Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Nous sommes en train de perdre le fil de notre cohérence générale, me semble-t-il.
Voilà quelques minutes, Mme la ministre nous a dit que les élus devraient être tenus à la neutralité dans leurs opinions, y compris religieuses, ce qui est absolument contraire à toute notre tradition et aux déclarations du Gouvernement lors de la discussion générale.
M. Philippe Bonnecarrère. C’est bien ce que vous avez indiqué, madame la ministre.
Nous comprenons la logique et la symbolique politique de cet amendement du président du groupe Les Républicains, qui vise à s’attaquer aux listes communautaristes. Il y a en effet un véritable sujet.
Le problème est que, pour s’attaquer aux uns, il faut poser des règles qui s’appliquent à tous. C’est toute la difficulté du texte proposé par le Gouvernement, depuis le début.
Ce mode de fonctionnement présente un vice évident. Il conduit à demander au préfet, juge de l’éligibilité – son rôle consiste à vérifier la bonne domiciliation des candidats, l’inscription sur les listes électorales, l’existence d’un casier judiciaire… – et non de l’élection, comme le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel, de surveiller les propos écrits et oraux des candidats six mois avant l’élection.
Vous créez ainsi un système dans lequel le préfet examine la propagande électorale, pour demander au juge administratif d’exclure une liste du processus démocratique. Or le préfet, en principe, ne se mêle pas des campagnes.
Nous comprenons votre objectif, mes chers collègues, mais la mécanique proposée nous fait perdre le fil de nos règles. Revenons à une approche réaliste des dispositions républicaines. En effet, nous sommes en train de partir dans une direction peu raisonnable. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Le vote de cet amendement peut offrir à notre collègue Ouzoulias une solution de repli.
D’ailleurs, s’il avait voté la proposition de révision constitutionnelle que j’avais déposée avec Bruno Retailleau et Hervé Marseille, il aurait également pu faire progresser ses convictions : cette révision constitutionnelle, malheureusement arrêtée en cours de route par l’Assemblée nationale, prévoyait en effet d’imposer aux partis politiques le respect des principes fondamentaux de la souveraineté nationale et de la démocratie.
Cet amendement, présenté par l’ensemble des membres du groupe Les Républicains, derrière son président, vise à reprendre une proposition de loi qui a fait l’objet d’un travail très approfondi pour en assurer la constitutionnalité.
En effet, la voie est étroite. Il ne s’agit pas de limiter les possibilités qu’ont les citoyens français de se porter candidats à une élection. Il faut bien avoir en tête, avant de se prononcer sur cet amendement, que celui-ci ne vise en aucune façon à restreindre cette liberté.
En revanche, si des candidats d’une liste municipale ont tenu des propos publics mettant en cause un certain nombre de principes fondamentaux de la République, il n’est pas question de distribuer leur propagande électorale, pas question non plus de leur permettre d’accéder au financement de la campagne.
C’est une règle de plus, certes, mais l’administration et la justice doivent déjà vérifier qu’un certain nombre de règles sont respectées dans la propagande électorale ; nous ne faisons donc pas un saut dans l’inconnu. En revanche, nous protégeons nos concitoyens contre l’émergence de listes communautaristes.
Bien évidemment, une liste remettant en cause la forme républicaine du Gouvernement aura toujours le droit de se présenter : les monarchistes, par exemple, ont toujours le droit d’être candidats à l’élection présidentielle.
Pour autant, il s’agit d’une protection supplémentaire que nous apportons à notre vie démocratique.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai été quelque peu surpris par deux aspects.
Tout d’abord, monsieur Bruno Retailleau, vous avez déposé cette proposition de loi le 8 novembre 2019, en expliquant qu’elle était majeure. Mais pourquoi, depuis le 8 novembre 2019, n’avez-vous pas proposé qu’elle soit discutée ici ? Ce premier point m’intrigue.
