compte rendu intégral
Présidence de M. Pierre Laurent
vice-président
Secrétaires :
M. Loïc Hervé,
Mme Marie Mercier.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Michel Berson, qui fut sénateur de l’Essonne de 2011 à 2017.
3
Orientation de l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux
Discussion et retrait d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Indépendants – République et Territoires, la discussion de la proposition de loi visant à orienter l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 385, résultat des travaux de la commission n° 502, rapport n° 501).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 30 juillet 1953, le Congrès des États-Unis adoptait le Small Business Act. Il s’agissait, pour l’administration Eisenhower nouvellement installée, d’affirmer une priorité politique forte : placer les petites et moyennes entreprises au cœur du modèle de développement économique et social. Cette initiative a surtout fait de la commande publique un levier d’action stratégique, au service de la souveraineté nationale.
Depuis, les États-Unis n’ont raté aucun virage technologique. Et pour cause : la loi-cadre de 1953 a déployé ses pleins effets sur le temps long. Encore aujourd’hui, l’avance américaine repose pour une large part sur la robustesse de son tissu de PME et d’ETI. Idem en Allemagne, où l’excellence industrielle tient bien plus aux savoir-faire techniques du Mittelstand qu’aux performances financières des grands groupes.
En France, la politique économique n’a jamais mis ce tissu d’entreprises au cœur de ses préoccupations. C’est pourquoi nous n’avons pas su développer sur le plan industriel, grâce à un financement à la juste hauteur, toutes les innovations que notre recherche fondamentale a su révéler sur le plan scientifique. Là se trouvent, me semble-t-il, nombre des raisons de notre décrochage. La crise sanitaire aura au moins eu le mérite de remiser – espérons-le ! – quelques idées fausses qui avaient la vie dure. Je pense ici à la lubie de la « France sans usines », répétée ad nauseam au cours des dernières décennies, une petite musique qui nous intimait que le pays serait plus fort dans la mondialisation s’il se privait de son appareil de production.
Que de temps perdu, que d’innovations manquées, que de virages technologiques ratés à cause de cette doxa ! Nos difficultés à produire des masques, puis notre incapacité à élaborer un vaccin nous ont définitivement convaincus du contraire. C’est heureux, d’une certaine manière, mais ce n’est pas suffisant.
La nécessité de réindustrialiser notre pays fait désormais consensus. Il y va de notre souveraineté nationale, et le Gouvernement a bien pris la mesure de ces enjeux.
Une part importante du plan de relance concourt d’ailleurs à cet objectif, avec notamment la baisse des impôts de production, à hauteur de 10 milliards d’euros par an. Le plan de sauvetage de l’économie, mis en œuvre en début de crise, visait déjà la préservation de notre tissu d’entreprises.
Le groupe Les Indépendants a soutenu cette approche. Sans entreprises, point de reprise ; c’était donc la bonne chose à faire. Mais, ce faisant, nous avons créé un paradoxe économique sans précédent, lequel, avec un peu de recul, apparaît flagrant.
D’une part, nos finances publiques n’ont jamais été aussi dégradées qu’en 2020, avec à la fois une augmentation massive des dépenses et une diminution massive des recettes. Résultat : une hausse spectaculaire de notre endettement public de 20 points de PIB en un an à peine.
D’autre part, l’épargne privée aura bondi de 200 milliards d’euros d’ici à la fin 2021. En cause : la conjonction des mesures de restrictions sanitaires et de soutien à l’économie, les premières ayant pesé sur la consommation des Français, les secondes ayant préservé leurs revenus.
Autrement dit, jamais la dette publique n’a été si élevée ; jamais l’épargne privée n’a été si élevée. Face à ce paradoxe historique, nous devons éviter de percuter deux écueils.
