M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Barbara Pompili, ministre. À cette heure, et parce que cela me concerne personnellement, je souhaite adresser un petit salut à nos futurs bacheliers qui viennent de terminer l’épreuve de philosophie. Le sujet sur lequel ils devaient travailler était le suivant : « La technique nous libère-t-elle de la nature ? » Voilà que leurs aînés en débattent aussi ! J’ai une pensée pour ma fille dont j’attends des nouvelles… (Sourires.)
Les débats à l’Assemblée nationale ont été passionnés, mais les amendements n’avaient pas été suffisamment préparés en amont. Après le vote à l’Assemblée nationale, de nombreux députés, qu’ils siègent sur les bancs de la majorité ou de l’opposition, tous très soucieux des questions relatives aux moulins, sont venus me faire part de leur satisfaction d’avoir fixé une règle nouvelle, mais aussi de leur crainte d’avoir été trop loin en entérinant une régression environnementale.
En effet, les mesures qui ont été votées à l’Assemblée nationale ne prévoient aucun moyen pour faire les travaux qui s’imposent, en cas de régression environnementale avérée sur un cours d’eau,…
Mme Sophie Primas. Faites inscrire la proposition de loi de Daniel Gremillet à l’ordre du jour !
Mme Barbara Pompili, ministre. … et cela même si personne ne conteste leur nécessité. Les propriétaires devront donc les faire à leurs frais.
Voilà pourquoi les députés sont venus me voir, en espérant que la mesure pourrait être recalibrée lors de l’examen du texte au Sénat. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable l’a fait, en veillant à inscrire clairement dans son texte qu’il ne pouvait plus y avoir de dérasements de seuil « sans l’accord des propriétaires ».
Cela signifie qu’on ne pourra plus enjoindre à aucun propriétaire, de manière un peu brutale, comme cela a parfois été le cas dans certains territoires, de renoncer à son moulin. Cette mesure était attendue depuis très longtemps et nous ne voulons pas revenir dessus. C’est un point très important.
Nous devons cependant veiller à ne pas prendre des mesures qui ne seraient pas équilibrées et qui risqueraient d’avoir pour effet que, là où chacun serait d’accord pour constater une régression environnementale, on ne pourrait pas y remédier.
La médiation est essentielle sur ce point, car certains sujets nécessitent que tous les acteurs puissent échanger. À l’issue des discussions, le propriétaire pourra ainsi être mieux à même d’envisager une solution.
Croyez-vous vraiment qu’il suffise de supprimer la médiation pour arrêter tous les conflits ? Pas du tout ! Cela ne mettra pas fin aux recours.
Nous devons gérer un problème de qualité de l’eau sur certains cours d’eau, mais pas sur tous, heureusement ! L’immense majorité des cours d’eau et des moulins n’est pas concernée par les mesures dont nous parlons.
Il nous faut donc trouver des solutions équilibrées pour répondre à ces cas particuliers. Votre commission a réussi à en proposer une, car elle a pu travailler en évitant la précipitation, contrairement à l’Assemblée nationale. Nous avons eu le temps de faire ce travail, et les sénateurs de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ont apporté d’excellentes contributions pour conserver l’acquis très attendu auquel un certain nombre d’entre vous tient beaucoup, tout en préservant les possibilités de ne pas favoriser la régression environnementale, quand il y en a.
Vous avez voté, avant l’article 1er, une disposition consacrant la nécessité de faire très attention à ne pas favoriser la régression environnementale. Je vous alerte donc, à présent, sur le fait que la proposition de la commission permet d’y veiller. En revanche, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale risque d’entraîner des problèmes sur un certain nombre de cours d’eau, même si celui-ci reste assez réduit.
Je crois fermement qu’il est possible de trouver un chemin de crête. La voie qui y mène ne passe pas par un retour à la rédaction de l’Assemblée nationale. Tel est le point sur lequel je vous alerte.
En revanche, j’entends les inquiétudes qui ont été relayées par M. le rapporteur : si l’article n’est pas voté conforme, qui nous dit qu’en commission mixte paritaire, on ne le supprimera pas tout simplement ?
