiens également à saluer sa mémoire aujourd’hui dans cette Haute Assemblée.

Tout l’enjeu de ce texte est de faire en sorte que cette tragédie nationale bénéficie d’un cadre de commémoration pérenne afin de lutter contre l’oubli. La ministre Roxana Maracineanu, qui ne peut être présente aujourd’hui, l’a exprimé devant l’Assemblée nationale. Nous le devons aux proches des victimes qui luttent depuis près de trente ans.

François Mitterrand, Président de la République, avait affirmé dès 1992 qu’aucun match de football ne se tiendrait désormais le 5 mai.

Dès le 13 juillet 1992, une loi est venue compléter la loi-cadre sur le sport de 1984, en créant une procédure nouvelle d’homologation par l’autorité administrative des enceintes sportives.

Depuis lors, le préfet de département fixe l’effectif maximal des spectateurs admis simultanément dans l’enceinte, la répartition des places offertes et, selon la configuration de l’enceinte, les conditions d’aménagement de tribunes provisoires.

Au cours des années suivantes, plusieurs propositions de loi ont été déposées, émanant de parlementaires de toute appartenance politique, visant à sacraliser la date du 5 mai en mémoire des victimes. Toutefois, aucune n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour des débats.

En 2015, soutenue par le président François Hollande, une démarche vers une reconnaissance nationale a été engagée et un accord trouvé le 22 juillet 2015 entre le ministère des sports, la Fédération française de football et la Ligue de football professionnel (LFP).

Cet accord prévoit que, le 5 mai de chaque année, un hommage soit rendu par tous les clubs de football et sur tout le territoire national, sous la forme d’une minute de silence ou d’applaudissements, du port d’un brassard ou encore de la lecture d’un message. Il prévoit également le report de tous les matchs de football professionnel et amateur de niveau national, qui tomberaient un samedi 5 mai.

Une plaque commémorative a également été dévoilée en 2016, au ministère des sports. Chaque année, nous l’honorons le 5 mai.

Force est toutefois de constater que les propositions formulées jusqu’à présent n’ont pas été jugées à la hauteur par le Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992, qui demande, de manière constante, qu’aucun match n’ait lieu le 5 mai.

La ministre chargée des sports, Roxana Maracineanu, a donc travaillé en mobilisant les instances du football afin de trouver avec elles la meilleure manière de répondre à ces attentes.

Parallèlement, la représentation nationale s’est saisie du sujet. C’est ce qui nous amène à discuter aujourd’hui de la proposition de loi déposée par le député Michel Castellani et présentée au Sénat par le rapporteur Thomas Dossus. Je tiens également à saluer le travail du sénateur Paul Toussaint Parigi, qui s’est beaucoup investi.

Nous respectons ce travail et cette volonté. C’est pourquoi nous soutenons cette proposition de loi, qui vise à geler les matchs de football professionnel tous les 5 mai. Le texte ne prévoit pas de sanction puisque le ministère des sports souhaite travailler avec les instances du football pour que le principe du gel des matchs soit respecté.

Sur la nature de l’hommage, des choix différents ont pu être privilégiés pour des catastrophes qui ont eu lieu ailleurs dans un stade. Je pense ainsi à l’arrêt des matchs ou à la minute souvenir de l’effondrement de la tribune d’Hillsborough au Royaume-Uni en 1989 pour commémorer ses 97 victimes. Il vous appartient de prendre cette décision au cours de nos débats, mesdames, messieurs les sénateurs.

Le football est le véhicule de toutes les passions et de toutes les émotions. Il est plus qu’un sport, il est une culture universelle partagée, un vecteur de transmission dont le devoir de mémoire est un point cardinal.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne devons pas oublier ce qui s’est produit le 5 mai 1992.

Près de trente ans après le drame de Furiani, nous serions honorés que, grâce à votre vote, l’engagement de ne plus jouer au football un 5 mai soit pris dans la loi, en hommage aux victimes et à leurs familles, que nos pensées accompagneront toujours, et à l’ensemble du sport français qui, au soir du 5 mai 1992, a été profondément marqué.

