Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. De façon générale, et pour répondre aux orateurs qui viennent de s’exprimer, notre intervention dans ce texte par voie d’amendement s’explique par des éléments de temporalité que je souhaite rappeler.
Le texte européen a été présenté le 15 décembre 2020, alors même que le projet de loi a été présenté le 8 ou le 9 décembre 2020. La France avait annoncé d’emblée qu’elle déclinerait les principes du texte européen sur la supervision des réseaux sociaux dans son droit national. Mais, par définition, il n’était pas possible de le faire avant la présentation de celui-ci.
Dès que nous avons eu le texte européen, le temps de l’analyser et de le retranscrire en droit français, nous avons déposé un amendement en séance à l’Assemblée nationale. Nous aurions préféré un autre calendrier, mais nous n’avions pas la main sur le processus européen.
Deux sujets doivent, selon moi, être traités aujourd’hui s’agissant du contrôle des contenus haineux.
Votre intervention sur les obligations de supervision renvoie plutôt à l’article 19 bis, me semble-t-il, monsieur Ouzoulias. Je veux en revanche répondre à Mme Bonfanti-Dossat sur la prétendue inutilité de l’article 19. Nous avions déjà eu l’occasion de débattre de ce point lors de l’examen de la proposition de loi sur les contenus haineux.
Un certain nombre de sites illégaux font l’objet d’un blocage par la justice française. Le processus est toujours le même : il faut plusieurs mois à la justice pour bloquer le site – nous avons tous en tête des exemples de sites aux contenus extrêmes –, mais il ne faut que vingt-quatre heures au contenu du site pour revenir en ligne de manière quasiment identique sous une autre extension.
Il y a donc une forme d’inefficacité ou en tout cas d’inadaptation de nos processus judiciaires pour des sites dont les contenus sont identiques ou quasi identiques.
Lors de la discussion de la proposition de loi Avia, le Gouvernement avait proposé que l’autorité judiciaire, à la suite d’une décision de justice, puisse demander aux hébergeurs et aux FAI de bloquer des sites similaires ou identiques aux sites bloqués par la justice. Certains avaient toutefois fait remarquer qu’une telle demande devait impérativement relever d’une décision judiciaire.
Nous considérons donc aujourd’hui que le juge peut déléguer à l’autorité administrative la capacité de bloquer des sites identiques à ceux qu’elle a décidé de bloquer, pour ne pas avoir à reprendre tout le mécanisme judiciaire, et avec évidemment un droit d’appel de la part des sites bloqués ou des FAI.
Je ne crois pas que l’absence de sanctions rende l’article inopérant, pour une raison simple : le Gouvernement français n’a pas aujourd’hui d’exemple de FAI ou d’hébergeurs ayant refusé d’appliquer des décisions de justice ou de l’autorité administrative. Ceux-ci le font systématiquement. La seule chose qu’ils demandent, c’est d’avoir une décision formelle, ce que l’on comprend très bien.
Nous proposons précisément de formaliser cette procédure, une avancée qui me semble absolument indispensable pour bloquer, dans le respect de la loi, un certain nombre de contenus que personne ici ne souhaite voir prospérer sur internet.
Je suis donc évidemment défavorable à ces deux amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 244 rectifié et 570 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 639, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° Au 8 du I de l’article 6, les mots : « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 » sont remplacés par les mots : « Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire, à toute personne susceptible d’y contribuer ;
II. – Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
aux personnes mentionnées aux 1 ou 2 du I du même I
par les mots :
à toute personne susceptible d’y contribuer
III. – Alinéa 8
Remplacer les mots :
l’autorité judiciaire peut être saisie, en référé ou sur requête, pour ordonner
par les mots :
le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. En l’état, la procédure de blocage des sites prévue à l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, tout comme celle des sites miroirs, prévue à l’article 19 du présent projet de loi, est trop restreinte, donc insuffisamment efficace.
Pour bloquer les sites miroirs, nous visons aujourd’hui les FAI et les hébergeurs.
Sans entrer dans le détail des considérations techniques, il suffit de modifier un certain nombre de dispositions dans votre navigateur pour rendre totalement inefficace le blocage des sites miroirs par les fournisseurs d’accès et les hébergeurs, quelles que soient les mesures légales en vigueur.
Un amendement insuffisamment finalisé a été présenté à l’Assemblée nationale par le député Éric Bothorel. Le Gouvernement en avait confirmé la nécessité, tout en appelant à le retravailler au plan légistique pour le stabiliser juridiquement.