Je considère que, sur cette question, nous devons faire confiance à l’intelligence collective. Toutefois, la confiance exige des preuves. Donc, en tant que représentante du Gouvernement, présente ici avec Bérangère Abba, je prends l’engagement formel que, en commission mixte paritaire, on ne supprimera pas cet article, et que l’on gardera a minima la version qui a été votée par l’Assemblée nationale. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Si jamais la commission mixte paritaire échoue, ce qui peut arriver, en nouvelle lecture, nous défendrons cette position, et je peux vous garantir que la majorité de l’Assemblée nationale la votera, c’est une évidence !
Au pire, les députés voudront revenir à leur rédaction initiale, mais je ne pense pas qu’ils le feront, puisqu’ils ont constaté les limites de celle-ci.
La rédaction issue des travaux du Sénat sera de toute façon votée. Quand bien même elle ne le serait pas, au pire pour moi, ou au mieux pour vous, on en reviendrait à la rédaction de l’Assemblée nationale.
Par conséquent, vous ne prenez pas de risques à voter ce que la commission a très bien écrit, et qui garantit non seulement la préservation de notre patrimoine, mais aussi la possibilité de sauver des cours d’eau, dont la qualité exige une attention particulière.
Voilà ce que je souhaitais vous dire. Je ne peux pas aller plus loin. Si vous choisissez de « fermer » l’article, en le votant dans la rédaction de l’Assemblée nationale, cela risque de poser un grave problème de régression environnementale.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. J’entends parfaitement ce que Mme la ministre vient d’exprimer. La commission est arrivée à une solution très équilibrée, qui n’était pas facile du tout à mettre par écrit. Malgré les intérêts très contradictoires qui s’expriment au sujet des cours d’eau, on peut parvenir à dégager des convergences.
Figer cet article en votant l’amendement de notre collègue Chevrollier, c’est aller vers de nouveaux soucis. Loin de favoriser l’apaisement et le dialogue, nous irons vers de nouveaux affrontements, car nous braquerons à nouveau les associations, et les recours au niveau européens se multiplieront. Évitons de reprendre le chemin du conflit, et appuyons-nous plutôt sur le travail effectué en commission, car celle-ci a su trouver le bon étiage – c’est le cas de le dire… (Sourires.) Ce n’est pas le moment de remettre trois seaux d’eau dans le nourrain !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Mon intervention sera brève. Je suis très surpris, madame la ministre, que vous preniez ici un engagement au nom de la commission mixte paritaire. Vous avez dit, en effet, prendre l’engagement qu’il n’y aurait aucun problème lors de la commission mixte paritaire.
Je suis confus de devoir rappeler que le Gouvernement ne siège pas dans une commission mixte paritaire. Il n’y a que des parlementaires, madame la ministre.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je veux tout d’abord saluer Ronan Dantec qui a retiré son amendement au profit du texte de la commission. Le débat n’est effectivement pas facile. Il oppose celles et ceux qui veulent mettre un terme à la destruction des barrages et ceux qui disent qu’il ne faut pas le faire. Le sujet est compliqué.
En tant que président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, je considère que l’article 19 bis C n’interdit pas ni n’autorise la destruction des barrages. Il constitue une sorte de compromis qui permet d’assurer la continuité écologique et de ne pas maintenir un barrage ou un moulin qui ne fonctionne plus, ou qui n’a plus d’utilité. Ce point est important dans la décision que nous prendrons et nous devons nous autoriser à prendre un peu de recul.
J’ai bien noté le souhait de Guillaume Chevrollier, et j’en ai longuement discuté avec lui. Cependant, dans l’immédiat, mieux vaut que nous conservions le texte dont nous avons beaucoup discuté en commission. Nous pourrons ainsi ouvrir des perspectives et nous éviterons de figer la situation.
En effet, l’interdiction, si nous la décidons, vaudra partout. Or peut-être que, à un moment donné, il y aura des volontés ou des usages qui dépasseront le cadre environnemental et que nous ne pourrons plus maîtriser.
J’ai bien compris que l’administration pouvait parfois poser problème. Cependant, la rédaction issue des travaux de la commission me semble sage. Elle permet une certaine ouverture, et je souhaite que nous puissions la conserver.