Le premier, c’est de faire nôtre la maxime d’Henri Queuille : « Il n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par résoudre… » De nombreuses raisons pourraient en effet nous inciter à ne rien faire : craindre que le risque de l’action ne soit finalement supérieur à celui de l’inaction ; continuer à croire que les acteurs déjà en place font très bien leur travail, et qu’il serait malvenu de remettre en question l’équilibre des choses ; espérer enfin que « la vie d’avant » finira par reprendre son cours, et que tout continuera d’aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Le second écueil, c’est de croire que toutes les solutions aux problèmes seront incubées au 139, rue de Bercy à Paris. Nous voulons tous, au Sénat, que nos politiques économiques soient conçues à destination, mais aussi à partir de nos territoires.
Mes chers collègues, j’ai cru utile d’en passer par cette longue introduction pour vous parler plus précisément de la proposition de loi que je soumets à votre examen.
Ce texte n’est pas un texte de circonstances. Il est le fruit d’une longue réflexion personnelle, nourrie d’expériences professionnelles en France, aux États-Unis et en Asie, et surtout d’échanges avec les vrais faiseurs du terrain. La crise actuelle nous oblige à repenser de façon plus holistique notre avenir économique. Face au défi climatique, les besoins d’investissement sont massifs pour accélérer la transition écologique, et le temps presse.
Car l’inaction climatique coûte plus cher que la prise de mesures fortes, comme l’ont encore récemment confirmé, dans une étude parue à la fin du mois de mars, 738 économistes de l’Institute for Policy Integrity de l’université de New York. Il nous faut redoubler d’efforts.
Je vous propose donc de mobiliser l’épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, afin de stimuler à la fois la relance économique et la transition écologique, en mode décentralisé. Le dispositif comporte deux volets : d’une part, des ressources ; d’autre part, des dépenses.
Côté ressources, je vous propose d’instaurer un nouveau produit d’épargne réglementée, sur le modèle du livret A. Ce « livret de développement des territoires » doit permettre à tous les Français qui le peuvent et qui le souhaitent de savoir que leur argent contribue à financer la réindustrialisation en stimulant les écosystèmes locaux et les emplois y afférents.
Côté dépenses, je propose que ces fonds souverains constituent de nouvelles ressources d’investissement à la disposition de chaque région qui en ferait la demande, sur son territoire.
Le mécanisme s’appuie donc sur des savoir-faire existants : d’une part, la collecte de l’épargne par le réseau bancaire, qui pourra proposer un nouveau produit, déplafonné, et dont la rémunération dépendra de celle du livret A ; d’autre part, des élus locaux qui utiliseront la commande publique pour stimuler des écosystèmes d’innovation, faire émerger et consolider des « verticales industrielles », en développant des projets d’infrastructures et en déployant des solutions de transition écologique.
Mais cette solution se fonde surtout sur une vision dynamique de la dépense publique, qui stimule le cercle vertueux croissance-emploi. Cette vision s’oppose à une lecture trop comptable, qui ne perçoit l’investissement que comme une dépense.
Les débats en commission ont soulevé d’importantes questions techniques. Elles sont intéressantes et nous allons pouvoir en débattre aujourd’hui.
J’en profite pour remercier M. le rapporteur pour le temps qu’il a bien voulu consacrer à l’étude de ce texte. Je regrette simplement qu’il n’ait pas fait de propositions, arguant tantôt de vices de conception technique, tantôt du si fameux article 40 de la Constitution. En tout état de cause, si j’ai compris ce que vous ne vouliez pas, monsieur le rapporteur, je n’ai toujours pas compris ce que vous vouliez !
Mon collègue Emmanuel Capus vous présentera tout à l’heure plusieurs amendements qui devraient répondre à certaines de vos légitimes craintes en sécurisant le dispositif et en étendant son champ d’application.
Je reviendrai simplement sur le principal argument que vous avez opposé au mécanisme proposé, à savoir son présumé manque d’intérêt pour les collectivités. Les régions qui recourraient au dispositif pourraient emprunter à un taux garanti dans la limite du double du taux du livret A.
