Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a sept mois, nous débattions déjà de cette proposition de loi.
Nous nous réjouissions de l’adoption – enfin, après des années de mobilisations de la société civile et des associations… – d’un texte qui marque une étape historique pour l’autonomie et la dignité des personnes en situation de grave handicap.
Tout a été dit de cet impératif et rappelé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la Défenseure des droits et, cet été, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies statuant sur l’application par la France de la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
Tout a été dit, mais le Gouvernement persiste et a entrepris un minutieux travail de sape lors de la navette parlementaire, allant jusqu’à vider le texte de son sens à l’Assemblée nationale en remplaçant la déconjugalisation par un abattement forfaitaire sur les revenus du conjoint, privant ainsi la loi de sa portée émancipatrice, et semblant concéder quelques dépenses supplémentaires dans une sorte de compromis financier.
Mais une telle obstination, une telle rigidité au risque de l’impopularité, a forcément d’autres motivations profondes. De quoi ce refus de la déconjugalisation est-il le nom ?
Ce débat s’inscrit dans le prolongement des concessions que le Président de la République a dû faire, lors des travaux préparatoires sur le revenu universel d’activité. Il a ainsi admis que, dans la mesure où l’AAH ne fait pas partie des minima sociaux, on ne peut pas la fusionner avec eux. Il s’agit donc d’éviter que nous ne tirions aujourd’hui toutes les conséquences de ce constat.
En effet, l’idée que l’on puisse bénéficier d’un revenu individuel d’existence, lorsqu’on n’est pas en mesure d’exercer une activité ou très peu, qu’on est exclu du marché de l’emploi de manière durable, voire définitive, pour des raisons de rentabilité ou d’organisation du travail, se heurte à une très forte résistance idéologique. Ce droit, attaché à la personne et que seul l’État peut garantir donne à chacun les ressources propres et pérennes dont il a besoin pour assurer les conditions de sa sécurité, de son autonomie et de sa dignité. Or ces critères fondent également le droit d’existence citoyenne, si important pour ceux qui se trouvent durablement déconnectés de la société, faute de pouvoir remplir les conditions nécessaires pour s’insérer sur le marché du travail. Tels sont les enjeux que le Gouvernement refuse de prendre en compte dans son projet de refonte de tous les minima sociaux à l’aune du seul critère de l’activité.
L’AAH n’est pas plus un minimum social qu’un revenu de remplacement de nature assurantielle. Elle est, par nature, un revenu d’existence, qui relève d’un droit forcément individuel, propre à la personne en situation de handicap, quels que soient ses choix de vie. La garantie de ce droit ne doit pas être reportée sur le partenaire, car il en résulterait une dépendance et une asymétrie délétère dans le couple. L’adulte en situation de handicap ne dépend pas de la solidarité de ses parents ; il ne doit pas non plus dépendre de celle de l’adulte avec lequel il vit.
Une fois encore, la condition des personnes en situation de handicap nous incite à nous interroger sur la manière dont nous faisons société. Quand bien même ces personnes seraient en incapacité partielle ou totale de travailler, on doit leur reconnaître le droit d’exister et de disposer de ressources propres, pour assurer leur indépendance.
C’est la raison pour laquelle, la commission des affaires sociales, dont je remercie le rapporteur, a adopté le rétablissement de la déconjugalisation de l’AAH. Le Sénat avait déjà voté cette mesure en première lecture. Nous ne doutons qu’il la votera de nouveau.
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, j’ai bien compris que, selon vous, le devoir de redistribution s’impose entre les ménages pauvres ou modestes, et que les plus aisés en sont exemptés.
De plus, vous ne pouvez pas reprocher aux écologistes de ne pas avoir voté la déconjugalisation de l’AAH en 2018, car nous n’avions pas, alors, de groupe politique au Sénat. En revanche, nous votons cette mesure, aujourd’hui, et nous l’appliquerons, demain. Nous appelons donc nos collègues députés à voter ce texte conforme et le Gouvernement à être enfin au rendez-vous pour satisfaire cette aspiration majoritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est de nouveau amené à se prononcer sur une question importante pour les personnes en situation de handicap, à savoir le mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapés.