Nous soutenons donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et GEST.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Thomas Dossus, rapporteur de la commission de la culture, de léducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant au gel des matchs de football le 5 mai que nous examinons aujourd’hui pose des questions importantes sur la place du sport dans notre société, sur la notion de drame national et sur la façon de commémorer.

Les faits, qui se sont produits le 5 mai 1992 au stade Armand-Cesari de Furiani, ont causé la mort de 19 personnes et en ont blessé plus de 2 300.

La justice a mis en évidence des responsabilités graves de la part tant des autorités administratives et sportives que des entreprises qui sont intervenues dans l’installation et le contrôle de la tribune.

Certes, les pouvoirs publics ont réagi rapidement afin qu’une telle catastrophe ne se reproduise pas. Des dispositions législatives ont ainsi été immédiatement adoptées, dès le mois de juillet 1992, afin de renforcer le contrôle des installations sportives.

Depuis 1992, aucun drame similaire à celui de Furiani n’est intervenu en France du fait des dispositions adoptées. Le drame qu’a connu la Corse, par son caractère unique, a ainsi pu conforter l’idée selon laquelle il aurait pu être évité.

Les motivations financières qui ont conduit à maximiser la taille de la tribune pour accroître le plus possible les recettes ont, par ailleurs, ôté toute place à l’argument de la fatalité dans le déroulement de ces événements.

Les questions relatives à la mémoire du drame de Furiani et à la commémoration de ces événements ont mis du temps à émerger.

Il a fallu attendre 2012 pour que la question soit véritablement posée, sur l’initiative des victimes et de leurs proches. Un groupe de travail a alors été créé par la Fédération française de football ; il a fait des propositions qui n’ont pas pleinement satisfait le Collectif. La demande principale de celui-ci est, en effet, que plus aucun match ne soit joué le 5 mai sur l’ensemble du territoire.

Cette demande s’appuie en particulier sur une déclaration qu’aurait faite le président François Mitterrand lors de son déplacement à Bastia selon laquelle plus aucun match ne devait se jouer ce jour-là.

La revendication d’un gel des matchs a pris de l’ampleur ces dernières années dans l’ensemble de la société insulaire et semble aujourd’hui largement partagée, y compris sur le continent, comme en témoignent plusieurs banderoles dans les tribunes de supporters de clubs du continent.

Le dialogue, noué en 2012, entre le Collectif et les instances du football n’ayant pu aboutir, c’est l’État qui a essayé de trouver un compromis. Celui-ci s’est matérialisé par l’accord du 22 juillet 2015 et comporte cinq engagements pris par le secrétaire d’État chargé des sports, Thierry Braillard, à l’égard du Collectif.

Force est de reconnaître que ces engagements n’ont pour l’essentiel pas été suivis d’effet, notamment ceux qui devaient permettre de développer les valeurs du sport à l’école.

Près de trente ans après le drame, l’incompréhension entre le Collectif et les instances nationales du football demeure entière.

Concernant la revendication du gel des matchs le 5 mai sur l’ensemble du territoire, les membres du Collectif estiment que « le football est une fête et qu’il est impossible de faire la fête et de commémorer Furiani en même temps », alors que la Ligue de football professionnel n’envisage pas cette interdiction générale de jouer des matchs professionnels ce jour-là.

La proposition de loi qui a été adoptée en séance publique à l’Assemblée nationale au mois de février 2020 vise à donner satisfaction à la revendication essentielle du Collectif des victimes, tout en limitant suffisamment le gel des matchs pour ne pas créer de difficultés particulières dans la mise en œuvre de cet hommage.

L’article unique de la proposition de loi prévoit ainsi que, « en hommage aux victimes [de ce drame], aucune rencontre ou manifestation sportive organisée dans le cadre ou en marge des championnats de France professionnels de football de première et deuxième divisions, de la Coupe de France de football et du Trophée des Champions n’est jouée à la date du 5 mai ».

Le 5 mai 2022 marquera le trentième anniversaire du drame de Furiani.

Cette date symbolique peut constituer un aboutissement et sans doute un apaisement pour l’ensemble des victimes, qui attendent une reconnaissance nationale.

