M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mme de La Gontrie dit : « Oh ». Que le compte rendu des débats le note, car c’est très important… Toujours aimable !
Soit, partons de ces a priori : je suis un affreux liberticide et vous êtes la lumière de cet hémicycle !
M. Pascal Savoldelli. Attention, vous êtes ministre, désormais !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais, de la même façon que je n’ai pas dénié vos émotions s’agissant de Samuel Paty, je ne puis entendre que je serais devenu d’un seul coup le grand liberticide, le grand méchant loup !
J’ai dit au contraire, mais vous ne l’avez pas entendu, que j’avais justement pris toutes les précautions pour être au plus près des journalistes, de leurs représentants, des avocats et des patrons de presse.
L’article 20 en est d’ailleurs la démonstration, mais vous ne voulez pas l’entendre. Vous souhaitez au détour de ce débat vous présenter comme des chevaliers blancs protégeant la presse contre un méchant ministre voulant la museler. Il faut être sérieux, à un moment donné !
L’article 18 ne concerne en rien les journalistes. Il vise les gens qui propagent la haine et qui ne sont justement pas journalistes.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Évidemment !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’article 20 montre à l’évidence que les journalistes ont été mis de côté. Nous avons justement exploré le code de procédure pénale pour ne pas toucher à la loi de 1881. Aussi, de grâce, soyons sérieux ! Lisez l’article 18 et l’article 24 : vous verrez facilement comment ils s’articulent ; ils sont tellement différents, c’est une évidence.
Je le dis pour la dernière fois, même si je n’entends pas vous convaincre, car vous n’avez pas envie d’être convaincus : vous souhaitez faire à l’article 18 le même bruit qu’autour de l’article 24, avant que celui-ci ne soit réécrit. C’est votre responsabilité, assumez-la !
Je vous le dis très clairement, vous n’avez pas le monopole de la sauvegarde de la liberté de la presse dans ce pays : j’y suis, ne vous en déplaise, et souffrez de l’entendre, particulièrement attentif !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je demande la parole !
M. Fabien Gay. Moi aussi !
Mme la présidente. Madame de La Gontrie, monsieur Gay, je ne puis vous donner la parole sur les amendements, puisque vous êtes déjà intervenus pour explication de vote. Par ailleurs, je vous rappelle que les faits personnels interviennent à la fin de la séance.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je souhaite faire un rappel au règlement, madame la présidente !
Rappel au règlement
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je souhaite évoquer la tenue de nos débats.
Nous travaillons de manière austère et très impliquée depuis plusieurs jours et plusieurs nuits. Je souhaiterais, indépendamment de l’animosité que le garde des sceaux peut ressentir à l’égard de tel ou tel,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. … afin de ne pas en faire un fait personnel, qu’il soit possible, en tant que parlementaire, d’intervenir ici sans que soient utilisés des qualificatifs grossiers ou insultants.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Voilà, vous en faites une parfaite démonstration !
Le président de mon groupe, ici présent, le rappellera peut-être tout à l’heure, mais je ne puis, en tant que parlementaire, à chaque séance, parce que vous êtes au banc du Gouvernement, parce que je ne suis pas forcément d’accord avec vous, faire l’objet de propos grossiers.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je souhaiterais donc que cela cesse.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Je veux rappeler au Gouvernement comme aux sénateurs présents dans l’hémicycle qu’il n’est pas de bon usage pour nos débats d’interrompre les orateurs. Chacun dispose d’un temps de parole de deux minutes et demie et chacun doit écouter les autres calmement. Le Gouvernement peut intervenir à tout moment.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a des caricatures qui ne sont pas conformes à la réalité.
Depuis plusieurs semaines, Mme Marie-Pierre de La Gontrie met l’accent sur les problèmes de compatibilité entre l’article 24 de la précédente loi et l’article 18 du présent texte. C’est un débat de fond.
À cet égard, monsieur le garde des sceaux, je voulais vous dire - très calmement, vous le voyez - que notre groupe a beaucoup réfléchi sur cet article 18.
M. Jean-Pierre Sueur. La vie privée des journalistes mis en cause est une vraie question.
Vous aurez sans doute observé, monsieur le garde des sceaux, que notre groupe n’a pas proposé de supprimer l’article 18. Nous avons simplement déposé un amendement de précision, sur lequel nous reviendrons tout à l’heure, auquel nous attachons une extrême importance, parce qu’il vise justement à interpréter l’alinéa précédent dans un sens qui préserve la liberté de la presse.