Dès 2018, le groupe communiste avait demandé l’inscription à l’ordre du jour d’une proposition de loi de notre collègue députée Marie-George Buffet, qui prévoyait la suppression des revenus du conjoint dans le calcul de l’allocation aux adultes handicapés.
Je rappelle à mes collègues de droite qui soutiennent désormais cette proposition – tant mieux pour les personnes auxquelles elle bénéficie ! – que ceux qui siégeaient à l’époque sur leurs travées avaient rejeté notre texte.
La mobilisation des associations et des bénéficiaires de l’AAH, notamment par le biais de la pétition ouverte à signature sur la plateforme en ligne du Sénat, a permis de proposer un mécanisme qui garantit non seulement l’individualisation de l’allocation, mais aussi l’absence de perdants dans le nouveau système.
Nous saluons le changement de position de la majorité sénatoriale, qui démontre que, sur ce sujet, nous sommes capables de dépasser nos divergences politiques.
Nous regrettons d’autant plus que le Gouvernement se soit jusqu’à présent enfermé dans une posture idéologique. Nous continuons d’espérer qu’il acceptera de reconnaître l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés.
Madame la secrétaire d’État, l’obstination dont vous faites preuve pour ne pas modifier le mode de calcul des ressources prises en compte pour l’allocation aux adultes handicapés relève du dogmatisme.
En 2018, le Gouvernement avait refusé notre proposition, sous prétexte qu’elle aurait rendu perdants 57 000 ménages sur les 270 000 allocataires en couple.
En 2021, il a refusé la proposition de nos collègues députés communistes pour des raisons informatiques.
Madame la secrétaire d’État, il est temps de sortir des postures idéologiques et d’entendre le message que tous les acteurs vous adressent. Reconnaissez l’AAH comme une prestation de compensation du handicap dont le calcul ne doit pas reposer sur les ressources du conjoint ! Reconnaissez aux personnes en situation de handicap le droit de se marier et respectez leur autonomie !
Détachez-vous des notes administratives qui vous viennent de Bercy, car l’individualisation de l’AAH ne remet en cause ni le calcul des minima sociaux ni le système fiscal ! J’en veux pour preuve que l’allocation est déjà individualisée lorsque les deux membres d’un couple en bénéficient.
L’AAH est une prestation qui relève du code de la sécurité sociale et non pas du code de l’action sociale et des familles.
Mme Laurence Cohen. Tout à fait !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la secrétaire d’État, le 14 septembre dernier, le Comité des droits des personnes handicapées des Nations unies vous a demandé de réformer la réglementation de l’AAH, afin de séparer les revenus des personnes handicapées de ceux de leur conjoint.
Le 30 septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a appelé la France à déconjugaliser l’AAH.
Et mardi dernier, vingt-deux organisations et associations, dont APF France handicap, ont adressé un courrier au Président de la République pour qu’il reconnaisse l’AAH comme un revenu d’existence.
Madame la secrétaire d’État, il est temps d’accepter l’évidence et de soutenir cette proposition de loi avec les parlementaires du groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons en seconde lecture cette proposition de loi portant diverses mesures de justice sociale.
Il est difficile de ne pas se répéter après les débats qui ont déjà eu lieu en séance et en commission. Cependant, l’excellent rapport de notre collègue Philippe Mouiller et les travaux menés à l’Assemblée nationale ont été des lectures inspirantes.
À la réflexion, je me demande si les conseils avisés que certains hauts fonctionnaires ont prodigués au Gouvernement n’ont pas été inspirés par la maxime bien connue : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Il s’agit de la devise des Shadoks. (Sourires.) J’ai hésité à la citer dans ce débat, mais rien n’interdit de faire allusion à cette célèbre série d’animation, à laquelle Claude Piéplu prêtait sa voix.
Mes chers collègues, n’allons pas pour autant nous transformer en Shadoks ! Lorsque, pour répondre à la demande simple des personnes en situation de handicap, qui souhaitent que l’on comprenne leurs difficultés et que l’on déconjugalise l’AAH, on leur propose un système d’abattement forfaitaire complexe, qui plus est détaillé par décret, n’est-ce pas faire compliqué quand on peut faire simple ?