Ensuite, la rédaction de votre amendement est obscure, à plusieurs endroits. En effet, elle vise les personnes ayant écrit, dans les six mois précédant l’élection, « des propos contraires aux principes de la souveraineté nationale ». Si quelqu’un a des convictions fédéralistes chevillées au corps, ne lui rétorquera-t-on pas que c’est contraire à la souveraineté nationale ?
M. Loïc Hervé. Ils appelaient cela naguère le parti de l’étranger !
M. Jean-Pierre Sueur. Je poursuis ma lecture. Vous évoquez des propos « contraires aux principes de la souveraineté nationale, de la démocratie ou de la laïcité, afin de… »
Par conséquent, si vous tenez des propos contraires à la souveraineté nationale, à la démocratie ou à la laïcité, vous n’êtes pas visé par cet amendement. De tels propos sont condamnables seulement s’ils sont tenus « afin de soutenir les revendications d’une section du peuple fondées sur l’origine ethnique ou l’appartenance religieuse ».
Si l’on suit votre logique, on aurait donc le droit de tenir des propos contraires à la démocratie ou à la laïcité. Tout cela est quelque peu confus !
Je ne comprends pas ce texte, dont l’adoption, finalement, serait sans effet. Car quelqu’un qui s’en prendrait à la souveraineté, à la démocratie ou à la laïcité sans l’intention évoquée ne serait pas visé.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Chaque fois que l’on veut reculer, on trouve de bons arguments ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Tout d’abord, monsieur Sueur, si nous n’avons pas examiné la proposition de loi que j’avais déposée, c’est parce que nous avons discuté une autre proposition de loi constitutionnelle, que j’avais déposée avec Philippe Bas. Et si j’ai proposé l’inscription à l’ordre du jour de ce dernier texte, c’est parce que son objet était beaucoup plus large. Il visait en effet à modifier également l’article 4 de la Constitution, pour faire en sorte que les partis politiques respectent la souveraineté nationale.
Il y a des partis d’obédience turque, dans le Bas-Rhin, qui sont des succursales de l’AKP turc ! C’est cela ne pas respecter le principe de la souveraineté nationale, mes chers collègues.
Madame la ministre, il est hors de question d’exclure le recours au juge. Bien évidemment, dans le cadre d’un certain nombre d’élections, nous déposons du matériel de propagande. Nous le savons parfaitement, la préfecture peut faire obstacle quand une profession de foi ou un bulletin de vote ne respecte pas certaines dispositions.
J’entendais notre collègue dire que le vote communautariste n’existait pas. Mais demandez à Jacqueline Eustache-Brinio, demandez aux sénateurs de son département ce qu’il en est dans quelques communes, que je ne citerai pas ici !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. Demandez ce qui se passe dans les Yvelines, notamment à Trappes, et vous verrez que nous sommes menacés.
M. André Reichardt. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. Voulons-nous réaffirmer des principes républicains ou, une fois de plus, renoncer et abdiquer ?
Pour tout dire, le parti que je visais, le Parti égalité et justice, qui semble être, selon un certain nombre de spécialistes, une officine de l’AKP, avait présenté aux cantonales, dans le Bas-Rhin, des candidats. Il en a ensuite présenté, en 2017, dans plus de cinquante circonscriptions. Pourquoi ? Tout simplement pour bénéficier des financements publics !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Exactement !
M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, lorsque vous fermez la mosquée de Pantin, il y a des problèmes et c’est compliqué. Il a d’ailleurs fallu que le juge fasse un effort, vous le savez très bien.
Au reste, vous nous proposez une formulation législative pour que la fermeture des cultes soit plus opérationnelle. Pour notre part, nous proposons d’adopter un certain nombre d’outils permettant de mettre fin aux menées communautaristes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. En effet, je n’avais pas voté la proposition de loi constitutionnelle déposée par M. Bas, car j’estimais que, pour défendre la séparation de l’Église et l’État, il y avait quelque chose de beaucoup plus efficace, à savoir l’intégration, au sein de la Constitution, de l’article 1er et de l’article 2 de la loi de 1905, permettait de régler de très nombreux problèmes.