Compte tenu de l’impossibilité de dégager un consensus au travers d’un dialogue avec les instances sportives puis avec le ministère chargé des sports, le recours à la loi semble constituer l’ultime espoir pour les victimes d’être entendues. Cette proposition de loi représente donc un rendez-vous important dans l’histoire du drame national de Furiani.

Compte tenu de l’ordre du jour très chargé du Parlement au cours de cette session et des échéances nationales prévues en 2022, le temps est compté pour examiner et adopter cette proposition de loi.

Le choix qui se présente au Sénat revient soit à adopter conforme cette proposition de loi dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, soit à ne pas l’adopter conforme et à prendre ainsi le risque de manquer le rendez-vous du trentième anniversaire du drame de 1992.

Nos débats en commission comme à l’Assemblée nationale ont notamment porté sur le fait que l’objet du texte n’entrait pas dans la définition du domaine de la loi. Or le recours à la loi paraît aujourd’hui légitime pour au moins deux raisons.

D’une part, les manquements qui sont apparus dans l’organisation de cette demi-finale de la Coupe de France ont été trop nombreux et trop graves dans leurs conséquences pour que les représentants de la Nation refusent de s’y intéresser.

D’autre part, l’impossibilité de trouver un compromis dans le cadre d’un dialogue avec les instances sportives et le ministère chargé des sports a fait du Parlement le seul recours possible pour trouver une solution satisfaisante.

L’intérêt à légiférer ayant été rappelé, il convient également de souligner le caractère équilibré du dispositif présenté dans la proposition de loi. L’interdiction de jouer des matchs tous les 5 mai est en effet limitée aux championnats professionnels de ligue 1 et de ligue 2, ainsi qu’aux matchs de la Coupe de France et du Trophée des Champions. Cette interdiction ne concerne ni les matchs amateurs ni les matchs internationaux, qu’il s’agisse des matchs de l’équipe de France ou des matchs des clubs français qualifiés dans les compétitions organisées par l’Union des associations européennes de football, l’UEFA.

Il apparaît également que le décalage des matchs sur une autre journée que le 5 mai ne devrait pas poser de difficultés considérables. Il n’y a donc pas d’obstacles techniques ou économiques qui pourraient justifier de ne pas adopter cette mesure de gel des matchs le 5 mai.

Cette journée de commémoration doit être à la fois une journée du souvenir du drame et de mémoire en l’honneur des victimes. L’impact de ce drame sur la législation en matière de sécurisation des grands événements renforce son caractère national auquel il faut rendre hommage.

Dans ces conditions, l’adoption de cette proposition de loi constitue aussi le moyen de rappeler solennellement notre attachement aux valeurs du sport et la nécessité de préserver ces valeurs toujours menacées.

L’attente des Corses, comme, plus largement, celle du peuple du football, doit nous conduire à une adoption conforme afin de commémorer dignement la mémoire de cet événement, l’an prochain, pour les trente ans du drame.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a adopté cette proposition de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 5 mai 1992, comme nombre de Français passionnés de sport, j’étais devant ma télévision pour voir la demi-finale de la Coupe de France. Le match opposait le Sporting Club de Bastia à l’Olympique de Marseille. Ce qui devait être une affiche sportive de haut niveau a été marqué par une catastrophe terrible, celle de l’effondrement de la tribune provisoire du stade de Furiani.

À l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, je tiens tout d’abord à adresser mes pensées aux familles des 19 personnes disparues ainsi qu’à celles des 2 357 blessés. La catastrophe de Furiani est un drame tragique que nous ne devons pas oublier.

C’est dans cet esprit de commémoration que le Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992 a demandé qu’un texte puisse encadrer le gel de l’organisation de matchs de football professionnel les journées du 5 mai. Il est en effet impensable selon lui de fêter des victoires de football ce jour-là.

Cependant, l’article unique du texte prévoit-il un gel total du football les 5 mai ? Ce n’est pas le cas : l’interdiction de jouer des matchs tous les 5 mai est en effet limitée aux championnats professionnels de ligue 1 et de ligue 2, ainsi qu’aux matchs de la Coupe de France et du Trophée des Champions.

Le dispositif de gel ne concerne donc ni les matchs amateurs ni les matchs internationaux, qu’il s’agisse des matchs de l’équipe de France ou des matchs des clubs français qualifiés dans les compétitions organisées par l’UEFA.