Plus grave encore, on se méprend sur la demande qui a été formulée. Les personnes en situation de handicap souhaitent que l’on favorise leur autonomie en leur garantissant une plus grande indépendance financière dans leur vie de couple. Ce souhait est légitime et nous pouvons tous le comprendre. Nous avons le devoir d’y répondre en adoptant la mesure proposée. Je crois qu’il s’agit là d’une position que nous partageons sur toutes les travées.
Mon deuxième argument en faveur d’un retour à la rédaction initiale du texte se nourrit de mon expérience d’élu local, puis de parlementaire. J’y ai appris que la politique ne se nourrit, voire n’existe qu’à travers des gestes forts et compréhensibles. Il n’y a de grandeur en politique que dans des choix ambitieux et des décisions assumées.
Toute réalité reste complexe et le rôle de la Haute Assemblée est d’être la voix de la raison. Notre devoir envers nos concitoyens est aussi de répondre à une exigence de clarté.
Plus de 100 000 personnes se sont mobilisées pour nous sensibiliser au problème qu’elles rencontrent et pour nous signifier qu’elles attendent que nous votions cette mesure. Nous ne pouvons pas négliger leur sollicitation.
Leur demande, simple, vise à ce que l’allocation aux adultes handicapés soit déconjugalisée. Il ne s’agit pas de créer un abattement, un écrêtement, une quelconque niche fiscale, ou une nouvelle allocation. Rien de tout cela. Il nous faut répondre à cette exigence de simplicité, en adoptant une position lisible.
Sommes-nous favorables ou non à la déconjugalisation de l’AAH ? La question est limpide, il faut une réponse simple, quitte à assumer nos choix. Or, madame la secrétaire d’État, il semble que vous ayez quelque difficulté à le faire – c’est du moins ce que je perçois dans votre discours.
Si nous ne faisons pas l’effort de respecter une exigence de simplicité envers nos concitoyens, comment leur faire reproche de ne plus avoir confiance dans les institutions ?
Le rapporteur Philippe Mouiller a entendu et compris la demande qui nous est faite. Nos collègues de la commission des affaires sociales partagent son analyse et ont unanimement soutenu la proposition de réécriture du texte. En revenant à la rédaction initiale de la proposition de loi, ils ont fait le choix de la raison et de la cohérence.
Au nom du groupe Union Centriste, j’appelle le Gouvernement à envoyer un message à nos concitoyens les plus fragiles, au travers de cette proposition de loi. Il leur témoignera son soutien en approuvant cette disposition, et il leur donnera de l’espoir, en leur montrant qu’ils ont été entendus.
En nous mobilisant pour que cette mesure soit adoptée, nous espérons pouvoir influer sur les débats qui auront lieu à l’Assemblée nationale.
Madame la secrétaire d’État, nous considérons que l’AAH ne peut pas être réduite à un minimum social. C’est un travers propre à notre époque que de transformer toutes les prestations sociales en minima sociaux. J’aurai l’occasion d’y revenir, lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment au sujet de la branche famille.
En conclusion, notre groupe a entendu la demande légitime que les personnes en situation de handicap nous ont adressée pour obtenir davantage d’autonomie et de justice sociale. Il la soutient pleinement et votera le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Artano. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un courrier adressé au Président de la République, le 5 octobre dernier, plus d’une vingtaine d’associations et d’organisations, dont APF France handicap, ont appelé le chef de l’État à considérer l’allocation aux adultes handicapés comme un revenu individuel d’existence.
Créée en 1975, l’AAH est destinée à compenser l’incapacité de travailler de plus 1,2 million de personnes, dont 270 000 sont en couple.
Selon les estimations du secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, 25 % des allocataires en couple ne bénéficieraient d’aucune revalorisation de leur allocation et 15 % d’entre eux toucheraient un montant partiellement revalorisé. Comme le précise le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), dont je partage l’avis, ces manquements contribuent à renforcer la « relation de dépendance entre les conjoints, concubins ou pacsés, qui est […] incompatible avec la nécessaire émancipation et le droit à l’autodétermination des personnes en situation de handicap ».