C’est pourquoi je crois qu’il n’y a pas lieu d’avoir des débats outranciers ; il y a lieu simplement d’examiner les textes, ainsi que notre position, qui n’est en rien caricaturale.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Sans vouloir allonger les débats, je voudrais tout de même revenir sur deux points.
La commission des lois et le Sénat, tenant compte des difficultés rencontrées, ont élaboré une nouvelle rédaction de l’article 24 du projet de loi Sécurité globale, confirmée par les députés et les sénateurs en commission mixte paritaire. Elle offre l’avantage parfait de sortir de la discussion le texte de 1881, répondant ainsi clairement à la problématique des journalistes évoquée précédemment.
Mme la rapporteure Dominique Vérien a excellemment démontré la compatibilité entre l’article 18 du texte que nous examinons et cet article 24. Je n’y reviens pas, car les choses sont parfaitement claires.
En ce qui concerne le cas particulier des journalistes, je vous invite sincèrement à relire l’article 18, en particulier son alinéa 5, qui les exclut clairement des dispositions, en indiquant qu’ils restent, quelle que soit la situation, sous le régime de la loi de 1881.
Sincèrement, il n’y a pas à faire de polémique sur ce point. Les rédactions sont parfaitement rassurantes, pour le monde du journalisme comme pour la compatibilité des deux articles.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 316 et 555 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 371 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 419 rectifié, présenté par Mme de La Gontrie, M. Assouline, Mmes Monier et Meunier, MM. Marie, Magner et Sueur, Mme Lepage, M. Leconte, Mmes S. Robert et Harribey, MM. Féraud, Kanner, Kerrouche, Durain, Bourgi, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cette disposition n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises et retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu’elles permettent d’identifier ou de localiser. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cet amendement vise à compléter l’amélioration incontestable apportée par la commission en mentionnant la loi de 1881. Il tend à préciser un peu mieux le champ d’application, en indiquant que cette disposition ne peut avoir pour objet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, d’images, etc., ayant pour objectif d’informer le public.
Nous le savons, car cela s’est déjà produit et cela a fait la une de l’actualité, ces révélations ne sont pas nécessairement le fait de journalistes. La loi de 1881 protège, au-delà des journalistes, la liberté d’expression. Il n’empêche que, si nous ne voulons pas réprimer la révélation d’un certain nombre de faits, nous devons le préciser.
Cet alinéa complète donc la rédaction, tout à fait bienvenue, de la commission des lois.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. À trop exclure, nous rendons le principe inefficace. Nous préférons nous limiter à la rédaction de la commission des lois.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L’exigence que l’auteur de la révélation poursuive une intention de nuire afin de caractériser le délit de mise en danger vise à exclure de fait les révélations qui seraient faites dans un but légitime.
J’émets donc également un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteure, je suis déçu par le laconisme de vos réponses. Tout, dans notre démarche, a été réfléchi ; rien n’est simpliste.
La protection de la vie privée des personnels de police, de gendarmerie et de sécurité civile, je le répète une nouvelle fois, est assurée par les articles 226-1, 222-33-2, 222-33-2-2, 222-17, 222-7 et 226-8 du code pénal, par les articles 24 et 39 de la loi de 1881 et par la loi Informatique et liberté de 1978. Le sujet est déjà pris en compte, et il doit l’être : la protection due aux personnels de sécurité est indispensable.
Parallèlement, la liberté de la presse doit être intégralement préservée. Nous l’avons dit pour l’article 24, nous le disons pour l’article 18. Nous avons pesé chaque mot de cet amendement, de manière à éviter tout détournement de l’article 18. En effet, nous l’avons observé ensemble, cette nuit : à force de débats, nous sommes parvenus à voter un texte à l’unanimité, et je m’en réjouis.
Je me permets de vous lire, mes chers collègues, l’alinéa que nous vous proposons d’insérer : « Cette disposition n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises et retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu’elles permettent d’identifier ou de localiser. »
Nous avons longuement travaillé à cet alinéa : il est très précis et permet de protéger totalement la liberté de la presse, tout en assurant la nécessaire protection, prévue par les textes que j’ai cités, de la vie privée et la sécurité des personnels assurant notre sécurité.