Dans un esprit de consensus conforme à celui de la commission de la culture, nous voterons cette proposition de loi.

Cela étant, je dois, en toute sincérité, vous faire partager quelques réserves personnelles, mais aussi celles de certains de mes collègues du groupe RDPI et de certains membres de la commission.

Ces réserves portent sur le contexte de la proposition de loi. En effet, comment expliquer qu’une telle proposition de loi soit examinée en 2021, presque trente ans après la catastrophe ?

À l’époque, compte tenu des conclusions de l’enquête, le drame de Furiani a suscité de nombreuses réactions. Les négligences et les fautes relatives à l’édification de la tribune provisoire ne sont pas restées sans réponse de la part du législateur.

En effet, dès le 13 juillet 1992, une loi est venue compléter celle du 16 juillet 1984 en créant une procédure nouvelle d’homologation des enceintes destinées à recevoir des manifestations sportives ouvertes au public.

De plus, une démarche vers une reconnaissance nationale a été engagée en 2015 sous l’autorité du secrétaire d’État chargé de sports de l’époque, Thierry Braillard, permettant d’aboutir à un accord entre le ministère des sports, la Fédération française de football et la ligue de football professionnel, le 22 juillet 2015.

Cet accord contenait des engagements forts, mais imparfaits aux yeux des membres du Collectif. À titre d’exemple, l’accord prévoyait le gel des matchs le 5 mai lorsqu’ils se tenaient un samedi, alors que la catastrophe de Furiani a eu lieu un mardi…

Toujours est-il que de vives réactions ont été observées dans les stades en 2019 et que l’émotion des familles demeure importante, en témoigne la création du Collectif des victimes de la catastrophe de Furiani du 5 mai 1992.

Rester inactif face à la gravité de ce drame et du passif délicat entre les engagements de l’accord et l’application de ces derniers ne semble donc pas une réponse appropriée.

Je m’interroge néanmoins sur les modalités de la commémoration du drame de Furiani.

Dans notre société, le sport véhicule de nombreuses valeurs, à commencer par celles de solidarité et de respect. À n’en pas douter, peu importe nos origines territoriales en France, je crois que nous serons unanimes sur ce point : nous devons tous être solidaires de nos compatriotes corses et respecter le souvenir de ce drame national et sa commémoration.

Toutefois, convient-il de geler le football professionnel tous les 5 mai ? Est-ce le moyen le plus adéquat pour respecter le devoir de mémoire et ne pas oublier ce drame, notamment pour les plus jeunes ? Doit-on geler nos activités sportives afin de commémorer les drames ? Je n’en suis pas sûr.

Sur le plan technique, la proposition de loi tend à mettre en place un dispositif qui consacre l’existence de journées du souvenir justifiant la suspension de toute compétition professionnelle pour une discipline sportive.

Je m’interroge donc sur notre action en tant que parlementaire, sur l’intérêt à légiférer sur un tel sujet et sur les conséquences du dispositif. Plus précisément, je m’interroge sur la postérité du dispositif plutôt que sur la portée juridique du texte, qui demeure assez discutable compte tenu de l’absence de sanction en cas de non-respect du gel des matchs.

Il me semble que l’observation d’une minute de silence en début de match, le port d’un brassard par les joueurs des deux équipes ou encore des hommages au début ou à la fin des matchs de football auraient pu être des solutions. Ce sont des alternatives permettant d’expliquer, de se rappeler et de commémorer.

En réalité, mes chers collègues, vous le comprenez, ces réserves reviennent davantage à nous inviter à nous interroger sur notre rôle de parlementaires et sur les modalités de commémoration plutôt que sur la commémoration elle-même.

Je le répète, le football et plus largement le sport véhiculent de nombreuses valeurs : la solidarité, la fraternité, mais également l’engagement. Il nous faut nous engager à commémorer le drame, dans un esprit de solidarité et de fraternité avec nos compatriotes corses, sans oublier les supporters du club marseillais. Cependant, peut-être aurions-nous pu nous accorder sur d’autres modalités afin de tenir nos engagements commémoratifs.