En mars dernier, lors de l’examen du texte en première lecture, nous avions largement voté la déconjugalisation de l’AAH. Il s’agissait, je le crois, d’une avancée majeure pour l’autonomie et l’émancipation des personnes en situation de handicap.
Les parlementaires ont été nombreux à s’offusquer de ce que ces personnes, déjà fragilisées par un handicap, aient à choisir entre une vie de couple au risque de voir leur allocation diminuer, ou le maintien de l’allocation, mais en renonçant à leur union, sur le plan légal.
Permettez-moi, à ce sujet, d’avoir une pensée toute particulière pour les femmes handicapées, victimes de violence, qui n’ont pas d’autre choix que de rester avec leur bourreau, car elles sont dépendantes financièrement.
Faut-il déconjugaliser ou non l’AAH ? Plus précisément, devons-nous considérer cette allocation comme une véritable prestation sociale de compensation au regard de la situation personnelle du demandeur ?
J’entends bien, madame la secrétaire d’État, l’argument du Gouvernement qui souhaite que l’AAH reste conditionnée, au même titre que les autres minima sociaux. C’est pourquoi, au cours d’un débat particulièrement houleux à l’Assemblée nationale, vous avez souhaité remplacer la mesure phare de cette proposition de loi par un abattement forfaitaire, permettant au bénéficiaire de l’allocation dont le conjoint est rémunéré au SMIC de la conserver à taux plein.
Pourtant, comme l’a rappelé à plusieurs reprises notre rapporteur, l’AAH a toujours eu un caractère hybride, entre minimum social et prestation de compensation. Le Président de la République, lors de la conférence nationale du handicap, en février 2020, a décidé de retirer l’AAH du chantier relatif au revenu universel d’activité (RUA), confirmant ainsi que cette allocation n’était pas un minimum social comme les autres.
Par ailleurs, je crains que votre proposition ne suffise pas à résoudre la question de fond. Le fait de se mettre en couple prive en effet brusquement les allocataires de l’AAH de ressources propres, leur assignant un statut d’« assistés » et renforçant parfois un sentiment de dévalorisation.
Vous comprendrez donc que notre assemblée s’indigne – le mot n’est pas trop fort – que nous soyons de nouveau amenés à débattre de ce que nous sommes nombreux à appeler le « prix de l’amour ».
L’ensemble du groupe du RDSE soutient cette mesure de justice sociale, tant espérée, qui met fin au lien de dépendance financière entre le bénéficiaire de l’AAH et son conjoint, et qui permet d’offrir une plus grande autonomie aux personnes concernées. Il s’agit de répondre à l’inégalité qui subsiste entre les différents bénéficiaires de l’AAH selon leur statut marital et de réaffirmer la primauté de la solidarité nationale sur la solidarité familiale.
Aussi, c’est tout naturellement que notre groupe soutiendra à l’unanimité la version adoptée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons porte, pour l’essentiel, sur le mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapés. Nous connaissons la position du Sénat, que nous avons défendue sur ces travées, en mars dernier.
La Haute Assemblée avait alors franchi un cap symbolique, en changeant de regard sur l’AAH. Nous avions en effet estimé qu’il fallait en finir avec la vision réductrice de cette prestation d’aide sociale et donner raison aux personnes en situation de handicap, qui sont les premières concernées dans cette affaire.
Celles-ci clamaient haut et fort qu’elles aspiraient à davantage d’autonomie au sein du couple. Soutenues par l’ensemble du secteur associatif, elles ont convaincu nos collègues de l’Assemblée nationale de la nécessité d’agir en ce sens, de sorte qu’ils ont adopté la proposition de loi contre l’avis du Gouvernement.
Continuant à se mobiliser, les personnes en situation de handicap ont maintenu la pression sur les parlementaires et obtenu, grâce au soutien des nombreux signataires de la pétition déposée sur la plateforme en ligne du Sénat, que le texte soit inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée.