Toutefois, chers collègues, sans doute mettrez-vous du temps à nous rejoindre pour demander la constitutionnalisation des deux premiers articles de la loi de 1905.
Je vous le dis avec un peu de taquinerie, et je m’en excuse par avance, monsieur Retailleau, mais j’ai rédigé mon amendement à partir de l’article 4 de votre proposition de loi de réforme constitutionnelle, ce que vous avez remarqué, en retenant bien sûr le niveau législatif, et non pas constitutionnel.
Vous avez donc voté contre un amendement qui visait à reprendre l’essentiel de votre proposition de loi constitutionnelle. Où est la cohérence de votre démarche ? Je vous pose une nouvelle fois la question.
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Si je me permets de prendre la parole sur cet amendement de Bruno Retailleau, que j’ai cosigné et que je vais voter, c’est parce qu’il vise à répondre aux difficultés auxquelles j’ai été personnellement confrontée.
Lorsque je me suis présentée, en 2017, aux élections législatives dans la première circonscription des Bouches-du-Rhône, il y avait contre moi une liste du Parti égalité et justice.
J’ai tout de suite saisi le président Macron, nouvellement élu, pour lui demander comment un parti ouvertement financé et commandité par une puissance étrangère, particulièrement agressive à l’égard de la France en général et de moi-même en particulier, pouvait présenter des candidats aux élections. Ainsi, plus de cinquante listes de ce parti se sont présentées, en France, à ces élections législatives. Elles ont accédé au financement public, et je n’ai pas eu de réponse à la question que j’avais posée.
Or cet amendement vise à répondre aux interrogations qui ont été les miennes. Je veux le souligner, lors des élections municipales, nous avons assisté à un entrisme particulièrement bien organisé des partis financés par l’étranger, notamment ceux de M. Erdogan. Parfois, dans certaines villes, ils se sont présentés sur toutes les listes, pour être certains d’avoir des élus.
Aujourd’hui, connaissant l’agressivité dont nous faisons l’objet, il n’est plus possible de continuer comme avant. Ici et maintenant, nous devons dire « stop » aux partis visant à saper l’unité républicaine. Ils défendent un autre droit, une autre vision, qui n’est pas la nôtre et qui ne devrait pas pouvoir bénéficier de financements publics. Il est absolument incroyable que nous puissions tolérer ce genre de choses.
Avec ce texte, nous avons l’occasion de mettre fin à une telle situation et de préserver notre souveraineté nationale, en disant à ces pays étrangers, qui veulent saper l’unité républicaine et qui font preuve d’un entrisme politique incroyable dans une démocratie comme la nôtre, qu’ils n’ont pas leur place dans notre République.
C’est la raison pour laquelle il faut absolument voter cet amendement. J’espère ainsi que ce type d’attaques pourra cesser. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Je souhaite intervenir quelques minutes sur ce sujet.
Nous n’avons pas tous la même expérience ni la même approche de ce sujet. Ce que disait Bruno Retailleau est essentiel. Nous essayons aujourd’hui de préserver la République et notre unité, avec les limites inhérentes à ce texte. C’est la première pierre, je l’ai dit hier, d’un grand rempart que nous devons construire, pour préserver notre démocratie et notre unité.
Bruno Retailleau l’a dit, je vis dans un département dont certaines villes posent aujourd’hui de gros problèmes. Les services de l’État rencontrent même des difficultés pour y installer un centre covid, pour vous donner une idée de ce qui se passe lorsqu’un maire décide d’adopter des principes qui ne relèvent pas des principes républicains…
Très sincèrement, je pense que nous ne devons pas être naïfs. Bien évidemment, la plupart de celles et ceux qui vivent à nos côtés, tous les jours, quels qu’ils soient, quelles que soient leur origine et la couleur de leur peau, sont des démocrates qui respectent les élections.