Monsieur Sueur, je ne sais pas ce qui se passera en commission mixte paritaire. Celle-ci ne durera peut-être que trente secondes ou bien cinq heures. Quoi qu’il en soit, j’ai entendu les engagements de Mme la ministre. Sachez, mon cher collègue, que je n’oublierai pas de rappeler les propos qui ont été tenus aujourd’hui par Mme la ministre.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Quelques mots très rapides, car je veux d’autant moins allonger le débat que le mérite de la solution proposée revient aux collègues de la commission, mais je tiens quand même à souligner un point concernant cet amendement que j’aurais volontiers soutenu, puisque Guillaume Chevrollier et ses collègues ont beaucoup travaillé sur ces sujets.
Je ne suis pas un spécialiste des moulins, mais davantage du ferroviaire, des petites lignes et des petites gares que je défends avec passion et conviction, comme le font pour les moulins ceux de mes collègues qui se sont exprimés sur ce sujet.
Nous avons effectivement été sollicités par des propriétaires et par des associations qui défendent les moulins et le patrimoine. Un amendement qui n’a pas été défendu visait aussi le travail mené par les élus et les forces vives au sein des parcs naturels régionaux. Les parcs nationaux ont aussi une histoire et une vocation importante de défense du petit patrimoine.
Compte tenu des arguments développés par le président de la commission et par le rapporteur, je me plierai à leur avis.
Merci également, madame la ministre et madame la secrétaire d’État, pour votre engagement. Un travail de fond a été effectué. Je tiens sincèrement à féliciter mes collègues de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que ceux de la commission des affaires économiques, dont Daniel Gremillet qui est un grand spécialiste de ces questions.
Je me rallierai donc à la position de la commission.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je demande une suspension de séance, monsieur le président.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à douze heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Didier Mandelli, pour explication de vote.
M. Didier Mandelli. J’ai la lourde tâche de tenter de clarifier la position de la commission et celle de la majorité sénatoriale sur cette question sensible.
Mes chers collègues, nous allons vous demander de voter l’amendement n° 510 rectifié bis de Guillaume Chevrollier.
Je remercie le Gouvernement, plus précisément les deux ministres présentes parmi nous ce matin, des engagements formels et fermes qu’il a pu prendre.
Cela étant, en complément de l’adoption de l’amendement de notre collègue, nous souhaitons que la proposition de loi de Daniel Gremillet puisse être inscrite à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. Didier Mandelli. Cela nous permettrait de résoudre toutes les difficultés et d’avoir un débat beaucoup plus approfondi sur un sujet qui nécessite, effectivement, une attention particulière. Je le dis tout en reconnaissant l’efficacité du travail du rapporteur Pascal Martin et tout en ayant conscience des efforts qu’il a dû faire pour en arriver à cette position.
En attendant, j’ai bien conscience que personne ne sera complètement satisfait de cette issue.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 510 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. En conséquence, l’article 19 bis C est ainsi rédigé, et les amendements nos 1418, 2144, 1851 et 967 rectifié bis n’ont plus d’objet.
Article 19 bis D
Le livre Ier du code forestier est ainsi modifié :
1° L’article L. 112-1 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Le 4° est ainsi rédigé :
« 4° La préservation de la qualité des sols forestiers au regard de la biodiversité ainsi que la fixation, notamment en zone de montagne, des sols par la forêt ; »
b) Au 5°, les deux occurrences des mots : « bois et forêts » sont remplacées par les mots : « sols forestiers, bois et forêts » ;
1° bis (nouveau) À la fin du second alinéa de l’article L. 112-2, les mots : « sage gestion économique » sont remplacés par les mots : « gestion durable et multifonctionnelle » ;
2° L’article L. 121-1 est ainsi modifié :
a) La seconde phrase du premier alinéa est complétée par les mots : « et sont conformes aux principes mentionnés au présent article » ;
b) Au deuxième alinéa, après le mot : « État », sont insérés les mots : « , en concertation avec les collectivités territoriales et leurs groupements et en mobilisant les autres parties prenantes, » ;
c) Le 2° est complété par les mots : « afin de contribuer à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 énoncé à l’article L. 100-4 du code de l’énergie » ;
d) Au 3°, après le mot : « biologiques », sont insérés les mots : « , notamment en matière d’essences, » ;
e) Le 4° est complété par les mots : « , en ayant notamment recours à la migration assistée des essences ou à la régénération naturelle » ;
f) Après le 7°, sont insérés des 8° et 9° ainsi rédigés :
« 8° À la promotion de l’utilisation de bois d’œuvre provenant de feuillus ;
« 9° À l’impulsion et au financement de la recherche et à la diffusion des connaissances sur les écosystèmes forestiers, afin d’anticiper les risques et les crises. » ;
g) Les deux premières phrases du dernier alinéa sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « La politique forestière a pour objet d’assurer la gestion durable et la vocation multifonctionnelle, à la fois économique, écologique et sociale, des bois et forêts. » ;
2° bis (nouveau) Après le premier alinéa de l’article L. 121-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’État encourage le déploiement de méthodes et de projets pouvant donner lieu à l’attribution de crédits carbone au titre du label “Bas-Carbone” en faveur des pratiques sylvicoles durables, sur l’ensemble du territoire. » ;
3° La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 121-2-2 est complétée par les mots : « conformément aux principes énoncés à l’article L. 121-1 ».