En mars dernier, le rapporteur avait déjà évolué dans sa réflexion sur cette allocation, n’y voyant plus une prestation en espèces pour laquelle « le foyer sert de base fiscale », conception que certains d’entre nous défendaient encore, en octobre 2018, au moment de l’examen de la proposition de loi du groupe CRCE.
Je salue ce changement de doctrine, au nom de mes collègues socialistes. L’AAH est désormais considérée comme une forme de compensation individuelle de la perte de revenus liée au handicap. C’est donc sans surprise que j’apporte mon soutien et celui de mon groupe au texte issu des travaux de la commission des affaires sociales, qui reprend cette position.
Madame la secrétaire d’État, il y a deux semaines, répondant à une question d’actualité au Gouvernement que je vous posais, vous avez affirmé que « la déconjugalisation aurait pour effet de favoriser les couples plus aisés ». En réalité, vous signifiiez ainsi votre refus d’accorder une allocation pleine à une personne en situation de handicap qui perçoit une AAH réduite, au motif que les revenus de son conjoint sont élevés.
Or, précisément, ce refus heurte de nombreux allocataires et, pour le contrer, plus de 100 000 personnes ont signé la pétition déposée sur le site internet du Sénat, l’hiver dernier. Les signataires estiment qu’il n’est pas justifié de priver de ressources autonomes la personne handicapée dont le conjoint ou la conjointe gagne bien sa vie.
Je ne développe pas davantage le danger et les risques de violence auxquels donnent lieu l’enfermement économique et la dépendance financière. Un collectif d’une vingtaine d’associations résume le combat en ces termes : « Stop à la dépendance financière dans le couple ! »
Madame la secrétaire d’État, vous avez également soutenu que notre réforme « aurait fait des perdants », ce qui est faux. En vous obstinant à refuser toute évolution, vous perdez de vue l’intérêt de la proposition.
La commission des affaires sociales avait introduit un principe de faveur, pour que le montant de l’AAH le plus favorable soit versé durant une période transitoire de dix ans. Grâce à ce mécanisme, il n’y a ni perdantes ni perdants. En outre, l’État dispose d’un temps assez long pour mener une étude fine des situations, qui pourrait aboutir – pourquoi pas ? – à la création d’un revenu individuel d’existence pour les personnes handicapées.
Vous avez aussi rappelé que vous aviez augmenté l’AAH de 100 euros depuis 2017. Certes, nous saluons ce geste, mais je rappelle que vous avez, en même temps, nivelé par le bas les montants de la majoration pour la vie autonome et du complément de ressource, et augmenté fortement la participation forfaitaire pour actes lourds, en 2018.
Ces rééquilibrages n’ont pas échappé à la Commission nationale consultative des droits de l’homme qui rappelle que les mesures s’opèrent à coût constant pour la solidarité nationale, alors que les statistiques de la Drees détaillent l’augmentation de la population éligible.
Enfin, vous nous avez dit craindre « que cette déconjugalisation [ne] fasse des personnes handicapées des citoyens à part ». Pourtant, je rappelle que le montant de l’AAH reste figé sous le seuil de pauvreté. Un collectif de douze associations entend profiter des débats budgétaires à venir pour inscrire dans la loi que le montant de l’AAH ne peut être inférieur au seuil de pauvreté. Il s’agit d’une question de dignité à laquelle nous souscrivons.
C’est bien le moins que nous devons aux personnes en situation de handicap si nous ne voulons pas en faire des citoyens à part.
Comme vous pouvez le voir, madame la secrétaire d’État, les difficultés financières des personnes en situation de handicap méritent mieux que des joutes verbales. Elles nécessitent qu’on y consacre des moyens importants, au terme d’un débat assumé aboutissant à la concrétisation législative des mesures proposées.
Pour les personnes en perte d’autonomie, ce quinquennat n’aura pas été à la hauteur. Les cordons de la bourse restent serrés pour l’AAH. Le chantier d’une prestation universelle d’autonomie n’a pas été ouvert, faute d’un projet de loi sur le grand âge et l’autonomie, qui avait pourtant été annoncé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martin Lévrier. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Martin Lévrier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comment examiner ce texte portant diverses mesures de justice sociale sans évoquer la politique ambitieuse menée, depuis le début du quinquennat, pour l’accompagnement et l’émancipation individuels des personnes en situation de handicap ?
