M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux d’abord saluer l’auteur de cette proposition de loi, Claude Malhuret, qui, comme toujours, a trouvé les mots justes pour évoquer le drame de la pauvreté et la question du RSA.
Je salue également le président du conseil départemental de l’Allier, Claude Riboulet, qui a pris l’initiative de cette expérimentation, ainsi que le rapporteur, Daniel Chasseing, toujours à l’écoute de ses collègues, qui a produit un travail méthodique, approfondi et pédagogique.
Je le dis sans détour : notre groupe votera cette proposition de loi qui a le mérite d’aborder plusieurs questions fondamentales pour l’équilibre de notre société.
C’est une petite loi en nombre d’articles, mais c’est une grande loi pour tous les sujets qu’elle met sur la table : le retour à l’emploi des allocataires du RSA, les freins et incitations au retour à l’emploi, l’accompagnement des allocataires, appelé aussi coaching, l’implication des départements et, bien sûr, le reste à charge qui pèse sur eux, la valeur travail et, enfin, l’indispensable coconstruction de cette politique par les régions et les départements.
En tant qu’ancien vice-président du conseil départemental du Nord chargé de l’insertion, je suis particulièrement sensible à ce sujet. Depuis 2015, la majorité départementale fait du retour à l’emploi des allocataires du RSA son principal cheval de bataille. Les résultats sont là : nous avons diminué de près de 20 % le nombre d’allocataires en cinq ans – de 120 000 allocataires, nous sommes passés à 103 000 foyers allocataires, ce qui reste malheureusement considérable.
Notre stratégie est simple : elle s’appuie sur des leviers similaires à ceux qui sont proposés par les auteurs de ce texte, à savoir un accompagnement renforcé des publics ; la création d’un lien étroit avec le monde de l’entreprise et les acteurs de la formation professionnelle, notamment la région.
La présente proposition de loi s’inspire d’une initiative du département de l’Allier. Je salue le fait que le Sénat sache promouvoir au niveau national des initiatives de nos collectivités territoriales.
Le conseil départemental de l’Allier a relevé un paradoxe souvent répété : d’un côté, des entreprises qui peinent à trouver les compétences qu’elles recherchent ; de l’autre, de nombreux chômeurs qui ne trouvent pas d’emploi.
Je connais le président Claude Riboulet, c’est un homme engagé et novateur, et je pense qu’avec ce dispositif il a ouvert une brèche qu’il nous revient d’élargir à l’ensemble des départements. Tel est le sens de cette expérimentation.
D’ailleurs, cette initiative, saluée par de nombreuses entreprises locales, permet de répondre aux difficultés de recrutement et au caractère désincitatif de certaines aides sociales.
Déjà, lors de la discussion parlementaire du texte transformant le RMI en RSA, le législateur avait clairement en ligne de mire les désincitations à l’emploi et voulait faire en sorte que le travail paie plus et mieux. Cette question demeure très prégnante dans notre société.
Cette proposition de loi tend à renforcer cette logique, que nous partageons encore aujourd’hui. Le travail participe de manière importante à l’intégration de l’individu dans la société et je crois profondément à la valeur travail. Notre rôle, en tant qu’élus, est donc de mettre en place tous les dispositifs possibles pour inciter le citoyen à travailler et l’entreprise à embaucher. C’est l’objet de cette proposition de loi, qui permettra à des chômeurs de longue durée souhaitant s’engager dans une démarche de retour à l’activité de bénéficier, au-delà d’un soutien monétaire, de l’accompagnement dont disposent les allocataires du RSA. Cela facilitera donc leur intégration progressive au monde de l’entreprise.
L’ouverture de ce dispositif dès quinze heures travaillées est une bonne chose. Cela permettra à nos concitoyens les plus fragiles de remettre le pied à l’étrier. Introduire de la souplesse dans le temps de travail me semble essentiel.
Évidemment, cette proposition de loi ne peut pas tout, mais elle représente un pas supplémentaire vers une meilleure insertion des allocataires du RSA. Je pense qu’elle devra être renforcée à l’avenir par une complémentarité plus étroite entre régions et départements, notamment en matière de formation professionnelle.
Sans doute y a-t-il là une autre clé indispensable en faveur du retour à l’emploi des allocataires du RSA. Une coconstruction encore plus forte de cette politique de retour à l’emploi des allocataires du RSA entre départements et régions, qui exercent les compétences développement économique, emploi et formation professionnelle, est indispensable. C’est ce que font le département du Nord et la région des Hauts-de-France, présidée par Xavier Bertrand.
