M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Lahellec, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je souhaite rappeler la conviction qui a animé et guidé mon travail de rapporteur. Dans la mesure où il s’agit du premier texte que je suis chargé de rapporter, pour m’inscrire dans le sujet qui nous intéresse, je me jette à l’eau… (Sourires.)
Au terme des auditions que j’ai menées, il m’est apparu avec la force de l’évidence que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un droit vital, dont dépendent la survie, mais aussi la santé, l’hygiène et la dignité de toute femme et de tout homme. Des publications scientifiques ont nourri le débat public de données alarmantes et de chiffres vertigineux. Il y a là un sujet dont personne ne peut se désintéresser, qui s’aggrave et m’apparaît à certains égards comme le « défi du siècle ».
La relative abondance de l’eau en France nous empêche parfois de percevoir l’urgence d’agir et les effets de l’exclusion de l’eau. Nous considérons un robinet ou une fontaine comme un élément banal qui ne retient plus l’attention. En effet, loin est le temps où l’eau était à aller chercher plus qu’elle ne venait pas à nous.
Figurez-vous que je suis né à quatre kilomètres du bourg de Plufur, un petit village des Côtes-d’Armor. Quand j’étais petit, mes petits camarades qui habitaient au bourg allaient jusqu’au robinet du village pour pouvoir avoir de l’eau. L’enfant que j’étais en avait aisément conclu que l’eau « courante » était celle que l’on obtenait en courant très vite. (Sourires.) Ces robinets n’en constituaient pas moins un véritable service public de l’eau, auquel chacun avait accès… plus ou moins rapidement. (Nouveaux sourires.)
N’oublions pas que si, aujourd’hui, nous sommes nombreux à bénéficier de l’eau courante, obtenue sans courir, tel n’est pas le cas de tous, en particulier des plus démunis. Par ailleurs, certaines régions connaissent, certains étés, de plus en plus fréquemment, un stress hydrique qui conduit au rationnement de la ressource.
Avec l’air, l’eau est en effet la ressource vitale, essentielle à la vie et aux activités économiques. Sans un accès sécurisé à une eau potable de bonne qualité, l’être humain reste tributaire de la satisfaction de ce besoin : pas de dignité possible, pas de développement durable, pas de justice sociale, pas d’accès aux fruits de la croissance ! Je suis convaincu qu’il ne se trouve personne dans cet hémicycle pour s’opposer à l’idée que l’eau potable est un bien commun dont aucun être humain ne devrait être exclu. C’est aussi ce que j’ai perçu au sein de la commission lors de nos débats.
Des progrès ont déjà été accomplis, venant du législateur, mais aussi des élus locaux, des instances internationales et d’initiatives portées par des ONG.
Le droit à l’eau progresse ; il se constitutionnalise dans certains pays ; il est reconnu par l’Organisation des Nations unies. Des pays et des collectivités ont d’ores et déjà instauré la gratuité des premiers volumes.
La prise de conscience existe également au niveau européen : la nouvelle directive européenne sur l’eau potable, de décembre 2020, en constitue un parfait exemple.
Nous n’arrivons donc pas sur un terrain vierge de toute avancée. Je ne vous demande pas d’être révolutionnaires ni d’aller à l’encontre de vos sensibilités politiques : il s’agit simplement de parfaire l’œuvre déjà accomplie, dans un esprit humaniste.
Ce droit est reconnu, proclamé et consacré. Mais il y a le droit et il y a le fait. Or le droit, insuffisamment opposable et trop souvent déclaratoire, ne reflète pas le fait.
Aujourd’hui, 2,2 milliards d’êtres humains n’ont toujours pas un accès sécurisé à l’eau potable.
Notre pays n’est pas épargné par certaines formes de précarité en eau. Il y a les « exclus de l’eau » : 1,4 million de Français métropolitains, les personnes sans domicile fixe ou vivant dans des habitats de fortune. Il existe aussi les « précaires en eau », à savoir les ménages consacrant plus de 3 % de leur budget à payer leurs factures d’eau. Ils représentent, selon les associations que j’ai entendues, plus de 1 million de personnes. Voilà pour ce qui est de l’écart entre le droit et le fait.
