Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cet amendement vise à rétablir la possibilité, pour les services de renseignement, d’être destinataires des informations d’identification et de situation administrative de l’individu.
Dans la mesure où le dispositif envisagé a pour objectif le seul suivi des personnes présentant une menace terroriste, ainsi que des troubles psychologiques ou psychiatriques, il nous semble indispensable que les services de renseignement puissent être destinataires de telles informations. Cela permet la prévention des passages à l’acte terroriste des personnes radicalisées présentant de tels troubles.
Ce dispositif s’inscrit dans le cadre de la prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, dans lequel figure la question de la prévention du terrorisme.
L’absence de communication aux services de renseignement pourrait conduire à nuire à cet objectif. Surtout, le dispositif de communication envisagé comporte plusieurs garanties.
Tout d’abord, les finalités de cet échange d’informations sont limitées au seul sujet d’une personne qui présente une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, à raison de sa radicalisation à caractère terroriste.
Ensuite, outre le préfet, la communication se limite à une partie des services de renseignement : les services spécialisés ou « premier cercle », et seuls certains services du second cercle désignés par décret en Conseil d’État.
Enfin, les échanges sont limités dans le temps, dans la mesure où les informations transmises ne peuvent porter sur des faits antérieurs de plus de trois ans à compter de la date de levée de la mesure de soins sans consentement.
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour présenter l’amendement n° 98 rectifié bis.
M. Ludovic Haye. Afin de garantir la finalité de prévention des passages à l’acte terroriste des personnes radicalisées et présentant des troubles psychiatriques, cet amendement à rétablir la faculté d’accès des services du premier cercle, qui sont des services spécialisés, et des seuls services du second cercle, désignés par décret en Conseil d’État, aux informations sur les hospitalisations sans consentement.
Il vise à présenter un certain nombre de garanties, qui viennent d’être développées par Mme la ministre, et le Conseil d’État n’a pas émis de réserves sur l’accès des services de renseignement à ces informations.
En outre, les modalités de cet accès ont été resserrées par l’Assemblée nationale.
M. le président. L’amendement n° 99 rectifié bis, présenté par MM. Haye, Richard, Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
, ainsi que les agents placés sous son autorité qu’il désigne à cette fin
par les mots :
ainsi que ceux des services de renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 du code de la sécurité intérieure désignés à cette fin par un décret en Conseil d’État et qui exercent une mission de renseignement à titre principal
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Il s’agit d’un amendement de repli. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ces dispositions rouvrent les questions suivantes : jusqu’où faut-il aller ? Comment peut-on encadrer pour garantir l’équilibre entre le respect des libertés et du secret professionnel et l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme, notamment s’il s’agit de personnes atteintes de troubles psychiatriques.
Notre collègue Nathalie Goulet a eu tout à fait raison de souligner l’important travail qui a été mené par la commission des lois sur un autre sujet, très lié à notre discussion.
Je ne puis être favorable aux amendements identiques nos 88 et 98 rectifié bis, dans la mesure où le nombre de services autorisés est très large. Or il ne s’agit pas d’un débat anodin. Nous évoquons en effet des notions fondamentales, en particulier l’accès à un certain nombre de données relevant de la psychiatrie.
Pour autant, l’argumentation développée par Mme la ministre et M. Haye est pertinente. Toutefois, j’estime qu’il convient d’en rester aux personnes des services secrets exerçant à titre principal, soit le second cercle exerçant à titre principal. Tel est l’objet de l’amendement de repli n° 99 rectifié bis.
Pour montrer que nous sommes aussi soucieux d’efficacité, je serai favorable à l’amendement de repli de M. Haye et défavorable aux deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 99 rectifié bis ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 88 et 98 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 6 bis
Après le mot : « application », la fin du second alinéa de l’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigée : « des mesures administratives prises en application du présent titre et des dispositifs judiciaires préventifs mis en œuvre aux fins de lutter contre le terrorisme. » – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 6 bis
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 36, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 6 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’efficacité de toutes les lois dites antiterroristes en France depuis la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, ainsi que leurs conséquences sur les libertés et droits fondamentaux.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Avec cet amendement, nous souhaitons, au moment de clore les débats sur la partie de ce texte relative à l’antiterrorisme, poursuivre une réflexion que nous avons avancée dans la discussion générale.