C’est un travail parlementaire sérieux - je rends hommage à tous ceux qui y ont pris part -, qui perfectionnera le texte déjà amélioré par la commission. Mes chers collègues, l’adoption de cet amendement nous permettrait d’avancer.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Puisqu’il n’y a ici que des défenseurs de la liberté de la presse, je pensais que, face aux inquiétudes exprimées par certains d’entre nous, qui ne sont pas des défenseurs de la liberté de la presse de fraîche date, pour remporter l’adhésion et pour éviter tout procès d’intention, monsieur le garde des sceaux, on nous accorderait cette précision excluant toute ambiguïté.
On nous affirme qu’il n’y a pas de problème, mais les attaques contre la liberté de la presse sont une réalité, au-delà de ce débat ou de l’intentionnalité du Gouvernement ! Il n’y a jamais eu autant de journalistes matraqués, molestés et empêchés de travailler lorsqu’ils couvrent des manifestations dans l’espace public. Pourtant, sous les précédents quinquennats, tout n’a pas toujours été rose ! C’est cela que je voulais dire tout à l’heure, monsieur le garde des sceaux.
La multiplication de ces agressions témoigne de la volonté d’empêcher, de façon préventive, la prise d’images qui pourraient être diffusées…
Le législateur doit mettre le holà, y compris aux forces de l’ordre, mais aussi aux journalistes, qui n’ont pas à propager la haine, c’est une évidence et c’est puni par la loi. Les journalistes doivent être protégés, parce que l’information professionnelle est la meilleure arme contre la haine, qui circule sur les réseaux sociaux.
Est-ce que j’invente ? En février dernier, Valérie Murat, lanceuse d’alerte ayant montré la présence de pesticides dans vingt-deux vins labellisés « haute valeur environnementale », a été condamnée pour dénigrement à 125 000 euros d’amende et à la suppression de son étude sur son site internet et ses réseaux sociaux.
Voilà, par exemple, comment on peut empêcher ou punir la liberté d’informer, alors que ce texte de loi n’avait pas encore été présenté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Généralement, le fil du temps court vers l’avenir et non vers le passé… Je suis étonnée de notre débat. En effet, nous avons longuement débattu de la loi Sécurité globale et nous avons élaboré une proposition remarquable qui a éteint tous les feux, y compris la peur justifiée de la presse au sujet de l’article 24.
Le président Buffet vient de le rappeler, la liberté de la presse a été véritablement protégée, si quelqu’un en doutait, par cet article.
Je ne comprends donc pas très bien, mais sans doute des choses m’échappent-elles, pourquoi nous refaisons un débat qui n’a pas lieu d’être, puisque nous l’avons traité. Et apparemment, tout le monde est heureux de ce traitement, puisque l’issue du débat sur la loi Sécurité globale n’a pas suscité d’émotion de la part de la presse ou des partis politiques.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Très bien !
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 657, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 de l’article 18. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.) Une fois que je vous aurai expliqué pourquoi, j’espère que vous ricanerez un peu moins…
La volonté du Gouvernement de supprimer cet alinéa se fonde sur de vraies raisons de droit. Normalement, au-delà des dogmes ou des idéologies – je ferai désormais le distinguo entre les deux… –, nous devrions tous y être sensibles.
L’alinéa 5 prévoit l’application de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour le délit de mise en danger par divulgation d’informations personnelles alors que les faits incriminés ne sont pas commis par voie de presse ; ils peuvent par exemple l’être par messagerie personnelle.
Une telle disposition conduit à appliquer le régime prévu par la loi de 1881, alors que le délit n’est pas commis par des journalistes ou assimilés. Le maintien de cet alinéa rendrait impossible le placement des auteurs de telles infractions sous le coup d’une mesure coercitive, privant ainsi le dispositif répressif de son efficacité.
Si l’intention est évidemment légitime, le nouveau délit n’a pas pour objet de réprimer la diffusion de propos, sons ou images ayant pour objet d’informer le public – c’est le travail des journalistes –, quand bien même ces informations seraient utilisées par des tiers dans le but de nuire.
L’équilibre du dispositif répressif au regard de la liberté d’expression et de la communication réside dans l’existence d’un élément intentionnel spécifique permettant de réserver l’application du délit aux seules personnes ayant intention de nuire.
Madame la rapporteure, les dispositions de votre amendement, dont je comprends le sens, soulèvent des difficultés en droit. Vous souhaitez que soient applicables « les garanties procédurales prévues par la loi du 29 juillet 1881 ». Mais lesquelles ? Ce n’est pas très clair.