Le législateur n’est pas resté insensible à cette question et a essayé, compte tenu de l’écart existant, de rendre le droit plus effectif.
La loi Brottes de 2013 a interdit les coupures d’eau des ménages pour impayés et a mis en œuvre une expérimentation de tarification sociale de l’eau. À la différence des aides curatives, ponctuelles, partielles et non automatiques, les aides préventives s’appliquent dès lors que le foyer satisfait aux critères prédéfinis et prennent la forme soit d’une tarification intégrant une première tranche dite sociale universelle, soit d’une allocation eau. La ville de Rennes a, par exemple, instauré, pour tous, une première tranche gratuite de dix mètres cubes.
La loi Engagement et proximité de 2019 a pérennisé ces possibilités et mis à la disposition des collectivités qui le souhaitent une boîte à outils destinée à favoriser l’accès à l’eau de tous.
Face à ce constat, il est nécessaire de consolider les acquis en garantissant de manière encore plus effective le droit d’accès à l’eau.
L’eau n’a pas de prix, mais elle a un coût, qui est celui de son acheminement, de son traitement et de son assainissement. Les services de l’eau, industriels et commerciaux, reposent sur une logique de tarification à l’usager bénéficiaire, et non sur un financement par l’impôt. En vertu de la libre administration des collectivités territoriales, les communes et EPCI qui en assurent la distribution sont libres de mettre en œuvre des politiques locales en vue de favoriser l’accès de l’eau aux populations précaires ou marginalisées.
J’ai entendu les propos de certains de mes collègues au cours de l’examen du texte en commission. Selon eux, la gratuité d’une ressource rare n’est pas une bonne idée, parce qu’elle inciterait au gaspillage et véhiculerait une pédagogie contraire aux nécessités de notre temps. Tel n’est pas l’esprit de ce texte ! Il instaure uniquement la gratuité d’une volumétrie essentielle, indispensable à la vie et à la dignité. Le surplus, au-delà ce qui est nécessaire pour étancher sa soif et pourvoir à son hygiène, continuerait bien entendu à faire l’objet d’une facturation à l’usager, pour ne pas remettre en cause l’équilibre financier des collectivités gestionnaires ou délégantes.
J’achèverai mon propos en citant la directive européenne sur l’eau potable, qui enjoint aux États européens l’installation d’« équipements dans les espaces publics, lorsque cela est techniquement réalisable ». Le texte que nous examinons aujourd’hui est l’occasion d’en commencer la transposition et de garantir véritablement un droit à l’eau pour tous en France. Le bloc communal serait responsable de la mise en œuvre de cette noble mission, au plus près des besoins, en vertu du principe constitutionnel de subsidiarité.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable n’a pas adopté cette proposition de loi. À titre personnel, vous l’aurez compris, j’y suis toutefois favorable. La France pourrait s’enorgueillir d’avoir mis fin, par des mesures simples et de bon sens, aux situations de pauvreté et de précarité en eau. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Hervé Gillé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission Chevrollier, monsieur le rapporteur Lahellec, madame la sénatrice Varaillas, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui est soumise à votre examen vise à garantir le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité.
En France, l’eau est un bien commun de la Nation et son usage appartient à tous. Notre droit consacre d’ores et déjà cet objectif. Le code de l’environnement établit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
L’accès à l’eau pour tous est évidemment un objectif que je partage et auquel le Gouvernement souscrit pleinement. À cet égard, les articles 19 et 19 bis du projet de loi Climat et résilience, qui sera bientôt examiné dans cet hémicycle, viendront renforcer notre ambition.
Au cœur de la crise sanitaire actuelle, la notion même de service public de l’eau a pris tout son sens. Je salue ici les collectivités et les entreprises qui ont assuré la continuité, en rassurant très vite les Français sur la qualité et la sécurité de l’eau du robinet. Toutefois, aujourd’hui encore, en 2021, 235 000 personnes sont privées d’un accès permanent à l’eau. Ce n’est pas acceptable, et nul ne peut s’y résoudre. Nous avons encore du travail pour assurer à chacun l’accès à l’eau potable et à l’assainissement.