Bien sûr, beaucoup reste à faire pour permettre un accompagnement personnalisé et offrir à chaque allocataire la formation dont il a besoin pour trouver un emploi.
Aujourd’hui, la loi permet à un département de décider de conditions plus favorables que le droit commun, à condition qu’il en assume les conséquences financières.
Un autre apport de cette proposition de loi – une nouvelle brèche ! – est l’extension à cette expérimentation du principe de la compensation financière de l’État via la dotation globale de fonctionnement. Cela répond à de nombreuses questions des départements qui souhaitent s’engager dans ce dispositif.
Pour toutes ces nobles raisons, notre groupe votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toutes les initiatives pour soutenir les bénéficiaires des minima sociaux dans leurs démarches pour revenir vers l’emploi sont bienvenues.
Ces personnes rencontrent en effet de nombreux obstacles dans leurs parcours de réinsertion. Les freins identifiés relèvent de difficultés d’adaptation à l’entreprise, de repérage sur le marché du travail et de gestion administrative.
Mais ils peuvent également traduire des difficultés non professionnelles qui sont aussi bien relatives à la santé physique ou psychologique qu’au logement, difficultés mises en avant par près de 50 % des conseillers de Pôle emploi selon une étude de 2017.
Les transports jouent aussi leur rôle, ainsi que la difficile maîtrise du numérique.
Les difficultés sont aussi d’ordre financier, comme le constatent 75 % des conseillers de Pôle emploi.
Enfin, la question de la garde des enfants, notamment pour les familles monoparentales, et singulièrement pour les femmes qui les élèvent seules, qui sont nombreuses parmi les bénéficiaires du RSA, est une question prégnante.
Ces freins expliquent pourquoi les bénéficiaires du RSA sont très majoritairement sans emploi. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), seuls 11 % d’entre eux déclaraient exercer un emploi salarié à la fin de décembre 2016.
Enfin, ayant interrogé, ici même, en mars dernier, le directeur de l’Unédic pour savoir si, conformément à ce que j’entends ici et là, des études démontreraient que certaines personnes resteraient volontairement au chômage, je veux rappeler la réponse très claire que j’ai reçue : rien dans la littérature économique ne permet de conclure en ce sens.
Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat soutient donc et développe depuis longtemps des dispositifs pertinents pour aider les bénéficiaires de minima sociaux dans leur démarche de retour ou d’accès à l’emploi.
C’est le cas pour la proposition de loi débattue dans cet hémicycle en octobre dernier, permettant d’étendre l’expérimentation de l’initiative « territoires zéro chômeur de longue durée », initialement soutenue par l’association ATD Quart Monde, et en faveur de laquelle nous nous sommes positionnés.
En janvier dernier, nous avons par ailleurs défendu une proposition de loi visant à étendre le bénéfice du RSA aux jeunes de 18 ans à 24 ans. Inscrite dans la lignée de notre contre-budget proposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, elle a été rejetée par la majorité sénatoriale. Sa nécessité tend pourtant à s’imposer dans le débat public.
Pour mémoire, enfin, c’est sous François Hollande qu’ont été mises en place la prime d’activité ainsi que la garantie jeunes, plébiscitée par les acteurs de l’insertion. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous saluons donc l’intention de la présente proposition de loi de promouvoir une expérimentation destinée à favoriser le retour à l’emploi des bénéficiaires du RSA.
Nous ne sommes cependant pas convaincus par le dispositif proposé, qui nous semble passer à côté de l’objectif affiché. Si nous devons soutenir les bénéficiaires de minima sociaux dans leur démarche d’insertion professionnelle, cela ne peut se faire à n’importe quel prix.
Concernant la durée hebdomadaire de quinze heures mentionnée dans le texte, un effet d’aubaine est, par exemple, à craindre : il sera facile pour certains employeurs, dans certains domaines, de ne plus proposer que des contrats de très courte durée. Et nous ne voulons pas voir l’avènement d’un sous-contrat de travail destiné à des sous-salariés.
La durée minimale d’un contrat de travail à durée déterminée d’une durée d’un an pour le déclenchement du dispositif pose également problème. Être bénéficiaire du RSA, c’est être de toute façon éloigné de l’emploi depuis un long moment déjà : l’obtention d’un contrat de travail d’une durée d’un an est un objectif très ambitieux.