Au regard des règles de droit, trois raisons interdisent à cet amendement de prospérer.
Premièrement, quel sera le délai de prescription de l’action publique ? Trois mois ? Un an ? Ce n’est pas précisé. C’est une vraie difficulté. Or nous sommes en train de créer un délit. Quelles sont les pénalités ?
Deuxièmement, la poursuite du délit est-elle conditionnée par une plainte préalable de la victime alors que cette garantie n’est prévue que pour certains délits de presse ? Oui ? Non ? Pas de réponse.
Troisièmement, la détention provisoire, qui est possible alors que la loi de 1881 ne la prévoit que pour certains délits, sera-t-elle ou non applicable ? Nous n’en savons rien.
Quand on parle des garanties procédurales de la loi de 1881, il faut préciser lesquelles ! Je comprends parfaitement le sens de l’amendement de la commission, qui vise à renforcer les protections. Mais je dis qu’il n’est pas possible d’instituer un délit en ignorant comment il serait sanctionné. En l’occurrence, la difficulté en droit est triple.
À ceux qui ricanent quand je dis qu’il faut supprimer l’alinéa 5, je répète que l’on ne peut pas créer un délit avec une prescription aléatoire, une peine aléatoire et une manière d’introduire l’action publique aléatoire. Moi, cela ne me fait pas ricaner.
Je suis donc défavorable à l’amendement de la commission, même si, encore une fois, j’en comprends parfaitement le sens.
Mme la présidente. L’amendement n° 664, présenté par Mmes Eustache-Brinio et Vérien, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsque les faits reprochés résultent du contenu d’un message placé sous le contrôle d’un directeur de la publication en application de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 précitée ou de l’article 93-2 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, le régime de responsabilité et les garanties procédurales prévues par la loi du 29 juillet 1881 sont applicables. »
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 657.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Monsieur le garde des sceaux, si votre critique concerne la première version de l’alinéa 5, c’est-à-dire celle qui figure dans le texte issu des travaux de la commission, vous avez raison.
Cet alinéa avait en effet un périmètre trop large, englobant tous les auteurs de telles infractions, et non les seuls journalistes, ce qui rendait le dispositif quelque peu inopérant. Nous avons donc voulu circonscrire ce périmètre. Et, pour être certains de ne pas faire d’erreur et de bien viser les bonnes personnes, nous avons repris la rédaction que vous aviez vous-même proposée à l’article 20.
Vous nous dites que c’est incomplet ? Je trouve regrettable de ne le découvrir qu’aujourd’hui. Nous aurions probablement ajouté avec plaisir des alinéas supplémentaires.
Je vous propose donc de maintenir cette sécurité – c’est une bonne manière de signifier aux journalistes qu’ils ne sont pas visés par cet article et qu’ils bénéficieront des règles procédurales de la loi de 1881 –, quitte à discuter en commission mixte paritaire des peines applicables.
La commission est donc évidemment défavorable à l’amendement n° 657.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 664 ?
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame la rapporteure, je suis partiellement d’accord avec vous.
En ce qui concerne les personnes qui sont visées, vous avez raison. Vous reprenez les termes que nous avons retenus à l’article 20. D’ailleurs, la rédaction de cet article a été compliquée : le journaliste, ce n’est pas seulement celui qui a une carte de presse ; certains n’en ont pas. Nous avons donc choisi la responsabilité en cascade, après une très large consultation des journalistes et de leurs représentants.
Néanmoins, la question n’est pas celle des personnes visées ; elle est celle des garanties procédurales qui s’appliquent.
L’article 20 ne crée pas un délit. Sans modifier la loi de 1881 – les journalistes ne le souhaitaient pas, c’est une loi totémique pour eux –, il introduit dans le code de procédure pénale la possibilité d’extraire les haineux, qui n’ont rien à faire dans la loi de 1881 et qui viennent s’y lover, pour faire en sorte que ceux-ci soient immédiatement jugés.
L’article 20 contient une disposition de procédure pénale. Les personnes susceptibles d’être visées par les dispositions nouvelles ont été répertoriées.
L’article 18 crée un délit. Je suis à 200 % d’accord avec vous sur les personnes visées, d’autant que vous avez repris la rédaction que j’avais proposée pour l’article 20. Certes, il arrive que l’on puisse être en contradiction avec soi-même, mais, en l’occurrence, ce n’est pas le cas.
