M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme Nadège Havet. Pour toutes ces raisons, mon groupe ne votera pas favorablement pour le texte.
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit d’accéder à l’eau potable est inscrit dans la résolution de l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies du 28 juillet 2010 comme un droit fondamental « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Chaque être humain a droit à un approvisionnement en eau potable suffisant pour vivre dans la dignité, à un coût abordable pour les usages personnels et domestiques.
Ne laisser personne de côté, c’est l’esprit du texte examiné aujourd’hui. Son article 2 vise à instaurer un nouvel article dans le code de la santé publique, selon lequel les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale prennent les mesures pour satisfaire gratuitement les besoins élémentaires en eau potable et en assainissement des personnes qui ne disposent pas d’un raccordement au réseau. Ces collectivités sont également tenues d’installer et d’entretenir des équipements de distribution gratuite d’eau potable, des douches gratuites pour celles de plus de 15 000 habitants, ou encore des toilettes publiques gratuites pour les communes de plus de 3 500 habitants.
Le droit à l’eau est déjà inscrit dans notre droit positif, à l’article L. 210-1 du code de l’environnement. La loi Brottes, en 2013, a interdit les coupures d’eau pour les résidences principales en cas de non-paiement des factures, ou encore la réduction du débit d’eau. Toutefois, au quotidien, force est de constater qu’il y a un fossé entre les principes et la réalité, et près de 1 million de Français rencontrent des difficultés à payer leur facture d’eau.
Dans le passé, plusieurs propositions de loi ont tenté, sans succès, de garantir ce droit à l’eau. Celle que nous examinons prévoit la gratuité des premiers mètres cubes et me replonge plusieurs années en arrière. Jeune maire élu à Péret, en 1983, la tarification forfaitaire et bon marché comprenait l’abonnement et cinquante mètres cubes, complétée par une facturation complémentaire pour la consommation au-delà de ce volume. Cette facturation étant par la suite devenue illégale, j’ai dû me résoudre à appliquer une tarification à la consommation dès les premiers mètres cubes, mais également à augmenter le prix de l’eau, car on m’a imposé l’équilibre financier du service.
Aujourd’hui, nous n’avons pas beaucoup progressé à force de politiques de gribouille dans ce domaine, un pas en avant, deux pas en arrière. De très fortes inégalités territoriales persistent, quel que soit le mode de gestion choisi – en régie municipale ou par une société privée en délégation de service public –, et 235 000 Français sont privés d’un accès permanent à l’eau.
Une étude sur le prix de l’eau, publiée en 2018 par UFC-Que Choisir, a passé au crible 1 000 factures de collectivités territoriales représentatives, y compris en zone rurale. Elle révèle des écarts énormes, traduisant parfois des réalités géographiques, mais aussi des dérives en matière de gouvernance de la gestion de l’eau.
Cette question est préoccupante, même si de nombreux services de l’eau sont exemplaires. Les Français ne sont pas égaux face au prix du mètre cube d’eau, qui varie entre 2,68 et 8,46 euros. Ce grand écart frappe aussi la région Sud-Ouest, où la fourchette va de 2,94 à 7,07 euros. Parfois, le prix du mètre cube peut atteindre celui d’une bouteille de vin !
Ce prix du mètre cube n’est pas le seul facteur à prendre en compte. L’accès à l’eau comporte des coûts d’abonnement, de remboursement d’emprunts, de location de compteur ou encore de télérelevé. Ce service est aujourd’hui défini comme un service public industriel et commercial, avec un équilibre financier obligatoire.
On peut souhaiter qu’un jour l’eau soit considérée à l’échelle internationale comme un bien pour tous, et non comme un service industriel et commercial. Il n’empêche qu’il n’y a pas d’eau gratuite, quel que soit le mode de distribution choisi. La proposition de loi prévoit d’ailleurs, à son article 4, de compenser ce coût. Si l’usager ne paie pas, c’est le contribuable qui devra payer, à moins de mettre des bassines sur les terrasses et dans les jardins pour récupérer l’eau de pluie.
Nous avons besoin de rationaliser la gouvernance du secteur et de choisir clairement une politique sociale de l’eau ambitieuse et lisible à long terme, sans oublier le contrôle et l’évaluation, absolument indispensables.