C’est pour répondre à cet objectif que le Gouvernement a lancé la réforme de la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe. Votre assemblée a récemment adopté une proposition de loi tendant à en poser le cadre. En application de cette réforme, un établissement public local sera créé au 1er septembre 2021. Il veillera à la continuité du service et réalisera tous les investissements nécessaires au bon fonctionnement et à la modernisation des réseaux. Il était temps de répondre à ce besoin essentiel, que nous nous devons d’assurer à tous les Guadeloupéens.
Dans le même temps, le Gouvernement mobilise 300 millions d’euros du plan France Relance, pour sécuriser et moderniser les infrastructures de distribution d’eau potable, d’assainissement et de gestion des eaux pluviales. Les agences de l’eau et l’OFB en assurent le pilotage. Ces crédits sont déjà largement engagés, ce qui montre bien la mobilisation des collectivités sur cette mission fondamentale.
Si la ressource en eau est un bien public inaliénable, l’accès à ce bien repose sur un service rendu, qui a un coût.
En France, le prix de l’eau qui est facturé à l’usager correspond au prix du service comprenant le prélèvement, le traitement, la distribution et les réseaux. Il est fixé localement par la collectivité – la commune ou l’intercommunalité – ou par le syndicat d’eau potable auquel elle a confié l’organisation du service.
Les collectivités organisatrices peuvent choisir d’exploiter directement le service dont elles ont la responsabilité en régie ou d’en déléguer l’exploitation à un opérateur privé.
Au 1er janvier 2017, le prix moyen du service de l’eau potable et d’assainissement était de 4,08 euros TTC par mètre cube, ce qui correspond à une dépense moyenne de 40,80 euros par mois, soit environ 1,4 % du budget moyen des dépenses des ménages. Toutefois, n’oublions jamais nos concitoyens les plus démunis. Le Gouvernement a ainsi facilité la mise en place des tarifications sociales et incitatives, de même que des mesures d’économies d’eau.
Dans le cadre de la loi Brottes de 2013, qui a interdit la pratique des coupures d’eau pour une résidence principale, même en cas d’impayés, une expérimentation a été menée auprès de cinquante collectivités en vue de tester différentes politiques sociales en faveur de l’accès à l’eau. Cette expérimentation a montré l’importance du principe de subsidiarité. En fonction de ses caractéristiques et des enjeux qui lui sont propres, chaque collectivité participante a pu mettre en place des mesures spécifiques et adaptées à son territoire et à son organisation.
En raison de ce succès, les mesures sociales en faveur de l’accès à l’eau ont été élargies à l’ensemble des collectivités et pérennisées dans la loi Engagement et proximité de 2019. Les collectivités sont donc déjà en mesure de mettre en place des dispositifs qui font l’objet de la présente proposition de loi, comme la définition de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, l’attribution d’aides au paiement des factures, ou encore des mesures favorisant les économies d’eau.
La possibilité de rendre les premiers mètres cubes gratuits existe déjà, mais, on le sait, cette gratuité est à observer avec précaution, car elle peut avoir un effet contraire à nos objectifs de bonne gestion de la ressource et de maîtrise des consommations.
Ces réflexions ont été largement portées au moment de l’organisation, en 2019, des Assises de l’eau. Ces points de vigilance y ont été largement établis.
J’en reste persuadée, un travail important est à réaliser pour un meilleur accès à l’eau potable. La clé ne réside pas, je crois, dans une modification de la loi, comme nous y invite cette proposition de loi, mais plutôt dans la mobilisation, large et active, des outils qui sont déjà à la disposition des collectivités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, si je suis défavorable à cette proposition de loi, je soutiens ce combat, cet engagement pour la dignité humaine. Je vous remercie d’avoir porté ce débat dans cet hémicycle, même si je ne vous rejoins pas sur la forme et émets donc un avis défavorable sur ce texte.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder le fond du texte, je voudrais faire deux remarques.
