Sommaire
Présidence de M. Pierre Laurent
Secrétaires :
M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier.
3. Orientation de l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux. – Discussion et retrait d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi
M. Philippe Dallier, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 8 rectifié bis de M. Christian Bilhac. – Rejet.
Amendement n° 4 rectifié bis de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Rejet.
Amendement n° 10 rectifié de M. Christian Bilhac. – Rejet.
Amendement n° 6 rectifié bis de Mme Vanina Paoli-Gagin. – Rejet.
Rejet, par scrutin public n° 114, de l’article.
Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État
Retrait de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
4. Retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA. – Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi
M. Daniel Chasseing, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
5. Modifications de l’ordre du jour
6. Retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA. – Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Amendement n° 2 rectifié bis de M. René-Paul Savary. – Adoption.
Amendement n° 14 rectifié de Mme Annick Jacquemet. – Retrait.
Amendement n° 12 de Mme Monique Lubin. – Rejet.
Amendement n° 3 rectifié de M. René-Paul Savary. – Retrait.
Amendement n° 4 rectifié bis de M. René-Paul Savary. – Adoption.
Amendement n° 5 rectifié bis de M. René-Paul Savary. – Adoption.
Amendement n° 9 rectifié bis de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Amendement n° 10 rectifié bis de Mme Pascale Gruny. – Retrait.
Adoption de l’article modifié.
M. Daniel Chasseing, rapporteur de la commission des affaires sociales
M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
7. Poursuite de la procédure de ratification du CETA. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public n° 115, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
8. Droit à l’eau. – Discussion et retrait d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi
Clôture de la discussion générale.
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi
Retrait de la proposition de loi.
compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Laurent
vice-président
Secrétaires :
M. Loïc Hervé,
Mme Marie Mercier.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Michel Berson, qui fut sénateur de l’Essonne de 2011 à 2017.
3
Orientation de l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux
Discussion et retrait d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, la discussion de la proposition de loi visant à orienter l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 385, résultat des travaux de la commission n° 502, rapport n° 501).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 30 juillet 1953, le Congrès des États-Unis adoptait le Small Business Act. Il s’agissait, pour l’administration Eisenhower nouvellement installée, d’affirmer une priorité politique forte : placer les petites et moyennes entreprises au cœur du modèle de développement économique et social. Cette initiative a surtout fait de la commande publique un levier d’action stratégique, au service de la souveraineté nationale.
Depuis, les États-Unis n’ont raté aucun virage technologique. Et pour cause : la loi-cadre de 1953 a déployé ses pleins effets sur le temps long. Encore aujourd’hui, l’avance américaine repose pour une large part sur la robustesse de son tissu de PME et d’ETI. Idem en Allemagne, où l’excellence industrielle tient bien plus aux savoir-faire techniques du Mittelstand qu’aux performances financières des grands groupes.
En France, la politique économique n’a jamais mis ce tissu d’entreprises au cœur de ses préoccupations. C’est pourquoi nous n’avons pas su développer sur le plan industriel, grâce à un financement à la juste hauteur, toutes les innovations que notre recherche fondamentale a su révéler sur le plan scientifique. Là se trouvent, me semble-t-il, nombre des raisons de notre décrochage. La crise sanitaire aura au moins eu le mérite de remiser – espérons-le ! – quelques idées fausses qui avaient la vie dure. Je pense ici à la lubie de la « France sans usines », répétée ad nauseam au cours des dernières décennies, une petite musique qui nous intimait que le pays serait plus fort dans la mondialisation s’il se privait de son appareil de production.
Que de temps perdu, que d’innovations manquées, que de virages technologiques ratés à cause de cette doxa ! Nos difficultés à produire des masques, puis notre incapacité à élaborer un vaccin nous ont définitivement convaincus du contraire. C’est heureux, d’une certaine manière, mais ce n’est pas suffisant.
La nécessité de réindustrialiser notre pays fait désormais consensus. Il y va de notre souveraineté nationale, et le Gouvernement a bien pris la mesure de ces enjeux.
Une part importante du plan de relance concourt d’ailleurs à cet objectif, avec notamment la baisse des impôts de production, à hauteur de 10 milliards d’euros par an. Le plan de sauvetage de l’économie, mis en œuvre en début de crise, visait déjà la préservation de notre tissu d’entreprises.
Le groupe Les Indépendants a soutenu cette approche. Sans entreprises, point de reprise ; c’était donc la bonne chose à faire. Mais, ce faisant, nous avons créé un paradoxe économique sans précédent, lequel, avec un peu de recul, apparaît flagrant.
D’une part, nos finances publiques n’ont jamais été aussi dégradées qu’en 2020, avec à la fois une augmentation massive des dépenses et une diminution massive des recettes. Résultat : une hausse spectaculaire de notre endettement public de 20 points de PIB en un an à peine.
D’autre part, l’épargne privée aura bondi de 200 milliards d’euros d’ici à la fin 2021. En cause : la conjonction des mesures de restrictions sanitaires et de soutien à l’économie, les premières ayant pesé sur la consommation des Français, les secondes ayant préservé leurs revenus.
Autrement dit, jamais la dette publique n’a été si élevée ; jamais l’épargne privée n’a été si élevée. Face à ce paradoxe historique, nous devons éviter de percuter deux écueils.
Le premier, c’est de faire nôtre la maxime d’Henri Queuille : « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre… » De nombreuses raisons pourraient en effet nous inciter à ne rien faire : craindre que le risque de l’action ne soit finalement supérieur à celui de l’inaction ; continuer à croire que les acteurs déjà en place font très bien leur travail, et qu’il serait malvenu de remettre en question l’équilibre des choses ; espérer enfin que « la vie d’avant » finira par reprendre son cours, et que tout continuera d’aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Le second écueil, c’est de croire que toutes les solutions aux problèmes seront incubées au 139, rue de Bercy à Paris. Nous voulons tous, au Sénat, que nos politiques économiques soient conçues à destination, mais aussi à partir de nos territoires.
Mes chers collègues, j’ai cru utile d’en passer par cette longue introduction pour vous parler plus précisément de la proposition de loi que je soumets à votre examen.
Ce texte n’est pas un texte de circonstances. Il est le fruit d’une longue réflexion personnelle, nourrie d’expériences professionnelles en France, aux États-Unis et en Asie, et surtout d’échanges avec les vrais faiseurs du terrain. La crise actuelle nous oblige à repenser de façon plus holistique notre avenir économique. Face au défi climatique, les besoins d’investissement sont massifs pour accélérer la transition écologique, et le temps presse.
Car l’inaction climatique coûte plus cher que la prise de mesures fortes, comme l’ont encore récemment confirmé, dans une étude parue à la fin du mois de mars, 738 économistes de l’Institute for Policy Integrity de l’université de New York. Il nous faut redoubler d’efforts.
Je vous propose donc de mobiliser l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, afin de stimuler à la fois la relance économique et la transition écologique, en mode décentralisé. Le dispositif comporte deux volets : d’une part, des ressources ; d’autre part, des dépenses.
Côté ressources, je vous propose d’instaurer un nouveau produit d’épargne réglementée, sur le modèle du livret A. Ce « livret de développement des territoires » doit permettre à tous les Français qui le peuvent et qui le souhaitent de savoir que leur argent contribue à financer la réindustrialisation en stimulant les écosystèmes locaux et les emplois y afférents.
Côté dépenses, je propose que ces fonds souverains constituent de nouvelles ressources d’investissement à la disposition de chaque région qui en ferait la demande, sur son territoire.
Le mécanisme s’appuie donc sur des savoir-faire existants : d’une part, la collecte de l’épargne par le réseau bancaire, qui pourra proposer un nouveau produit, déplafonné, et dont la rémunération dépendra de celle du livret A ; d’autre part, des élus locaux qui utiliseront la commande publique pour stimuler des écosystèmes d’innovation, faire émerger et consolider des « verticales industrielles », en développant des projets d’infrastructures et en déployant des solutions de transition écologique.
Mais cette solution se fonde surtout sur une vision dynamique de la dépense publique, qui stimule le cercle vertueux croissance-emploi. Cette vision s’oppose à une lecture trop comptable, qui ne perçoit l’investissement que comme une dépense.
Les débats en commission ont soulevé d’importantes questions techniques. Elles sont intéressantes et nous allons pouvoir en débattre aujourd’hui.
J’en profite pour remercier M. le rapporteur pour le temps qu’il a bien voulu consacrer à l’étude de ce texte. Je regrette simplement qu’il n’ait pas fait de propositions, arguant tantôt de vices de conception technique, tantôt du si fameux article 40 de la Constitution. En tout état de cause, si j’ai compris ce que vous ne vouliez pas, monsieur le rapporteur, je n’ai toujours pas compris ce que vous vouliez !
Mon collègue Emmanuel Capus vous présentera tout à l’heure plusieurs amendements qui devraient répondre à certaines de vos légitimes craintes en sécurisant le dispositif et en étendant son champ d’application.
Je reviendrai simplement sur le principal argument que vous avez opposé au mécanisme proposé, à savoir son présumé manque d’intérêt pour les collectivités. Les régions qui recourraient au dispositif pourraient emprunter à un taux garanti dans la limite du double du taux du livret A.
Dans le contexte actuel de taux bas, le Gouvernement a fait le choix de fixer le taux du livret A au-dessus du marché, à 0,5 %. Dans le dispositif que je vous propose, les régions pourraient donc emprunter à des taux inférieurs à 1 %.
Or, nous dit-on, les régions se sont financées en 2020, pour leurs crédits à long terme, à un taux moyen de 0,58 % sur les marchés, et les collectivités locales dans leur ensemble à 0,56 %. Nous n’aurions donc nul besoin de solutions alternatives dans le contexte actuel, surtout pas à des taux garantis.
Mais souvent les taux varient, et « bien fol est qui s’y fie »… Selon votre propre source, monsieur le rapporteur – l’Observatoire de la dette des collectivités locales –, les taux étaient en 2018 de 1,10 % et en 2014 de 2,40 %. Le programme de stabilité, présenté hier par le ministre Olivier Dussopt, laisse entendre que Bercy envisage peut-être une remontée des taux.
En outre, la question n’est pas tant de savoir si les régions ont accès, pour financer leurs dépenses courantes, à de l’argent pas cher que de déterminer si, pour des projets innovants d’infrastructures, les acteurs institutionnels en présence proposent des financements abordables, de la dette à taux raisonnable pour rendre économiquement viables des projets gourmands en capitaux – je pense, par exemple, aux infrastructures de transport à l’hydrogène vert. C’est là que le bât blesse, pour les dépenses massives et/ou risquées qui préparent pourtant l’avenir de notre pays.
Je veux être claire : cette proposition de loi ne vise pas à apporter une solution conjoncturelle à un problème conjoncturel ; elle vise précisément à garantir aux collectivités une solution structurelle de financement. Je crois cet outil utile, notamment dans l’hypothèse d’une remontée des taux, dont nous voyons déjà les prémices sur les marchés.
John Fitzgerald Kennedy, le successeur à la Maison-Blanche d’Eisenhower, disait que « le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille ». Vous conviendrez avec moi, mes chers collègues, qu’il vaut mieux travailler à des solutions de financement lorsque les taux sont bas, plutôt que lorsqu’ils sont hauts.
C’est pourquoi je vous invite à adopter cette proposition de loi. Le Sénat aurait tort de la repousser au motif qu’elle ne fonctionnera pas, sans proposer d’alternative.
M. le président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Une part du surcroît d’épargne des Français doit financer les infrastructures. Nous devons relever le double défi de la dette publique et de la dette climatique.
Investissons dans la transition écologique afin d’inventer une croissance durable et renonçons à l’impasse de l’inaction, qui coûtera bien plus cher. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bruno Belin applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je dois dire que je ne goûte guère les propos de Mme Paoli-Gagin.
En tant que rapporteur, mon rôle n’est pas de partir d’une page blanche et de vous livrer ma vision d’hypothétiques fonds souverains régionaux, d’autant que les articles 40 et 45 de la Constitution sont très contraignants. Si vous avez à cet instant des regrets quant à votre texte, ma chère collègue, je vous invite de nouveau à le repenser et à nous en présenter une nouvelle version.
Cela étant dit, la proposition de loi soumise à notre examen prend appui sur deux constats partagés.
Le premier constat tient à la forte croissance de l’épargne des Français sous l’effet des mesures de confinement. Rien que pour 2020, la Banque de France estime le surcroît d’épargne à 110 milliards d’euros, dont plus de 42 milliards sont venus gonfler l’encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire.
Le second constat concerne le besoin de notre pays – État, collectivités locales et entreprises – d’investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.
À mon sens, nous devons toutefois garder en tête deux éléments.
D’une part, ce surplus d’épargne n’a pas vocation à être sanctuarisé : il faut souhaiter que la consommation reparte et que la relance soit au rendez-vous. Nous devrions donc constater une décollecte de cette épargne en sortie de crise.
D’autre part, les ressources collectées sur les livrets d’épargne réglementés ne « dorment » pas, mais sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles. Le livret A, comme vous le savez, permet de financer le logement social et d’accompagner le financement des investissements publics locaux.
À la lecture de son titre, cette proposition de loi m’a semblé une initiative intéressante à deux points de vue.
D’abord, l’objectif de permettre aux Français de donner du sens à leur épargne correspond à une aspiration forte de nos concitoyens, comme en témoigne le développement de nombreux labels d’investissement responsable.
Ensuite, le soutien aux fonds propres des entreprises constitue le principal cheval de bataille pour les accompagner dans la sortie de crise. Nous serons d’accord sur ce point : pour les PME en particulier, un appui au niveau régional est un élément de réponse utile, et je salue à cet égard les initiatives d’ores et déjà prises par plusieurs régions en ce sens, car des dispositifs existent déjà et sont utilisés par nos régions.
L’analyse du dispositif proposé a néanmoins sensiblement modifié mon appréciation initiale : le fonds souverain régional envisagé s’apparente, en réalité, à un simple mécanisme d’emprunt bancaire ouvert aux régions, tandis que la lisibilité de l’utilisation de l’épargne n’est pas plus évidente que pour l’actuel livret A.
Cette épargne serait collectée par le réseau bancaire, puis redistribuée sous forme de prêts, non pas en fonction des montants déposés sur ces livrets dans chacune de nos régions, mais en fonction d’une clé de répartition définie à partir du potentiel financier de chaque région.
Le dispositif s’articule autour de deux axes : la création d’un nouveau livret d’épargne réglementée en constitue la « partie haute » ; l’utilisation des encours collectés par les régions en forme la « partie basse ».
Sur la « partie haute », l’article 1er crée le « livret de développement des territoires », dont les caractéristiques reprennent en partie celles du livret A : une liquidité permanente pour les épargnants, une exonération fiscale et sociale des intérêts perçus et un fléchage de la ressource.
Cependant, deux différences significatives doivent être signalées : la rémunération est majorée au bout de cinq ans, tandis que la garantie de l’État n’est pas prévue. Il en résulte une majoration sensible du coût de la ressource, problématique lorsqu’il sera question d’envisager son utilisation.
Ensuite, 90 % des encours collectés devraient être prêtés aux régions volontaires, en fonction d’une clé de répartition fondée sur leur potentiel financier.
Le mécanisme appelle de ma part deux observations.
La première concerne son coût pour les finances publiques, qualifié de « prohibitif » par le Gouvernement. Deux effets se conjuguent : une exonération ponctuelle des retraits opérés en 2022 sur d’autres produits d’épargne pour abonder le nouveau livret et une dépense fiscale majorée en raison du taux bonifié par rapport au livret A. Pour un encours de 80 milliards d’euros, cela représente tout de même une centaine de millions d’euros par an.
La seconde observation concerne le fonctionnement du dispositif, qui n’est pas opérationnel en l’état. La promesse faite à l’épargnant en termes de liquidité permanente et de rémunération n’est guère compatible avec l’emploi imposé de la ressource. En dépit du fléchage de l’encours du livret de développement des territoires (LDT), aucune centralisation des fonds n’est prévue, ce qui aurait permis de mutualiser les risques et d’optimiser l’usage de la ressource, comme c’est le cas pour le livret A.
Malheureusement, les amendements déposés ne sont pas de nature à répondre à ces difficultés structurelles.
Sur la « partie basse », l’article 4 de la proposition de loi crée dans chaque région et collectivité à statut particulier un « fonds souverain régional », pour reprendre la terminologie employée.
Il convient à ce stade de lever une confusion pour assurer la clarté des débats : la proposition de loi n’institue pas, dans les régions, des fonds souverains au sens où on l’entend généralement, c’est-à-dire des structures ad hoc ayant pour objet principal d’investir dans des actifs.
En premier lieu, ces fonds souverains régionaux ne seraient pas dotés de la personnalité morale, ce qui les rendrait indistincts des régions du point de vue juridique et comptable.
En second lieu, plutôt que d’investir dans des actifs, ils auraient surtout pour fonction de financer les dépenses d’équipement des régions lorsque celles-ci sont compatibles avec les objectifs des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Afin d’alimenter ces fonds, qui ne sont en réalité qu’une nouvelle ligne à leur budget, les régions pourraient mobiliser deux types de financement : d’abord, les ressources versées par les autres collectivités locales qui cofinancent les projets sur lesquels la région intervient ; ensuite, et principalement, une fraction de l’encours du LDT qui serait prêtée par les banques à un taux ne pouvant excéder le double de celui du livret A.
Dans la situation actuelle, le livret A servant un intérêt à 0,5 %, la banque pourrait prêter aux régions jusqu’à un taux de 1 %. Toutefois, au regard du coût de la collecte et de la garantie en termes de liquidité, il est évident que les prêts servis aujourd’hui atteindraient ce niveau de 1 %.
En résumé, ce ne sont pas des fonds souverains qui sont ici créés, mais bien un nouveau mécanisme d’emprunt bancaire au profit des régions afin de financer leurs dépenses d’équipement. Il n’y a là rien de très nouveau…
Cela étant dit, le dispositif proposé me semble présenter trois difficultés.
Premièrement, il introduirait un nouveau produit d’emprunt bancaire pour les régions alors qu’elles n’en ont pas besoin. L’Association des régions de France (ARF), que j’ai auditionnée, assure que ces collectivités n’ont aucun problème d’accès au crédit.
Deuxièmement, compte tenu des conditions de rémunération du LDT, le taux d’emprunt servi aux régions serait proche de 1 %, alors même qu’elles s’endettent actuellement à 0,58 % en moyenne. Je note même, pour l’exemple, que la région Île-de-France vient de lever un emprunt obligataire à taux négatif. Quel intérêt aurait-elle à se tourner vers le dispositif proposé ?
En conséquence, l’utilisation de ce dispositif coûterait cher aux régions, et il y a un risque évident qu’elles n’aient pas recours à cette ressource. Pour les banques, le risque serait ainsi de devoir rémunérer ces LDT sans trouver preneur. Comment un tel système pourrait-il fonctionner ?
Troisièmement, la nomenclature comptable ne permet pas actuellement de rendre compte des ressources et des emplois de ces fonds. Or, selon l’auteur de la proposition de loi, l’un des intérêts du LDT pour l’épargnant devrait être, notamment, de pouvoir constater concrètement l’impact de son placement sur le développement régional. Ce ne serait pas possible en l’état.
Si je n’ai pas été convaincu par le dispositif proposé, j’ai toutefois cherché, ma chère collègue, des pistes d’amélioration.
L’une d’elles aurait été, à mon sens, de constituer de véritables fonds souverains régionaux chargés de mobiliser l’encours du LDT localement, en octroyant des prêts ou en prenant des participations au capital des entreprises.
Outre le fait que les règles de recevabilité financière ne le permettaient pas, la faisabilité et l’opportunité d’un tel dispositif font aussi débat.
Concernant la faisabilité, il aurait fallu doter ces fonds souverains de capitaux propres leur permettant d’assumer leurs missions, ce qui coûterait 3 milliards d’euros aux régions.
Concernant l’opportunité, le droit permet déjà aux régions, en partenariat avec le secteur privé et dans le respect du droit de l’Union européenne, de constituer et de doter des fonds d’investissement ou de prendre des participations directes au capital de sociétés commerciales.
J’ai pu échanger avec les principaux acteurs concernés. Chaque fois, le même constat s’est imposé : le dispositif, tel qu’il est imaginé, ne fonctionne malheureusement pas et, surtout, l’objectif visé ne semble pas répondre aujourd’hui à une carence identifiée, notamment en termes d’accès des régions au crédit.
En conséquence, mes chers collègues, je vous propose de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise économique et sanitaire que nous traversons dessine incontestablement un paysage inédit, modifiant en profondeur les paramètres de notre économie, au premier rang desquels l’épargne des Français, qui, principalement faute de débouchés de consommation, a fait l’objet d’une importante accumulation depuis le premier confinement.
Cette épargne peut être mise au service de la relance de l’économie. Nous partageons tous ce point de vue, me semble-t-il.
Au cours des derniers mois, le Gouvernement a pu constater la pleine mobilisation des élus locaux et nationaux, désireux d’élaborer des solutions novatrices qui permettraient d’orienter ce supplément d’épargne vers nos entreprises pour leur permettre de rebondir plus facilement. Parallèlement, les budgets de l’État et des collectivités locales sont fortement sollicités et de nombreuses idées se font jour sur le thème d’un grand emprunt national.
Pour autant, la réflexion que nous devons porter sur l’épargne doit être menée au regard du contexte macroéconomique singulier dans lequel nous nous trouvons.
La crise que nous traversons n’est pas une crise financière ni même une crise bancaire : le contexte de taux d’intérêt très bas et d’offres de financement abondantes que nous connaissions avant la crise perdure, notamment grâce à l’action résolue de la Banque centrale européenne.
Je souhaite d’abord rappeler que les collectivités territoriales ont abordé cette crise dans une bien meilleure situation que celle qui prévalait au moment de la crise de 2008 et qu’elles bénéficient d’une offre de financement abondante, diversifiée et exceptionnellement peu onéreuse. Le taux moyen auquel les collectivités empruntent s’élevait ainsi en 2019 à 0,71 % et a continué à baisser en 2020 pour s’établir à 0,56 %. Cette tendance semble d’ailleurs se poursuivre sur l’année 2021, d’après les premiers chiffres dont nous disposons.
Dès lors, la très grande majorité des collectivités qui souhaitent, à juste titre, investir pour insuffler un nouveau dynamisme à leur territoire n’ont pas, à ce stade, de difficulté de financement par l’endettement qui les empêcherait d’y parvenir. Les collectivités qui veulent participer à la relance sont donc plus que bienvenues pour développer des projets d’investissement durables, en parallèle de ceux déjà menés par l’État !
Je n’ignore évidemment pas que certaines collectivités ont plus de difficultés que d’autres à se financer. Toutefois, l’épargne du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS), centralisée au sein du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, dans son rôle de financement des territoires, répond déjà aux carences du marché privé pour financer certains besoins très ciblés. Il s’agit notamment du financement de certains projets de très long terme dans les domaines de la rénovation énergétique et des infrastructures.
Au contraire, le mécanisme que cette proposition de loi instaurerait, si elle était adoptée, mettrait à la disposition des collectivités une ressource bien moins intéressante que celles qui sont aujourd’hui à leur disposition.
En effet, le livret envisagé offre à l’épargnant un support parfaitement liquide et dont le capital et la rémunération sont garantis. Ces caractéristiques font de cette ressource une ressource très chère pour les collectivités et assez peu adaptée à l’investissement productif.
Cette ressource est très chère, car il faut rémunérer l’épargnant, à qui un rendement d’au moins 0,5 % est promis, mais aussi les réseaux de distribution et le fonctionnement du dispositif. En conséquence, elle devient bien plus chère qu’un prêt bancaire, par exemple, dont on a vu que les taux étaient historiquement bas.
Cette ressource est également peu adaptée à l’investissement productif, par ailleurs, car on ne peut pas financer les fonds propres des entreprises avec une ressource liquide et dont le capital est garanti. Si un fonds prend des parts dans une entreprise et que celle-ci perd de la valeur, il faudra rembourser l’épargnant, et cette dépense devra être assumée par la collectivité sur ses fonds propres.
Il me semble que nous sommes d’accord pour ne pas créer un tel risque pour les collectivités ni alourdir ainsi leurs charges.
C’est vrai, pendant la crise, les Français ont beaucoup épargné. La Banque de France relève que le taux d’épargne des ménages a dépassé 18 % en 2020, alors qu’il se situait plutôt autour de 14 % les années précédentes.
Une part de cette surépargne a vocation à être dépensée lorsque les possibilités de consommation seront pleinement rétablies.
C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que les Français ont privilégié des supports d’épargne liquide tels que les dépôts à vue ou le livret A. Ainsi, les livrets réglementés ont collecté près de trois fois plus de ressources depuis un an que l’année précédente. Toutefois, une part de cette surépargne ne sera pas résorbée par la consommation. La question se pose et se posera donc de savoir comment en orienter l’usage.
À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite rectifier l’idée, souvent avancée, mais inexacte, selon laquelle cette épargne serait dormante, et qu’elle ne servirait pas l’économie. Ce n’est pas vrai, d’une part, parce que l’épargne déposée par les Français dans les banques contribue au financement de l’économie, et donc, des collectivités et des entreprises par l’intermédiaire du crédit bancaire et, d’autre part, parce que près de 60 % des livrets A et des LDDS sont centralisés au fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations qui finance déjà nombre de projets d’envergure dans les territoires, tels que le logement social, la politique de la ville et les projets d’investissement des collectivités.
En d’autres termes, le produit d’épargne consacré au financement des projets des territoires que la présente proposition de loi prévoit de créer existe déjà, et en quantité très abondante, puisqu’il s’agit du livret A.
Le Gouvernement partage toutefois votre souhait, qui est juste, d’orienter encore davantage l’épargne des Français vers les territoires. Il s’est mobilisé à cette fin dans le cadre de France Relance. Ainsi, Bruno Le Maire a demandé à la Caisse des dépôts et consignations de faire évoluer les conditions de mobilisation de la ressource du fonds d’épargne afin d’encourager le financement du secteur public local et de la transition écologique.
De plus, le lancement, le 19 octobre 2020, du label Relance a permis d’identifier les fonds d’investissement qui s’engagent à mobiliser rapidement des ressources nouvelles pour soutenir les fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises françaises, cotées ou non. Via les supports d’épargne grand public, chaque épargnant peut donc contribuer au soutien de la reprise économique. En contrepartie du label, les fonds labellisés s’astreignent à effectuer un reportage semestriel dans lequel ils identifient la localisation territoriale de leurs investissements dans les PME et entreprises de taille intermédiaire non cotées.
Le premier trimestre d’existence de ce label a été un franc succès puisque, au 1er mars dernier, 147 fonds étaient déjà labellisés, dont une cinquantaine sont accessibles par les fonds d’assurance vie investis en unités de compte, pour un montant total de 13 milliards d’euros d’encours.
Enfin, l’action de l’État, coordonnée avec celle des régions, permettra d’apporter directement des financements en fonds propres aux entreprises. Avec l’appui de la Banque publique d’investissement, l’État abondera à hauteur de 250 millions d’euros des véhicules d’investissement privés, qui, aux côtés des régions, permettront de renforcer le capital des PME. L’abondement de l’État aura un effet de levier sur l’investissement privé, démultipliant l’impact de ces fonds suivant leur stratégie de gestion. Ces fonds privés pourront faire appel à l’épargne privée et être labellisés Relance.
Comme vous pouvez le constater, grâce à France Relance, nous allons plus loin pour affecter efficacement l’épargne des Français au bénéfice du dynamisme économique de nos territoires, ce qui démontre que, si les moyens employés diffèrent, nous partageons – et cela me paraît le plus important – la même ambition. (M. Didier Rambaud applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire exacerbe les inégalités face à l’emploi, la santé ou encore au logement. Les inégalités financières sont particulièrement criantes et, de plus, elles entretiennent ces déséquilibres.
Selon la Banque de France, l’épargne des Français accusait une hausse de plus de 100 milliards d’euros à la fin de 2020, et celle-ci pourrait atteindre 200 milliards à la fin de 2021, soit le double du montant du plan de relance.
Il me paraît important de préciser que toutes et tous ne sont pas à égalité dans la constitution d’une telle épargne. Entre mars et août dernier, 70 % de l’épargne a été réalisée par les 20 % de ménages les plus aisés, alors que la situation des plus modestes s’est au contraire dégradée. Le Conseil d’analyse économique souligne ce double mouvement antagoniste : dans le même temps, les 10 % de ménages les plus modestes ont dû s’endetter pour assumer la diminution de leur rémunération ou, pour plus de 365 000 salariés, la perte de leur emploi.
La proposition de loi nos collègues a le mérite de proposer la mise à disposition de nouvelles ressources pour contribuer à la relance du pays, en permettant aux Français d’en être acteurs tout en donnant des pouvoirs aux élus locaux pour orienter les investissements.
Malgré tout, plusieurs interrogations nous en éloignent. La création d’un tel livret de développement des territoires serait une aubaine pour les plus fortunés qui disposent d’une épargne bien constituée et solide, et qui, de ce fait, sont en capacité de la placer à long terme et de maximiser leurs intérêts. Au vu des exonérations proposées, cette fructification de leur épargne favorise l’optimisation fiscale. À cet égard, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste regrette la défiscalisation des plus-values.
Nous défendons depuis longtemps une participation plus solidaire des plus aisés dans le système d’imposition. Nos nombreuses analyses ont d’ailleurs récemment trouvé un écho au sein du Fonds monétaire international (FMI), qui recommande la mise en place d’une fiscalité provisoire sur les revenus les plus élevés pour répondre aux besoins par la mobilisation de recettes fiscales supplémentaires.
Si nous devons réfléchir à l’utilisation de l’épargne des Français, nous devons aussi envisager la taxation de l’épargne des plus riches sous la forme d’une imposition renforcée des tranches les plus élevées de l’impôt sur le revenu ou d’une contribution exceptionnelle sur la fortune et le patrimoine.
Nous regrettons l’approche régionaliste sous-entendue par les termes de « fonds souverains ». Pourquoi les départements et les communes seraient-ils relégués ? La question se pose d’autant plus que ce mécanisme d’emprunt bancaire présente peu d’intérêt pour les régions – cela a été souligné à juste titre – le taux d’emprunt moyen actuel s’élevant à 0,58 %. En effet, il n’est pas question d’argent frais,…
M. Philippe Dallier, rapporteur. Ni d’argent magique !
M. Pascal Savoldelli. … puisque ces emprunts s’ajouteront à l’endettement des collectivités.
D’autres fonds régionaux existent déjà et permettraient d’orienter le comportement des banques – ce qui, à notre avis, est la véritable difficulté – pour permettre que l’épargne soutienne localement l’emploi et la création de richesses. Cela implique des critères et des conditionnalités précises – qui ne sont pas mis en exergue dans ce texte –, une transparence démocratique sur les investissements réalisés et leurs conséquences économiques, sociales et environnementales.
La proposition formulée par les sénateurs et les sénatrices du groupe communiste républicain citoyen et écologiste de création de fonds régionaux pour l’emploi et la formation s’inscrit dans cette ligne. Les financements bancaires de projets créant ou consolidant des emplois seraient ainsi bonifiés et garantis par les régions.
Le texte que nous examinons nous paraît manquer de clarté quant à son application et à son périmètre. Il laisse une grande liberté aux banques en se superposant maladroitement à l’activité de la Banque des territoires et aux ressources de la Caisse des dépôts, et cela sans centralisation. Il constitue aussi un risque pour le financement du logement social, puisque la création d’un nouveau livret pourrait favoriser une décollecte d’autres livrets qui abondent notamment ce secteur. Je sais qu’un amendement visant à remédier à cette difficulté a été déposé.
Oui, il nous faut mettre à contribution le capital des plus riches dans un impératif de solidarité et de redistribution. Oui, les élus locaux doivent être intégrés à la relance et soutenus financièrement. Toutefois, nous craignons que cette proposition ne permette pas d’atteindre pleinement ces objectifs, et c’est pourquoi nous préférons nous abstenir. (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (M. Michel Canevet applaudit.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 424 milliards d’euros : tel est le chiffre avancé avant-hier dans un quotidien national par Olivier Dussopt pour évaluer la facture globale de la crise sanitaire que nous vivons.
Du sauvetage de l’économie du printemps 2020 au plan de relance qui se déploiera jusqu’en 2022, la puissance publique a mobilisé d’importants moyens financiers pour faire face à la crise du coronavirus.
À l’effet de ces mesures de soutien à l’économie s’est ajouté celui de la récession sur l’encaissement des recettes fiscales. Résultat : la France a quasiment doublé en 2020 le niveau de son déficit et dégradé de près de vingt points le ratio de sa dette publique rapportée à la richesse produite. Dans le même temps, sous l’effet des mesures de restriction et des incertitudes quant à l’évolution de l’épidémie, les Français ont très fortement épargné.
Forte de ce constat paradoxal et animée par le souci de mobiliser davantage de moyens dans cette crise au service de nos territoires, de nos entreprises et de leurs emplois, notre collègue Vanina Paoli-Gagin nous saisit de cette proposition de loi visant à réorienter l’épargne des Français vers l’économie dite réelle.
Je partage pleinement l’idée et l’intention que sous-tend le livret de développement des territoires introduit à l’article 1er de cette proposition de loi, que j’ai d’ailleurs cosignée avec six de mes collègues du groupe Union Centriste.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
Mme Sylvie Vermeillet. Environ 165 milliards d’euros : telle est l’estimation retenue par le gouverneur de la Banque de France de la somme qui serait finalement épargnée par les ménages entre le printemps 2020 et la fin de l’année 2021. D’épargne forcée au sortir du premier confinement de mars 2020, elle est devenue épargne de précaution sanctuarisée dans l’incertitude de 2021. Drainée vers l’investissement productif, elle offre une formidable possibilité de relance.
La capter en intéressant les épargnants par la création de livrets attractifs, puis la mobiliser via la création de fonds souverains régionaux comme le propose notre collègue permettrait d’aller plus loin dans la capacité d’investissement des collectivités locales tout en faisant des Français des acteurs directement associés à l’effort de relance. Autrement dit, ce serait une stratégie « gagnant-gagnant ».
Le groupe Union Centriste partage évidemment les objectifs et l’intention parfaitement louables affichés par notre collègue du groupe Les Indépendants – République et Territoires. Malheureusement, comme l’a rappelé Philippe Dallier dans son rapport, le dispositif tel qu’il est proposé ne conduit pas à créer, au sens où on l’entend habituellement, de véritables fonds souverains régionaux chargés de mobiliser l’épargne en direction du tissu économique local.
Par ailleurs, d’importantes difficultés pratiques ont été mises en évidence par la commission des finances. Compte tenu des conditions de rémunération du nouveau produit d’épargne proposé, les régions se trouveraient exposées à des taux d’emprunt supérieurs à ceux qui leur sont proposés par le marché, ce qui, hélas, réduit considérablement l’intérêt du mécanisme tel qu’il a été conçu.
Une piste d’amélioration fort justement relevée par notre rapporteur serait de constituer d’authentiques fonds souverains régionaux qui permettraient localement aux collectivités d’octroyer des prêts ou de prendre des participations au capital des entreprises. Cela permettrait de financer l’investissement de manière plus pertinente que ce que permettent déjà aujourd’hui plusieurs types de fonds d’investissement régionaux existants. L’obstacle principal à la faisabilité de ce dispositif, outre sa recevabilité financière par voie d’amendement, serait alors la dotation en fonds propres, nécessaire pour que ces fonds d’investissement puissent assumer leurs missions. Mais encore une fois, le ticket d’entrée s’avérerait trop élevé pour bon nombre de collectivités.
Sur ce point, notre collègue Michel Canevet, dont je tiens à saluer la constante sagacité, avait développé, dans trois amendements déclarés irrecevables, une réflexion visant à accroître les ressources potentielles de ces fonds au moyen du mécénat. L’idée mérite réflexion.
Quoi qu’il en soit, les membres du groupe Union Centriste se réjouissent aujourd’hui d’avoir l’occasion de débattre d’un dispositif, qui, bien que non abouti, soulève des réflexions qui méritent de retenir toute notre attention. Le lien entre placement financier, besoin conjoncturel de financement des collectivités et utilisation locale de la ressource doit pouvoir, sur le fond, recueillir l’assentiment de notre Haute Assemblée.
En conclusion, le groupe Union Centriste s’abstiendra sur cette proposition de loi, mais il s’agit d’une abstention bienveillante qui appelle notre collègue à faire preuve de persévérance et le Sénat à retravailler collectivement à un nouveau texte résolument opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrice Joly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin visant à orienter une partie de l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux met en exergue deux constats.
Le premier est que la crise sanitaire que traverse malheureusement notre pays s’est traduite par une hausse historique du taux d’épargne des ménages, liée à la fois à la diminution des possibilités de consommation – c’est ce qu’on appelle parfois l’épargne forcée – et à la montée des incertitudes économiques qui conduit à une épargne de précaution.
La Banque de France estime ainsi à 130 milliards d’euros le surplus d’épargne accumulée par rapport à un scénario sans crise sanitaire. Elle prévoit, d’ici à la fin de 2021, la constitution d’une surépargne de 200 milliards d’euros, soit près de 8 % du PIB. Il s’agit d’une épargne de court terme, déposée sur des comptes courants et les livrets d’épargne réglementée, alors que des supports à échéance plus longue seraient plus adaptés aux besoins de financement de notre pays.
En effet, les fonds propres ou quasi-fonds propres des entreprises constituent le meilleur moyen pour soutenir les entreprises et les accompagner dans la sortie de crise. À cet égard, un appui à l’échelon régional peut constituer un élément de réponse utile, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.
Le second constat concerne les besoins de notre pays et la nécessité pour l’État, nos collectivités locales et nos entreprises, d’investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.
Je partage donc le souhait de créer un fonds qui puisse coordonner les interventions financières des collectivités publiques situées dans le ressort territorial de la région en lien avec tous les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales, afin d’assurer le financement des investissements en faveur de la redynamisation et de l’attractivité de nos territoires, de la réindustrialisation au désenclavement des territoires ruraux, de leur adaptation au changement climatique au développement des mobilités, des infrastructures aux usages numériques. Cette liste – vous en conviendrez – n’est en rien exhaustive.
Toutefois, si nous partageons ces constats et ces aspirations au développement des territoires, nous nous interrogeons quant à l’outil utilisé : le livret de développement des territoires.
En effet, les ressources collectées sur les livrets d’épargne réglementée sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles. Ainsi, comme vous le savez, le livret A finance le logement social.
Dans un contexte de grande tension sur le marché du logement et de paupérisation d’une grande partie de nos concitoyens, on peut donc légitimement s’inquiéter que le LDT proposé concurrence le livret A et risque d’affecter la dynamique de production de logements sociaux.
Par ailleurs, on sait que cette surépargne concerne principalement les ménages aisés. En effet, le Conseil d’analyse économique indique que les 20 % des ménages aux revenus les plus élevés ont réalisé 70 % de l’épargne supplémentaire. L’outil proposé ne répond donc pas au problème majeur de notre société qu’est l’accroissement des inégalités, creuset de la désagrégation sociale et du délitement de la promesse républicaine. Nous devons y remédier, car c’est l’un des grands enjeux actuels.
Le groupe socialiste a d’ailleurs récemment fait des propositions en ce sens. Pourquoi ne pas mobiliser la solidarité des ménages les plus aisés pour cofinancer l’effort exceptionnel de l’État pour lutter contre les conséquences de l’épidémie de covid-19, en instaurant un impôt sur le capital et en supprimant la taxe forfaitaire sur les dividendes ?
La réponse doit être simple et directe, à savoir une taxation exceptionnelle des revenus ayant bénéficié aux foyers les plus riches et aux entreprises dont les profits ont explosé. Cela permettrait de cofinancer les mesures de soutien aux ménages, aux entreprises et aux mouvements associatifs fragilisés par cette crise et de les accompagner dans leur transition vers des pratiques plus durables.
Par ailleurs, on constate dans les territoires, en particulier ruraux, un niveau d’encours de dette très nettement inférieur au montant de l’épargne des acteurs locaux. Il en résulte que, de manière paradoxale, les territoires qui ont un fort besoin d’investissement financent des territoires qui ont un fort niveau d’investissement, de développement et de moyens.
Il y a donc lieu aujourd’hui, en vue de favoriser la cohésion territoriale, de mettre en place des circuits courts en matière de financement. C’est aussi cela, le développement durable.
Dès lors, il pourrait être envisagé d’obliger les banques à investir sur les territoires une part importante des sommes collectées sur ces mêmes territoires. Nous pourrions à cet égard nous inspirer de la loi sur le financement communautaire, qui est un dispositif législatif américain portant sur les relations entre les banques et d’autres grands organismes financiers et les territoires. Cette loi revêt par certains aspects un caractère unique dans la mesure où elle contraint les banques à rendre compte de la politique qu’elles mènent sur les territoires et les incite à prêter aux habitants et aux entreprises les plus fragiles. Elle nous apporte un éclairage sur le potentiel que constitue l’engagement volontariste des banques pour le développement économique et social des territoires en panne de croissance.
À titre d’exemple, en trente-cinq ans, le dispositif a mobilisé plus de 1 400 milliards de dollars de crédits et de services bancaires au bénéfice de territoires et de populations fragiles pour promouvoir le développement local sans impact négatif mesurable sur le bilan des banques.
Vous l’aurez compris, nous sommes tout à fait favorables au renforcement des moyens consacrés aux territoires par la mobilisation de l’épargne locale. Malheureusement, si ce texte pose de bonnes questions, il n’apporte pas de bonne réponse, et nous sommes prêts à y travailler, mais pour l’heure, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la mi-février, notre commission des finances débattait de la mobilisation de l’épargne en faveur de l’économie. Début mars, Bruno Le Maire indiquait que le Gouvernement travaillait à des incitations qui permettraient aux Français de dépenser leur épargne dans l’économie, et donc de participer à la relance économique. Fin mars, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes annonçait le lancement d’un fonds souverain régional pour investir dans des entreprises qui pourraient même collecter l’épargne des Français sous réserve d’un agrément par l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Parlementaires, ministres et élus locaux s’accordent sur la nécessité de mobiliser l’épargne des Français en faveur de la relance. C’est un consensus politique frappé au coin du bon sens. Ce matin, chacun des orateurs qui sont intervenus a partagé ce constat.
Pourtant, on nous dit aujourd’hui que le moment n’est pas bien choisi…
M. Philippe Dallier, rapporteur. Ce n’est pas cela !
M. Emmanuel Capus. … et que le dispositif n’est pas tout à fait bien ficelé. Vous avouerez qu’il y a un décalage entre, d’un côté, des discours très volontaires et, de l’autre, des attitudes très prudentes.
Chers collègues, parlons peu, mais parlons bien. Quels sont les problèmes ? J’en distingue quatre, et nous pouvons les résoudre.
Le premier est relatif à l’intérêt que présente cette proposition pour les collectivités. Le rapporteur a indiqué que le mécanisme financier ne donne pas aujourd’hui accès à des prêts bon marché. C’est peut-être vrai, mais seulement dans le contexte de taux bas que nous connaissons actuellement. Personne ici ne peut garantir que les taux d’intérêt ne remonteront pas à court terme. C’est pourquoi ce dispositif, qui est structurel et non conjoncturel, peut parfaitement s’avérer utile.
Le deuxième problème est relatif au type d’investissements visé. Le rapporteur a indiqué que, si les régions n’ont pas besoin de nouveaux moyens pour financer les infrastructures, prendre des participations dans des entreprises pourrait les intéresser. Sylvie Vermeillet a également évoqué ce point. Dont acte.
Nous proposons donc un amendement tendant à permettre d’abonder des fonds souverains existants ou à créer.
Le troisième problème est la liquidité du livret. On nous indique qu’on ne finance pas des prêts à long terme avec une épargne liquide. Très bien. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas bloquer les dépôts effectués sur les livrets de développement des territoires afin de sécuriser le dispositif ?
M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Plus personne ne souscrira…
M. Emmanuel Capus. Nous proposerons donc un amendement visant à stabiliser le mécanisme sur le plan financier.
Le quatrième problème n’a pas été évoqué directement par le rapporteur, mais certains sénateurs, notamment à gauche, s’en sont chargés pour lui : il a trait au financement du logement social, le mécanisme que nous proposons risquant, nous dit-on, de concurrencer le livret A. Soit.