Nous faisons en sorte aujourd’hui que la justice puisse enjoindre à toutes les personnes impliquées dans la procédure technique de bloquer les sites, de façon que la décision judiciaire soit réellement efficace.
Si nous nous contentons de viser les FAI et les hébergeurs, il sera très simple de contourner le blocage, et les décisions de la justice ne serviront à rien.
Mme la présidente. Le sous-amendement n° 680, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Amendement n° 639
Compléter cet amendement par un paragraphe ainsi rédigé :
… – Alinéa 9
Remplacer les mots :
aux 1 et 2 du I de l’article 6 de la présente loi au titre
par les mots :
au premier alinéa
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Il s’agit d’un sous-amendement de coordination avec la position de la commission.
Nous serions favorables à l’amendement du Gouvernement, à condition que l’on prenne en compte les surcoûts pour les fournisseurs d’accès comme Orange ou SFR, qui ne tirent pas de bénéfices de ces sites. Le Conseil d’État croit cette précision inutile, mais le Conseil constitutionnel a l’opinion inverse.
Un hébergeur ou un réseau social gagne de l’argent en fonction des contenus qu’il publie, y compris s’il s’agit de contenus haineux.
La demande de blocage d’un site nécessitera un travail pour le fournisseur d’accès, alors même que le site n’aura produit pour lui aucune ressource et qu’il n’a nullement la possibilité d’influer sur son contenu.
Mme la présidente. L’amendement n° 638, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Cette disposition revient finalement à émettre un avis défavorable sur le sous-amendement de la commission…
Madame la rapporteure, vous demandez que les surcoûts liés au blocage des sites par les FAI ou les autres intermédiaires techniques soient pris en charge par l’État.
Selon une jurisprudence du Conseil constitutionnel, dès lors que les surcoûts sont importants, ils doivent être pris en charge par l’État. Mais le Conseil d’État a indiqué que si les surcoûts étaient négligeables, ils pouvaient être laissés à la charge des FAI, des hébergeurs ou des autres intermédiaires techniques.
Le Gouvernement considère que le blocage d’un site ne représente pas un surcoût rédhibitoire ou dirimant pour l’ensemble des intermédiaires techniques, FAI et hébergeurs. Il ne nous semble donc pas justifié que l’État prenne ces frais à sa charge.
C’est pourquoi nous avons présenté cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission est favorable à l’amendement n° 639, sous réserve de l’adoption du sous-amendement n° 680.
Elle est, en revanche, logiquement défavorable à l’amendement n° 638.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Cédric O, secrétaire d’État. Par voie de conséquence, le Gouvernement est défavorable au sous-amendement n° 680, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Je profite de ce débat pour tenter d’obtenir une réponse à la question que j’ai posée en filigrane au garde des sceaux.
Si l’on se garde de toute idéologie, comme M. Dupond-Moretti le souhaitait tout à l’heure, de quels moyens l’État dispose-t-il réellement pour lutter contre la haine en ligne, notamment pour repérer ou traiter les signalements dont la croissance – 200 000 l’an dernier, beaucoup plus l’an prochain – est exponentielle ?
Trente et une personnes travaillent pour Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements ; six magistrats sont chargés de traiter l’ensemble des atteintes à la loi sur le net.
Je sais que les moyens ont augmenté. Il n’y avait, par exemple, que quatre magistrats spécialisés voilà peu ; on en compte donc désormais deux de plus. Toutefois, sommes-nous réellement outillés pour combattre la haine en ligne ? L’inflation législative n’est-elle pas un palliatif au manque de moyens effectifs pour repérer, traiter judiciairement et sanctionner ?
Le garde des sceaux ne m’a pas répondu sur ce point. Peut-être le ferez-vous, monsieur le secrétaire d’État.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Le Gouvernement et Mme Avia utilisent ce projet de loi sur le séparatisme pour réintroduire une proposition de loi largement censurée par le Conseil constitutionnel. Ce n’est pas le bon véhicule !
La censure des publications en ligne nécessite un travail de fond et une loi spécifique.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Madame Benbassa, une étude attentive de la décision du Conseil constitutionnel montre que seul l’article 1er de la loi Avia a été censuré sur le fond, pour non-respect du principe de proportionnalité.
Les articles 2 à 4 relatifs aux obligations de moyens, qui étaient les plus proches des dispositions figurant dans le texte que nous examinons aujourd’hui, ont pour leur part été censurés par voie de conséquence. Ils n’ont donc jamais été jugés au fond.