Ma première remarque vise à rebondir sur ce que M. le rapporteur rappelait : autrefois, il fallait aller à l’eau ; aujourd’hui, c’est l’eau qui vient à nous – il suffit d’ouvrir le robinet. Je ne voudrais pas être un oiseau de mauvais augure, mais je crains malheureusement qu’il faille aussi nous interroger sur le caractère durable de cette facilité d’accès.
Je viens d’un département, l’Ardèche, où nous nous interrogeons beaucoup sur la ressource, et de nombreux départements font ou devraient faire de même. Si nous sommes tous convaincus que l’eau est plus que jamais un bien commun, nous devons aussi nous interroger sur la question de la ressource.
Ma seconde remarque rejoint la philosophie de ce texte : nous l’avons maintes fois dit au Sénat, nous devons tout mettre en œuvre pour offrir aux élus des territoires la capacité de gérer l’eau en proximité, en leur permettant, s’ils le souhaitent, de conserver cette compétence au niveau des communes ou des syndicats de communes – je suis sûr que nous reviendrons sur ce sujet lors des débats sur le projet de loi 4D. La gestion de l’eau répond en effet davantage à des logiques de bassins versants qu’à des logiques intercommunales.
Malheureusement, depuis l’obligation faite à de nombreuses communes par la loi NOTRe de transférer l’eau et l’assainissement aux intercommunalités, nous avons assisté inexorablement à une augmentation du prix de l’eau. Alors, oui, il faut qu’il y ait une tarification sociale et peut-être un renforcement des droits, mais, le préalable, c’est la disponibilité et le coût de la ressource.
Le groupe Les Républicains ne cesse de le réaffirmer : laissons les élus libres de gérer comme ils le souhaitent cette compétence singulière. Dans certaines communes françaises, nos concitoyens ne payent pas l’eau, car elle vient directement des sources communales gérées en proximité. Bien sûr, il faut répondre aux contraintes et aux normes, mais il faut laisser les élus le faire en bonne intelligence pour garantir à nos concitoyens de pouvoir accéder à l’eau à un prix raisonnable.
J’en viens maintenant à ce droit que vous souhaitez voir renforcé, mes chers collègues.
Nous partageons une volonté commune : l’eau est un bien commun, une nécessité dont l’accès doit être garanti à chacune et chacun de nos concitoyens. Je crains malheureusement – je le dis avec beaucoup d’humilité – que votre texte ne soit insuffisamment expertisé. Il manque une étude d’impact, et je ne crois pas que les collectivités n’auront rien à payer. Le fait d’offrir des points d’accès à l’eau dans une commune engendrera nécessairement des coûts pour la collectivité. Cela ne nous gêne pas dans l’absolu, mais ce texte, qui traite d’un sujet essentiel, aurait sans doute mérité une réflexion plus approfondie, notamment au sujet des seuils.
Comme nous l’avons fait lors de l’examen de la loi Engagement et proximité, nous devrons peut-être approfondir ce droit d’accès à l’eau pour tous dans le texte 4D. Nous y serons attentifs, car, comme vous, nous considérons plus que jamais l’eau comme un bien commun auquel nos concitoyens doivent avoir accès le plus largement possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’eau est un enjeu pour de nombreuses régions du monde, y compris en France. Les situations de stress hydrique sont de plus en plus fréquentes et provoquent des tensions. Cela a un impact sur les populations et sur de nombreux territoires.
Si l’eau recouvre une surface importante de notre planète et travaille à son équilibre, elle est surtout une part cruciale du corps humain. N’oublions jamais que nous sommes nous-mêmes constitués à 60 % d’eau. L’accès à l’eau et sa qualité sont donc indispensables à la vie.
Cette proposition de loi, dont nous saluons l’esprit, évoque dans l’exposé des motifs l’objectif n° 6 de développement durable proposé par les Nations unies, consacré à l’eau et à l’assainissement. Encore un tiers de l’humanité n’a pas accès à un assainissement convenable en matière d’eau, et la gestion durable de cette ressource n’est pour le moment pas assurée comme il le faudrait dans de nombreuses parties du monde.