Soyons très clairs : l’objectif de ce texte n’est pas de remettre en question le financement du logement social. Il est de permettre aux Français qui le veulent et qui le peuvent de participer au financement de la relance autrement qu’en créant de la dette qu’ils finiront par payer de leur impôt, et de le financer au plus proche de chez eux sur leur territoire.
M. Philippe Dallier, rapporteur. C’est aussi de la dette !
M. Emmanuel Capus. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en présentant cette proposition de loi, nous avons pris la responsabilité de proposer une solution concrète plutôt que d’ouvrir un simple débat. Nous faisons confiance au débat parlementaire pour muscler le dispositif. J’espère que vous y participerez. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise sanitaire met à mal notre idéal d’égalité. Cela se reflète tout particulièrement dans la répartition de l’épargne dont il est question dans cette proposition de loi.
Une partie de la population dont la vie professionnelle ne tenait qu’à un fil a subi de plein fouet et sans filtre les conséquences économiques du confinement : les petits indépendants et autoentrepreneurs, les intermittents de l’emploi et les chômeurs déjà privés d’emploi avant la crise.
De l’autre côté, les stables, les détenteurs de capitaux économiques qui ont la chance d’être bien installés ont largement surépargné et constitué par la même occasion un patrimoine financier supplémentaire.
D’après une étude du Conseil d’analyse économique qui a déjà été largement citée, 20 % des ménages aux revenus les plus faibles ont vu leur épargne diminuer, alors que la moitié du surcroît d’épargne a été réalisée par 10 % des ménages les plus aisés. Les inégalités salariales se doublent aujourd’hui de profondes inégalités patrimoniales supplémentaires. Nous estimons qu’il y a donc un enjeu majeur de réforme fiscale. Dans ce contexte, la défiscalisation proposée dans ce texte ne nous paraît pas aller dans le bon sens.
Cependant, la réorientation de l’épargne ou son orientation de manière volontariste, dans la justice, pour préparer l’avenir, nous semble une piste intéressante. De plus, le dispositif proposé a le mérite de doter les territoires de moyens alors qu’ils en manquent cruellement, mais – disons-le – c’est une goutte d’eau si on le rapporte aux baisses des dotations que les collectivités ont subies depuis de nombreuses années.
Pour éviter les écueils qui nous ont menés à la situation que nous connaissons aujourd’hui, il faudrait que ce dispositif favorise le développement d’une société durable et résiliente, non pas seulement au travers des régions, mais de toutes les collectivités.
Si nous notons avec intérêt l’envie de préparer l’avenir, y compris en termes de transition écologique, il nous semble que des garanties devraient être apportées pour que ces crédits soient fléchés vers l’économie sociale et solidaire, sujet qui intéressera sans doute Mme la secrétaire d’État.
Cette proposition de loi est intéressante. De nombreux éléments ont déjà été relevés par mes collègues, notamment les doutes quant à la façon dont ces fonds seraient gérés, le fait qu’ils ne concernent que les régions et le risque éventuel de capter une partie de l’épargne qui est déjà fléchée vers les territoires ou vers le logement social. Malgré son intérêt, ce texte a donc un goût d’inachevé.
En l’absence de garanties relatives au fléchage de ces fonds régionaux vers la transition écologique et la résilience de nos territoires, cette proposition de loi risquerait d’être un simple palliatif à la baisse des dotations des collectivités. De plus, sa mise en œuvre aboutirait finalement à augmenter leur endettement, alors qu’elles auraient besoin d’une augmentation non pas de leurs fonds propres, mais de leurs fonds sans endettement.
Pour autant, la piste proposée par le Gouvernement, qui consiste à attendre que cette épargne permette d’abonder la consommation des plus aisés, ne nous semble pas opportune. Cela constituerait une fuite en avant dans la société de consommation, alors que nous devrions rechercher la sobriété et que les plus aisés sont ceux dont l’empreinte carbone est la plus importante.
Il conviendrait au contraire de réorienter cette épargne par une dynamique fiscale pour permettre la réduction des inégalités. De ce point de vue, la proposition lancée par le Gouvernement de dons intergénérationnels exonérés d’impôts nous paraît aller dans le sens inverse de ce qu’il faut faire.
En revanche, cette proposition de loi contribue utilement à un débat important, et c’est pourquoi nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous le dis d’emblée, si les objectifs du texte sont tout à fait louables, et partagés par nombre d’entre nous dans cet hémicycle, je crois néanmoins que le dispositif prévu n’est pas adapté.
Les deux axes qui servent d’architecture à la proposition de loi ont le mérite d’être intéressants. Il s’agit, d’une part, de créer un nouveau livret d’épargne, d’autre part, d’utiliser la ressource collectée par les régions.
Pour ce qui est, tout d’abord, du nouveau livret d’épargne, la proposition de loi suggère la création d’un livret de développement des territoires qui permettrait de financer des fonds souverains. Celui-ci concurrencerait donc le livret A et, compte tenu du dispositif prévu, la concurrence serait rude.
Les modalités du livret sont en effet très claires, qu’il s’agisse de l’absence de plafonnement de l’encours du livret, de la pluridétention qui est autorisée, ou bien encore de l’exonération totale de prélèvements fiscaux et sociaux pour les sommes versées en 2022. À bien observer ces quelques éléments, chacun peut présager que le livret de développement des territoires sera beaucoup plus attractif que le livret A.
Or cette attractivité risque de diminuer fortement les encours sur le livret A, alors qu’ils servent au financement de la dette de l’État et de l’économie. De plus, avons-nous besoin d’affaiblir le livret A, auquel les Français sont attachés ? Les nombreuses inquiétudes que suscite le livret de développement des territoires sont à mon avis justifiées.
Ensuite, la création de fonds souverains régionaux me paraît également une idée judicieuse. Cependant, encore une fois, le dispositif prévu dans le texte soulève des interrogations, surtout si l’on anticipe ses conséquences.
Le rapporteur, Philippe Dallier, a rappelé à juste titre que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le texte ne crée pas des fonds souverains, mais un nouveau mécanisme d’emprunt bancaire au profit des régions pour financer leurs dépenses d’équipement. Or les régions n’ont pas de difficulté pour accéder au crédit.
Rappelons aussi que le droit en vigueur permet déjà aux régions de doter des fonds d’investissement. Des dispositifs existent, dans lesquels les régions interviennent dans un cadre précis, avec des partenaires privés et selon des règles fixées par le droit de l’Union européenne.
Enfin, les régions peuvent déjà prendre des participations au sein des sociétés commerciales et accorder des prêts ou des avances remboursables.
Votre amendement n° 5 rectifié bis, madame Paoli-Gagin, vise à ouvrir aux fonds souverains régionaux la possibilité d’investir en fonds propres dans les entreprises. Je partage votre préoccupation, mais le dispositif que vous proposez vient concurrencer celui que le Gouvernement a mis en place pour soutenir les fonds propres des entreprises.
Par ailleurs, le grand rendez-vous de l’investissement productif mené par Amélie de Montchalin,…
M. Didier Rambaud. … puis, à la suite de ces travaux, le projet de sociétés d’investissement à capital variable (Sicav) régionales défendu par Olivier Véran, en 2018, lorsqu’il était député de l’Isère, pour flécher l’épargne vers le tissu des TPE-PME du territoire, ont été des outils précurseurs très utiles. Ils font figure de premières pierres de l’édifice qu’il nous reste encore à bâtir.
Par conséquent, ce que le texte présente comme des fonds régionaux n’a qu’une réalité factice. Ces fonds n’ont pas d’autre intérêt que de récolter les fonds du livret de développement des territoires. Ils ajoutent une nouvelle strate administrative chargée de piloter les investissements publics sans justifier réellement son existence. Autrement dit, ils complexifient l’organisation des régions sans renforcer leur capacité réelle d’investissement.
Force est de constater que la proposition de loi n’atteint pas les objectifs que ses auteurs s’étaient fixés. Une autre conséquence encore plus problématique du texte tient à ce qu’il crée un risque important pour le fonctionnement des investissements régionaux et pour l’équilibre des finances publiques.
En toute cohérence, le groupe RDPI votera contre la proposition de loi. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la bonne utilisation de l’épargne constituée par les Français depuis un an de restrictions liées à la pandémie est un vrai défi. La proposition de loi présentée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin tente légitimement d’y répondre.
En dehors de ce contexte exceptionnel, l’orientation de l’épargne par le marché ou par la puissance publique est toujours un objet de débat. En témoigne le cas de l’assurance vie, dont le niveau d’encours approche les trois quarts du PIB, à plus de 1 700 milliards d’euros, et au sujet duquel se pose de manière récurrente la question des contrats en déshérence, même si des progrès ont été réalisés sur ce point, au cours des dernières années.
Par ailleurs, les épargnants sont souvent soucieux de donner du sens à leurs placements, au-delà d’objectifs de pure sécurité ou de rentabilité financière. Les particuliers se voient ainsi proposer des produits dotés de labels d’investissement responsable ou de développement durable.
Les restrictions liées à la lutte contre l’épidémie de covid-19 ont fortement fait chuter la consommation des ménages depuis un an, ce qui a entraîné, pour un certain nombre d’entre eux, une surépargne. Estimée entre 100 milliards et 120 milliards d’euros en 2020, celle-ci pourrait atteindre 200 milliards d’euros à la fin de 2021. La question se pose donc de trouver les meilleurs moyens de placer et d’utiliser cette épargne supplémentaire.
Je citerai, à titre d’exemple, la proposition de loi déposée l’an dernier par mon collègue Éric Gold, qui prévoyait l’institution d’un grand emprunt national de 50 milliards d’euros pour le financement du système de santé et des autres politiques publiques. Cet emprunt aurait été ouvert à la souscription des particuliers.
La proposition de loi que nous examinons tend à créer un nouvel instrument de financement des politiques régionales, par le biais de fonds souverains régionaux, qui seraient principalement financés par la collecte d’un nouveau produit d’épargne appelé « livret de développement des territoires ».
Ces nouvelles lignes budgétaires serviraient, en particulier, à financer des projets d’infrastructures et à mettre en place un plan de relance décentralisé, complément territorial de l’actuel plan de relance gouvernemental voté en loi de finances.
La commission des finances, qui a examiné le texte il y a deux semaines, s’est montrée particulièrement sévère. En effet, si le dispositif mérite sans doute d’être amélioré, il convient néanmoins de saluer cette initiative, alors qu’il est nécessaire de mobiliser les énergies et les bonnes volontés pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire, dont nous ne sommes pas encore sortis – faut-il le rappeler ?
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. Christian Bilhac. Le nouveau livret de développement territorial aura pour principale caractéristique d’offrir une rémunération de plus en plus intéressante au fil du temps, afin d’inciter les particuliers à y placer leur épargne dans une logique de long terme.
J’ai néanmoins déposé un amendement visant à préserver l’encours du livret A, qui sert à financer le logement social et le renouvellement urbain dans notre pays. Il s’agit, en effet, d’éviter un risque d’éviction vers le livret de développement territorial. Ne pourraient ainsi être retirées d’un livret A que les sommes excédant la moitié du plafond de ce dernier. Il me semble que cette condition est importante pour mettre en place le LDT sans fragiliser le livret A.
En ce qui concerne le périmètre du dispositif, je suis favorable à la possibilité de l’étendre au-delà des régions, afin que les départements, les communes et les intercommunalités puissent en profiter, en bénéficiant de fonds territoriaux au lieu de fonds régionaux.
En conclusion, compte tenu de ces différentes remarques, les membres du RDSE se partageront entre un vote favorable et quelques abstentions. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous avons à débattre part d’un double constat sur lequel tout le monde s’accorde, à savoir un surcroît d’épargne qui s’élève à plus de 100 milliards d’euros, et la nécessité de soutenir l’activité économique de nos entreprises.
M. Emmanuel Capus. Tout à fait !
Mme Christine Lavarde. Malheureusement, un certain nombre d’écueils et de difficultés font que nous ne pourrons pas, en responsabilité, voter ce texte.
M. Emmanuel Capus. C’est dommage !
Mme Christine Lavarde. Tout d’abord, il ne me semble pas que les régions souffrent, aujourd’hui, d’un manque de liquidités pour venir appuyer les entreprises. L’exemple de la région Île-de-France en témoigne, puisque, avant même la crise économique, celle-ci avait créé un fond de régional de garantie. Elle a, depuis lors, également mis en place des prêts rebonds et un fonds de résilience. À ce jour, plus de 10 000 entreprises ont ainsi pu être soutenues, parmi lesquelles figurent surtout des TPE, des PME, des associations, ou encore des acteurs de l’économie sociale et solidaire.
Un autre exemple est celui de la région Normandie, où une multitude d’initiatives ont été prises en faveur des entreprises, parmi lesquelles un prêt de trésorerie covid-19, le dispositif « Prêt impulsion relance plus », un prêt rebond, un fonds d’investissement « Normandie Rebond », une aide aux entreprises qui ont contracté un prêt garanti par l’État (PGE), un fonds régional de garantie, mais aussi de l’investissement direct pour soutenir le tissu économique local.
La question reste de savoir – et c’est celle que posent les auteurs de cette proposition de loi – comment flécher l’épargne des ménages, non pas l’épargne de précaution, mais la surépargne, vers l’économie réelle, c’est-à-dire vers les entreprises.
M. Emmanuel Capus. Exact !
Mme Christine Lavarde. L’idée n’est pas nouvelle puisque, depuis 2004, il existe notamment le dispositif du plan d’épargne en actions PEA-PME…
M. Emmanuel Capus. C’est autre chose !
Mme Christine Lavarde. Celui-ci propose une fiscalité avantageuse, en contrepartie d’un risque associé au capital investi.
Dans le cadre de la loi Pacte, le Gouvernement, a essayé de dynamiser ce dispositif en l’assouplissant. Or le groupe Les Républicains n’avait pas attendu pour proposer, notamment lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, un certain nombre d’initiatives visant à flécher l’épargne des ménages vers les entreprises. Il s’agissait, et je tiens à le rappeler, de renforcer le dispositif de l’IR-PME, de créer un IFI-PME, d’ouvrir le PEA-PME aux actions des sociétés de capital-risque et de le rendre accessible aux jeunes majeurs, de prévoir la possibilité de transférer des jours déposés sur un compte épargne-temps (CET) vers un plan d’épargne en actions (PEA). Malheureusement, toutes ces mesures ont été supprimées à l’Assemblée nationale.
M. Jean-François Husson. Et voilà !
Mme Christine Lavarde. En conclusion, je voudrais dire à notre collègue de ne pas se désespérer. En effet, le groupe Les Républicains, lors de l’examen du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, avait proposé de favoriser les donations entre générations. La mesure, votée par le Sénat, a été retirée à l’Assemblée nationale. Or je relève, avec malice, que la presse laisse désormais entendre que le Gouvernement pourrait la reprendre. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Madame la sénatrice, votre idée mérite d’être creusée. Elle reste encore trop perfectible pour que nous puissions la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pendant cette période de crise de covid-19, une surépargne de près de 200 milliards d’euros a été constituée par les ménages.
En effet, à la fin du mois de mars dernier, la Banque de France estimait qu’en plus des 110 milliards d’euros en 2020, on pouvait déjà évaluer à 65 milliards d’euros l’épargne supplémentaire accumulée durant le début de l’année 2021.
Ces sommes restent souvent sur les comptes courants des Français, mais ces derniers les placent aussi parfois sur des livrets d’épargne divers et sur des assurances vie. Au cours des deux dernières années, 800 000 plans d’épargne en actions (PEA) ont ainsi été ouverts.
Forts de ce constat, les auteurs de la proposition de loi ambitionnent de mobiliser cette épargne via des fonds souverains régionaux, dont l’objet serait d’investir dans la modernisation des infrastructures des territoires, afin d’accélérer la transition écologique et le développement économique.
Posons-nous les bonnes questions : quel est le besoin des entreprises et comment le satisfaire ?
À la fin de cette crise sanitaire, la trésorerie des entreprises sera, ou aura été utilisée pour éponger la dette covid. Les PME et les ETI n’auront plus de trésorerie pour investir et relancer l’économie, alors qu’il s’agit bien là d’entreprises régionales.
Il est à noter que, depuis le début de la crise, 30 % des ETI ont déjà été approchées par des fonds spéculatifs. Il est urgent de renforcer leurs fonds propres pour les préparer à la reprise.
Le choix a été fait, d’une part, d’encourager la relance de la consommation des ménages, d’autre part, de relancer l’investissement en entreprise via les prêts participatifs et l’actionnariat des salariés, tout en influant sur la répartition de l’épargne vers le financement des entreprises grâce au label « Relance ».
À la fin du mois de mars dernier, 156 fonds avaient reçu ce label pour un encours d’environ 14 milliards d’euros. Près de 15 nouveaux fonds de ce type se créent chaque mois.
Cependant, la difficulté à mobiliser cette épargne de précaution est liée au rétablissement de la confiance. Les Français craignent pour leur emploi, leur santé et leur retraite. Il faut donc leur proposer un placement garanti, très liquide, peu taxé, et qui offre une rémunération supérieure à l’épargne classique.
Pour répondre à cette crise de confiance et aux besoins des entreprises, les fonds souverains régionaux doivent garantir une traçabilité vers l’emploi et les entreprises régionales. Proximité et transparence sont les deux mots d’ordre !
À cet égard, la région Auvergne-Rhône-Alpes peut être citée en exemple. Toutefois, selon Bpifrance, il existe désormais des projets dans chacune de nos régions. L’autorisation accordée par l’AMF permettra d’y inclure le recours à l’épargne publique locale.
Concernant la proposition de loi que nous examinons, outre son coût élevé pour les finances publiques et les doutes quant à son caractère opérationnel, le modèle proposé n’a pas pour vocation de renforcer les capitaux propres des PME et des ETI régionales dont la trésorerie est asséchée. Il ne bénéficiera qu’à certaines d’entre elles, et de manière indirecte via des marchés régionaux de travaux.
De plus, légiférer dès à présent, c’est prendre le risque d’imposer un cadre restrictif et de limiter les initiatives qui semblent nombreuses à se développer.
M. le président. Il faut conclure.
M. Serge Babary. Attendons donc les premiers retours des régions qui ont mis en place des fonds souverains régionaux, sur le modèle de ce qui existe déjà dans d’autres régions européennes.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons de la proposition de loi, présentée par Vanina Paoli-Gagin, qui vise à créer des fonds souverains régionaux, afin d’orienter l’épargne des Français vers des projets locaux. En effet, une hausse record de cette épargne a été enregistrée ces derniers mois, en raison de la crise sanitaire.
L’intention est louable, et le dispositif proposé semble à première vue séduisant. En tant que conseiller régional, j’ai forcément été intéressé par des mesures dont l’objet est d’offrir de nouvelles possibilités de financement aux régions, d’autant plus qu’elles permettraient de faire participer les Français à la relance, et de financer des projets locaux.
Cependant, à regarder plus en détail le dispositif et la manière dont les régions financent leurs projets, il apparaît que le mécanisme présente des lacunes qui ne me semblent pas pouvoir être rattrapées, et que le besoin de financement des régions est à relativiser.
En effet, comme la commission des finances l’a souligné dans son rapport, le dispositif proposé ne consiste pas à mettre en place de réels fonds souverains régionaux, à l’image de ce qu’a fait la région Auvergne-Rhône-Alpes, et il ne fait que créer un nouveau produit d’emprunt bancaire.
De plus, s’il est vrai que les régions sont intéressées par des dispositifs d’épargne territorialisés ainsi que par le fléchage des ressources disponibles vers les fonds propres des entreprises, le livret de développement des territoires ne permet en réalité ni l’un ni l’autre.
D’une part, le LDT est réparti au niveau national selon une clé liée au potentiel financier des régions. Il n’y a donc pas réellement de territorialisation. D’autre part, le fonds a principalement vocation à financer des dépenses d’équipement, pour lesquelles les régions n’ont pas de mal à trouver des financements.
Le besoin que nous constatons n’a, en effet, pas trait aux équipements, mais au soutien aux entreprises. Il faudrait donc plutôt renforcer les moyens dont les régions disposent pour orienter les ressources disponibles vers les fonds propres des entreprises. La proposition de loi ne le permet pas, malgré les amendements déposés par son auteure pour remédier à cette lacune.
Le texte ne permet pas non plus d’offrir aux régions des moyens de financement plus intéressants que ceux dont elles disposent déjà. En effet, les régions s’endettent à un taux d’intérêt évalué, en moyenne, à 0,58 %. Or les conditions de rémunération du LDT conduiraient les banques à proposer des taux d’environ 1 %, et donc moins intéressants.
En outre, il faut noter que les régions ne constatent pas plus que les établissements bancaires de carences d’accès à des financements, qui auraient pu justifier qu’elles s’endettent à des taux plus élevés.
Enfin, le dispositif aurait des effets négatifs non seulement sur les finances publiques, en raison des risques d’optimisation fiscale et de la possibilité de cumuler les LDT, mais aussi sur les finances régionales, puisque le volume du prêt consenti aux régions ne serait pas négociable, ce qui pourrait conduire celles-ci à s’endetter plus que de besoin.
Comme vous l’aurez compris, je ne suis pas favorable à l’adoption de ce texte. En revanche, il me semble qu’il serait opportun d’effectuer un bilan des moyens dont les régions disposent pour participer au capital d’entreprises. En identifiant leurs lacunes, on pourrait ensuite proposer des améliorations.
L’examen de cette proposition de loi aura eu le mérite d’attirer notre attention sur un sujet important, et de nous permettre d’engager une réflexion sur la manière dont nous pourrions renforcer les dispositifs existants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à orienter l’épargne des français vers des fonds souverains régionaux
Article 1er
Après la section 1 du chapitre Ier du titre II du livre II du code monétaire et financier, est insérée une section 1 bis ainsi rédigée :
« Section 1 bis
« Le livret de développement des territoires
« Art. L. 221-9. – Un livret de développement des territoires peut être ouvert par les personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 221-3 auprès de tout établissement de crédit habilité à recevoir du public des fonds à vue et qui s’engage à cet effet par convention avec l’État.
« Art. L. 221-10. – Chaque établissement distribue au minimum 90 % des ressources qu’il collecte chaque année sur les livrets de développement des territoires entre les fonds souverains régionaux mentionnés à l’article L. 4332-2 du code général des collectivités territoriales relevant des collectivités qui ont fait part de leur souhait de bénéficier de ces ressources dans les conditions prévues à l’avant-dernier alinéa du même article L. 4332-2.
« Chacun de ces fonds est attributaire d’un pourcentage des ressources à distribuer fixé chaque année par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre chargé des collectivités territoriales. Ce pourcentage est calculé en fonction d’un indice synthétique constitué du rapport entre, d’une part, le potentiel financier net moyen par habitant de l’ensemble des collectivités mentionnées au premier alinéa dudit article L. 4332-2 et, d’autre part, le potentiel financier net moyen par habitant de chacune de ces collectivités.
« Les ressources qui ne sont pas distribuées aux fonds mentionnés au deuxième alinéa du présent article sont consacrées par l’établissement à des prêts destinés à financer des opérations d’investissement réalisées par des collectivités territoriales ou des groupements de collectivités territoriales. Afin de permettre la vérification du respect de cette obligation d’emploi, les établissements distribuant le livret de développement des territoires fournissent, une fois par an, aux ministres chargés de l’économie et des collectivités territoriales une information écrite, dont la forme et le contenu sont fixés par arrêté conjoint de ces ministres, sur les concours financiers accordés à l’aide des ressources qui ne sont pas distribuées en application du même deuxième alinéa.
« Art. L. 221-11. – Tout versement sur un livret de développement des territoires donne lieu à une rémunération par l’établissement gestionnaire. Jusqu’à l’expiration de la cinquième année civile suivant celle au cours de laquelle il a été effectué, cette rémunération est calculée selon le taux et les modalités applicables à la rémunération du livret A. Ce taux est ensuite majoré :
« – de 25 % à compter de la sixième année ;
« – de 50 % à compter de la dixième année.
« Par dérogation à l’article L. 221-35, les établissements gestionnaires de livrets de développement des territoires peuvent verser une rémunération supérieure à celle prévue par le présent article.
« Les sommes figurant sur un livret de développement des territoires peuvent être retirées à tout moment. Les intérêts versés sont exonérés de tous prélèvements fiscaux et sociaux.
« Art. L. 221-12. – Les fonds souverains régionaux, les collectivités territoriales et leurs groupements procèdent au remboursement des sommes qui leur sont attribuées en application de l’article L. 221-10 à un taux fixé, par accord avec les établissements concernés, en proportion du taux applicable à la rémunération du livret A dans la limite du double de ce taux.
« Art. L. 221-12-1. – Les opérations relatives au livret de développement des territoires sont soumises au contrôle sur pièces et sur place de l’inspection générale des finances.
« Art. L. 221-12-2. – Les conditions d’application de la présente section sont fixées par décret en Conseil d’État. »
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis, présenté par MM. Bilhac, Requier et Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après la référence :
L. 221-3
insérer les mots :
, sous réserve que leur livret A soit abondé au minimum à 50 % du montant du plafond mentionné à l’article L. 221-4,
La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Comme je l’ai déjà dit dans la discussion générale, l’objectif de cet amendement est de préserver la source de financement du logement social que représente le livret A.
En effet, compte tenu du taux actuellement pratiqué pour ce dernier, à hauteur de 0,5 % depuis le 1er février 2021, de ceux envisagés pour le nouveau livret de développement des territoires, ainsi que des facilités fiscales de retrait des fonds, il existe un risque d’éviction de l’épargne du livret A vers le livret de développement des territoires. C’est là, me semble-t-il, l’une des principales faiblesses du dispositif, et même si je comprends l’objectif des auteurs de la proposition de loi, mieux vaut ne pas donner prise aux conséquences qu’une telle mesure pourrait avoir.
Je propose donc de réserver le placement du LDT à des fonds prélevés sur la part du livret A excédant la moitié du plafond de ce dernier. Autrement dit, un particulier ne pourrait déposer des fonds sur un livret de développement des territoires qu’à la condition que son livret A soit garni à hauteur de 50 % du plafond, ce qui représente actuellement 11 475 euros pour les particuliers. On ne pourrait donc pas vider totalement le livret A, mais il faudrait y laisser 50 % du plafond.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Dallier, rapporteur. Je remercie notre collègue d’avoir entendu l’argument selon lequel le livret A risquerait de subir une forte décollecte, avec les problèmes qui s’ensuivraient pour le financement du logement social.
Cependant, si nous adoptions cet amendement, nous exclurions 35 millions de Français de la possibilité d’ouvrir un livret de développement territorial. La moitié de nos concitoyens n’y aurait pas accès, si nous imposions la condition de détenir un livret A rempli à hauteur de 50 %.
En outre, cela poserait un risque constitutionnel, parce que l’on réserverait ce livret de développement territorial, au taux plus rémunérateur que le livret A, à une catégorie de Français, et que l’on en exclurait une autre.
Je vous remercie d’avoir contribué à mettre en évidence un risque de décollecte pour le livret A, en présentant cet amendement. La commission a toutefois émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Au-delà des raisons que le rapporteur vient d’exposer, le Gouvernement souhaite préserver le livret A tel qu’il existe aujourd’hui.
En outre, la mise en œuvre de cette mesure serait particulièrement complexe, d’un point de vue opérationnel. Sans entrer dans les détails, les établissements de crédit risquent de ne pas être en mesure d’y procéder.
Enfin, le dispositif ne précise pas ce que deviendrait le livret de développement des territoires, dans le cas où l’argent placé sur le livret A passerait sous le seuil de 50 %, en cours de vie du livret.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. A. Marc, Chasseing, Guerriau, Menonville, Wattebled, Médevielle et Decool, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Verzelen, Burgoa, Canevet et Hingray, Mme F. Gerbaud, M. Haye et Mme N. Delattre, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer le taux :
90 %
par le taux :
80 %
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Cet amendement vise à répondre à une partie des critiques émises par M. le rapporteur, quant à la stabilité financière du dispositif proposé.
Ce dernier a pointé, à juste titre, le risque que présentait, pour le dispositif, l’articulation entre, d’une part, la liquidité de son volet concernant les ressources, d’autre part, la rigidité de celui portant sur les dépenses – bref, l’opposition du court terme au long terme.
Le dispositif prévoit, toutefois, un mécanisme de sécurité qui limite ce risque, en permettant aux banques de conserver jusqu’à 10 % de l’encours déposé sur le livret de développement des territoires. Cet amendement a pour objet de porter ce « matelas de sécurité » à 20 %, en vue de renforcer cette protection.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Dallier, rapporteur. Sur ce point particulier, nous nous heurtons, là encore, à un problème d’interprétation du texte qui nous est soumis. Cela résume tout l’objet du débat, tout au moins des arguments qui nous opposent l’un à l’autre, ma chère collègue.
En effet, le texte prévoit que les 10 % des prêts qui ne sont pas destinés aux régions doivent être consacrés aux autres collectivités territoriales. Cet amendement n’y changerait rien. Même si nous l’adoptions, il ne réglerait pas le problème de liquidité qui se pose à l’épargnant. Il en résulterait seulement que 80 % des prêts seront destinés aux régions, tandis que 20 % iront aux autres collectivités territoriales.
Or les régions et les autres collectivités territoriales empruntent sur quinze ou vingt ans, et parfois sur des durées plus longues, en fonction des investissements qu’elles ont à réaliser. Le fait de ramener de 90 % à 80 % la part réservée à ce fonds souverain régional, qui n’en est pas un, ne change strictement rien au problème soulevé.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Pour les mêmes raisons, sans vouloir être redondante, j’émets un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. Bilhac, Requier et Guérini, est ainsi libellé :
Alinéas 5 et 13
Après le mot :
régionaux
insérer les mots :
ou territoriaux
La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Cet amendement vise tout simplement à ajouter les mots « ou territoriaux » après le mot « régionaux », par coordination avec celui que je présenterai à l’article 4, pour ouvrir le bénéfice du livret de développement des territoires non pas seulement à la région, mais aussi à toutes les collectivités territoriales et intercommunalités.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Dallier, rapporteur. N’étant pas favorable à la création des fonds souverains pour les régions, tels que le texte les prévoit, je ne peux pas donner un avis favorable à un amendement qui vise à étendre le dispositif à l’ensemble des collectivités territoriales.
En outre, la mise en œuvre d’une telle mesure me paraît difficile, car il faut disposer d’une certaine surface financière et de certaines capacités pour mener des politiques avec des outils de ce type, si tant est que le texte prévoie véritablement un fonds souverain, ce dont je doute.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Sur le fond, comme plusieurs d’entre vous l’ont mentionné dans la discussion générale, la ressource émanant du livret de développement territorial est moins compétitive que les ressources bancaires pour financer les collectivités territoriales.
Par ailleurs, sur le plan technique, comme l’a dit le rapporteur, un tel mécanisme devrait être organisé afin que les droits de tirage donnés à l’ensemble des collectivités locales soient bien coordonnés. Cette organisation reviendrait, en réalité, à recréer en quelque sorte une banque des territoires qui organiserait et instruirait les prêts consentis à chacune des collectivités territoriales.
Or la banque des territoires existe déjà. Elle assure les besoins de financement des collectivités qui ne sont pas couverts par les financements bancaires de marché.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a émis un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Paoli-Gagin, MM. Burgoa, Canevet et Hingray, Mme F. Gerbaud, MM. Guerriau, Chasseing et A. Marc, Mme Mélot, MM. Lagourgue, Menonville, Haye et Decool et Mme N. Delattre, est ainsi libellé :
Alinéa 12, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
lorsque le retrait intervient sur un dépôt effectué depuis au moins trois ans
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Cet amendement a pour objet de soumettre aux prélèvements sociaux et à l’impôt sur le revenu les intérêts produits par un livret de développement des territoires en cas de retrait de sommes d’argent intervenu moins de trois ans après leur dépôt sur un compte. Il vise à sécuriser le dispositif, puisqu’il incite les épargnants à ne pas privilégier la liquidité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Dallier, rapporteur. La commission est défavorable à l’amendement, non pas tant en raison de son objet que parce que nous sommes contre la création des fonds souverains régionaux.
Par cohérence, la commission émettra également un avis défavorable sur les amendements à venir.
M. le président. Avant de vous céder la parole, madame la secrétaire d’État, je vous signale, mes chers collègues, et ce afin que vous vous y prépariez, que je suis saisi d’une demande de scrutin public par le groupe Les Républicains sur l’article 1er.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 114 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 198 |
Pour l’adoption | 28 |
Contre | 170 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi.
Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, au vu de l’heure, mais surtout parce que le rejet de l’article 1er a pour effet de vider l’ensemble du texte de sa substance, je demande naturellement le retrait de cette proposition de loi de l’ordre du jour de notre assemblée.
Je veux néanmoins remercier les membres de la commission des finances, M. le rapporteur, Mme la secrétaire d’État, ainsi que l’ensemble des collègues présents d’avoir « salué » cette initiative qui, je l’ai compris, ne leur convient pas techniquement.
Nous allons bien sûr remettre l’ouvrage sur le métier et tenter d’apporter certaines précisions d’ordre sémantique, puisque la subtile confusion entre les diverses acceptions du mot « fonds », avec ou sans majuscule, qui désigne à la fois des ressources et des véhicules d’investissement, n’a pas été totalement dissipée.
J’espère que nous pourrons travailler ensemble à proposer, au moment de l’examen du projet de loi de finances ou de tout autre texte, un nouveau dispositif qui pourra séduire le plus grand nombre, à la fois techniquement et politiquement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour la qualité de nos échanges, malgré nos divergences sur les moyens à mettre en œuvre. Je souhaiterais également saluer le travail de Mme Paoli-Gagin, ainsi que l’esprit de responsabilité dont elle vient de faire preuve en prenant la parole à l’instant.
Je veux lui confirmer l’engagement du Gouvernement, ainsi que sa disponibilité, faut-il le rappeler, pour poursuivre le dialogue en vue d’orienter l’épargne des Français de manière productive. Nous divergeons certes – je viens de le dire – sur les moyens, mais nous ne divergeons absolument pas sur cette ambition.
En tant que secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, je tiens à vous assurer de l’engagement de Bercy pour atteindre cet objectif que nous partageons.
Je salue enfin l’esprit de responsabilité collective qui a prévalu ce matin. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle les termes de l’article 26 du règlement du Sénat : « L’auteur d’une proposition de loi ou de résolution peut toujours la retirer, même quand la discussion est ouverte. »
La proposition de loi visant à orienter l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux est donc retirée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures huit, est reprise à douze heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA
Discussion d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, la discussion de la proposition de loi d’expérimentation visant à favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), présentée par M. Claude Malhuret et plusieurs de ses collègues (proposition n° 34 rectifié, texte de la commission n° 518, rapport n° 517).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la pauvreté est un enchaînement de privations matérielles et financières, de mécanismes d’exclusion accidentels ou conjoncturels, qui conduisent beaucoup de nos concitoyens à vivre sur le fil du rasoir avec seulement quelques heures de travail ou, parfois, sans travail du tout.
La crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés depuis plus d’un an maintenant rend plus critiques encore toutes les inégalités : inégalités en termes de santé, de logement, d’alimentation et de travail. Nous constatons quotidiennement la précarisation d’une partie des Français.
À cette précarité, il n’existe pas d’antidote, et aucun vaccin ne pourra mettre un terme. Mais, chaque jour, des initiatives sont prises par des collectivités locales, des entreprises, des associations à la recherche de solutions et d’idées nouvelles pour permettre aux millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté de retrouver le chemin de l’espoir.
Cet espoir, pour beaucoup, se résume en trois mots : retrouver du travail.
La situation financière d’un quart des Français s’est dégradée : environ 2 millions de personnes sont désormais allocataires du RSA. Plus que jamais, la société et les acteurs qui la composent proposent des solutions pragmatiques pour aider des milliers de personnes à retrouver rapidement un travail.
Le texte que je vous propose s’inscrit dans cet état d’esprit. Il résulte d’une initiative du département de l’Allier, qui souhaite mettre en œuvre ce dispositif, et est soutenu par plusieurs conseils départementaux. Une enquête réalisée auprès des entreprises de l’Allier par les services du département a suscité un grand nombre de réponses positives de chefs d’entreprise favorables à son expérimentation.
La situation que nous vivons est paradoxale : d’un côté, nous observons une hausse du nombre de bénéficiaires du RSA ; de l’autre, les entreprises locales ont de grandes difficultés à recruter. Nous souhaitons favoriser les rencontres entre les mondes économique et social, en privilégiant l’insertion par le travail, notamment dans le réseau existant des TPE et PME.
Cette approche n’est en aucun cas opposée à celle des dispositifs d’insertion par l’activité économique au sein d’entreprises sociales et solidaires, adaptées aux personnes les plus éloignées de l’emploi. Elle est au contraire tout à fait complémentaire.
Actuellement, une personne sans emploi qui arrive en fin de droits et perd son allocation chômage perçoit le RSA. Elle bénéficie aussi des aides personnalisées au logement (APL) et d’un ensemble de droits connexes, tels que la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), l’accès à des tarifs sociaux pour l’électricité, la cantine scolaire ou les transports. Lorsque cette même personne retrouve un travail, elle perd très rapidement une grande partie, voire la totalité du RSA au profit de son nouveau salaire et de la prime d’activité, soit 200 euros par mois en moyenne.
La perte des minima sociaux et des droits connexes n’est compensée qu’en partie, notamment pour les contrats à temps partiel, par la prime d’activité. Avec le dispositif que je vous propose, cette même personne pourra conserver son RSA la première année au cours de laquelle elle reprendra une activité dans la limite d’un plafond fixé par décret, afin que le gain lié au travail soit sans ambiguïté.
Prolonger le versement du RSA permettra également à son bénéficiaire de continuer à disposer d’un accompagnement social et de possibilités de formation. À la sortie du dispositif, après un an de reprise à temps partiel, celui-ci pourra poursuivre son parcours d’insertion avec un contrat à temps plein dans le cadre d’un parcours emploi compétences (PEC), notamment en percevant la prime d’activité versée par l’État.
L’Allemagne, le Portugal, le Luxembourg ont fait le choix de réviser annuellement les droits aux minima sociaux. Dans le paysage européen, seules l’Estonie et la Lituanie, au côté de la France, actualisent ces droits tous les trois mois. Ce que nous proposons est donc déjà mis en place dans de nombreux pays européens et semble faire la preuve de son efficacité.
On n’enlève pas une béquille à une personne longtemps immobilisée qui vient tout juste de se remettre à marcher. Mieux vaut lui laisser la possibilité de s’en servir jusqu’à ce que sa démarche plus assurée lui permette de se mouvoir librement, sans cette aide. Le principe de cette expérimentation est le même.
Le dispositif proposé a le mérite d’être simple et lisible : il encourage sans ambiguïté la reprise d’activité à temps partiel de travailleurs demeurés longtemps sans emploi.
J’ai bien conscience que de nombreuses initiatives ont été menées en matière d’insertion, et je ne prétends pas avoir la science infuse ou détenir le remède miracle. C’est la raison pour laquelle je ne vous propose pas une solution clé en main, applicable d’emblée à l’ensemble de notre pays, mais une expérimentation locale qui fera l’objet d’un bilan rigoureux. Nous pourrons ainsi décider, en toute objectivité, s’il convient de généraliser cette expérimentation ou de chercher d’autres solutions.
Aux côtés des services de l’État et des associations, les départements et les entreprises sont des acteurs essentiels de la lutte contre l’exclusion. Grâce aux efforts conjugués de chacun, nous pouvons aider des milliers de personnes vivant bien en deçà du seuil de pauvreté à retrouver un travail, à acquérir de nouveaux savoir-faire et savoir-être, et à bâtir pour elles-mêmes et pour leurs familles un nouvel avenir.
Pour faciliter les initiatives des départements volontaires et, surtout, dans l’intérêt des personnes qui pourraient en bénéficier et voir leurs conditions de vie s’améliorer de manière durable, leur dignité retrouvée par le travail, je vous invite à voter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Daniel Chasseing, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le président Claude Malhuret vise à mettre en œuvre, à titre expérimental, un dispositif d’incitation au retour à l’emploi ciblé sur les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), afin de favoriser leur insertion sur le marché du travail.
Inspirée d’une initiative du département de l’Allier, ce texte part du constat que, d’un côté, les entreprises peinent à recruter quand, de l’autre, de nombreux chômeurs ne trouvent pas d’emploi, en particulier les bénéficiaires de minima sociaux, qui ne parviennent pas à reprendre une activité en raison d’un ensemble de freins monétaires et non monétaires. Pour ces personnes, qui ont parfois été sans activité pendant de nombreuses années, la reprise d’un emploi à temps plein peut se révéler très problématique.
Depuis une quinzaine d’années, des efforts importants ont pourtant été réalisés pour « activer » le système français des prestations sociales, de manière à éliminer les « désincitations » à l’emploi. Je pense à la création du RSA au 1er juin 2009, à celle de la prime d’activité en 2016 et à sa revalorisation en 2019.
Toutefois, l’objectif incitatif de ces réformes n’a pas été totalement atteint. Les bénéficiaires du RSA sont très majoritairement sans emploi. De plus, 76 % d’entre eux ont plus d’un an d’ancienneté en tant qu’allocataires, et une grande majorité le restent d’une année sur l’autre. Plus leur ancienneté comme bénéficiaires de minima sociaux est importante, moins ils ont de chances d’en sortir. Les passages du RSA à la prime d’activité restent de fait très minoritaires.
Dans la période de crise qui s’est ouverte, cette population d’allocataires de longue durée risque de s’accroître, et son éloignement de l’emploi de s’aggraver.
Dans ce contexte, le dispositif expérimental proposé vise à mieux soutenir la transition des allocataires du RSA vers l’emploi, afin de leur donner les moyens de franchir la distance qui les sépare de l’emploi durable.
L’article 1er prévoit la mise en place pour une durée de quatre ans, dans des départements volontaires, d’une expérimentation permettant à des allocataires du RSA d’être embauchés par des entreprises, tout en conservant le bénéfice de leur allocation pendant une durée d’un an, dans la limite d’un plafond fixé par décret. Le texte déposé prévoyait que le maintien en tout ou partie du RSA pourrait se cumuler avec la prime d’activité.
Le coût du dispositif pour le département ferait l’objet d’une compensation financière par l’État dans les conditions applicables au financement du RSA. En effet, la loi permet déjà à un département de décider de conditions et de montants plus favorables que le droit commun ; il doit alors en assumer les conséquences financières.
En réponse aux observations exprimées la semaine dernière en commission, l’un des principaux apports de la proposition de loi est bien d’étendre à cette expérimentation le principe de la compensation financière versée par l’État via la dotation globale de fonctionnement (DGF).
L’expérimentation ferait l’objet d’une évaluation, au plus tard un an avant son terme, sur le fondement de bilans établis par les départements expérimentateurs.
Comme la commission l’a relevé, cette nouvelle expérimentation s’inscrirait dans un paysage de dispositifs déjà dense, incluant les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE), les parcours emploi compétences (PEC), ou encore l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Il s’agit d’un dispositif complémentaire à la palette des outils existants, qui ne s’adresse du reste pas à tous les publics, mais à des personnes capables d’occuper un emploi dans une entreprise, tout en faisant face à des freins périphériques.
Cette expérimentation s’inscrit dans l’esprit des solutions du type « travail pour tous », fondées sur une activité liée au travail, un accompagnement personnalisé et un complément de revenu transitoire, que soutient l’Assemblée des départements de France (ADF).
Elle présente l’intérêt de permettre à des allocataires souhaitant s’engager dans une démarche de retour à l’activité de bénéficier, au-delà d’un soutien monétaire, de l’accompagnement dû aux allocataires du RSA. Le département de l’Allier prévoit ainsi un accompagnement spécifique de trois mois au démarrage, renouvelable une fois, qui permettra de sécuriser à la fois le salarié et l’employeur et d’éviter les abandons.
L’expérimentation vise tout autant à responsabiliser les entreprises en les incitant, sans leur imposer de contraintes excessives, à être les acteurs de cette démarche d’insertion. De nombreux employeurs du département de l’Allier ont témoigné de leur soutien à ce projet.
La commission des affaires sociales a donc adopté la proposition de loi. Elle l’a cependant modifiée, afin d’en renforcer le dispositif et de lui permettre d’atteindre sa cible et ses objectifs.
