Mme Martine Filleul. Je partage votre constat et votre diagnostic, monsieur le secrétaire d’État. La ville est vraiment un enjeu social, culturel et économique de taille. Néanmoins, vos réponses ne me semblent pas à la hauteur, qu’il s’agisse des sommes engagées ou de l’ingénierie. Le compte n’y est pas !
Pour l’heure, l’ANCT ne permet qu’un accompagnement ponctuel, au coup par coup. J’ai vraiment la nostalgie de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca), qui apportait un soutien pérenne aux collectivités.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan.
M. Bruno Rojouan. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur l’enjeu de la rénovation des centres dans les petites communes.
La problématique de dégradation du bâti était déjà mentionnée dans le rapport d’information du Sénat de 2017. La rénovation est un levier déterminant pour l’attractivité de nos communes, mais elle se heurte à une difficulté majeure, essentiellement d’ordre financier.
Très souvent, les bailleurs et promoteurs font le choix de construire en périphérie, sur un terrain vierge, plutôt que de rénover dans le centre. Mais au fond, comment leur en vouloir ? En raison des caractéristiques du foncier et des éventuelles mauvaises surprises que réserve l’ancien, les travaux de rénovation sont souvent écartés pour leur coût trop élevé et incertain.
Cette réalité se vérifie aisément dans l’Allier, mon département, et plus généralement dans la ruralité, qui ne dispose pas des incitations juridiques et financières pour enclencher cette rénovation, pourtant nécessaire.
Des dispositions ont certes été prises avec les programmes Action cœur de ville ou Petites Villes de demain, mais, pour ne vous donner qu’un exemple, le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de mon département me confiait récemment que les frais de notaire sont multipliés par sept pour la rénovation du foncier bâti en centre-ville, comparativement à la construction en périphérie… Cette charge est dissuasive, autant pour les collectivités que pour les particuliers.
Nous avons tout intérêt à exploiter le levier de la rénovation. Votre gouvernement entend fixer, au travers du projet de loi Climat et résilience, un objectif de zéro artificialisation nette des sols. Donnez aux communes les moyens de le respecter !
Ma question est donc simple, monsieur le secrétaire d’État : comment comptez-vous mieux prendre en compte les spécificités de la ruralité pour permettre aux petites communes de restructurer leurs centres-bourgs grâce à des dispositifs plus favorables ? (M. Yves Bouloux applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Rojouan, je partage votre avis sur la nécessité d’encourager au maximum la rénovation des centres-bourgs, un objectif qui se trouve à la croisée de tous les enjeux du moment. Elle présente une dimension écologique, car il faut limiter l’artificialisation des sols qui porte atteinte à la biodiversité et à nos paysages ; elle permet aussi de revitaliser des centres anciens qui comportent souvent beaucoup de logements vacants, ce qui entraîne la disparition des commerces et des services, et vice-versa…
Le Gouvernement est mobilisé en ce sens depuis quatre ans au travers des programmes de l’ANCT, notamment Petites Villes de demain qui concerne 1 600 communes, dont plus de la moitié a moins de 3 500 habitants. Nous avons aussi lancé les opérations de revitalisation de territoire, qui peuvent bénéficier à l’ensemble des communes d’une intercommunalité et leur permettre d’être éligibles au dispositif Denormandie dans l’ancien, un dispositif d’investissement locatif pour les ménages qui achètent un bien pour le rénover. En avril 2021, 252 ORT avaient été signées, dont 68 pluricommunales, au bénéfice de 411 communes. Par ailleurs, 436 communes supplémentaires ont formulé le souhait de rejoindre le dispositif.
Il convient vraiment, selon moi, de généraliser la signature d’ORT dans les communes rurales. Le programme PVD va y contribuer, de même que le projet de loi 4D, qui devrait permettre de signer plusieurs ORT dans une même intercommunalité, ce qui n’est pas possible aujourd’hui.
Les communes pourront aussi récupérer plus facilement des biens abandonnés en cœur de ville, comme je le disais, pour porter leur rénovation au travers d’établissements fonciers ou de sociétés d’économie mixte (SEM) locales.
De plus, les programmes de l’ANCT permettent d’encourager, avec l’appui de l’ANAH, une véritable stratégie de rénovation des logements qui passe par la mise en place de programmes d’intérêt général ou d’opérations programmées d’amélioration de l’habitat qui visent à mieux financer les travaux de rénovation et à accompagner les ménages à l’échelle d’une intercommunalité ou d’un département.