Par respect pour les familles des victimes et compte tenu du contexte particulier de ce drame, le groupe RDPI votera cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la chronologie des palmarès sportifs fait souvent apparaître, en creux, les événements tragiques qui marquent l’histoire. Le football en est certainement le meilleur exemple.

Ainsi, la liste des vainqueurs de la Coupe du monde s’interrompt en 1938 et ne reprend qu’en 1950. Et pour cause : entre ces deux dates, la Seconde Guerre mondiale a rendu impossible l’organisation des compétitions internationales.

Plus récemment, l’Italie a remporté l’Euro 2020 le 11 juillet 2021. Cette bizarrerie du calendrier témoigne du chaos provoqué par la pandémie en 2020, bouleversant tous les aspects de nos vies, jusqu’au football de très haut niveau.

En 1992, c’est le palmarès de la Coupe de France qui ne donne aucun vainqueur. Ce vide révèle en silence un drame. La compétition s’est arrêtée aux demi-finales, le 5 mai.

Ce 5 mai 1992, avant même que ne commence la rencontre entre le Sporting Club de Bastia et l’Olympique de Marseille, une tribune du stade de Furiani s’effondre et l’effroyable se produit. Encore aujourd’hui, les images sidèrent et l’on mesure facilement toute l’horreur de ce drame.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui fait directement référence à cet événement tragique. Elle nous force donc à un exercice délicat de commémoration.

Au nom du groupe Les Indépendants – République et Territoires, je tiens donc à saluer la mémoire des 19 victimes du drame, ainsi que leurs familles et leurs proches, pour qui, chaque année, la date du 5 mai ravive la douleur du deuil. Je n’oublie pas non plus les quelque 2 300 blessés, qui sont restés traumatisés. Nous le savons tous : par son ampleur, le drame de Furiani a marqué toutes les familles de Corse.

Ce drame ne concerne toutefois pas que la Corse, d’abord parce que tout ce qui concerne la Corse concerne la France, ensuite parce que ce drame s’est produit en marge de la plus belle compétition nationale, la Coupe de France, à laquelle les Français sont profondément attachés.

Comme je l’ai dit en préambule, l’édition 1992 de la Coupe de France n’a pas eu de vainqueur.

Depuis lors, un collectif s’est constitué pour commémorer ce drame et respecter la mémoire des victimes. Comme le rapporteur l’a rappelé en commission, c’est au début des années 2010 que les premières demandes ont commencé à se faire entendre.

La Fédération française de football a alors pris l’initiative de constituer un groupe de travail associant l’ensemble des acteurs.

Ces travaux ont eu le mérite de mettre tout le monde autour de la table afin de trouver une solution satisfaisante pour tous. Plusieurs propositions en sont ressorties : gel des matchs les samedis 5 mai, gel des matchs en Corse tous les 5 mai, pas de finale de la Coupe de France un 5 mai. Aucune de ces propositions n’a trouvé grâce aux yeux du Collectif. C’est pourquoi le texte que nous examinons aujourd’hui vise à imposer par la loi les revendications du Collectif contre l’avis des professionnels du secteur.

Je l’ai dit d’emblée : cette proposition de loi nous force à un exercice délicat de commémoration. Cela reste toutefois un texte de loi. Aussi, l’exercice de commémoration ne peut nous exempter de notre travail de législateur.

Tout le monde ici sait bien que la catastrophe de Furiani est un drame national. Il s’agit plutôt de savoir si ce drame justifie que l’on contraigne la pratique sportive. Pourquoi interdire de jouer au football le 5 mai ? Peut-on remplir autrement le devoir de mémoire ?

Devons-nous ainsi interdire tous les matchs de Coupe d’Europe les 6 février, en commémoration du crash aérien de Munich du 6 février 1958, au cours duquel la moitié de l’équipe de Manchester United a trouvé la mort ?

Devons-nous ainsi interdire tous les matchs de Coupe d’Europe les 29 mai, en commémoration du drame du Heysel, survenu le 29 mai 1985, où 39 personnes ont trouvé la mort dans l’effondrement d’une tribune ?

Nous devons poser ces questions sans céder aux sirènes de la culpabilité. La pratique du football ne fera jamais insulte à la mémoire des supporters. Le joueur de foot que je suis sait très bien que ce sport place le respect au centre du jeu.