La commission a d’abord introduit, en lieu et place de la condition de privation d’emploi, une condition d’ancienneté minimale d’un an en tant qu’allocataire du RSA. Les bénéficiaires devraient en outre être inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi, afin de garantir leur suivi par le service public de l’emploi.
Sur mon initiative, la commission a également prévu la possibilité de déroger à la durée hebdomadaire minimale de travail de droit commun pour un contrat à temps partiel. Cette durée minimale est fixée à vingt-quatre heures par la loi en l’absence de dispositions conventionnelles prévoyant une durée différente.
Conformément au projet initial des promoteurs de l’expérimentation, les bénéficiaires pourraient ainsi être embauchés pendant la première année du contrat pour une durée de quinze heures hebdomadaires au minimum, ce qui peut permettre à des personnes durablement éloignées de l’emploi de se réadapter au monde de l’entreprise.
Cette durée dérogatoire a fait l’objet d’un débat au sein de la commission. Pourtant, une durée de vingt-quatre heures hebdomadaires peut être, dans un premier temps, une marche trop difficile à franchir pour une personne qui n’a pas travaillé depuis plusieurs années. Il est d’ailleurs déjà possible, dans le cadre des contrats d’insertion, de déroger à cette durée.
De plus, afin de limiter les éventuelles distorsions introduites par le dispositif, la commission a prévu que ses bénéficiaires ne pourraient pas percevoir la prime d’activité pendant la période où le RSA continuerait de leur être versé. Ainsi, ils percevraient toujours des ressources plus élevées que s’ils se voyaient appliquer les règles de droit commun, mais l’écart resterait assez important par rapport aux revenus de personnes travaillant à temps plein et percevant la prime d’activité.
Bien entendu, il ne s’agit pas là de permettre à l’État de faire des économies au détriment des départements, puisque le coût du dispositif serait compensé. La commission a également prévu que le maintien du RSA serait garanti par le biais de la non-prise en compte des revenus professionnels perçus dans le cadre d’un CDD d’un an ou d’un CDI, jusqu’à un seuil fixé par décret.
À titre indicatif, ce seuil pourrait être fixé à 800 euros par mois, ce qui correspond approximativement à vingt-trois heures par semaine rémunérées au SMIC. Au-delà, le montant du RSA diminuerait à concurrence de la part de la rémunération dépassant le plafond.
Par ailleurs, la commission a veillé à encadrer le contenu des rapports d’évaluation qui devront être établis, d’une part, par les départements expérimentateurs et, d’autre part, par le Gouvernement, en vue de dresser un bilan de l’expérimentation au regard de ses objectifs initiaux et d’envisager les conditions d’une éventuelle généralisation. La démarche expérimentale n’est en effet pertinente qu’à condition de s’accompagner d’évaluations rigoureuses.
Enfin, la commission a précisé les conditions d’application du dispositif. Elle a fait débuter la période prévue pour l’expérimentation à la date de parution du décret d’application. Elle a par ailleurs confié au ministre chargé de l’action sociale la responsabilité d’établir la liste des départements retenus pour la mener à bien. Plusieurs départements ayant manifesté leur intérêt, il serait d’ailleurs souhaitable que cette liste découle de critères concertés avec les territoires qui en ont pris l’initiative.
Les éléments clés du dispositif, tel qu’il a été amendé par la commission, sont donc la possibilité pour les bénéficiaires de travailler quinze heures par semaine, la non-prise en compte pour le calcul du RSA des revenus perçus dans ce cadre, qui permet le maintien de l’allocation, et la suspension concomitante de la prime d’activité.
Chacun de ces éléments combinés pendant une durée d’un an contribue autant à inciter les bénéficiaires et les employeurs qu’à limiter les distorsions.
Il paraît toutefois possible, comme un amendement de notre collègue Pascale Gruny tend à le prévoir, de limiter à neuf mois la durée du dispositif, car on peut espérer qu’au bout de cette durée les bénéficiaires seront en mesure de travailler au moins vingt-quatre heures par semaine, et de percevoir un revenu plus élevé grâce à la prime d’activité.
Il en va de même d’un amendement de notre collègue René-Paul Savary, adopté par notre commission, qui vise à ce que les allocataires du RSA, sans condition d’ancienneté, puissent profiter de cette expérimentation.
Ce dispositif s’inscrirait ainsi dans la logique du paysage actuel des minima sociaux. Dans le droit actuel, un allocataire reprenant une activité professionnelle cumule intégralement le montant du RSA et une rémunération professionnelle pendant les trois premiers mois, mais ne perçoit pas encore la prime d’activité. Les trois mois suivants, le montant du RSA est réduit à concurrence du niveau de la rémunération de son bénéficiaire.
M. le président. Il faut songer à conclure, monsieur le rapporteur !
M. Daniel Chasseing, rapporteur. En revanche, il perçoit la prime d’activité qui vient compenser une partie de la baisse du RSA.
L’expérimentation décale cette articulation entre le RSA et la prime d’activité dans le temps, afin de prolonger l’accompagnement du bénéficiaire vers l’emploi. C’est pourquoi elle ne peut fonctionner qu’à la condition que cet accompagnement personnalisé soit une réalité.
Il serait intéressant qu’elle puisse fonctionner avec le binôme formé par le travailleur social…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Daniel Chasseing, rapporteur. … et le conseiller pour l’emploi, qui a été mis en place dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et d’action contre la pauvreté, comme l’a indiqué Olivier Henno.
M. le président. Le débat va se poursuivre tout à l’heure, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)
M. Daniel Chasseing, rapporteur. Tel est le pari de cette proposition de loi que la commission a amendée et que je vous propose aujourd’hui d’adopter. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous allons débattre porte sur le retour à l’emploi de bénéficiaires du RSA. C’est un sujet majeur, bien sûr, d’autant plus dans le contexte social et économique que nous connaissons.
Nous partageons évidemment la préoccupation des auteurs de ce texte, et je connais la mobilisation des élus en la matière. Je suis, pour ma part, depuis toujours très engagée dans l’insertion sociale et professionnelle, créatrice et fondatrice de trois structures d’insertion – sensible, mais, donc, aussi active.
Monsieur le rapporteur, votre intention est louable, et je la salue. Pour autant, l’expérimentation que vous proposez ne me paraît pas être la réponse adaptée.
M. René-Paul Savary. Oh !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. J’en suis désolée !
D’une part, en effet, la valeur ajoutée de ce texte en matière de cumul RSA-revenu d’activité est limitée – j’y reviendrai – ; d’autre part, cette expérimentation, si elle venait à être pérennisée, conduirait à affaiblir la cohérence du dispositif actuel, qui se fonde sur l’articulation entre le RSA et la prime d’activité. Elle pourrait même avoir des effets contre-productifs pour les bénéficiaires.
Comme vous le savez, les départements ont d’ores et déjà la possibilité de mettre en œuvre des dispositifs permettant le cumul du RSA avec un revenu d’activité. C’est tout l’objet, d’ailleurs, des dispositions prévues par le code de l’action sociale et des familles qui, je le rappelle, permettent au département de définir les conditions de versement du RSA et de fixation de son montant plus avantageuses que celles qui sont fixées par la loi et de créer une prestation sociale supplémentaire pouvant être définie par rapport au RSA.
Plusieurs départements ont ainsi mis en place de tels dispositifs avant la crise sanitaire, et cette tendance s’est renforcée avec celle-ci. C’est le cas, notamment, de la Gironde, de la Dordogne ou encore du Loir-et-Cher, qui ont permis le cumul du RSA et de revenus d’activité, principalement dans le secteur agricole, afin de faire face, par exemple, à la pénurie de main-d’œuvre saisonnière.
Vous le comprendrez, la souplesse qu’accorde le cadre juridique actuel permet la mise en place de mesures qui tiennent compte des réalités, des besoins, des enjeux locaux.
L’expérimentation que vous proposez d’inscrire dans la loi a donc une valeur ajoutée plus limitée, en permettant seulement le financement du cumul par l’État.
Or nous proposons une expérimentation plus ambitieuse dans le cadre du projet de loi 4D, qui sera examiné par le Sénat au mois de juillet, puisqu’elle vise à recentraliser le financement du RSA afin de dégager des marges de manœuvre en matière d’orientation et de recentralisation aux départements expérimentateurs.
Vous proposez en outre qu’il soit possible de déroger à la durée légale minimale de travail pour un contrat à temps partiel, avec le risque de favoriser ce type de contrat précaire sans motif valable.
Au-delà de ces réserves sur ces points, l’effet d’une expérimentation serait, quoi qu’il en soit, éloigné de l’importance qui s’attache à ce sujet. Au contraire, pérennisée, elle pourrait nuire à l’efficacité des dispositifs actuels et avoir des effets contre-productifs.
Comme vous le savez, l’articulation du RSA et de la prime d’activité est pensée afin de garantir un dispositif lisible, incitatif à la reprise de l’activité. Chaque reprise est ainsi synonyme de gain pour les intéressés.
En suspendant l’octroi de la prime d’activité, ce dispositif créerait nécessairement des effets de seuil qui nuiraient à sa cohérence. Les intéressés pourraient n’avoir aucun intérêt financier à augmenter leur volume d’activité, voire perdre à l’issue de l’année.
Enfin, même si cela ne guide pas l’action publique, il ne faut pas négliger le fait que cette expérimentation se traduirait par un accroissement considérable des charges administratives et des coûts de gestion pour les services départementaux, déjà surchargés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sans attendre bien sûr la crise sanitaire, nous avons pris des mesures pour favoriser la reprise d’activité et pour accompagner les plus fragiles vers l’emploi, en lien étroit avec les départements. L’emploi reste le moyen le plus efficace pour prévenir le basculement dans la pauvreté et le meilleur moyen de s’en sortir. C’est le sens de notre engagement en matière d’insertion.
C’est pour cela que nous avons fait le choix de contractualiser avec les départements autour de l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, et c’est pour cela que nous avons créé le service public de l’insertion et de l’emploi (SPIE), qui se déploie depuis le 1er janvier sous l’égide de Brigitte Klinkert.
L’État consacrera aussi 80 millions d’euros à la construction de ce service public. Nous soutenons les territoires qui renforcent la coordination des acteurs de l’insertion et de l’emploi : trente nouveaux territoires expérimentateurs viennent d’être retenus et nous ouvrirons ce soutien à trente-cinq territoires supplémentaires d’ici à 2022.
C’est aussi pour cela que nous avons mis sur la table un plan de relance d’une ampleur historique pour retrouver le rythme des créations d’emplois qui prévalait avant la crise : le renforcement des structures d’insertion par l’activité économique, les parcours emploi compétences ou les « territoires zéro chômeur de longue durée » sont autant de chantiers en cours.
Par ailleurs, laissez-moi rappeler que nous avons revalorisé de 90 euros la prime d’activité, ce qui a eu pour effet d’élargir le public éligible, mais aussi d’améliorer le taux de recours à cette prestation. C’est considérable.
Comme nous n’ignorons pas que notre système de soutien monétaire aux plus précaires souffre de certains défauts, nous avons engagé des travaux ambitieux sur la création d’un revenu universel d’activité (RUA), conformément à l’engagement du Président de la République.
Ces travaux, qui ont été suspendus du fait de la crise sanitaire, seront finalisés avant la remise d’un rapport public d’ici à la fin de l’année. Je ne doute pas que nous aurons encore l’occasion d’en débattre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement s’est engagé pour développer des parcours susceptibles de jouer pleinement le rôle de tremplin et de transition durable vers l’emploi, pour les plus précaires notamment. Il sait pouvoir compter sur les départements dans cette tâche. Le défi est grand, nous sommes prêts à le relever, et nous devons le relever.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord saluer l’auteur de cette proposition de loi, Claude Malhuret, qui, comme toujours, a trouvé les mots justes pour évoquer le drame de la pauvreté et la question du RSA.
Je salue également le président du conseil départemental de l’Allier, Claude Riboulet, qui a pris l’initiative de cette expérimentation, ainsi que le rapporteur, Daniel Chasseing, toujours à l’écoute de ses collègues, qui a produit un travail méthodique, approfondi et pédagogique.
Je le dis sans détour : notre groupe votera cette proposition de loi qui a le mérite d’aborder plusieurs questions fondamentales pour l’équilibre de notre société.
C’est une petite loi en nombre d’articles, mais c’est une grande loi pour tous les sujets qu’elle met sur la table : le retour à l’emploi des allocataires du RSA, les freins et incitations au retour à l’emploi, l’accompagnement des allocataires, appelé aussi coaching, l’implication des départements et, bien sûr, le reste à charge qui pèse sur eux, la valeur travail et, enfin, l’indispensable coconstruction de cette politique par les régions et les départements.
En tant qu’ancien vice-président du conseil départemental du Nord chargé de l’insertion, je suis particulièrement sensible à ce sujet. Depuis 2015, la majorité départementale fait du retour à l’emploi des allocataires du RSA son principal cheval de bataille. Les résultats sont là : nous avons diminué de près de 20 % le nombre d’allocataires en cinq ans – de 120 000 allocataires, nous sommes passés à 103 000 foyers allocataires, ce qui reste malheureusement considérable.
Notre stratégie est simple : elle s’appuie sur des leviers similaires à ceux qui sont proposés par les auteurs de ce texte, à savoir un accompagnement renforcé des publics ; la création d’un lien étroit avec le monde de l’entreprise et les acteurs de la formation professionnelle, notamment la région.
La présente proposition de loi s’inspire d’une initiative du département de l’Allier. Je salue le fait que le Sénat sache promouvoir au niveau national des initiatives de nos collectivités territoriales.
Le conseil départemental de l’Allier a relevé un paradoxe souvent répété : d’un côté, des entreprises qui peinent à trouver les compétences qu’elles recherchent ; de l’autre, de nombreux chômeurs qui ne trouvent pas d’emploi.
Je connais le président Claude Riboulet, c’est un homme engagé et novateur, et je pense qu’avec ce dispositif il a ouvert une brèche qu’il nous revient d’élargir à l’ensemble des départements. Tel est le sens de cette expérimentation.
D’ailleurs, cette initiative, saluée par de nombreuses entreprises locales, permet de répondre aux difficultés de recrutement et au caractère désincitatif de certaines aides sociales.
Déjà, lors de la discussion parlementaire du texte transformant le RMI en RSA, le législateur avait clairement en ligne de mire les désincitations à l’emploi et voulait faire en sorte que le travail paie plus et mieux. Cette question demeure très prégnante dans notre société.
Cette proposition de loi tend à renforcer cette logique, que nous partageons encore aujourd’hui. Le travail participe de manière importante à l’intégration de l’individu dans la société et je crois profondément à la valeur travail. Notre rôle, en tant qu’élus, est donc de mettre en place tous les dispositifs possibles pour inciter le citoyen à travailler et l’entreprise à embaucher. C’est l’objet de cette proposition de loi, qui permettra à des chômeurs de longue durée souhaitant s’engager dans une démarche de retour à l’activité de bénéficier, au-delà d’un soutien monétaire, de l’accompagnement dont disposent les allocataires du RSA. Cela facilitera donc leur intégration progressive au monde de l’entreprise.
L’ouverture de ce dispositif dès quinze heures travaillées est une bonne chose. Cela permettra à nos concitoyens les plus fragiles de remettre le pied à l’étrier. Introduire de la souplesse dans le temps de travail me semble essentiel.
Évidemment, cette proposition de loi ne peut pas tout, mais elle représente un pas supplémentaire vers une meilleure insertion des allocataires du RSA. Je pense qu’elle devra être renforcée à l’avenir par une complémentarité plus étroite entre régions et départements, notamment en matière de formation professionnelle.
Sans doute y a-t-il là une autre clé indispensable en faveur du retour à l’emploi des allocataires du RSA. Une coconstruction encore plus forte de cette politique de retour à l’emploi des allocataires du RSA entre départements et régions, qui exercent les compétences développement économique, emploi et formation professionnelle, est indispensable. C’est ce que font le département du Nord et la région des Hauts-de-France, présidée par Xavier Bertrand.
Bien sûr, beaucoup reste à faire pour permettre un accompagnement personnalisé et offrir à chaque allocataire la formation dont il a besoin pour trouver un emploi.
Aujourd’hui, la loi permet à un département de décider de conditions plus favorables que le droit commun, à condition qu’il en assume les conséquences financières.
Un autre apport de cette proposition de loi – une nouvelle brèche ! – est l’extension à cette expérimentation du principe de la compensation financière de l’État via la dotation globale de fonctionnement. Cela répond à de nombreuses questions des départements qui souhaitent s’engager dans ce dispositif.
Pour toutes ces nobles raisons, notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toutes les initiatives pour soutenir les bénéficiaires des minima sociaux dans leurs démarches pour revenir vers l’emploi sont bienvenues.
Ces personnes rencontrent en effet de nombreux obstacles dans leurs parcours de réinsertion. Les freins identifiés relèvent de difficultés d’adaptation à l’entreprise, de repérage sur le marché du travail et de gestion administrative.
Mais ils peuvent également traduire des difficultés non professionnelles qui sont aussi bien relatives à la santé physique ou psychologique qu’au logement, difficultés mises en avant par près de 50 % des conseillers de Pôle emploi selon une étude de 2017.
Les transports jouent aussi leur rôle, ainsi que la difficile maîtrise du numérique.
Les difficultés sont aussi d’ordre financier, comme le constatent 75 % des conseillers de Pôle emploi.
Enfin, la question de la garde des enfants, notamment pour les familles monoparentales, et singulièrement pour les femmes qui les élèvent seules, qui sont nombreuses parmi les bénéficiaires du RSA, est une question prégnante.
Ces freins expliquent pourquoi les bénéficiaires du RSA sont très majoritairement sans emploi. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), seuls 11 % d’entre eux déclaraient exercer un emploi salarié à la fin de décembre 2016.
Enfin, ayant interrogé, ici même, en mars dernier, le directeur de l’Unédic pour savoir si, conformément à ce que j’entends ici et là, des études démontreraient que certaines personnes resteraient volontairement au chômage, je veux rappeler la réponse très claire que j’ai reçue : rien dans la littérature économique ne permet de conclure en ce sens.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat soutient donc et développe depuis longtemps des dispositifs pertinents pour aider les bénéficiaires de minima sociaux dans leur démarche de retour ou d’accès à l’emploi.
C’est le cas pour la proposition de loi débattue dans cet hémicycle en octobre dernier, permettant d’étendre l’expérimentation de l’initiative « territoires zéro chômeur de longue durée », initialement soutenue par l’association ATD Quart Monde, et en faveur de laquelle nous nous sommes positionnés.
En janvier dernier, nous avons par ailleurs défendu une proposition de loi visant à étendre le bénéfice du RSA aux jeunes de 18 ans à 24 ans. Inscrite dans la lignée de notre contre-budget proposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, elle a été rejetée par la majorité sénatoriale. Sa nécessité tend pourtant à s’imposer dans le débat public.
Pour mémoire, enfin, c’est sous François Hollande qu’ont été mises en place la prime d’activité ainsi que la garantie jeunes, plébiscitée par les acteurs de l’insertion. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous saluons donc l’intention de la présente proposition de loi de promouvoir une expérimentation destinée à favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA.
Nous ne sommes cependant pas convaincus par le dispositif proposé, qui nous semble passer à côté de l’objectif affiché. Si nous devons soutenir les bénéficiaires de minima sociaux dans leur démarche d’insertion professionnelle, cela ne peut se faire à n’importe quel prix.
Concernant la durée hebdomadaire de quinze heures mentionnée dans le texte, un effet d’aubaine est, par exemple, à craindre : il sera facile pour certains employeurs, dans certains domaines, de ne plus proposer que des contrats de très courte durée. Et nous ne voulons pas voir l’avènement d’un sous-contrat de travail destiné à des sous-salariés.
La durée minimale d’un contrat de travail à durée déterminée d’une durée d’un an pour le déclenchement du dispositif pose également problème. Être bénéficiaire du RSA, c’est être de toute façon éloigné de l’emploi depuis un long moment déjà : l’obtention d’un contrat de travail d’une durée d’un an est un objectif très ambitieux.
L’alternative de l’obtention d’un CDI pour bénéficier du dispositif me semble encore plus chimérique : accéder à un CDI, c’est être déjà inséré. Il n’y a aucune raison, dans ces conditions, de continuer à bénéficier du RSA.
Les réserves que nous exprimons sont d’autant plus conséquentes que des initiatives au service de l’objectif recherché ici existent déjà sur les territoires.
Les départements qui mènent des expérimentations en ce sens sont en effet nombreux. Dans les Landes, par exemple, nous donnons la possibilité aux bénéficiaires du RSA de « cumuler » ce minimum social avec des emplois saisonniers ainsi qu’avec des emplois d’aide à domicile.
Il s’agit de favoriser le retour à l’emploi, même ponctuel, des allocataires du RSA ; de leur permettre de se saisir d’une opportunité d’emploi saisonnier ou de remplacement sans voir leurs finances, déjà précaires, se déséquilibrer ; de trouver une opportunité d’insertion professionnelle favorisant l’inclusion sociale et le retour à l’emploi.
Le choix d’engager une démarche pérenne d’investissement social et professionnel s’impose dans de nombreux autres territoires.
Le « RSA saisonnier » existe ainsi également en Dordogne, en Gironde, en Meurthe-et-Moselle comme en Charente-Maritime. Dans la Marne, ce dispositif existe depuis dix ans au profit de près de 340 allocataires. Cela fait également dix ans que le Rhône mène une expérimentation en ce sens, pour favoriser notamment les activités saisonnières de vendange et de cueillette. On compte une centaine de bénéficiaires.
La crise sanitaire a amplifié cette dynamique. En avril 2020, le Lot-et-Garonne a ainsi mis en place une expérimentation de cumul avec un emploi « essentiel à la Nation » dans les secteurs de l’agriculture ou de l’agroalimentaire. Il en est de même dans l’Hérault ou encore dans l’Aude pour les vendanges.
Nous nous interrogeons donc : la présente proposition de loi prévoit-elle que les départements cités ici inscrivent également leur démarche dans l’expérimentation qu’elle tend à mettre en place ? Si tel est le cas, cela risque d’être particulièrement contraignant, voire contre-productif, au regard des spécificités du dispositif qui posent problème.
Nous craignons par ailleurs que l’efficacité de ce texte ne soit encore amoindrie, voire qu’il devienne contre-productif, au gré des amendements adoptés en séance.
C’est la raison pour laquelle nous attendons la suite des débats pour déterminer notre vote final, qui d’une intention d’abstention, pourrait glisser vers un vote contre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous propose que nous poursuivions la discussion générale jusqu’à son terme, soit jusque vers treize heures vingt. Nous entamerions alors l’examen des amendements à la reprise de la séance cet après-midi.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, ainsi que l’ensemble des membres de la commission, de la qualité de nos débats sur cette proposition de loi.
Après la loi Territoires zéro chômeur de longue durée, ce texte traite d’un défi important et qui le sera malheureusement de plus en plus : celui du retour à l’emploi. À travers lui, il s’agit bien sûr de l’émancipation de nos concitoyens.
Lorsqu’on évoque le marché de l’emploi, c’est souvent sous son aspect économique, et, trop souvent, on oublie de rappeler qu’il permet à chacun de trouver sa place dans notre société et de s’y épanouir.
Aujourd’hui, avec la remise en cause du salariat, nous parlons de plus en plus d’« uberisation » et les carrières au sein d’une seule et même entreprise sont de plus en plus rares, tant les parcours professionnels sont décousus. Il nous faut donc lutter contre ce que certains appellent les « trappes à inactivité ».
Nous le savons, plus une personne reste longtemps inactive, plus il est difficile pour elle de retrouver un travail.
Les chiffres communiqués par notre rapporteur sont explicites : à la fin de 2019, nous indique la Drees, 61 % des bénéficiaires du RSA étaient allocataires depuis au moins deux ans, 37 % depuis au moins cinq ans et 16 % depuis au moins dix ans.
Après l’adoption de différents amendements et de longs débats en commission, ce dispositif, proposé à titre expérimental dans les départements volontaires, permet aux allocataires du RSA de cumuler les revenus d’une activité salariée et le RSA pour une durée de neuf mois, dans la limite d’un plafond fixé par décret.
J’apprécie l’esprit de cette proposition, car elle n’est pas dans la verticalité. Elle se fonde sur le principe du volontariat et, surtout, elle nous vient d’une demande du terrain. Je tiens, pour cela, à remercier notre collègue Claude Malhuret.
Le coût du dispositif, pour les départements, ferait l’objet d’une compensation financière par l’État dans les conditions applicables au financement du RSA.
Madame la ministre, alors que l’État est loin de respecter un principe cher au Sénat, à savoir « qui décide paye », il est peu probable que Bercy accepte de faire droit à ce vœu qui serait, pourtant, un bel exemple de différenciation dans l’attente de l’examen de la loi 4D.
Nous avions des doutes, mais ces derniers ont été levés par notre rapporteur, Daniel Chasseing, non sans pédagogie et avec une grande sagesse.
Aujourd’hui, nous avons donc la garantie que le bénéficiaire sera bel et bien inscrit à Pôle emploi comme demandeur d’emploi. Cela nous assure qu’il pourra être accompagné par le service public, mais aussi que ce dispositif aura bien une vocation d’intermédiaire.
Également, afin d’accompagner ces personnes, un tuteur sera désigné en entreprise.
Afin de permettre plus de flexibilité – et d’espérer plus d’offres d’emploi –, nous ouvrons la possibilité de déroger au temps de travail minimal pour les contrats à temps partiel, passant ainsi de vingt-quatre à quinze heures hebdomadaires. En effet, ce dispositif vise à permettre aux bénéficiaires de remettre un pied à l’étrier ; un maximum d’offres sont les bienvenues.
Et puis, nous nous assurons – c’est un point important à mes yeux – que le travail reste évidemment plus avantageux, et donc que le bénéficiaire ne pourra pas percevoir la prime d’activité pendant cette période de maintien du RSA. Cette modification a aussi le mérite – et pas des moindres – d’entraîner une économie pour l’État puisqu’il finance la prime d’activité.
C’est donc assuré de toutes ces garanties que je voterai, avec mon groupe, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot et M. Olivier Henno applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les collectivités départementales, compétentes en matière d’insertion sociale et professionnelle des allocataires du RSA, ont multiplié les initiatives et expérimentations.
Notons tout d’abord que la baisse du taux de couverture par l’État de cette prestation de solidarité, malgré son caractère dynamique dont témoigne la hausse de 9 % des allocataires en 2020, contraint la part des budgets départementaux consacrée à l’accompagnement et à l’expérimentation. Je prends note, madame la ministre, qu’il est proposé de desserrer ces contraintes à l’avenir.
Notons aussi que les nombreuses expérimentations souffrent d’une quasi-absence d’évaluation sérieuse et la multiplication des initiatives sans réelle analyse de leurs impacts sociaux à moyen terme ne permet pas d’en tirer des enseignements.
Dans ce contexte, le texte que nous examinons aujourd’hui, même si l’on ne peut contester son objectif, s’appuie cependant sur des diagnostics biaisés, relevés par beaucoup de chercheurs et d’associations entendus en audition.
Le premier est l’analyse des freins principaux à la reprise d’une activité des allocataires.
Ceux-ci nous paraissent relever principalement non pas de la désincitation financière à une reprise d’emploi, sinon pour une extrême minorité, mais du cumul des difficultés objectives – santé, mobilité, qualification, logement –, obstacles auxquels s’ajoute un minimum monétaire trop bas qui maintient en situation de pauvreté, voire d’extrême pauvreté. Dès lors, un cercle vicieux s’installe, qui voit l’énergie de l’allocataire se concentrer non sur la sortie du dispositif, mais sur sa propre survie. La pauvreté monétaire : voilà la véritable trappe à la reprise de l’activité !
Garantir un revenu décent ouvre sur l’emploi, comme l’ont établi Esther Duflo et, depuis longtemps, les associations travaillant au plus près de ce public.
Ce que nous devrions expérimenter, c’est l’intensification d’un accompagnement global et personnalisé, levant les freins dits « périphériques », dès l’inscription, tout comme un revenu minimal qui garantirait les besoins fondamentaux pour retrouver la capacité à se projeter dans une activité.
Une majorité d’allocataires veulent retrouver leur place dans la société, au-delà du froid calcul financier que suppose cette proposition de loi, d’autant qu’un mécanisme de gain au travail existe déjà dans le dispositif de la prime d’activité, revalorisée dernièrement à la suite du mouvement des « gilets jaunes ». D’ailleurs, plus de 10 % des bénéficiaires de la prime d’activité sont au RSA.
Le deuxième biais est du côté de l’offre de travail. Cette proposition de loi s’appuie sur le projet consistant à faire correspondre des emplois vacants avec des allocataires remobilisés par un cumul prétendument plus incitatif que la prime d’activité.
Le problème est double : les emplois vacants souffrent souvent d’un problème structurel d’attractivité, puisqu’ils ne trouvent pas preneurs, y compris auprès des personnes sans difficultés particulières ; le dispositif les rend ainsi artificiellement et temporairement attractifs, en proposant de relever le taux horaire d’un temps partiel par ailleurs contraint par le SMIC, et risque de créer des distorsions avec les travailleurs en place. Au bout d’un an, le retour au droit commun renouera avec la situation d’emplois « inattractifs » de par leurs conditions globales.
L’effet d’aubaine pour les employeurs n’est pas à négliger et le dispositif ne garantit pas des emplois durables non précaires.
À des emplois vacants, nous préférons une démarche d’adaptation des emplois à ce public, voire des créations d’emplois aidants répondant aux besoins non couverts au plus près des territoires.
Faute d’expérimenter d’autres voies, comme un revenu garanti décent, des mesures concrètes à la levée des freins, des emplois utiles et adaptés, ce texte ne vaut que par son intention. Le groupe écologiste votera contre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi du groupe Les Indépendants – République et Territoires, s’inspirant d’une initiative du département de l’Allier, vise, au travers de ses deux articles, à mettre en place une expérimentation pour quatre ans.
Il s’agirait de permettre, dans les départements volontaires, « aux allocataires du RSA de cumuler les revenus d’une activité salariée et le RSA pour une durée d’un an, afin de favoriser les démarches de retour à l’emploi et de les sécuriser ».
En octobre 2020, quelque 2,07 millions de foyers étaient bénéficiaires du RSA et 4,49 millions de foyers étaient éligibles à la prime d’activité. Près des deux tiers des bénéficiaires du RSA l’étaient depuis plus de deux ans.
La hausse des dépenses de RSA entre 2019 et 2020 se chiffre à 9,2 %. De plus, à la fin de septembre 2020, le nombre de bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) s’élevait à 380 400 personnes, en hausse de 10,7 % en cinq mois.
Ces quelques chiffres permettent de mieux cerner les publics ciblés par le présent texte.
L’intention – créer un dispositif venant compléter la palette d’outils existants – est louable. En outre, la commission a étoffé cette proposition de loi en dérogeant à la durée de travail hebdomadaire minimal et en suspendant le bénéfice de la prime d’activité. Toutefois, quel serait l’impact réel de ce texte pour les Français concernés ? Les membres de notre groupe s’interrogent pour quatre raisons.
Premièrement, le cumul entre RSA et salaire des saisonniers est déjà expérimenté dans de nombreux départements. Il permet aux bénéficiaires du RSA de continuer à percevoir l’allocation tout en ayant un salaire, pour une durée allant de deux à six mois selon les cas.
Ce cumul des revenus d’activité et du RSA s’est développé, tout particulièrement dans le contexte de pandémie de coronavirus. À cet égard, les départements utilisent leur droit à expérimenter afin d’atteindre un double objectif : assurer que l’accès à un emploi saisonnier ne mette pas en difficulté le salarié a posteriori et permettre aux secteurs en tension de trouver des personnes intéressées pour y travailler.
Deuxièmement, au sein de l’entreprise, une telle expérimentation crée un risque d’iniquité de taux horaire entre une personne employée via le dispositif, cumulant ainsi un salaire lié au contrat de 15 heures avec le RSA, et un autre employé dont le salaire est calculé uniquement sur la base de 35 heures. Cette situation, qui peut être source de tensions au sein des entreprises, doit être prise en compte.
Troisièmement, ce texte ne prévoit pas de suivi particulier pour les personnes visées par le dispositif, hormis celui imaginé à la genèse du RSA et renforcé sous ce quinquennat. Or, si le but est de favoriser le retour dans l’emploi des bénéficiaires du RSA, il aurait semblé pertinent d’assurer le maintien de ces derniers dans l’emploi.
En outre, la proposition de loi ne prévoit pas de mécanisme transitoire assurant la poursuite de l’emploi pour les bénéficiaires. Très concrètement, si, dans le cas du CDD d’un an, le dispositif se termine en même temps que le contrat, aucun outil n’est prévu pour s’assurer que le salarié ne perd pas les bénéfices de l’expérimentation en s’éloignant de l’emploi.
Quatrièmement et enfin, d’autres mesures ayant le même but sont déjà mises en œuvre. Je pense notamment au dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », dont nous avons voté l’extension il y a quelques mois dans cet hémicycle, conformément aux vœux de notre groupe ; au service public de l’insertion et de l’emploi (SPIE) ; aux 150 000 parcours emploi compétences (PEC) que l’État envisage de déployer en 2021 ; ou encore à l’insertion par l’activité économique (IAE).
Notre groupe a toujours été très favorable aux initiatives locales, car elles se révèlent souvent pertinentes ; mais les raisons que je viens d’énumérer, couplées à l’affaiblissement de l’articulation entre le RSA et la prime d’activité et à une politique difficile à chiffrer, nous conduiront, pour la plupart d’entre nous, à nous abstenir !
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi revient aux sources de la création du RSA en 2008 et notamment à son objectif initial : promouvoir les « solidarités actives ».
Différentes mesures ont visé à éliminer les désincitations à l’emploi et à faire en sorte que le travail paie davantage que l’inactivité. Mais, si l’articulation de la prime d’activité avec le RSA est vertueuse – elle permet d’éliminer l’essentiel des « trappes à inactivité » –, la logique incitative n’a pas été atteinte.
Les bénéficiaires du RSA, majoritairement sans emploi, ont pour la plupart plus d’un an d’ancienneté en tant qu’allocataires. Or, plus cette ancienneté s’allonge, moins ils ont de chances de s’en sortir.
Au préalable, ce dispositif s’inspire d’une initiative menée par le département de l’Allier. Nous ne pouvons que nous réjouir de la vitalité de nos territoires, qui agissent comme force de proposition : toutes les expérimentations venant du terrain sont intéressantes et méritent que l’on s’y attarde, en particulier en matière d’insertion professionnelle. Il s’agit là d’un parfait exemple de la différenciation promise dans le futur projet de loi 4D, qui se fait décidément attendre.
Pour ce qui concerne la proposition de loi en elle-même, le constat dressé par M. le rapporteur fait consensus : la peur de perdre les aides, notamment le RSA, compromet le retour à l’emploi.
Ce texte permet ainsi de mieux soutenir la transition des allocataires du RSA vers l’emploi : ces derniers pourraient être embauchés par des entreprises tout en conservant le bénéfice de leur allocation pendant une durée d’un an.
Le coût du dispositif serait compensé par l’État, sans reste à charge des départements, qui, en majorité, sont asphyxiés financièrement.
Ce dispositif viendrait compléter les mécanismes existants – je pense notamment à l’initiative « territoires zéro chômeur de longue durée », sur laquelle nous avons récemment eu l’occasion de nous prononcer – et favoriserait la démarche d’insertion des bénéficiaires.
Cette proposition de loi a également bénéficié des apports de la commission des affaires sociales, qui a notamment remplacé la condition de privation d’emploi par une condition d’ancienneté minimale d’un an dans le RSA pour cibler un public réellement en difficulté.
De même, la suspension du bénéfice de la prime d’activité pendant la période de maintien du RSA permettra de limiter les éventuelles distorsions introduites par le dispositif.
Je salue donc ce texte, qui contient plusieurs avancées. Si François Mitterrand disait, en son temps, que « contre le chômage on a tout essayé », cette proposition de loi est bien la preuve que nous pouvons encore agir pour favoriser l’insertion dans l’emploi des chômeurs de longue durée.
Après le revenu minimal d’insertion (RMI) de Michel Rocard, à l’origine, puis le RSA de Martin Hirsch, cette expérimentation est un pas de plus dans cette démarche solidariste qui puise son inspiration chez Léon Bourgeois, dans l’esprit d’un « quasi-contrat ». Tout ce qui encouragera la contribution volontaire des bénéficiaires du RSA pour reprendre un rôle plus actif dans la société leur permettra de retrouver une dignité de citoyen engagé !
Avec un certain nombre de mes collègues du groupe du RDSE, je voterai donc pour cette proposition de loi quand d’autres s’abstiendront, en attendant que le Gouvernement reprenne le dispositif ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi du groupe Les Indépendants – République et Territoires vise à expérimenter un mécanisme d’incitation au retour à l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active. Elle s’inspire d’une expérimentation menée dans le département de l’Allier, où les bénéficiaires du RSA peuvent travailler 15 heures par semaine sans perte des allocations du RSA.
Cette proposition de loi nous pose trois problèmes principaux.
Premièrement, elle repose sur un postulat biaisé : les bénéficiaires du RSA n’effectueraient pas les démarches pour retrouver un emploi alors qu’il leur suffirait de « traverser la rue »…
En comparant le nombre d’offres d’emploi et le nombre de bénéficiaires du RSA, la proposition de loi reprend le mythe d’un vivier d’emplois disponibles. En réalité, les intentions d’embauche ne sont pas les postes actuellement vacants. Selon la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), seulement 185 000 emplois étaient vacants au quatrième trimestre 2020.
De surcroît, un poste vacant n’est pas forcément pourvu par un chômeur. Selon les chiffres de Pôle emploi, la moitié des offres concernées sont retirées faute de besoins et 25 % des emplois proposés sont attribués en interne : en réalité, seulement 25 % des offres ne trouvent pas de candidat, soit 46 000 postes disponibles pour 2 millions de bénéficiaires du RSA en décembre 2020.
Deuxièmement, cette proposition de loi ne permet pas de faire sortir les bénéficiaires du RSA de la précarité. Avec un CDD de 15 heures de travail par semaine, il leur sera toujours impossible d’obtenir un prêt bancaire ou un logement.
En permettant de déroger à la durée hebdomadaire minimale de travail de 24 heures, vous aggravez les inégalités sociales et particulièrement les conditions de travail des femmes. En effet, ce sont elles qui subissent majoritairement les contrats courts dans le secteur des métiers du lien social.
Troisièmement et enfin, cette proposition de loi n’apporte aucune solution d’accompagnement et de formation pour les bénéficiaires du RSA éloignés de l’emploi. Pourtant, ce chantier devrait être la priorité.
Alors que la France dénombre actuellement 6 millions de chômeurs, l’État doit mobiliser les moyens humains et financiers nécessaires pour permettre à Pôle emploi de remplir sa mission de formation et de réinsertion. Plutôt que de réformer l’assurance chômage en réduisant les droits des chômeurs, le Gouvernement devrait s’attaquer au non-recours au RSA, dont le taux est estimé à 36 %. Ce phénomène représente plus de 3,6 milliards d’euros de prestations non versées.
En reprenant le vieux refrain cher à la droite – « les pauvres sont responsables de leur situation » –, vous stigmatisez les personnes qui survivent avec les minima sociaux. N’oublions pas que l’on parle de 565,34 euros par mois pour une personne. Qui peut vivre dignement avec une telle somme ? Qui ?
Plutôt que de culpabiliser les bénéficiaires du RSA pour les faire travailler 15 heures par semaine, aidons-les concrètement à se former et à retrouver de la mobilité.
Dans son rapport sur l’état de la pauvreté en 2020, le Secours catholique défend l’idée d’un revenu minimum garanti équivalant à 50 % du revenu médian, soit 893 euros par mois.
Cette proposition de loi va à l’encontre des attentes des bénéficiaires du RSA qui ont basculé dans l’extrême pauvreté depuis des années, alors même que leur nombre se multiplie ces derniers temps. Ils demandent un filet de sécurité qui les protège réellement et des solutions d’accompagnement individualisées pour retrouver un emploi durable.
Nous voterons contre cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi du président Claude Malhuret traduit, avant tout, une initiative locale.
Proposé par le département de l’Allier avec le soutien de plus de soixante entreprises, ce dispositif pourrait bénéficier à de nombreux départements volontaires, qui, du fait de la crise sanitaire, connaissent une hausse importante du nombre d’allocataires du RSA. Il s’appuie sur l’ingéniosité, l’expérience et le savoir-faire des acteurs locaux, confrontés quotidiennement aux difficultés de retour à l’emploi d’un grand nombre de bénéficiaires du RSA.
L’objectif est simple : faciliter la rencontre entre les entreprises locales qui ont des difficultés à recruter et les allocataires du RSA volontaires, qui s’engagent dans une démarche de retour vers l’emploi durable.
En la matière, il n’y a ni science exacte ni remède miracle. De nombreux dispositifs d’insertion existent, applicables selon le degré d’éloignement de l’emploi.
D’un côté, il y a le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », fruit d’une initiative d’ATD Quart Monde, ainsi que l’IAE au sein d’entreprises d’insertion, d’ateliers, de chantiers ou d’associations dédiés. Ces dispositifs s’adressent aux personnes très éloignées de l’emploi, qui ont besoin d’une période d’adaptation dans des structures à caractère social avant une éventuelle insertion dans les entreprises existantes.
De l’autre côté, la prime d’activité versée par l’État offre un complément de salaire progressif et pérenne aux personnes les moins éloignées de l’emploi qui retrouvent un travail, ainsi qu’à l’ensemble des salariés à faibles revenus.
En revanche, dans le droit actuel, nous n’avons pas de dispositif incitatif pour les personnes au RSA depuis au moins un an, éloignées de l’emploi et pour qui, sans être inatteignable, le retour vers l’emploi est plein d’ambiguïté. Les intéressés vont certes retrouver un travail ; mais ils vont rapidement perdre une grande partie de leurs allocations et des tarifs sociaux dont ils bénéficiaient. Cette situation s’observe en particulier dans le cadre des contrats à temps partiel, qui ont pourtant l’intérêt de permettre une reprise progressive du travail.
Aussi, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à sécuriser financièrement les reprises d’activité au sein des entreprises locales pour ces personnes, en leur permettant de conserver leur allocation pendant la première année de retour à l’emploi.
Pour limiter les distorsions, nous proposons de plafonner ce cumul à un certain montant, qui pourra être défini par décret.
De plus, pour éviter les effets d’aubaine, nous prévoyons de restreindre l’accès du dispositif aux volontaires qui sont au RSA depuis au moins un an.
Au cours de cette année de cumul, le bénéficiaire continuera à percevoir le montant du RSA ainsi que les droits connexes ouverts par l’allocation, notamment un certain nombre d’aides attribuées par les collectivités territoriales, comme les tarifs préférentiels pour emprunter les transports en commun et les tarifs sociaux de cantine scolaire.
L’intérêt du dispositif est d’offrir une stabilité financière au futur salarié pour lui permettre d’organiser le plus sereinement possible son retour à la vie active. À l’issue de cette première année, il pourra bénéficier d’un parcours emploi compétences et de la prime d’activité, complément de revenus modeste, mais pérenne et progressif. Il s’agit d’articuler la prolongation temporaire du versement du RSA avec la prime d’activité afin de lisser dans le temps la sortie du RSA en limitant les distorsions.
Le financement du dispositif sera assuré conjointement par l’État et par les départements volontaires.
La force de cette expérimentation réside dans sa simplicité et dans sa lisibilité. Plus nous ajouterons de contraintes, pour le bénéficiaire comme pour l’entreprise, plus le dispositif sera complexe et moins il aura de chances d’aboutir.
Mes chers collègues, je vous invite à voter cette proposition de loi adoptée par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, près de quinze ans après sa création, le RSA fait toujours autant parler de lui.
En 2007, lorsqu’il a été pérennisé par la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, le RSA a fait l’objet de lourdes critiques venues des bancs de la gauche, accusant la droite d’enfermer les Français les plus défavorisés dans la précarité. Or, quatorze ans plus tard, cette même gauche accapare le RSA pour l’ériger en totem inviolable ne pouvant ni recevoir de critiques ni faire l’objet d’améliorations : on l’a encore constaté ce matin.
Madame le ministre, souvenez-vous de la polémique que nous avons connue lorsqu’Édouard Philippe, alors Premier ministre, a repris l’idée d’une contrepartie au RSA. Cette idée avait déjà été formulée par Laurent Wauquiez en 2011 et elle lui avait également valu un flot de critiques.