Les aides à la rénovation thermique sont également renforcées dans le cadre du plan de relance, avec 2 milliards d’euros supplémentaires pour MaPrimeRénov’, et nous avons créé le fonds Friches, doté de 650 millions d’euros, qui permet de financer les déficits d’opération de rénovation dans les cœurs de ville et de bourg.
S’agissant des frais de notaire, je comprends votre remarque, même si ces derniers restent limités. Le marché du logement de ces territoires souffre malheureusement d’une désaffection, les prix d’achat sont donc modérés. Par ailleurs, quand vous procédez à la rénovation globale d’un logement, les frais de notaire sont réduits.
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, je me permets d’inciter vos collaborateurs à écourter quelque peu les éléments de réponse qu’ils vous préparent plutôt que de vous forcer à parler à ce rythme effréné…
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au sein de nos territoires ruraux, les centres-villes ou centres-bourgs sont le cœur battant de nos petites communes. Leur revitalisation est une question de survie. Le seul résultat acceptable pour nos concitoyens est de réussir à redynamiser structurellement la ruralité. Dans ce cadre, le programme Petites Villes de demain est un outil clé de transition, au sens large.
La crise que nous traversons – j’ai déjà eu l’occasion de le dire – doit être transformée en accélérateur de toutes les transitions afin de décupler notre capacité d’évolution vers des changements vertueux. C’est d’autant plus vrai en milieu rural, où la vitalité dépendra nécessairement de ces changements. Nous sommes tenus, à cet égard, d’élaborer des stratégies et des politiques cohérentes.
S’agissant du volet écologique et énergétique de cette redynamisation, l’une des solutions passera, me semble-t-il, par la massification de l’autoconsommation à l’échelle des petites villes.
Dans le Grand Est, en particulier dans l’Aube, des initiatives permettent de déployer des systèmes qui combinent production d’énergie, stockage et interconnexion pour mutualiser la production et la consommation d’énergie verte entre pairs. Grâce à cette alliance entre production d’énergie vertueuse, efficacité énergétique et réseaux intelligents, il est possible d’offrir un surcroît de pouvoir d’achat aux ménages via une réduction de leur facture énergétique. La production excédentaire peut bénéficier, en outre, aux ménages les plus précaires. Cette écocircularité s’intègre à la stratégie de redynamisation, car ses résultats sont à la fois écologiques, économiques et sociaux.
Monsieur le secrétaire d’État, est-il imaginable de systématiser le déploiement de ce type de dispositifs vertueux pour accélérer la revitalisation des centres-bourgs dans les petites communes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Paoli-Gagin, avec les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, nous ne proposons pas une solution générique ou une démarche uniforme. Au contraire, c’est à partir du projet élaboré par les élus, des besoins et des enjeux de chaque territoire que nous définissons collectivement les meilleures réponses opérationnelles à apporter.
L’échange entre pairs sera par ailleurs favorisé au sein du club des Petites Villes de demain, en coconstruction tout au long de ce premier semestre afin qu’il colle au mieux aux besoins des collectivités.
Les premières rencontres nationales digitales organisées le 22 avril dernier ont rassemblé plus de 1200 participants. En 2021, 11 webinaires ont été organisés, mettant en valeur 24 communes PVD et suivis par 2 800 participants. Les outils d’information sont déjà en place, une infolettre mensuelle est adressée à plus de 4 800 personnes et les réseaux sociaux complètent l’offre qui sera présentée à la rentrée pour renforcer les échanges entre pairs autour de clubs thématiques et l’articulation avec les équipes régionales et départementales d’animation.
En ce qui concerne les réseaux d’énergie intelligents, de nombreuses innovations locales démontrent la pertinence de ces approches dans certains territoires. Loin d’être une mesure gadget, ce levier est intéressant, lorsqu’il s’intègre dans une stratégie plus globale. C’est là que le soutien à l’ingénierie prend tout son sens, pour bâtir une stratégie. C’est aussi l’orientation du programme d’investissements d’avenir (PIA) Démonstrateurs de la ville durable, qui soutient les démarches innovantes dans une approche intégrée.