Après plus de trente ans de législations antiterroristes, il est nécessaire de dresser un bilan sérieux des dispositifs à l’œuvre, afin d’évaluer, d’une part, leur efficacité en matière de lutte antiterroriste, et, d’autre part, les conséquences sur les libertés et droits fondamentaux de l’accumulation de ces lois.
Le 9 septembre 1986, voilà maintenant trente ans, la France se dotait de sa première législation en matière de lutte antiterroriste. À l’époque, cette loi instituait un régime dérogatoire au droit commun, en créant un corps spécialisé de magistrats. Depuis lors, de nombreuses réformes ont conduit à la mise en œuvre d’un régime procédural dérogatoire en matière d’enquêtes, ainsi qu’à la création de nouvelles infractions terroristes.
À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le conseil des ministres a adopté un décret déclarant l’état d’urgence. En à peine deux ans, cet état d’urgence a été prorogé six fois, deux de ces prorogations ayant largement renforcé les dispositions de la loi.
La loi relative au renseignement a été adoptée le 24 juillet 2015 et la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, le 3 juillet 2016.
En juillet 2017, le président Macron nous promettait une unique loi sur le sujet, laquelle venait entériner des dispositifs issus directement de l’état d’urgence et de son régime exorbitant du droit commun. Cela se poursuit aujourd’hui avec cette nouvelle loi et ces nouveaux dispositifs.
Ce texte va de nouveau très loin, comme l’ont souligné, dans une note d’alerte, les signataires du réseau Antiterrorisme, droits et libertés : « Le Gouvernement a perdu la boussole des principes de l’État de droit, en se réjouissant de l’hybridation des logiques administratives et judiciaires, et en considérant comme totalement superflu le principe selon lequel on ne saurait priver une personne de sa liberté que sur la base d’une infraction pénale précise, et strictement définie. »
Que l’on partage ou non ces appréciations, nous pouvons tous nous accorder, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, sur la nécessité de faire un bilan.
Il s’agit non pas de produire un rapport, car je sais que le Sénat n’est pas favorable à cette pratique, mais d’évaluer sérieusement trente années de lois antiterroristes. Sont-elles efficaces en matière de lutte antiterroriste ? Quels sont leurs effets s’agissant de l’évolution de notre État de droit ? Le Parlement s’honorerait à mener ce travail à bien.
M. le président. L’amendement n° 92 rectifié, présenté par Mmes Benbassa et Taillé-Polian, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 6 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’efficacité de toutes les lois antiterroristes en France depuis la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, ainsi que leurs conséquences sur les droits et libertés fondamentaux.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Depuis 1986, les gouvernements successifs ont proposé des dizaines de textes dédiés à la lutte contre le terrorisme. Or jamais leur efficacité n’a été évaluée en termes de résultats.
Ces dernières années ont été particulièrement marquées par le déploiement d’un arsenal pénal significatif : loi relative au renseignement, prorogation de l’état d’urgence, loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », loi pour une sécurité globale préservant les libertés, sans parler du présent projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
La question de la sécurité de nos concitoyens mérite d’être portée à la connaissance de chacun dans le débat public, et cela dans un souci de respect de la démocratie et de la transparence.
De plus, dès lors qu’il intègre dans le droit commun des mesures qui suscitent l’inquiétude des associations de défense des libertés publiques, ce texte, tout comme ceux qui l’ont précédé, doit faire l’objet d’une expertise quant à ses conséquences relatives au respect de nos libertés fondamentales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je rappelle à nos collègues que, dans le cadre de la loi SILT, qui n’était pas pérennisée définitivement, des rapports ont été réalisés sous le contrôle du Parlement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Je vous en ai d’ailleurs remis deux.
Une fois que les lois sont votées, il est possible de les évaluer dans le détail et d’obtenir des informations régulières en matière de terrorisme et de renseignement.
Je suis donc défavorable à cette demande de rapport ; je le redis, nous disposons d’autres outils pour répondre à la préoccupation que vous exprimez.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Monsieur le rapporteur, si des rapports ont déjà été remis sur cette question, comme vous le rappelez, c’est bien que de tels documents peuvent être utiles pour établir un état des lieux sur des sujets aussi importants. Pourquoi perdraient-ils maintenant tout intérêt, alors qu’il s’agit d’une problématique qui soulève des interrogations quant à l’évolution de notre État de droit ?