En France, nous avons la chance d’avoir accès à une eau de bonne qualité au robinet grâce à des réseaux et des systèmes d’assainissement efficaces. Cependant, environ 1 % de la population n’est pas raccordée à un approvisionnement public en eau potable. Ce n’est pas acceptable.
Nous connaissons les sujets tels que le vieillissement des infrastructures dans certains de nos territoires, ou encore l’adaptation des réseaux à de nouveaux enjeux comme le changement climatique. Le directeur général de Suez rappelait il y a quelques jours que l’investissement dans l’eau et l’assainissement s’élevait à hauteur de 6,5 milliards d’euros par an. Il a même ajouté que les besoins allaient nécessiter une multiplication par deux des investissements.
Une nouvelle fois, la crise que nous traversons a mis en exergue le caractère indispensable de l’hygiène et de l’accessibilité à l’eau potable. L’accès à l’eau et sa constante amélioration, notamment pour les personnes les plus vulnérables, sont des objectifs à atteindre sur l’ensemble du territoire. Le Sénat travaille de manière régulière sur le sujet.
Les discussions autour du texte en commission ont fait ressortir ce point. Encore récemment, lors de l’adoption de la loi Engagement et proximité, le système de tarification sociale de l’eau a été renforcé et étendu. Ainsi, il existe déjà des possibilités pour les collectivités territoriales de moduler les tarifs pour permettre un accès à l’eau et à l’assainissement pour le plus grand nombre. Nos élus locaux, fins connaisseurs de leurs territoires, endossent des responsabilités importantes sur ce sujet.
La gratuité des premiers volumes d’eau, qui est l’objet de l’article 3 de cette proposition de loi, fait partie des possibilités offertes aux territoires dans la gestion du prix de l’eau. Il est important sur ce sujet que les collectivités puissent mettre en place les outils qui sont le plus appropriés en fonction des besoins de leur population et des contraintes auxquelles elles doivent faire face.
Comme cela a déjà été souligné, les dispositions imaginées dans cette proposition de loi ne semblent pas répondre à la flexibilité requise ni aux avancées qui ont déjà eu lieu au niveau local.
Nous soutenons l’objectif d’un accès pour tous à l’eau potable de qualité, mais nous pensons que des outils existent et qu’il faut d’abord une bonne application des règles en vigueur. Il convient de laisser le temps et l’espace aux collectivités d’utiliser et de mettre en place les possibilités qui leur sont données afin d’améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous nos concitoyens, en fonction des spécificités locales.
Pour ces raisons, le groupe Les Indépendants s’abstiendra sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’accès à l’eau est un droit fondamental et élémentaire. L’eau est un bien commun qui ne peut être accaparé et dont l’accès doit être garanti à chacun et chacune. La question du droit à l’accès à l’eau pour toutes et tous est donc un enjeu essentiel, et nous souhaitons rappeler, avec le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, combien cette question mêle étroitement à la question écologique de préservation des ressources les enjeux de justice sociale et de santé publique.
L’eau est un patrimoine commun, mais aussi un patrimoine partagé, qui vient à manquer. Elle est également une ressource précieuse qu’il faut protéger. Seulement 44 % des eaux de surface étaient évaluées en bon ou très bon état en 2015.
La préservation et l’accès aux ressources en eau potable sont des questions écologiques cruciales, à l’heure où le dérèglement climatique et l’augmentation des catastrophes naturelles représentent un obstacle en plus qui privera les populations les plus vulnérables de cette ressource.
Dans le monde, ce sont près de 2,2 milliards de personnes qui sont encore privées d’accès à l’eau, et plus de la moitié de la population mondiale n’a pas accès à un assainissement sûr.
La France n’échappe pas à cette problématique grave. On estime à environ 300 000 le nombre de personnes privées d’un accès à un réseau d’eau, à des toilettes et à des douches. Un million de ménages précaires sont dans la difficulté pour payer leur facture d’eau. Alors, où est le droit fondamental de l’accès à l’eau potable et à une hygiène de qualité ? Comment garantir un besoin aussi vital pour chacune et chacun ? C’est bien l’objet de cette proposition de loi que de combler cette inégalité, et nous remercions son auteure ainsi que l’ensemble du groupe CRCE.