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. La Convention citoyenne pour le climat a formulé un certain nombre de propositions sur la forêt. Toutefois, peu d’entre elles ont été retenues par le Gouvernement dans son projet de loi. Les interactions entre forêt et changement climatique sont pourtant nombreuses et ont une incidence majeure. Ainsi, la forêt française, l’une des plus grandes et des plus diversifiées d’Europe, atténue le changement climatique en absorbant chaque année plus de 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Elle filtre l’eau, l’air, rafraîchit les températures et abrite un réservoir de biodiversité.
À ces fonctions de séquestration et de stockage de carbone, il faut également ajouter des fonctions de substitution de ce matériau et de cette énergie renouvelable, au regard de matériaux et d’énergies dont le bilan carbone est plus préjudiciable à l’environnement. C’est toute la stratégie de la RE2020.
Ces dernières années, notre forêt a subi de plein fouet les premiers effets du changement climatique : cimes des arbres brûlées à cause des fortes chaleurs, prolifération de parasites et d’insectes ravageurs sur quasiment toutes les essences d’arbres, rendues plus vulnérables du fait des sécheresses à répétition, montée du risque d’incendie dans des régions où il était, hier encore, inimaginable.
Face à ces menaces croissantes, la réponse passe par davantage de pragmatisme local et de multifonctionnalité.
La multifonctionnalité est un concept de gestion forestière qui rencontre un grand succès en France depuis la loi de 2001 d’orientation sur la forêt et qui privilégie la conciliation des enjeux environnementaux, sociaux et économiques de la forêt. Ce n’est pas une mince affaire – il faut le dire – sur le terrain, mais cette gestion a pu se développer au fil du temps grâce, principalement, aux stratégies locales de développement forestier, comme les chartes forestières de territoire, qui sont de précieux outils d’administration des massifs.
La gestion multifonctionnelle française de la forêt repose sur quelques principes simples : le prélèvement du bois pour s’équiper en mobilier ou pour la construction, tout en séquestrant le carbone et en répondant à l’objectif de substitution fixé par la RE2020, par exemple via le recours de plus en plus important aux matériaux biosourcés dans le bâtiment ; la préservation du stockage de carbone dans les sols et de la biodiversité des espaces forestiers par des interventions adaptées ; l’accueil de nos concitoyens dans des forêts publiques, mais aussi très souvent privées, ouvertes aux promeneurs, aménagées et sécurisées. Il faut continuer à encourager et à propager cette politique de gestion au fil du temps – certes souvent long – de la forêt.
Nos collègues députés ont adopté trois articles sur la forêt, que nous avons enrichis en commission des affaires économiques. Nous avons aussi introduit deux nouveaux articles, qui visent à développer le label bas-carbone en forêt et dans les aires protégées, à étendre les paiements pour services environnementaux à la forêt, à préserver la qualité des sols forestiers, notamment face aux pratiques sylvicoles préjudiciables au stockage de carbone et à la biodiversité, à prendre en compte les risques d’incendie émergents dans des territoires jusqu’ici relativement épargnés, avec la faculté pour des maires en quelque sorte « lanceurs d’alerte » d’imposer des obligations en matière de débroussaillement, ou encore à maîtriser les exportations massives de bois d’œuvre, qui risquent d’être préjudiciables à terme à l’approvisionnement de nos propres entreprises et, donc, de nous empêcher d’atteindre les objectifs fixés par la stratégie nationale bas-carbone.