Chers collègues du groupe Les Indépendants, c’est donc avec un certain courage – il faut le reconnaître – que vous nous présentez cette proposition de loi ! Sur le principe, je soutiens votre démarche, même si, à mon sens, vous auriez pu aller encore plus loin. Permettez-moi aussi de suggérer quelques pistes d’amélioration du RSA, que j’estime aujourd’hui dépassé.
Le RSA a pour but de maintenir les Français les plus pauvres dans la dignité : il n’a pas vocation à enfermer une partie de nos concitoyens dans la précarité.
J’ajoute que, même si elle passe par un revenu minimum, la dignité n’a pas l’argent pour seul gage. Les bénéficiaires du RSA eux-mêmes me le disent : l’argent, c’est bien, mais la reconnaissance aide aussi beaucoup au retour vers l’emploi. Or qu’est-ce qui apporte plus de reconnaissance et d’épanouissement que le travail et l’activité ?
Le RSA doit être une rampe vers l’emploi. Il doit impliquer une activité, y compris bénévole. Celle-ci sera toujours formatrice et épanouissante pour le bénéficiaire. En outre, elle lui permettra d’avoir des contacts au quotidien et, par voie de conséquence, une vie sociale.
La contrepartie d’activité au RSA est aussi une question de justice et de mérite. Si le dicton nous rappelle que « tout travail mérite salaire », le bon sens nous rappelle également que tout salaire ou revenu implique travail !
Alors même que le budget de notre pays est mis à mal, il faut le dire et le répéter : il est plus que temps de revoir la redistribution de l’argent public, qui n’est autre que l’argent du contribuable.
J’y insiste, la logique est non seulement financière, mais aussi et surtout humaine, et j’en suis intimement persuadé : il y va de la dignité des bénéficiaires. Il faut des contreparties obligatoires au RSA, comme quelques heures d’action civique ou d’œuvres d’intérêt général par semaine. Elles permettent de garder une activité, une sociabilité, d’acquérir de nouvelles compétences ou appétences. Elles évitent aux allocataires de sombrer dans le cercle infernal de la précarité pécuniaire et morale.
Mes chers collègues, nous devons en prendre conscience : percevoir un minimum social sans contrepartie, c’est comme recevoir l’obole. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) Certains s’en satisfont, mais la grande majorité trouve cela dégradant et méprisant.
C’est bien à force de subir le mépris que les Français les plus défavorisés sont allés sur les ronds-points pour montrer qu’ils existent, pendant la crise des « gilets jaunes ». Voilà ce que nous devons voir, voilà ce qu’il faut changer.
Je voterai ce texte, mais je le considère comme le point de départ d’une réflexion plus profonde sur l’aide sociale dans notre pays. Cette dernière doit être à la fois financière et humaine : elle doit assister les Français les plus précaires tout en les encourageant à sortir de la pauvreté au lieu de les y enfermer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt, est reprise à quatorze heures cinquante, sous la présidence de M. Georges Patient.)
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Modifications de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 14 avril, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mardi 18 mai, après-midi et soir, et, éventuellement, du mercredi 19 mai, après-midi, sous réserve de son dépôt et de sa transmission, du projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.
En conséquence,
– d’une part, l’examen du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique et du projet de loi organique modifiant la loi organique relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution est reporté au mercredi 19 mai, après-midi et soir, et, éventuellement, au jeudi 20 mai matin, à l’issue de l’examen des deux propositions de loi déjà inscrites à l’ordre du jour, après-midi et soir ;
– d’autre part, l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances est reporté au jeudi 20 mai, à la suite des textes déjà inscrits à l’ordre du jour, et, éventuellement, au vendredi 21 mai, matin et après-midi.
Acte est donné de ces demandes.
Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire au mardi 18 mai à 12 heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Par ailleurs, par courrier en date du 14 avril, M. François Patriat, président du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, et, par courrier en date de ce jour, M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants – République et Territoires, demandent l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution présentée par MM. Alain Richard et Joël Guerriau, en application de l’article 34-1 de la Constitution, en faveur de l’association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales.
Nous pourrions inscrire ce texte, sous réserve du respect du délai d’information préalable du Gouvernement, en complément de l’ordre du jour du jeudi 6 mai après-midi.
Comme il est d’usage lors de l’examen des propositions de résolution, les interventions des orateurs des groupes vaudront explications de vote sur le texte.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Enfin, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, en accord avec le Gouvernement et le groupe Écologiste – Solidarités et territoires, et après consultation de l’ensemble des groupes politiques, le débat sur le thème : « Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC » serait désormais inscrit à l’ordre du jour du mardi 4 mai, le soir et le débat sur le thème : « Contrat de relance et de transition écologique, ne pas confondre vitesse et précipitation » serait désormais inscrit à l’ordre du jour du mercredi 5 mai en dernier point de l’ordre du jour de l’après-midi.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
6
Retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA
Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi d’expérimentation visant à favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA).
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi d’expérimentation visant à favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (rsa)
Article 1er
I. – Pour une durée de quatre ans à compter de la parution du décret mentionné au VII, une expérimentation visant à favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active est mise en place dans les départements volontaires. La liste des départements retenus pour participer à l’expérimentation est fixée par arrêté du ministre chargé de l’action sociale.
II. – Peut bénéficier du dispositif prévu par la présente loi toute personne volontaire, bénéficiaire du revenu de solidarité active depuis au moins un an, inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi et domiciliée dans un département participant à l’expérimentation mentionnée au I du présent article.
III. – Par dérogation aux articles L. 262-2 et L. 262-3 du code de l’action sociale et des familles, les revenus professionnels perçus par les bénéficiaires de l’expérimentation mentionnée au I du présent article dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée d’une durée d’un an ou à durée indéterminée sont exclus pendant une période maximale de douze mois du montant des ressources déterminant l’éligibilité au revenu de solidarité active et servant au calcul de cette allocation, selon des modalités et dans la limite d’un plafond fixés par décret.
Pendant la même période, le bénéfice de la prime d’activité mentionnée à l’article L. 841-1 du code de la sécurité sociale est suspendu pour les bénéficiaires de l’expérimentation mentionnée au I du présent article.
Dans le cadre de cette même expérimentation, par dérogation au premier alinéa de l’article L. 3123-7 du code du travail et aux dispositions conventionnelles en vigueur prévoyant une durée plus longue, les bénéficiaires de ladite expérimentation peuvent être embauchés dans le cadre d’un contrat de travail prévoyant une durée de travail hebdomadaire minimale de quinze heures. Ils peuvent conclure un contrat à durée déterminée au titre du 1° de l’article L. 1242-3 du même code.
IV. – Les articles L. 121-4 et L. 262-26 du code de l’action sociale et des familles ne sont pas applicables à la décision d’un département de participer à l’expérimentation prévue par la présente loi. Les charges supplémentaires pour les départements résultant du III du présent article font l’objet d’une compensation financière par l’État dans les conditions applicables au financement du revenu de solidarité active.
V. – Au plus tard dix-huit mois avant le terme de l’expérimentation mentionnée au I, les conseils départementaux des départements sélectionnés pour l’expérimentation dressent le bilan de l’expérimentation dans un rapport. Ce rapport précise la situation individuelle des bénéficiaires de l’expérimentation avant leur entrée dans le dispositif, évalue leur situation à la sortie du dispositif, présente l’évolution du nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active ainsi que celle du nombre d’emplois non pourvus dans le département au cours de la période expérimentale et décrit les dépenses occasionnées par le dispositif.
VI. – Au plus tard douze mois avant le terme de l’expérimentation mentionnée au I, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation afin de déterminer les conditions appropriées pour son éventuelle généralisation. Ce rapport évalue l’impact du dispositif sur le retour à l’emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active, sur l’appariement entre l’offre et la demande de travail ainsi que sur les finances publiques.
VII (nouveau). – Un décret détermine les modalités d’application de la présente loi.
M. le président. La parole est à M. Bruno Rojouan, sur l’article.
M. Bruno Rojouan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que sénateur de l’Allier et conseiller départemental de ce département pendant vingt-cinq ans, je tiens à vous présenter ma position sur le texte que nous examinons.
Comme cela a été rappelé lors de la discussion générale, cette proposition de loi est issue des travaux du conseil départemental de l’Allier, lequel est à l’origine de cette initiative et l’a partagée avec l’ensemble des parlementaires du département. L’objectif est de favoriser le lien entre l’économie et l’insertion en permettant, plus qu’aujourd’hui, le cumul du RSA et d’un salaire via un nouveau dispositif.
Les départements ont toujours été attentifs à la situation des entreprises et au maintien de l’emploi. Ils sont bien souvent déjà à l’origine de politiques volontaristes et nécessaires qui ont largement structuré les démarches des publics en insertion.
C’est pourquoi cette expérimentation offre un nouveau cadre qui encourage la reprise d’activité des bénéficiaires du RSA, tout en répondant aux besoins des entreprises. Il faut savoir que, dans mon département, le nombre de foyers bénéficiaires du RSA s’élève à environ 10 000. En parallèle, le nombre d’offres d’emploi est quasiment identique. Ainsi, cette expérimentation aura tout son sens.
Le département est un échelon de proximité indispensable. Il finance le RSA, en partie sur ses fonds propres et en partie sur les contributions fournies par l’État. Face aux difficultés rencontrées, il me semble pertinent de soutenir les expérimentations visant à limiter, à terme, la hausse du nombre de bénéficiaires du RSA, en leur offrant une étape progressive vers le monde du travail. Tel est l’objectif de cette expérimentation. Ces démarches sont d’autant plus pertinentes qu’elles émanent directement des acteurs de terrain.
Pour toutes ces raisons, je soutiens cette proposition de loi afin d’accompagner cette initiative et de lui donner toutes ses chances. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mmes Pluchet, Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1, seconde phrase
Compléter cette phrase par les mots :
précisant le nombre de bénéficiaires relevant de cette expérimentation
II. – Alinéa 2
Supprimer les mots :
depuis au moins un an
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Cet amendement, largement évoqué en commission, tend à ouvrir le dispositif à l’ensemble des bénéficiaires du RSA, notamment à ceux qui sont les plus proches de l’employabilité, ce qui ne se résume pas à plus ou moins un an de chômage.
On sait par expérience que les bénéficiaires de RSA se divisent schématiquement en trois grands groupes : ceux qui sont victimes d’accidents de la vie, notamment de problèmes de chômage, qui ne sont pas éloignés de l’employabilité, mais qui ont besoin d’un accompagnement pour retrouver l’emploi ; ceux qui en sont beaucoup plus éloignés, pour lesquels le département sait mener des actions d’insertion plutôt tournées vers l’insertion professionnelle, parce qu’ils ont besoin d’une formation plus adaptée et d’un accompagnement pour retourner à l’emploi, étant plus loin dans le parcours ; enfin, un troisième bloc rassemble ceux qui doivent bénéficier d’un accompagnement social en vue de l’insertion, le moment n’étant pas venu de leur proposer un retour à l’emploi, avec des actions bien ciblées que savent également mettre en œuvre les départements.
Pour que les expérimentations soient valables, il faut ouvrir le plus largement possible le dispositif et ne pas le limiter à ceux qui perçoivent le RSA depuis une certaine durée. Ce point constitue la deuxième partie de cet amendement.
La première partie vise, quant à elle, à contingenter le nombre de bénéficiaires, afin d’échapper, d’abord, à l’article 40 de la Constitution, mais aussi parce que, dans la négociation avec l’État, il faudra avancer un nombre de bénéficiaires. L’État ne va pas compenser en se contentant d’ouvrir le carnet de chèques, il dira éventuellement qu’il en finance 100, 200 ou 300, selon les départements, même si, maintenant que le Gouvernement a fait part de son avis défavorable, nous avons des raisons d’être inquiets !
Alors devra s’ouvrir une discussion sur les critères pour que cette expérimentation puisse être généralisée, avec de gros départements urbains, ceux qui sont au-dessus d’un million d’habitants, des départements intermédiaires, entre 300 000 habitants et un million d’habitants, ou des départements ruraux, de moins de 300 000 habitants. Cette discussion, madame la ministre, doit se tenir avec l’Assemblée des départements de France (ADF), qui peut très bien représenter les différents départements, et doit permettre de fixer des critères éventuellement généralisables.
Tel est le but de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Chasseing, rapporteur de la commission des affaires sociales. Cette proposition de loi prévoit effectivement une condition d’un an d’ancienneté dans le RSA pour bénéficier du dispositif ; la commission a considéré que des conditions plus souples seraient préférables.
Des personnes bénéficiant du RSA depuis moins d’un an peuvent, comme l’a dit René-Paul Savary, se trouver en situation d’exclusion et c’est peut-être parmi elles que l’on parviendra à trouver des personnes motivées et volontaires pour entrer dans le dispositif prévu par cette proposition de loi.
Cet amendement tend à laisser plus de latitude aux départements pour identifier ces personnes ; son application nécessitera bien, à mon sens, des échanges avec l’ADF. En tout état de cause, la commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie. Sur le fond, nous sommes d’accord et nous partageons l’objectif d’aider et d’insérer les personnes les plus éloignées de l’emploi, notamment certains bénéficiaires du RSA, mais l’idée est aussi de faire en sorte que les dispositifs d’insertion soient proposés au plus tôt dans le parcours de la personne qui commence à bénéficier du RSA ; à défaut, nous manquerions la cible que nous souhaitons tous atteindre. Moins l’ancienneté dans le RSA est élevée, plus on a de chances de parvenir à une insertion sociale.
En revanche, nous n’approuvons ni la forme du dispositif ni l’expérimentation proposée, c’est pourquoi je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Nous avions déposé le même amendement, mais nous n’avions pas vu venir l’article 40 de la Constitution !
Nous estimons effectivement que, quand on est bénéficiaire du RSA, on est déjà dans des dispositifs de minima sociaux depuis un moment : avant le RSA, on a bénéficié de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et, encore avant, on a été au chômage. Quand on arrive au RSA, on est déjà éloigné de l’emploi depuis un moment et on est déjà en grande difficulté. Cette règle d’ancienneté ne nous paraît donc pas opportune et, si ce dispositif devait exister, il devrait, selon nous, s’appliquer immédiatement, dès lors que quelqu’un est bénéficiaire du RSA.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Nous avons eu cette discussion en commission ; à mon sens, cet amendement vient améliorer le texte.
Je partage les propos de René-Paul Savary s’agissant de la « segmentation », même si ce mot n’est peut-être pas le plus approprié. En tout état de cause, si une segmentation était nécessaire, la durée dans le RSA ne me semblerait pas être le critère pertinent.
Par ailleurs, une expérimentation me semble devoir être contingentée. Nous voterons cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Comme je le disais en discussion générale, en élargissant le dispositif aux bénéficiaires du RSA sans condition de durée, à la différence de « territoires zéro chômeur de longue durée », vous lui ôtez sa spécificité et vous supprimez l’intérêt de l’évaluation en favorisant l’effet d’aubaine qui pourrait en résulter.
Vous souhaitez inclure les personnes dès leur entrée dans le RSA, c’est-à-dire celles qui sont les plus proches de l’employabilité, mais les entreprises trieront elles-mêmes et choisiront, de fait, les bénéficiaires les plus proches de l’employabilité.
Surtout, en 2020, le nombre de bénéficiaires du RSA a augmenté de 9 %. Que recouvre ce chiffre ? D’abord, les personnes qui n’ont pas pu sortir du RSA, parce que l’activité s’est en partie effondrée. Il a été prouvé que ces personnes seraient sorties du RSA en temps normal. Cette expérimentation n’a donc aucun intérêt pour elles, qui ont été bloquées dans le RSA en raison de la conjoncture économique. Les entreprises les emploieront.
Ces 9 % d’augmentation incluent aussi les nouveaux entrants dans le RSA. Les concernant, je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous : les nouveaux publics, les indépendants, par exemple, ne sont pas toujours passés par une période longue de chômage et d’ASS. C’est faux. Une grande partie d’entre eux pourront rebondir si l’activité repart.
Enfin, l’augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA s’explique aussi par le fait que beaucoup d’entre eux trouvent, certes, un emploi, mais un emploi précaire. Or quand l’activité s’effondre, que les contrats à durée déterminée et les temps partiels contraints ne sont plus accessibles, en effet, ceux qui y avaient accès auparavant se retrouvent bloqués dans le RSA.
Élargir le dispositif prévu dans cette proposition de loi, en disant aux entreprises de prendre les plus employables, c’est-à-dire les publics nouveaux que je viens d’évoquer, provoquerait un effet d’aubaine allant à l’encontre de la bonne évaluation d’un dispositif spécifique.
Notez que je me contente ici d’apporter un éclairage sur un mécanisme que je ne trouve pas pertinent par ailleurs.
M. le président. La parole est à M. Laurent Burgoa, pour explication de vote.
M. Laurent Burgoa. Nous n’allons pas reprendre la discussion que nous avons eue en commission des affaires sociales ; à mon sens, il faut louer l’initiative de cette proposition de loi, qui vient du terrain.
Si c’est pour ne pas aller dans le sens des initiatives de terrain, alors, madame, il ne faut pas siéger au Sénat ! Il faut siéger à l’Assemblée nationale, où l’on voit que nos collègues sont complètement déconnectés de la réalité. Vous pourrez ainsi débattre sur des idées.
À mon sens, la proposition de notre collègue Claude Malhuret correspond à une pratique de son département de l’Allier. C’est une initiative qui est bonne à prendre, pourquoi ne pas l’appliquer ? Nous verrons ensuite.
La proposition de René-Paul Savary consiste à ouvrir le dispositif à tous les bénéficiaires du RSA. Il s’agit d’une expérimentation, allons-y et arrêtons de débattre pour ne rien dire !
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Je prends la parole pour soutenir cet amendement et indiquer qu’il tend à améliorer l’objet de l’expérimentation, que, d’une façon générale, nous soutenons.
Je voudrais aussi réagir à l’intervention de notre collègue de la commission affaires sociales, qui nous explique que le plus important, c’est l’efficacité de l’évaluation. Écoutez, pour moi, le plus important, c’est l’efficacité de l’expérimentation, qui permet à des gens de retrouver du boulot ! C’est là le point essentiel.
On nous indique que, grâce à cet élargissement, des personnes peut-être moins éloignées de l’emploi pourraient retrouver du travail. Mais je suis très heureux de cela ! On a le sentiment d’une déconnexion complète et je suis vraiment atterré par ce type de propos.
M. Laurent Burgoa. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Tout d’abord, madame la ministre, je vous remercie de votre avis de sagesse ; il signifie que cette proposition de loi, contrairement à ce que vous avez affirmé dans la discussion générale, constitue une réponse adaptée à certains publics qui rencontrent des difficultés.
M. René-Paul Savary. Je voudrais dire ensuite à Mme Poncet Monge que ce n’est pas l’entreprise qui va « trier » les bénéficiaires du RSA. C’est le travailleur social qui, pour ces publics, est en lien avec le collaborateur de Pôle emploi, qui va proposer des personnes susceptibles d’être accompagnées pour travailler dans l’entreprise. C’est ainsi.
Il ne s’agit donc pas d’offrir un effet d’aubaine à l’entreprise, mais de donner un choix aux personnes concernées, une possibilité de s’en sortir. C’est pour cela qu’il me semble important d’ouvrir le dispositif à tous les bénéficiaires susceptibles de trouver une sortie au travers de cette expérimentation.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.
Mme Pascale Gruny. Je souscris également à cet amendement, même si j’ai moi-même déposé des amendements qui ne sont pas tous repris par notre collègue rapporteur Daniel Chasseing, et je soutiendrai cette expérimentation.
Ma chère collègue, vous avez évoqué les indépendants, qui, selon vous, rebondiront de toute façon. Vous allez voir ce qui se passera quand on enlèvera la perfusion de l’État ; cela va être très compliqué et je ne sais pas comment ils rebondiront.
Tout le monde rencontrera des difficultés à un moment ou un autre ; élargir le dispositif aux publics qui sont peut-être les moins éloignés ne veut pas dire que les plus éloignés n’auront pas leur place.
En revanche, je défends l’entreprise, que je connais bien. Pour elle, il n’est pas facile de recevoir des publics très éloignés de l’emploi et ce n’est pas non plus son rôle. (Mme Cathy Apourceau-Poly proteste.) Dans un secteur marchand, il faut faire du résultat. Si une entreprise passe énormément de temps à accompagner les salariés, elle ne pourra pas en consacrer à d’autres tâches.
L’expérimentation visant à essayer de remettre les gens au travail, c’est vraiment l’essentiel. À ce titre, son élargissement me semble normal, c’est pourquoi je soutiens la proposition de notre collègue René-Paul Savary.
Je dirais, enfin, à Mme Poncet Monge que nous avons la possibilité de faire des stages en entreprise. C’est très intéressant, quand on arrive au Sénat. (Protestations sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Mme Laurence Cohen. C’est inadmissible !
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. J’ai bien compris les propos de Mme Poncet Monge et il me semble que ces réactions sont très discourtoises. On a le droit d’avoir un avis différent du vôtre ! Mme Poncet Monge a un avis complètement opposé au vôtre, comme moi, d’ailleurs, qui suis également complètement opposée à ce que vous proposez. Pour autant, on n’a pas le droit de faire preuve de mépris à l’égard d’une collègue qui, elle, peut dire ce qu’elle pense.
J’ai apprécié l’intervention de M. Savary, qui est resté courtois, les autres interventions m’ont semblé discourtoises à l’égard de notre collègue. On peut ne pas être d’accord, mais on doit rester correct les uns vis-à-vis des autres ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDSE.)
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié, présenté par Mmes Jacquemet, Doineau, Berthet, Puissat, Demas et Billon, M. Lefèvre, Mme Paoli-Gagin, M. Hingray, Mmes Gruny, de La Provôté, Gosselin et Guidez, M. Longeot, Mme Sollogoub, M. Courtial, Mme Vérien, MM. Moga et Chauvet, Mme F. Gerbaud, M. Saury, Mme Gatel, M. Kern, Mmes N. Goulet et Herzog, MM. Levi, Delahaye, Louault, S. Demilly, Folliot, Cadic, P. Martin, Canevet et Delcros, Mmes Vermeillet et Loisier, M. Lafon, Mmes Létard et Morin-Desailly et MM. Laugier, Le Nay et Prince, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
an,
insérer les mots :
ayant signé le contrat d’engagements réciproques prévu à l’article L. 262-35 du code de l’action sociale et des familles,
La parole est à Mme Annick Jacquemet.
Mme Annick Jacquemet. Dans la rédaction proposée dans le texte de la commission, peuvent bénéficier de cette expérimentation les personnes volontaires bénéficiaires du revenu de solidarité active privées d’emploi depuis un an ou moins et domiciliées dans les départements participant à l’expérimentation.
Le présent amendement vise à apporter une précision et à imposer un nouveau critère pour pouvoir y prétendre : avoir obligatoirement signé en amont un contrat d’engagements réciproques (CER). L’établissement de ce contrat permet l’énumération des engagements réciproques des parties en termes d’insertion professionnelle et formalise la mise en œuvre du projet d’insertion.
Comme pour le projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE), le CER consacre des droits et obligations qui lient bénéficiaires et collectivités. Il précise, notamment, les actes positifs et répétés de recherche d’emploi que le bénéficiaire s’engage à accomplir. Il permet donc d’être sûr de la bonne foi et de la motivation des personnes volontaires pour cette expérimentation.
Au niveau national, le taux de contractualisation atteint seulement 52 %, un chiffre bien trop faible, alors même qu’il s’agit d’une obligation.
Lors de l’examen des amendements de séance en commission des affaires sociales, le 14 avril, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, avec une justification qui peut évidemment sembler recevable : cette obligation figure déjà dans la loi.
S’assurer que ceux qui auront l’opportunité d’entrer dans ce dispositif ont souscrit à leurs obligations me semble toutefois relever du bon sens. Tel est l’objet de cet amendement. Comme disait Talleyrand, « si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Chasseing, rapporteur. Cet amendement vise à faire de la signature d’un contrat d’engagements réciproques (CER) une condition nécessaire pour bénéficier du dispositif.
Cette proposition nous semble un peu problématique, car elle exclut les bénéficiaires du RSA suivis par Pôle emploi, dont il arrive pourtant, comme c’est le cas dans l’Allier, qu’ils représentent la majorité des allocataires.
Le CER ne concerne que les bénéficiaires du RSA qui sont orientés vers un organisme autre que Pôle emploi. En effet, les allocataires orientés vers Pôle emploi élaborent, pour leur part, un projet personnalisé d’accès à l’emploi.
Par ailleurs, si l’on ne peut que déplorer le faible taux de contractualisation, la conclusion d’un CER est déjà obligatoire pour les personnes concernées.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement, mais Mme Annick Jacquemet indique que le taux de contractualisation est faible dans son département – 52 % – comme dans d’autres. Je souhaiterais connaître l’avis du Gouvernement sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
Cette condition relative à la signature d’un contrat d’engagements réciproques est déjà prévue dans le code de l’action sociale et des familles. L’anomalie qui reste à corriger, c’est le faible taux de signature. Y remédier est d’ailleurs un des objectifs fixés tant dans la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté que dans la contractualisation avec les départements.
On ne saurait imputer cette charge à l’allocataire du RSA, qui n’est pas toujours responsable de cette situation ; sa motivation n’a parfois rien à voir là-dedans.
Cette obligation est en tout cas satisfaite par le code de l’action sociale et des familles. Il me paraît superfétatoire d’y ajouter une clause.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je tiens à dire que des expérimentations sur le RSA se font sur tous les territoires, mais qu’évidemment elles diffèrent selon la couleur des conseils départementaux. Dans la métropole de Lyon, nous expérimentons le RSA pour les moins de 25 ans. Je vous renvoie à l’analyse que j’ai développée ce matin : ce n’est pas une réflexion hors sol.
Quant à l’expérience professionnelle, mes chers collègues, je vous souhaite d’en avoir une aussi longue que la mienne…
Dans un contrat, il y a deux parties. Le premier contrat d’engagements est signé avec le conseil général ou la métropole. Alors que le premier entretien d’accompagnement a lieu en moyenne, au niveau national, soixante-dix-huit jours après la signature, je pose la question : qui ne tient pas ses engagements ? Qui ne respecte pas les droits et devoirs afférents au contrat ? Il faut commencer par s’interroger sur ce chiffre – 52 % – et résoudre le problème qu’il révèle !
Pour ce qui est du contrat d’engagement avec l’entreprise, j’espère que des amendements seront adoptés pour formaliser l’engagement que prend l’entreprise.
Voilà ce que je voulais souligner, au-delà du fait, déjà relevé par Mme la ministre, que cet amendement est satisfait – vous voyez, mes chers collègues, que j’ai appris le vocabulaire du Sénat ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. René-Paul Savary l’a bien expliqué : les bénéficiaires du RSA sont, si je puis dire – l’expression n’est pas très jolie – « classés » dans diverses catégories. Lorsqu’un demandeur est orienté vers Pôle emploi, c’est que les travailleurs sociaux qui gèrent son dossier savent qu’il est en mesure de reprendre immédiatement un emploi ; ceux qui sont orientés vers les travailleurs sociaux sont ceux pour lesquels on a décelé un certain nombre d’« inconvénients » les empêchant d’entrer immédiatement dans l’emploi et justifiant qu’ils bénéficient d’un accompagnement social.
Cela étant posé, pour ceux qui prennent un emploi, signer un contrat de travail, c’est un engagement. Je ne vois donc pas en quoi y ajouter la signature d’un contrat d’engagements réciproques améliorerait les choses. Le contrat de travail, c’est un engagement !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
Mme Monique Lubin. Cette clause me semble superfétatoire, sans compter qu’elle est teintée de sous-entendus : s’agissant des bénéficiaires du RSA, il en faudrait toujours plus en matière d’engagements… C’est à mon avis complètement inutile.
M. le président. La parole est à Mme Annick Jacquemet, pour explication de vote.
Mme Annick Jacquemet. J’entends bien, madame la ministre, que mon amendement est satisfait. Sur le terrain et en pratique, on se rend compte néanmoins que tel n’est pas du tout le cas : 52 % en moyenne – et je n’ai pas inventé ce chiffre –, cela signifie que certains départements sont en dessous. D’autres sont au-dessus, c’est vrai ; reste que l’application sur le terrain de ce dispositif me paraît largement insuffisante.
Madame Lubin, vous dites qu’un contrat de travail sera signé avec l’entreprise ; certes, mais les CER, eux, doivent être signés en amont, dès que la personne bénéficiaire du RSA entre dans ce processus d’insertion.
Même s’il est satisfait, je maintiens mon amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.
M. Jean-François Longeot. Je soutiendrai cet amendement.
Il a été déposé par quelqu’un qui, voilà six mois, était encore première vice-présidente du conseil départemental du Doubs chargée de l’action sociale et qui a pu, à ce titre, constater les défaillances existant sur le terrain.
J’ai bien entendu ce que vous dites, mais un contrat engage les deux parties. Et le dispositif proposé par le biais de cet amendement a le grand intérêt d’engager la partie qui doit accompagner le bénéficiaire du RSA à tout mettre en œuvre pour l’aider. Quant au bénéficiaire du RSA, il doit également tâcher d’honorer sa part du contrat. Ces deux engagements sont très complémentaires.
L’idée, ici, est vraiment d’accompagner le bénéficiaire du RSA. Je reprends ce que vous disiez : si des défaillances sont à déplorer, c’est parce qu’on prend les gens trop tard ; ils finissent par tomber dans des dérives et ont du mal à se réinsérer. Il faut que nous les y aidions et, de ce point de vue, ces contrats sont importants.
Je voterai donc cet amendement, car le contrat d’engagements réciproques concerne les deux parties : celui qui doit essayer de s’en sortir et celui qui a le devoir de l’accompagner. Retrouver une activité professionnelle, quand on le peut, c’est le meilleur remède à tous les maux de notre société.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Chacun ici sait – on le sait en tout cas lorsqu’on a siégé dans un conseil départemental – que l’accompagnement et le contrôle existent déjà. Tous les mois ou tous les deux mois, selon les pratiques, les comités locaux d’insertion se réunissent avec les acteurs représentant les associations, les entreprises, les élus.
Et les bénéficiaires qui ne remplissent pas leurs devoirs sont rappelés à l’ordre par des mesures éducatives, voire par des sanctions financières. Je ne vois donc pas en quoi cet amendement apporte quoi que ce soit de nouveau.
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet, pour explication de vote.
Mme Nadège Havet. Il y a encore six mois, j’étais à Pôle emploi en tant qu’employée. Quand nous recevons des personnes bénéficiaires du RSA, nous signons avec elles un PPAE, c’est-à-dire un projet d’accompagnement.
Il existe aussi un accompagnement dit global ; dans le cadre de ce dispositif, des travailleurs sociaux aident les personnes bénéficiaires du RSA à préparer leur retour à l’emploi.
Un certain nombre de choses sont déjà actées dans les entretiens de Pôle emploi, via les PPAE que je viens d’évoquer notamment. Y ajouter encore quelque chose, cela me semble trop. Ne peut-on pas plutôt travailler sur le contenu du projet d’accompagnement signé avec Pôle emploi et avec le travailleur social ?
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. J’entends ce que nous a dit Annick Jacquemet – elle nous l’avait dit hier en commission. Le taux de contractualisation est effectivement insuffisant ; vous êtes alertée sur ce problème, madame la ministre, et il doit être réglé – tel est le sens de cet amendement.
Mais je ne vois pas l’intérêt de réintroduire dans les textes des dispositions qui y figurent déjà : nous sommes là pour légiférer vraiment. Quand quelque chose ne fonctionne pas, on a beau le répéter quinze fois dans la loi, le résultat reste le même.
Je maintiens donc l’avis défavorable émis par la commission ; en revanche, que vos remarques soient prises en compte me semble important.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Cet amendement est le fruit d’une réflexion intéressante. Nous sommes tous interpellés sur cette question : pourquoi les contrats d’engagements réciproques, qui devraient théoriquement être signés partout, ne le sont-ils pas ? On se dit que certains ne font pas leur boulot, et en tout cas que quelque chose cloche.
Mais les choses sont bien plus compliquées que cela ; il faut beaucoup d’humilité dans l’approche de ce problème.
Votre amendement vient un petit peu tôt, ma chère collègue : nous vous proposerons tout à l’heure de créer, avec l’avis favorable de M. le rapporteur, un dispositif de tutorat au sein de l’entreprise.
M. Philippe Mouiller. Oui !
M. René-Paul Savary. La personne choisie, une personne bien ciblée, travaillera en collaboration avec le travailleur social du département et avec le conseiller de Pôle emploi qui suit le bénéficiaire, puisqu’il s’agit d’allocataires automatiquement inscrits à Pôle emploi, par définition proches de l’employabilité.
L’inscription à Pôle emploi fait d’ailleurs partie des obligations qui peuvent être inscrites dans le contrat – il s’agit alors d’un engagement d’insertion professionnelle –, comme peut l’être un engagement aux soins en vue de recouvrer la santé quand la personne est très éloignée de l’emploi – ce qui est en jeu, alors, c’est plutôt l’insertion sociale.
Si l’on tient compte de la création du tutorat, je ne vois pas de valeur ajoutée dans le maintien du contrat d’engagements réciproques. Je m’associe à mes collègues : retirez votre amendement plutôt que de vous exposer au risque d’un vote négatif alors que nous partageons la même philosophie.
Mme Annick Jacquemet. Je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 14 rectifié est retiré.
M. René-Paul Savary. Merci !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements et d’un sous-amendement faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 12, présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
1° Supprimer les mots :
d’une durée d’un an ou à durée indéterminée
2° Remplacer les mots :
une période maximale de douze mois
par les mots :
la durée de ce contrat
La parole est à Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin. Dans le texte qui nous est proposé, il est prévu que le bénéficiaire du RSA qui trouve un emploi soit éligible au dispositif de l’alinéa 3 si le contrat de travail est d’une durée minimale d’un an ou est un CDI.
Nous trouvons cette disposition tout à fait contre-productive : précisément, lorsqu’on est durablement éloigné de l’emploi, a fortiori si s’applique ce que vous avez prévu, donc s’il faut être au RSA depuis au minimum un an pour être éligible, lorsqu’on est, donc, fort durablement privé d’emploi, si je puis dire, il paraît difficile que le retour à l’emploi se fasse immédiatement via un CDD d’un an, sans parler d’un CDI. Il faut souvent y aller plutôt par petites touches et commencer par des contrats plus courts.
Le texte dans son état actuel ne nous convient pas.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié bis, présenté par Mme Gruny, MM. Cuypers et Savin, Mme Deseyne, M. Lefèvre, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mme M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam, Thomas, Chauvin, Micouleau et Demas, M. Bouloux, Mme Deromedi, MM. Cardoux, Panunzi, Bacci, Sautarel et Pointereau, Mme Drexler, MM. Laménie et Babary, Mme Muller-Bronn et MM. Bonhomme et B. Fournier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
douze mois
par les mots :
six mois
La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Il s’agit d’autoriser, pour les bénéficiaires de l’expérimentation créée par l’article 1er, le cumul des revenus professionnels avec le RSA pendant une période maximale de six mois, au lieu de douze.
L’expérience du terrain révèle, chez beaucoup de personnes qui touchent de petits salaires dans les entreprises, une incompréhension eu égard à toutes les aides auxquelles elles n’ont pas droit parce qu’elles sont salariées. Pour ce qui est de donner aux bénéficiaires du RSA la possibilité de percevoir des revenus supplémentaires pendant un certain temps, bien entendu, nous sommes d’accord. Mais je demande à limiter la durée de la période pendant laquelle ce cumul est possible.
J’étais député quand Martin Hirsch a créé le RSA ; je lui avais recommandé, à l’époque, de travailler plutôt en additionnant toutes les aides que peuvent recevoir les personnes sans emploi et en comparant avec ce que touchent les salariés qui perçoivent de faibles salaires.
Il arrive que la différence soit si minime qu’il vaudrait mieux que ces derniers restent chez eux, non pas bien sûr du point de vue de la dignité humaine, mais d’un point de vue financier. J’ai reçu beaucoup de courriers en ce sens : « Si je pars malgré tout travailler, me dit-on, c’est parce que j’en ai besoin à titre personnel et pour des raisons de reconnaissance sociale, mais je perds de l’argent en y allant »…
M. le président. Le sous-amendement n° 15, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :
Amendement n° 6, alinéa 5
Remplacer le mot :
six
par le mot :
neuf
La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Je comprends très bien les arguments qui viennent d’être exposés. La proposition de loi initiale permettait de sécuriser la reprise d’activité en accompagnant pendant un an les bénéficiaires du RSA qui retournent à l’emploi. L’amendement n° 6 rectifié bis vise à réduire cette période à six mois seulement, la période actuellement prévue par le droit commun étant de trois mois.
Je comprends l’argument ; si j’ai présenté cette proposition de loi sous la forme d’une expérimentation, c’est bien d’ailleurs parce qu’aucun d’entre nous n’est détenteur de la vérité, que seule l’expérimentation pourra nous révéler.
Je vous propose donc, madame Gruny, un compromis entre votre position et la mienne, pour porter la période de cumul à neuf mois plutôt que douze.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Chasseing, rapporteur. L’amendement n° 12 de Mme Lubin ouvre le bénéfice du dispositif à des CDD de toute durée, en excluant les CDI.
Si le dispositif de cette proposition de loi cible les personnes engagées dans le cadre d’un CDD d’un an ou d’un CDI, c’est à dessein : il ne s’adresse pas aux travailleurs saisonniers. Il s’agit, par le biais de cette expérimentation, d’encourager une inscription dans l’emploi durable avec le soutien des entreprises, et non de donner une prime aux contrats courts.
Il s’agirait, si le sous-amendement n° 15 est voté, d’autoriser le cumul du RSA et de revenus professionnels pendant neuf mois. Une telle proposition en faveur de l’emploi durable est inédite.
L’amendement n° 6 rectifié bis de Pascale Gruny vise quant à lui à limiter à six mois la durée de ce cumul et de la suspension corrélative de la prime d’activité.
Je rappelle que le droit actuel permet un cumul pendant trois mois des revenus professionnels avec le RSA. L’adoption de cet amendement reviendrait à ne prolonger que de trois mois cette possibilité de cumul.
Dans un esprit de compromis, Claude Malhuret a proposé neuf mois. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 6 rectifié bis sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 15.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Différentes durées sont proposées : la proposition de loi prévoit un an ; une proposition de réduction à six mois est versée au débat ; M. Malhuret essaie de trouver le juste milieu en suggérant neuf mois.
Sur le principe du cumul, de toute façon, nous ne sommes pas d’accord. Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements et ce sous-amendement.
Le dispositif envisagé dans cette proposition de loi ne garantit en rien que les allocataires du RSA qui en relèveraient auraient plus de chances de s’insérer définitivement à la sortie du dispositif.
Je crains également que ce que vous proposez ne soulève un autre sujet, celui de l’effet de seuil à la sortie du dispositif, avec de possibles pertes de revenus, y compris une fois la prime d’activité réactivée.
En outre, des inégalités seraient créées entre salariés d’une entreprise travaillant pourtant sur un même poste.
Le risque est enfin, à mon avis, d’inscrire durablement les personnes bénéficiaires du RSA dans des contrats limités dans le temps.
Voilà nos inquiétudes. La prime d’activité répond largement à l’exigence d’incitation financière ; elle n’est d’ailleurs pas réservée aux bénéficiaires du RSA. Et pour avoir longtemps discuté avec des allocataires, je peux vous dire que la solution qu’ils plébiscitent consiste à sortir du RSA…
Mme Laurence Cohen. Eh oui !
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. L’activité, pour eux, c’est la dignité. Ils préfèrent largement ne pas dépendre du RSA. Je pense que nous pouvons trouver un autre système d’insertion sociale avec la prime d’activité, dont le montant a de surcroît été revalorisé : c’est à mon avis le meilleur vecteur de suivi social.
C’est davantage dans cette direction qu’il faut agir, celle que vous proposiez, madame la sénatrice, avec des contrats d’engagement beaucoup plus larges. Voilà pourquoi je suis défavorable à ce type d’amendements.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Je suis évidemment d’accord avec le magnifique plaidoyer que vient de faire Mme Gruny à propos des gens qui travaillent sans gagner suffisamment, ceux qui sont payés au SMIC notamment. J’entends votre plaidoyer, et j’espère que nous serons au coude-à-coude pour relever les salaires. Oui, aujourd’hui, il faut relever les salaires de tous ceux qui, gagnant le SMIC, ont du mal à joindre les deux bouts ! J’étais vraiment heureuse de vous entendre tenir ces propos, ma chère collègue, et je n’ai désormais aucun doute quant à votre présence à nos côtés lorsque, demain, des propositions de loi allant dans ce sens seront discutées.
Je rappelle que le RSA, c’est 564 euros par mois ! Peut-on vivre avec 564 euros par mois ? Je ne le pense pas. Ce ne sont pas ces malheureux, ces pauvres – il faut le dire –, qui sont au RSA, qui ont trop ; ce sont bien plutôt ceux qui gagnent le SMIC, qui sont aussi, pour certains, des travailleurs pauvres, qui n’ont pas assez.
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. Jean-François Longeot. C’est vrai, ça !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. À mon tour, avant la mise aux voix de l’amendement n° 12 présenté au nom de notre groupe par Monique Lubin, de défendre l’idée que cette expérimentation, si elle peut être soutenue, ne doit pas être restreinte aux contrats d’une durée minimale d’un an. Cette limitation passerait résolument à côté de l’objectif visé, qui est de favoriser le retour à l’emploi.
Il peut en effet être utile de permettre un coup de pouce, via le cumul du RSA et des revenus de l’emploi, pour des durées d’emploi bien plus réduites. J’en veux pour preuve les initiatives lancées par le conseil départemental de Loire-Atlantique, qui permet déjà ce cumul pour des activités saisonnières bien connues dans ce département : maraîchage, agriculture, logistique, alimentation. La carotte nantaise, la mâche, bientôt le muguet… : tous les emplois afférents représentent 5 % de l’offre totale, soit 5 000 annonces dans mon département.
On connaît ces offres, qui sont parfois recensées comme des emplois ne trouvant pas preneur : il y a là un vivier d’offres d’emploi qu’il convient d’accompagner sans restriction. Si l’on empêche les allocataires du RSA, dans l’expérimentation que vous présentez, de cumuler l’emploi avec des revenus saisonniers perçus sur une durée de moins d’un an, on échouera à répondre aux besoins en emplois et à produire l’effet « coup de pouce à l’insertion » recherché.
Certains parcours, on le sait – cela a été dit –, sont ainsi faits qu’ils ne sont pas linéaires : de courtes durées d’emploi se succèdent dans l’attente d’un emploi plus pérenne.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. La première chose à faire, c’est combattre les idées fausses et ne pas les alimenter. Dire que lorsqu’on reprend un emploi on perd de l’argent, qu’en la matière il existe une incitation négative, voilà une idée fausse. La Drees et tous ceux qui analysent cette question disent que ce n’est pas vrai ; ça l’est encore moins depuis que la prime d’activité a été revalorisée à la suite – je le rappelle – du mouvement des « gilets jaunes ».
Il faut donc commencer par mener la bataille idéologique en disant que lorsqu’une personne au RSA reprend un emploi elle ne perd pas d’argent, toutes prestations sociales – aides au logement, etc. – comprises. Parfois des aides départementales s’ajoutent au tableau, mais rien n’empêche un département de les maintenir.
Deuxième idée fausse : la personne au RSA ferait un calcul purement économique. On retrouve l’acteur économique de l’analyse libérale, qui se dit que cela ne vaut pas le coup de reprendre un emploi, qu’il vaut mieux rester bénéficiaire de cette allocation, que celle-ci permet de vivre suffisamment bien, comme cela a été dit. Voilà une nouvelle idée fausse, pour ce qui concerne en tout cas l’immense majorité des allocataires du RSA.
Combattre ces deux idées – on perd de l’argent en reprenant le travail ; les allocataires du RSA s’y installent par confort –, c’est une vraie bataille idéologique. Il faut se garder de bâtir des expérimentations à partir d’idées fausses, sinon tout est biaisé.