L’alternative de l’obtention d’un CDI pour bénéficier du dispositif me semble encore plus chimérique : accéder à un CDI, c’est être déjà inséré. Il n’y a aucune raison, dans ces conditions, de continuer à bénéficier du RSA.
Les réserves que nous exprimons sont d’autant plus conséquentes que des initiatives au service de l’objectif recherché ici existent déjà sur les territoires.
Les départements qui mènent des expérimentations en ce sens sont en effet nombreux. Dans les Landes, par exemple, nous donnons la possibilité aux bénéficiaires du RSA de « cumuler » ce minimum social avec des emplois saisonniers ainsi qu’avec des emplois d’aide à domicile.
Il s’agit de favoriser le retour à l’emploi, même ponctuel, des allocataires du RSA ; de leur permettre de se saisir d’une opportunité d’emploi saisonnier ou de remplacement sans voir leurs finances, déjà précaires, se déséquilibrer ; de trouver une opportunité d’insertion professionnelle favorisant l’inclusion sociale et le retour à l’emploi.
Le choix d’engager une démarche pérenne d’investissement social et professionnel s’impose dans de nombreux autres territoires.
Le « RSA saisonnier » existe ainsi également en Dordogne, en Gironde, en Meurthe-et-Moselle comme en Charente-Maritime. Dans la Marne, ce dispositif existe depuis dix ans au profit de près de 340 allocataires. Cela fait également dix ans que le Rhône mène une expérimentation en ce sens, pour favoriser notamment les activités saisonnières de vendange et de cueillette. On compte une centaine de bénéficiaires.
La crise sanitaire a amplifié cette dynamique. En avril 2020, le Lot-et-Garonne a ainsi mis en place une expérimentation de cumul avec un emploi « essentiel à la Nation » dans les secteurs de l’agriculture ou de l’agroalimentaire. Il en est de même dans l’Hérault ou encore dans l’Aude pour les vendanges.
Nous nous interrogeons donc : la présente proposition de loi prévoit-elle que les départements cités ici inscrivent également leur démarche dans l’expérimentation qu’elle tend à mettre en place ? Si tel est le cas, cela risque d’être particulièrement contraignant, voire contre-productif, au regard des spécificités du dispositif qui posent problème.
Nous craignons par ailleurs que l’efficacité de ce texte ne soit encore amoindrie, voire qu’il devienne contre-productif, au gré des amendements adoptés en séance.
C’est la raison pour laquelle nous attendons la suite des débats pour déterminer notre vote final, qui d’une intention d’abstention, pourrait glisser vers un vote contre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous propose que nous poursuivions la discussion générale jusqu’à son terme, soit jusque vers treize heures vingt. Nous entamerions alors l’examen des amendements à la reprise de la séance cet après-midi.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. Laurent Burgoa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Burgoa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier la présidente de la commission des affaires sociales, Catherine Deroche, ainsi que l’ensemble des membres de la commission, de la qualité de nos débats sur cette proposition de loi.
Après la loi Territoires zéro chômeur de longue durée, ce texte traite d’un défi important et qui le sera malheureusement de plus en plus : celui du retour à l’emploi. À travers lui, il s’agit bien sûr de l’émancipation de nos concitoyens.
Lorsqu’on évoque le marché de l’emploi, c’est souvent sous son aspect économique, et, trop souvent, on oublie de rappeler qu’il permet à chacun de trouver sa place dans notre société et de s’y épanouir.
Aujourd’hui, avec la remise en cause du salariat, nous parlons de plus en plus d’« uberisation » et les carrières au sein d’une seule et même entreprise sont de plus en plus rares, tant les parcours professionnels sont décousus. Il nous faut donc lutter contre ce que certains appellent les « trappes à inactivité ».
Nous le savons, plus une personne reste longtemps inactive, plus il est difficile pour elle de retrouver un travail.
Les chiffres communiqués par notre rapporteur sont explicites : à la fin de 2019, nous indique la Drees, 61 % des bénéficiaires du RSA étaient allocataires depuis au moins deux ans, 37 % depuis au moins cinq ans et 16 % depuis au moins dix ans.
Après l’adoption de différents amendements et de longs débats en commission, ce dispositif, proposé à titre expérimental dans les départements volontaires, permet aux allocataires du RSA de cumuler les revenus d’une activité salariée et le RSA pour une durée de neuf mois, dans la limite d’un plafond fixé par décret.