Ainsi amendé, l’article 19 bis D ajuste les grands principes du code forestier en y intégrant les objectifs opérationnels de soutien à l’adaptation et à la résilience des forêts face au changement climatique. Il promeut une forêt multifonctionnelle, source de solutions face à l’ensemble des défis climatiques qui sont devant nous.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Kristina Pluchet, sur l’article.
Mme Kristina Pluchet. Je souhaite concentrer mes propos sur les services écosystémiques rendus par la forêt.
Si la forêt a besoin de s’adapter au dérèglement climatique, elle est elle-même un vecteur majeur de lutte contre celui-ci. Il me semble que, à ce titre, elle a besoin d’un traitement particulier.
Nous sommes confrontés aujourd’hui à l’impérieuse nécessité d’adapter nos politiques de développement pour répondre à l’objectif de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. La forêt joue en la matière un rôle majeur : il est impératif de renforcer sa place et de sécuriser sa bonne gestion pour optimiser ses atouts.
Il est nécessaire que, au-delà des certifications existantes, les services écosystémiques des forêts fassent l’objet d’une reconnaissance officielle en France. Cela passe sans doute par le biais d’une nouvelle certification, qui comblerait les lacunes des précédentes : elle valoriserait davantage une sylviculture mélangée, à couvert continu, dont les effets ne sont plus contestables en termes de performances écosystémiques, à l’inverse de l’exploitation forestière de masse, souvent en monoculture, qui a longtemps prévalu, mais qui ne contribue pas à la fixation durable et massive du carbone. Les chercheurs ont récemment prouvé qu’une forêt gérée en futaie irrégulière stockait six à sept fois plus de carbone dans son sol.
Nos voisins allemands se mobilisent pour une reconnaissance des services écosystémiques de la forêt : le 22 avril dernier, le Bundestag a mandaté les ministères de l’agriculture et de l’environnement pour élaborer et mettre en œuvre un dispositif visant à compenser financièrement ces services rendus par la forêt. Captation et stockage de carbone, filtration de l’eau et réserve en eau, réservoir de biodiversité, espace de bien-être sont autant de services rendus et de services vitaux pour l’équilibre de notre planète. Il faut donc accroître au maximum les capacités de photosynthèse des écosystèmes forestiers.
Le renouvellement forestier et les pratiques sylvicoles vertueuses doivent être promus pour lutter contre le réchauffement climatique. Il n’est par conséquent pas excessif d’envisager une juste rémunération de ces services, en contrepartie de critères exigeants qui valident l’excellente gestion de nos forêts privées et publiques.
Les entreprises envisagent de consacrer une partie de leurs recettes à la rémunération de ces services. Il me paraît important que ces pratiques forestières vertueuses puissent être divulguées, labellisées et rémunérées.
M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, sur l’article.
M. Jérémy Bacchi. Comme l’ont souligné nos collègues députés lors des débats à l’Assemblée nationale, la forêt était la grande absente du projet de loi initial. Il est heureux que le travail parlementaire ait réparé cet oubli, car la forêt française absorbe chaque année près de 20 % des émissions nationales de CO2. Elle rend gratuitement des services inestimables à notre pays et ne reçoit rien, ou presque, en échange.
Pis, depuis plusieurs années, notre forêt est objet de spéculation : elle est devenue une valeur refuge, qui suscite beaucoup d’appétit de la part des investisseurs privés, lesquels n’ont que peu de considération pour l’écosystème forestier, pourtant très fragile. Cela concerne en particulier les massifs de résineux. Ainsi, en les couvrant en monoculture avec des essences comme le Douglas, dont la rentabilité est forte, le risque d’une baisse systématique de l’âge d’exploitabilité des forêts et d’une atteinte à la biodiversité est avéré.