Toutefois, soyons prudents et soyons vigilants ! Ce que nous inscrivons aujourd’hui dans les lois permettra de préserver l’unité dont nous avons toujours été fiers et riches. Nous devrons aussi préserver celles et ceux qui vivent cette démocratie et cette liberté. Aujourd’hui, je puis vous l’assurer, ces deux fondements sont largement remis en cause.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. J’ai écouté avec attention ce qu’a dit Valérie Boyer.
Pour ma part, je soutiens un certain nombre de démarches visant à nous prémunir de ce qui risque d’arriver et qui arrive dans certains endroits, avec des listes communautaires soutenues par l’étranger. Je comprends ce que vous avez dit et soutiens votre position.
Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, il s’agit d’un sujet à part entière : il faut en effet interdire les partis de l’étranger et trouver des solutions pour se prémunir de leur présence lors des élections.
Je le rappelle, la commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens d’y répondre n’a pas fait de proposition en ce qui concerne les élections. Tout simplement, elle n’a pas abordé ce sujet.
Quel que soit notre vote de ce soir sur cet amendement, il s’agit là d’un vrai sujet, sur lequel nous devons réfléchir, peut-être dans le cadre d’une mission d’information ou d’un travail de la commission des lois. Il convient en effet d’examiner le code électoral et de répondre à la question de Pierre Ouzoulias sur les partis venus de l’étranger ou financés par l’étranger.
Cela nous permettra d’avoir un dispositif plus complet, car il est bien évident que nous ne pouvons tolérer ce type de situations sur le territoire national.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je le répète, nous partageons l’objectif des auteurs de cet amendement ; il n’y a pas de désaccord sur ce point. Les constats qui sont posés me semblent tout à fait lucides.
Toutefois, selon moi, la solution proposée par cet amendement ne sera pas efficiente. Les propos de Mme Valérie Boyer en sont d’ailleurs la meilleure démonstration. Celle-ci vient en effet de rappeler que certains candidats de ces partis s’incrustent au sein d’autres listes, font de l’entrisme. Ils deviennent les candidats d’autres listes pour être certains d’avoir au moins quelques élus.
Mme Valérie Boyer. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Il ne suffit donc pas, hélas, de déclarer dans la loi qu’un certain nombre de candidatures sont interdites ou ne bénéficient pas de financements pour faire disparaître les idées qu’elles véhiculent.
Je crois que l’on combat mieux le séparatisme par l’action et le débat politique, y compris en menant ces débats au moment des élections.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Nous débattons cette après-midi d’un amendement important. Dans la mesure où un scrutin public a été demandé, le groupe Union Centriste sollicite une suspension de séance de dix minutes, madame la présidente.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour dix minutes.
Par ailleurs, afin de permettre à chacun de suivre l’intervention du Président de la République, prévue à vingt heures, je vous annonce d’ores et déjà que nous suspendrons nos travaux à dix-neuf heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Je mets aux voix l’amendement n° 290 rectifié bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 99 :
Nombre de votants | 293 |
Nombre de suffrages exprimés | 265 |
Pour l’adoption | 157 |
Contre | 108 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 2 bis.
L’amendement n° 27 rectifié bis, présenté par M. Marie, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Leconte, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Gillé, Temal, Tissot, Raynal, Redon-Sarrazy, Mérillou, Lurel, Kerrouche, P. Joly et Jacquin, Mme Jasmin, MM. Fichet et Durain, Mmes Conconne et Conway-Mouret, M. Cozic, Mmes Briquet et Bonnefoy, MM. J. Bigot, Antiste, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article L.52-3 du code électoral est complété par les mots : « , à l’exception des emblèmes à caractère confessionnel et des emblèmes nationaux ».