Il serait judicieux de savoir où nous en étions en 1986, afin de mieux cerner dans quel État de droit nous vivions à l’époque et de déterminer dans quel État de droit nous vivons aujourd’hui. Il importe d’évaluer tout cela sérieusement.
Chaque fois que l’on nous propose de nouvelles mesures, on nous annonce qu’elles serviront à lutter contre le terrorisme, mais ces politiques ne sont jamais évaluées.
Sur des questions aussi importantes et aussi fondamentales – ce sont d’ailleurs des sujets sur lesquels le Sénat travaille sérieusement depuis longtemps –, la remise d’un rapport me paraît extrêmement utile, même si, moi non plus, je ne suis pas fan des rapports à tout propos.
Quoi qu’il en soit, même si nous ne votons pas cet amendement, le travail d’évaluation devra absolument être mené.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Monsieur Laurent, pourquoi y a-t-il eu des rapports sur la loi SILT ? Tout simplement parce qu’elle n’était pas définitive : une expérimentation était prévue afin de déterminer si elle devait ou non être pérennisée. Pour reprendre les mots du président Bas, comme dans le film Mission impossible, la loi SILT pouvait s’autodétruire à la fin.
C’est le rapport d’évaluation qui nous a permis de savoir si nous voulions ou non aller plus loin, chacun défendant bien sûr sa position sur ce point.
En tout état de cause, je suis d’accord avec vous, il est nécessaire de disposer d’évaluations, mais pas sous la forme d’un rapport.
D’une part, vous le savez parfaitement, les rapporteurs ont, après le vote de chaque loi, la mission de contrôler et d’évaluer les dispositifs mis en œuvre. Les rapporteurs de ce projet de loi continueront donc à suivre et à évaluer le parcours de ce texte, naturellement. D’autre part, nos groupes respectifs disposent d’outils et peuvent demander la création d’une mission d’information ou d’une commission d’enquête en cas de besoin ou face à un problème spécifique.
Voilà pourquoi la commission maintient sa position défavorable aux demandes de rapport.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. S’agissant de la lutte contre la radicalisation, nous n’avons jamais obtenu aucune évaluation de l’ensemble des programmes.
En revanche, il y a eu des contrôles continus sur l’état d’urgence et sur la loi SILT. Nous avons également obtenu de haute lutte le rapport budgétaire de politique transversale.
L’orange budgétaire de politique transversale nous donne des évaluations, qui sont notamment liées au financement de l’ensemble des politiques de lutte antiterroriste. Mieux vaudrait le renforcer, d’autant que l’argent demeure la clé d’une bonne partie de nos politiques publiques. Ce document de politique transversale est remarquablement réalisé et éclaire réellement les évaluations desdites politiques.
Je ne voterai donc pas ces amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 92 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Chapitre II
Dispositions relatives au renseignement
Articles additionnels avant l’article 7
M. le président. L’amendement n° 42, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 811-1 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 811-… ainsi rédigé :
« Art. L. 811-…. – Dans le respect du droit et des conventions internationales auxquelles la France est partie, le Premier ministre fixe des orientations relatives aux échanges entre les services spécialisés de renseignement et des services étrangers ou des organismes internationaux. »
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Les échanges de renseignements avec des services étrangers n’ont pas été inclus dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015, ce qui n’est pas étonnant, puisque ce texte suivait des événements terribles.
Ce volet nécessite aujourd’hui d’être abordé et encadré, comme le demandent la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dans son rapport d’activité de 2018, et la délégation parlementaire au renseignement, dans son rapport d’activité 2019-2020.
La prévention des menaces communes auxquelles sont confrontés la France et ses alliés justifie pleinement la nécessité d’une coopération poussée entre les services de renseignement de ces différents pays. Il apparaît donc nécessaire de fixer un cadre à cette activité.
La délégation parlementaire au renseignement avait estimé nécessaire en 2020 que cette réflexion soit lancée dans la perspective de l’examen du présent projet de loi, estimant qu’une réflexion était engagée dès lors que l’absence d’encadrement des échanges de renseignements étrangers pouvait constituer une source de fragilité juridique.
Le Gouvernement s’était alors dit prêt à envisager un cadre réglementaire plus formalisé de ces échanges, notamment pour améliorer les conditions dans lesquelles les contacts avec les services partenaires étrangers sont établis.