En revanche, ma préoccupation est de connaître le délai de prescription, les pénalités et les modalités de la mise en action de l’action publique. Mais nous pourrons retravailler sur le sujet ; je n’y suis absolument pas opposé.
Dans ces conditions, j’émets un avis de sagesse sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le débat permet d’avancer.
L’amendement de suppression proposé par le Gouvernement était un mauvais signe. Et si les améliorations apportées par la commission des lois restent insuffisantes à nos yeux, elles sont une réponse, a fortiori avec la nouvelle rédaction. M. le garde des sceaux a indiqué que tout cela serait très flou. Or la loi pénale ne doit effectivement pas se permettre d’être floue.
Si la loi du 29 juillet 1881 est d’une complexité sans nom, elle est tout de même précise. Je ne crois donc pas que la prescription ou la nature du délit soit un problème. Pour ma part, j’ai fait un peu droit de la presse ; j’ai arrêté dès que j’ai pu, car c’est un nid à nullités de procédure, à difficultés, à mauvaises incriminations…
J’ai entendu les propos de Mme la rapporteure. Le travail va se poursuivre. Je ne suis pas persuadée que le garde des sceaux ait des raisons de s’inquiéter.
La rédaction du texte s’améliore. Elle ne nous satisfait pas encore, mais elle est sur le bon chemin.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le garde des sceaux, comme j’ai un peu de mal à suivre, j’aurais besoin d’une clarification, notamment pour le vote à venir.
Nous l’avons bien compris, l’intérêt général est qu’il y ait une certaine maturation et un travail en commission mixte paritaire pour aboutir à un texte susceptible de convenir à tout le monde.
Dans ces conditions, monsieur le garde des sceaux, retirez-vous votre amendement ? Nous pourrions prendre l’amendement de la commission comme point de départ, quitte à retravailler le dispositif en commission mixte paritaire. Tout le monde y gagnerait, me semble-t-il, au moins en sérénité.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Karoutchi, je n’ai sans doute pas été clair, ce qui m’arrive assez souvent.
Vous connaissez l’article 18 et vous savez, vous, que l’on ne peut le confondre avec le fameux article 24 d’un autre texte.
Dans la rédaction initiale, j’avais indiqué que l’intention de nuire étant un élément fort du texte, les journalistes n’étaient pas concernés. Mais, par souci de précaution, votre commission a ajouté une protection supplémentaire : s’agissant des personnes visées alors, elle a redéfini qui devait rester sous l’empire de la loi de 1881. Ce faisant, elle a repris la rédaction retenue par le Gouvernement à l’article 20.
Nous savons donc maintenant qui pourra bénéficier des dispositions de la loi de 1881 : non pas les haineux, mais les journalistes, qui ont un statut et sont concernés par la responsabilité en cascade.
Une fois que l’on a dit que le régime de 1881 s’appliquait, il faut définir comment les faits sont prescrits, comment ils sont punis et comment l’action publique se met en œuvre.
Ces trois questions ne sont pas encore tranchées. Il faut que l’on y travaille. Quand on adopte des dispositions pénales, il est extrêmement important de préciser la prescription et les pénalités. C’est le travail que nous devons faire en commun.
Cela dit, si cela peut faciliter les choses, je retire naturellement mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 657 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 664.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 136 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano et Bilhac, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guiol, Mme Pantel, MM. Requier, Cabanel, Roux, Corbisez et Gold et Mme Guillotin, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne en situation de handicap ou dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ou résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. »
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. La diffusion d’informations d’ordre professionnel, privé, voire intime, peut mettre les personnes en danger dans leur intégrité physique et psychique.
Les personnes souffrant d’un handicap moteur ou mental, ou vulnérables du fait de leur âge, qui sont plus atteignables que toutes les autres, doivent faire l’objet de davantage de protections, car la diffusion d’informations les concernant peut être plus lourde de conséquences.
Par conséquent, cet amendement vise à mettre en place de véritables circonstances aggravantes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. Nous comprenons le souhait de protéger particulièrement les personnes handicapées. Mais, en l’occurrence, les personnes sont visées par rapport à leur mission et à leur rôle, et non à leur statut. Une telle mesure n’apporterait donc ni clarté ni protection supplémentaire.
C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.