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Si vous le voulez bien, madame la présidente, je présenterai en même temps l’amendement n° 26 rectifié bis.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 26 rectifié bis, présenté par M. Marie, Mme de La Gontrie, M. Sueur, Mme Harribey, M. Leconte, Mme S. Robert, M. Magner, Mme Lepage, M. Féraud, Mmes Meunier et Monier, MM. Assouline, Lozach, Kanner, Bourgi, Antiste et J. Bigot, Mmes Bonnefoy, Briquet, Conconne et Conway-Mouret, MM. Cozic, Durain, Fichet, Gillé et Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lurel, Mérillou, Raynal, Redon-Sarrazy, Temal, Tissot, Montaugé et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Avant l’article L. 52-3 du code électoral, il est inséré un article L. … ainsi rédigé :
« Art. L. …. – Les affiches et circulaires ayant un but ou un caractère électoral ne peuvent comporter d’emblème à caractère confessionnel ni d’emblème national. »
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Didier Marie. Je voudrais tout d’abord remercier notre collègue Bruno Retailleau, non pas de nous avoir proposé l’amendement précédent, qui a été voté, mais d’avoir levé l’hypothèque de l’article 45 de la Constitution, laquelle pesait sur les amendements nos 27 rectifié bis et 26 rectifié bis que je vais désormais vous présenter.
Grâce au dépôt de son amendement lors de la dernière réunion de notre commission, d’un seul coup et comme par magie, les nôtres sont soumis à votre appréciation ! (Sourires sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Le véhicule proposé par M. Retailleau posera, je crois, davantage de difficultés qu’il n’apportera de solutions. Nous en avons parlé, et Jean-Pierre Sueur l’a bien montré.
Des solutions plus simples et pratiques peuvent être mises en œuvre. Tel est l’objet de nos amendements, qui visent à combattre les listes à vocation séparatiste.
L’amendement n° 27 rectifié bis tend à interdire les emblèmes à caractère confessionnel ou les emblèmes nationaux sur les bulletins de vote.
L’amendement n° 26 rectifié bis, quant à lui, vise à interdire ces emblèmes sur les affiches et circulaires électorales.
Il s’agit d’éviter, à la fois, la présence de listes soutenues par des pays étrangers, qui ont été évoquées précédemment, et les manifestations d’appartenance à une congrégation religieuse.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Il est bon de constater que nous pouvons de temps en temps nous retrouver ! En l’occurrence, ces deux amendements ont le même objectif et le même esprit que celui de M. Retailleau que nous venons d’adopter.
L’avis de la commission est donc favorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Il sera défavorable, même si le Gouvernement partage l’objectif de ces amendements. Nous souhaitons en effet tout autant que vous, monsieur le sénateur, que les bulletins et les documents de propagandes ne soient pas recouverts d’emblèmes nationaux ou confessionnels.
Pour autant, pour ce qui concerne les emblèmes nationaux, nous considérons que l’obligation d’imprimer les bulletins en une seule couleur, sur papier blanc, permet d’ores et déjà d’empêcher d’y faire figurer le drapeau français ou des drapeaux étrangers.
Ensuite, s’agissant des emblèmes confessionnels, le principe de laïcité s’applique à l’État, mais non au candidat. D’un point de vue constitutionnel, chaque candidat est donc libre de faire figurer un emblème au titre de sa liberté de candidature.
Enfin, de telles dispositions pourraient entraîner de nombreux contentieux, les notions d’emblème confessionnel et d’emblème national n’étant pas très précisément définies en droit.
Pour ces raisons juridiques, l’avis du Gouvernement est défavorable sur les deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je prie les membres de la commission des lois de bien vouloir m’excuser de reprendre ici des propos que j’ai déjà surabondamment tenus.
Je tiens à le faire ici pour qu’il soit dit, en séance publique, que le Sénat avait d’abord pris la décision d’exclure du débat l’amendement n° 290 rectifié bis de M. Retailleau et, conséquemment, les amendements nos 27 rectifié bis et 26 rectifié bis de M. Marie : ceux-ci ne pouvaient être examinés, en vertu de l’article 45 de la Constitution.
Il a donc fallu qu’un débat se tienne au sein de la commission des lois, sous l’égide de notre président, François-Noël Buffet, et que nous demandions un vote sur ce point : la majorité de la commission a voté pour que l’article 45 de la Constitution ne s’applique pas.