Dans le contexte actuel de taux bas, le Gouvernement a fait le choix de fixer le taux du livret A au-dessus du marché, à 0,5 %. Dans le dispositif que je vous propose, les régions pourraient donc emprunter à des taux inférieurs à 1 %.
Or, nous dit-on, les régions se sont financées en 2020, pour leurs crédits à long terme, à un taux moyen de 0,58 % sur les marchés, et les collectivités locales dans leur ensemble à 0,56 %. Nous n’aurions donc nul besoin de solutions alternatives dans le contexte actuel, surtout pas à des taux garantis.
Mais souvent les taux varient, et « bien fol est qui s’y fie »… Selon votre propre source, monsieur le rapporteur – l’Observatoire de la dette des collectivités locales –, les taux étaient en 2018 de 1,10 % et en 2014 de 2,40 %. Le programme de stabilité, présenté hier par le ministre Olivier Dussopt, laisse entendre que Bercy envisage peut-être une remontée des taux.
En outre, la question n’est pas tant de savoir si les régions ont accès, pour financer leurs dépenses courantes, à de l’argent pas cher que de déterminer si, pour des projets innovants d’infrastructures, les acteurs institutionnels en présence proposent des financements abordables, de la dette à taux raisonnable pour rendre économiquement viables des projets gourmands en capitaux – je pense, par exemple, aux infrastructures de transport à l’hydrogène vert. C’est là que le bât blesse, pour les dépenses massives et/ou risquées qui préparent pourtant l’avenir de notre pays.
Je veux être claire : cette proposition de loi ne vise pas à apporter une solution conjoncturelle à un problème conjoncturel ; elle vise précisément à garantir aux collectivités une solution structurelle de financement. Je crois cet outil utile, notamment dans l’hypothèse d’une remontée des taux, dont nous voyons déjà les prémices sur les marchés.
John Fitzgerald Kennedy, le successeur à la Maison-Blanche d’Eisenhower, disait que « le meilleur temps pour réparer sa toiture, c’est lorsque le soleil brille ». Vous conviendrez avec moi, mes chers collègues, qu’il vaut mieux travailler à des solutions de financement lorsque les taux sont bas, plutôt que lorsqu’ils sont hauts.
C’est pourquoi je vous invite à adopter cette proposition de loi. Le Sénat aurait tort de la repousser au motif qu’elle ne fonctionnera pas, sans proposer d’alternative.
M. le président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Vanina Paoli-Gagin. Une part du surcroît d’épargne des Français doit financer les infrastructures. Nous devons relever le double défi de la dette publique et de la dette climatique.
Investissons dans la transition écologique afin d’inventer une croissance durable et renonçons à l’impasse de l’inaction, qui coûtera bien plus cher. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. Bruno Belin applaudit également.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en préambule, je dois dire que je ne goûte guère les propos de Mme Paoli-Gagin.
En tant que rapporteur, mon rôle n’est pas de partir d’une page blanche et de vous livrer ma vision d’hypothétiques fonds souverains régionaux, d’autant que les articles 40 et 45 de la Constitution sont très contraignants. Si vous avez à cet instant des regrets quant à votre texte, ma chère collègue, je vous invite de nouveau à le repenser et à nous en présenter une nouvelle version.
Cela étant dit, la proposition de loi soumise à notre examen prend appui sur deux constats partagés.
Le premier constat tient à la forte croissance de l’épargne des Français sous l’effet des mesures de confinement. Rien que pour 2020, la Banque de France estime le surcroît d’épargne à 110 milliards d’euros, dont plus de 42 milliards sont venus gonfler l’encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire.
Le second constat concerne le besoin de notre pays – État, collectivités locales et entreprises – d’investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.
À mon sens, nous devons toutefois garder en tête deux éléments.
D’une part, ce surplus d’épargne n’a pas vocation à être sanctuarisé : il faut souhaiter que la consommation reparte et que la relance soit au rendez-vous. Nous devrions donc constater une décollecte de cette épargne en sortie de crise.