La prise de conscience mondiale sur ce sujet est grandissante. Dix ans après l’ONU, qui proclamait que l’eau est un droit humain fondamental, l’Union européenne, en décembre 2020, a publié une directive qui vise à « améliorer l’accès aux eaux destinées à la consommation humaine » et qui contient l’obligation pour les États membres de mettre en œuvre le principe de l’eau potable pour tous. La directive dispose ainsi que « les États prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l’accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés ».
Des mesures à la hauteur des ambitions de la directive doivent être prises dans le cadre de sa transposition. Cette proposition de loi pourrait en constituer un très bon commencement. La directive devra tôt ou tard être transposée en droit français. Alors, saisissons l’opportunité et permettons au Parlement de se positionner sur le texte et d’en dessiner les contours.
Prévoir dans le code de la santé publique que chacun doit avoir accès à l’eau potable et à l’assainissement, prévoir aussi la mise à disposition gratuite d’équipements au plus près des populations : autant de premiers pas vers la garantie concrète de ce droit.
Une aide préventive pour les ménages, afin que la facture d’eau ne dépasse pas 3 % de leurs ressources, est aussi de nature à répondre à l’esprit et aux objectifs de la directive. En effet, même si l’on salue les dispositifs sociaux mis en place en droit français ces dernières années, on ne peut que déplorer le fait que les aides soient conditionnées à l’existence de compteurs individuels et que le montant moyen des allocations reste dérisoire.
Par ailleurs, des craintes ont été exprimées sur les nouvelles charges que la gratuité des premiers mètres cubes et la mise à disposition des équipements pourraient induire pour les collectivités. Cependant, la mise en place de la gratuité va permettre de diminuer le nombre d’impayés d’eau et, donc, de décharger les centres communaux d’action sociale et les fonds de solidarité pour le logement. Les collectivités pourraient mettre à disposition les équipements sanitaires et de distribution d’eau dans des bâtiments publics ou appartenant à des associations subventionnées. Ils pourraient aussi être financés par une tarification sociale progressive de l’eau.
Le droit fondamental d’accès à l’eau doit être garanti pour toutes et tous, car il s’agit de la satisfaction de besoins élémentaires nécessaires à la bonne santé publique. Thomas Sankara disait : « Il faut choisir entre le champagne pour quelques-uns et l’eau potable pour tous ! » C’est vrai, me semble-t-il, et c’est l’un des enjeux majeurs de l’humanité pour les années à venir. On a parfois l’impression que les mots de « justice sociale », souvent prononcés ici, résonnent un peu dans le vide.
Pour garantir que chaque individu ait accès à ce bien commun de l’humanité, et au vu des enjeux renforcés par l’urgence écologique, il est nécessaire d’avancer contre l’accaparement des ressources en eau par des intérêts privés dans une logique de profit, au détriment de l’intérêt général. C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe CRCE. – M. Hervé Gillé applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.
Mme Nadège Havet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité. Ce texte est discuté quelques semaines après la journée mondiale de l’eau, un événement qui nous a rappelé l’importance du défi que représente la préservation de ce bien essentiel et fondamental pour les années à venir.
L’eau, c’est la vie, et les enjeux sont considérables. Les dommages environnementaux, associés aux changements climatiques, sont à l’origine des crises liées à l’eau que nous observons dans le monde. Les inondations, la sécheresse et la pollution sont aggravées par la dégradation de la végétation, des sols, des rivières et des lacs.
L’objectif de développement durable n° 6 a été adopté par les États membres des Nations unies à l’horizon de 2030. Il a notamment pour cible de réduire de moitié la proportion d’eaux usées non traitées et d’augmenter considérablement le recyclage et la réutilisation. L’accès à l’eau potable et à l’assainissement est reconnu comme un droit de l’homme depuis 2010. Pourtant, près de 2,2 milliards d’êtres humains n’ont toujours pas accès aujourd’hui à des services d’alimentation domestique en eau potable gérés en toute sécurité et près de 2,6 millions meurent chaque année de maladies liées à l’eau, l’une des premières causes de mortalité au monde.