M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, pour la réplique.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Je vous remercie de cette réponse très étayée, monsieur le secrétaire d’État. J’en ferai part aux maires qui m’ont saisie de ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Monsieur le secrétaire d’État, la crise sanitaire et les confinements successifs ont redonné aux villes moyennes une certaine attractivité. Ce constat est bien sûr très positif, car les nouveaux enjeux d’aménagement du territoire appellent à réinvestir nos villes moyennes et nos villages et à désengorger les métropoles.
Mais cet attrait nouveau pour les villes à taille humaine ne remet pas en cause la tendance de fond : une progressive dévitalisation de nombreux centres-villes et centres-bourgs. Cette tendance, à l’œuvre depuis plusieurs années, induit la disparition des commerces, des logements et des services de proximité. Nous saluons bien entendu les plans Action cœur de ville et Petites Villes de demain, lancés en 2018. Ils traitent la surface sans s’attaquer au cœur du problème, mais ils permettent malgré tout de freiner cette tendance générale.
Depuis des décennies, nos petites villes et nos villes moyennes étaient complètement sorties des radars des politiques publiques, contribuant à créer un sentiment d’abandon et de désespérance pour leurs habitants.
Aujourd’hui, nous sommes une majorité à dire stop à ce qui a été le modèle dominant de ces dernières décennies : étalement urbain et anarchie commerciale périphérique. Ce sont les principaux déterminants de la dévitalisation des centres-villes.
Le phénomène s’aggrave avec, depuis quelques années, l’implantation d’entrepôts de e-commerce démesurés, auxquels ne s’applique aucune contrainte particulière.
Oui, le modèle Amazon continue de défigurer nos territoires. Il est destructeur pour le tissu économique et social, pour nos commerces de proximité, pour l’emploi local, la biodiversité et le climat.
L’étude de l’ancien secrétaire d’État au numérique, Mounir Mahjoubi, le souligne : Amazon détruit plus d’emplois qu’il n’en crée. Au moment où la puissance publique investit 5 milliards d’euros sur cinq ans dans le programme Action cœur de ville, le Gouvernement continue de refuser de réguler le secteur du e-commerce. Aucune taxe sur les bénéfices exceptionnels d’Amazon n’a été votée. Quant au moratoire sur les plateformes de commerce en ligne, il a été abandonné…
Rarement le double discours de l’exécutif aura été aussi palpable. Quand le Gouvernement mettra-t-il fin à cette contradiction notoire ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Salmon, tout à l’heure, je suis revenu sur les raisons qui expliquent, sur le long terme, la baisse du commerce de détail. Avouez que celle-ci n’est pas vraiment nouvelle…
Vous relevez aussi, après M. Pointereau, la concurrence du e-commerce. Avec 112 milliards d’euros de chiffre d’affaires, contre 84 milliards d’euros il y a trois ans, le e-commerce représente 13,4 % du commerce de détail en 2021 contre 9,8 % en 2019.
Il est donc primordial de conduire des politiques publiques efficaces qui intègrent cette dimension, comme vous l’avait d’ailleurs dit feu Vanik Berberian, lorsque vous l’aviez interrogé : « Il faut partir de ce qu’est la société aujourd’hui et des nouveaux modes de consommation. »
On l’a vu durant la crise sanitaire : parfois, le commerce digital est aussi une chance. Il a notamment permis à des commerçants de proximité d’élargir leur zone de chalandise.
Nous avons décidé d’accompagner cette évolution dans le cadre des programmes de l’ANCT et du plan de relance, en intégrant une aide de 20 000 euros de la Banque des territoires pour soutenir la création de plateformes digitales locales. Le plan d’aide à la digitalisation des commerces, qui a été lancé en décembre 2020, conforte ces démarches collectives par un soutien individuel.
S’agissant de la régulation du e-commerce, le projet de loi Climat et résilience contient des mesures. Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) pourront définir des secteurs d’implantation privilégiée. L’artificialisation des sols sera également évaluée préalablement à l’implantation d’entrepôts de e-commerce à travers les dossiers liés aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
Je comprends que ces mesures puissent vous paraître insuffisantes, monsieur le sénateur, mais je crois qu’elles répondent vraiment aux besoins d’équilibre de la société sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour la réplique.
M. Daniel Salmon. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État. Mes propos sont toutefois corroborés par le dernier rapport de France Stratégie paru en mars dernier : le e-commerce, Amazon en particulier, détruit de nombreux emplois !