Un fait nouveau est par ailleurs intervenu entre-temps : la présentation des textes européens. On peut certes discuter de la pertinence de prétransposer un règlement européen – je suis disposé à en débattre avec vous –, mais, juridiquement comme politiquement, il me semble quelque peu rapide de soutenir que nous réintroduisons par la fenêtre le contenu de la loi Avia.
Monsieur Assouline, je ne pourrai pas apporter immédiatement des réponses précises à toutes vos questions, mais je souhaite vous livrer deux éléments.
Premièrement, le parquet numérique n’est pas seul compétent sur ces sujets. L’ensemble des parquets et des tribunaux français peuvent se saisir d’un certain nombre d’éléments, et il est donc faux de réduire à la section du parquet de Nanterre spécialisée sur le sujet le nombre de magistrats qui se consacrent à ces questions.
La plupart des jugements qui ont été rendus dernièrement, y compris après l’assassinat de Samuel Paty, ne l’ont d’ailleurs pas été par le tribunal de Nanterre. Nous pouvons certes avoir un débat plus large sur le nombre de magistrats, mais il dépasse le seul sujet du numérique.
Deuxièmement, s’agissant de Pharos, honnêtement, nous ne résoudrons pas le problème par une simple augmentation des effectifs.
L’irruption des réseaux sociaux et d’internet pose des questions principielles de conception et d’application du droit. Doit-on traduire en justice toutes les personnes qui contreviennent à la loi sur internet ? Nous ne pourrions pas le faire même si nous avions 2 500 magistrats affectés uniquement à cette tâche !
Si vous insultez ou menacez une fois quelqu’un dans la rue, le plus souvent, il ne se passe rien. En revanche, si vous insistez un peu trop, vous finissez devant la justice. On peut tous s’en réjouir, d’une certaine manière : le temps fait son affaire, et les paroles s’envolent.
En revanche, sur internet, la contravention à la loi reste en ligne, et elle est potentiellement accessible au monde entier. Elle peut être consultée par trois personnes en un an comme être subitement vue par 100 000 personnes, si elle est exhumée par quelqu’un qui compte beaucoup de followers.
Aussi, la gravité d’une insulte ou d’une atteinte à la loi dépend-elle du fait lui-même ou de sa visibilité et de sa propagation ? La deuxième réponse est plutôt la norme dans l’univers d’internet, mais cela pose un problème essentiel au regard de notre conception du droit.
Accepte-t-on collectivement de ne pas pouvoir tout régler ? Là encore, c’est un sujet extrêmement problématique.
Les magistrats ne sont pas encore assez nombreux, probablement. Monsieur le sénateur, nous appartenions tous les deux à la même majorité il y a quelques années, et nous n’avons sans doute pas fait assez. Ce gouvernement a agi, mais peut-être pas encore assez, et il faudra probablement encore augmenter leur nombre dans les années à venir.
Toutefois, nous ne réglerons pas ainsi le problème principiel de savoir ce qu’est le droit à l’heure des réseaux sociaux et d’internet. Les démocraties doivent mettre à jour leur cadre conceptuel, juridique, éthique et philosophique en fonction d’un outil qui, au fond, n’en est pas seulement un. Le Gouvernement doit prolonger sa réflexion sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je comprends parfaitement votre analyse, monsieur le secrétaire d’État, notamment sur la décision du Conseil constitutionnel. En effet, ces articles sont tombés à la suite de la censure de l’article 1er de la loi Avia et n’ont pas été jugés en tant que tels.
Sur le fond, je partage également votre analyse : nous ne pourrons pas tout régler par le droit.
En revanche, nous défendons ici au Sénat l’idée qu’il est possible de changer le modèle économique d’internet, notamment des Gafam, modèle qui repose sur l’économie de l’attention. Plus un sujet attire l’attention, notamment par la violence, l’exagération ou la diffamation, plus le débit est élevé, ce qui favorise, par le biais des algorithmes, l’attention des personnes connectées au réseau.
À plusieurs reprises dans cet hémicycle – je pense notamment aux propositions de la présidente Sophie Primas –, nous avions suggéré de mettre en place un autre système économique, fondé sur l’interopérabilité, qui consiste à défendre, au sein d’internet, des lieux où d’autres règles seraient favorisées, pour permettre aux usagers de distinguer les bonnes applications des mauvaises.
Je ne développe pas davantage, car c’est un sujet technique, mais cette piste me semble très intéressante, et je regrette que nous discutions de ces amendements au détour d’une loi qui ne concerne pas directement notre matière.
Si nous ne nous attaquons pas aussi au modèle économique, nous n’y arriverons pas !