L’accès à l’eau et à l’assainissement est un enjeu social, environnemental, mais aussi économique. En France, depuis quinze ans, le cadre juridique a évolué. Il permet aux collectivités locales et à leurs établissements publics d’adapter leurs politiques tarifaires.
L’article 1er de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 dispose que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
En 2013, la loi Brottes a ouvert la possibilité pour les collectivités locales de mettre en œuvre l’expérimentation pour une tarification sociale de l’eau. Cette loi a d’ailleurs montré l’importance du principe de subsidiarité dans ce domaine.
La loi Engagement et proximité de 2019 a quant à elle introduit pour toutes les collectivités la possibilité de mettre en place les mesures sociales en faveur de l’accès à l’eau de leur choix. Toutes les collectivités ont donc déjà la faculté de mettre en place un éventail de mesures sans souffrir de l’ingérence de l’État.
Pourtant, selon l’OMS, en 2019, 1,4 million de Français n’avaient pas d’accès à une eau « sanitairement sécurisée », 1 million de nos concitoyens consacraient plus de 3 % de leur budget mensuel à l’eau et 235 000 personnes étaient des « exclus de l’eau ».
Sur ce point, la directive européenne sur l’eau potable de décembre 2020 dispose que les États européens devront se doter « d’équipements intérieurs et extérieurs dans les espaces publics, […] d’une manière qui soit proportionnée à la nécessité de telles mesures et compte tenu des conditions locales spécifiques ». J’appelle de mes vœux une transposition rapide de cette directive.
Nous connaissons ici les réalités de la gestion locale. Si l’eau n’a pas de prix, elle a un coût… La loi NOTRe a accéléré les transferts des compétences « eau » et « assainissement » aux EPCI. Quels en sont les premiers enseignements ? Un litre sur cinq d’eau traitée et mise en distribution en France est perdu. C’est l’équivalent de la consommation de 18,5 millions d’habitants. En cause, un sous-investissement important dans des réseaux de distribution vieillissants. Les transferts ont permis de disposer d’une meilleure connaissance des réseaux d’eau potable et d’assainissement collectif. Au rythme actuel des investissements, le renouvellement théorique s’établit à plus de cent cinquante ans, pour un budget annuel de 1,5 milliard d’euros. C’est insuffisant !
Concrètement, la gestion passera par des moyens supplémentaires en gestion patrimoniale, en recherche de fuites, en réparation et renouvellement des conduites, ce qui affectera le prix de ces services. Avec le réchauffement climatique, plusieurs territoires sont exposés à des phénomènes de stress hydrique : l’eau est rare.
L’accès gratuit aux premiers mètres cubes d’eau et à l’assainissement est un exercice difficile. Je l’ai dit, les collectivités locales et leurs établissements ont toute latitude pour mettre en place une tarification différenciée, en proposant notamment les premiers mètres cubes, qu’on appelle souvent « l’eau vitale », à des tarifs très bas.
Pour y avoir travaillé sur ma communauté de communes du Pays des Abers, je vous assure que l’exercice tient de la quadrature du cercle. La compétence y est exercée en régie directe depuis 2018, pour un territoire d’un peu plus de 40 000 habitants. Nous avons mis en place une tarification très faible sur les premiers mètres cubes et des tarifs progressifs sur les mètres cubes suivants. Plus on consomme, plus le mètre cube coûte cher.
Comment concilier tarification sociale, équilibre économique et préservation de la ressource ? Toucher à l’un des paramètres provoque un déséquilibre global.
L’alimentation en eau potable et l’assainissement sont des compétences des collectivités territoriales, qu’elles gèrent selon le principe de libre administration. Faisons leur confiance et laissons-les gérer leurs services en fonction des réalités de leurs territoires. Il ne peut y avoir de réponse unique et centralisée à tant de situations particulières. Le principe de subsidiarité doit prévaloir.