Pourtant, chaque fois que nous interpelons le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, sur le sujet, il désamorce toute velléité de contrôle, en nous parlant de « psychose française sur Amazon »…
Il faut pourtant regarder les choses en face ! On ne peut pas essayer de lutter d’un côté, et presque encourager de l’autre. Nous devons conduire une politique volontariste pour faire en sorte que, demain, l’argent investi dans les centres-villes ne soit pas perdu à cause d’une concurrence complètement déloyale.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà peu, nous étions encore formatés pour concentrer et développer les métropoles – c’était notre logiciel de pensée. Ces dernières années, nous avons constaté, et même soutenu parfois, des transferts massifs d’activités économiques, universitaires ou encore médicales vers nos plus grandes agglomérations, au détriment de nos zones plus « périphériques ».
Ce logiciel de pensée est aujourd’hui bouleversé. De nombreux urbains font part de leur volonté de s’installer en zone rurale ou périurbaine, provoquant une envolée des transactions immobilières.
Le projet de loi Climat et résilience, que le Sénat examinera à partir de la semaine prochaine, pose le principe « zéro artificialisation nette » d’ici à 2050. Un changement de paradigme s’impose à nous : « refaire la ville sur la ville ». La revitalisation des centres-villes et le développement de nos communes périphériques passeront par la densification de nos centralités. Le Gouvernement a bien saisi ces enjeux.
Le dispositif Petites Villes de demain, très apprécié de l’ensemble des élus locaux, fait partie des actions engagées en faveur de nos collectivités. Les services déconcentrés de l’État répondent présents, ils jouent un rôle de facilitateurs, s’adaptant à des réalités territoriales plurielles. Il faut le souligner.
Des montages originaux sont déclinés dans le Finistère, notamment dans le pays des Abers, récemment lauréat de ce dispositif.
Dans ce contexte global, la reconquête des friches constitue un enjeu majeur, notamment pour répondre aux objectifs croisés de maîtrise de l’étalement urbain et de revitalisation. Le déploiement du fonds de recyclage des friches a connu un engouement très important, au point que son enveloppe a été doublée.
Une évaluation des nombreuses externalités positives générées par ce fonds est-elle envisagée ? En fonction de cette évaluation, ne serait-il pas souhaitable de renforcer massivement et prioritairement cet outil ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice, chère Nadège, le plan France Relance a permis la création du fonds Friches, doté de 300 millions d’euros, grâce au retour d’expérience du programme Action cœur de ville. Cela a été l’occasion de mettre en lumière que, dans les 222 villes du programme, des dizaines de projets de requalification lourde étaient prêts à démarrer, mais que, en dépit des aides existantes, ils étaient bloqués, compte tenu de l’atonie des marchés qui fragilisait leur équilibre économique.
Ces requalifications sont indispensables, car elles changent bien souvent le regard porté sur un cœur de ville et lui permettent de retrouver une véritable attractivité. C’est la raison pour laquelle nous avions soutenu, avec Jacqueline Gourault et Emmanuelle Wargon, la création de ce fonds.
Les premiers chiffres provisoires dont je dispose montrent que près de 70 % des projets sont le fait de collectivités engagées dans des programmes de l’ANCT, ce qui correspond à 180 millions d’euros sur les 300 millions d’euros initiaux. Cela a été un véritable succès, avec 1,5 milliard d’euros de projets remontés pour 300 millions d’euros engagés.
Bien entendu, tous les projets n’étaient pas éligibles, mais la dynamique est là. Devant ce succès, le Premier ministre a annoncé un abondement de 350 millions d’euros voilà quelques semaines, et nous réfléchissons – je m’adresse aussi à madame la sénatrice Filleul à qui je n’ai pas pu répondre complètement en deux minutes – à la pérennisation du fonds pour l’après-2022. Des travaux sont en cours à cette fin et je souhaitais apporter cette réponse aux deux sénatrices qui m’ont interrogé sur ce sujet.
Nous avons mis en place un suivi très étroit de l’emploi de ce fonds, qui fera, bien entendu, l’objet d’un bilan. C’est indispensable à la fois pour le pérenniser et, sans doute, pour en améliorer le contenu.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour la réplique.