Ce n’est pas pour rien que la Convention citoyenne pour le climat a consacré une large place à la situation des forêts françaises, recommandant notamment de privilégier une gestion forestière sans destruction du couvert forestier, de minimiser la replantation de résineux et de veiller au mélange des variétés d’arbres, de ne pas accroître la récolte de bois, d’interdire les coupes rases dans les vieilles forêts et, surtout, de pérenniser l’existence de l’ONF et d’en augmenter les effectifs. Or, depuis vingt ans, l’État se désengage de la gestion forestière en imposant à l’ONF des contraintes financières disproportionnées et des missions éloignées de sa vocation première.
L’Office, garant du patrimoine forestier public, perd peu à peu son rôle d’acteur pivot, car il dispose de moins de personnel et de temps pour l’entretien des voies et des pièces d’eau, pour le conseil aux élus des communes forestières, pour l’accueil et la sensibilisation du public. Saigné à blanc, il a vu disparaître près de quatre emplois sur dix, soit au total 38 % de ses effectifs, et ce alors même que ces agents sont extrêmement précieux pour la filière bois et jouent un rôle essentiel auprès d’une myriade de petits propriétaires. Il faut conforter l’Office, rassurer les agents, agrandir les parcelles et renoncer à la politique de démantèlement de ce service public fondamental.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, sur l’article.
M. René-Paul Savary. Je voudrais saluer les propos tout à fait réalistes des précédents intervenants et remercier Anne-Catherine Loisier de son action en faveur de la forêt, tant publique que privée.
Mon intervention sera très concrète et complétera celle de mon prédécesseur, puisqu’elle concerne les agents des centres régionaux de la propriété forestière.
Qu’ils émanent des CRPF ou de l’ONF, les acteurs de la forêt ont besoin de conseils. Il importe aujourd’hui de modifier les pratiques et de faire en sorte que la forêt joue le rôle multifonctionnel dont a parlé Mme la rapporteure pour avis. Encore faut-il que ces organismes en aient les moyens. C’est la raison pour laquelle il est important que l’article 19 bis EA introduit par le Sénat soit maintenu : il prévoit de prolonger les codes des bonnes pratiques sylvicoles, véritable moyen pour les petits propriétaires forestiers de connaître les différentes composantes de la forêt.
Des organismes tels que les CRPF ou l’ONF ont besoin de notre soutien. De fait, sans corrélation entre forêts voisines, sans conseils, les mauvaises pratiques se généralisent, car tout n’est pas toujours d’une redoutable évidence.
En outre, l’exploitation forestière implique que l’on trouve un maître d’ouvrage – il existe tout un tas de syndicats ou de coopératives de propriétaires – qui organise et conseille, mais également des maîtres d’œuvre, les experts forestiers. En conséquence, c’est toute une série de bonnes pratiques qu’il faut encourager.
Il est important d’y mettre les moyens, tant pour la forêt publique que privée, de façon à ce que nous puissions réfléchir, de façon connexe, massif forestier par massif forestier. Ce point me paraît essentiel.
Madame la ministre, puisque vous avez la volonté d’agir efficacement, me semble-t-il, je vous remercie de faire en sorte que cet article soit conservé par l’Assemblée nationale.
Autre point important et très concret : la forêt est morcelée. C’est pourquoi un droit de préférence s’y applique : à chaque nouvelle mise en vente d’une parcelle forestière, on offre la possibilité aux propriétaires forestiers voisins de l’acheter en priorité. Sauf que, en règle générale, les ventes concernent plusieurs parcelles, qui ne sont pas forcément les unes à côté des autres. On dénombre alors souvent plus d’une dizaine de propriétaires voisins. Dans ce type de situation, le droit de préférence ne s’exerce plus forcément : s’y substitue un simple droit de publicité qui ne permet pas à ces propriétaires d’être pleinement informés.
Lorsqu’une parcelle, même de plusieurs hectares, est vendue, il suffit que celle-ci comporte quelques mètres carrés de pré, c’est-à-dire une surface qui, même si elle est boisée, est encore classée au cadastre en tant que pré, pour qu’elle soit considérée comme un bien dit « mixte ». Or, dans ce cas, le droit de préférence ne s’applique plus, ce qui nuit à l’efficacité de la lutte contre le morcellement des propriétés forestières. Je veux vous alerter sur ce point, parce qu’il doit être relativement simple de trouver une solution permettant d’empêcher cette fragmentation forestière.