J’apprécie l’esprit de cette proposition, car elle n’est pas dans la verticalité. Elle se fonde sur le principe du volontariat et, surtout, elle nous vient d’une demande du terrain. Je tiens, pour cela, à remercier notre collègue Claude Malhuret.
Le coût du dispositif, pour les départements, ferait l’objet d’une compensation financière par l’État dans les conditions applicables au financement du RSA.
Madame la ministre, alors que l’État est loin de respecter un principe cher au Sénat, à savoir « qui décide paye », il est peu probable que Bercy accepte de faire droit à ce vœu qui serait, pourtant, un bel exemple de différenciation dans l’attente de l’examen de la loi 4D.
Nous avions des doutes, mais ces derniers ont été levés par notre rapporteur, Daniel Chasseing, non sans pédagogie et avec une grande sagesse.
Aujourd’hui, nous avons donc la garantie que le bénéficiaire sera bel et bien inscrit à Pôle emploi comme demandeur d’emploi. Cela nous assure qu’il pourra être accompagné par le service public, mais aussi que ce dispositif aura bien une vocation d’intermédiaire.
Également, afin d’accompagner ces personnes, un tuteur sera désigné en entreprise.
Afin de permettre plus de flexibilité – et d’espérer plus d’offres d’emploi –, nous ouvrons la possibilité de déroger au temps de travail minimal pour les contrats à temps partiel, passant ainsi de vingt-quatre à quinze heures hebdomadaires. En effet, ce dispositif vise à permettre aux bénéficiaires de remettre un pied à l’étrier ; un maximum d’offres sont les bienvenues.
Et puis, nous nous assurons – c’est un point important à mes yeux – que le travail reste évidemment plus avantageux, et donc que le bénéficiaire ne pourra pas percevoir la prime d’activité pendant cette période de maintien du RSA. Cette modification a aussi le mérite – et pas des moindres – d’entraîner une économie pour l’État puisqu’il finance la prime d’activité.
C’est donc assuré de toutes ces garanties que je voterai, avec mon groupe, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot et M. Olivier Henno applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les collectivités départementales, compétentes en matière d’insertion sociale et professionnelle des allocataires du RSA, ont multiplié les initiatives et expérimentations.
Notons tout d’abord que la baisse du taux de couverture par l’État de cette prestation de solidarité, malgré son caractère dynamique dont témoigne la hausse de 9 % des allocataires en 2020, contraint la part des budgets départementaux consacrée à l’accompagnement et à l’expérimentation. Je prends note, madame la ministre, qu’il est proposé de desserrer ces contraintes à l’avenir.
Notons aussi que les nombreuses expérimentations souffrent d’une quasi-absence d’évaluation sérieuse et la multiplication des initiatives sans réelle analyse de leurs impacts sociaux à moyen terme ne permet pas d’en tirer des enseignements.
Dans ce contexte, le texte que nous examinons aujourd’hui, même si l’on ne peut contester son objectif, s’appuie cependant sur des diagnostics biaisés, relevés par beaucoup de chercheurs et d’associations entendus en audition.
Le premier est l’analyse des freins principaux à la reprise d’une activité des allocataires.
Ceux-ci nous paraissent relever principalement non pas de la désincitation financière à une reprise d’emploi, sinon pour une extrême minorité, mais du cumul des difficultés objectives – santé, mobilité, qualification, logement –, obstacles auxquels s’ajoute un minimum monétaire trop bas qui maintient en situation de pauvreté, voire d’extrême pauvreté. Dès lors, un cercle vicieux s’installe, qui voit l’énergie de l’allocataire se concentrer non sur la sortie du dispositif, mais sur sa propre survie. La pauvreté monétaire : voilà la véritable trappe à la reprise de l’activité !
Garantir un revenu décent ouvre sur l’emploi, comme l’ont établi Esther Duflo et, depuis longtemps, les associations travaillant au plus près de ce public.
Ce que nous devrions expérimenter, c’est l’intensification d’un accompagnement global et personnalisé, levant les freins dits « périphériques », dès l’inscription, tout comme un revenu minimal qui garantirait les besoins fondamentaux pour retrouver la capacité à se projeter dans une activité.