Mme la présidente. En conséquence, l’amendement n° 638 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 609, présenté par MM. Mohamed Soilihi et Richard, Mme Havet, MM. Patriat, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin, Hassani, Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand et Patient, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
d’empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
reprenant le contenu du service visé par ladite décision en totalité ou de manière substantielle.
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Cet amendement de compromis vise à trouver une solution intermédiaire entre les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat sur la notion de site miroir.
Nous partageons l’objectif des rapporteures, à savoir ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté de communication.
L’Assemblée nationale avait doublement étendu la notion de site miroir, en mentionnant les contenus équivalant à tout ou partie du contenu du service visé par une précédente décision de justice, et non plus seulement les contenus reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service visé par la décision de justice.
La commission des lois du Sénat a souhaité, utilement, circonscrire le champ d’application de cette disposition.
Cependant, en prévoyant que l’autorité administrative ne peut apprécier de manière autonome le contenu des sites en question, il nous semble qu’elle est peut-être allée un peu trop loin et que la rédaction adoptée restreindrait de façon excessive la portée et l’efficacité du dispositif sur les sites miroirs.
Notre proposition se place donc dans une position intermédiaire entre la rédaction qui nous est arrivée de l’Assemblée nationale et celle qui a été adoptée par notre commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. La commission se range aux arguments de M. Bargeton et émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 19, modifié.
(L’article 19 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 19
Mme la présidente. L’amendement n° 179 rectifié bis, présenté par Mme V. Boyer, MM. Le Rudulier et Boré, Mme Goy-Chavent, MM. Bascher et Meurant, Mme Joseph, MM. Charon, Longuet et Bouchet, Mme Drexler, MM. Genet, Savary et H. Leroy, Mme Bourrat et MM. Segouin et Tabarot, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, après le mot : « humanité », sont insérés les mots : « y compris les crimes de génocide ».
La parole est à Mme Sabine Drexler.
Mme Sabine Drexler. Cet amendement de ma collègue Valérie Boyer vise à étendre les dispositions de la lutte contre la haine en ligne, en ajoutant à l’apologie des crimes contre l’humanité la négation et la banalisation des crimes de génocide.
Cette disposition imposerait notamment aux plateformes de lutter contre la diffusion de contenus niant le génocide arménien en ligne, dont la pénalisation reste inconstitutionnelle à ce jour.
En 1990, le législateur a fait du négationnisme un délit de presse. En adoptant la loi Gayssot, il interdisait de contester publiquement un ou plusieurs crimes contre l’humanité « tels que définis par le statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 ».
Conçue à l’origine comme une limite à la liberté d’expression, cette réponse pénale au mal irrationnel qu’est l’antisémitisme s’est cherchée pendant vingt-cinq ans, au gré des combats et inquiétudes de toutes parts. D’un côté, les rescapés de la Shoah qui, après avoir vécu l’invivable, devaient encore entendre, comble du vice, que leur calvaire n’avait jamais eu lieu. De l’autre, les historiens et chercheurs – ceux de bonne foi – qui s’inquiétaient d’être traînés en correctionnelle pour avoir exercé leur métier.
Le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait le principe, selon lequel « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Ce principe devenait officiellement une loi de la République avec la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. En reconnaissant l’existence du premier génocide du XXe siècle, la République française redonnait symboliquement au génocide arménien une place dans la mémoire collective de l’humanité.
Toutefois, si cette reconnaissance a pu être considérée comme un achèvement pour certains, nous devons désormais aller plus loin, pour éviter toute concurrence des mémoires et toute inégalité de traitement entre les victimes et leurs descendants.
La République se doit en effet de protéger l’ensemble de ses ressortissants. Nombre de descendants du génocide arménien ont trouvé refuge en France et sont Français. Face au négationnisme, y compris d’État, dont ceux-ci sont victimes, on doit s’en remettre non pas à l’arbitraire communautaire, mais bien à la justice de la République, pour garantir leur protection.
C’est pourquoi il faut rechercher les outils juridiques les plus adaptés permettant de donner toute sa portée à la reconnaissance du génocide arménien et, plus largement, de réprimer la négation de l’ensemble des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité, dans le strict respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. D’une façon générale, la commission a refusé d’étendre la définition des contenus haineux et d’ajouter telle ou telle cause, ce que chacun pourrait faire. Nous nous en sommes donc tenus au texte initial.