Par ailleurs, ne fermons pas la porte aux CDI ! Cette proposition me paraît incroyable : en plus d’ouvrir le dispositif aux allocataires depuis moins d’un an, voilà qu’on le fermerait à ceux qui obtiendraient un CDI ? Autant revenir aux contrats courts, qui prospèrent aujourd’hui : 10 % des bénéficiaires de la prime d’activité sont au RSA – je l’ai dit. Ils finissent par être cantonnés à des allers-retours entre contrats courts et arrêt de l’activité ; pendant la crise, comme je l’ai dit, ils ont été bloqués dans le dispositif.
Je ne suis donc pas pour supprimer l’éligibilité des CDI au dispositif ;…
M. René-Paul Savary. Ce n’est pas le sujet…
Mme Raymonde Poncet Monge. … je suis pour que l’expérimentation se fasse dans le cadre de contrats les plus longs possible.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6 rectifié bis, modifié.
(L’amendement est adopté.)
M. Philippe Mouiller. Très bien !
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi est inscrite dans le cadre de l’espace réservé au groupe Les Indépendants – République et Territoires, limité à une durée de quatre heures. Je me verrai dans l’obligation de suspendre la séance à seize heures dix ; je vous invite donc à la concision pour la discussion des sept amendements restants.
L’amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mme Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
La prime d’activité versée par l’État vient en déduction du montant du revenu de solidarité active versé par le département.
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Cet amendement tend à proposer une autre solution que celle des compensations de l’État, à savoir le maintien de la prime d’activité déduite du montant du RSA.
Compte tenu de ce que vient de dire M. le président, je vais volontiers le retirer. Néanmoins, madame la ministre, vos propos ne laissent pas de m’inquiéter : la position défavorable que vous avez exprimée sur cette proposition de loi préjuge mal de la compensation versée aux départements, pour laquelle aucune perspective d’amélioration n’est à espérer.
Quant à l’idée – elle devrait être en discussion dans le projet de loi 4D, s’il nous arrive un jour – de recentraliser le dispositif avec l’argent des départements, elle ne me paraît pas non plus une avancée significative : un coût sera toujours imputé aux départements. Là encore, la copie est à revoir.
M. Jérôme Bascher. Très bien !
M. René-Paul Savary. Néanmoins, monsieur le président, comme je l’ai annoncé, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 8 rectifié bis est présenté par Mme Gruny, MM. Lefèvre et Savin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mmes Deseyne et M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, M. Cuypers, Mmes Chauvin, Micouleau et Demas, MM. Bouloux, Husson, Cardoux, Panunzi, Bacci et Sautarel, Mme Drexler, MM. Laménie et Babary, Mme Muller-Bronn et MM. Bonhomme et B. Fournier.
L’amendement n° 13 est présenté par Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mme Jasmin, M. Jomier, Mmes Le Houerou, Meunier, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Pascale Gruny, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié bis.
Mme Pascale Gruny. Il s’agit de supprimer la dérogation prévoyant une durée de travail hebdomadaire minimale de quinze heures. Pour l’employeur comme pour le salarié, une durée de quinze heures n’est pas suffisante pour juger de leur capacité à travailler ensemble.
Il s’agit de surcroît d’une durée dérogatoire par rapport à la durée minimale légale de travail du salarié à temps partiel.
Cette dérogation ne me semble donc pas justifiée.
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour présenter l’amendement n° 13
Mme Monique Lubin. Nous sommes par essence complètement opposés à toute dérogation au droit du travail.
Le législateur a adopté le principe d’une durée de travail hebdomadaire minimale de vingt-quatre heures. Nous ne souhaitons pas qu’un quelconque dispositif prévoie un seuil inférieur. D’abord, parce qu’une telle mesure pourrait créer des effets d’aubaine pour certains employeurs. Ensuite, parce que nous ne voulons pas de sous-contrats pour des sous-salariés.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
pendant neuf mois au plus
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Je partage une partie des propos de Monique Lubin ainsi que certaines propositions de Pascale Gruny. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement intermédiaire.
La dérogation de quinze heures doit être limitée dans le temps pour éviter de fabriquer des travailleurs pauvres. Initialement, j’avais proposé une durée de six mois, mais il m’a été demandé de la rectifier. J’ai donc prévu neuf mois, ce qui permet de répondre aux besoins de certains bénéficiaires. Notre amendement reflète une position assez consensuelle au sein de la commission des affaires sociales.
Mettre ces personnes au travail quinze heures par semaine représente une première étape. Cependant, il ne faut pas qu’elle dure trop longtemps. La deuxième étape est de passer à vingt-quatre heures. Nous espérons tous que cela débouchera sur un emploi définitif à temps complet, avec un CDI, mais il faut y aller progressivement. C’est l’intérêt de cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 5 rectifié bis, présenté par M. Savary, Mme Gruny, M. Mouiller, Mme Deseyne, MM. Bonne et Belin, Mmes Belrhiti et Berthet, MM. Bonhomme, Bouchet, Bouloux, Brisson, Cardoux et Charon, Mme Chauvin, MM. Courtial et Cuypers, Mme L. Darcos, M. de Legge, Mmes Delmont-Koropoulis, Deromedi, Di Folco, Dumont et Estrosi Sassone, M. B. Fournier, Mmes F. Gerbaud et Gosselin, M. Gremillet, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mme Lassarade, MM. D. Laurent et Lefèvre, Mmes Malet, M. Mercier et Micouleau, MM. Milon, Pellevat et Piednoir, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, MM. Rapin, Sautarel et Savin et Mme Schalck, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Lorsque l’employeur est une entreprise de plus de cinquante salariés, il désigne pour chaque bénéficiaire un tuteur parmi les salariés qualifiés de l’entreprise.
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Il s’agit de proposer un tutorat dans les entreprises de plus de cinquante salariés. En effet, il sera peut-être plus difficile de désigner un tuteur dans les petites entreprises, même si celles-ci devront bien nommer un responsable, qui sera, à défaut, le chef d’entreprise.
Ce tutorat a pour but d’accompagner le bénéficiaire du RSA dans la mise en valeur de ses capacités professionnelles. Chacun a des capacités qu’il s’agit de découvrir. Un tuteur pourra peut-être permettre à un certain nombre des bénéficiaires de révéler plus rapidement leurs compétences. C’est en tout cas ce que nous espérons tous profondément.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Daniel Chasseing, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur les amendements nos 8 rectifié bis et 13. En revanche, elle a émis un avis favorable sur l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Savary, qui vise à limiter à neuf mois la durée de quinze heures, et sur l’amendement n° 5 rectifié bis du même auteur sur le tutorat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Par principe, nous sommes plutôt défavorables à toute dérogation concernant les CDD, en vertu de la loi que nous avons votée relative à la sécurisation des parcours professionnels. Prévoir une possibilité de déroger à la norme n’est pas une mesure protectrice pour les salariés. Cela risquerait d’accroître la précarité des travailleurs, ce qui n’est pas le but recherché par la proposition de loi. Néanmoins, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur ces amendements.
S’agissant du tutorat, je suis tout à fait favorable à tout ce qui peut relever de l’accompagnement dans les démarches d’insertion, tant pour les jeunes que pour les bénéficiaires du RSA ou d’autres publics. Pour autant, la mesure proposée ferait peser une charge sur l’entreprise, que celle-ci compte d’ailleurs moins ou plus de cinquante salariés. En effet, le tutorat n’est pas un dispositif neutre. En outre, il doit reposer sur le volontariat. Je ne suis pas sûre qu’il puisse, à ce stade, être imposé par la loi.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.
Mme Pascale Gruny. Je retire mon amendement n° 8 rectifié bis au profit de l’amendement n° 4 rectifié bis de M. Savary.
La disposition prévue par l’amendement n° 5 rectifié bis, que j’ai cosigné, aura effectivement un coût pour l’entreprise, mais désigner un tuteur est indispensable si l’on veut que ces personnes très éloignées de l’emploi réussissent. Elles ont vraiment besoin d’être coachées, prises par la main, pour parvenir à conserver leur emploi.
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous soutenons tout à fait ce que vient de dire Mme la ministre sur ces mesures dérogatoires, qui, pour le dire vite, ne vont pas dans le bon sens.
Je voudrais rappeler un certain nombre de données chiffrées relatives aux femmes.
En France, si les femmes représentent aujourd’hui environ 48 % de la population active, elles sont toujours aussi nombreuses à occuper des emplois précaires : 82 % des salariés à temps partiel et deux tiers des travailleurs pauvres sont des femmes. En dépit de quarante ans de lois sur l’égalité professionnelle, celle-ci n’est toujours pas réalisée. Ce constat appellerait des mesures fortes afin que l’égalité professionnelle ne reste pas un vœu pieux. Pourtant, les dernières réformes du code du travail n’ont fait que fragiliser l’édifice législatif en faveur de l’égalité professionnelle.
Le recours de plus en plus massif au temps partiel par les entreprises pénalise en premier lieu les femmes, qui restent les principales variables d’ajustement de l’organisation du temps de travail. Ainsi, 78 % des salariés en temps partiel sont des femmes et 31 % des femmes salariées sont à temps partiel, contre seulement 7 % des hommes. Quant au temps partiel subi, il concerne 32 % des femmes travaillant à temps partiel.
Plutôt que de favoriser les mini-boulots de quinze heures par semaine, comme nous y encourage cette proposition de loi, il faudrait davantage encadrer le temps partiel imposé, qui demeure une cause importante de persistance des inégalités salariales entre les femmes et les hommes et une source de précarité professionnelle pour les femmes salariées.
L’amendement n° 13, qui vise à supprimer la limite minimale de quinze heures, va dans le bon sens, mais il est largement insuffisant puisqu’il ne tend pas à renforcer l’encadrement des dérogations à la durée minimale de vingt-quatre heures. C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur cet amendement, d’autant que, comme l’a dit ma collègue Cathy Apourceau-Poly, nous sommes fondamentalement opposés à la proposition de loi.
Il faudrait que nous soyons tous d’accord pour remédier aux inégalités croissantes entre les femmes et les hommes, que je tenais à évoquer une fois encore ici.
Mme Michelle Meunier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Je serai brève, parce que je veux que l’examen de la proposition de loi puisse aller à son terme dans le cadre de cette niche.
Je ne reprendrai pas tous les arguments qui ont été évoqués concernant cette dérogation aux vingt-quatre heures hebdomadaires. Seulement, si la durée est de quinze heures pendant neuf mois, je ne vois pas très bien comment gravir la marche suivante, à savoir passer à vingt-quatre heures pour trois mois au maximum si le contrat est de douze mois. Si ce n’est pas possible, il y aura une perte de revenu. Il ne faudrait pas, comme l’a dit Mme la ministre, que le dispositif soit contre-productif.
Si une personne ne peut travailler que quinze heures, le dispositif d’insertion par l’activité économique permettrait d’ajuster la quotité de temps de travail aux possibilités de travail que peut accomplir cette personne à un moment donné, compte tenu des facteurs qui la freinent et qui ne relèvent pas uniquement de sa seule bonne volonté. Je suis donc opposée à cette dérogation.
En revanche, je suis tout à fait favorable au tutorat, mais, comme cela a été dit, 80 % des entreprises qui recruteront des salariés sont des PME-PMI. Elles ne seront donc pas concernées. C’est dommage, car cette mesure doit relever d’un l’engagement propre, spécifique, de l’entreprise, qui doit être mis en parallèle avec les engagements demandés au salarié.
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié bis, présenté par Mme Gruny, M. Savary, Mmes Deromedi et Deseyne, MM. Lefèvre et Savin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mme M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam et Thomas, M. Cuypers, Mmes Chauvin, Micouleau et Demas, MM. Bouloux, Belin, Panunzi, Cardoux, Bacci, C. Vial, Sautarel et Pointereau, Mme Drexler, M. Laménie, Mme Muller-Bronn et MM. Bonhomme et B. Fournier, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
En cas de rupture du contrat de travail à l’initiative du bénéficiaire de ladite expérimentation, celui-ci voit son revenu de solidarité active suspendu, sauf motif valable, sur décision du président du conseil départemental.
La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Si vous en êtes d’accord, monsieur le président, je présenterai en même temps l’amendement n° 10 rectifié bis.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 10 rectifié bis, présenté par Mme Gruny, MM. Milon et Savary, Mme Deseyne, MM. Cuypers, Lefèvre et Savin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Rapin, Mme M. Mercier, MM. Bascher et Bonne, Mmes Dumont et Lassarade, MM. D. Laurent, Burgoa et Calvet, Mmes Garriaud-Maylam, Thomas, Chauvin, Micouleau et Demas, MM. Belin, Bacci et Pointereau, Mme Drexler, M. Laménie, Mme Muller-Bronn et M. Bonhomme, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les bénéficiaires de ladite expérimentation s’engagent à rester dans l’entreprise dans laquelle ils sont embauchés en contrat à durée indéterminée pendant une durée minimale de deux ans.
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Pascale Gruny. L’amendement n° 9 rectifié bis vise à responsabiliser le bénéficiaire du RSA en l’incitant à rester en activité professionnelle. Si celui-ci prend l’initiative de rompre son contrat de travail, il verra son revenu de solidarité active suspendu pendant le temps où il a bénéficié de son salaire et du RSA. C’est une situation que l’on rencontre souvent.
L’amendement n° 10 rectifié bis tend à appliquer une clause de dédit-formation. On le sait, les entreprises s’investissent largement dans les dispositifs d’alternance et d’apprentissage. Or il arrive parfois qu’à la fin de son contrat le salarié parte travailler dans une autre entreprise ; l’entreprise d’origine perd alors tout le bénéfice de l’investissement qu’elle a mis dans la formation.
J’ai souhaité présenter mes amendements, mais je les retire tous les deux, car je sais que la commission y sera défavorable. Comme je ne reprendrai pas la parole, j’annonce d’ores et déjà que je voterai la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. Les amendements nos 9 rectifié bis et 10 rectifié bis sont retirés.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
I. – La charge résultant pour l’État de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
II. – La charge résultant pour les collectivités territoriales de la présente loi est compensée, à due concurrence, par l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Monique Lubin, pour explication de vote.
Mme Monique Lubin. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, nous observons toujours avec attention les propositions qui permettent d’améliorer l’insertion des bénéficiaires de minima sociaux. Dans tous les départements dans lesquels nous sommes aux responsabilités – je tiens à le dire –, nous pilotons des initiatives en ce sens.
Nous ne pouvons pas accepter le discours que nous entendons depuis la création du RSA, qui n’a pas beaucoup varié depuis lors et qui consiste à stigmatiser ses bénéficiaires. Puisque les pauvres – il faut bien appeler un chat un chat ! – vivent de ce qu’on veut bien leur donner, il faut qu’ils le méritent en faisant, comme je l’ai entendu ce matin, des travaux d’intérêt général. Je rappelle tout de même que les travaux d’intérêt général sont pour les délinquants !
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
Mme Monique Lubin. Je constate aussi que, depuis quelque temps, c’est la fête à la maison ! Il y a peu, on nous a proposé de supprimer les allocations familiales pour ces parents indignes qui ne sont plus capables de s’occuper de leurs enfants. Aujourd’hui, j’ai entendu que, si un bénéficiaire du RSA était obligé de quitter un travail qu’il avait accepté, même si c’est parce qu’il est malade, on allait aussi lui supprimer le RSA…
M. Rachid Temal. Et tchac !
Mme Monique Lubin. Franchement, mes chers collègues, je ne sais pas s’il y a des périodes qui sont plus propices à ce genre de retours en arrière, mais tout cela me désole.
Pour en revenir à la proposition de loi, nous sommes foncièrement opposés aux régressions sur le temps de travail et à ces quinze heures. Pour ces raisons, nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Nous arrivons au terme de l’examen de cette proposition de loi. Si nous partageons tous ici, je le pense, la volonté d’améliorer la vie de nos concitoyens, nous sommes, pour notre part, plus que mitigés sur l’efficacité des mesures qui nous sont proposées ici. Les débats l’ont bien montré, nous avons des visions complètement opposées.
Nous sommes opposés à ce texte, d’une part, pour ce qu’il contient et, d’autre part, évidemment, pour ce qu’il révèle en termes de méthode. Une fois de plus, nous pensons que cette proposition de loi ne vise qu’à stigmatiser les plus pauvres de notre société.
Nous ne pouvons accepter de casser encore davantage le code du travail avec des sous-contrats à temps partiel de quinze heures. Nous ne pouvons pas non plus accepter l’idée que des personnes seraient au RSA parce qu’elles manqueraient d’initiative ou parce que le droit du travail serait trop rigide. Nous ne pouvons accepter de rêver qu’il y aurait du travail qui attendrait et que des personnes ne voudraient malheureusement pas l’effectuer.
Il faut regarder la pauvreté en face. Or l’Observatoire national de la pauvreté a été supprimé par le Gouvernement il y a un an et demi et l’association ATD Quart Monde ne siège plus au CESE depuis quelques semaines. C’est regrettable ! Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait baisser la température !
Nous voterons donc contre ce texte, et nous continuerons, pour notre part, à lutter pour l’amélioration des droits des travailleurs. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Soyons clairs, ce texte ne va pas révolutionner les choses. Nous devons donc faire preuve d’une grande humilité.
Même si, dans notre discussion il y a beaucoup de postures politiques, ce qui est normal, notre assemblée est aussi là pour ça, je crois néanmoins que notre volonté partagée est de trouver des nouvelles voies pour aider des personnes à sortir de leurs difficultés.
Mme Pascale Gruny. Tout à fait !
M. René-Paul Savary. Il y a du pragmatisme…
M. Fabien Gay. Il y a du bon sens… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. René-Paul Savary. … dans notre approche. Ayant présidé un département pendant quinze ans, comme un certain nombre d’entre nous, je peux vous dire que j’ai appris à revoir mes certitudes.
Il faut trouver, dans la mesure du possible, et c’est bien là la difficulté, les moyens d’orienter les personnes qui rencontrent des difficultés. Ce matin, quelques-uns de nos collègues ont participé à la réunion de la délégation sénatoriale à la prospective : la prospective, c’est une culture de projet, pas des certitudes.
Si cette proposition de loi permet d’aider quelques personnes à retourner vers l’emploi, tant mieux !
M. René-Paul Savary. Et puisque l’on évoque la dignité de ces personnes, je crois que c’est justement pour cela qu’elles doivent avoir des droits et des devoirs.
Mme Pascale Gruny. Très bien !
M. René-Paul Savary. Si on leur explique bien les choses, on parvient à avancer et à les sortir des difficultés.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.
M. Olivier Henno. Nous voterons aussi cette proposition de loi. Je n’ai rien vu dans ce texte de culpabilisant pour les allocataires du RSA. Comme l’ont clairement dit dans leurs interventions le président Malhuret et le rapporteur, cette proposition de loi relève de la logique de la main tendue, c’est-à-dire faire en sorte de lever les freins, qui sont d’ailleurs nombreux, au retour à l’emploi des allocataires du RSA.
Depuis la loi créant le RMI, suivie de celle sur le RSA, se pose la question, à la fois, de l’insertion et de la solidarité active. Nous voulons tendre la main à quelques personnes pour leur permettre de retrouver la dignité d’avoir un travail, parce que le travail est une valeur qui nous tient à cœur : nous voulons aider ces personnes qui ont des talents, mais qui sont en difficulté ou plus fragiles. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Chasseing, rapporteur. Ce matin, madame la ministre, vous avez évoqué le RUA, le revenu universel d’activité. Dans cette proposition de loi, nous proposons un RUA temporaire, avec la perspective d’un emploi durable, certes pas pour tous – cela a été dit – mais pour certains, ce qui n’est déjà pas mal. Le RUA facilitera l’accès des bénéficiaires aux aides, mais ne favorisera pas forcément l’insertion, comme le fait ce texte.
Je m’étonne que certains ne votent pas la proposition de loi, car elle permettra d’améliorer la situation économique de nombreuses personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Je rappelle que quinze heures de travail représentent tout de même 1 025 euros. Nous espérons qu’après la période de neuf mois il sera possible de passer à vingt-quatre heures, voire plus, pour pouvoir atteindre 1 300 euros. Il s’agit donc d’une mesure généreuse, sociale, valorisant l’effort des personnes qui vont vers l’emploi et permettant une synergie entre l’économie et l’insertion.
Le dispositif que nous proposons ne s’appliquera pas à tous et ne sera pas la panacée, mais il constituera un plus pour les personnes qui sont au RSA. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi.
M. Claude Malhuret, auteur de la proposition de loi. Je voudrais très chaleureusement remercier Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, ainsi que Philippe Mouiller, qui était au banc ce matin en tant que vice-président de la commission.
Je remercie notre rapporteur, Daniel Chasseing, pour l’ensemble de son travail sur ce sujet très important. Même si cette proposition de loi n’apporte pas de changement fondamental, elle constitue – je l’espère – un petit pas dans la bonne direction, comme le disait René-Paul Savary.
Je remercie tous nos collègues qui ont, aujourd’hui et les jours précédents, travaillé sur cette proposition de loi. Je suis conscient que les positions sont divergentes et, parfois, radicalement opposées, mais chacun les a exprimées dans le respect des opinions des uns et des autres ; j’y suis très sensible.
Si ce texte est adopté et si nos collègues députés y donnent une suite favorable, c’est l’expérimentation qui nous dira si nous sommes ou non allés dans la bonne direction. Avec mon collègue Bruno Rojouan, je souhaite bon courage à notre département de l’Allier, ainsi qu’à tous les départements qui pourront se lancer dans cette première expérimentation.
Enfin, je vous remercie, madame la ministre, malgré les réticences que vous avez exprimées. (Sourires.) J’espère qu’ultérieurement le Gouvernement acceptera une expérimentation, surtout à l’approche de la loi 4D, qui donnera de nouveau l’occasion d’une discussion importante entre le Gouvernement et les collectivités locales. Les centaines de milliers de nos concitoyens qui sont aujourd’hui au RSA le valent bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE, UC et Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Poursuite de la procédure de ratification du CETA
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, l’examen de la proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA, présentée par M. Fabien Gay et plusieurs de ses collègues (proposition n° 249 rectifiée).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution.
M. Fabien Gay, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous sommes réunis dans cet hémicycle pour évoquer le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement – accord économique et commercial global), ce n’est malheureusement pas sur l’initiative du Gouvernement. Non, chers collègues, c’est le groupe CRCE qui vous y invite, et ce pour la deuxième fois après le débat que nous avons organisé ici même, en novembre 2018, un an après la mise en application provisoire de cet accord !
Depuis trois ans, des parlementaires de presque tous les groupes qui composent cet hémicycle ont demandé au Gouvernement des précisions sur ce traité et sa date de ratification. Nous pensons que le Sénat a été assez patient. C’est la raison pour laquelle nous avons pris cette initiative.
Cela étant, je veux que chacun entende une chose : en tant que groupe minoritaire et d’opposition, nous n’avons que deux niches par an, c’est-à-dire l’équivalent de quatre textes. Vous avouerez que c’est peu, car, comme vous, mes chers collègues, nous fourmillons d’idées – pas les mêmes, j’en conviens. Pourtant, nous avons décidé de prendre nos responsabilités et de consacrer à ce texte un de nos rares espaces. Nous ne nous résignons pas comme vous à ce déni démocratique constaté et évident.
Puisque nous sommes empêchés de débattre par le Gouvernement, le groupe CRCE met son espace à votre disposition avec cette proposition de résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA. De nombreux collègues nous ont interpellés sur cette formulation quelque peu alambiquée. Je souhaite vous en expliquer les raisons en toute transparence.
Notre proposition a dû être remaniée trois fois avant que le Gouvernement, fort tatillon sur la manière dont nous osions nous adresser à lui, ne daigne l’accepter et en valider la mise à l’ordre du jour dans cette niche parlementaire. Certes, c’est au Gouvernement et non au Parlement que revient l’initiative de la procédure de ratification, et nous savons que le Parlement ne peut pas enjoindre le Gouvernement. Pourtant, avec cette proposition de résolution, nous cherchions non pas à empiéter sur ses pouvoirs, mais à faire respecter nos institutions, la Constitution, le processus démocratique et la compétence du Sénat, qui, je le rappelle, n’est ni optionnelle ni consultative.
Il est tout de même assez surprenant, monsieur le ministre, que le Gouvernement, qui bafoue le droit du Parlement, s’insurge lorsque celui-ci ose lui rappeler de respecter notre institution et la Constitution. En somme, non seulement nous ne sommes pas consultés, mais en plus rogne-t-on sur toute proposition que nous faisons.
Peut-être que ces trois refus visaient à nous faire abandonner. Raté ! C’était mal connaître notre volonté et notre détermination. Si cette proposition de résolution vous déplaisait tant, il eût été plus aisé et plus clair, plutôt que d’ergoter sur sa formulation, de donner directement au bureau du Sénat le calendrier de la procédure de ratification du CETA !
Je rappelle également, puisque cela semble nécessaire, l’article 53 de notre Constitution, qui dispose que ces traités « ne peuvent être approuvés ou ratifiés qu’en vertu d’une loi ». La ratification est de fait soumise au vote du Parlement ; un Parlement qui, en France, est bicaméral.
En agissant de la sorte, force est de constater que le Gouvernement donne l’impression de considérer que l’avis, les débats et le vote de la Haute Assemblée n’importent guère ; seule compterait donc pour lui l’Assemblée nationale sous la Ve République ?
Le Parlement est sans cesse contourné ou malmené. C’est le révélateur d’une crise plus profonde de nos institutions. Depuis 2017, date à laquelle je suis devenu parlementaire, je n’ai connu que la procédure accélérée. D’ailleurs, j’aurais bien du mal à expliquer la procédure normale à cette tribune, puisque je ne sais pas en quoi consiste la deuxième lecture, dont on m’a pourtant dit qu’elle était très utile pour bien rédiger la loi… (Mme Cécile Cukierman et M. Mathieu Darnaud s’esclaffent.)
Autre fait : notre président, M. Larcher, l’a rappelé il y a quelques jours, 51 % des textes ont été ratifiés par ordonnance, ce qui est inédit depuis la guerre d’Algérie. Or ces ordonnances doivent ensuite être ratifiées par le Parlement ; la procédure est donc, au bout du compte, deux fois plus longue… Derrière le prétexte de la recherche d’efficacité ou de rapidité, c’est donc bien le débat au Parlement qui vous contrarie et que vous voulez empêcher.
Enfin, alors que nous traversons une crise inédite, avec la covid-19, nous pensons que la démocratie et le débat parlementaire sont une des solutions de la sortie de crise, alors que, de votre côté, vous considérez a contrario que le Parlement est un obstacle. La prolongation, depuis un an, de l’état d’urgence et les pouvoirs que celui-ci vous confère montrent malheureusement qu’une gestion de crise centralisée, concentrée dans les seules mains de l’exécutif, n’est pas gage d’efficacité ni de réussite. Le comble a été atteint quand vous nous avez invités à débattre des mesures à prendre sur le troisième confinement, alors que tout avait été annoncé, la veille, à la télévision, par le Président de la République.
Une République dans laquelle le Gouvernement, voire le Président de la République, déciderait seul et où le Parlement validerait tout, sans rien dire, sans discuter, sans critiquer est-elle bien la République que nous voulons ?
Selon nous, il n’est pas souhaitable de jouer ainsi avec nos institutions, car cela renforce la défiance de nos concitoyens, qui peuvent légitimement se poser la question : si le Gouvernement ne respecte pas la Constitution et les institutions, à quoi sert-il de voter ?
En outre, entre l’Union européenne, les citoyens français et la question démocratique, il y a déjà une histoire. Tout le monde se le rappelle, en 2005, après un débat éclairé, populaire et citoyen, le peuple français avait rejeté massivement le traité constitutionnel, finalement imposé par un vote du Parlement, deux ans plus tard. Cette meurtrissure dans le cœur des Français renforce, chez ces derniers, l’idée que l’Union européenne est une instance technocratique, éloignée de leurs préoccupations et antidémocratique. Cela nourrit le fatalisme et le désespoir et explique, en partie, la montée de l’extrême droite partout en Europe.
Avec le CETA, ce n’est pas le vote des Français qui n’est pas respecté, c’est celui des sénatrices et des sénateurs qui est empêché. De bout en bout, l’histoire de ce traité pourrait se résumer en un mot : opacité ; opacité pendant les sept longues années de négociations et opacité, ensuite, dans sa mise en œuvre. En effet, cet accord est entré en vigueur de façon provisoire, il y a maintenant plus de trois ans, le 21 septembre 2017, mais c’est un « provisoire » qui dure et qui concerne, tout de même, 90 % du traité, à savoir les compétences exclusives de l’Union européenne.
Rien que le principe de cette entrée en application avant que les États membres aient accepté ou non la ratification du traité doit soulever des interrogations, d’autant que ce traité, dit « de deuxième génération », devrait donner lieu à un large débat parlementaire et citoyen. En effet, si, comme tout accord de libre-échange, ce traité fait tomber les barrières tarifaires et douanières, c’est surtout sur la levée des barrières non tarifaires que nous devrions échanger : remise en cause de nos normes sociales et environnementales ainsi que de nos services publics, mais aussi mise en place de tribunaux d’arbitrages privés, qui permettront, demain, à des entreprises d’attaquer des États au nom du profit !
La crise de la covid-19 a démontré que tout nous invite à repenser le monde différemment, à repenser les échanges, la circulation des marchandises et des capitaux, la relocalisation de nos modes de production ou encore la question de notre souveraineté, notamment alimentaire.
Pour notre part, nous pensons que ces traités, hier dangereux, sont à présent caducs ; ils ne répondent plus aux enjeux d’aujourd’hui. Plutôt que d’instaurer une compétition internationale et la mise en concurrence des travailleurs, à coups de mesures visant à être le moins-disant social et environnemental, il serait urgent de réfléchir à la mise en commun, au partage et à la sortie, en dehors du secteur marchand, de certains biens et services, comme l’avait indiqué le Président Macron, en mars 2020.
Le CETA devait être soumis à ratification par le Parlement dans un délai d’un an à compter de son entrée en vigueur provisoire. Un an ! Cela fait trois ans que nous attendons !
Monsieur le ministre, de quoi avez-vous peur ? Il est vrai qu’à l’Assemblée nationale, où le gouvernement auquel vous appartenez détient pourtant une majorité écrasante, le vote pour la ratification n’a recueilli que 266 voix contre 213 et 74 abstentions… Il se chuchote, ici ou là, que vous ne l’inscrivez pas à l’ordre du jour du Sénat, parce que vous auriez peur d’un vote contre ; il est vrai que cet accord ne fait pas l’unanimité, et c’est un euphémisme. Néanmoins, pour ma part, je n’ose y croire, car je ne peux imaginer qu’un gouvernement ne soumette au vote des parlementaires que des textes dont il serait certain d’emporter l’adoption et que, en cas de doute, plutôt que d’affronter le débat avec des arguments, il préfère contourner l’obstacle. En sport, cela s’appellerait un forfait, et ce serait un terrible aveu de faiblesse de la part de l’exécutif.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous n’avons pas cherché à lancer, aujourd’hui, un débat sur le CETA lui-même, sur sa pertinence et ses fondements idéologiques, bien que ce débat soit nécessaire. Vous connaissez notre opposition à ce traité, mais nous respectons tous ceux qui y sont favorables.
Même si nous traversons une pandémie et que les urgences sont nombreuses, cette question traverse la société, comme l’a montré l’exigence, exprimée par la Convention citoyenne pour le climat, d’un moratoire sur ces traités de libre-échange, d’autant que la pandémie n’empêche pas le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, de démanteler EDF ni de réformer l’assurance chômage…
Il y a donc urgence à débattre, surtout qu’il serait inconcevable que le Président Macron prenne, le 1er janvier prochain, la présidence du Conseil de l’Union européenne sans avoir respecté, dans son propre pays, la procédure de ratification d’un traité d’une telle importance.
Mes chers collègues, voilà toutes les raisons qui nous pousseront à adopter, à l’unanimité, je pense, cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Lettonie, le 23 février 2017, puis la Lituanie, le Danemark, Malte, l’Espagne, la Croatie, la Tchéquie, le Portugal, l’Estonie, la Suède, la Finlande, la Roumanie, la Slovaquie, l’Autriche et, enfin, le Luxembourg, en mai 2020 : tous ces pays ont engagé, selon leurs dispositions institutionnelles propres, le processus de ratification du CETA. Même le Royaume-Uni, alors que son départ était acté, l’a fait en 2018. Comme chacun le sait, le parlement de Chypre a voté contre, mais sa décision n’a pas été notifiée aux institutions européennes.
En France – pays fondateur de l’Union européenne –, alors même que l’article 53 de la Constitution précise explicitement que le Parlement, c’est-à-dire les deux chambres, doit ratifier l’accord, alors que le processus européen de ratification, du fait du caractère mixte de cet accord, prévoit également cette ratification par le Parlement, alors, enfin, que le Gouvernement avait lui-même engagé la procédure accélérée, en 2019, sur le projet de loi de ratification de ce traité, le Sénat attend toujours et encore de savoir quand et comment il pourra se saisir du sujet. Cette situation est paradoxale, puisque, rappelons-le, c’est la France, certes sous le précédent quinquennat, celui de François Hollande, qui a obtenu que les parlements nationaux soient impérativement saisis. Ainsi, le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, manque à son devoir.
Le CETA est, rappelons-le, un accord qui n’est pas anodin et qui concerne – mon collègue Fabien Gay l’a souligné – des champs entiers de notre économie, de notre environnement et de notre vie, comme la santé animale et végétale, les télécommunications, l’alimentation, la concurrence ou encore l’accès aux marchés publics. Alors, pourquoi ce silence « assourdissant » ? Pourquoi n’avez-vous pas inscrit le texte, adopté par l’Assemblée nationale et transmis le 23 juillet 2019, à notre ordre du jour ? Pourquoi le Gouvernement, qui a engagé la procédure accélérée, reste-t-il aujourd’hui silencieux ? Pourquoi, enfin, notre chambre en est-elle réduite à adopter des propositions de résolution demandant, « gentiment », comme l’a dit Fabien Gay, au Gouvernement que nous puissions débattre d’un sujet aussi important que le CETA afin, en gros, d’assurer notre mission fondamentale, légiférer ?
À ces questions, plusieurs réponses sont possibles ou probables. Un manque de temps ? C’était possible au début, mais, un an et demi après le débat à l’Assemblée nationale, on peut penser que ce n’est pas la vraie raison. L’encombrement législatif, trop de textes ? Certes, c’est possible que ce soit le cas depuis mars 2020, mais avant cette date ? En outre, à l’Assemblée nationale, le CETA a occupé une réunion de commission et seulement deux séances publiques ; on a connu textes plus encombrants… Reste une option : l’oubli volontaire qui arrange. Je m’explique.
Pour le Président de la République, le CETA « va dans le bon sens » – ce sont ses mots, il l’a affirmé publiquement – ; le Gouvernement a soutenu la ratification du traité à l’Assemblée nationale, dans des conditions compliquées, certes, mais il l’a fait ; enfin, le grand mouvement présidentiel – La République En Marche – annonce sur son site internet « trois raisons de ratifier le CETA ». Dès lors, quel intérêt le Gouvernement aurait-il à engager un débat dont l’issue lui semble incertaine et, par conséquent, à porter, à l’échelon européen, la responsabilité du rejet d’un accord qu’il a soutenu et qu’il continue de soutenir ?
Voilà pourquoi je remercie le groupe CRCE d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de résolution et de nous obliger à faire un peu d’archéologie, afin de retrouver les positions, sur le CETA, du Président de la République et du Gouvernement, qui est – je l’indiquais précédemment – très silencieux.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain va bien entendu voter cette proposition de résolution, mais nous regrettons l’obligation qui nous est faite de demander au Gouvernement de respecter nos institutions et la démocratie. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trois ans que le CETA est entré en vigueur provisoirement ; voilà pourtant trois ans que le Sénat attend d’avoir à exprimer sa position sur le sujet, lors d’un vote solennel ; et voilà trois ans que le Gouvernement lui refuse ce droit…
Le CETA divise, vous le savez. Ce ne sont ni l’équilibre global de l’accord ni les relations historiques avec nos compatriotes canadiens qui sont en jeu. Ce qui est en jeu, c’est le fait de sanctionner, dans chaque accord de libre-échange, toujours les mêmes acteurs : certaines de nos filières agricoles. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à protéger notre agriculture des importations déloyales, qui risquent de nous faire perdre notre souveraineté alimentaire. Ce qui est en jeu, c’est notre crédibilité politique à tenir des engagements fermes que vous avez pris en matière de respect de nos normes. Or vos réponses peinent à convaincre, car cet accord, on le sait, n’apporte aucune garantie sur la conformité aux normes européennes des produits alimentaires importés.
Vous nous rétorquez chaque fois qu’il n’y a aucun problème, que, grâce aux organismes certificateurs et aux limites maximales de résidus prévues dans la réglementation européenne, il n’y a aucun risque et que tout est garanti : ceinture et bretelles ; aucune faille ! Sauf une : personne ne vous croit…
Pour illustrer mon propos, je voudrais vous raconter une petite histoire.
Il était une fois, au sein de l’Union européenne, un consommateur qui souhaita manger, en quantité, de petites graines de sésame. Pour en retrouver dans son pain, son houmous, ses biscuits, il importa massivement ces graines d’Inde. Mais, tout à coup, en 2020, lors d’un contrôle de routine, des résidus d’une substance strictement interdite en Europe depuis 1991 – l’oxyde d’éthylène – furent retrouvés sur ces graines, à des taux mille fois supérieurs, en agriculture conventionnelle, et cinq mille fois supérieurs, en agriculture biologique, à la norme acceptée.
Inquiètes d’un tel écart, les autorités lancèrent un vaste programme de retrait et de rappel des produits. On se rendit alors compte que le problème était très vaste, car il concernait des produits contenant des graines importées non seulement d’Inde, mais également de nombreux pays dans le monde, et ce depuis 2018 au moins.
Comment toutes ces graines avaient-elles pu entrer, comme par magie, en Europe, sans que le problème soit visible, durant tout ce temps ?
Premièrement, il n’y avait pas suffisamment de tests aléatoires pour identifier les risques ; comment cela serait-il possible, avec un budget dédié aux contrôles ne dépassant pas, en France, 50 centimes pour 1 000 euros de denrées alimentaires introduites ? Difficile, dès lors, de repérer des dépassements de limites maximales de résidus !
Deuxièmement, les contrôles douaniers avaient déjà repéré des anomalies sur les résidus de pesticides en provenance d’Inde, puisque 20 % des denrées indiennes aléatoirement contrôlées en 2018 présentaient des anomalies, mais, même quand nous savons, nous ne faisons rien pour inverser la donne.
Troisièmement, sur les 1 500 substances actives interdites à l’échelon européen, seules 600 sont effectivement contrôlées. Les importations de denrées dans l’Union européenne sont donc indemnes de 900 substances, car, tout simplement, nous ne les recherchons pas !
Comme toute bonne histoire, celle-ci n’a pas de fin, car l’alerte se poursuit aujourd’hui. Alors, prévoir des LMR, oui, mais à condition que celles-ci soient contrôlées !
Si nous ne parvenons pas à contrôler les graines de sésame indiennes, comment pouvez-vous affirmer, monsieur le ministre, que nous serons capables de le faire pour tous les produits canadiens ? Comment pouvez-vous nous assurer, la main sur le cœur, qu’aucune denrée végétale canadienne importée ne méconnaîtra la réglementation européenne, sans même parler des OGM ou des autres substances actives qui sont autorisées au Canada et non en Europe ? Comment pouvez-vous garantir que la viande canadienne respectera nos normes de production, alors que certaines farines animales y sont autorisées et que la traçabilité ne recouvre pas le même champ ? Vous ne le pouvez pas et, pourtant, vous le faites !
Tout le problème est que, en multipliant, d’un côté, les interdictions et les surtranspositions en France, tout en ouvrant largement, de l’autre, nos frontières à des denrées importées sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle, vous sacrifiez tout simplement notre agriculture.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Laurent Duplomb. Voilà la vérité, et c’est justement pour éclipser celle-ci que vous refusez d’avoir le débat au Sénat.
Mme Laurence Cohen. Eh oui !
M. Laurent Duplomb. Je ne peux l’accepter. C’est pourquoi je voterai, ainsi que – je vous l’annonce, monsieur le ministre – la totalité du groupe Les Républicains, pour la proposition de résolution invitant le Gouvernement à inscrire ce projet de loi à notre ordre du jour. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien sûr, le Sénat doit étudier le projet de loi autorisant la ratification du CETA, qui lui a été transmis le 23 juillet 2019. En plus d’être une nécessité constitutionnelle, c’est indissociable de notre démocratie parlementaire. Dans notre pays, le bicamérisme traduit la chance qui est donnée à l’équilibre, à la précision et à la qualité des débats. C’est notre système ; il doit être respecté.
La discussion de ce projet de loi au Sénat sera un moment décisif pour la France et pour l’Union européenne. L’enjeu est de taille, dans un processus où l’assentiment des vingt-sept pays de l’Union européenne est nécessaire pour l’application complète de l’accord. Rappelons-nous le veto de la Wallonie, en 2016, et le vote, l’été dernier, du parlement chypriote…
C’est également un moment décisif pour notre partenaire canadien. La conclusion d’un accord de commerce avec cet allié historique fut le fruit d’un projet dessiné ensemble et négocié pendant sept années.
Nous partageons l’objectif de cette proposition de résolution, en ce que celle-ci vise à demander que le Sénat puisse étudier ce texte. Ce que nous partageons moins, en revanche, ce sont les arguments qui nous poussent à la même conclusion.
Sur la forme, le retard pris dans le processus de ratification en France est dû à différentes situations, qui ne sont pas toutes le fait du Gouvernement.
M. Rachid Temal. Ah ?
Mme Colette Mélot. La principale, qui marque malheureusement toujours notre quotidien, est la pandémie mondiale de covid-19.
M. Rachid Temal. La pandémie a bon dos !
M. Laurent Duplomb. Il y a trois ans, il n’y avait pas de covid !
Mme Colette Mélot. Cette crise a bouleversé le calendrier parlementaire et les priorités législatives ; on ne peut pas dire le contraire.
M. Laurent Duplomb. Si !
Mme Colette Mélot. Sur le fond, nous sommes en présence d’un accord dit « de nouvelle génération ». L’une des particularités de cet accord réside dans sa forme mixte. Ainsi, il se trouve être applicable à 90 %, mais cela concerne uniquement, rappelons-le, les sujets pour lesquels l’Union européenne a la compétence exclusive.
En réaction à l’affirmation que ces négociations seraient antidémocratiques, revenons sur certains faits.
Le mandat de négociation de la Commission européenne a été adopté par les États membres ; certaines de ses parties ont été rendues publiques. L’accord a ensuite été signé en 2016, notamment par le président du Conseil européen, constitué des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, qui sont élus. Le chef de l’État français d’alors ne s’y est pas opposé, expliquant que les conditions posées par la France avaient été respectées. Le CETA a ensuite été ratifié par le Parlement européen, élu au suffrage universel direct.
Nous sommes conscients que la stratégie commerciale de l’Union européenne est largement perfectible. Après les négociations compliquées avec le Royaume-Uni, la Commission européenne propose de revoir cette stratégie. Des axes cruciaux ont ainsi été dégagés. Deux d’entre eux ont particulièrement retenu notre attention : la lutte contre la concurrence déloyale et le respect des accords de Paris sur le climat au sein des futurs accords internationaux. Nous ne pouvons que souscrire à ces deux demandes émanant des Européens eux-mêmes. Les valeurs et les intérêts des peuples européens doivent être préservés et défendus.
Des craintes concernant le CETA s’expriment. Il faudra des clarifications et des assurances. Surtout, nous devrons rester vigilants par rapport à la mise en œuvre de cet accord et ne pas faiblir. Nos règles sont différentes dans certains secteurs, notamment en matière alimentaire et agricole. L’harmonisation des normes n’est pas prévue pour tirer ces normes vers le bas, et elle ne doit pas le faire.
Il est crucial que les règles européennes soient protégées, tout comme nos consommateurs. Pour l’heure, le rapport de 2018 de l’inspection générale des finances, cité dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, révèle que la viande bovine canadienne, ne respectant pas les normes, n’est presque pas exportée vers l’Union européenne ; les quotas ne sont quasiment pas déployés. En revanche, l’Union enregistre une hausse des exportations de nombreux produits, comme le fromage, dont la France est l’un des principaux producteurs. D’après Eurostat, le volume d’exportation de l’Union européenne vers le Canada a fait un bond de 7 %.