Une majorité d’allocataires veulent retrouver leur place dans la société, au-delà du froid calcul financier que suppose cette proposition de loi, d’autant qu’un mécanisme de gain au travail existe déjà dans le dispositif de la prime d’activité, revalorisée dernièrement à la suite du mouvement des « gilets jaunes ». D’ailleurs, plus de 10 % des bénéficiaires de la prime d’activité sont au RSA.
Le deuxième biais est du côté de l’offre de travail. Cette proposition de loi s’appuie sur le projet consistant à faire correspondre des emplois vacants avec des allocataires remobilisés par un cumul prétendument plus incitatif que la prime d’activité.
Le problème est double : les emplois vacants souffrent souvent d’un problème structurel d’attractivité, puisqu’ils ne trouvent pas preneurs, y compris auprès des personnes sans difficultés particulières ; le dispositif les rend ainsi artificiellement et temporairement attractifs, en proposant de relever le taux horaire d’un temps partiel par ailleurs contraint par le SMIC, et risque de créer des distorsions avec les travailleurs en place. Au bout d’un an, le retour au droit commun renouera avec la situation d’emplois « inattractifs » de par leurs conditions globales.
L’effet d’aubaine pour les employeurs n’est pas à négliger et le dispositif ne garantit pas des emplois durables non précaires.
À des emplois vacants, nous préférons une démarche d’adaptation des emplois à ce public, voire des créations d’emplois aidants répondant aux besoins non couverts au plus près des territoires.
Faute d’expérimenter d’autres voies, comme un revenu garanti décent, des mesures concrètes à la levée des freins, des emplois utiles et adaptés, ce texte ne vaut que par son intention. Le groupe écologiste votera contre. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi du groupe Les Indépendants – République et Territoires, s’inspirant d’une initiative du département de l’Allier, vise, au travers de ses deux articles, à mettre en place une expérimentation pour quatre ans.
Il s’agirait de permettre, dans les départements volontaires, « aux allocataires du RSA de cumuler les revenus d’une activité salariée et le RSA pour une durée d’un an, afin de favoriser les démarches de retour à l’emploi et de les sécuriser ».
En octobre 2020, quelque 2,07 millions de foyers étaient bénéficiaires du RSA et 4,49 millions de foyers étaient éligibles à la prime d’activité. Près des deux tiers des bénéficiaires du RSA l’étaient depuis plus de deux ans.
La hausse des dépenses de RSA entre 2019 et 2020 se chiffre à 9,2 %. De plus, à la fin de septembre 2020, le nombre de bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) s’élevait à 380 400 personnes, en hausse de 10,7 % en cinq mois.
Ces quelques chiffres permettent de mieux cerner les publics ciblés par le présent texte.
L’intention – créer un dispositif venant compléter la palette d’outils existants – est louable. En outre, la commission a étoffé cette proposition de loi en dérogeant à la durée de travail hebdomadaire minimal et en suspendant le bénéfice de la prime d’activité. Toutefois, quel serait l’impact réel de ce texte pour les Français concernés ? Les membres de notre groupe s’interrogent pour quatre raisons.
Premièrement, le cumul entre RSA et salaire des saisonniers est déjà expérimenté dans de nombreux départements. Il permet aux bénéficiaires du RSA de continuer à percevoir l’allocation tout en ayant un salaire, pour une durée allant de deux à six mois selon les cas.
Ce cumul des revenus d’activité et du RSA s’est développé, tout particulièrement dans le contexte de pandémie de coronavirus. À cet égard, les départements utilisent leur droit à expérimenter afin d’atteindre un double objectif : assurer que l’accès à un emploi saisonnier ne mette pas en difficulté le salarié a posteriori et permettre aux secteurs en tension de trouver des personnes intéressées pour y travailler.
Deuxièmement, au sein de l’entreprise, une telle expérimentation crée un risque d’iniquité de taux horaire entre une personne employée via le dispositif, cumulant ainsi un salaire lié au contrat de 15 heures avec le RSA, et un autre employé dont le salaire est calculé uniquement sur la base de 35 heures. Cette situation, qui peut être source de tensions au sein des entreprises, doit être prise en compte.
Troisièmement, ce texte ne prévoit pas de suivi particulier pour les personnes visées par le dispositif, hormis celui imaginé à la genèse du RSA et renforcé sous ce quinquennat. Or, si le but est de favoriser le retour dans l’emploi des bénéficiaires du RSA, il aurait semblé pertinent d’assurer le maintien de ces derniers dans l’emploi.