Je me range donc du côté de la Fédération française de football et de la Ligue de football professionnel, qui considèrent qu’on commémorera mieux le drame de Furiani en jouant au football plutôt qu’en empêchant le sport.

En revanche, je soutiens le principe d’une minute de silence, moment fort de recueillement en début de match. En supprimant la date du 5 mai des compétitions, on pourrait oublier l’événement ; en marquant une minute de silence, on le commémore.

Notre groupe votera majoritairement contre ce texte.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous sommes là aujourd’hui pour donner une portée mémorielle au drame survenu le mardi 5 mai 1992 à Furiani, commune limitrophe au sud de Bastia.

Ce jour-là, ce devait être une journée de fête sur l’île de Beauté. Le Sporting Club de Bastia, qui évolue en deuxième division, reçoit l’Olympique de Marseille à l’occasion de la demi-finale. Le stade est comble : 18 000 spectateurs. Malheureusement, la fête aura été de courte durée.

Il est vingt heures vingt-trois lorsque la partie haute de la tribune provisoire bascule et s’effondre sur elle-même, causant la mort de 18 personnes et en blessant 2 357. La dernière personne est décédée deux ans et demi après le drame, d’autres seront paralysées à vie. Pendant toute la nuit, c’est un véritable pont aérien médical qui a été établi entre la Corse et le continent pour évacuer les blessés.

Cette catastrophe marquera la Corse dans sa chair. De nombreuses familles sont endeuillées ou comptent parmi les leurs des blessés ou des personnes handicapées. À l’échelle de l’île, 18 morts et 2 357 blessés représentent à l’époque près de 1 % de la population. C’est une véritable catastrophe qui s’abat également sur le monde sportif et sur le football français.

Depuis, familles et survivants se sont battus pour que cette date du 5 mai soit commémorée dans le respect, la dignité et le souvenir.

Je salue les membres du Collectif qui se trouvent dans les tribunes, ainsi que mes amis députés de Corse, Mme la présidente de l’Assemblée de Corse et Mme la conseillère en charge du sport, et les remercie d’être présents aujourd’hui.

Grâce au travail du Collectif, au soutien de l’opinion publique et à la prise de conscience des autorités, la reconnaissance prend enfin une dimension nationale. Le 10 mars 2016, une plaque commémorative a été apposée au sein du ministère des sports.

L’article unique de la proposition de loi qui est soumise à notre examen aujourd’hui prévoit qu’aucune rencontre professionnelle ne soit disputée le 5 mai, qu’une minute de silence soit respectée en cas de manifestation opposant clubs amateurs et professionnels et qu’entre clubs amateurs un brassard noir soit porté par les joueurs.

Mes chers collègues, cette demande équilibrée, juste et légitime doit pouvoir être adoptée en l’état. Élu de la Corse et membre de la majorité sénatoriale, je demande de nouveau à mes collègues de tous les groupes de se prononcer en faveur du texte sans modification. Seule une adoption conforme dans les deux assemblées permettra une promulgation immédiate de la loi sans nouvelle lecture.

Dans quelques mois, le 5 mai 2022, ce sera le trentième anniversaire de la tragédie. Pourtant, au lendemain de celle-ci, on parlait déjà de geler la tenue de matchs de football professionnel à cette date. C’était ce qu’avait assuré le président Mitterrand alors en exercice dans les jours qui avaient suivi.

Que la route fut longue ! Si l’on doit aujourd’hui en passer par la loi et en appeler au monde politique, c’est justement parce que les autorités sportives nationales n’ont pas été au rendez-vous pendant de nombreuses années.

Sénèque disait que les grandes douleurs sont muettes. Depuis bientôt trente ans, la réponse à ce drame, celle qu’on était en droit d’attendre, notamment des autorités sportives, est un silence assourdissant.

Par le vote de cette proposition de loi, la représentation nationale rend hommage aux victimes, aux familles, aux personnes encore affligées à ce jour par ce drame qui font vivre le collectif constitué l’été qui suivit la tragédie. Elle envoie aussi un message à la Corse, lui signifiant que, si son insularité et sa spécificité en font une région entièrement à part, elle n’en demeure pas moins une région française à part entière.