Mme Nadège Havet. Je veux seulement adresser mes remerciements à M. le secrétaire d’État pour sa réponse.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Mon groupe est de longue date un défenseur passionné des territoires, en particulier des territoires ruraux, et de leurs représentants. Je sais que c’est aussi une préoccupation du Gouvernement et du Président de la République, comme en témoignent les visites organisées ces derniers jours dans nos départements, et dans le mien en particulier, avec des arrêts à Saint-Cirq-Lapopie, Martel et Cahors.
En 2018, le RDSE a été à l’origine de la loi portant création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Celle-ci a pour mission de conseiller et soutenir les collectivités territoriales dans la conception et la mise en œuvre de leurs projets, notamment en matière d’accès aux services publics et de revitalisation commerciale et artisanale des centres-bourgs et des centres-villes.
Le programme Action cœur de ville vise à améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes – 222 ont été retenues –, et à conforter le rôle moteur de ces villes dans le développement du territoire. Il est doté d’un budget de 5 milliards d’euros sur cinq ans.
Par ailleurs, le programme Petites Villes de demain, lancé en octobre dernier, tend à accompagner les projets locaux de revitalisation des villes de moins de 20 000 habitants exerçant un rôle de centralité. Il est, quant à lui, doté d’un budget de 3 milliards d’euros sur six ans, soit jusqu’en 2026.
Toutefois, ces budgets n’apparaissent pas suffisants au regard des enjeux auxquels les acteurs locaux doivent faire face. Déjà en difficulté avant la crise sanitaire, de nombreuses activités de ces villes petites et moyennes ont été affectées par les restrictions. Or cela concerne plus ou moins directement le cadre de vie d’une majorité de la population française.
Dans le cadre du second plan de relance annoncé par le ministre de l’économie, comment le Gouvernement souhaite-t-il renforcer les financements en la matière, pour mieux équilibrer à la fois les moyens des différents programmes et l’enveloppe globale qui leur est destinée ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Monsieur le sénateur Requier, cher Jean-Claude, avec l’Agence nationale de la cohésion des territoires qui a été créé, je le concède bien volontiers, un peu par votre groupe, et les programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain, France Services et Territoires d’industrie, c’est la première fois qu’un gouvernement déploie une action aussi concentrée sur des zones en déprise pour les revitaliser en activant l’intégralité des leviers : la rénovation de l’habitat, la réimplantation des commerces et des services publics, la relocalisation d’activités économiques, notamment industrielles, l’amélioration des espaces publics et du cadre de vie.
Les moyens sont considérables, comme vous l’avez souligné : 5 milliards d’euros pour Action cœur de ville, dont presque la moitié a été engagée à la fin mars 2021, et 50 000 logements rénovés ; 3 milliards d’euros pour le programme Petites Villes de demain, qui vient d’être lancé. Les crédits sont disponibles et ils sont, à l’heure actuelle, très loin d’être tous consommés. L’enjeu, c’est donc d’abord de les engager, bien évidemment, pour éviter de les perdre.
Sans attendre, ils ont été complétés, grâce à France Relance notamment : 2 milliards d’euros pour la rénovation thermique des logements des particuliers via MaPrimeRénov’ ; 60 millions d’euros de fonds de rénovation et de restructuration des locaux d’activité ; 800 millions d’euros de fonds propres et 6 millions d’euros d’ingénierie pour la constitution de 100 foncières en vue de la création de 6 000 commerces d’ici à 2025, sous l’égide de la Banque des territoires ; 650 millions d’euros pour le fonds Friches, dont nous parlions à l’instant. Ce dernier, j’y insiste, permet d’apporter une subvention complémentaire pour des projets qui, en dépit des aides existantes, ne trouvaient pas d’équilibre économique. C’est tout à fait considérable et c’est un changement complet de paradigme par rapport à ce qui pouvait exister, puisqu’il tient compte de l’atonie du marché. Les premiers chiffres provisoires dont je dispose démontrent que 70 % de ces crédits ont bénéficié à des collectivités engagées dans les programmes de l’ANCT. Devant ce succès, il y a eu un surabondement du fonds. Je le répète, les moyens sont là ; l’enjeu, c’est vraiment de les mobiliser.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le secrétaire d’État, alors que le programme Action cœur de ville ne vise que 222 villes moyennes, des centaines de centres-villes et centre-bourgs sont concernés par l’éloignement des commerces et services, la dégradation du logement et le départ de leurs habitants. Les enjeux sont d’autant plus forts aujourd’hui avec l’impact de la crise sanitaire et économique.