D’autre part, les ressources collectées sur les livrets d’épargne réglementés ne « dorment » pas, mais sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles. Le livret A, comme vous le savez, permet de financer le logement social et d’accompagner le financement des investissements publics locaux.
À la lecture de son titre, cette proposition de loi m’a semblé une initiative intéressante à deux points de vue.
D’abord, l’objectif de permettre aux Français de donner du sens à leur épargne correspond à une aspiration forte de nos concitoyens, comme en témoigne le développement de nombreux labels d’investissement responsable.
Ensuite, le soutien aux fonds propres des entreprises constitue le principal cheval de bataille pour les accompagner dans la sortie de crise. Nous serons d’accord sur ce point : pour les PME en particulier, un appui au niveau régional est un élément de réponse utile, et je salue à cet égard les initiatives d’ores et déjà prises par plusieurs régions en ce sens, car des dispositifs existent déjà et sont utilisés par nos régions.
L’analyse du dispositif proposé a néanmoins sensiblement modifié mon appréciation initiale : le fonds souverain régional envisagé s’apparente, en réalité, à un simple mécanisme d’emprunt bancaire ouvert aux régions, tandis que la lisibilité de l’utilisation de l’épargne n’est pas plus évidente que pour l’actuel livret A.
Cette épargne serait collectée par le réseau bancaire, puis redistribuée sous forme de prêts, non pas en fonction des montants déposés sur ces livrets dans chacune de nos régions, mais en fonction d’une clé de répartition définie à partir du potentiel financier de chaque région.
Le dispositif s’articule autour de deux axes : la création d’un nouveau livret d’épargne réglementée en constitue la « partie haute » ; l’utilisation des encours collectés par les régions en forme la « partie basse ».
Sur la « partie haute », l’article 1er crée le « livret de développement des territoires », dont les caractéristiques reprennent en partie celles du livret A : une liquidité permanente pour les épargnants, une exonération fiscale et sociale des intérêts perçus et un fléchage de la ressource.
Cependant, deux différences significatives doivent être signalées : la rémunération est majorée au bout de cinq ans, tandis que la garantie de l’État n’est pas prévue. Il en résulte une majoration sensible du coût de la ressource, problématique lorsqu’il sera question d’envisager son utilisation.
Ensuite, 90 % des encours collectés devraient être prêtés aux régions volontaires, en fonction d’une clé de répartition fondée sur leur potentiel financier.
Le mécanisme appelle de ma part deux observations.
La première concerne son coût pour les finances publiques, qualifié de « prohibitif » par le Gouvernement. Deux effets se conjuguent : une exonération ponctuelle des retraits opérés en 2022 sur d’autres produits d’épargne pour abonder le nouveau livret et une dépense fiscale majorée en raison du taux bonifié par rapport au livret A. Pour un encours de 80 milliards d’euros, cela représente tout de même une centaine de millions d’euros par an.
La seconde observation concerne le fonctionnement du dispositif, qui n’est pas opérationnel en l’état. La promesse faite à l’épargnant en termes de liquidité permanente et de rémunération n’est guère compatible avec l’emploi imposé de la ressource. En dépit du fléchage de l’encours du livret de développement des territoires (LDT), aucune centralisation des fonds n’est prévue, ce qui aurait permis de mutualiser les risques et d’optimiser l’usage de la ressource, comme c’est le cas pour le livret A.
Malheureusement, les amendements déposés ne sont pas de nature à répondre à ces difficultés structurelles.
Sur la « partie basse », l’article 4 de la proposition de loi crée dans chaque région et collectivité à statut particulier un « fonds souverain régional », pour reprendre la terminologie employée.
Il convient à ce stade de lever une confusion pour assurer la clarté des débats : la proposition de loi n’institue pas, dans les régions, des fonds souverains au sens où on l’entend généralement, c’est-à-dire des structures ad hoc ayant pour objet principal d’investir dans des actifs.