En outre, la proposition de loi ne prévoit pas de mécanisme transitoire assurant la poursuite de l’emploi pour les bénéficiaires. Très concrètement, si, dans le cas du CDD d’un an, le dispositif se termine en même temps que le contrat, aucun outil n’est prévu pour s’assurer que le salarié ne perd pas les bénéfices de l’expérimentation en s’éloignant de l’emploi.
Quatrièmement et enfin, d’autres mesures ayant le même but sont déjà mises en œuvre. Je pense notamment au dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », dont nous avons voté l’extension il y a quelques mois dans cet hémicycle, conformément aux vœux de notre groupe ; au service public de l’insertion et de l’emploi (SPIE) ; aux 150 000 parcours emploi compétences (PEC) que l’État envisage de déployer en 2021 ; ou encore à l’insertion par l’activité économique (IAE).
Notre groupe a toujours été très favorable aux initiatives locales, car elles se révèlent souvent pertinentes ; mais les raisons que je viens d’énumérer, couplées à l’affaiblissement de l’articulation entre le RSA et la prime d’activité et à une politique difficile à chiffrer, nous conduiront, pour la plupart d’entre nous, à nous abstenir !
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi revient aux sources de la création du RSA en 2008 et notamment à son objectif initial : promouvoir les « solidarités actives ».
Différentes mesures ont visé à éliminer les désincitations à l’emploi et à faire en sorte que le travail paie davantage que l’inactivité. Mais, si l’articulation de la prime d’activité avec le RSA est vertueuse – elle permet d’éliminer l’essentiel des « trappes à inactivité » –, la logique incitative n’a pas été atteinte.
Les bénéficiaires du RSA, majoritairement sans emploi, ont pour la plupart plus d’un an d’ancienneté en tant qu’allocataires. Or, plus cette ancienneté s’allonge, moins ils ont de chances de s’en sortir.
Au préalable, ce dispositif s’inspire d’une initiative menée par le département de l’Allier. Nous ne pouvons que nous réjouir de la vitalité de nos territoires, qui agissent comme force de proposition : toutes les expérimentations venant du terrain sont intéressantes et méritent que l’on s’y attarde, en particulier en matière d’insertion professionnelle. Il s’agit là d’un parfait exemple de la différenciation promise dans le futur projet de loi 4D, qui se fait décidément attendre.
Pour ce qui concerne la proposition de loi en elle-même, le constat dressé par M. le rapporteur fait consensus : la peur de perdre les aides, notamment le RSA, compromet le retour à l’emploi.
Ce texte permet ainsi de mieux soutenir la transition des allocataires du RSA vers l’emploi : ces derniers pourraient être embauchés par des entreprises tout en conservant le bénéfice de leur allocation pendant une durée d’un an.
Le coût du dispositif serait compensé par l’État, sans reste à charge des départements, qui, en majorité, sont asphyxiés financièrement.
Ce dispositif viendrait compléter les mécanismes existants – je pense notamment à l’initiative « territoires zéro chômeur de longue durée », sur laquelle nous avons récemment eu l’occasion de nous prononcer – et favoriserait la démarche d’insertion des bénéficiaires.
Cette proposition de loi a également bénéficié des apports de la commission des affaires sociales, qui a notamment remplacé la condition de privation d’emploi par une condition d’ancienneté minimale d’un an dans le RSA pour cibler un public réellement en difficulté.
De même, la suspension du bénéfice de la prime d’activité pendant la période de maintien du RSA permettra de limiter les éventuelles distorsions introduites par le dispositif.
Je salue donc ce texte, qui contient plusieurs avancées. Si François Mitterrand disait, en son temps, que « contre le chômage on a tout essayé », cette proposition de loi est bien la preuve que nous pouvons encore agir pour favoriser l’insertion dans l’emploi des chômeurs de longue durée.
Après le revenu minimal d’insertion (RMI) de Michel Rocard, à l’origine, puis le RSA de Martin Hirsch, cette expérimentation est un pas de plus dans cette démarche solidariste qui puise son inspiration chez Léon Bourgeois, dans l’esprit d’un « quasi-contrat ». Tout ce qui encouragera la contribution volontaire des bénéficiaires du RSA pour reprendre un rôle plus actif dans la société leur permettra de retrouver une dignité de citoyen engagé !
Avec un certain nombre de mes collègues du groupe du RDSE, je voterai donc pour cette proposition de loi quand d’autres s’abstiendront, en attendant que le Gouvernement reprenne le dispositif ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et INDEP.)