Cela constitue un précédent : depuis lors, nous avons voté de nouveau sur l’application de l’article 45. Bientôt le débat sur cet article sera plus long que celui qui porte sur les amendements eux-mêmes ! (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
Par conséquent, mes chers collègues, il faut en revenir à une lecture sage de la Constitution. Le droit d’amendement est très précieux. Pour les parlementaires, il est comme l’air que l’on respire !
En nous autocensurant, nous commettons vraiment une erreur, sauf quand il s’agit d’amendements n’ayant aucun rapport, même indirect – c’est d’ailleurs le mot qui est inscrit dans la Constitution – avec le texte.
Je me réjouis profondément que nous ayons pu avoir ce débat. Ainsi, j’ai voté contre l’amendement de M. Retailleau, et je vais voter pour ceux qu’a présentés M. Marie, ce dont je le remercie.
Notre débat eût été globalement mutilé si la discussion sur ces amendements n’avait pas eu lieu. Je le dis afin que l’on en tire les conséquences à l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Il me semble que c’est le président de la commission des lois qui avait demandé ce vote relatif à l’article 45 de la Constitution…
Je tiens à rappeler un point. La Ve République est un régime au parlementarisme très rationalisé.
Faisons très attention, nous qui nous plaignons souvent de l’affaiblissement du Parlement. J’entends régulièrement invoquer l’intervention du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel : nous nous autocensurons avant même d’avoir légiféré et, finalement, nous bridons notre action politique. (Mme Valérie Boyer applaudit.)
Je remercie le président François-Noël Buffet d’avoir soumis au vote de la commission des lois la question de l’application de l’article 45 de la Constitution, car il aurait très bien pu ne pas le faire. Pour autant, je pense que cet article 45 est devenu un instrument de torture contre le Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Nous sommes attachés à l’article 45, comme aux articles 40 et 41 de la Constitution, laquelle est notre loi fondamentale. Mais si l’on anticipe chaque fois les censures du Conseil constitutionnel, on ne fera plus rien du tout. Comme disait le général de Gaulle, en France, la seule Cour suprême, c’est le peuple français. Il faut en tenir compte !
Bien sûr, cet article de la Constitution doit s’appliquer quand il n’y a pas de lien direct ou indirect d’un amendement avec le texte en discussion… L’article 45, oui, mais rien que l’article 45 ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Je formulerai quelques observations. Je rappelle, tout d’abord, qu’il appartient à la commission de décider si elle applique ou non l’article 45 de la Constitution aux amendements qui ont été déposés.
Nous décidons de cette application dans un nombre très réduit de cas. Lorsque des amendements n’ont pas de lien direct ou indirect avec le sujet traité, je propose que nous appliquions cet article, et, dans 99 % des cas, la commission me suit.
J’en viens aux trois amendements que nous venons d’examiner. Plusieurs groupes politiques avaient déposé des amendements sur le même sujet. Après avis des rapporteures, j’ai proposé l’application de l’article 45 de la Constitution, ce que j’ai soumis au vote, de façon très démocratique : l’article 45 a été levé ; tant mieux ! Voilà quelle est la règle.
Je tiens tout de même à ajouter que ce n’est pas une jurisprudence constante. Ce qui constitue une exception – utile, je le pense, dans le contexte – ne pourra pas devenir un principe.
Le vote, tel qu’il est intervenu en commission, peut être absolument nécessaire pour indiquer la position de la commission, bien sûr. Mais nous avons aussi une responsabilité : nous devons veiller à ne pas ouvrir beaucoup trop largement le champ des amendements.
C’est d’ailleurs la raison d’être de la mention du lien direct ou indirect à l’article 45, qui a été voulue par le Conseil constitutionnel. En effet, de plus en plus de textes étaient nourris d’amendements n’ayant pas de lien avec les textes examinés, ce qui posait quelques difficultés.
Je veux dire, pour être positif, que, chaque fois que le problème se posera, on fera voter la commission. Ainsi la règle sera parfaitement claire et le débat parfaitement transparent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)