Une charte visant à introduire un certain nombre de protocoles dans ces échanges serait en cours de rédaction. Qu’en est-il, madame la ministre ?
Finalement, le projet de loi qui nous a été soumis reste curieusement silencieux sur ce sujet. Aucun débat, par ailleurs, n’a eu lieu à l’Assemblée nationale. Le Président de la République, lors de son discours pour le lancement du Collège du renseignement en Europe, le 5 mars 2019, s’étonnait pourtant que, en France, « les coopérations entre services sont parfois inconnues des décideurs eux-mêmes ».
Nous considérons donc qu’il n’est pas judicieux d’éviter d’aborder cette question, alors que nombre de nos partenaires l’ont fait et ont expressément encadré ces échanges, sans que cela puisse porter atteinte à la règle du tiers service.
Cet amendement vise par ailleurs à traduire les préoccupations et les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous regrettons que la réflexion promise n’ait pu avoir lieu en amont de ce projet de loi. Un véritable débat aurait pourtant été légitime.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement tend à poser la question des échanges avec les services étrangers. C’est un sujet délicat, qui fait l’objet d’un contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Certes, ce point n’est pas intégré dans le projet de loi, hormis dans le fameux article 17 ter, ajouté à l’Assemblée nationale, qui vise à prévoir que la CNCTR pourra rendre un avis sur les échanges d’informations avec les services étrangers quand ils concernent une personne de nationalité française.
En l’état, nous avons souhaité qu’une concertation puisse être menée avec le Gouvernement, pour trouver le meilleur moyen de mieux contrôler ces échanges.
Toute évolution législative paraît à ce stade prématurée, et le président Buffet a émis l’idée que la délégation parlementaire au renseignement pourrait se saisir de ce thème pour trouver des pistes d’évolutions possibles.
Par ailleurs, la définition d’orientations par le Premier ministre ne pose pas de problème. Ce qui pose des difficultés, à la fois juridiques et techniques, c’est qu’elles soient communicables.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Les dispositions des amendements nos 42 et 43 font écho toutes deux à deux décisions très récentes de la Cour européenne des droits de l’homme relatives aux législations britannique et suédoise.
Ces décisions appellent un examen minutieux pour mesurer leur implication sur la loi française, qui est très différente des lois de ces deux pays. La Cour se prononcera dans quelques mois sur notre législation. Il nous semble dès lors prématuré de tirer des conséquences dans notre droit de cette récente jurisprudence, qui ne concerne pas le droit français.
Je souligne, au demeurant, que les dispositions de l’amendement n° 42 n’ont pas de portée normative. Il appartient en tout état de cause au Premier ministre, qui détermine et qui conduit la politique de la Nation, dispose de l’administration et est responsable de la défense nationale, de définir les orientations générales relatives à l’activité des services de renseignement et aux échanges avec leurs partenaires étrangers.
Les dispositions de l’amendement n° 43, quant à elles, posent une double difficulté.
D’une part, cet amendement vise à supprimer la règle dite « du tiers service », garantissant qu’un renseignement reçu d’un service étranger n’est accessible à nul autre qu’à celui qui l’a reçu. Or cette règle est la clé de voûte sans laquelle les services de renseignement ne peuvent développer de partenariat avec les services de renseignement étrangers.
D’autre part, cette disposition n’exclut pas que le rapport annuel à la délégation parlementaire au renseignement, la DPR, relatif aux échanges avec les services étrangers, comporte des informations sur les opérations en cours. Or cela serait directement contraire à la séparation des pouvoirs, comme le rappelle d’ailleurs avec constance le Conseil constitutionnel.
Je suis donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Les amendements de M. Vaugrenard me paraissent plutôt intéressants. On nous dit que ce serait prématuré. J’ai plutôt tendance à croire que c’est urgent !
L’évolution des législations antiterroristes est très rapide dans nombre de pays étrangers. La définition de la lutte antiterroriste est très évolutive selon les pays, voire très extensive dans certains d’entre eux… L’encadrement des coopérations entre services me semble donc au contraire une question extrêmement brûlante.
Je ne sais pas si nous sommes juridiquement mûrs pour avancer, mais, avec ces amendements, M. Vaugrenard a le mérite de pointer la nécessité d’évoluer rapidement sur ces questions.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.