Les chiffres en témoignent. Plus de 51 milliards d’euros sont consacrés chaque année à l’amélioration et à la simplification du quotidien de ce public, dont 11,1 milliards servent à alimenter l’AAH, soit 2 milliards d’euros supplémentaires pendant ce quinquennat, et une augmentation de plus de 3 milliards d’euros par rapport au quinquennat précédent. Nous sommes le troisième pays européen à consacrer un budget aussi important à ce poste.
Le montant de l’AAH s’élève aujourd’hui à 902 euros contre 810 euros en avril 2018, ce qui représente une augmentation de près de 12 % du pouvoir d’achat de 1,2 million de nos concitoyens. Tel est le fruit du travail du Gouvernement qui a fait de cette cause une priorité nationale.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cela ne se voit pas !
M. Martin Lévrier. Notre action ne s’arrête pas là. Nous avons également mis en place des plateformes de repérage des troubles autistiques et investi 2 milliards d’euros supplémentaires dans le budget annuel pour développer une école inclusive. Jamais le ministère de l’éducation nationale n’a été aussi impliqué.
Quant à l’emploi, les initiatives ont également été nombreuses, qu’il s’agisse de l’aide à l’embauche des personnes handicapées, de la transformation des établissements et services d’aide par le travail (ÉSAT) pour favoriser la fluidité des parcours vers l’emploi ordinaire, ou encore de la hausse de 71 % du nombre d’apprentis en situation de handicap entre 2019 et 2020.
En matière de simplification, nous avons procédé à la structuration des communautés 360 et à la transformation des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Nous avons également mis en place un congé indemnisé pour les proches aidants.
Toutes ces avancées, mes chers collègues, répondent aux attentes de la majorité de ceux qui siègent sur ces travées.
Lundi dernier, Mme la secrétaire d’État annonçait l’ouverture de la prestation de compensation du handicap (PCH) aux personnes présentant un handicap psychique, mental, cognitif, ou souffrant d’un trouble du neurodéveloppement. Celle-ci était auparavant réservée aux personnes en situation de handicap physique.
Ces réformes sont très éloignées des postures idéologiques ou « shadokiennes »… C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier le texte que nous examinons.
Non, l’AAH ne place pas les personnes handicapées en situation de dépendance financière. Cette allocation offre un minimum de ressources pour vivre, même lorsque l’on est célibataire, sans avoir à dépendre de sa famille ou de ses proches.
Non, les paramètres de l’AAH n’incitent pas les personnes handicapées à rester en couple pour des raisons financières.
Le véritable problème ce sont les violences conjugales, y compris d’ordre financier, contre lesquelles le Gouvernement se bat au moyen d’outils spécifiques, renforcés à un niveau sans précédent pendant le quinquennat.
Par ailleurs, nous maintenons que cette mesure remettrait en cause l’ensemble de notre système socio-fiscal, fondé sur une solidarité familiale à laquelle nous tenons. Elle creuserait les inégalités sociales en faisant des perdants parmi les ménages les plus modestes et des gagnants parmi les plus aisés.
Pour rendre l’AAH plus redistributive, nous déposerons un amendement visant à rétablir l’article 3 dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
En outre, nous proposerons dans le projet de loi de finances pour 2022 un nouveau mode de calcul pour l’AAH, qui sera mis en œuvre dès le mois de janvier prochain. En remplaçant l’abattement de 20 % sur les revenus du conjoint par un abattement forfaitaire de 5 000 euros, nous permettrons à 120 000 de nos concitoyens de bénéficier d’une augmentation mensuelle de leur allocation à hauteur de 110 euros en moyenne.
Quant aux personnes sans activité dont le conjoint perçoit le salaire minimum, elles conserveront l’allocation à taux plein. Nous procéderons ainsi à un investissement supplémentaire de 185 millions d’euros.
Mes chers collègues, vous martelez que l’État doit faire des économies et vous nous proposez un texte dont le coût s’élèverait à 750 millions d’euros. Ce n’est pas notre conception du « en même temps ».
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)