En premier lieu, ces fonds souverains régionaux ne seraient pas dotés de la personnalité morale, ce qui les rendrait indistincts des régions du point de vue juridique et comptable.
En second lieu, plutôt que d’investir dans des actifs, ils auraient surtout pour fonction de financer les dépenses d’équipement des régions lorsque celles-ci sont compatibles avec les objectifs des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
Afin d’alimenter ces fonds, qui ne sont en réalité qu’une nouvelle ligne à leur budget, les régions pourraient mobiliser deux types de financement : d’abord, les ressources versées par les autres collectivités locales qui cofinancent les projets sur lesquels la région intervient ; ensuite, et principalement, une fraction de l’encours du LDT qui serait prêtée par les banques à un taux ne pouvant excéder le double de celui du livret A.
Dans la situation actuelle, le livret A servant un intérêt à 0,5 %, la banque pourrait prêter aux régions jusqu’à un taux de 1 %. Toutefois, au regard du coût de la collecte et de la garantie en termes de liquidité, il est évident que les prêts servis aujourd’hui atteindraient ce niveau de 1 %.
En résumé, ce ne sont pas des fonds souverains qui sont ici créés, mais bien un nouveau mécanisme d’emprunt bancaire au profit des régions afin de financer leurs dépenses d’équipement. Il n’y a là rien de très nouveau…
Cela étant dit, le dispositif proposé me semble présenter trois difficultés.
Premièrement, il introduirait un nouveau produit d’emprunt bancaire pour les régions alors qu’elles n’en ont pas besoin. L’Association des régions de France (ARF), que j’ai auditionnée, assure que ces collectivités n’ont aucun problème d’accès au crédit.
Deuxièmement, compte tenu des conditions de rémunération du LDT, le taux d’emprunt servi aux régions serait proche de 1 %, alors même qu’elles s’endettent actuellement à 0,58 % en moyenne. Je note même, pour l’exemple, que la région Île-de-France vient de lever un emprunt obligataire à taux négatif. Quel intérêt aurait-elle à se tourner vers le dispositif proposé ?
En conséquence, l’utilisation de ce dispositif coûterait cher aux régions, et il y a un risque évident qu’elles n’aient pas recours à cette ressource. Pour les banques, le risque serait ainsi de devoir rémunérer ces LDT sans trouver preneur. Comment un tel système pourrait-il fonctionner ?
Troisièmement, la nomenclature comptable ne permet pas actuellement de rendre compte des ressources et des emplois de ces fonds. Or, selon l’auteur de la proposition de loi, l’un des intérêts du LDT pour l’épargnant devrait être, notamment, de pouvoir constater concrètement l’impact de son placement sur le développement régional. Ce ne serait pas possible en l’état.
Si je n’ai pas été convaincu par le dispositif proposé, j’ai toutefois cherché, ma chère collègue, des pistes d’amélioration.
L’une d’elles aurait été, à mon sens, de constituer de véritables fonds souverains régionaux chargés de mobiliser l’encours du LDT localement, en octroyant des prêts ou en prenant des participations au capital des entreprises.
Outre le fait que les règles de recevabilité financière ne le permettaient pas, la faisabilité et l’opportunité d’un tel dispositif font aussi débat.
Concernant la faisabilité, il aurait fallu doter ces fonds souverains de capitaux propres leur permettant d’assumer leurs missions, ce qui coûterait 3 milliards d’euros aux régions.
Concernant l’opportunité, le droit permet déjà aux régions, en partenariat avec le secteur privé et dans le respect du droit de l’Union européenne, de constituer et de doter des fonds d’investissement ou de prendre des participations directes au capital de sociétés commerciales.
J’ai pu échanger avec les principaux acteurs concernés. Chaque fois, le même constat s’est imposé : le dispositif, tel qu’il est imaginé, ne fonctionne malheureusement pas et, surtout, l’objectif visé ne semble pas répondre aujourd’hui à une carence identifiée, notamment en termes d’accès des régions au crédit.