M. Yannick Vaugrenard. Je ferai remarquer à Mme la ministre que je n’ai pas encore défendu l’amendement n° 43, dont nous aurons tout le loisir de discuter ensuite.
En ce qui concerne l’amendement n° 42, j’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la quasi-totalité des pays européens organise aujourd’hui des contrôles a posteriori de ce qui se passe entre leurs propres services et les services étrangers. Les États-Unis, par exemple, ont une commission parlementaire spécifique du renseignement composée uniquement de parlementaires. Celle-ci contrôle a posteriori l’ensemble des informations transmises entre les services américains et les services étrangers.
Il est donc urgent non pas d’attendre, mais d’intervenir, car nous sommes en retard !
De surcroît, nous savons que, après l’arrêt du 25 mai de la Cour européenne des droits de l’homme, la France, pays des droits de l’homme, risquerait d’être condamnée, ce qui serait gênant. N’attendons donc pas et votons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Il est quelque peu étonnant de nous répondre qu’il faut attendre. En effet, c’est un sujet que nous avions déjà évoqué à l’automne dernier, lors de l’examen d’un texte visant à proroger des mesures relatives à la loi SILT et au renseignement, dans le cadre duquel nous avions proposé d’adopter des dispositions pour encadrer certains échanges.
Depuis lors, la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, a rendu un arrêt posant clairement les choses en matière d’encadrement des échanges avec les services étrangers, ce qui soulève deux difficultés.
Tout d’abord, s’il s’agit de transfert d’informations vers l’étranger, il devient nécessaire d’assurer la protection des citoyens français et des personnes qui habitent en France, et d’encadrer cette protection.
Ensuite, a contrario, si les services étrangers alliés ont des informations à nous transmettre qui nous seraient utiles et que nous n’encadrons pas les échanges, il est possible qu’ils ne puissent pas nous les communiquer parce qu’ils sont eux-mêmes soumis à une réglementation ne les autorisant pas à le faire si l’échange n’est pas encadré.
Encadrer l’échange des informations avec les services étrangers est donc une question de sécurité. Attendre d’être allé dans le mur pour légiférer, ce n’est pas sérieux ! Il est absolument indispensable de commencer à le faire, même si c’est compliqué.
Le président de la commission des lois a indiqué qu’il y aurait du travail sur le sujet, mais nous le savions depuis plusieurs mois. Procrastiner plus longtemps mettrait en difficulté nos services, qui pourraient de ne pas recevoir d’informations d’autres pays, faute d’un encadrement suffisant.
M. le président. L’amendement n° 43, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au 4° , les mots : « à l’exclusion » sont remplacés par les mots : « y compris » et les mots :« ou qui pourraient donner connaissance à la commission, directement ou indirectement, de l’identité des sources des services spécialisés de renseignement » sont remplacés par les mots : « dans le cadre des orientations fixées par le Premier ministre » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Elle remet un rapport annuel à la délégation parlementaire au renseignement relatif aux échanges avec les services étrangers. »
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Grâce à cet amendement, qui n’est pas un amendement de repli, le Gouvernement peut encore s’en tirer avec les honneurs…
Il s’agit de disposer d’un rapport – rassurez-vous, mes chers collègues, ce n’est pas un rapport sénatorial ! – faisant état d’un contrôle a posteriori des activités de coopération des services de renseignement français avec les services étrangers.
En effet, la France est en retard sur les autres États occidentaux possédant des services de renseignement reconnus. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique, la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas ou encore la Norvège sont dotés d’un contrôle spécifique, sans que cela nuise à leurs activités de coopération, ni au principe du tiers service.
La CEDH, dans son arrêt Big Brother Watch du 13 septembre 2018, considère d’ailleurs que « le transfert d’informations à des partenaires de renseignement étrangers doit également être soumis à un contrôle indépendant », ce que son arrêt du 25 mai dernier a confirmé plus de trois ans après.
Il apparaîtrait donc judicieux d’étendre les compétences de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui pourra ainsi vérifier le respect des orientations prises par le Premier ministre en la matière.
Il reviendrait à la CNCTR de remettre à la délégation parlementaire au renseignement un rapport annuel sur ces échanges entre les services français et les services étrangers.