Revitaliser implique nécessairement de recréer du lien social, un rapport de proximité entre les citoyens, les élus et l’État, dont la présence doit se faire sentir partout et de manière égale pour toutes et tous.
La métropolisation a fait péricliter des zones de vie au profit de zones périphériques, dénaturant nos paysages et faisant concurrence à nos commerçants. À cela se sont ajoutés la réorganisation et le recul des services de l’État sur l’ensemble du territoire.
En se retirant des territoires les plus ruraux, l’État n’assure plus l’impératif de proximité. Par exemple, depuis 2013, quelque 535 trésoreries et 75 services des impôts ont été supprimés, et 40 % des maternités ont fermé en vingt ans. Dans mon département du Nord, 64 trésoreries supplémentaires devront être fermées d’ici à 2024. Et nous savons tous que les postes supprimés ne sont jamais compensés.
Dans une récente enquête intitulée Les Filles du coin : vivre et grandir en milieu rural, la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy décrit l’impact de l’éloignement et de l’absence des services publics sur les jeunes filles de milieu populaire en zone rurale. Celles-ci se trouvent confrontées à l’injonction sociale au départ vers les métropoles, car, dans leur village, elles ne se sentent pas prioritaires dans les politiques publiques. Que leur répondez-vous ?
Les maisons France Services imposent aux collectivités une prise en charge financière excessive, alors qu’elles assurent de nombreuses démarches de l’administration d’État. Comment justifier de telles inégalités territoriales, conséquences de ce désengagement ?
L’aménagement du territoire est vu comme une politique de soutien aux projets proposés par certains acteurs locaux, en compétition pour obtenir le précieux sésame financier, et non plus comme un réel accompagnement d’ingénierie territoriale. Comment comptez-vous améliorer l’accessibilité et la lisibilité des moyens mis à la disposition des petites collectivités ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Joël Giraud, secrétaire d’État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. Madame la sénatrice Gréaume, vous avez raison de souligner que le programme Action cœur de ville ne concernait que 222 villes moyennes à l’origine, alors que la dévitalisation en touche beaucoup d’autres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle a été créé le programme Petites Villes de demain, qui concerne 1 623 villes à ce jour, réparties sur l’ensemble du territoire. Ces dernières se voient proposer un accompagnement très renforcé sur les thématiques prioritaires pour les élus : sécurité, patrimoine, commerce, habitat.
Finalement, j’ai envie de dire que vous validez notre méthode, celle du partenariat et de l’interministériel. C’est la fin du travail en silo, qui a toujours posé des problèmes en matière de politiques publiques et d’administration.
Sur les fermetures de services publics dans les territoires ruraux, ce gouvernement est quand même à l’origine d’une inflexion – la première depuis de nombreuses années – dans la dynamique de baisse des effectifs dans ces territoires. Cette volonté d’y réarmer l’État a d’ailleurs été réaffirmée par le Premier ministre lors du comité interministériel de la transformation publique (CITP) du 5 février dernier, et elle se manifeste par la création de 2 500 emplois dans les services déconcentrés de l’État, ainsi que par la délocalisation de certains services d’administration centrale.
La réforme de la DGFiP que vous avez évoquée in fine a donné plus de stabilité au service public en sortant d’une logique de baisse au coup par coup pour privilégier des conventions départementales avec engagement de ne pas modifier les implantations durant six ans. Cependant, je vais examiner de plus près les questions de remise des dépôts aux comptables publics dans un certain nombre de secteurs où la confusion entre La Poste et La Banque postale pose parfois quelques problèmes.
Vous m’interrogez également sur la priorité que nous devons donner à la jeunesse, notamment aux jeunes filles, en milieu rural. J’ai justement décidé de m’investir particulièrement sur ces thématiques, qui ne figuraient pas dans l’Agenda rural. La jeunesse y était, mais de manière marginale, et l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les droits des jeunes LGBT en milieu rural étaient absents.
Nous avons donc fait un maximum de choses dans le cadre de cette politique, et je vous rappelle que nous avons créé des volontaires territoriaux en administration (VTA), des étudiants de niveau bac+2 au minimum, qui sont aujourd’hui les collaborateurs des collectivités territoriales dans le monde rural.