Le risque réel, que nous ne pouvons pas ignorer, repose sur le règlement des différends entre autorités publiques et investisseurs. La Commission européenne a travaillé sur ce mécanisme, afin de réduire la possibilité de problèmes à l’avenir. La Cour de justice de l’Union européenne qualifie cet outil, dans son avis du 30 avril 2019, de « compatible avec le droit de l’Union européenne ». Néanmoins, nous devons rester vigilants ; il serait inadmissible qu’une multinationale s’attaque aux règles européennes ou à celles d’un État membre, simplement parce que ces règles entraveraient son commerce.
Enfin – j’en terminerai par là –, le 25 mars dernier, le comité conjoint de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada a rendu des conclusions sur le volet économique du CETA. Celui-ci aurait des effets positifs dans la pandémie que nous traversons.
Ainsi, pour le moment, il semble que l’accord apporte plus de points positifs à l’Union européenne qu’au Canada, mais son application n’en est qu’à son début.
Nous entendons les craintes et nous en partageons certaines. C’est pourquoi le groupe Les Indépendants se tient prêt à avoir, au moment voulu, un débat constructif et pertinent sur le projet de loi autorisant la ratification du CETA. Toutefois, avant cela, nos forces devraient peut-être se concentrer sur la gestion de la pandémie et sur la préparation de notre sortie de crise. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons.
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est du courage !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues du groupe CRCE d’avoir inscrit la présente proposition de résolution à l’ordre du jour de notre assemblée. Leur texte est limpide ; la présentation qu’en a faite notre collègue Fabien Gay l’est tout autant.
J’imagine, monsieur le ministre, que le banc des ministres ne doit pas être – une fois n’est pas coutume – très confortable. Il faut dire que votre position est indéfendable.
Voilà quatre ans que le Parlement européen a validé le CETA. Voilà bientôt deux ans que l’Assemblée nationale a adopté le texte, et nous attendons toujours que vous daigniez soumettre au Sénat le projet de loi autorisant la ratification de cet accord.
Pour imposer un rythme de navette effréné à l’examen de textes électoralistes saccageant la République et instaurant un État policier, il y a du monde ; pour organiser des débats en application de l’article 50-1 de la Constitution et nous consulter sur des mesures déjà actées par le Président de la République, il y a encore du monde ; mais, pour soumettre un accord international à la ratification, de valeur constitutionnelle, de la chambre haute, là, il n’y a plus personne !
M. Patrick Kanner. Absolument !
M. Fabien Gay. Bravo !
M. Guillaume Gontard. Le Gouvernement ne cesse de nous assurer du respect qu’il a pour notre chambre – le Premier ministre l’a fait, hier encore, à cette tribune –, mais, comme le disait le poète Pierre Reverdy, « il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». Refuser de soumettre la ratification du CETA à l’autorisation du Sénat est une nouvelle occasion manquée de témoigner de son respect à la représentation nationale. De même, l’absence, à ce banc, du ministre de l’Europe et des affaires étrangères cet après-midi, loin de témoigner de l’amour, démontre son indifférence, voire un certain mépris à notre endroit.
De quoi le Gouvernement a-t-il peur ? Que le Sénat rejette le CETA ? De remettre dans l’actualité un sujet totalement anachronique, un accord du XXe siècle, un traité du monde d’avant le covid, un symbole de la mondialisation qui paupérise les peuples et détruit l’environnement ? Ou bien les deux à la fois ?
Nous pouvons comprendre cette peur. Alors que la crise a mis à nu des failles béantes de la mondialisation, alors qu’elle a mis en lumière notre besoin criant de résilience et de souveraineté, le CETA ressemble plus que jamais au sparadrap du capitaine Haddock…
Nos agriculteurs ne s’en sortent plus. Lactalis veut supprimer, sur ses bouteilles, l’indication de provenance du lait ; le pauvre ministre de l’agriculture en perd ses bras, et vous voulez continuer à l’affliger ? Le Canada autorise les farines animales et certains OGM ; la concurrence internationale tire les prix vers le bas et réduit, comme une peau de chagrin, le revenu des agriculteurs ; nos normes sociales et environnementales sont piétinées au profit des multinationales, dont les pouvoirs sont élargis au point d’empêcher les États de légiférer pour protéger les peuples et la planète.
Donner encore davantage de pouvoir aux intérêts privés au détriment de l’intérêt général, est-ce vraiment là votre vision du monde, monsieur le ministre ?
Alors que l’Assemblée nationale examine le projet de loi Climat, qui demeure très en deçà des engagements de la France en matière de réduction des gaz à effet de serre, vous faites un énième pied de nez à la Convention citoyenne pour le climat, avec un énième joker. Il ne reste décidément pas grand-chose des 149 propositions de cette convention…
On est ainsi passé du « sans filtre » à un filtre jauni, encrassé de renoncements, tout cela pour préserver un traité incompatible avec l’accord de Paris, alors que, dans le même temps, le Président de la République refuse de signer, et c’est heureux, un traité de libre-échange avec le Mercosur, au motif que le Brésil ne respecte pas l’accord de Paris. Décidément, le « en même temps » fait des nœuds au cerveau, même aux intelligences supérieures.
Cet aveuglement vous empêche de concentrer vos efforts pour corriger les fragilités du pays : relocaliser la production économique, notamment agricole ; protéger notre économie, tout particulièrement nos agriculteurs, de la concurrence déloyale du marché ; renforcer la puissance publique face aux intérêts privés prédateurs ; engager la transition écologique, notamment agroécologique ; protéger les emplois ainsi que les salaires et instaurer un revenu paysan digne de ce nom ; et développer une économie de circuits courts et de vente directe, loin des multinationales agronomiques, qui exploitent les agriculteurs et sont les principales responsables de la plus grave et de la plus morbide épidémie qui touche la planète : l’obésité.
S’il était un exemple de l’hypocrisie totale de votre politique faussement écologique, le voilà sous nos yeux. Le « greenwashing » a de beaux jours devant lui…
Au moins, en matière de démocratie, les choses sont claires. Emmanuel Macron pense que la France a besoin d’un monarque, et son mépris du Parlement, de la Convention citoyenne pour le climat, des syndicats agricoles, des ONG et du peuple ne surprend personne. Ce qui est nouveau, c’est que cette soif de pouvoir absolu ne parvient même pas à respecter le cadre et l’usage quasi monarchique de la Constitution de la Ve République. Comment voulez-vous que les Français vous fassent à nouveau confiance en 2022 ?
Le groupe écologiste votera, naturellement et des deux mains, en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord indiquer que la demande formulée par le groupe CRCE est légitime, même si je sens que, derrière cela, se cache un autre débat, qui porte non pas sur la procédure de ratification mais sur le texte même du CETA.
M. Patrick Kanner. Il y a une logique !
M. Richard Yung. Il y a peut-être une logique, mais nous débattons aujourd’hui d’une proposition de résolution demandant l’inscription du texte à l’ordre du jour, nous ne nous discutons pas du contenu même du CETA,…
M. Laurent Duplomb. C’est une mise en bouche !
M. Richard Yung. … même s’il faudra dire un certain nombre de choses à son sujet. Cela s’appelle « avancer masqué », comme disait Descartes.
Cela fait quatre ans et demi que l’accord a été signé avec le Canada. Ce traité a été approuvé par le Parlement européen en 2017 et ratifié par le Sénat canadien la même année. Par ailleurs, vous l’avez rappelé à juste titre, l’Assemblée nationale en a autorisé la ratification, il y a deux ans.
M. Rachid Temal. Ils ont de la chance !
M. Richard Yung. Je veux rappeler que le cas du CETA n’est pas isolé. Ainsi, jusqu’à il y a deux heures, l’accord de partenariat stratégique avec le Japon n’avait pas été inscrit à l’ordre du jour des assemblées pendant trois ans et demi. De même, l’accord entre la France et l’Australie, qui a été signé voilà quatre ans, n’est toujours pas ratifié. En réalité, la liste de textes qui ne sont pas inscrits à l’ordre du jour est longue.
M. Patrick Kanner. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes !
M. Richard Yung. Au reste, la France n’est pas le seul État membre qui ne se soit pas prononcé sur le CETA. M. Temal nous a dressé la liste des pays qui l’avaient ratifié. Je l’en remercie, mais, si onze États l’ont ratifié, cela signifie que seize ne l’ont pas fait ! L’Allemagne n’a même pas commencé la procédure de ratification.
M. Patrick Kanner. Vive les mauvais élèves !
M. Richard Yung. Sur le fond, le Sénat dispose de nombreux éléments d’informations pour se prononcer de façon éclairée.
M. Rachid Temal. Ah ?
M. Richard Yung. L’étude d’impact qui a été annexée au projet de loi de ratification est très complète. Elle fait référence au rapport de la commission Schubert, relatif à l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, ainsi qu’au rapport d’étude du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) sur les aspects macroéconomiques.
Parmi les autres documents, on peut citer la décision du Conseil constitutionnel déclarant le CETA conforme à la Constitution et la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, que notre collègue Colette Mélot a citée.
Dans la lettre qu’elle a adressée aux sénateurs le 5 mars 2020, l’ambassadrice du Canada en France revient sur les dispositions de l’accord et rappelle que « les agriculteurs canadiens doivent se conformer aux normes du marché importateur, en l’occurrence celui de l’Union européenne ». Cependant, le flux d’importation de viande bovine entre le Canada et l’Union européenne est très faible. Ce n’est pas un cas de force majeure.
M. Yves Bouloux. Heureusement !
M. Richard Yung. Le Canada a ouvert ses marchés publics dans les secteurs où l’expertise française est reconnue. Les effets positifs de la mise en œuvre du CETA militent en faveur de la poursuite du processus de ratification.
L’excédent commercial européen s’est accru : il s’est élevé à 17,6 milliards d’euros en 2019, contre 15,7 milliards d’euros en 2018. L’excédent commercial de la France est quant à lui passé de 26 millions d’euros en 2017 à 650 millions d’euros en 2019. Autrement dit, il a été multiplié par trente ! Le CETA a donc des effets absolument indiscutables.
M. Pierre Laurent. Alors, soumettez-le à ratification !
M. Richard Yung. En dépit de ces bons résultats, il est nécessaire de résoudre les problèmes d’exécution et d’interprétation de l’accord. Parmi les problèmes qui demeurent figurent les modalités d’octroi des contingents d’accès au marché canadien des fromages, lequel est important pour la France, l’accès au marché des vins et spiritueux au Canada, lui aussi important pour la France, et la protection effective des indications géographiques de tous nos produits.
Il est par ailleurs nécessaire de poursuivre l’évaluation du CETA au regard de l’accord de Paris. Le Président de la République s’est engagé : il a déclaré n’avoir « aucun tabou » et être prêt à abandonner le CETA « si l’évaluation montre qu’il n’est pas conforme à la trajectoire de l’accord de Paris ».
Pour toutes ces raisons, mon groupe s’abstiendra sur la proposition de résolution.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le dis sans détour, le débat d’aujourd’hui n’aurait jamais dû exister. Nous aurions dû depuis longtemps, dans cet hémicycle, dire oui ou non au CETA, comme cela est prévu depuis 2016 : le CETA étant « mixte », il requiert l’unanimité et doit par conséquent être ratifié par le Parlement de chacun des États membres de l’Union européenne. Or il n’y a eu qu’un seul vote, à l’Assemblée nationale, en juillet 2019 : on y a recensé 266 voix pour, 213 voix contre et 74 abstentions.
Pendant ce temps, depuis septembre 2017, un CETA provisoire a été mis en place, le Canada ayant posé l’exigence que l’on n’attende pas la validation par les parlements nationaux. Or le provisoire n’est pas censé durer des années ! De qui se moque-t-on ? La situation revient à nier le Sénat, à nier le bicamérisme, à nier notre démocratie, alors que M. le Premier ministre nous a assurés, dans la déclaration qu’il a prononcée à cette tribune hier, qu’il faisait le contraire.
Pourquoi la Haute Assemblée est-elle ainsi privée de vote ? Qu’est-ce qui bloque ?
À cet égard, je remercie très sincèrement notre collègue Fabien Gay de placer cette situation grotesque sous les projecteurs. Sa proposition de résolution « invite » – le mot est faible, puisque cela est obligatoire – le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du CETA.
Nous devons exiger le vote du Sénat. En effet, les conclusions nuancées de la commission Schubert, mise en place en 2017 pour évaluer les enjeux environnementaux et sanitaires du CETA, avaient conduit le Gouvernement à élaborer, la même année, un plan d’action pour sa mise en œuvre. Celui-ci contenait des engagements ambitieux sur le rôle du Parlement. C’est sans doute oublié !
Les enjeux ne sont pas anodins. Le CETA, document de plus de 2 000 pages, comprend des mesures d’accès réciproque des parties à leurs marchés. Au-delà de la baisse ou de la levée des droits de douane, il est question de la réduction des obstacles non tarifaires, de l’assouplissement de l’accès aux marchés publics ou encore d’harmonisation des règles en matière de propriété intellectuelle.
Depuis 2017, les accords de libre-échange dits « de nouvelle génération » ne se limitent pas à des dispositions de nature commerciale relevant exclusivement de la compétence de l’Union européenne. Ces accords intègrent également de nombreuses clauses portant notamment sur l’investissement, la coopération réglementaire ou le développement durable, certaines de ces clauses relevant de la compétence des États membres.
Autre problème soulevé par cette absence de ratification : l’accord de partenariat stratégique (APS) n’est lui non plus toujours pas promulgué par le Canada, bien qu’il ait été approuvé en 2017 par le Parlement européen, en même temps que le CETA. Le gouvernement canadien attend la fin du processus de ratification des États membres de l’Union européenne. On parle peu de cet accord, qui n’a pas cristallisé l’opposition en 2016. Pourtant, il est majeur, car il rassemble le volet politique. Il aborde les valeurs partagées, par exemple les questions de développement durable, la bonne gouvernance fiscale et le rôle de l’OMC.
La proposition de résolution de notre collègue Fabien Gay que nous examinons aujourd’hui est primordiale : elle vise à demander l’inscription à l’ordre du jour du Sénat du projet de loi de ratification du CETA. Nous le savons, une partie de notre assemblée va s’y opposer. Même mes collègues socialistes, qui, lors d’un débat dans cet hémicycle, avaient soutenu cet accord, signé par l’ancien Président de la République François Hollande, ont changé d’avis. Tant mieux ! Il en va de même, d’ailleurs, de la majorité des députés européens Les Républicains et UDI, qui ont voté en faveur de cet accord au Parlement européen.
La proposition de résolution souligne également que l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne affecte de manière notable la politique agricole. En outre, la question environnementale n’est pas suffisamment prise en compte. La Convention citoyenne pour le climat a d’ailleurs demandé au Gouvernement de dénoncer l’application provisoire du texte de libre-échange tant que l’accord de Paris n’y serait pas intégré, alors qu’il figure au sein de l’APS.
Cet accord comporte des incohérences dont il nous faut débattre. Nous devons nous exprimer à ce sujet, poser les questions qui fâchent, comme son impact réel sur notre agriculture. Si les chiffres fournis témoignent d’une hausse des exportations européennes globales vers le Canada et les États-Unis de 15 % en 2018, nous devons objectiver ces données en 2021, plus particulièrement pour l’agriculture, qui paie souvent le prix cher de ces accords internationaux. N’oublions pas, chers collègues, que se dessine le Mercosur, sur le même modèle que le CETA.
La gouvernance de l’Union européenne montre bien ses limites politiques : la Commission décide, les accords sont appliqués et les Parlements des États membres ratifient plus tard… ou pas.
Nos agriculteurs sont toujours sacrifiés sur l’autel d’accords internationaux qui bénéficient, certes, à d’autres secteurs français.
Il est de notre devoir moral d’imposer ce débat au Sénat. Même si le résultat ne correspond pas à la ligne directrice de la Commission européenne, le groupe du RDSE votera pour cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SER, CRCE, GEST et UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 23 juillet 2019, l’Assemblée nationale a examiné en urgence, en fin de session extraordinaire, le projet de loi de ratification du CETA. Deux ans plus tard, quatre ans après sa signature, ce texte n’est toujours pas inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
Pourquoi un tel déni ? Comment justifier le silence du Gouvernement qui accompagne cette non-inscription ? Le Gouvernement a-t-il l’intention de contourner définitivement le vote de notre chambre en jouant la carte de l’application provisoire indéfinie, puisque aucun délai légal de ratification ne s’impose à la France ? Ne s’agit-il pas, du même coup, de rendre caduque, à terme, la notion même d’accord « mixte », ce qui permettrait à de futurs accords d’échapper à la ratification parlementaire nationale ?
Après tout, pourquoi s’embarrasser d’un vote du Sénat qui pourrait être défavorable et d’un retour incertain devant l’Assemblée nationale ? C’est le raisonnement que semble faire le Gouvernement. Est-ce acceptable ? À l’évidence, non, et je veux citer les raisons majeures qui appellent cette discussion dans notre assemblée.
La première est l’impératif démocratique, largement souligné par notre collègue Fabien Gay. Les chefs d’État européens et la Commission européenne ont malheureusement pris de fâcheuses habitudes de contournement démocratique des parlements comme des mobilisations citoyennes. Dès lors, comment s’étonner du désaveu populaire ?
La deuxième raison tient évidemment au contenu du CETA. Cet accord est d’une très grande importance. Il s’inscrit dans la lignée d’une libéralisation effrénée des échanges, qui se paie en abaissement des normes, en délocalisations industrielles massives, en dépendance accrue de notre pays dans des secteurs essentiels, comme l’agriculture, mais aussi la pharmacie et le médicament ou le numérique.
Continuer à appliquer des accords comme celui du CETA sans ratification ni évaluation n’est pas responsable.
La révolution écologique, nous le savons, n’est plus une option. Cependant, elle soulève d’énormes défis de transition. La relocalisation de nos productions et un renforcement de nos services publics sont indispensables pour répondre à la crise que nous traversons.
Dans ces conditions, l’évitement de l’exécutif sur ce sujet révèle un embarras manifeste et problématique. D’ailleurs, le Président de la République avait déjà sorti son joker pour évincer la proposition de la Convention citoyenne pour le climat qui s’opposait au CETA…
Il est pourtant devenu évident que la mondialisation financière sans garde-fous, tournée vers la compétitivité à tout prix et bâtie sur le dogme de la concurrence libre et non faussée est, dans bien des domaines, responsable de l’incapacité de nombreux États, dont la France, à faire face aux nouveaux défis d’avenir : la réduction des inégalités, le climat, la pandémie… – il y en a bien d’autres.
Les accords de libre-échange comme le CETA et, demain, le Mercosur nous désarment face aux défis qui s’aiguisent, au lieu de reconstruire les conditions productives, sociales et environnementales pour les relever.
Le CETA ouvre la voie à une nouvelle génération d’accords de libre-échange qui s’étend désormais aux barrières non tarifaires et qui touche tous les domaines : l’environnement, l’agriculture, les protections sociales, les réglementations sanitaires, les investissements, les marchés publics. Il s’agit de tirer toujours vers le bas les normes sociales et environnementales.
La commission Schubert, qui a conduit une analyse indépendante du CETA, a souligné le « manque d’ambition » environnementale du traité. De fait, le CETA continuera d’entraîner une augmentation des émissions liées au fret transatlantique, l’encouragement de la concurrence des pratiques d’agriculture les plus intensives, contraires aux objectifs affichés par l’Europe, la mise en berne des normes protectrices du climat et de l’environnement.
J’ajoute enfin qu’aux dangers déjà évidents s’additionnent désormais ceux que révèle dramatiquement la pandémie.
Nous avons besoin de coopération et non d’exacerbation de la concurrence. Nous avons besoin de reconquérir de la souveraineté, en alliant la protection de normes nationales exigeantes et de coopérations fondées sur la promotion de biens communs, et non de productions rentables à tout prix, quoi qu’il en coûte.
Le débat sur les vaccins et la libération des brevets en est un bel exemple. L’OMC discute d’ailleurs actuellement de nouvelles règles permettant de mieux relever ces défis pour toute la planète et pour toute l’humanité. Est-ce le moment de pousser dans ce sens ou, au contraire, de laisser prospérer les logiques moins-disantes et ultraconcurrentielles d’accords comme le CETA ?
Mes chers collègues, c’est en tout cas le moment, quelles qu’aient été au départ nos positions sur le CETA et quelles qu’elles soient encore aujourd’hui, d’avoir ensemble un débat approfondi, respectant les prérogatives du Parlement. Ensemble, nous pouvons demander au Gouvernement de répondre à cette exigence en votant la proposition de résolution que le groupe CRCE vous soumet aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par cette proposition de résolution, nos collègues du groupe CRCE nous invitent à rappeler au Gouvernement qu’il serait temps de mener à son terme la procédure de ratification du CETA. En France, celui-ci a été voté par 266 députés en juillet 2019, mais, depuis, il n’a toujours pas été soumis à l’approbation du Sénat. Nous sommes impatients, monsieur le ministre, d’en connaître les motifs, car nous ne pouvons imaginer que vous vous satisfaisiez de la situation actuelle, avec un traité en vigueur seulement partiellement et pour une durée indéterminée.
Par ses tergiversations, le Gouvernement donne aujourd’hui le sentiment de craindre le Parlement, comme s’il n’était pas prêt à assumer les conséquences de ce traité dans les territoires.
Pour beaucoup de centristes, qui pensent que l’avenir de la France passe par une Europe plus démocratique, plus unie et plus forte, la procédure choisie, qui écarte le référendum et relègue les parlements nationaux à des chambres d’enregistrement, porte déjà en elle-même préjudice à l’ambition européenne. Par son défaut de transparence, elle détériore la confiance des citoyens en leurs institutions.
Au-delà de la légitime demande de démocratie et de respect des procédures de ratification qui vous est faite aujourd’hui, il y a une dimension plus pragmatique et plus politique, qui plaide pour un débat rapide au Sénat et sur laquelle, vous l’avez compris, nous aimerions vous entendre, monsieur le ministre : il s’agit de la pertinence de ce traité dit « de deuxième génération », mais finalement déjà dépassé dans un monde post-covid et d’urgence climatique.
Depuis un an, en effet, nous mesurons chaque jour combien la souveraineté économique, alimentaire, numérique et médicale, l’urgence climatique et le bilan carbone sont devenus de nouvelles priorités. Ces réalités n’avaient pas la même acuité voilà quinze ans, lors des négociations du CETA.
Aujourd’hui, ces défis sont devant nous, et nous sommes en droit de nous interroger : est-il bien cohérent de supprimer des droits de douane, alors que, dans le même temps, nous envisageons d’imposer des taxes carbone aux frontières ? Alors que la France et l’Europe imposent à leur production des écoschémas, des circuits courts de la ferme à la fourchette, un Green Deal, des analyses du cycle de vie, des normes RSE, une lutte contre la déforestation, devons-nous continuer à laisser entrer des produits qui ne répondent pas à ces critères pour respecter les contreparties de traités ?
M. Laurent Duplomb. Très bonne question !
Mme Anne-Catherine Loisier. À l’heure de l’urgence climatique, le commerce international peut-il encore consister à importer ce que nous ne voulons pas pour vendre ce que nous voulons exporter ? Le moment est-il bien choisi pour lever tout obstacle aux investissements étrangers, alors que l’enjeu de souveraineté économique n’a jamais été aussi stratégique ? Faut-il soumettre nos États aux arbitrages de tribunaux spécifiques visant à protéger « les attentes légitimes des investisseurs internationaux », et non les intérêts des citoyens, à l’heure où l’on plaide pour plus de régulation et pour un retour des États, notamment dans les secteurs numérique, alimentaire, de la santé et de l’environnement ?
Toutes ces interrogations pressantes, auxquelles nous n’avons pas encore de réponses, se heurtent non pas au principe des échanges internationaux, mais aux modalités de ce traité. Elles justifient un débat urgent, que vous ne pouvez ni éluder ni repousser. L’avenir d’un projet européen crédible et d’un commerce ouvert ne se fera pas en occultant les questionnements des parlements nationaux ni même en se contentant de regarder dans le rétroviseur les bilans chiffrés de ces trois dernières années.
Ces impératifs nouveaux, qui ont surgi en quelques mois, modifient en profondeur et dans la durée les réalités économiques, commerciales et sociétales à venir. Ils nous obligent à nous adapter, car, nous le savons tous, gouverner, c’est prévoir, d’autant qu’ils s’inscrivent dans l’urgence : l’urgence de neutraliser les changements climatiques, l’urgence de la relance économique et de l’emploi dans les territoires, l’urgence de faire renaître l’espoir chez nos concitoyens.
Par respect pour les peuples et pour le pouvoir de représentation qu’ils ont confié au Parlement, par respect pour l’Europe et pour la procédure de ratification choisie, pour la cohérence des politiques publiques et la résilience de nos économies, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour remercier nos collègues du groupe CRCE de leur initiative. Voilà effectivement vingt et un mois que l’Assemblée nationale a voté, à une courte majorité, la ratification du CETA, accord mixte conclu entre l’Union européenne et le Canada qui nécessite la ratification des États membres. Voilà vingt et un mois que nous attendons que le Gouvernement l’inscrive à l’ordre du jour du Sénat et trois ans et demi que cet accord dit « de nouvelle génération » systémique vit sous sa forme provisoire, créant un précédent fâcheux.
Comme mon collègue Rachid Temal l’a exprimé justement, nous vivons là un déni et une aberration démocratiques. C’est une mauvaise manière faite au Sénat, mais c’est surtout une manière qui renforce encore la défiance de nos concitoyens à l’égard de ces accords commerciaux aujourd’hui dépassés.
Ces accords sont dépassés, parce que le monde a changé. La mondialisation libérale et l’accélération des échanges ont, certes, généré de la croissance et permis de développer de nouveaux secteurs, mais elles se sont aussi malheureusement traduites par un accroissement des inégalités territoriales et sociales ainsi que par la destruction de pans entiers de nos économies, laissant des millions de travailleurs européens sur le carreau, sans parler de l’exploitation des travailleurs de nombreux pays du tiers-monde, sous-traitants des multinationales qui nous offrent des produits à bas prix.
Ces accords sont dépassés, parce que la mutation numérique de nos économies a ouvert de nouveaux espaces de croissance, mais aussi de dérégulation, permettant à des multinationales de dicter leur loi, d’accumuler les profits et d’échapper à l’impôt.
Ces accords sont dépassés par l’accélération du changement climatique, la perte de biodiversité, la dégradation de l’environnement, qui mettent en péril l’avenir de l’humanité et interrogent nos modèles de développement.
Enfin, ces accords sont dépassés par l’essor de la Chine, lequel change fondamentalement l’ordre économique et politique mondial, bouleversant concurrence et gouvernance. À cet égard, l’accord entre la Chine et les quatorze pays de la zone indopacifique conclu en novembre dernier dans la région la plus dynamique du monde illustre le déplacement du centre de gravité dans les rapports de force mondiaux et l’accélération de la régionalisation des marchés.
La pandémie de la covid-19 a mis en lumière ces phénomènes en exacerbant les tensions et a permis une prise de conscience accélérée de leurs conséquences économiques et sociales et de leur incidence en matière de dépendance stratégique.
Face à cette situation, l’Union européenne n’a d’autre choix que de redéfinir ses relations internationales et ses échanges commerciaux, de nous protéger sans nous isoler ni nous replier. Elle doit se servir de sa position d’acteur commercial majeur pour défendre un modèle de développement commercial équitable et durable et ne pas se trouver marginalisée dans la bataille politique, stratégique et commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine.
L’Union européenne doit être motrice pour réformer l’Organisation mondiale du commerce, restaurer le multilatéralisme, redéfinir des règles communes et installer de nouvelles instances d’arbitrage. Nous devons porter à l’échelle internationale un niveau d’exigence élevé et promouvoir les normes et standards européens, tout en révisant ceux-ci à la hausse.
Les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux doivent dorénavant inclure la lutte contre le dérèglement climatique, la défense de nos normes sanitaires et environnementales, le respect des droits de l’homme, la protection des travailleurs et un devoir de vigilance de nos entreprises et de celles des pays tiers, qui devront respecter des exigences sociales élevées.
La Commission européenne a récemment présenté sa feuille de route pour redéfinir sa politique commerciale. Si celle-ci ouvre des perspectives positives, elle ne va pas au bout de la démarche. La redéfinition de la finalité de ces accords ne tire pas toutes les leçons des interrogations et des doutes qui traversent les opinions publiques européennes.
Si, sous l’impulsion de la France, lors du quinquennat précédent, des progrès ont été réalisés sur la transparence des négociations, il faut aller plus loin et permettre un débat démocratique pour s’assurer que la politique commerciale est au service du bien commun.
La Commission évoque la réforme de l’OMC et de plus grandes exigences dans les différents domaines que j’ai cités, mais l’objectif d’une « autonomie stratégique ouverte » laisse perplexe. Elle ne remet pas en cause le dogme libéral au bénéfice du juste échange et ne prévoit pas de stratégie de relocalisation et de rapatriement des chaînes de valeur.
Au-delà, c’est la question de la nature juridique de ces accords qui est posée. Celle de la compétence exclusive de la Commission européenne, celle de la durée des mandats de négociation – vingt ans pour le Mercosur… –, celle, pour les rares accords mixtes, de l’absence de date butoir de ratification sont également posées.
La gestion de la mise en œuvre de ces accords, leur contrôle a posteriori, les engagements contraignants assortis d’éventuelles sanctions et de clauses de revoyure afin d’en assurer le contrôle démocratique se posent tout autant.
Nous avons besoin aujourd’hui d’une pause, d’un moratoire sur les négociations et d’une redéfinition démocratique des critères environnementaux, sociaux, fiscaux et de droits humains, qui doivent être au cœur des échanges. Ces critères doivent être ambitieux et remettre les accords commerciaux au service d’un modèle de développement équitable et durable qui serve d’outil au bénéfice d’une Europe géopolitique.
La France, monsieur le ministre, aura, à ce titre, une responsabilité particulière, puisque la présidence française devra faire aboutir les négociations sur la nouvelle stratégie commerciale entre les États membres. Les conditions seront alors réunies pour clarifier en premier lieu au niveau national les termes du débat autour de la politique commerciale commune.
C’est à l’aune de ces remarques que, le jour venu, si le Gouvernement en décide, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera sur le CETA. Nous espérons que cette inscription à l’ordre du jour du Sénat viendra très vite, raison pour laquelle nous voterons la proposition de résolution du groupe CRCE. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, signé le 30 octobre 2016 par le Canada et l’Union européenne et ses États membres, le CETA a été approuvé par le Parlement européen en février 2017.
Le CETA est un accord commercial bilatéral de libre-échange « de nouvelle génération ». Il ne se contente pas de réduire les seuls droits de douane, mais tente de diminuer toutes les entraves au commerce. Ainsi, outre la baisse des droits de douane, le CETA prévoit la protection des appellations d’origine contrôlée européennes, l’assouplissement de la mobilité professionnelle ou encore l’ouverture des marchés publics canadiens. Le CETA, c’est aussi la modification de quotas, dont l’augmentation des importations de viande canadienne vers l’Europe.
Certaines de ses dispositions relèvent de la compétence exclusive de l’Union européenne et d’autres des États membres, ce qui implique sa ratification par les parlements des vingt-sept États membres. Quatre ans plus tard, seuls treize pays européens l’ont ratifié. Le parlement chypriote s’est opposé à cette ratification l’été dernier, ce qui a justifié l’ouverture de négociations. Refusant d’attendre, le Conseil de l’Union européenne a néanmoins autorisé l’application provisoire des dispositions du CETA relevant de la compétence exclusive de l’Union. Ainsi, 90 % des dispositions de l’accord sont entrées en vigueur le 21 septembre 2017, sans que le Parlement français se soit jamais prononcé.
En France, le processus de ratification n’a été amorcé qu’à l’été 2019, avec le dépôt à l’Assemblée nationale d’un projet de loi de ratification. Le 23 juillet, après plusieurs jours d’âpres débats et l’opposition marquée du monde agricole, ce texte a finalement été adopté à une courte majorité, par 266 voix contre 213. Au moins, il y a eu débat. Tous les groupes ont pu s’exprimer. Depuis, plus rien !
Le débat au Sénat a été annoncé pour octobre puis décembre 2019. Nous l’attendons encore… Avec mes collègues de la commission des affaires économiques, nous étions prêts. Nous avions même désigné notre rapporteur pour avis.
Deux ans après sa ratification par les députés, quatre ans après son entrée en vigueur, le Sénat n’a toujours pas eu à se prononcer. Qu’attend-on ? Le Président de la République a rejeté l’appel de la Convention citoyenne pour le climat à renégocier le CETA. A-t-il peur que nous n’imitions nos collègues chypriotes ?
Le Sénat doit pouvoir débattre et s’exprimer sur cet accord, qui peut interroger en matière de sécurité sanitaire, de qualité des produits importés, mais aussi de préservation du modèle agricole français. Le Sénat doit pouvoir débattre et s’exprimer sur l’opportunité d’un tel accord, dont les négociations ont débuté en 2009, dans une société qui n’avait pas pleinement conscience des enjeux climatiques. Le débat est d’autant plus indispensable qu’un audit de la Commission européenne de mai 2020 a confirmé certaines craintes : traçabilité défaillante du bétail, conflits d’intérêts potentiels des vétérinaires chargés d’évaluer le respect des règles sanitaires…
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui invite le Gouvernement à permettre ce débat. Nous partageons ce souhait. Une fois n’est pas coutume, je tiens à féliciter nos collègues du groupe CRCE de leur initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà maintenant près de deux ans, l’Assemblée nationale ratifiait l’accord économique et commercial global, dit CETA. Cet accord entre l’Union européenne et le Canada organise les aspects tarifaires des échanges de biens et de services, la régulation des investissements et des droits de propriété intellectuelle.
Le groupe CRCE nous propose d’adopter une résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite du processus parlementaire de ratification du CETA. Nous sommes favorables à cette démarche. Elle offrirait au Sénat l’opportunité d’approuver à son tour cet accord historique de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.
M. Laurent Duplomb. Peut-être pas !
M. Olivier Cadic. Approuvé par l’Union européenne, le CETA est mis en œuvre depuis plus de quatre ans et présente déjà des résultats très positifs pour la France. Je vais y revenir.
Mes chers collègues, le groupe CRCE pointe ici un défaut démocratique. Mais, en ce qui concerne les droits de l’homme, j’ai déjà pu constater, dans cet hémicycle, que le groupe CRCE était plus Maduro que Trudeau. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Cécile Cukierman. Ça vole haut !
M. Olivier Cadic. En économie, c’est pareil. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.) La lecture de l’exposé des motifs de leur proposition de résolution le démontre : le libre-échange, décidément, ça ne passe pas, serait, selon eux, « à l’origine d’une “mondialisation malheureuse” pour les peuples ». Leur document prétend que le CETA répond aux seuls intérêts des multinationales. C’est faux ! Sur les 10 000 entreprises françaises qui exportent, 8 000 sont des PME.
Je ne dispose pas du temps nécessaire…
Mme Cécile Cukierman. Heureusement !
M. Olivier Cadic. … pour pointer toutes les approximations, les exagérations ou les nombreuses élucubrations offensantes sur les réglementations canadiennes dans l’exposé des motifs. Ces propos relèvent du « Canada bashing », et je le regrette.
Si cet accord de libre-échange non ratifié est déjà entré en vigueur provisoirement, c’est parce que plus de 90 % des dispositions relèvent des compétences exclusives de l’Union européenne.
M. Didier Marie. C’est bien le problème !
M. Olivier Cadic. En fait, ce qui irrite profondément le groupe CRCE, comme d’autres, c’est tout simplement que l’Union européenne fonctionne – et cela n’est pas nouveau !
Les faits sont têtus : l’accord de libre-échange conclu entre le Canada et l’Union européenne s’avère déjà très bénéfique pour la France. Nos exportations ont progressé de 24 % dans les trois premières années : 63 % pour les fromages, 96 % pour les produits de boulangerie, 16 % pour les vins et boissons et plus de 30 % pour les cosmétiques, le textile et l’habillement.
M. Rachid Temal. C’est le monde des Bisounours !
M. Olivier Cadic. Grâce au CETA, nos entreprises, multinationales ou TPE-PME, peuvent accéder pleinement aux marchés publics fédéraux canadiens, bien au-delà des règles auparavant en vigueur dans le cadre de l’OMC. On observe déjà de nombreux succès : EDF avec le développement de parcs éoliens en Alberta ou encore Vinci avec la construction d’une usine de traitement des eaux en Colombie-Britannique ou d’une autoroute en Alberta.
Pour Pierre Touzel, conseiller des Français de l’étranger à Vancouver, le CETA est une chance inouïe de mettre l’Europe au centre du jeu dans l’Ouest canadien, qui a un fort tropisme pour l’Asie.
De son côté, Marc Albert Cormier, élu de Toronto, témoigne que nos compatriotes de l’Ontario accèdent désormais à des produits issus de l’agroalimentaire français à des coûts abordables dans les grandes surfaces et magasins spécialisés et que nombre d’entre eux bénéficient également de l’accord dans le cadre de leur emploi.
François Lubrina, élu de Montréal, célèbre des succès remportés dans sa ville par Vinci pour le tunnel Louis-Hyppolyte-La Fontaine ou Alstom avec le contrat du métro léger.
Quand j’écoute nos élus du Canada, je réalise que le CETA s’affirme comme un accélérateur de croissance et de création d’emplois. Il permet aussi d’offrir le mieux-disant au consommateur en termes de normes et de qualité, car le Canadien partage avec l’Européen le souci d’une consommation saine et durable.
Cet accord d’échange n’est pas qu’un simple accord commercial. Il concrétise l’amitié entre l’Europe et le Canada.
Mme Cécile Cukierman. L’amitié entre les peuples, ça ne s’achète pas !
M. Olivier Cadic. Vous l’avez justement dit dans les médias, monsieur le ministre, le CETA est un bon accord.
M. Rachid Temal. Alors, soumettez-nous le texte !
M. Olivier Cadic. Sa ratification serait un signal fort avant que la France n’occupe la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne en janvier 2022. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)
M. Fabien Gay. Quelle belle prise de parole !
M. Laurent Duplomb. Incroyable !
M. Rachid Temal. Tout va bien, madame la marquise !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’ont souligné plusieurs orateurs, le CETA est de nature mixte : une large partie de l’accord, sur le volet commercial, relève de la compétence exclusive de l’Union européenne, en application de l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais une autre partie, relative au volet « investissements », relève des compétences partagées entre l’Union et les États membres. À ce titre, cet accord doit être ratifié par les États membres et, donc, en France par le Parlement. C’est cette compétence exclusive de l’Union sur une partie du CETA qui a permis son entrée en vigueur à titre provisoire, à partir du 21 septembre 2017.
Il n’y a pas d’ambiguïté quant à la portée du processus de ratification de cet accord par les parlements nationaux. Ils ne sont pas saisis d’un morceau de texte, mais bien de l’ensemble. Si le processus de ratification échoue dans l’un des États membres, l’accord ne pourra pas continuer à s’appliquer. Lorsqu’il a autorisé la signature de l’accord, le Conseil a en effet précisé la portée de l’application provisoire et adopté une déclaration, inscrite au procès-verbal, affirmant que, si la ratification de l’accord économique et commercial global avec le Canada « échoue de façon définitive en raison d’une décision prononcée par une Cour constitutionnelle, ou à la suite de l’aboutissement d’un autre processus constitutionnel et d’une notification officielle par le gouvernement de l’État concerné, l’application provisoire devra être et sera dénoncée ». Encore faut-il que les parlements puissent se prononcer. Et c’est là le cœur de notre débat.
Le projet de loi autorisant la ratification de cet accord a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2019, le Gouvernement engageant au même moment la procédure accélérée. De fait, la procédure a été rapide à l’Assemblée nationale, puisque le projet de loi y a été adopté le 23 juillet suivant, à une courte majorité. Depuis lors, plus rien ! Le Gouvernement oublie méthodiquement d’inscrire ce projet de loi à l’ordre du jour du Sénat, empêchant ainsi la poursuite du processus de ratification. Monsieur le ministre, seriez-vous gêné ? Et, dans ce cas, pourquoi ?
Les services de la direction générale du Trésor et du Secrétariat général des affaires européennes, que j’ai interrogés récemment, m’ont affirmé que l’application provisoire du CETA est bénéfique pour la France. Douteriez-vous de vos données ou de votre capacité de conviction ? Sinon, pourquoi refuser la reprise du processus de ratification ?
La ratification n’est pas une option, la démocratie n’est jamais une option. Un débat exigeant est toujours plus utile que des tentatives de contournement qui alimentent les suspicions et les rancœurs.
Il ne faut pas se le cacher : oui, le CETA est contesté par certaines filières, notamment la filière bovine, évoquée par mon collègue Laurent Duplomb. Oui, la Commission européenne a pu paraître, par le passé, trop naïve et trop lente lorsqu’il s’agissait de protéger les entreprises européennes face aux pratiques déloyales de certains États.
M. Laurent Duplomb. C’est toujours le cas !
M. Jean-François Rapin. Premier importateur et exportateur mondial, premier partenaire commercial de soixante-quatorze pays dans le monde, l’Union européenne est assurément une puissance commerciale. Pourtant, elle n’en a pas suffisamment tiré les conséquences politiques par le passé. Elle n’a pas suffisamment exploité ses atouts et n’a pas été assez vigilante concernant le respect de la mise en œuvre des accords conclus.
Ces faiblesses semblent en voie d’être corrigées. Le titre de la communication, présentée le 18 février dernier par la Commission européenne, pourrait nous le faire penser : « Une politique commerciale ouverte, durable et ferme. »
Oui, il faut assurer un meilleur suivi de la mise en œuvre des accords et lutter avec fermeté contre les pratiques déloyales. Oui, la politique commerciale de l’Union doit venir en appui de ses intérêts géopolitiques et doit contribuer à l’affirmation de l’autonomie stratégique de l’Union. Ouvert ne veut pas dire naïf.
Je souscris également à l’approche consistant à intégrer davantage la politique commerciale et les politiques intérieures de l’Union, en particulier la politique de la concurrence et la politique industrielle. Je l’ai encore dit la semaine dernière au commissaire Valdis Dombrovskis.
En conclusion de sa communication, la Commission européenne souligne vouloir « favoriser un débat éclairé sur la politique commerciale » en approfondissant les contacts qu’elle entretient avec la société civile et les partenaires sociaux, mais sans mentionner les parlements nationaux.
Monsieur le ministre, le Parlement n’est pas l’adversaire du Gouvernement ni de la Commission sur ces sujets commerciaux. L’adversaire, c’est la méfiance, voire la défiance, qui peut s’installer chez nos concitoyens. Nous pouvons vous aider à la réduire si nous sommes correctement informés et associés. Alors, aidez-nous à le faire et poursuivons le processus de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Jean-Yves Le Drian est en Inde.
M. Rachid Temal. Attention au covid !
M. Franck Riester, ministre délégué. En tant que ministre du commerce extérieur, ma présence me semble suffisamment légitime pour représenter le Gouvernement et évoquer cette question commerciale importante.
J’ai écouté avec attention chacune de vos interventions. Elles soulèvent des questions importantes sur le CETA, et je vous remercie de me donner l’opportunité d’y répondre. Je suis bien évidemment en permanence à la disposition du Sénat pour discuter, échanger et partager les informations du Gouvernement sur cet accord dans le cadre d’auditions ou de réunions ad hoc – je le fais également lors des réunions du comité de suivi de la politique commerciale, dont font partie les sénateurs Yung, Marie et Cadic. Je suis toujours à l’écoute du Parlement en général et du Sénat en particulier.
J’ai été un peu étonné des prises de position de certains sénateurs socialistes, cet accord ayant été signé en octobre 2016, sous le quinquennat de François Hollande.
M. Rachid Temal. Démagogie !
M. Franck Riester, ministre délégué. De même, l’opposition de fond de certains sénateurs Les Républicains à cet accord me semble en contradiction avec l’ADN économique de cette grande famille politique de la droite républicaine.
Pour autant, je souhaite absolument prendre le temps nécessaire pour vous convaincre de la pertinence de la procédure suivie par le Gouvernement et de l’importance que revêtent les accords commerciaux pour l’économie de notre pays.
Je rappelle que nous avions obtenu, voilà trois ans, une renégociation extrêmement significative avant d’apposer notre signature, sous la précédente mandature. Nous avons encore perfectionné cet accord dès les premiers jours de la présidence d’Emmanuel Macron, en lançant le processus qui a abouti au plan d’action CETA.