En conséquence, mes chers collègues, je vous propose de rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Olivia Gregoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance, chargée de l’économie sociale, solidaire et responsable. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise économique et sanitaire que nous traversons dessine incontestablement un paysage inédit, modifiant en profondeur les paramètres de notre économie, au premier rang desquels l’épargne des Français, qui, principalement faute de débouchés de consommation, a fait l’objet d’une importante accumulation depuis le premier confinement.
Cette épargne peut être mise au service de la relance de l’économie. Nous partageons tous ce point de vue, me semble-t-il.
Au cours des derniers mois, le Gouvernement a pu constater la pleine mobilisation des élus locaux et nationaux, désireux d’élaborer des solutions novatrices qui permettraient d’orienter ce supplément d’épargne vers nos entreprises pour leur permettre de rebondir plus facilement. Parallèlement, les budgets de l’État et des collectivités locales sont fortement sollicités et de nombreuses idées se font jour sur le thème d’un grand emprunt national.
Pour autant, la réflexion que nous devons porter sur l’épargne doit être menée au regard du contexte macroéconomique singulier dans lequel nous nous trouvons.
La crise que nous traversons n’est pas une crise financière ni même une crise bancaire : le contexte de taux d’intérêt très bas et d’offres de financement abondantes que nous connaissions avant la crise perdure, notamment grâce à l’action résolue de la Banque centrale européenne.
Je souhaite d’abord rappeler que les collectivités territoriales ont abordé cette crise dans une bien meilleure situation que celle qui prévalait au moment de la crise de 2008 et qu’elles bénéficient d’une offre de financement abondante, diversifiée et exceptionnellement peu onéreuse. Le taux moyen auquel les collectivités empruntent s’élevait ainsi en 2019 à 0,71 % et a continué à baisser en 2020 pour s’établir à 0,56 %. Cette tendance semble d’ailleurs se poursuivre sur l’année 2021, d’après les premiers chiffres dont nous disposons.
Dès lors, la très grande majorité des collectivités qui souhaitent, à juste titre, investir pour insuffler un nouveau dynamisme à leur territoire n’ont pas, à ce stade, de difficulté de financement par l’endettement qui les empêcherait d’y parvenir. Les collectivités qui veulent participer à la relance sont donc plus que bienvenues pour développer des projets d’investissement durables, en parallèle de ceux déjà menés par l’État !
Je n’ignore évidemment pas que certaines collectivités ont plus de difficultés que d’autres à se financer. Toutefois, l’épargne du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS), centralisée au sein du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations, dans son rôle de financement des territoires, répond déjà aux carences du marché privé pour financer certains besoins très ciblés. Il s’agit notamment du financement de certains projets de très long terme dans les domaines de la rénovation énergétique et des infrastructures.
Au contraire, le mécanisme que cette proposition de loi instaurerait, si elle était adoptée, mettrait à la disposition des collectivités une ressource bien moins intéressante que celles qui sont aujourd’hui à leur disposition.
En effet, le livret envisagé offre à l’épargnant un support parfaitement liquide et dont le capital et la rémunération sont garantis. Ces caractéristiques font de cette ressource une ressource très chère pour les collectivités et assez peu adaptée à l’investissement productif.
Cette ressource est très chère, car il faut rémunérer l’épargnant, à qui un rendement d’au moins 0,5 % est promis, mais aussi les réseaux de distribution et le fonctionnement du dispositif. En conséquence, elle devient bien plus chère qu’un prêt bancaire, par exemple, dont on a vu que les taux étaient historiquement bas.
Cette ressource est également peu adaptée à l’investissement productif, par ailleurs, car on ne peut pas financer les fonds propres des entreprises avec une ressource liquide et dont le capital est garanti. Si un fonds prend des parts dans une entreprise et que celle-ci perd de la valeur, il faudra rembourser l’épargnant, et cette dépense devra être assumée par la collectivité sur ses fonds propres.