Je rappelle, en outre, que la pénalisation de la négation des génocides, en l’occurrence du génocide arménien, a déjà été rejetée deux fois par le Conseil constitutionnel – jamais deux sans trois, certes, mais ce n’est peut-être pas la peine d’essayer…
Enfin, je note que l’article 19 bis A du projet de loi prévoit déjà d’inclure le négationnisme.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de nous en tenir à la rédaction actuelle et j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 179 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 420 rectifié, présenté par Mmes Meunier, Monier et de La Gontrie, MM. Assouline, Marie et Magner, Mme Harribey, MM. Leconte et Féraud, Mme Lepage, M. Sueur, Mme S. Robert, MM. Kerrouche, Kanner, Durain, Bourgi, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Après le mot : « humaine », sont insérés les mots : « et au libre choix des personnes à disposer de leur corps » ;
2° La dernière phrase est complétée par les mots : « ainsi qu’à l’article L. 2223-2 du code de la santé publique ».
La parole est à Mme Marie-Pierre Monier.
Mme Marie-Pierre Monier. L’article 19 de ce projet de loi entend renforcer l’arsenal législatif contre la haine en ligne et les contenus haineux.
À cet égard, il convient d’apporter la plus grande attention aux atteintes aux valeurs de la République que représentent les tentatives d’entrave numérique à l’interruption volontaire de grossesse.
Nous visons spécifiquement les sites soupçonnés de pratiquer une désinformation sur l’avortement, sous couvert d’une approche neutre. Les conseils et informations dispensés aboutissent à ce que des femmes en recherche d’informations reçoivent des présentations biaisées, qui peuvent conduire à reporter ou mettre en doute leur souhait d’avorter. Les conséquences humaines pour la santé de la femme sont trop graves pour laisser faire.
En 2017, la majorité précédente avait décidé d’instaurer un délit d’entrave numérique contre les sites dispensant ces informations, mais, dans la pratique, les associations de défense des droits des femmes nous alertent sur la persistance des entraves à l’IVG permises par les brèches de l’édifice législatif et l’interprétation restrictive qu’en fait le Conseil constitutionnel.
Ainsi, aucun site de ce type n’a pu être condamné depuis la création de ce délit d’entrave numérique.
C’est un sujet sur lequel il conviendra peut-être de revenir par un autre véhicule législatif. En attendant, il nous semble opportun de réaffirmer, dans le cadre de cet article, la nécessité de garantir le libre choix des personnes à disposer de leur corps et de viser l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, afin que les nouvelles dispositions de l’article 19 soient applicables aux contenus entrant dans le cadre du délit d’entrave numérique à l’IVG.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Défavorable, pour les mêmes raisons que pour l’amendement précédent.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 250 rectifié sexies, présenté par MM. Malhuret, Chasseing, Guerriau, Lagourgue et Wattebled, Mme Mélot, M. Decool, Mme Paoli-Gagin, MM. A. Marc et Gold, Mme Vermeillet, MM. Kern, Fialaire, de Belenet, Cigolotti et Mizzon, Mme V. Boyer, MM. Bonne, Milon et Laugier, Mme Loisier, MM. Lévrier, Longuet, Mandelli et Burgoa, Mme C. Fournier, M. Charon, Mmes Drexler et Richer, M. Savin, Mme Puissat, M. Louault, Mme L. Darcos, MM. Brisson, Genet et Delahaye, Mme Saint-Pé, M. Klinger, Mmes Havet et Duranton, M. Buis, Mme Guidez, MM. Laménie, Saury et Yung, Mme Férat, M. Moga, Mme Di Folco, M. Bouchet, Mme Schillinger, M. Lefèvre, Mmes Demas et Billon, MM. Rojouan, Vogel, Levi, Chauvet et Meurant, Mme Herzog, MM. Rohfritsch et Longeot, Mme Doineau, MM. Verzelen, Menonville et Médevielle, Mme Guillotin, MM. Requier et de Nicolaÿ, Mme de Cidrac, MM. Bonhomme, P. Martin et Houpert, Mme Schalck, M. J.M. Arnaud, Mme Perrot, M. Capus, Mme Jacquemet et MM. Husson et Rapin, est ainsi libellé :
Après l’article 19
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 6 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …. Les personnes mentionnées au 2 du présent I sont civilement et pénalement responsables des informations qu’elles stockent pour mise à disposition du public, dès lors qu’elles effectuent sur ces informations un traitement par algorithme, modélisation ou tout autre procédé informatique, afin de classer, ordonner, promouvoir, recommander, amplifier ou modifier de manière similaire la diffusion ou l’affichage de ces informations, à moins qu’il ne soit chronologique, alphabétique, aléatoire ou fondé sur la quantité ou la qualité des évaluations attribuées par les utilisateurs. »
La parole est à M. Claude Malhuret.