Je voudrais tout d’abord revenir sur ce processus de ratification. Comme vous l’avez souligné, le CETA est un accord mixte dont la majorité des dispositions relève de la compétence exclusive de l’Union européenne. Il en comprend d’autres qui relèvent d’une compétence européenne, mais exercée de manière partagée entre l’Union et ses États membres. Certaines dispositions consacrées à la protection des investissements relèvent de cette compétence dite mixte.
C’est donc ce premier volet qui justifie la ratification par les parlements des vingt-sept États membres, dont la France, conformément aux articles 52 et 53 de la Constitution. Comme vous le savez, le projet de loi autorisant le Gouvernement à ratifier l’accord a été approuvé par l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019. Le Sénat sera bien évidemment amené à se prononcer sur ce projet de loi.
MM. Fabien Gay et Didier Marie. Quand ?
M. Franck Riester, ministre délégué. En ce qui concerne l’état d’avancement du processus de ratification dans les États membres, regardons où en sont nos partenaires : à l’heure actuelle, quinze États ont ratifié le CETA et douze ne l’ont pas encore fait, dont la France, puisque le processus n’est pas arrivé à son terme.
M. Rachid Temal. C’est pour quand ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Nous ne sommes donc pas en retard. Certains États membres, comme l’Allemagne, n’ont pas même encore saisi leur parlement.
M. Rachid Temal. Et alors ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Vous voyez donc, monsieur le sénateur Gay, qu’il n’y a pas du tout de déni démocratique,…
M. Fabien Gay. Ça fait un an que nous attendons !
M. Franck Riester, ministre délégué. … mais un respect scrupuleux du cadre de ratification des accords commerciaux entre l’Union et les pays tiers.
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est de la blague !
M. Franck Riester, ministre délégué. Donc, je vous en prie, pas de leçons de démocratie. Le temps de légiférer viendra, et le Sénat débattra.
Comme vous l’avez également souligné, l’accord est appliqué partiellement et à titre provisoire depuis septembre 2017. Cette application provisoire ne remet pas en cause les compétences du Parlement ni la légitimité démocratique de cet accord, et ce pour trois raisons : d’abord, l’application à titre provisoire ne concerne que les dispositions qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union ; ensuite, le Conseil constitutionnel a confirmé que l’application provisoire est conforme à notre Constitution dans sa décision du 31 juillet 2017 ; enfin, l’application provisoire n’a été autorisée par le Conseil de l’Union qu’à la suite de l’approbation de l’accord par le Parlement européen, le 15 février 2017. Ce régime d’application provisoire est donc prévu par le droit international.
M. Fabien Gay. Un an !
M. Franck Riester, ministre délégué. L’application provisoire du CETA nous permet également de suivre très précisément les effets économiques, sanitaires, environnementaux et climatiques de l’accord, conformément au plan d’action mis en place par le Gouvernement dès 2017 et dont nous rendons compte au Parlement de manière régulière. Là encore, une nouvelle fois, je suis à la disposition du Sénat.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, comme l’a très bien démontré M. Cadic voilà quelques instants, nous avons besoin de libre-échange. Nous avons besoin d’accords et d’échanges commerciaux pour notre économie.
M. Laurent Duplomb. Mais pas de naïveté, surtout quand ça tue notre économie !
M. Franck Riester, ministre délégué. Dans un moment comme celui que nous traversons, alors que nous devons relancer notre économie, nous allons avoir plus que jamais besoin d’échanger, d’exporter nos productions fabriquées en France. Il est donc très important de regarder la réalité économique de cet accord.
Mme Éliane Assassi. Pourrait-on seulement en débattre ?
M. Franck Riester, ministre délégué. M. Cadic a cité quelques chiffres, je vais vous en donner d’autres, car le premier bilan de cet accord avec le Canada est très positif. (M. Laurent Duplomb en doute.)
Je sais que, parfois, les faits vous dérangent, que la réalité économique vous dérange, mais cet accord s’est bien révélé positif depuis sa mise en œuvre.
Mme Éliane Assassi et M. Fabien Gay. Pourra-t-on en débattre ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Sur le plan économique, entre 2016 et 2019, nos échanges de biens avec le Canada ont augmenté de près de 1 milliard d’euros, avec une hausse de 24 % de nos exportations et une balance commerciale positive pour la France d’un montant record de 650 millions d’euros en 2019. En 2018, notre excédent commercial de biens était de 341 millions d’euros ; en 2017, avant la mise en œuvre de cet accord, nous étions à l’équilibre.
On le sait très bien, mécaniquement, lorsqu’il y a moins de tarifs douaniers et moins de quotas, il y a plus d’exportations,…
M. Laurent Duplomb. Et avec aucun contrôle, il y a plus d’importations !
M. Franck Riester, ministre délégué. … d’autant que nous avons de bons produits agricoles et industriels. Prenons l’exemple des produits agricoles, soit notre premier poste d’exportation : grâce au CETA, ce secteur bénéficie d’importantes baisses de droits de douane canadiens et certaines de nos indications géographiques sont protégées.
Et que constate-t-on ? Que nos exportations dans ce secteur ont continué de progresser, même pendant la crise sanitaire. Les Canadiens achètent bien plus nos vins et nos fromages qu’avant le CETA : 18 % de hausse pour les vins et 77 % pour le fromage – élu de Coulommiers et ancien maire de cette ville, les exportations de fromages me tiennent particulièrement à cœur.
M. Fabien Gay. Tout ça, c’est très bien, mais quand va-t-on en débattre ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Le CETA contribue à les valoriser et à mieux les protéger, notamment quand ils relèvent d’une appellation protégée. Grâce à cet accord, quarante-deux IGP françaises sont protégées au Canada.
Ainsi, en 2020, malgré les restrictions liées à la crise sanitaire, le vin demeure le premier produit exporté au Canada, à hauteur de 391 millions d’euros, au même niveau qu’en 2019.
Je soulignais l’importance de la baisse des tarifs douaniers pour faciliter le commerce :…
M. Laurent Duplomb. Ce n’est pas ça le problème, ce sont les contrôles !
M. Franck Riester, ministre délégué. … les surtaxes américaines de 25 % sur les vins et spiritueux français, dans le cadre du contentieux Boeing-Airbus, se sont traduites par des centaines de millions d’euros de pertes pour nos exportateurs. Soyons conscients de l’importance de ces accords commerciaux.
Nous le savons aussi, le CETA suscite des questions légitimes et des préoccupations qui méritent d’être regardées de près.
Les enjeux sanitaires sont toujours au cœur des préoccupations du Gouvernement et de son action. Je tiens donc à rappeler que seuls les produits qui respectent les normes sanitaires européennes à l’importation peuvent être exportés vers l’Union européenne et entrer sur le marché intérieur et, donc, en France. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.)
Le CETA, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à l’instar de tous les accords commerciaux, ne remet aucunement en cause ce principe ni le niveau élevé de nos normes. Cela est vrai des farines animales comme des OGM.
M. Fabien Gay. Il n’y a aucun contrôle !
M. Franck Riester, ministre délégué. Il ne faut pas confondre accords commerciaux et normes européennes à l’entrée du marché européen.
M. Laurent Duplomb. On ne dit pas qu’il ne faut pas conclure d’accords, mais qu’il faut mettre en place des contrôles !
M. Franck Riester, ministre délégué. Nous sommes d’ailleurs très attentifs et vigilants quant à la qualité du système de contrôle canadien.
M. Laurent Duplomb. C’est faux !
M. Franck Riester, ministre délégué. Avec Julien Denormandie, nous avons interpellé la Commission européenne lorsqu’elle a publié un rapport pointant des marges de progression dans le système canadien de traçabilité de la viande bovine pour lui demander de travailler avec Ottawa à rehausser le niveau d’exigence canadien. Je suis également intervenu en personne auprès de mon homologue canadienne pour souligner l’importance de cette question.
Jusqu’à présent, aucun défaut de conformité majeure sur la qualité des produits canadiens n’a été constaté. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)
M. Fabien Gay. Évidemment, il n’y a pas de contrôle !
M. Franck Riester, ministre délégué. J’ajoute que notre action en matière de respect des normes sanitaires européennes ne se limite pas au CETA. Nous avons demandé à la Commission européenne d’y porter une attention particulière dans le cadre de la révision de la politique commerciale de l’Union. Vous pouvez compter sur ma pleine mobilisation pour continuer à défendre cette position à Bruxelles.
Par ailleurs, et d’une façon générale, je vous rappelle que la France soutient à Bruxelles la mise en place de clauses miroirs dont vous savez pertinemment qu’elles permettent d’appliquer aux produits importés les mêmes normes de production que dans l’Union européenne, lorsque cela est pertinent et scientifiquement justifié, pour atteindre nos objectifs sanitaires et environnementaux. C’est ce que nous faisons depuis longtemps en interdisant, par exemple, l’importation de produits issus d’animaux nourris aux hormones depuis 1996 ou encore en imposant à nos partenaires de respecter les règles européennes en matière d’abattage de bovins.
M. Laurent Duplomb. Ça, pour interdire, on est bon !
M. Franck Riester, ministre délégué. En janvier 2022 au plus tard, monsieur Duplomb, nous n’accepterons plus les importations dans l’Union européenne de produits issus d’animaux élevés avec des antibiotiques comme facteur de croissance pour lutter contre le phénomène mondial d’antibiorésistance.
M. Laurent Duplomb. Comment allez-vous le vérifier ?
M. Henri Cabanel. Et le glyphosate ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Je voudrais également revenir sur certaines filières agricoles sensibles pour lesquelles nous faisons un suivi régulier approfondi, à savoir les viandes de bœuf, de porc et de volaille, ainsi que l’éthanol et le sucre. À l’heure actuelle, les quantités exportées depuis le Canada vers l’Union et la France sont très faibles : 104 tonnes pour la viande de bœuf en France en 2019, dont seulement 45 tonnes ont profité des réductions tarifaires du CETA. C’est une goutte d’eau par rapport à la production française de 1,45 million de tonnes.
M. Christian Bilhac. Parlons-en !
M. Franck Riester, ministre délégué. Le CETA n’a donc pas eu, à ce jour, l’effet déstabilisateur que certains lui prédisaient,…
M. Rachid Temal. À ce jour…
M. Franck Riester, ministre délégué. … parce qu’il ne s’oppose en rien à ce que nous appliquions nos règles d’entrée sur les marchés européens et français, qui précisent que cette viande doit avoir été nourrie sans hormones.
Nous restons malgré tout vigilants : un quatrième rapport du comité ad hoc de suivi est en cours de préparation et comprendra les chiffres de 2020. Il sera bien évidemment communiqué au Parlement.
Sur le plan environnemental et climatique, l’étude d’impact réalisée par le Cepii en 2019 souligne clairement que l’impact du CETA sur les émissions de CO2 sera extrêmement limité, tant au niveau français qu’à l’échelle mondiale.
À l’inverse, le CETA a permis d’initier des coopérations nouvelles avec nos partenaires canadiens. Nous partageons des combats communs dans le cadre du partenariat bilatéral de 2018 sur la lutte contre le changement climatique. Nous travaillons notamment sur les échanges de technologies vertes, sur la réduction des émissions du transport maritime ou encore sur la finance verte.
J’entends des préoccupations concernant la protection du droit à réguler. Je vais être très clair : notre droit à réguler ne sera pas remis en cause par le CETA. Une coopération réglementaire existe dans le cadre de cet accord, mais elle est de nature volontaire. Aucune décision modifiant le cadre réglementaire de l’Union ne peut y être adoptée : il s’agit d’une prérogative souveraine du législateur européen. Cette coopération ne peut donc en aucun cas conduire à des normes moins strictes en matière sanitaire, sociale ou environnementale. Elle doit au contraire permettre d’améliorer leur mise en application.
Par ailleurs, comme vous le savez, la France accorde une grande importance à la transparence des réunions du comité mixte et des sous-comités sectoriels du CETA. Ainsi, les agendas et comptes rendus des réunions sont publiés sur le site de la direction générale du commerce. En outre, la Commission consulte régulièrement les États membres, mais aussi la société civile, sur les sujets traités dans ces enceintes.
Enfin, le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États du CETA, qui a été évoqué voilà quelques instants, n’a plus rien à voir avec l’ancien dispositif d’arbitrage privé Investor-State Dispute Settlement (ISDS), qui a suscité de nombreuses critiques légitimes. Ce mécanisme a été réformé pour devenir une quasi-juridiction : l’Investment Court System (ICS). Il sera ainsi fait appel à des juges permanents, au sein d’un tribunal de première instance et d’un organe d’appel inédit, qui devront se plier à des règles éthiques strictes.
M. Fabien Gay. Voilà qui change tout…
M. Franck Riester, ministre délégué. On m’a interpellé sur ce sujet, monsieur le sénateur, j’y réponds.
Ce nouveau système garantit explicitement le droit à réguler des États. Le CETA reflète sur ce terrain les réformes ambitieuses portées par la France, qui s’inscrivent également dans le soutien apporté à la création sur le long terme d’une cour multilatéral d’investissements.
M. Laurent Duplomb. Alors, tout est parfait…
M. Franck Riester, ministre délégué. De plus, conformément aux engagements pris par le Gouvernement devant le Parlement et à la demande de la France, l’Union européenne et le Canada ont agréé, en janvier dernier, des textes complémentaires pour garantir le droit à réguler des États, notamment dans le domaine climatique. Ce veto climatique s’appliquera à l’ensemble de nos politiques publiques en matière non seulement climatique, mais aussi sanitaire, sociale ou culturelle, par exemple.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, notre approche en matière de politique commerciale n’est pas dogmatique, mais fondée sur des faits. Les chiffres et indicateurs montrent aujourd’hui que le CETA bénéficie à nos entreprises, à nos agriculteurs, et qu’il n’a aucun impact négatif sur le plan sanitaire ou environnemental. (M. Fabien Gay s’esclaffe.)
Je souhaite également rappeler que le Gouvernement a été proactif dès les premiers jours de l’entrée en vigueur provisoire de l’accord avec la mise en place du plan d’action CETA, qui visait trois objectifs : assurer une application exemplaire de l’accord ; accélérer son action contre le changement climatique ; renforcer l’ambition environnementale, sanitaire, sociale de la politique commerciale européenne.
Dans ce cadre, comme le Président de la République l’a rappelé, nous avons beaucoup travaillé ensemble – Gouvernement et Parlement – pour améliorer le suivi de cet accord et en évaluer mieux les effets.
Ce plan d’action contient également de nombreuses propositions que la France porte au niveau européen et dont plusieurs sont aujourd’hui reprises par la Commission. Une proposition sera faite par la Commission européenne pour la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières afin de lutter contre les fuites de carbone.
Le poste de procureur commercial européen en charge de la bonne application des règles en matière de commerce international et du respect des engagements pris par nos partenaires a été créé l’été dernier – il s’agit du français Denis Redonnet.
Dans son Pacte vert pour l’Europe, la Commission a repris la demande portée par la France de faire de l’accord de Paris une clause essentielle des futurs accords commerciaux. Nous devons bien évidemment aller encore plus loin. C’est le sens du travail que nous avons réalisé avec les Pays-Bas depuis un an, ce qui a contribué à faire bouger les lignes, et de notre contribution à la revue de la politique commerciale en cours.
Nous poursuivrons notre action pour une meilleure prise en compte du développement durable dans la politique européenne dans la perspective de notre présidence du Conseil de l’Union au premier semestre de 2022.
À cet égard, je souhaite rappeler notre mobilisation et l’action de la France concernant le projet d’accord de l’Union avec le Mercosur, que certains d’entre vous ont évoqué et que nous ne pouvons, je le répète, soutenir en l’état. Nous aurons besoin de nouvelles garanties tangibles, vérifiables et applicables au regard de l’accord et de ses conséquences sur l’environnement et le climat. À défaut, nous ne pourrons soutenir cet accord. Nous l’avons très clairement dit à nos partenaires européens.
Vous voyez que nous ne sommes pas dogmatiques en matière d’accords de libre-échange.
Pour conclure, et pour en revenir au CETA et à l’objet de cette proposition de résolution, j’indique que le projet de loi autorisant la ratification de l’accord poursuivra bien évidemment son chemin parlementaire au Sénat.
M. Rachid Temal. Ah !
M. Laurent Duplomb. La date ?
M. Franck Riester, ministre délégué. Mais ne nous précipitons pas par principe. (Rires et applaudissements ironiques sur les travées des groupes CRCE, SER et Les Républicains.)
Comme l’a indiqué le Président de la République devant la Convention citoyenne pour le climat en juin dernier, nous continuons d’évaluer l’accord, notamment au regard de son impact sur le plan climatique.
M. Rachid Temal. Jusqu’à quand ?
M. Franck Riester, ministre délégué. À cet égard, l’année 2021 sera particulièrement cruciale avec la tenue, en fin d’année, de la COP26. Nous attendons une ambition climatique accrue de tous les États parties à l’accord de Paris pour amplifier nos efforts de lutte contre le dérèglement climatique. (Mme Colette Mélot et M. Richard Yung applaudissent.)
M. Laurent Duplomb. Et la date ?
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution invitant le gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du ceta
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Considérant que l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne affecte de manière notable la politique économique, environnementale, agricole ou encore sociale de notre pays, altérant ainsi durablement le périmètre de la souveraineté nationale garantie par l’article 3 de la Constitution ;
Invite le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du projet de loi n° 694 (2018-2019) autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, et de l’accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et le Canada, d’autre part, transmis au Sénat le 23 juillet 2019.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 309 |
Pour l’adoption | 309 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, UC et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Droit à l’eau
Discussion et retrait d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, la discussion de la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, présentée par Mme Marie-Claude Varaillas, M. Gérard Lahellec et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 375, résultat des travaux de la commission n° 504, rapport n° 503).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi.
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2006, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA, affirmait à son article 1er l’existence d’un droit à l’eau, en indiquant que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
En 2010, l’ONU a adopté une résolution prévoyant que « le droit à une eau potable, salubre et propre est un droit fondamental essentiel au plein exercice du droit à la vie ».
En 2015, les États membres des Nations unies ont adopté les objectifs 2030 de développement durable, qui placent le droit humain d’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène au cœur des dix-sept objectifs de développement durable.
En décembre 2020, l’Union européenne a publié une directive qui vise « à améliorer l’accès aux eaux destinées à la consommation humaine » et qui prévoit l’obligation pour les États membres de mettre en œuvre le principe de l’accès à l’eau potable pour tous.
Le droit à l’eau est donc clairement défini et reconnu en droit positif. Pourtant, aujourd’hui, ce droit demeure largement fictif, puisque aucun instrument légal ne permet de garantir concrètement son exercice et que l’accès de tous à ce service de première nécessité reste empreint de grandes inégalités tarifaires, qualitatives et spatiales. Les faits sont têtus : selon la Fondation Abbé-Pierre, l’eau reste inabordable pour 1,2 million de personnes branchées au réseau de distribution ; plus de 140 000 personnes environ ne sont pas raccordées à un réseau de distribution d’eau.
Face à cette situation, les associations sont très engagées pour aller au-delà des déclarations d’intention. Il existe par ailleurs un certain nombre d’initiatives parlementaires qui ont été examinées par l’Assemblée nationale et le Sénat. Malheureusement, le Sénat, à l’époque, avait totalement vidé de sa substance cette initiative. Nous remettons donc aujourd’hui l’ouvrage sur le métier.
Certes, et certains de mes collègues nous l’ont rappelé en commission, il existe déjà des outils pour aider les plus fragiles à payer leur facture d’eau. La loi Brottes a ainsi permis une expérimentation de tarification sociale, qui s’applique jusqu’au 15 avril 2021 – c’est aujourd’hui ! –, et l’article 15 de la loi Engagement et proximité de l’automne dernier a pérennisé dans la loi cette boîte à outils : chèque eau, allocation eau, tarification sociale et gratuité. Pour autant, le caractère optionnel de ce dispositif, en réalité assez peu utilisé par les collectivités, ne permet pas de garantir effectivement le droit à l’eau.
Si nous considérons qu’il s’agit d’un droit universel, l’État doit adopter les mécanismes législatifs adéquats. Pour cette raison, nous proposons la mise en œuvre d’un dispositif universel d’accès applicable en tout point du territoire et pour chacun, qu’il soit raccordé ou non, permettant l’égalité de tous nos concitoyens devant la loi et dans leurs droits.
Pour cela, nous demandons la mise en place d’une gratuité dont le niveau est à définir. Je vous le rappelle, nous nous gardons bien de définir le niveau de gratuité, en indiquant seulement ce qui est nécessaire à la dignité humaine. Ainsi, nous estimons que nous pourrions établir cette gratuité pour tous à cinq litres par personne et par jour, ce qui représenterait un coût largement acceptable pour le service public local, quel qu’en soit le mode de gestion. Ces cinq litres correspondent à une nécessité vitale. Le coût de cette mesure serait lissé entre les usagers selon un principe de solidarité.
Pour le dire clairement, le budget des collectivités n’est pas impacté, car leur participation au budget de l’eau est clairement limitée, ne pouvant aller au-delà de 2 % de l’ensemble des redevances. Leurs moyens ne sont nullement affectés par cette proposition de loi. Il s’agit donc d’un principe de solidarité au sein même des usagers.
Par ailleurs, pour répondre à la nécessité de permettre l’accès à l’eau de toutes les personnes qui n’ont ni compteur ni accès, nous souhaitons la mise en place d’une obligation, à la charge des collectivités locales, de permettre l’accès à la ressource pour les plus démunis par des fontaines, sanitaires et douches publics. La plupart d’entre elles le prévoient, et la charge financière ainsi créée doit être compensée, comme le permet notre proposition de loi, par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.
Les collectivités peuvent également solliciter la DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux) ou la DSIL (dotation de soutien à l’investissement local). On rappellera dans ce cadre que les préfets, pour l’engagement de ces crédits, ont reçu la directive, à la suite d’une circulaire ministérielle de 2020, de prioriser la mise aux normes des équipements sanitaires ou des travaux sur les réseaux d’assainissement. Notons également qu’un certain nombre de collectivités s’engagent déjà dans cette voie sans attendre la loi, puisqu’il s’agit bien d’une question de respect de la dignité humaine.
Je me permets de faire quatre remarques pour préciser l’opportunité politique d’adopter ce texte.
Premièrement, la révision de la directive Eau de l’Union européenne nous pousse à définir des modalités d’accès pour les populations qui n’ont pas d’accès physique à l’eau. Si ce n’est fait aujourd’hui, il faudra, à l’avenir, en tenir compte.
Ainsi, l’article 16 de cette directive comprend des mesures fortes telles que l’évaluation de la proportion de la population n’ayant pas accès à l’eau potable et l’encouragement à installer des fontaines gratuites dans les villes et les lieux publics, à favoriser la fourniture d’eau du robinet dans les restaurants, les cantines et les services de restauration. Il engage également les États à prendre toutes mesures nécessaires pour assurer l’accès à l’eau potable pour les groupes vulnérables et marginalisés. Je vous le rappelle, le droit européen s’impose. Faute de transposition, la France sera condamnée. Comment le pays des droits de l’homme peut-il assumer d’être en retard sur un tel sujet ?
Deuxièmement, la crise sanitaire que nous traversons nous oblige à repenser la question de l’accès à l’eau et à l’assainissement, pour des questions de santé et de salubrité. Les gestes barrières nécessitent l’accès à l’eau. Le « quoi qu’il en coûte » doit, dans ce domaine aussi, prévaloir. Le Gouvernement a ainsi pris, le 27 mars 2020, des dispositions pour que les préfets et les collectivités locales assument leurs responsabilités en la matière et veillent notamment à ce que soit garanti l’accès à l’eau, à des sanitaires, à des douches et à des laveries. Cela doit perdurer. La sixième puissance mondiale doit pouvoir financer les équipements nécessaires à la dignité de nos concitoyens.
L’argument d’un risque de gaspillage de la ressource n’est pas justifié, alors que la consommation moyenne constatée est de cent quarante litres par jour et par personne. Comme le préconisent les associations pour la défense du droit à l’eau, il pourrait s’agir de la mise à disposition de cinq litres gratuits pour tout le monde et de quarante litres par jour pour les personnes non raccordées.
Prévoir un décret pris en Conseil d’État, après avis du Comité national de l’eau, pour définir le niveau de gratuité laisse une marge de définition assez large. C’est un choix affirmé de notre part d’avoir prévu une telle souplesse, afin de permettre une mise en place progressive des mécanismes de gratuité.
Plus globalement, je veux répondre à l’argument récurrent selon lequel cette proposition de loi porterait atteinte à la libre administration des collectivités. En effet, il n’en est rien. La compétence « eau et assainissement » n’est pas retirée aux collectivités ; la liberté de l’organiser selon leur choix non plus. La gratuité que nous proposons est donc un socle qui n’empêche nullement les collectivités en question de compléter ce dispositif par l’un des outils de l’article 15 de loi Engagement et proximité.
Par ailleurs, pour contrer l’idée selon laquelle ce texte serait contraire au principe de libre administration des collectivités, nous précisons que cette idée s’appuie uniquement sur le fait que de nouvelles contraintes seraient posées. En cela, elle ne caractérise pas une atteinte à la libre administration. En effet, le Conseil constitutionnel a déjà jugé, notamment pour ce qui concerne la loi SRU, qui impose aux collectivités la construction de logements sociaux, qu’une telle contrainte était acceptable. Ainsi, les conditions d’intervention du législateur ont été précisées dans la décision du 7 décembre 2000. Il a été indiqué que les obligations et les charges auxquelles la loi assujettit les collectivités territoriales ou leurs groupements doivent répondre à « des exigences constitutionnelles » ou concourir à « des fins d’intérêt général ». Nous pouvons tous le comprendre, la fin d’intérêt général de garantir à tous l’accès à l’eau justifie dans des proportions raisonnables l’intervention du législateur.
Sur le fond, nous voulons opposer le modèle de la gratuité et, donc, de la solidarité à celui de la marchandisation, non pas de manière dogmatique, mais en instaurant une part de gratuité, quitte à l’élargir par la suite.
Sans aller jusqu’à faire du droit à l’eau un droit opposable à l’image du droit au logement opposable, le DALO, il convient de définir un cadre légal pour donner corps et contenu à ce droit défini comme un droit fondamental par l’ONU. Il convient donc pour partie de s’extraire de la notion d’« aide aux ménages », dont la dimension caritative est trop réductrice, pour s’orienter vers celle d’un droit directement applicable à l’ensemble de nos concitoyens et, donc, universel.
C’est dans ce cadre que la notion et l’outil de la gratuité sont des leviers puissants, à la fois d’égalité sociale et territoriale, ainsi que d’universalité. En effet, cela place le débat non pas sur le terrain de l’accompagnement social de personnes en difficulté, mais bien sur celui de l’affirmation d’un droit de portée générale et universelle, conformément à l’esprit de la LEMA et des engagements internationaux de la France. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Hervé Gillé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Lahellec, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je souhaite rappeler la conviction qui a animé et guidé mon travail de rapporteur. Dans la mesure où il s’agit du premier texte que je suis chargé de rapporter, pour m’inscrire dans le sujet qui nous intéresse, je me jette à l’eau… (Sourires.)
Au terme des auditions que j’ai menées, il m’est apparu avec la force de l’évidence que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit vital, dont dépendent la survie, mais aussi la santé, l’hygiène et la dignité de toute femme et de tout homme. Des publications scientifiques ont nourri le débat public de données alarmantes et de chiffres vertigineux. Il y a là un sujet dont personne ne peut se désintéresser, qui s’aggrave et m’apparaît à certains égards comme le « défi du siècle ».
La relative abondance de l’eau en France nous empêche parfois de percevoir l’urgence d’agir et les effets de l’exclusion de l’eau. Nous considérons un robinet ou une fontaine comme un élément banal qui ne retient plus l’attention. En effet, loin est le temps où l’eau était à aller chercher plus qu’elle ne venait pas à nous.
Figurez-vous que je suis né à quatre kilomètres du bourg de Plufur, un petit village des Côtes-d’Armor. Quand j’étais petit, mes petits camarades qui habitaient au bourg allaient jusqu’au robinet du village pour pouvoir avoir de l’eau. L’enfant que j’étais en avait aisément conclu que l’eau « courante » était celle que l’on obtenait en courant très vite. (Sourires.) Ces robinets n’en constituaient pas moins un véritable service public de l’eau, auquel chacun avait accès… plus ou moins rapidement. (Nouveaux sourires.)
N’oublions pas que si, aujourd’hui, nous sommes nombreux à bénéficier de l’eau courante, obtenue sans courir, tel n’est pas le cas de tous, en particulier des plus démunis. Par ailleurs, certaines régions connaissent, certains étés, de plus en plus fréquemment, un stress hydrique qui conduit au rationnement de la ressource.
Avec l’air, l’eau est en effet la ressource vitale, essentielle à la vie et aux activités économiques. Sans un accès sécurisé à une eau potable de bonne qualité, l’être humain reste tributaire de la satisfaction de ce besoin : pas de dignité possible, pas de développement durable, pas de justice sociale, pas d’accès aux fruits de la croissance ! Je suis convaincu qu’il ne se trouve personne dans cet hémicycle pour s’opposer à l’idée que l’eau potable est un bien commun dont aucun être humain ne devrait être exclu. C’est aussi ce que j’ai perçu au sein de la commission lors de nos débats.
Des progrès ont déjà été accomplis, venant du législateur, mais aussi des élus locaux, des instances internationales et d’initiatives portées par des ONG.
Le droit à l’eau progresse ; il se constitutionnalise dans certains pays ; il est reconnu par l’Organisation des Nations unies. Des pays et des collectivités ont d’ores et déjà instauré la gratuité des premiers volumes.
La prise de conscience existe également au niveau européen : la nouvelle directive européenne sur l’eau potable, de décembre 2020, en constitue un parfait exemple.
Nous n’arrivons donc pas sur un terrain vierge de toute avancée. Je ne vous demande pas d’être révolutionnaires ni d’aller à l’encontre de vos sensibilités politiques : il s’agit simplement de parfaire l’œuvre déjà accomplie, dans un esprit humaniste.
Ce droit est reconnu, proclamé et consacré. Mais il y a le droit et il y a le fait. Or le droit, insuffisamment opposable et trop souvent déclaratoire, ne reflète pas le fait.
Aujourd’hui, 2,2 milliards d’êtres humains n’ont toujours pas un accès sécurisé à l’eau potable.
Notre pays n’est pas épargné par certaines formes de précarité en eau. Il y a les « exclus de l’eau » : 1,4 million de Français métropolitains, les personnes sans domicile fixe ou vivant dans des habitats de fortune. Il existe aussi les « précaires en eau », à savoir les ménages consacrant plus de 3 % de leur budget à payer leurs factures d’eau. Ils représentent, selon les associations que j’ai entendues, plus de 1 million de personnes. Voilà pour ce qui est de l’écart entre le droit et le fait.
Le législateur n’est pas resté insensible à cette question et a essayé, compte tenu de l’écart existant, de rendre le droit plus effectif.
La loi Brottes de 2013 a interdit les coupures d’eau des ménages pour impayés et a mis en œuvre une expérimentation de tarification sociale de l’eau. À la différence des aides curatives, ponctuelles, partielles et non automatiques, les aides préventives s’appliquent dès lors que le foyer satisfait aux critères prédéfinis et prennent la forme soit d’une tarification intégrant une première tranche dite sociale universelle, soit d’une allocation eau. La ville de Rennes a, par exemple, instauré, pour tous, une première tranche gratuite de dix mètres cubes.
La loi Engagement et proximité de 2019 a pérennisé ces possibilités et mis à la disposition des collectivités qui le souhaitent une boîte à outils destinée à favoriser l’accès à l’eau de tous.
Face à ce constat, il est nécessaire de consolider les acquis en garantissant de manière encore plus effective le droit d’accès à l’eau.
L’eau n’a pas de prix, mais elle a un coût, qui est celui de son acheminement, de son traitement et de son assainissement. Les services de l’eau, industriels et commerciaux, reposent sur une logique de tarification à l’usager bénéficiaire, et non sur un financement par l’impôt. En vertu de la libre administration des collectivités territoriales, les communes et EPCI qui en assurent la distribution sont libres de mettre en œuvre des politiques locales en vue de favoriser l’accès de l’eau aux populations précaires ou marginalisées.
J’ai entendu les propos de certains de mes collègues au cours de l’examen du texte en commission. Selon eux, la gratuité d’une ressource rare n’est pas une bonne idée, parce qu’elle inciterait au gaspillage et véhiculerait une pédagogie contraire aux nécessités de notre temps. Tel n’est pas l’esprit de ce texte ! Il instaure uniquement la gratuité d’une volumétrie essentielle, indispensable à la vie et à la dignité. Le surplus, au-delà ce qui est nécessaire pour étancher sa soif et pourvoir à son hygiène, continuerait bien entendu à faire l’objet d’une facturation à l’usager, pour ne pas remettre en cause l’équilibre financier des collectivités gestionnaires ou délégantes.
J’achèverai mon propos en citant la directive européenne sur l’eau potable, qui enjoint aux États européens l’installation d’« équipements dans les espaces publics, lorsque cela est techniquement réalisable ». Le texte que nous examinons aujourd’hui est l’occasion d’en commencer la transposition et de garantir véritablement un droit à l’eau pour tous en France. Le bloc communal serait responsable de la mise en œuvre de cette noble mission, au plus près des besoins, en vertu du principe constitutionnel de subsidiarité.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable n’a pas adopté cette proposition de loi. À titre personnel, vous l’aurez compris, j’y suis toutefois favorable. La France pourrait s’enorgueillir d’avoir mis fin, par des mesures simples et de bon sens, aux situations de pauvreté et de précarité en eau. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Hervé Gillé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission Chevrollier, monsieur le rapporteur Lahellec, madame la sénatrice Varaillas, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui est soumise à votre examen vise à garantir le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité.
En France, l’eau est un bien commun de la Nation et son usage appartient à tous. Notre droit consacre d’ores et déjà cet objectif. Le code de l’environnement établit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
L’accès à l’eau pour tous est évidemment un objectif que je partage et auquel le Gouvernement souscrit pleinement. À cet égard, les articles 19 et 19 bis du projet de loi Climat et résilience, qui sera bientôt examiné dans cet hémicycle, viendront renforcer notre ambition.
Au cœur de la crise sanitaire actuelle, la notion même de service public de l’eau a pris tout son sens. Je salue ici les collectivités et les entreprises qui ont assuré la continuité, en rassurant très vite les Français sur la qualité et la sécurité de l’eau du robinet. Toutefois, aujourd’hui encore, en 2021, 235 000 personnes sont privées d’un accès permanent à l’eau. Ce n’est pas acceptable, et nul ne peut s’y résoudre. Nous avons encore du travail pour assurer à chacun l’accès à l’eau potable et à l’assainissement.
C’est pour répondre à cet objectif que le Gouvernement a lancé la réforme de la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe. Votre assemblée a récemment adopté une proposition de loi tendant à en poser le cadre. En application de cette réforme, un établissement public local sera créé au 1er septembre 2021. Il veillera à la continuité du service et réalisera tous les investissements nécessaires au bon fonctionnement et à la modernisation des réseaux. Il était temps de répondre à ce besoin essentiel, que nous nous devons d’assurer à tous les Guadeloupéens.
Dans le même temps, le Gouvernement mobilise 300 millions d’euros du plan France Relance, pour sécuriser et moderniser les infrastructures de distribution d’eau potable, d’assainissement et de gestion des eaux pluviales. Les agences de l’eau et l’OFB en assurent le pilotage. Ces crédits sont déjà largement engagés, ce qui montre bien la mobilisation des collectivités sur cette mission fondamentale.
Si la ressource en eau est un bien public inaliénable, l’accès à ce bien repose sur un service rendu, qui a un coût.
En France, le prix de l’eau qui est facturé à l’usager correspond au prix du service comprenant le prélèvement, le traitement, la distribution et les réseaux. Il est fixé localement par la collectivité – la commune ou l’intercommunalité – ou par le syndicat d’eau potable auquel elle a confié l’organisation du service.
Les collectivités organisatrices peuvent choisir d’exploiter directement le service dont elles ont la responsabilité en régie ou d’en déléguer l’exploitation à un opérateur privé.
Au 1er janvier 2017, le prix moyen du service de l’eau potable et d’assainissement était de 4,08 euros TTC par mètre cube, ce qui correspond à une dépense moyenne de 40,80 euros par mois, soit environ 1,4 % du budget moyen des dépenses des ménages. Toutefois, n’oublions jamais nos concitoyens les plus démunis. Le Gouvernement a ainsi facilité la mise en place des tarifications sociales et incitatives, de même que des mesures d’économies d’eau.
Dans le cadre de la loi Brottes de 2013, qui a interdit la pratique des coupures d’eau pour une résidence principale, même en cas d’impayés, une expérimentation a été menée auprès de cinquante collectivités en vue de tester différentes politiques sociales en faveur de l’accès à l’eau. Cette expérimentation a montré l’importance du principe de subsidiarité. En fonction de ses caractéristiques et des enjeux qui lui sont propres, chaque collectivité participante a pu mettre en place des mesures spécifiques et adaptées à son territoire et à son organisation.
En raison de ce succès, les mesures sociales en faveur de l’accès à l’eau ont été élargies à l’ensemble des collectivités et pérennisées dans la loi Engagement et proximité de 2019. Les collectivités sont donc déjà en mesure de mettre en place des dispositifs qui font l’objet de la présente proposition de loi, comme la définition de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, l’attribution d’aides au paiement des factures, ou encore des mesures favorisant les économies d’eau.
La possibilité de rendre les premiers mètres cubes gratuits existe déjà, mais, on le sait, cette gratuité est à observer avec précaution, car elle peut avoir un effet contraire à nos objectifs de bonne gestion de la ressource et de maîtrise des consommations.
Ces réflexions ont été largement portées au moment de l’organisation, en 2019, des Assises de l’eau. Ces points de vigilance y ont été largement établis.
J’en reste persuadée, un travail important est à réaliser pour un meilleur accès à l’eau potable. La clé ne réside pas, je crois, dans une modification de la loi, comme nous y invite cette proposition de loi, mais plutôt dans la mobilisation, large et active, des outils qui sont déjà à la disposition des collectivités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, si je suis défavorable à cette proposition de loi, je soutiens ce combat, cet engagement pour la dignité humaine. Je vous remercie d’avoir porté ce débat dans cet hémicycle, même si je ne vous rejoins pas sur la forme et émets donc un avis défavorable sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder le fond du texte, je voudrais faire deux remarques.
Ma première remarque vise à rebondir sur ce que M. le rapporteur rappelait : autrefois, il fallait aller à l’eau ; aujourd’hui, c’est l’eau qui vient à nous – il suffit d’ouvrir le robinet. Je ne voudrais pas être un oiseau de mauvais augure, mais je crains malheureusement qu’il faille aussi nous interroger sur le caractère durable de cette facilité d’accès.
Je viens d’un département, l’Ardèche, où nous nous interrogeons beaucoup sur la ressource, et de nombreux départements font ou devraient faire de même. Si nous sommes tous convaincus que l’eau est plus que jamais un bien commun, nous devons aussi nous interroger sur la question de la ressource.
Ma seconde remarque rejoint la philosophie de ce texte : nous l’avons maintes fois dit au Sénat, nous devons tout mettre en œuvre pour offrir aux élus des territoires la capacité de gérer l’eau en proximité, en leur permettant, s’ils le souhaitent, de conserver cette compétence au niveau des communes ou des syndicats de communes – je suis sûr que nous reviendrons sur ce sujet lors des débats sur le projet de loi 4D. La gestion de l’eau répond en effet davantage à des logiques de bassins versants qu’à des logiques intercommunales.
Malheureusement, depuis l’obligation faite à de nombreuses communes par la loi NOTRe de transférer l’eau et l’assainissement aux intercommunalités, nous avons assisté inexorablement à une augmentation du prix de l’eau. Alors, oui, il faut qu’il y ait une tarification sociale et peut-être un renforcement des droits, mais, le préalable, c’est la disponibilité et le coût de la ressource.
Le groupe Les Républicains ne cesse de le réaffirmer : laissons les élus libres de gérer comme ils le souhaitent cette compétence singulière. Dans certaines communes françaises, nos concitoyens ne payent pas l’eau, car elle vient directement des sources communales gérées en proximité. Bien sûr, il faut répondre aux contraintes et aux normes, mais il faut laisser les élus le faire en bonne intelligence pour garantir à nos concitoyens de pouvoir accéder à l’eau à un prix raisonnable.
J’en viens maintenant à ce droit que vous souhaitez voir renforcé, mes chers collègues.
Nous partageons une volonté commune : l’eau est un bien commun, une nécessité dont l’accès doit être garanti à chacune et chacun de nos concitoyens. Je crains malheureusement – je le dis avec beaucoup d’humilité – que votre texte ne soit insuffisamment expertisé. Il manque une étude d’impact, et je ne crois pas que les collectivités n’auront rien à payer. Le fait d’offrir des points d’accès à l’eau dans une commune engendrera nécessairement des coûts pour la collectivité. Cela ne nous gêne pas dans l’absolu, mais ce texte, qui traite d’un sujet essentiel, aurait sans doute mérité une réflexion plus approfondie, notamment au sujet des seuils.
Comme nous l’avons fait lors de l’examen de la loi Engagement et proximité, nous devrons peut-être approfondir ce droit d’accès à l’eau pour tous dans le texte 4D. Nous y serons attentifs, car, comme vous, nous considérons plus que jamais l’eau comme un bien commun auquel nos concitoyens doivent avoir accès le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’eau est un enjeu pour de nombreuses régions du monde, y compris en France. Les situations de stress hydrique sont de plus en plus fréquentes et provoquent des tensions. Cela a un impact sur les populations et sur de nombreux territoires.
Si l’eau recouvre une surface importante de notre planète et travaille à son équilibre, elle est surtout une part cruciale du corps humain. N’oublions jamais que nous sommes nous-mêmes constitués à 60 % d’eau. L’accès à l’eau et sa qualité sont donc indispensables à la vie.
Cette proposition de loi, dont nous saluons l’esprit, évoque dans l’exposé des motifs l’objectif n° 6 de développement durable proposé par les Nations unies, consacré à l’eau et à l’assainissement. Encore un tiers de l’humanité n’a pas accès à un assainissement convenable en matière d’eau, et la gestion durable de cette ressource n’est pour le moment pas assurée comme il le faudrait dans de nombreuses parties du monde.
En France, nous avons la chance d’avoir accès à une eau de bonne qualité au robinet grâce à des réseaux et des systèmes d’assainissement efficaces. Cependant, environ 1 % de la population n’est pas raccordée à un approvisionnement public en eau potable. Ce n’est pas acceptable.
Nous connaissons les sujets tels que le vieillissement des infrastructures dans certains de nos territoires, ou encore l’adaptation des réseaux à de nouveaux enjeux comme le changement climatique. Le directeur général de Suez rappelait il y a quelques jours que l’investissement dans l’eau et l’assainissement s’élevait à hauteur de 6,5 milliards d’euros par an. Il a même ajouté que les besoins allaient nécessiter une multiplication par deux des investissements.
Une nouvelle fois, la crise que nous traversons a mis en exergue le caractère indispensable de l’hygiène et de l’accessibilité à l’eau potable. L’accès à l’eau et sa constante amélioration, notamment pour les personnes les plus vulnérables, sont des objectifs à atteindre sur l’ensemble du territoire. Le Sénat travaille de manière régulière sur le sujet.
Les discussions autour du texte en commission ont fait ressortir ce point. Encore récemment, lors de l’adoption de la loi Engagement et proximité, le système de tarification sociale de l’eau a été renforcé et étendu. Ainsi, il existe déjà des possibilités pour les collectivités territoriales de moduler les tarifs pour permettre un accès à l’eau et à l’assainissement pour le plus grand nombre. Nos élus locaux, fins connaisseurs de leurs territoires, endossent des responsabilités importantes sur ce sujet.
La gratuité des premiers volumes d’eau, qui est l’objet de l’article 3 de cette proposition de loi, fait partie des possibilités offertes aux territoires dans la gestion du prix de l’eau. Il est important sur ce sujet que les collectivités puissent mettre en place les outils qui sont le plus appropriés en fonction des besoins de leur population et des contraintes auxquelles elles doivent faire face.