Il me semble que nous sommes d’accord pour ne pas créer un tel risque pour les collectivités ni alourdir ainsi leurs charges.
C’est vrai, pendant la crise, les Français ont beaucoup épargné. La Banque de France relève que le taux d’épargne des ménages a dépassé 18 % en 2020, alors qu’il se situait plutôt autour de 14 % les années précédentes.
Une part de cette surépargne a vocation à être dépensée lorsque les possibilités de consommation seront pleinement rétablies.
C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que les Français ont privilégié des supports d’épargne liquide tels que les dépôts à vue ou le livret A. Ainsi, les livrets réglementés ont collecté près de trois fois plus de ressources depuis un an que l’année précédente. Toutefois, une part de cette surépargne ne sera pas résorbée par la consommation. La question se pose et se posera donc de savoir comment en orienter l’usage.
À cet égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite rectifier l’idée, souvent avancée, mais inexacte, selon laquelle cette épargne serait dormante, et qu’elle ne servirait pas l’économie. Ce n’est pas vrai, d’une part, parce que l’épargne déposée par les Français dans les banques contribue au financement de l’économie, et donc, des collectivités et des entreprises par l’intermédiaire du crédit bancaire et, d’autre part, parce que près de 60 % des livrets A et des LDDS sont centralisés au fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations qui finance déjà nombre de projets d’envergure dans les territoires, tels que le logement social, la politique de la ville et les projets d’investissement des collectivités.
En d’autres termes, le produit d’épargne consacré au financement des projets des territoires que la présente proposition de loi prévoit de créer existe déjà, et en quantité très abondante, puisqu’il s’agit du livret A.
Le Gouvernement partage toutefois votre souhait, qui est juste, d’orienter encore davantage l’épargne des Français vers les territoires. Il s’est mobilisé à cette fin dans le cadre de France Relance. Ainsi, Bruno Le Maire a demandé à la Caisse des dépôts et consignations de faire évoluer les conditions de mobilisation de la ressource du fonds d’épargne afin d’encourager le financement du secteur public local et de la transition écologique.
De plus, le lancement, le 19 octobre 2020, du label Relance a permis d’identifier les fonds d’investissement qui s’engagent à mobiliser rapidement des ressources nouvelles pour soutenir les fonds propres et quasi-fonds propres des entreprises françaises, cotées ou non. Via les supports d’épargne grand public, chaque épargnant peut donc contribuer au soutien de la reprise économique. En contrepartie du label, les fonds labellisés s’astreignent à effectuer un reportage semestriel dans lequel ils identifient la localisation territoriale de leurs investissements dans les PME et entreprises de taille intermédiaire non cotées.
Le premier trimestre d’existence de ce label a été un franc succès puisque, au 1er mars dernier, 147 fonds étaient déjà labellisés, dont une cinquantaine sont accessibles par les fonds d’assurance vie investis en unités de compte, pour un montant total de 13 milliards d’euros d’encours.
Enfin, l’action de l’État, coordonnée avec celle des régions, permettra d’apporter directement des financements en fonds propres aux entreprises. Avec l’appui de la Banque publique d’investissement, l’État abondera à hauteur de 250 millions d’euros des véhicules d’investissement privés, qui, aux côtés des régions, permettront de renforcer le capital des PME. L’abondement de l’État aura un effet de levier sur l’investissement privé, démultipliant l’impact de ces fonds suivant leur stratégie de gestion. Ces fonds privés pourront faire appel à l’épargne privée et être labellisés Relance.
Comme vous pouvez le constater, grâce à France Relance, nous allons plus loin pour affecter efficacement l’épargne des Français au bénéfice du dynamisme économique de nos territoires, ce qui démontre que, si les moyens employés diffèrent, nous partageons – et cela me paraît le plus important – la même ambition. (M. Didier Rambaud applaudit.)