C’est pourquoi, même si les membres du groupe du RDSE soutiennent les intentions louables de ses auteurs, ils ne voteront pas la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons se propose de rendre effectif le « droit à l’eau » par la mise en œuvre de deux mesures concrètes : premièrement, l’installation dans l’espace public par les communes et les EPCI compétents de fontaines, douches et sanitaires à disposition du public ; deuxièmement, l’instauration de la gratuité des premiers mètres cubes d’eau consommés par les ménages.
Le but visé par ce présent texte est tout à fait légitime : l’accès à l’eau, et à une eau de qualité, nécessaire à l’hydratation et à l’hygiène, doit en effet être considéré comme primordial. Il en va de même du droit à l’assainissement. Ce droit a été reconnu par plusieurs textes de droit international et européen. Récemment encore, une directive européenne du 16 décembre 2020 a affirmé le droit de tous à l’eau potable, fixé de nouvelles exigences de qualité et prévu également des mesures d’information du public sur l’eau qu’il consomme.
En France, le législateur a consacré dans la loi du 30 décembre 2006 « le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Pour rendre ce droit effectif, des mesures destinées aux ménages ayant du mal à régler leurs factures d’eau ont été mises en place.
Premièrement, la loi du 7 février 2011 permet aux collectivités et EPCI compétents de verser des subventions au Fonds de solidarité pour le logement afin de financer des aides versées en cas de cumul d’impayés. Par ailleurs, les impayés ne donnent plus lieu à une coupure d’eau, comme cela était le cas auparavant.
Deuxièmement, le législateur a introduit en 2013 la possibilité pour des collectivités de mettre en place une tarification sociale de l’eau à titre expérimental.
Enfin, la loi Engagement et proximité de 2019 a élargi cette faculté à l’ensemble des collectivités. La tarification sociale inscrite par le législateur dans le code général des collectivités territoriales – il faut le souligner – offre beaucoup de latitude aux conseils municipaux et communautaires en ce qui concerne les modalités d’application. Les élus locaux peuvent choisir entre des tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, l’attribution d’une aide au paiement des factures d’eau ou encore une aide à l’accès à l’eau.
On constate que l’instauration d’une aide préventive réclamée par le présent texte est déjà possible pour les collectivités qui le souhaitent. Par exception, la tarification sociale peut-être financée sur le budget général, à condition de ne pas dépasser 2 % du budget spécialisé « eau ».
Une proposition de loi semblable dans ses objectifs à celle que nous examinons aujourd’hui avait été votée par les députés en 2016, mais elle n’avait pas convaincu les sénateurs. Hélas, à l’instar de la proposition de loi de 2016, le texte que nous examinons présente à notre avis d’importants défauts.
En ce qui concerne la gratuité de l’eau potable nécessaire aux besoins élémentaires prévue par l’article 1er, plusieurs questions se posent.
Premièrement, quelle serait l’articulation de cette gratuité avec la tarification sociale inscrite dans la loi et déjà mise en place dans de nombreuses communes ? La présente proposition de loi ne mentionne ni ces aides existantes ni leur articulation avec la gratuité qu’elle prévoit d’instaurer. La superposition de ces deux dispositifs d’aide ne nous paraît ni d’une grande efficacité ni d’une grande lisibilité pour nos concitoyens.
Deuxièmement, se pose la question du financement. L’eau et l’assainissement doivent faire l’objet de budgets annexes, « étanches » – si j’ose dire – par rapport au budget général des collectivités et de leurs EPCI, sauf exception, comme celle qui est prévue par la loi Engagement et proximité que j’ai évoquée. L’absence d’étude d’impact ainsi que l’imprécision quant à la quantité d’eau concernée ne permettent pas d’avoir une idée précise du manque à gagner que les gestionnaires de service public d’eau devront combler.
De plus, la dotation globale de fonctionnement ne peut abonder ces budgets « eau » et « assainissement ». Dès lors, quoi qu’en dise l’article 4 du présent texte, il ne fait guère de doute que la gratuité instaurée créera un manque à gagner que les collectivités gestionnaires devront compenser par une augmentation de la facture d’eau des usagers.
J’en viens à la deuxième mesure proposée dans ce texte. L’article 2 prévoit la création de toilettes publiques gratuites dans les communes de plus de 3 500 habitants et de douches gratuites dans les communes de plus de 15 000 habitants. Le financement de ces installations repose sur les municipalités et les EPCI compétents.
Je déplore l’absence d’information, tant sur le nombre actuel de ces installations dans les communes concernées que sur les besoins estimés des populations pour ce genre d’infrastructures. Il est ainsi difficile d’évaluer l’effort financier à réaliser. Au fond, ne serait-il pas préférable de faire confiance à l’échelon local pour satisfaire les besoins de sa population en eau dans l’espace public ?
Dans la commune de 1 000 habitants dont j’ai eu l’honneur d’être maire, nous avons déjà des toilettes publiques gratuites et accessibles aux handicapés. Je connais de nombreuses communes d’une taille inférieure au seuil retenu par la présente proposition de loi qui ont fait de même sans qu’il soit besoin de légiférer.
Comme l’avait fait le groupe Union Centriste lors de l’examen du présent texte en 2017, je déplore que les outre-mer, où la question de l’eau et de l’assainissement est si différente de la métropole, ne bénéficient pas d’un régime adapté à leurs spécificités dans le présent texte. Autre regret : l’absence de mesures d’information et de sensibilisation à destination du public, notamment des plus jeunes, autour de l’eau et de l’assainissement.
Mes chers collègues, du fait des raisons que j’ai évoquées précédemment, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte. Nous estimons que la législation actuelle assure en grande partie l’effectivité du droit à l’eau de l’ensemble de nos concitoyens et présente de plus l’avantage de laisser aux élus locaux une liberté de choix bienvenue quant aux modalités d’application de la tarification sociale de l’eau.
Des améliorations devront sans doute être envisagées. Il faudrait en premier lieu pouvoir dénombrer mieux que ce n’est le cas aujourd’hui celles et ceux qui ont des difficultés à accéder à l’eau potable et connaître avec plus de précision leurs besoins en eau, tant dans l’espace public que privé. Reste que l’ajout d’un mécanisme préventif supplémentaire, incertain quant à ses conséquences, particulièrement rigide et uniforme dans son application, et qui conduirait inéluctablement à créer un manque à gagner pour les collectivités gestionnaires, ne nous semble pas souhaitable.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Marie-Claude Varaillas et les membres du groupe CRCE de cette proposition de loi, qui nous permet de porter à nouveau dans l’hémicycle la question du droit à l’eau, un droit essentiel quant à l’évolution duquel nous restons, en France, bien timides.
Le droit à l’eau pour tous : posons enfin ce principe universel ! Le texte que nous examinons affirme un droit à l’eau potable et à l’assainissement pour chacun, c’est-à-dire le droit de disposer d’une quantité d’eau qui, chaque jour, permette de répondre aux besoins élémentaires et d’accéder à des équipements pour assurer le minimum d’hygiène et de dignité d’un être humain. Car c’est bien de notre humanité qu’il est question et d’un bien collectif, d’un bien commun indispensable à la vie.
Ce texte prévoit également l’obligation, pour les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, d’assurer l’installation et l’entretien d’équipements permettant la distribution d’eau potable, ainsi que de toilettes et de douches publiques d’accès gratuit en fonction de certains seuils démographiques.
Il fixe enfin la gratuité d’un volume d’eau potable minimum pour l’alimentation et l’hygiène de chaque individu.
Une proposition de loi socialiste visant les mêmes grands principes et soutenue par plusieurs groupes de gauche et du centre avait été examinée dans le cadre d’une niche du groupe écologiste en février 2017. Démantelée article par article par la majorité sénatoriale de l’époque, qui y était opposée, elle n’avait pu aboutir.
Pourtant, depuis 1992, la loi reconnaît la ressource en eau comme faisant partie du patrimoine commun de la Nation. La loi Brottes du 15 avril 2013 a permis l’expérimentation d’une tarification sociale de l’eau pour cinq ans, ouvrant la voie à la définition de tarifs adaptés aux difficultés de certains foyers. Elle prévoyait notamment l’attribution d’aides au paiement des factures d’eau ou d’une aide à l’accès à l’eau. En avril 2018, nos collègues Monique Lubin et Éric Kerrouche déposaient une proposition de loi visant à proroger cette expérimentation.
Nous constatons toutefois que peu de syndicats des eaux ont totalement mis en œuvre le dispositif. Le système de prise en charge de ces besoins en eau pour les individus et les familles en situation de précarité reste complexe et montre ses limites.
Envisager la gratuité de la ressource en eau encadrée par la loi est donc une solution qui pourrait se révéler moins onéreuse que le coût du traitement social actuel. Je vous invite à y réfléchir, mes chers collègues.
Malgré ces dispositions législatives, auxquelles s’ajoute l’interdiction des coupures d’eau et de réduction du débit, le droit à l’eau n’est pas effectivement garanti et ne parvient pas à être consacré pleinement dans notre pays. C’est pourtant avec le soutien de la France qu’il y a plus de dix ans, en juillet 2010, l’assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution reconnaissant le droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme. Certains pays, comme l’Uruguay et la Slovénie, l’ont déjà introduit dans leur Constitution.
Depuis, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que l’accès à l’eau potable est un enjeu majeur en termes de santé, de développement et d’environnement. N’oublions pas que ce droit compte parmi les dix-sept objectifs 2030 de développement durable adoptés par les États membres des Nations unies.
De nombreuses associations, organisations humanitaires, caritatives et environnementales nous interpellent depuis de nombreuses années. La fondation France Libertés et la Coalition Eau en sont les fers de lance.
Dans le monde, 2,2 milliards d’êtres humains ne disposent pas d’accès sécurisé à l’eau potable et 4,2 milliards à l’assainissement. Plus de 2,6 millions de personnes, dont une majorité d’enfants en bas âge, meurent chaque année de maladies liées à la consommation d’une eau impropre.
Dans notre pays, nous avons la chance de disposer d’un système de traitement et d’assainissement de l’eau qui permet à 99 % de nos compatriotes de bénéficier d’un accès à l’eau potable. En 2019, l’OMS estimait pourtant que, en métropole, 1,4 million de Français ne disposaient pas d’un accès direct et sécurisé à l’eau potable.
Par ailleurs, un rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement estime à 143 000 le nombre de personnes sans domicile fixe vivant dans des abris ou des bidonvilles, à environ 208 000 celui de gens du voyage mal logés et à 24 000 celui de personnes hébergées dans des foyers de migrants : autant d’individus concernés par la pauvreté en eau. De plus, 1 million de familles ne sont pas en capacité de régler leur facture d’eau.
Nous ne pouvons ignorer ces chiffres. L’accès à l’eau pour des populations déjà fragilisées et souvent fortement marginalisées est vital, humainement mais aussi socialement. Quelle insertion sociale, scolaire et professionnelle est possible pour ces personnes si ce droit fondamental n’est pas respecté par notre République ? C’est une simple question de dignité et d’égalité.
La crise sanitaire actuelle met en lumière l’importance vitale de l’hygiène pour prévenir et endiguer les maladies. Les autorités recommandent de manière répétée de se laver les mains. Comment répondre à cette exigence quand on est privé d’accès à l’eau ? Garantir à tous un droit à l’eau dans ce contexte, n’est-ce pas aussi nous protéger tous ?
Ceux qui s’opposent à la gratuité de l’eau, vitale et enjeu de santé publique, s’opposeraient-ils aussi à la gratuité des vaccins ? La covid-19 a bousculé nos habitudes, mais aussi nos schémas de gestion des finances publiques et des ressources pour envisager une solidarité, un partage comme cela ne s’était pas produit dans notre pays depuis plusieurs décennies.
L’eau en partage, l’eau accessible à tous, doit être posée comme un principe fondateur et indiscutable de notre vivre ensemble. C’est une ressource vitale, à présent cotée en bourse, sans cesse menacée de financiarisation et objet de spéculations sur un marché qui nie la priorité des besoins humains et ignore la valeur de l’eau pour en fixer le prix : un paradoxe dangereux. « L’eau pour la vie, pas pour le profit », affirmait une tribune publiée dans Libération par 550 organisations et collectifs de la société civile à l’occasion de la journée mondiale de l’eau organisée le 22 mars dernier.
Les enjeux sont majeurs, comme l’illustre le récent et titanesque affrontement Suez-Veolia. Dans la perspective plus globale du réchauffement climatique et des enjeux de développement durable, défendre le principe d’un droit à l’eau est incontournable. Laisserons-nous au marché la gestion et la répartition de l’eau ? Protégeons donc ce bien commun !
Les solutions existent. Affirmer le droit à l’eau potable et à l’assainissement et assurer la mise à disposition d’équipements sanitaires et de distribution d’eau répond aux besoins essentiels d’une population que l’on peut dénombrer. Sur ce fondement, nous le savons, la dépense est acceptable. Contenue et encadrée, elle ne fragiliserait pas les équilibres de gestion de nos collectivités, qu’il faut accompagner.
Il serait envisageable de rendre ce dispositif plus lisible et de permettre aux gestionnaires de l’intégrer dans leur modèle économique, en inscrivant dans la loi ce volume d’eau gratuit afin d’en limiter le coût potentiel et d’agir en respect des règles de recevabilité financière existantes.
Les associations et organisations militantes estiment la quantité d’eau nécessaire à cinq mètres cubes par an pour les besoins vitaux et à quinze mètres cubes pour les besoins élémentaires. Le calcul est donc simple : le mètre cube coûtant 4 euros en moyenne, le financement de quinze mètres cubes représenterait une dépense annuelle de 60 euros. On peut donc prévoir.
La répartition du surcoût se fera à partir de seize mètres cubes et au-delà. Les plus précaires, moins consommateurs, bénéficieraient ainsi de la gratuité de l’eau qui leur est indispensable, tandis que les foyers plus favorisés et aussi plus consommateurs assumeraient collectivement et de façon raisonnablement répartie le coût de cette solidarité. Plus on consomme, plus on paye : dans le contexte actuel, ce principe paraît vertueux. J’ajoute que les gains d’efficacité des réseaux pour éviter les pertes permettraient largement de compenser la gratuité des premiers mètres cubes.
Non, la gratuité n’ouvre pas nécessairement la voie aux abus et à l’augmentation de la consommation. La gratuité des premiers mètres cubes ne menace en aucun cas les compétences des collectivités territoriales en matière d’assainissement collectif et non collectif et n’ouvre pas la voie à la multiplication des installations illégales.
Il faut faire confiance à la population, mais aussi aux collectivités pour instaurer et gérer cet accès à l’eau tout en leur en donnant les moyens. Les accompagner constituerait sans aucun doute un acte politique fort, affirmant le droit à l’eau pour tous, principe de portée universelle lié aux droits humains.
Si nous en avons la volonté, ce principe encadré deviendra un outil précieux pour nos élus locaux confrontés à des situations parfois inextricables aux plans humain et sanitaire face à ceux qui sont privés d’eau. Peut-on accepter que la France, sixième puissance mondiale en 2021, refuse ce droit essentiel aux plus précaires sur le territoire des droits de l’homme ? Il est temps de traduire dans la loi les engagements nationaux et internationaux de notre pays pour le respect des droits fondamentaux de la dignité humaine et de la santé publique et de prendre nos responsabilités pour protéger une ressource essentielle à la vie.
Soutenir cette proposition de loi, c’est affirmer le principe universel du droit à l’eau pour tous, autrement dit, du bien commun. Alors, passons à l’acte ! Ce droit nous concerne tous. Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’une proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste prévoyant la gratuité des premiers mètres cubes, mais également la garantie de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour les populations les plus fragilisées, comme l’exige la récente directive européenne sur l’eau.
L’accès à l’eau et la protection de cette ressource sont l’un des défis majeurs de notre siècle. L’eau est à ce point essentielle qu’elle conditionne tout simplement la vie. Pourtant, comme c’est le cas de l’ensemble des biens communs, les politiques de marchandisation et de libéralisation ont conduit à rendre son accès plus difficile et plus onéreux.
En moyenne, son prix a augmenté de 10 % au cours des dix dernières années, et de manière inégale sur l’ensemble du territoire puisque le prix de l’eau varie dans une fourchette de un à huit. La perte d’ingénierie publique tout comme les regroupements XXL ont poussé les collectivités à déléguer cette compétence, livrant les usagers aux mains des opérateurs privés comme Suez ou Veolia.
Face à cette situation, cette proposition de loi pose un principe simple : si l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit universel, alors, pour la proportion qui est vitale, cet accès doit être gratuit pour toutes et tous et sur l’ensemble du territoire. Il s’agit d’une exigence d’égalité et de solidarité qui découle de nos engagements internationaux tout comme de l’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. Telle est la responsabilité des pouvoirs publics qui, lorsqu’ils reconnaissent un droit constitutionnellement ou législativement, doivent parallèlement créer les conditions de son effectivité.
Alors que selon les associations caritatives, la crise sanitaire a fait basculer dans la pauvreté 1 million de Français, qui s’ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà en dessous du seuil de pauvreté, nous souhaitons, à l’image de l’exigence exprimée par les « gilets jaunes », allier performances écologiques et exigence de justice sociale. Il n’y aura pas de transition écologique réussie sans partage des richesses, du savoir et des pouvoirs. Nous allions donc concrètement protection des biens communs et accès aux droits, en l’occurrence, au droit à l’eau.
Certains nous répondent que nous avons déjà fait beaucoup en interdisant les coupures. C’est un premier pas, mais un droit ne se définit jamais par la négative.
Permettez-moi de revenir sur deux points qui nous paraissent importants.
Au-delà de sa dimension sociale, cette proposition de loi pose une question plus générale, celle de la gestion d’un bien commun. J’ai souvent entendu, lors des interventions des différents orateurs, qu’il fallait faire confiance aux collectivités pour mener les politiques de solidarité. Nous déplorons la baisse continue des dotations qui les contraignent à privatiser les services publics locaux faute de moyens. Pourtant, chers collègues, il faut également entendre l’exigence qui s’exprime dans beaucoup de territoires pour le retour aux régies. Cela s’explique simplement par le constat que, pour protéger les biens communs, les services publics sont bien les outils les plus pertinents et performants.
Par ailleurs, comment ne pas penser aux tentatives monopolistiques en cours entre Suez et Veolia et à leurs conséquences sur les usagers de l’eau, considérés comme de simples réservoirs de profits à venir ? Les pouvoirs publics doivent intervenir pour sortir l’eau de ces politiques de marchandisation à rebours des exigences sociales et environnementales.
Par cette proposition de loi, nous souhaitons donc poser les bases de l’exercice d’un droit universel grâce au levier de la gratuité. Nous élargissons nos exigences à la nécessité de repenser les conditions de la compétence « eau » par les collectivités et le nécessaire soutien par l’État des collectivités qui s’engageraient dans cette voie. M. Darnaud nous a invités à déposer de nouveau des amendements en ce sens dans le cadre de l’examen de la loi 4D. Nous nous y emploierons.
Enfin, nous ne nous félicitons pas de l’OPA hostile de Veolia sur Suez. Il ne s’agit pas d’un accord, mais bien d’une capitulation qui aura des effets graves sur le long terme pour les collectivités, les usagers et les salariés. Il est urgent de constituer un grand service public national de l’eau par la création d’un pôle public réunissant tous les acteurs économiques et garantissant l’égalité du prix de l’eau et l’accès à tous partout sur le territoire national. Cela permettrait de fédérer les acteurs publics aujourd’hui dispersés, de coordonner les investissements publics et privés indispensables et de faire converger les compétences et les savoir-faire. Cet outil au service de la maîtrise publique de l’eau doit permettre une gestion démocratique associant les usagers, les collectivités et tous les acteurs de la filière.
Il s’agit enfin d’une condition indispensable à la défense de l’emploi et des savoir-faire, mais aussi d’un levier indispensable pour garantir une gestion de cette ressource conforme aux ambitions écologiques que doivent porter la France et l’Europe.
Tels sont, mes chers collègues, les quelques éléments que nous souhaitions apporter à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)