Comme cela a déjà été souligné, les dispositions imaginées dans cette proposition de loi ne semblent pas répondre à la flexibilité requise ni aux avancées qui ont déjà eu lieu au niveau local.
Nous soutenons l’objectif d’un accès pour tous à l’eau potable de qualité, mais nous pensons que des outils existent et qu’il faut d’abord une bonne application des règles en vigueur. Il convient de laisser le temps et l’espace aux collectivités d’utiliser et de mettre en place les possibilités qui leur sont données afin d’améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous nos concitoyens, en fonction des spécificités locales.
Pour ces raisons, le groupe Les Indépendants s’abstiendra sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accès à l’eau est un droit fondamental et élémentaire. L’eau est un bien commun qui ne peut être accaparé et dont l’accès doit être garanti à chacun et chacune. La question du droit à l’accès à l’eau pour toutes et tous est donc un enjeu essentiel, et nous souhaitons rappeler, avec le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, combien cette question mêle étroitement à la question écologique de préservation des ressources les enjeux de justice sociale et de santé publique.
L’eau est un patrimoine commun, mais aussi un patrimoine partagé, qui vient à manquer. Elle est également une ressource précieuse qu’il faut protéger. Seulement 44 % des eaux de surface étaient évaluées en bon ou très bon état en 2015.
La préservation et l’accès aux ressources en eau potable sont des questions écologiques cruciales, à l’heure où le dérèglement climatique et l’augmentation des catastrophes naturelles représentent un obstacle en plus qui privera les populations les plus vulnérables de cette ressource.
Dans le monde, ce sont près de 2,2 milliards de personnes qui sont encore privées d’accès à l’eau, et plus de la moitié de la population mondiale n’a pas accès à un assainissement sûr.
La France n’échappe pas à cette problématique grave. On estime à environ 300 000 le nombre de personnes privées d’un accès à un réseau d’eau, à des toilettes et à des douches. Un million de ménages précaires sont dans la difficulté pour payer leur facture d’eau. Alors, où est le droit fondamental de l’accès à l’eau potable et à une hygiène de qualité ? Comment garantir un besoin aussi vital pour chacune et chacun ? C’est bien l’objet de cette proposition de loi que de combler cette inégalité, et nous remercions son auteure ainsi que l’ensemble du groupe CRCE.
La prise de conscience mondiale sur ce sujet est grandissante. Dix ans après l’ONU, qui proclamait que l’eau est un droit humain fondamental, l’Union européenne, en décembre 2020, a publié une directive qui vise à « améliorer l’accès aux eaux destinées à la consommation humaine » et qui contient l’obligation pour les États membres de mettre en œuvre le principe de l’eau potable pour tous. La directive dispose ainsi que « les États prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l’accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés ».
Des mesures à la hauteur des ambitions de la directive doivent être prises dans le cadre de sa transposition. Cette proposition de loi pourrait en constituer un très bon commencement. La directive devra tôt ou tard être transposée en droit français. Alors, saisissons l’opportunité et permettons au Parlement de se positionner sur le texte et d’en dessiner les contours.
Prévoir dans le code de la santé publique que chacun doit avoir accès à l’eau potable et à l’assainissement, prévoir aussi la mise à disposition gratuite d’équipements au plus près des populations : autant de premiers pas vers la garantie concrète de ce droit.
Une aide préventive pour les ménages, afin que la facture d’eau ne dépasse pas 3 % de leurs ressources, est aussi de nature à répondre à l’esprit et aux objectifs de la directive. En effet, même si l’on salue les dispositifs sociaux mis en place en droit français ces dernières années, on ne peut que déplorer le fait que les aides soient conditionnées à l’existence de compteurs individuels et que le montant moyen des allocations reste dérisoire.
Par ailleurs, des craintes ont été exprimées sur les nouvelles charges que la gratuité des premiers mètres cubes et la mise à disposition des équipements pourraient induire pour les collectivités. Cependant, la mise en place de la gratuité va permettre de diminuer le nombre d’impayés d’eau et, donc, de décharger les centres communaux d’action sociale et les fonds de solidarité pour le logement. Les collectivités pourraient mettre à disposition les équipements sanitaires et de distribution d’eau dans des bâtiments publics ou appartenant à des associations subventionnées. Ils pourraient aussi être financés par une tarification sociale progressive de l’eau.
Le droit fondamental d’accès à l’eau doit être garanti pour toutes et tous, car il s’agit de la satisfaction de besoins élémentaires nécessaires à la bonne santé publique. Thomas Sankara disait : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous ! » C’est vrai, me semble-t-il, et c’est l’un des enjeux majeurs de l’humanité pour les années à venir. On a parfois l’impression que les mots de « justice sociale », souvent prononcés ici, résonnent un peu dans le vide.
Pour garantir que chaque individu ait accès à ce bien commun de l’humanité, et au vu des enjeux renforcés par l’urgence écologique, il est nécessaire d’avancer contre l’accaparement des ressources en eau par des intérêts privés dans une logique de profit, au détriment de l’intérêt général. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE. – M. Hervé Gillé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité. Ce texte est discuté quelques semaines après la journée mondiale de l’eau, un événement qui nous a rappelé l’importance du défi que représente la préservation de ce bien essentiel et fondamental pour les années à venir.
L’eau, c’est la vie, et les enjeux sont considérables. Les dommages environnementaux, associés aux changements climatiques, sont à l’origine des crises liées à l’eau que nous observons dans le monde. Les inondations, la sécheresse et la pollution sont aggravées par la dégradation de la végétation, des sols, des rivières et des lacs.
L’objectif de développement durable n° 6 a été adopté par les États membres des Nations unies à l’horizon de 2030. Il a notamment pour cible de réduire de moitié la proportion d’eaux usées non traitées et d’augmenter considérablement le recyclage et la réutilisation. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est reconnu comme un droit de l’homme depuis 2010. Pourtant, près de 2,2 milliards d’êtres humains n’ont toujours pas accès aujourd’hui à des services d’alimentation domestique en eau potable gérés en toute sécurité et près de 2,6 millions meurent chaque année de maladies liées à l’eau, l’une des premières causes de mortalité au monde.
L’accès à l’eau et à l’assainissement est un enjeu social, environnemental, mais aussi économique. En France, depuis quinze ans, le cadre juridique a évolué. Il permet aux collectivités locales et à leurs établissements publics d’adapter leurs politiques tarifaires.
L’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 dispose que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
En 2013, la loi Brottes a ouvert la possibilité pour les collectivités locales de mettre en œuvre l’expérimentation pour une tarification sociale de l’eau. Cette loi a d’ailleurs montré l’importance du principe de subsidiarité dans ce domaine.
La loi Engagement et proximité de 2019 a quant à elle introduit pour toutes les collectivités la possibilité de mettre en place les mesures sociales en faveur de l’accès à l’eau de leur choix. Toutes les collectivités ont donc déjà la faculté de mettre en place un éventail de mesures sans souffrir de l’ingérence de l’État.
Pourtant, selon l’OMS, en 2019, 1,4 million de Français n’avaient pas d’accès à une eau « sanitairement sécurisée », 1 million de nos concitoyens consacraient plus de 3 % de leur budget mensuel à l’eau et 235 000 personnes étaient des « exclus de l’eau ».
Sur ce point, la directive européenne sur l’eau potable de décembre 2020 dispose que les États européens devront se doter « d’équipements intérieurs et extérieurs dans les espaces publics, […] d’une manière qui soit proportionnée à la nécessité de telles mesures et compte tenu des conditions locales spécifiques ». J’appelle de mes vœux une transposition rapide de cette directive.
Nous connaissons ici les réalités de la gestion locale. Si l’eau n’a pas de prix, elle a un coût… La loi NOTRe a accéléré les transferts des compétences « eau » et « assainissement » aux EPCI. Quels en sont les premiers enseignements ? Un litre sur cinq d’eau traitée et mise en distribution en France est perdu. C’est l’équivalent de la consommation de 18,5 millions d’habitants. En cause, un sous-investissement important dans des réseaux de distribution vieillissants. Les transferts ont permis de disposer d’une meilleure connaissance des réseaux d’eau potable et d’assainissement collectif. Au rythme actuel des investissements, le renouvellement théorique s’établit à plus de cent cinquante ans, pour un budget annuel de 1,5 milliard d’euros. C’est insuffisant !
Concrètement, la gestion passera par des moyens supplémentaires en gestion patrimoniale, en recherche de fuites, en réparation et renouvellement des conduites, ce qui affectera le prix de ces services. Avec le réchauffement climatique, plusieurs territoires sont exposés à des phénomènes de stress hydrique : l’eau est rare.
L’accès gratuit aux premiers mètres cubes d’eau et à l’assainissement est un exercice difficile. Je l’ai dit, les collectivités locales et leurs établissements ont toute latitude pour mettre en place une tarification différenciée, en proposant notamment les premiers mètres cubes, qu’on appelle souvent « l’eau vitale », à des tarifs très bas.
Pour y avoir travaillé sur ma communauté de communes du Pays des Abers, je vous assure que l’exercice tient de la quadrature du cercle. La compétence y est exercée en régie directe depuis 2018, pour un territoire d’un peu plus de 40 000 habitants. Nous avons mis en place une tarification très faible sur les premiers mètres cubes et des tarifs progressifs sur les mètres cubes suivants. Plus on consomme, plus le mètre cube coûte cher.
Comment concilier tarification sociale, équilibre économique et préservation de la ressource ? Toucher à l’un des paramètres provoque un déséquilibre global.
L’alimentation en eau potable et l’assainissement sont des compétences des collectivités territoriales, qu’elles gèrent selon le principe de libre administration. Faisons leur confiance et laissons-les gérer leurs services en fonction des réalités de leurs territoires. Il ne peut y avoir de réponse unique et centralisée à tant de situations particulières. Le principe de subsidiarité doit prévaloir.
M. Laurent Duplomb. Très bien !
Mme Nadège Havet. Pour toutes ces raisons, mon groupe ne votera pas favorablement pour le texte.
M. le président. La parole est à M. Christian Bilhac.
M. Christian Bilhac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit d’accéder à l’eau potable est inscrit dans la résolution de l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies du 28 juillet 2010 comme un droit fondamental « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Chaque être humain a droit à un approvisionnement en eau potable suffisant pour vivre dans la dignité, à un coût abordable pour les usages personnels et domestiques.
Ne laisser personne de côté, c’est l’esprit du texte examiné aujourd’hui. Son article 2 vise à instaurer un nouvel article dans le code de la santé publique, selon lequel les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale prennent les mesures pour satisfaire gratuitement les besoins élémentaires en eau potable et en assainissement des personnes qui ne disposent pas d’un raccordement au réseau. Ces collectivités sont également tenues d’installer et d’entretenir des équipements de distribution gratuite d’eau potable, des douches gratuites pour celles de plus de 15 000 habitants, ou encore des toilettes publiques gratuites pour les communes de plus de 3 500 habitants.
Le droit à l’eau est déjà inscrit dans notre droit positif, à l’article L. 210-1 du code de l’environnement. La loi Brottes, en 2013, a interdit les coupures d’eau pour les résidences principales en cas de non-paiement des factures, ou encore la réduction du débit d’eau. Toutefois, au quotidien, force est de constater qu’il y a un fossé entre les principes et la réalité, et près de 1 million de Français rencontrent des difficultés à payer leur facture d’eau.
Dans le passé, plusieurs propositions de loi ont tenté, sans succès, de garantir ce droit à l’eau. Celle que nous examinons prévoit la gratuité des premiers mètres cubes et me replonge plusieurs années en arrière. Jeune maire élu à Péret, en 1983, la tarification forfaitaire et bon marché comprenait l’abonnement et cinquante mètres cubes, complétée par une facturation complémentaire pour la consommation au-delà de ce volume. Cette facturation étant par la suite devenue illégale, j’ai dû me résoudre à appliquer une tarification à la consommation dès les premiers mètres cubes, mais également à augmenter le prix de l’eau, car on m’a imposé l’équilibre financier du service.
Aujourd’hui, nous n’avons pas beaucoup progressé à force de politiques de gribouille dans ce domaine, un pas en avant, deux pas en arrière. De très fortes inégalités territoriales persistent, quel que soit le mode de gestion choisi – en régie municipale ou par une société privée en délégation de service public –, et 235 000 Français sont privés d’un accès permanent à l’eau.
Une étude sur le prix de l’eau, publiée en 2018 par UFC-Que Choisir, a passé au crible 1 000 factures de collectivités territoriales représentatives, y compris en zone rurale. Elle révèle des écarts énormes, traduisant parfois des réalités géographiques, mais aussi des dérives en matière de gouvernance de la gestion de l’eau.
Cette question est préoccupante, même si de nombreux services de l’eau sont exemplaires. Les Français ne sont pas égaux face au prix du mètre cube d’eau, qui varie entre 2,68 et 8,46 euros. Ce grand écart frappe aussi la région Sud-Ouest, où la fourchette va de 2,94 à 7,07 euros. Parfois, le prix du mètre cube peut atteindre celui d’une bouteille de vin !
Ce prix du mètre cube n’est pas le seul facteur à prendre en compte. L’accès à l’eau comporte des coûts d’abonnement, de remboursement d’emprunts, de location de compteur ou encore de télérelevé. Ce service est aujourd’hui défini comme un service public industriel et commercial, avec un équilibre financier obligatoire.
On peut souhaiter qu’un jour l’eau soit considérée à l’échelle internationale comme un bien pour tous, et non comme un service industriel et commercial. Il n’empêche qu’il n’y a pas d’eau gratuite, quel que soit le mode de distribution choisi. La proposition de loi prévoit d’ailleurs, à son article 4, de compenser ce coût. Si l’usager ne paie pas, c’est le contribuable qui devra payer, à moins de mettre des bassines sur les terrasses et dans les jardins pour récupérer l’eau de pluie.
Nous avons besoin de rationaliser la gouvernance du secteur et de choisir clairement une politique sociale de l’eau ambitieuse et lisible à long terme, sans oublier le contrôle et l’évaluation, absolument indispensables.
C’est pourquoi, même si les membres du groupe du RDSE soutiennent les intentions louables de ses auteurs, ils ne voteront pas la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons se propose de rendre effectif le « droit à l’eau » par la mise en œuvre de deux mesures concrètes : premièrement, l’installation dans l’espace public par les communes et les EPCI compétents de fontaines, douches et sanitaires à disposition du public ; deuxièmement, l’instauration de la gratuité des premiers mètres cubes d’eau consommés par les ménages.
Le but visé par ce présent texte est tout à fait légitime : l’accès à l’eau, et à une eau de qualité, nécessaire à l’hydratation et à l’hygiène, doit en effet être considéré comme primordial. Il en va de même du droit à l’assainissement. Ce droit a été reconnu par plusieurs textes de droit international et européen. Récemment encore, une directive européenne du 16 décembre 2020 a affirmé le droit de tous à l’eau potable, fixé de nouvelles exigences de qualité et prévu également des mesures d’information du public sur l’eau qu’il consomme.
En France, le législateur a consacré dans la loi du 30 décembre 2006 « le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Pour rendre ce droit effectif, des mesures destinées aux ménages ayant du mal à régler leurs factures d’eau ont été mises en place.
Premièrement, la loi du 7 février 2011 permet aux collectivités et EPCI compétents de verser des subventions au Fonds de solidarité pour le logement afin de financer des aides versées en cas de cumul d’impayés. Par ailleurs, les impayés ne donnent plus lieu à une coupure d’eau, comme cela était le cas auparavant.
Deuxièmement, le législateur a introduit en 2013 la possibilité pour des collectivités de mettre en place une tarification sociale de l’eau à titre expérimental.
Enfin, la loi Engagement et proximité de 2019 a élargi cette faculté à l’ensemble des collectivités. La tarification sociale inscrite par le législateur dans le code général des collectivités territoriales – il faut le souligner – offre beaucoup de latitude aux conseils municipaux et communautaires en ce qui concerne les modalités d’application. Les élus locaux peuvent choisir entre des tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, l’attribution d’une aide au paiement des factures d’eau ou encore une aide à l’accès à l’eau.
On constate que l’instauration d’une aide préventive réclamée par le présent texte est déjà possible pour les collectivités qui le souhaitent. Par exception, la tarification sociale peut-être financée sur le budget général, à condition de ne pas dépasser 2 % du budget spécialisé « eau ».
Une proposition de loi semblable dans ses objectifs à celle que nous examinons aujourd’hui avait été votée par les députés en 2016, mais elle n’avait pas convaincu les sénateurs. Hélas, à l’instar de la proposition de loi de 2016, le texte que nous examinons présente à notre avis d’importants défauts.
En ce qui concerne la gratuité de l’eau potable nécessaire aux besoins élémentaires prévue par l’article 1er, plusieurs questions se posent.
Premièrement, quelle serait l’articulation de cette gratuité avec la tarification sociale inscrite dans la loi et déjà mise en place dans de nombreuses communes ? La présente proposition de loi ne mentionne ni ces aides existantes ni leur articulation avec la gratuité qu’elle prévoit d’instaurer. La superposition de ces deux dispositifs d’aide ne nous paraît ni d’une grande efficacité ni d’une grande lisibilité pour nos concitoyens.
Deuxièmement, se pose la question du financement. L’eau et l’assainissement doivent faire l’objet de budgets annexes, « étanches » – si j’ose dire – par rapport au budget général des collectivités et de leurs EPCI, sauf exception, comme celle qui est prévue par la loi Engagement et proximité que j’ai évoquée. L’absence d’étude d’impact ainsi que l’imprécision quant à la quantité d’eau concernée ne permettent pas d’avoir une idée précise du manque à gagner que les gestionnaires de service public d’eau devront combler.
De plus, la dotation globale de fonctionnement ne peut abonder ces budgets « eau » et « assainissement ». Dès lors, quoi qu’en dise l’article 4 du présent texte, il ne fait guère de doute que la gratuité instaurée créera un manque à gagner que les collectivités gestionnaires devront compenser par une augmentation de la facture d’eau des usagers.
J’en viens à la deuxième mesure proposée dans ce texte. L’article 2 prévoit la création de toilettes publiques gratuites dans les communes de plus de 3 500 habitants et de douches gratuites dans les communes de plus de 15 000 habitants. Le financement de ces installations repose sur les municipalités et les EPCI compétents.
Je déplore l’absence d’information, tant sur le nombre actuel de ces installations dans les communes concernées que sur les besoins estimés des populations pour ce genre d’infrastructures. Il est ainsi difficile d’évaluer l’effort financier à réaliser. Au fond, ne serait-il pas préférable de faire confiance à l’échelon local pour satisfaire les besoins de sa population en eau dans l’espace public ?
Dans la commune de 1 000 habitants dont j’ai eu l’honneur d’être maire, nous avons déjà des toilettes publiques gratuites et accessibles aux handicapés. Je connais de nombreuses communes d’une taille inférieure au seuil retenu par la présente proposition de loi qui ont fait de même sans qu’il soit besoin de légiférer.
Comme l’avait fait le groupe Union Centriste lors de l’examen du présent texte en 2017, je déplore que les outre-mer, où la question de l’eau et de l’assainissement est si différente de la métropole, ne bénéficient pas d’un régime adapté à leurs spécificités dans le présent texte. Autre regret : l’absence de mesures d’information et de sensibilisation à destination du public, notamment des plus jeunes, autour de l’eau et de l’assainissement.
Mes chers collègues, du fait des raisons que j’ai évoquées précédemment, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte. Nous estimons que la législation actuelle assure en grande partie l’effectivité du droit à l’eau de l’ensemble de nos concitoyens et présente de plus l’avantage de laisser aux élus locaux une liberté de choix bienvenue quant aux modalités d’application de la tarification sociale de l’eau.
Des améliorations devront sans doute être envisagées. Il faudrait en premier lieu pouvoir dénombrer mieux que ce n’est le cas aujourd’hui celles et ceux qui ont des difficultés à accéder à l’eau potable et connaître avec plus de précision leurs besoins en eau, tant dans l’espace public que privé. Reste que l’ajout d’un mécanisme préventif supplémentaire, incertain quant à ses conséquences, particulièrement rigide et uniforme dans son application, et qui conduirait inéluctablement à créer un manque à gagner pour les collectivités gestionnaires, ne nous semble pas souhaitable.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Marie-Claude Varaillas et les membres du groupe CRCE de cette proposition de loi, qui nous permet de porter à nouveau dans l’hémicycle la question du droit à l’eau, un droit essentiel quant à l’évolution duquel nous restons, en France, bien timides.
Le droit à l’eau pour tous : posons enfin ce principe universel ! Le texte que nous examinons affirme un droit à l’eau potable et à l’assainissement pour chacun, c’est-à-dire le droit de disposer d’une quantité d’eau qui, chaque jour, permette de répondre aux besoins élémentaires et d’accéder à des équipements pour assurer le minimum d’hygiène et de dignité d’un être humain. Car c’est bien de notre humanité qu’il est question et d’un bien collectif, d’un bien commun indispensable à la vie.
Ce texte prévoit également l’obligation, pour les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, d’assurer l’installation et l’entretien d’équipements permettant la distribution d’eau potable, ainsi que de toilettes et de douches publiques d’accès gratuit en fonction de certains seuils démographiques.
Il fixe enfin la gratuité d’un volume d’eau potable minimum pour l’alimentation et l’hygiène de chaque individu.
Une proposition de loi socialiste visant les mêmes grands principes et soutenue par plusieurs groupes de gauche et du centre avait été examinée dans le cadre d’une niche du groupe écologiste en février 2017. Démantelée article par article par la majorité sénatoriale de l’époque, qui y était opposée, elle n’avait pu aboutir.
Pourtant, depuis 1992, la loi reconnaît la ressource en eau comme faisant partie du patrimoine commun de la Nation. La loi Brottes du 15 avril 2013 a permis l’expérimentation d’une tarification sociale de l’eau pour cinq ans, ouvrant la voie à la définition de tarifs adaptés aux difficultés de certains foyers. Elle prévoyait notamment l’attribution d’aides au paiement des factures d’eau ou d’une aide à l’accès à l’eau. En avril 2018, nos collègues Monique Lubin et Éric Kerrouche déposaient une proposition de loi visant à proroger cette expérimentation.
Nous constatons toutefois que peu de syndicats des eaux ont totalement mis en œuvre le dispositif. Le système de prise en charge de ces besoins en eau pour les individus et les familles en situation de précarité reste complexe et montre ses limites.
Envisager la gratuité de la ressource en eau encadrée par la loi est donc une solution qui pourrait se révéler moins onéreuse que le coût du traitement social actuel. Je vous invite à y réfléchir, mes chers collègues.
Malgré ces dispositions législatives, auxquelles s’ajoute l’interdiction des coupures d’eau et de réduction du débit, le droit à l’eau n’est pas effectivement garanti et ne parvient pas à être consacré pleinement dans notre pays. C’est pourtant avec le soutien de la France qu’il y a plus de dix ans, en juillet 2010, l’assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution reconnaissant le droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme. Certains pays, comme l’Uruguay et la Slovénie, l’ont déjà introduit dans leur Constitution.
Depuis, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que l’accès à l’eau potable est un enjeu majeur en termes de santé, de développement et d’environnement. N’oublions pas que ce droit compte parmi les dix-sept objectifs 2030 de développement durable adoptés par les États membres des Nations unies.
De nombreuses associations, organisations humanitaires, caritatives et environnementales nous interpellent depuis de nombreuses années. La fondation France Libertés et la Coalition Eau en sont les fers de lance.
Dans le monde, 2,2 milliards d’êtres humains ne disposent pas d’accès sécurisé à l’eau potable et 4,2 milliards à l’assainissement. Plus de 2,6 millions de personnes, dont une majorité d’enfants en bas âge, meurent chaque année de maladies liées à la consommation d’une eau impropre.
Dans notre pays, nous avons la chance de disposer d’un système de traitement et d’assainissement de l’eau qui permet à 99 % de nos compatriotes de bénéficier d’un accès à l’eau potable. En 2019, l’OMS estimait pourtant que, en métropole, 1,4 million de Français ne disposaient pas d’un accès direct et sécurisé à l’eau potable.
Par ailleurs, un rapport de la Fondation Abbé-Pierre sur le mal-logement estime à 143 000 le nombre de personnes sans domicile fixe vivant dans des abris ou des bidonvilles, à environ 208 000 celui de gens du voyage mal logés et à 24 000 celui de personnes hébergées dans des foyers de migrants : autant d’individus concernés par la pauvreté en eau. De plus, 1 million de familles ne sont pas en capacité de régler leur facture d’eau.
Nous ne pouvons ignorer ces chiffres. L’accès à l’eau pour des populations déjà fragilisées et souvent fortement marginalisées est vital, humainement mais aussi socialement. Quelle insertion sociale, scolaire et professionnelle est possible pour ces personnes si ce droit fondamental n’est pas respecté par notre République ? C’est une simple question de dignité et d’égalité.
La crise sanitaire actuelle met en lumière l’importance vitale de l’hygiène pour prévenir et endiguer les maladies. Les autorités recommandent de manière répétée de se laver les mains. Comment répondre à cette exigence quand on est privé d’accès à l’eau ? Garantir à tous un droit à l’eau dans ce contexte, n’est-ce pas aussi nous protéger tous ?
Ceux qui s’opposent à la gratuité de l’eau, vitale et enjeu de santé publique, s’opposeraient-ils aussi à la gratuité des vaccins ? La covid-19 a bousculé nos habitudes, mais aussi nos schémas de gestion des finances publiques et des ressources pour envisager une solidarité, un partage comme cela ne s’était pas produit dans notre pays depuis plusieurs décennies.
L’eau en partage, l’eau accessible à tous, doit être posée comme un principe fondateur et indiscutable de notre vivre ensemble. C’est une ressource vitale, à présent cotée en bourse, sans cesse menacée de financiarisation et objet de spéculations sur un marché qui nie la priorité des besoins humains et ignore la valeur de l’eau pour en fixer le prix : un paradoxe dangereux. « L’eau pour la vie, pas pour le profit », affirmait une tribune publiée dans Libération par 550 organisations et collectifs de la société civile à l’occasion de la journée mondiale de l’eau organisée le 22 mars dernier.
Les enjeux sont majeurs, comme l’illustre le récent et titanesque affrontement Suez-Veolia. Dans la perspective plus globale du réchauffement climatique et des enjeux de développement durable, défendre le principe d’un droit à l’eau est incontournable. Laisserons-nous au marché la gestion et la répartition de l’eau ? Protégeons donc ce bien commun !
Les solutions existent. Affirmer le droit à l’eau potable et à l’assainissement et assurer la mise à disposition d’équipements sanitaires et de distribution d’eau répond aux besoins essentiels d’une population que l’on peut dénombrer. Sur ce fondement, nous le savons, la dépense est acceptable. Contenue et encadrée, elle ne fragiliserait pas les équilibres de gestion de nos collectivités, qu’il faut accompagner.
Il serait envisageable de rendre ce dispositif plus lisible et de permettre aux gestionnaires de l’intégrer dans leur modèle économique, en inscrivant dans la loi ce volume d’eau gratuit afin d’en limiter le coût potentiel et d’agir en respect des règles de recevabilité financière existantes.
Les associations et organisations militantes estiment la quantité d’eau nécessaire à cinq mètres cubes par an pour les besoins vitaux et à quinze mètres cubes pour les besoins élémentaires. Le calcul est donc simple : le mètre cube coûtant 4 euros en moyenne, le financement de quinze mètres cubes représenterait une dépense annuelle de 60 euros. On peut donc prévoir.
La répartition du surcoût se fera à partir de seize mètres cubes et au-delà. Les plus précaires, moins consommateurs, bénéficieraient ainsi de la gratuité de l’eau qui leur est indispensable, tandis que les foyers plus favorisés et aussi plus consommateurs assumeraient collectivement et de façon raisonnablement répartie le coût de cette solidarité. Plus on consomme, plus on paye : dans le contexte actuel, ce principe paraît vertueux. J’ajoute que les gains d’efficacité des réseaux pour éviter les pertes permettraient largement de compenser la gratuité des premiers mètres cubes.
Non, la gratuité n’ouvre pas nécessairement la voie aux abus et à l’augmentation de la consommation. La gratuité des premiers mètres cubes ne menace en aucun cas les compétences des collectivités territoriales en matière d’assainissement collectif et non collectif et n’ouvre pas la voie à la multiplication des installations illégales.
Il faut faire confiance à la population, mais aussi aux collectivités pour instaurer et gérer cet accès à l’eau tout en leur en donnant les moyens. Les accompagner constituerait sans aucun doute un acte politique fort, affirmant le droit à l’eau pour tous, principe de portée universelle lié aux droits humains.
Si nous en avons la volonté, ce principe encadré deviendra un outil précieux pour nos élus locaux confrontés à des situations parfois inextricables aux plans humain et sanitaire face à ceux qui sont privés d’eau. Peut-on accepter que la France, sixième puissance mondiale en 2021, refuse ce droit essentiel aux plus précaires sur le territoire des droits de l’homme ? Il est temps de traduire dans la loi les engagements nationaux et internationaux de notre pays pour le respect des droits fondamentaux de la dignité humaine et de la santé publique et de prendre nos responsabilités pour protéger une ressource essentielle à la vie.
Soutenir cette proposition de loi, c’est affirmer le principe universel du droit à l’eau pour tous, autrement dit, du bien commun. Alors, passons à l’acte ! Ce droit nous concerne tous. Nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’une proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste prévoyant la gratuité des premiers mètres cubes, mais également la garantie de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour les populations les plus fragilisées, comme l’exige la récente directive européenne sur l’eau.
L’accès à l’eau et la protection de cette ressource sont l’un des défis majeurs de notre siècle. L’eau est à ce point essentielle qu’elle conditionne tout simplement la vie. Pourtant, comme c’est le cas de l’ensemble des biens communs, les politiques de marchandisation et de libéralisation ont conduit à rendre son accès plus difficile et plus onéreux.
En moyenne, son prix a augmenté de 10 % au cours des dix dernières années, et de manière inégale sur l’ensemble du territoire puisque le prix de l’eau varie dans une fourchette de un à huit. La perte d’ingénierie publique tout comme les regroupements XXL ont poussé les collectivités à déléguer cette compétence, livrant les usagers aux mains des opérateurs privés comme Suez ou Veolia.
Face à cette situation, cette proposition de loi pose un principe simple : si l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit universel, alors, pour la proportion qui est vitale, cet accès doit être gratuit pour toutes et tous et sur l’ensemble du territoire. Il s’agit d’une exigence d’égalité et de solidarité qui découle de nos engagements internationaux tout comme de l’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques. Telle est la responsabilité des pouvoirs publics qui, lorsqu’ils reconnaissent un droit constitutionnellement ou législativement, doivent parallèlement créer les conditions de son effectivité.
Alors que selon les associations caritatives, la crise sanitaire a fait basculer dans la pauvreté 1 million de Français, qui s’ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà en dessous du seuil de pauvreté, nous souhaitons, à l’image de l’exigence exprimée par les « gilets jaunes », allier performances écologiques et exigence de justice sociale. Il n’y aura pas de transition écologique réussie sans partage des richesses, du savoir et des pouvoirs. Nous allions donc concrètement protection des biens communs et accès aux droits, en l’occurrence, au droit à l’eau.
Certains nous répondent que nous avons déjà fait beaucoup en interdisant les coupures. C’est un premier pas, mais un droit ne se définit jamais par la négative.
Permettez-moi de revenir sur deux points qui nous paraissent importants.
Au-delà de sa dimension sociale, cette proposition de loi pose une question plus générale, celle de la gestion d’un bien commun. J’ai souvent entendu, lors des interventions des différents orateurs, qu’il fallait faire confiance aux collectivités pour mener les politiques de solidarité. Nous déplorons la baisse continue des dotations qui les contraignent à privatiser les services publics locaux faute de moyens. Pourtant, chers collègues, il faut également entendre l’exigence qui s’exprime dans beaucoup de territoires pour le retour aux régies. Cela s’explique simplement par le constat que, pour protéger les biens communs, les services publics sont bien les outils les plus pertinents et performants.
Par ailleurs, comment ne pas penser aux tentatives monopolistiques en cours entre Suez et Veolia et à leurs conséquences sur les usagers de l’eau, considérés comme de simples réservoirs de profits à venir ? Les pouvoirs publics doivent intervenir pour sortir l’eau de ces politiques de marchandisation à rebours des exigences sociales et environnementales.
Par cette proposition de loi, nous souhaitons donc poser les bases de l’exercice d’un droit universel grâce au levier de la gratuité. Nous élargissons nos exigences à la nécessité de repenser les conditions de la compétence « eau » par les collectivités et le nécessaire soutien par l’État des collectivités qui s’engageraient dans cette voie. M. Darnaud nous a invités à déposer de nouveau des amendements en ce sens dans le cadre de l’examen de la loi 4D. Nous nous y emploierons.
Enfin, nous ne nous félicitons pas de l’OPA hostile de Veolia sur Suez. Il ne s’agit pas d’un accord, mais bien d’une capitulation qui aura des effets graves sur le long terme pour les collectivités, les usagers et les salariés. Il est urgent de constituer un grand service public national de l’eau par la création d’un pôle public réunissant tous les acteurs économiques et garantissant l’égalité du prix de l’eau et l’accès à tous partout sur le territoire national. Cela permettrait de fédérer les acteurs publics aujourd’hui dispersés, de coordonner les investissements publics et privés indispensables et de faire converger les compétences et les savoir-faire. Cet outil au service de la maîtrise publique de l’eau doit permettre une gestion démocratique associant les usagers, les collectivités et tous les acteurs de la filière.
Il s’agit enfin d’une condition indispensable à la défense de l’emploi et des savoir-faire, mais aussi d’un levier indispensable pour garantir une gestion de cette ressource conforme aux ambitions écologiques que doivent porter la France et l’Europe.
Tels sont, mes chers collègues, les quelques éléments que nous souhaitions apporter à ce débat. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, je remercie l’auteur de la proposition de loi et le rapporteur pour leur travail sur ce texte, qui est directement inspiré de la proposition de loi visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement examinée, puis rejetée par le Sénat le 22 février 2017. Ces deux textes sont l’aboutissement de travaux menés en lien avec des associations et ONG afin de rendre effectif le droit d’accès à l’eau en permettant que les personnes les plus vulnérables disposent d’un accès aux équipements sanitaires indispensables et de mettre en place une aide préventive pour l’eau.
L’objectif est évidemment louable : l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental inscrit dans plusieurs traités internationaux. Le droit à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène constitue notamment l’objectif n° 6 des dix-sept objectifs de développement durable 2030 adoptés par les États membres des Nations unies qui visent à garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et à un assainissement gérés de façon durable. C’est une question de salubrité, d’hygiène et de santé publique.
Le Sénat avait cependant été conduit à rejeter le texte de 2017 pour de multiples raisons. D’abord, parce que celui-ci introduisait des obligations nouvelles pour les collectivités territoriales à l’article 2, notamment l’installation d’équipements de distribution gratuite d’eau potable, de toilettes, de douches publiques et de laveries gratuites. Ensuite, parce que les articles 3 et 4 introduisaient deux aides préventives pour l’accès à l’eau en sus des aides curatives, en utilisant le produit de la contribution sur les eaux et boissons embouteillées, dont les sommes perçues par la douane sont mises à la disposition de chaque commune concernée.
Le texte que nous examinons aujourd’hui reprend très exactement les dispositions de la proposition de loi précitée. Il remplace néanmoins les deux mécanismes financiers qu’elle prévoyait par un principe de gratuité des premiers mètres cubes d’eau. En commission, le rapport a été rejeté au motif que le dispositif introduit des obligations nouvelles pour les collectivités territoriales et que, en l’absence d’étude d’impact, il est impossible de chiffrer le coût de cette mesure – coût de mise aux normes, d’entretien et coûts d’acquisition de locaux dédiés.
La question que nous pourrions nous poser est la suivante : quelles sont les solutions opérationnelles que nous pouvons apporter pour permettre à tous l’accès à l’eau dans des conditions économiques raisonnables, aussi bien pour les usagers que pour les collectivités ?
La gratuité de l’accès à l’eau pose problème. En effet, il est d’autant plus nécessaire de préserver les ressources que, dans un contexte de dérèglement climatique, l’eau est et sera de plus en plus rare. Une vigilance s’impose ; or sobriété ne rime pas avec gratuité.
Il est de notre responsabilité de trouver un mécanisme de solidarité qui ne mette pas à mal le modèle économique de l’eau, notamment en exerçant une pression financière sur les collectivités.
Au-delà des aides qui existent déjà et qui peuvent être accordées aux ménages en difficulté, il est possible d’établir une tarification progressive de l’eau pour les immeubles collectifs d’habitation, ou de bénéficier de l’aide du Fonds de solidarité pour le logement.
Pour ouvrir le débat, je tenais également à rappeler, mes chers collègues, que le prix moyen de l’eau, d’environ 4 euros, est bas par rapport aux prix que pratiquent nos voisins européens. En Allemagne, par exemple, le mètre cube d’eau coûte en moyenne 5,50 euros.
Le prix de l’eau en France ne prend pas suffisamment en compte les coûts afférents au nécessaire renouvellement des infrastructures et à la réduction des nombreuses fuites d’eau dans les réseaux de nos territoires. À moyen terme, il faudra sécuriser les budgets, et même les rehausser de plusieurs milliards d’euros afin de parvenir à un niveau d’investissement à la hauteur des besoins de renouvellement de nos réseaux, de faire face à l’adaptation au changement climatique et d’accompagner nos collectivités dans ces évolutions. À défaut, c’est une fracture territoriale sans précédent entre les villes et les campagnes qui nous menace.
Du fait du principe – que nous devons préserver – selon lequel l’eau paye l’eau, la conséquence de cette absence d’investissements massifs aura des conséquences sur la facture d’eau des Français et des collectivités rurales.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, tout en saluant les objectifs louables recherchés au travers de cette proposition de loi, le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. Il reconnaît toutefois que ce texte pose le problème de la pauvreté dans notre pays et qu’il rappelle l’urgence de trouver des mesures pour accompagner nos compatriotes dans la difficulté financière. (M. Mathieu Darnaud applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon intervention par une remarque bienveillante à l’endroit de nos collègues du groupe CRCE. Le texte qui est soumis à notre examen est en net progrès par rapport à la proposition de loi visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement, que le Sénat avait examinée, puis rejetée, le 22 février 2017.
Mme Éliane Assassi. On progresse… (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Laurent Duplomb. Malheureusement, ces progrès ne suffiront pas pour orienter le groupe Les Républicains vers un vote favorable ou même une abstention.
J’ai parlé de « progrès », car cette proposition de loi a été expurgée des deux dispositions du texte de 2017 que nous avions combattues avec vigueur : l’aide préventive pour l’eau, prévue à l’article 3, et la création d’une allocation forfaitaire d’eau pour les ménages les plus pauvres, lorsque le prix de l’eau dépasse un prix de référence fixé par décret, à l’article 4. Notre groupe avait alors estimé que ces aides introduisaient de la confusion, en raison de la grande variété des critères d’éligibilité pour les bénéficiaires. Nous étions surtout hostiles au fait que l’allocation soit issue du produit de la contribution sur les eaux et boissons embouteillées, dont les sommes perçues par les douanes sont mises à la disposition de chaque commune concernée.
Où est le problème dans le texte dont nous débattons aujourd’hui ? Il n’est pas nécessairement dans l’article 1er, qui vise à introduire dans le code de la santé publique une définition du droit à l’eau potable et à l’assainissement. En effet, ce droit existe déjà, et il a même rang constitutionnel grâce au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui garantit à tous, que ce soit à l’enfant, à la mère ou aux vieux travailleurs, la protection de la santé.
Comme vous l’aurez compris, c’est encore et toujours l’article 2 qui motivera notre vote de rejet. Si le principe d’une couverture des besoins élémentaires des populations en eau potable et assainissement me semble justifié, on ne peut pas demander, encore une fois, aux collectivités territoriales d’assumer politiquement et économiquement une responsabilité qui n’est pas la leur. Les dépenses engendrées par le dispositif prévu ne sont pas symboliques et, surtout, en l’absence d’étude d’impact, il est impossible d’en chiffrer le coût, qu’il s’agisse du coût des mises aux normes, du coût d’entretien ou du coût de l’acquisition des locaux dédiés.
S’agissant de l’article 3, le principe de gratuité des premiers mètres cubes me semble plus simple à mettre en place que les allocations prévues par le texte de 2017. Je pense, néanmoins, qu’il ne faut pas poursuivre dans cette direction, si l’on veut éviter de voir se multiplier des principes de gratuité injustifiés. Les collectivités se voient, en effet, déjà, chaque année, dans l’obligation d’écraser des centaines de milliers d’euros de factures impayées.
Vous l’aurez compris, malgré un objectif louable, je voterai contre cette proposition de loi. J’ajouterai deux remarques pour justifier ce rejet.
Tout d’abord, je considère qu’il existe d’autres priorités en matière d’infrastructures. La gestion de l’eau nécessite, en effet, des investissements massifs dans les infrastructures d’alimentation en eau, car leur rythme actuel de renouvellement est de deux cents ans ! Avant de réaliser des infrastructures ou des installations dont on ignore si elles seront utilisées, il faudrait plutôt agir sur les réseaux fuyards et, surtout, remédier au désengagement croissant de l’Agence de l’eau, qui finit par faire tout autre chose que ce pour quoi elle a été créée.
Ensuite, dans cette assemblée, comme dans l’autre, il me semble que nous passons trop de temps à examiner des propositions de résolution, des projets ou propositions de loi, ou à organiser des débats concernant la méthode avec laquelle nous allons encore amplifier les aides sociales. Nous oublions trop souvent que les situations de détresse sociale ne tombent pas du ciel et que nous avons les moyens de les combattre en amont. Avant le droit individuel à l’eau potable, je crois qu’il y a un droit pour la France, donc un droit collectif, à avoir une agriculture de nouveau puissante et une industrie de nouveau florissante, pour que nos compatriotes retrouvent l’emploi qui les préserverait de telles situations de détresse.
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité
Article 1er
Le titre Ier du livre III de la première partie du code de la santé publique est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« Droit à l’eau potable et à l’assainissement
« Art. L. 1314-1. – Le droit à l’eau potable et à l’assainissement comprend le droit, pour chaque personne physique et dans des conditions compatibles avec ses ressources :
« 1° De disposer chaque jour gratuitement d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires ;
« 2° D’accéder aux équipements lui permettant d’assurer son hygiène, son intimité et sa dignité.
« L’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics concourent à la mise en œuvre du droit à l’eau potable et à l’assainissement. »
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi.
Mme Marie-Claude Varaillas, auteure de la proposition de loi. L’article 1er ayant été rejeté, notre proposition de loi ne sera pas adoptée. En conséquence, je la retire.
Je voudrais vous remercier tous, chers collègues, d’avoir participé à l’examen de ce texte, qui nous tient particulièrement à cœur. Je remercie tout particulièrement ceux d’entre vous qui ont exprimé leur accord avec ses dispositions.
L’accès à l’eau et à l’hygiène pour les personnes mal logées dans notre pays, dont je rappelle que les enfants représentent 30 %, demeure un enjeu majeur de santé publique. Nous savons tous, bien évidemment, que nous serons inéluctablement amenés à revenir sur le sujet.
Je tiens à exprimer mes sincères remerciements, ma compassion et mon soutien aux associations qui défendent ce droit à l’eau et à l’assainissement pour tous. Nous restons mobilisés pour faire valoir ce droit fondamental et inaliénable.
Plus que jamais, avec le changement climatique, la question de l’accès aux services essentiels que sont l’eau et l’énergie reste posée. Il nous paraît indispensable de sortir ces services du secteur marchand, parce qu’ils constituent le bien commun de l’humanité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle les termes de l’article 26 du règlement du Sénat : « L’auteur d’une proposition de loi ou de résolution peut toujours la retirer, même quand la discussion est ouverte. »
La proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité est donc retirée.
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 4 mai 2021 :
À quatorze heures trente :
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à l’avenir du régime de garantie des salaires, présenté par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (texte n° 463, 2020-2021) ;
Débat sur l’avenir institutionnel, politique et économique de la Nouvelle-Calédonie, dans la perspective du terme du processus défini par l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 (demande du groupe Les Républicains) ;
Débat sur la souveraineté économique de la France.
Le soir :
Débat sur le thème « Les enjeux nationaux et internationaux de la future PAC. »
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER